Cités-États, Empires : deux faces de la même pièce esclavagiste

Dans les Cités-États comme dans les Empires, la société, entièrement patriarcale dans sa hiérarchie avec un refus que les femmes participent aux activité politiques, militaires et culturelles, consista alors en deux véritables pôles antagoniques : les esclaves et leurs propriétaires.

Ces derniers se divisaient en petits propriétaires et grands propriétaires, parallèlement à une couche sociale de prêtres au service du pouvoir central, et d’une couche mêlant artisans, commerçants, hommes libres pauvres, formant ensemble une plèbe, principalement urbaine. Dans les campagnes, les situations étaient variées, de l’asservissement le plus brutal à la « liberté » relative permise par l’éloignement, voire l’isolement.

C’est à cette époque de l’humanité que se fonde l’État, comme appareil d’oppression condensant les rapports de force à l’échelle de la société.

Lénine résume cela en nous enseignant que :

« On doit tout d’abord observer que l’État n’a pas toujours existé. Il fut un temps où il n’y avait pas d’État. Il apparaît là et au moment où se manifeste la division de la société en classes, quand apparaissent exploiteurs et exploités.

Avant que surgît la première forme de l’exploitation de l’homme par l’homme, la première forme de la division en classes – propriétaires d’esclaves et esclaves, – il y avait la famille patriarcale ou, comme on l’appelle parfois, clanale (du mot clan, génération, lignée à l’époque où les hommes vivaient par clans, par lignées), et des vestiges assez nets de ces époques anciennes ont subsisté dans les mœurs de maints peuples primitifs.

Si vous prenez un ouvrage quelconque sur les civilisations primitives, vous y trouverez toujours des descriptions, des indications, des souvenirs plus ou moins précis attestant qu’il fut un temps plus ou moins semblable à un communisme primitif, où la société n’était pas divisée en propriétaires d’esclaves et en esclaves.

Alors il n’y avait pas d’État, pas d’appareil spécial pour user systématiquement de la violence et contraindre les hommes à s’y soumettre. C’est cet appareil qu’on appelle l’État.

Dans la société primitive, à l’époque où les hommes vivaient par petits clans, aux premiers degrés du développement, dans un état voisin de la sauvagerie, une époque dont l’humanité civilisée moderne est séparée par des milliers d’années, on n’observe pas d’indices d’existence de l’État.

On y voit régner les coutumes, l’autorité, le respect, le pouvoir dont jouissaient les anciens du clan ; ce pouvoir était parfois dévolu aux femmes – la situation de la femme ne ressemblait pas alors à ce qu’elle est aujourd’hui, privée de droits, opprimée ; mais nulle part, une catégorie spéciale d’hommes ne se différencie pour gouverner les autres et mettre en œuvre d’une façon systématique, constante, à des fins de gouvernement, cet appareil de coercition, cet appareil de violence que sont à l’heure actuelle, vous le comprenez tous, les détachements armés, les prisons et autres moyens de contraindre la volonté d’autrui par la violence, qui constitue l’essence même de l’État.

Si l’on fait abstraction des doctrines religieuses, des subterfuges, des systèmes philosophiques, des différentes opinions des savants bourgeois, et si l’on va vraiment au fond des choses, on verra que l’État se ramène précisément à cet appareil de gouvernement qui s’est dégagé de la société.

C’est quand apparaît ce groupe d’hommes spécial dont la seule fonction est de gouverner, et qui pour ce faire a besoin d’un appareil coercitif particulier, – prisons, détachements spéciaux, troupes, etc., afin de contraindre la volonté d’autrui par la violence, alors apparaît l’État.

Mais il fut un temps où l’État n’existait pas, où les rapports sociaux, la société elle-même, la discipline, l’organisation du travail tenaient par la force de l’habitude et des traditions, par l’autorité ou le respect dont jouissaient les anciens du clan ou les femmes, dont la situation était alors non seulement égale à celle des hommes, mais souvent même supérieure, et où il n’existait pas une catégorie particulière d’hommes, de spécialistes, pour gouverner.

L’histoire montre que l’État, appareil coercitif distinct, n’a surgi que là et au moment où est apparue la division de la société en classes, donc la division en groupes d’hommes dont les uns peuvent constamment s’approprier le travail d’autrui, là où les uns exploitent les autres.

Il doit toujours être évident pour nous que cette division de la société en classes au cours de l’histoire est le fait essentiel.

L’évolution des sociétés humaines tout au long des millénaires, dans tous les pays sans exception, nous montre la loi générale, la régularité, la logique de cette évolution : au début, une société sans classes, une société patriarcale, primitive, sans aristocratie ; ensuite, une société fondée sur l’esclavage, une société esclavagiste.

Toute l’Europe civilisée moderne passa par là : l’esclavage y régnait sans partage il y a deux mille ans. Il en fut de même pour l’écrasante majorité des peuples des autres continents.

Des traces de l’esclavage subsistent, aujourd’hui encore, chez les peuples les moins évolués, et vous trouverez même à présent des institutions relevant de l’esclavage, en Afrique par exemple.

Propriétaires d’esclaves et esclaves : telle est la première grande division en classes. Aux premiers appartenaient tous les moyens de production, la terre, les instruments, encore grossiers et primitifs, et aussi des hommes. On les appelait propriétaires d’esclaves, et ceux qui peinaient au profit des autres étaient dits esclaves (…).

L’État, c’est une machine destinée à maintenir la domination d’une classe sur une autre.

Quand la société ignorait l’existence des classes ; quand les hommes, avant l’époque de l’esclavage, travaillaient dans des conditions primitives, alors que régnait une plus grande égalité et que la productivité du travail était encore très basse ; quand l’homme primitif se procurait à grand-peine ce qui était nécessaire à sa subsistance sommaire et primitive, il n’y avait pas, il ne pouvait y avoir de groupe d’hommes spécialement chargés de gouverner et faisant la loi sur le restant de la société.

C’est seulement quand l’esclavage, première forme de division de la société en classes, est apparu ; quand une classe d’hommes, en s’adonnant aux formes les plus rudes du travail agricole, a pu produire un certain excédent, et que cet excédent qui n’était pas absolument indispensable à l’existence extrêmement misérable de l’esclave, était accaparé par les propriétaires d’esclaves, c’est alors que cette dernière classe s’est affermie ; mais pour qu’elle pût s’affermir, il fallait que l’État apparût.

Et il est apparu, l’État esclavagiste, appareil qui donnait aux propriétaires d’esclaves le pouvoir, la possibilité de gouverner tous les esclaves. »

La mise en place de Cités-États dans les zones les plus favorables à une agriculture encore relativement élémentaire implique une contradiction : d’un côté, il y a unité (au sens d’unification), de l’autre division (au sens de différence et de contradiction, d’affrontement).

De fait, pour arriver à la Cité-État, il fallut passer une intense organisation affinitaire entre les clans familiaux, qui se mélangeaient au point de former des tribus, qui elles-mêmes rentraient en inter-relations ou en concurrence.

Rome, par exemple, fut formée par trois tribus selon la tradition : les Tites, les Ramnes et les Luceres. Chacune de ces tribus était elle-même divisée en dix « curies ». Rome parvint à un tel croisement de ces tribus que, finalement, au VIe siècle avant notre ère, il y eut une réorganisation en tribus territoriales, avec 17 tribus rurales et 4 urbaines.

Parthes enchaînés représentés sur l’Arc de triomphe de Septime Sévère, 3e siècle

Par contre, cela impliquait une double dynamique patriarcale. Déjà, les hommes auparavant au service des femmes se faisaient désormais des combattants décidant de tout et, de plus, l’élévation de la division du travail impliquait une centralisation des décisions qui, par définition en raison des faiblesses de l’époque, étaient prises sur un mode patriarcal.

Partout la figure du patriarche se confond donc avec celle du héros fondateur, du guide communautaire donnant son nom à tribut qui se rassemble sous le culte de sa mémoire, et finalement finit par devenir ici un dieu, là un prophète.

Le même processus d’unité tribale marque la naissance de Babylone, de Sumer, des civilisations des Araméens, des Assyriens, des Akkadiens, des Égyptiens, des Perses, des Grecs, des Chinois. C’est très certainement le même processus pour la civilisation de la vallée de l’Indus au même moment, dont on connaît les restes de nombreuses et vastes villes (Mohenjo-daro, Harappa, Dholavira, Ganweriwala, Rakhigarhi).

Le saut qualitatif dans la coopération se montre avec l’émergence de l’écriture cunéiforme, vers 3400-3300 avant notre ère. Les « sept merveilles du monde » qui furent construites durant cette période témoignent d’une intense capacité de coopération et de valorisation culturelle.

La pyramide de Khéops – qui fait 225 mètres pour chaque côté pour une hauteur de 150 mètres – aurait été construite par 100 000 personnes selon l’historien Hérodote.

Les sept Merveilles du monde, gravure de Maarten von Heemskerck, 1572

Mais ce processus d’unification tribale passait également par des conflits entre clans, entre tribus, entre Cités–États. Dans ce cadre où l’ennemi relevait d’une dynamique extérieure à la sienne, les perdants étaient réduits en esclavage, afin d’apporter leur contribution physique de manière forcée.

Et ce processus s’accumula au fur et à mesure des luttes et des siècles. On peut lire dans les contes et légendes de l’époque, dans les écrits mystico-religieux, notamment dans la Bible, à quel point d’un côté l’esclavage est massivement présent, mais aussi comment la mosaïque des dieux correspond, en fait, au mélange des dieux des différentes tribus, avec également des déesses issues des anciens cultes de la déesse-mère.

Il faut bien saisir ici que le mode de production esclavagiste ne se systématise pas : il se construit sur le tas et il existe pendant longtemps tout une gamme de variantes allant de restes du communisme primitif à un système esclavagiste centralisé autour d’une Cité–État victorieuse dans une région.

Le roi assyrien Sennacherib  pendant la guerre contre Babylone, bas-relief de son palais à Ninive, 7e siècle avant notre ère

Dans certains cas, une Cité–État obtient une hégémonie régionale, comme Athènes d’un côté, Sparte de l’autre, pour la Grèce antique.

Athènes était de fait la plus importante des villes, avec 40 000 habitants du temps de Périclès, alors que Syracuse, Agrigente et Argos, les suivantes en termes numériques, n’en avait que 20 000. Suivaient une quinzaine de villes avec 10 000 habitants, Sparte en ayant 8 000, alors que l’île de Crète était divisée en 50 petites Cités–États indépendantes les unes des autres.

Il y a aussi la situation dans laquelle l’État prend un rôle prépondérant à grande échelle en raison de la nécessité de grands travaux pour maintenir l’agriculture au moyen de grands travaux, ou bien pour empêcher les invasions, que seule une force centralisée peut mettre en place.

C’est le cas en Égypte, mais également en Perse, en Chine (ainsi avec la grande muraille). Dans ces cas précis, le souverain prend une dimension divine, car son intervention permet de maintenir l’existence de l’agriculture, et donc celle de la population.

Certains de ces États deviennent dans ce processus des Empires, appuyés sur l’économie agro-pastorale, et développent des capacités militaires propres.

Une caste militaire développe alors une idéologie convergeant avec celle de l’élevage, consistant à voir dans les masses dominées un troupeau. C’est l’organisation de ce « troupeau » qui permet l’émergence d’un certain universalisme en mesure de briser les bornes du tribalisme, mais selon une perspective élitiste de caste.

Le dieu phénincien Baalshamin, maître des cieux entre le dieu Lune Aglibôl et le dieu Soleil Malakbêl, 1er siècle

Ces Empires, notamment l’Empire achéménide en Orient de par ses dimensions gigantesques, ont imprimé puissamment les cultures de caste du mode de production esclavagiste.

L’Empire achéménide (vers -550 à -330) dépassait en effet la forme d’une royauté ou d’une Cité-État simplement élargie, dont les Empires précédents étaient l’expression jusque-là, y compris les Empires assyriens (vers -900 à -600) et néo-Babyloniens (-636 à -539).

Il est emblématique de l’idéologie de l’élevage ; il suffit par exemple de souligner l’origine persane, par le biais de la culture achéménide, du terme de paradis, signifiant un vaste enclos domestiquant la Nature autour du palais d’un chef patriarcal et de sa suite.

L’Empire achéménide fut ainsi en mesure de concentrer de vastes moyens militaires, polarisés dans des régions appelées satrapies, dans lequel la caste dominante localement devait organiser les forces productives des masses sous son contrôle, afin de cotiser le tribut nécessaire, dont en retour elle bénéficiait elle-même de par son accès au partage dans le cadre de la Cour, pour ses éléments les plus fidèles, ou par le soutien de l’armée royale en cas d’invasion ou de répression à mener.

Combat entre un guerrier perse et un guerrier grec, kylix grec du 5e siècle avant notre ère

Cette organisation militaire était particulièrement développée dans certaines régions, tels le le Khorassan en Asie centrale, l’Arménie ou certaines régions d’Anatolie, au point qu’elles ont gagné la constitution de véritables entités « nationales » au sens permis par la dimension d’une telle organisation.

En son centre se développait, autour du mazdéisme comme religion hiérarchisée spirituellement et rituellement, certaines tendances au monothéisme et à la réforme, exigeant la rupture avec l’esclavagisme le plus humiliant, afin de mieux souder les masses autour d’une élite régénérée et allant dans le sens d’une aristocratie « civilisée ». Les religions servirent ici cette ligne idéologique nouvelle autour du culte de Mithra en Perse, qui s’insinua profondément dans l’Empire romain par la suite.

La figure du souverain devenait aussi celle d’un roi au-dessus des autres, les écrasant de manière humiliante d’un côté, mais aussi les rassemblant sous son autorité en vue de leur unité, comme l’illustrent les bas-reliefs de Behistun par exemple, dans lesquels le roi de Perse s’affirme comme conquérant et maître unitaire, ou comme la figure de l’empereur Qin (père et fils), fondateurs de la Chine unitaire (entre -221 et -206), qui met fin à la période des « Royaumes combattants » et a fait édifier la Grande Muraille.

Darius le grand, inscription de Behistun, 5e siècle avant notre ère

Cependant, au sens strict, la caste esclavagiste disposait encore d’un tout autre modèle, dont Athènes fut l’aboutissement le plus remarquable sur le plan historique. Ici il ne s’agissait pas d’établir une unité universelle sous la forme d’un Empire, mais de gouverner une communauté locale de la manière la plus stable possible, en développant une emprise totale sur celle-ci.

Les couches dominantes athéniennes allèrent loin dans le développement de leur propre culture, générant une sous-couche de législateurs, de lettrés et de philosophes en mesure de proposer un cadre. Toute une culture exigeante servant la caste dominante ou bien convergeant avec elle se développa autour d’écoles de pensées très actives, produisant ce qui deviendra la paideia, c’est-à-dire l’éducation et le style de l’élite hellénistique. Athènes poussa la réflexion savante, philosophique et politique aussi loin que possible.

Malgré la disproportion des forces en présence, l’Empire perse se brisa d’ailleurs sur les Cités-États grecques et en particulier sur Athènes. Cette dernière, même vaincue après la Guerre du Péloponnèse à la fin du Ve siècle avant notre ère, elle produisit les deux plus grands philosophes de l’Antiquité : Platon et surtout l’immense Aristote.

Au fond, la situation était celle-ci : les couches dominantes esclavagistes avaient produit deux pôles de développement permettant son essor maximal : l’Empire quasi-universel des Achéménides et la Cité des Athéniens. Leur rencontre et leur fusion était une nécessité. Elle advint sous la forme de l’Empire romain, qui porte le mode de production esclavagiste, et ses contradictions, à son terme.

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Patriarcat, marché, esclavage: la nouvelle culture des Cités-États et des Empires

Le mode de production esclavagiste est d’abord le reflet patriarcal de la société d’alors. On y trouve une élite dominante qui organise le fonctionnement de la société sous son pouvoir : l’élite politique, a comme tâche de superviser la gestion centralisée de la société sur le plan économique, alors que l’élite religieuse a comme tâche de superviser l’unité (ou l’unification) spirituelle-culturelle de la société.

Cela passe par le développement d’un système d’impôts permettant d’organiser le gouvernement central et la religion, tout d’abord sous la forme du tribut imposé pour les populations asservies. Les artisans se mirent au service des couches dominantes, renforçant les échanges entre eux. Dans le cadre du développement des forces productives, les paysans se mirent également à vendre une partie de leur production, voire leurs terres, afin de se procurer des produits des artisans.

Cela généralisa alors les marchés et avec eux les commerçants, sous le patronage des couches dominantes et de leurs capacités d’organisation. Une nouvelle échelle du marché émergea alors, reliant des espaces plus ou moins grands, en liaison avec des territoires plus ou moins lointains.

Le roi Hammurabi de Babylone face au dieu Shamash, détail de la stèle du Code de Hammurabi, 18e siècle avant notre ère

Ce marché élargi existait également d’abord comme fête religieuse, celle d’une foire, sous la protection d’un pouvoir ou d’un d’autre tenu par les couches dominantes du pouvoir ou de la religion, ou des deux.

L’existence de marchands et d’un marché dans le cadre du mode de production esclavagiste constitue d’ailleurs un point important sur lequel la bourgeoisie s’appuie pour tenter de naturaliser sa propre existence à notre époque, déformant toutes les évidences. On trouve ainsi des débats entre historiens prétendant démontrer que les Cités grecques auraient déjà été « capitalistes ».

Mais à ce stade, quelle que puisse être leur importance, les marchands ne sont pas en mesure de se détacher formellement des couches dominantes, et d’ailleurs les exemples ne manquent pas des éléments de celle-ci s’engagent plus ou moins directement dans les activités commerçantes, notamment concernant des marchandises ou des circulations permettant de dégager des profits parfois démesurés.

De même, le marché, surtout quand il s’agit d’une rencontre à large échelle, est avant tout une fête religieuse strictement encadré par les couches dominantes et leurs organes, structuré par des rituels et des échanges qui n’ont rien à voir avec ceux dans le cadre du capitalisme.

Néanmoins, la généralisation des échanges imposa rapidement de mettre en place une innovation de grande valeur : la monnaie, comme outil pour exprimer et permettre d’augmenter les échanges au plan des volumes.

Pièce en or dite darique de la dynastie achéménide, vers 490 avant notre ère

La monnaie apparaît comme le terme de l’échange, de biens ou même de service, puisque le versement des tributs, comme celui des rations, se voit de plus en plus imposé en monnaie. La monnaie convertit la valeur d’un échange donné en poids relatif de métal précieux, en or ou le plus souvent en argent et en bronze, garanti par une marque sur la pièce.

Au quotidien et de plus en plus, la simple présence de cette marque suffit à donner la valeur symbolique de la monnaie, mais sa multiplication et les circulations entraînent la nécessité de continuer à la pesée, à les re-marquer, ou à les fondre, pour les convertir ou les thésauriser. La monnaie, de fait, peine à franchir l’étape de la fiduciarisation, c’est-à-dire celle d’une reconnaissance générale symbolique, nécessaire aux échanges capitalistes.

Plus directement, cette systématisation de la monnaie se fit aux dépens des campagnes, les paysans passant sous la coupe du reste de la société pour disposer de prêts, de bétail, de semences et surtout s’acquitter des dettes et des tributs.

Avec l’endettement, une partie de la population passa alors dans l’esclavage. Dans la Bible, on lit ainsi (Deutéronome, 15,12-20) :

« 12 Si l’un de tes compatriotes hébreux, homme ou femme, se vend à toi comme esclave, il sera à ton service pendant six ans. La septième année, tu lui rendras la liberté. 

13 Mais le jour de sa libération, tu ne le laisseras pas partir les mains vides. 

14 Tu lui donneras en présent une part de ce que l’Eternel t’aura accordé comme bénédiction : du petit bétail, du blé et du vin. 

15 Souvenez-vous que vous avez vous-mêmes été esclaves en Egypte et que l’Eternel votre Dieu vous en a libérés. C’est pour cela que je vous donne aujourd’hui ce commandement.

16 Il peut arriver que ton esclave te dise : « Je ne veux pas te quitter », parce qu’il s’est attaché à toi et à ta famille et qu’il est heureux chez toi. 

17 Alors tu prendras un poinçon et tu lui perceras l’oreille en l’appuyant contre le battant de ta porte. Ainsi, il sera pour toujours ton serviteur. Tu agiras de même pour ta servante.

18 Mais si tu dois rendre la liberté à un esclave, n’en sois pas contrarié, car après t’avoir servi pendant six ans, il t’a rapporté deux fois plus qu’un ouvrier salarié. Rends-lui donc sa liberté, et l’Éternel ton Dieu te bénira dans tout ce que tu entreprendras. »

À strictement parler, l’esclavage n’est toutefois pas apparu dans le mode de production esclavagiste. C’est de fait sa généralisation qui permet à la société de faire un saut qualitatif dans cette direction, sur la base de l’élan historique acquis antérieurement.

Auparavant existant pour les peuples extérieurs défaits militairement, l’esclavage avait intégré la société elle-même, témoignant que le patriarcat était le véritable socle du fonctionnement général de l’économie.

On a une transformation d’un cadre communautaire collectif, formant l’aspect quantitatif, en une production plus avancée portée par des petits groupes séparés, formant l’aspect qualitatif. Ou, inversement, le matriarcat formant l’aspect qualitatif s’efface devant la dispersion du pouvoir de manière hiérarchique, formant l’aspect qualitatif.

Ce processus fut évidemment inégal à tous les niveaux de développement.

Ainsi, l’accès aux eaux, aux forêts et aux terres communes resta relativement ouvert pour une longue période, voire se maintint en tant que tel.

Cela se reflète également dans la mosaïque de dieux, de hiérarchies célestes, dans une accumulation incessante de nouvelles figures dans le panthéon, accompagnant l’intégration de nouveaux chefs historiques.

Le combat entre Kripa et Shikhandi raconté dans le Mahabharata, ici présenté vers 1670

On trouve dans la littérature indienne, notamment avec l’épopée du Mahabharata, tout un descriptif romancé des conflits caractérisant justement les protagonistes d’une remise en cause permanente des hiérarchies.

On y lit par exemple dans le livre IV :

« 4.29. Susharman, le roi des Trigarta, propose que l’on aille attaquer Virâta, affaibli par la mort de Kîcaka
Karna l’approuve et Duryodhana donne l’ordre de marche : Susharman marchera avec son armée sur le royaume de Matsya, il suivra avec les siens à un jour de distance et que l’on prenne le maximum de bétail
Ainsi est fait, et le vol du bétail commence.

4.30. Le chef des étables vient avertir Virâta que les Trigarta sont en train de voler des centaines de milliers de vaches
Les Matsya s’équipent et partent en campagne
Virâta ordonne que l’on arme également Yudhishthira, Bhîma, Nakula et Sahadeva et qu’on les fasse combattre avec eux
L’armée de Virâta se met en route sur la trace du bétail.

4.31. Les Matsya rejoignent les Trigarta au coucher du soleil
Le combat commence aussitôt
Les Matsya pénètrent les rangs des Trigarta
Rencontre de Virâta avec Susharman
Il fait trop noir, le combat cesse.

4.32. La lune se lève et le combat reprend
Susharman et son frère capturent Virâta
Les Matsya prennent la fuite
Yudhishthira envoie Bhîma délivrer Virâta
Bhîma veut déraciner un arbre, mais Yudhishthira le lui défend : on le reconnaîtrait à cet exploit
Bhîma délivre Virâta et capture Susharman
Les Trigarta fuient
Virâta envoie chercher ses fils pour célébrer la victoire.

4.33. Pendant ce temps, Duryodhana dérobe soixante mille vaches dans le pays des Matsya
Le chef des vachers se précipite à la ville, annonce le désastre au fils de Virâta, Uttara, et l’engage à marcher sur les Kaurava pour récupérer le bétail : son père lui a confié le royaume. »

De même les Jing, c’est-à-dire les « Classiques » de la pensée confucéenne (élaborés autour de la figure du lettré Kong Fuzi, connu sous le nom de Confucius en Europe et tenu pour avoir vécu entre -551 et -479), tentent d’articuler une morale individuelle fondée sur le respect filial à ses supérieurs (le ren) avec une organisation sociale pensée par l’importance des relations hiérarchiques, matérialisées par des rites bien précis et sensés être incontournables (les li).

La concurrence patriarcale implique ainsi une instabilité systématique, à tous les niveaux. Le terrain privilégié pour cela fut la ville, centre du pouvoir, lieu de toutes les tentatives de prise de contrôle, avec d’innombrables assassinats, empoisonnements, révolutions de palais, etc.

L’esclavage en était d’autant plus renforcé, du fait des batailles et de l’utilisation des esclaves pour se renforcer matériellement. L’asservissement des femmes était pareillement accentué au fur et à mesure d’une expression patriarcale dont le périmètre ne cessait de s’étendre.

Esclaves travaillant dans une mine, tablette en terre cuite, Corinthe, 7e siècle avant notre ère

Une grande importance fut alors donnée, par les couches dominantes et leur appareil, à exprimer la capacité d’asservissement et la domestication des masses humaines, et au-delà d’elle, de la Nature.

Alors les villes acquirent un aspect monumental sans précédent, avec une architecture reflétant l’état des connaissances (et des préjugés) accumulés. La recherche de connaissances, le développement de la civilisation reçut un soutien massif et déterminant des couches dominantes, permettant à une couche de lettrés et d’artistes de se constituer.

Cette civilisation appuyait de fait la domination militaire exercée sur la majorité, elle n’avait pas vocation à s’étendre à toute la société ; les éléments les plus avancés de la culture étaient d’abord destiné à affirmer la puissance des couches dominantes et de leur dispositif.

L’ouvrage de Platon connu sous le nom de « République » (en fait « À propos de la cité ») exprime un point de vue ultra-réactionnaire visant à réimpulser justement ce dispositif dans le contexte de l’époque.

Fragement de La République de Platon sur un papyrus trouvé à Oxyrhynque en Egypte, 3e siècle

La logique patriarcale impliquait l’asservissement et le renforcement ininterrompu. L’asservissement brutal et humiliant des habitants de la Messénie, une fois ses couches dominantes éliminées, par leur voisins Spartiates, illustre cette tendance à l’écrasement.

Avec un tel arrière-plan, la différenciation entre la ville et la campagne ne fit dès lors que se renforcer, l’asservissement se généralisant dans celle-ci plus profondément et aussi souvent plus brutalement qu’en ville, réduisant même parfois dramatiquement les capacités des couches dominantes à reproduire leur propre dispositif.

Dès lors, la religion, tout comme le droit, se développèrent en raison du besoin de toujours trouver des arbitrages, de limiter la tendance à l’écrasement servile démesuré et de naturaliser l’ordre social ainsi produit.

L’ancestral panthéon varié se réduisit toujours plus et se hiérarchisa selon les rapport de force. Des systèmes de mythologies plus cohérents furent établis, avec en leur la conception d’un dieu masculin tout-puissant mandatant immanquablement les couches dominantes.

Les déesses-mères originaires furent supprimées ou annexées aux nouvelles religions patriarcales, formant des restes dépendant du niveau de développement. La vénération de la déesse Kali est ainsi restée présent dans l’hindouisme jusqu’au 20e siècle au Bengale.

Pièce de monnaie de l’époque du roi indo-scythe Azes I, avec la déesse de la fertilité et des récoltes Déméter d’un côté, Hermès de l’autre, 1er siècle avant notre ère

L’élévation de grands aménagements collectifs canalisant les eaux, drainant les plaines, édifiant des palais et des tombes gigantesques, sillonnant le territoire, le cadastrant, etc. sont autant de reflets du même élan dominateur et asservissant.

Cela se fit avec de manière prolongée, durant des millénaires entiers, de -3500 avant notre ère à environ 300 de notre ère, et cette affirmation prolongée du mode de production esclavagiste, et de la culture qui en découle, coupa toujours plus dans les consciences le lien entre l’Humanité et la Nature, de manière artificielle et illusoire, au point de permettre une distinction entre les deux termes.

À la Culture de l’Humanité qui se développait, dans l’asservissement généralisé, faisait face la Nature, qu’il s’agissait de dominer.

Tout un mode de vie propre aux couches dominantes se développa sur le plan de la civilisation, exprimant un style distinctif, fait d’éducation raffinée et de l’exercice contrôlée de la violence. La chasse notamment devint un critère de distinction, une activité élitiste – patriarcale pénétrée de symboles, plus qu’une nécessité alimentaire en tant que telle, même si cette dimension était encore importante.

La civilisation esclavagiste ignorait à vrai dire forcément le principe d’Humanité, tout comme le principe de Nature : il n’y avait qu’un territoire sous la forme d’un enclos, dont les couches dominantes devaient assurer la garde et la direction sur tous les plans, économique, spirituel comme militaire.

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L’entrée dans la période historique par le mode de production esclavagiste

L’entrée dans la période historique à proprement parler, avec une humanité transformant la réalité naturelle, par la mise en forme du mode de production esclavagiste, voit le développement de trois types de situations instituant la nouvelle organisation générale de la production.

Au vu cependant des moyens disponibles, et de la perspective même du mode de production esclavagiste, cette institutionnalisation reste élémentaire et limitée.

Il faut ainsi constater qu’une partie de l’Humanité continue de s’organiser en marge de la transformation permise par l’agriculture et l’élevage, en maintenant un mode de production fondé encore largement sur le prélèvement (par la chasse, la pêche extensive et la cueillette), dans lequel l’agriculture ou le petit élevage restent des activités secondaires demandant somme toute peu de moyens.

Cela va surtout concerner les espaces tropicaux de la planète, et dans une moindre mesure l’Arctique, où l’abondance des ressources alimentaires permises par le cadre local de la Biosphère ne pousse pas l’Humanité en avant vers la rupture agro-pastorale et le patriarcat de manière franche.

Une famille inuit en 1917

On observe aussi ce type de stagnation ou d’arriération relative dans les zones montagneuses d’Asie, notamment le long d’un vaste ensemble s’étendant des contreforts Indochinois jusqu’au Caucase, en passant par l’Himalaya et ses prolongements de l’Hindu-Kush et de l’Altaï, et se prolongeant même jusqu’aux Balkans.

Dans les Alpes, les Pyrénées, les montagnes du nord de l’Europe, en Écosse ou en Scandinavie, et vers la Méditerranée, dans l’Atlas, la situation est identique : des populations sédentaires maintiennent ici un mode de production enserré au niveau d’une tribu, dans un cadre agro-pastoral borné, ultra-communautaire et volontairement isolé.

Dans ce dernier cas toutefois, la proximité des grandes zones de nomadisation et d’agriculture imposent à ces sociétés des liens et des évolutions qui relativisent la différenciation, apportant de significatives nuances.

Durant des siècles et quasiment jusqu’à nos jours dans certains cas, ces territoires restent des « montages-refuges » ou des zones rebelles, voire les deux.

Il apparaît alors que de tels territoires soient prétextes à une puissante source de romantisme anti-moderne, de par le contraste apparent qu’elles offrent avec le capitalisme, sa modernité historique et ses contradictions.

Ce sont les fantasmes primitivistes sur les Achouars d’Amazonie, les Maasaïs du Kenya, les Karens de Birmanie, etc.

Des guerriers maasaïs en 1930

Ce qu’il faut bien saisir ici, c’est que le mouvement historique, en se complexifiant, a nécessairement vu se multiplier les contrastes et les différenciations. Le matérialisme dialectique met précisément au cœur de sa réflexion, sur le plan historique notamment, l’existence de ces contrastes et les effets de la différenciation qui en découle.

Mao Zedong a souligné que :

« Sans contraste, pas de différenciation. Sans différenciation et sans lutte, pas de développement. »

Pour comprendre correctement le mode de production esclavagiste, il va donc falloir ici s’en tenir à brosser les grandes lignes significatives, qui permettent d’en comprendre le périmètre comme cadre, son organisation contradictoire et de rendre intelligible le mouvement historique qui l’anime, avec ses impasses et son cheminement.

Toute une histoire des contrastes et des différences demande par là même, à partir de cette période, encore plus qu’auparavant, à être actualisée, précisée, approfondie voire parfois simplement même écrite.

Il faut donc analyser les deux principaux types d’organisations politiques du mode de production esclavagiste : les Cités-États et les Empires.

L’un et l’autre sont ici à considérer comme des antagonismes relatifs, qui participent en réalité du même cadre, exprimant une culture relativement identique.

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Le rapport entre le matérialisme dialectique comme science et le marxisme-léninisme-maoïsme comme idéologie

Le matérialisme dialectique correspond à la science ; il n’est pas une méthode, mais la juste vision du monde expliquant la nature de l’univers et les phénomènes qui s’y produisent.

Le marxisme-léninisme-maoïsme est une idéologie temporaire guidant des tâches politiques propre à une époque donnée.

Cette distinction est le produit du rapport dialectique entre science et idéologie, à travers tout un processus de maturation.

Lorsque le marxisme est défini par Engels, il s’inscrit dans la seconde Internationale qui, avec Karl Kautsky, met l’accent sur le matérialisme historique. Le matérialisme dialectique est relégué à de la philosophie en arrière-plan, et encore est-il résumé à un matérialisme d’allure dialectique, et considéré comme discutable.

Au sein de la social-démocratie, ce seront seulement les bolcheviks russes, sous l’impulsion de Lénine, qui considéreront le matérialisme dialectique à la fois comme incontournable et comme une théorie de la connaissance bien délimitée. Lénine formule cela notamment dans Matérialisme et empirio-criticisme, en 1909.

Néanmoins, lorsque Staline synthétise le marxisme-léninisme lors de conférences en 1924 (rassemblées pour former l’ouvrage Les principes du léninisme), il n’aborde que des questions idéologiques. Il en va de même dans la seconde partie des années 1920 pour les documents de Staline rassemblés ensuite dans le document Questions du léninisme.

Il faudra attendre la liquidation des courants déviationnistes dans le Parti bolchevik pour que, à partir de 1929, il y ait une valorisation systématique du matérialisme dialectique, en tant que théorie de la connaissance. Cela est officialisé dans le précis d’histoire du Parti communiste (bolchevik) de l’URSS en 1938, où l’on trouve un long passage directement rédigé par Staline, Le matérialisme dialectique et le matérialisme historique.

La définition donnée est alors la suivante :

« Le matérialisme dialectique est la théorie générale du parti marxiste-léniniste.

Le matérialisme dialectique est ainsi nommé parce que la façon de considérer les phénomènes de la nature, sa méthode d’investigation et de connaissance est dialectique, et son interprétation, sa conception des phénomènes de la nature, sa théorie est matérialiste.

Le matérialisme historique étend les principes du matérialisme dialectique à l’étude de la vie sociale ; il applique ces principes aux phénomènes de la vie sociale, à l’étude de la société, à l’étude de l’histoire de la société. »

De fait, à partir de 1938, la tendance initiée en 1929 est systématisée et il y a une montée en puissance dans la valorisation du matérialisme dialectique, au sens où il n’est plus considéré comme une méthode nécessaire comme dans les années 1930, mais comme une vision du monde.

La seconde guerre mondiale impérialiste freine ce processus, mais il se systématise durant la période 1946-1953. Ces années sont celles de grand conflit dans les sciences et les arts, avec l’exigence du Parti que tout se fonde sur la vision du monde matérialiste dialectique.

Le triomphe du révisionnisme à la mort de Staline en 1953, avec des éléments déjà puissants dès 1952, supprime la systématisation du matérialisme dialectique comme vision du monde et rétrograde celui-ci à une théorie de la connaissance par ailleurs de plus en plus tronquée.

Cependant, en Chine, Mao Zedong s’appuyait sur l’initiative prise en 1929 et avait saisi l’importance du matérialisme dialectique. Son ouvrage De la contradiction, en 1937, tend directement à présenter le matérialisme dialectique comme une méthode systématique.

Il dit ainsi :

« Depuis la découverte de la conception matérialiste-dialectique du monde par les grands fondateurs et continuateurs du marxisme, Marx, Engels, Lénine et Staline, la dialectique matérialiste a été appliquée avec le plus grand succès à l’analyse de nombreux aspects de l’histoire humaine et de l’histoire naturelle, ainsi qu’à la transformation de nombreux aspects de la société et de la nature (par exemple en URSS) (…).

Lénine souligne que Marx, dans Le Capital, a donné un modèle d’analyse du mouvement contradictoire qui traverse tout le processus de développement d’une chose, d’un phénomène, du début à la fin.

C’est la méthode à employer lorsqu’on étudie le processus de développement de toute chose, de tout phénomène. Et Lénine lui-même a utilisé judicieusement cette méthode, qui imprègne tous ses écrits. »

Mao Zedong a par la suite réfuté le révisionnisme soviétique de Khrouchtchev et a affirmé qu’il fallait maintenir les principes de la méthode dialectique, les systématiser. C’est le sens de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. L’éditorial du Quotidien du peuple du 2 juin 1966, intitulé « Une Grande Révolution qui touche l’homme dans ce qu’il a de plus profond », dit ainsi :

« Il est faux d’affirmer qu’il n’existe pas de contradictions dans la société socialiste ; cela va à rencontre du marxisme-léninisme et est en désaccord avec la dialectique.

Comment pourrait-il ne pas y avoir de contradictions ?

Il y en aura toujours, dans mille ans, dix mille ans, voire cent millions d’années. La terre serait-elle détruite et le soleil se serait-il éteint qu’il en existerait encore dans l’univers.

Chaque chose est en contradiction, lutte et changement. C’est cela le point de vue marxiste-léniniste. »

Or, au fur et à mesure de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, il y a une systématisation des documents se référant au matérialisme dialectique, tels « ‘‘Deux fusionnent en un’’, philosophie réactionnaire de la restauration capitaliste », « La théorie des deux points », « Le progrès en spirale de l’histoire », etc. Il y a également la valorisation du physicien japonais Sakata Shoichi et de sa conception d’un « univers en oignon », avec des couches ininterrompues mêlées les unes aux autres.

De manière générale, cela s’appuie sur la thèse de Mao Zedong popularisée alors comme quoi rien n’est indivisible. Plus on avance dans la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, plus on constate que le matérialisme dialectique est présenté comme la vision du monde devenant l’aspect principal par rapport à l’idéologie.

Le caractère indivisible des choses, c’est-à-dire leur nature dialectique, exige qu’on ne prenne pas les phénomènes de l’extérieur avec une méthode dialectique, mais qu’on les cerne en saisissant que tous les processus sont liés, qu’on est une composante de cette dialectique générale.

Cela dépasse l’approche de l’époque de Staline, où il a par exemple été compris que la planète était une Biosphère où tous les éléments sont liés, mais de manière passive, au moyen d’une méthode matérialiste dialectique, et non d’une démarche scientifique comme vision du monde impliquant un élargissement, un approfondissement de la vision du monde.

En fait, durant tout ce processus allant du marxisme au maoïsme en passant par le léninisme, il s’est posé un rapport dialectique entre le matérialisme dialectique comme science et le marxisme-léninisme-maoïsme comme idéologie.

L’idéologie a été le moteur pour l’affirmation de la science, elle a ouvert la voie aux approches scientifiques soviétiques et chinoise, tout comme la science a initialement été le point de départ pour la possibilité de l’affirmation de l’idéologie grâce à la compréhension du matérialisme dialectique par Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong.

En raison du développement inégal, la seconde Internationale s’est focalisée sur l’idéologie, finalement de manière unilatérale, avec la figure de Karl Kautsky faisant office de « gardien du temple ». Lénine était initialement un disciple de Karl Kautsky, mais il a constaté que celui-ci avait perdu la substance du marxisme, d’où sa réaffirmation du matérialisme dialectique comme science.

Durant les années 1920 et 1930, la différence fondamentale entre les communistes et les socialistes, tous se revendiquant marxistes, est que les premiers assumaient le matérialisme dialectique, les seconds le considérant comme secondaire ou sans importance.

Par la suite, en défendant l’idéologie contre le révisionnisme soviétique, tout en assumant le matérialisme dialectique (dialectiquement lui-même base de l’idéologie), Mao Zedong a affirmé qu’il fallait systématiser la connaissance du matérialisme dialectique dans les masses, et cela non plus simplement comme méthode, mais comme vision du monde.

C’est ce qui amène cette affirmation, au début des années 1970, dans l’article « L’univers est l’unité du fini et de l’infini » du Journal de la dialectique de la nature :

« La fin de toute chose concrète, le soleil, la Terre et l’humanité n’est pas la fin de l’univers. La fin de la Terre apportera un corps cosmique nouveau et plus sophistiqué.

À ce moment-là, les gens tiendront des réunions et célébreront la victoire de la dialectique et souhaiteront la bienvenue à la naissance de nouvelles planètes.

La fin de l’humanité se traduira également par de nouvelles espèces qui hériteront de toutes nos réalisations. En ce sens… la mort de l’ancien est la condition de la naissance du nouveau. »

Le matérialisme dialectique n’est pas simplement le point de départ d’une étude : il est également son point d’arrivée, car tout est matière et la matière est en mouvement dialectique.

On peut en fait dire que l’idéologie – le marxisme-léninisme-maoïsme – est l’application dans le domaine politique (et donc militaire, économique, culturel, social, artistique, etc.) du matérialisme dialectique.

Le marxisme-léninisme-maoïsme est par conséquent une idéologie relative, le matérialisme dialectique étant absolu.

Lorsque l’humanité sera passée au communisme, à l’échelle de la planète, le marxisme-léninisme-maoïsme disparaîtra et sera remplacé par une autre idéologie impliquant d’autres défis dans l’expansion du communisme au niveau universel, et ce dans un processus infini.

Le matérialisme dialectique, lui, restera ce qu’il est, même s’il sera toujours plus développé au fur et à mesure, dans un processus infini et contradictoire.

L’art contemporain comme mépris des masses

Il va de soi que la prétention de l’art contemporain est, à la base même, antagonique avec les masses et leur histoire. Puisqu’il s’agit en effet de mettre en avant le subjectivisme et de lui accorder une valeur en soi, il faut que tout ce qui ne soit pas une « conscience pure » soit invalidée.

L’art contemporain est, de fait, un impressionnisme mais non plus dans une société où seule la bourgeoisie consomme réellement : l’art contemporain est un impressionnisme poussé jusqu’au subjectivisme dans une société de consommation de masse.

La contradiction capitaliste se révèle ainsi directement dans le contenu de l’art contemporain. Et les masses sont donc fondamentalement réactionnaires selon l’art contemporain, car elles s’en tiennent éloignées, elles ne lui accordent aucune attention.

Elles refusent en effet ou du moins sont rétives à accorder de la valeur à l’expression directe d’une conscience individuelle étalant sa subjectivité et lui attribuant une valeur en soi. C’est une constante et l’art contemporain dénonce régulièrement la prétendue arriération des masses tout en cherchant à leur bourrer le crâne au moyen des institutions.

Vtraux réalisés par Zao Wou-Ki pour le réfectoire du prieuré de Saint-Cosme, wikipédia

L’art est ici, en raison de sa dimension accessible en pratique dans une société matériellement développée, le terrain d’une immense lutte de classes. Le capitalisme cherche d’ailleurs en permanence à corrompre les artistes pour les pousser dans le subjectivisme.

L’art contemporain ne conçoit ainsi qu’une société d’individus atomisés, à l’instar de tous les arts dans le capitalisme. Il se considère même comme la pointe la plus développée de l’affirmation individuelle « réelle ».

L’affirmation la plus connue dans l’art contemporain à ce niveau est celle d’Arthur C. Danto (1924-2013), professeur à Columbia, dans son article Le Monde de l’art de 1964. Il y affirme que ce qui donne du sens à une œuvre, c’est l’artiste lui-même au nom de conceptions qui sont les siennes, de son appartenance à une « élite » :

« Voir quelque chose comme de l’art requiert quelque chose que l’œil ne peut apercevoir — une atmosphère de théorie artistique, une connaissance de l’histoire de l’art : un monde de l’art. »

C’est là s’opposer substantiellement au réalisme socialiste qui insiste sur le reflet de la réalité, l’importance de la dignité de la vie quotidienne, l’ancrage dans l’héritage national. Arthur C. Danto mentionne d’ailleurs l’expérience suivante pour justifier son point de vue.

Assistant à une exposition d’Andy Warhol à la Galerie Stable à New York, il y vit des boîtes de lunettes de la marque Brillo. Il en déduit que ces boîtes dans un entrepôt ne sont pas des œuvres d’art, mais que posées dans une exposition par Andy Warhol, elles acquièrent une valeur en soi, parce qu’un individu l’a défini comme art.

Pareillement, en 1961, Robert Rauschenberg était invité à participer à une exposition à Paris à la galerie Iris Clert, où cette dernière devait avoir son portrait par les artistes. Il envoya un télégramme : « ceci est un portrait d’Iris Clert si je le dis ».

C’est là affirmer la suprématie complète de la société de consommation capitaliste, au sens où la société est reconnue comme une société de marchandises où tout un chacun peut trouver son compte individuellement, y compris « spirituellement » par des formes « artistiques ».

L’université de Washington avec l’une des versions de la Broken Obelisk (« Obélisque brisé ») de Barnett Newman,

Dans le prolongement de cette lecture élitiste, un autre professeur américain, Howard S. Becker, publia Le monde de l’art en 1982, où il s’évertua à expliquer qu’un artiste était quelqu’un ayant réussi à lancer sa carrière, disposant d’un groupe pour l’épauler matériellement pour faire ce qu’il fait et ayant obtenu une reconnaissance par les achats de ses œuvres.

Un « monde de l’art » est ici un « réseau de coopération au sein duquel les mêmes personnes coopèrent de manière régulière » pour mettre en place une œuvre d’art, l’artiste n’étant qu’un élément d’une chaîne allant du producteur de peinture à l’acheteur dans une galerie. C’est là définir l’art comme relevant d’une aventure entrepreneuriale ayant réussie.

On passe en fait de l’aventure spirituelle élitiste à un « acte » ayant de la valeur en soi, parce qu’on lui attribue soi-même de la valeur. C’est le subjectivisme poussé à son paroxysme, d’où la liquidation par le capitalisme de toutes les questions esthétiques.

L’art est pour le capitalisme le lieu d’une consommation comme une autre – et doit se plier à la circulation accélérée des marchandises sur le marché, conformément aux principes de la concurrence capitaliste. Quant à l’artiste, il ne porte plus rien, à part lui-même ou plutôt comment il s’imagine lui-même, dans une affirmation entièrement subjectiviste.

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L’art contemporain : l’hégémonie de la peinture

Le grand paradoxe de l’art contemporain, c’est qu’il se veut le dépassement de l’abstraction américaine des années 1950, qu’il insiste sur sa dimension multiforme occupant des espaces, mais qu’en pratique c’est toujours la peinture qui prédomine.

Ainsi, autour de 42 % des œuvres relèvent de peintures, mais ce n’est pas tout, celles-ci ont le dessus en termes de valeur, puisqu’elles représentent autour de 73 % du chiffre d’affaires. Autour de 82 % de toutes les « œuvres » dépassant le million de dollars sont également des peintures.

C’est là une défaite historique pour l’art contemporain, qui part de l’abstraction pour affirmer la toute-puissance de « l’absolu » et du « vécu », méprisant les musées et la peinture.

Anselm Kiefer, Die berühmten Orden der Nacht, 1997, wikipédia

En pratique, les musées d’art contemporain sont également devenus des emblèmes de la modernité capitaliste, profitant d’un immense prestige. C’est le MoMA de New York, la Tate Modern à Londres, le Palazzo Grassi de Venise, le 21st Century Museum of Contemporary Art à Kanazawa et le MOMAT de Tokyo, le Stedelijk Museum d’Amsterdam, le Musée Guggenheim de Bilbao… ainsi qu’à Paris le Palais de Tokyo, le Centre Georges Pompidou, la Fondation Louis Vuitton.

Cela signifie que l’art contemporain, ce sont des peintures et des sculptures, des installations, des dessins et photographies, des vidéos et des « NFT », mais que l’horizon indépassable reste la peinture placée dans un environnement traditionnel de la culture.

Cela reflète une contradiction fondamentale dans l’art contemporain. Il y a en effet deux tendances de fond : celle affirmant qu’il faut que l’individu parvienne individuellement à l’absolu, celle posant l’art comme le témoignage subjectif (en fait subjectiviste) d’une personne (en fait d’un individu).

Il y a en effet deux postures chez les artistes contemporains. Les premiers cherchent l’absolu, ils sont influencés par les mysticismes et les drogues, pour eux les activités de l’art contemporain sont en fait des équivalents de la poésie contemporaine, au sens d’une sorte de « troisième œil ».

Voici un tableau formulé par Georges Mathieu, un peintre français ayant une importance considérable dans « l’abstraction lyrique » c’est-à-dire l’abstraction à la française. On y voit comment les « signes » c’est-à-dire les éléments sur le tableau sont censés avoir été assimilés par l’abstraction, puis modifiés, distordus, jusqu’à aboutir à des œuvres censées porter quelque chose d’ultime.

Étape IRechercheRecherche sur les signes comme signesWols, Michaux
Étape IIIncarnationReconnaissance des signesHartung, Capogrossi
Étape IIIFormalismeAssimilation des signes à leurs signification (académisme)Mondrian
Étape IVBaroqueDes éléments additionnels sont ajoutés aux signesDubuffet
Étape VDestructionDistorsion des signes jusqu’à la destructionPicasso
Étape VIInformelLes signes ne portent plus de significationTobey, Rothko

Les seconds ne cherchent pas cet absolu, car pour eux une œuvre n’existe qu’en tant qu’elle est vécue par des gens, dans une sorte d’échange de contenu subjectif (en fait subjectiviste). L’art n’est pas ici un ressenti individuel « maximal » mais au contraire une expérience minimale accumulée, approfondissant l’individualité.

Il ne s’agit pas de chercher l’intime, mais une relation active entre l’œuvre et le spectateur. C’est une sorte de quête commerciale au nom de l’émotion, avec le maquillage du subjectif pour accorder une pseudo « valeur » humaine.

D’où les « installations », que définit comme suit le Fonds Régional d’Art Contemporain de la région Centre :

« La spatialité inhérente à l’installation implique un rapport physique à l’œuvre. Le corps humain tout entier se trouve sollicité dans ses déplacements, soit en tournant autour de l’œuvre (dECOi), soit en la traversant (BIOTHING).

Qu’elles prennent place au sein d’un environnement naturel (Ettore Sottsass Jr, Ant Farm), muséal (OCEAN) ou urbain (Ugo La Pietra), elles entretiennent souvent un rapport étroit avec le contexte dans lequel elles prennent place.

Elles peuvent alors être qualifiées d’œuvres in situ dans la mesure où elles tirent parti du lieu dans lequel elles s’inscrivent et en modifient la perception initiale.

L’installation est également indissociable de considérations temporelles et évènementielles. Elle n’a pas nécessairement vocation à durer dans le temps et l’espace.

Elle peut entretenir une relation privilégiée avec la performance artistique, en constituer le cadre ou le résultat. Cette dimension temporelle est plus forte encore dans certaines installations impliquant un séquençage ou à un chronométrage précis.

Le dispositif s’éprouve alors dans la durée : il s’illumine (Electronic Shadow), se laisse recouvrir de sciure (Miguel Palma), se disperse ou s’étale (Kader Attia).

L’œuvre devient ainsi changeante, évoluant sur le plan perceptif et formel. Parfois réalisées avec des matériaux communs (Jordi Colomer), existant le temps d’une prise de vue photographique (Ettore Sottsass Jr), les installations revendiquent parfois une certaine forme de fragilité et de précarité. »

D’où l’inflation dans les expériences menées, notamment avec des occupations massives d’espace, tel l’emballage de l’arc de triomphe parisien par Christo, Monumenta au Grand Palais à Paris, Turbine Hall à la Tate Modern à Londres. C’est un moyen de compenser le rapport direct à la peinture.

Car, que ce soit pour l’installation comme pour l’abstraction « absolue », le but est de contourner la peinture comme représentation. L’une comme l’autre sont non-figuratives et non-objectivistes : elles ne montrent rien, elles ont coupé tout rapport à la réalité.

L’art contemporain est, dans son essence même, une guerre au réalisme. Comme le dit le Manifeste de l’art Gutaï publié au Japon en décembre 1956, l’art consiste à faire plier la matière selon les desiderata du subjectivisme :

« L’art Gutaï ne transforme pas, ne détourne pas la matière ; il lui donne vie. Il participe à la réconciliation de l’esprit humain et de la matière, qui ne lui est ni assimilée ni soumise et qui, une fois révélée en tant que telle se mettra à parler et même à crier.

L’esprit la vivifie pleinement et, réciproquement, l’introduction de la matière dans le domaine spirituel contribue à l’élévation de celui-ci. »

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L’art contemporain, parallèle à la surproduction de capital

La vague de l’art contemporain apparaît ainsi dans les années 1960 à la suite de l’abstraction américaine des années 1950, le marché commence à s’organiser dans les années 1970 et dans les années 1980 il est pleinement installé, étant directement associé au consumérisme de la haute bourgeoisie américaine.

C’est la fameuse image du tableau abstrait et de l’exposition d’art contemporain avec comme public des yuppies new-yorkais.

Le développement du capitalisme dans les années 1990-2000 systématise la démarche, avec toute une scène carriériste s’engouffrant dans la perspective. C’est d’ailleurs en 2000 que les maisons de vente aux enchères Sotheby’s et Christie’s divise littéralement officiellement le marché de l’art en art ancien, art impressionniste et moderne, art contemporain.

Une salle du Los Angeles County Museum of Art, avec des œuvres de Robert Rauschenberg

Et, dans les années 2010-2020 il est dominant idéologiquement pour tout ce qui touche les arts. Il faut parler ici d’une véritable marche forcée de la part du capitalisme pour la valorisation et la reconnaissance de l’art contemporain, comme lorsque Jeff Koons est amené en 2008 à exposer 17 œuvres dans les salons du Château de Versailles, lui ne produit pas ses œuvres mais emploie une centaine d’assistants dans une « usine » de 1500 m²

On ne soulignera jamais assez à quel point ce processus d’hégémonie a été accompagné par les institutions. En France ont par exemple été mis en place, en 1982, des Fonds régionaux d’art contemporain. Le ministère de la culture dit à ce sujet en 2021 :

« Les Frac jouent un rôle essentiel de soutien à la création en étant souvent les premiers acquéreurs de jeunes artistes. Ils inventent en permanence de nouveaux dispositifs de médiation de l’art contemporain à destination de tous les publics.

Les plus de 600 expositions qu’ils organisent par an sur l’ensemble du territoire sont un facteur décisif de la démocratisation culturelle (…).

Les collections des Frac rassemblent plus de 35 000 œuvres de 6 000 artistes de toutes nationalités. En 2018, les Frac ont organisé 667 expositions et 3 559 actions d’éducation artistique et culturelle dans les lieux les plus divers, en coopération avec des institutions privées ou publiques les plus variées.

Ils ont accueilli dans toute la France plus de 1,5 million de visiteurs (…).

Patrimoines essentiellement nomades et outils de diffusion et de pédagogiques originaux, les collections des Frac voyagent en France et à l’international.

Ils sont au centre d’un réseau de très nombreux partenaires diversifiés et fidélisés au fil des années : musées des Beaux-Arts, centres d’art ou espaces municipaux, écoles d’art, établissements scolaires ou universités, monuments historiques ou parcs, galeries, associations de quartiers et parfois hôpitaux, etc. »

Il ne faut pas oublier non plus le « 1 % artistique » concernant l’État français, avec tous les établissements publics et les collectivités territoriales. C’est une « obligation de décoration des constructions publiques » au moyen de 1 % des frais de construction.

Entre 1951 et 2021, cela a concerné plus de 4 000 « artistes » pour 12 500 projets façonnant l’apparence de tous les lieux institutionnels. On a par exemple ORLAN ayant réalisé une « œuvre » pour l’Université de Médecine de Nantes, Alexander Calder pour l’IUT de Tours, Yaacov Agam pour le lycée Pierre Mendès-France de La Roche-sur-Yon, Georges Mathieu pour l’École nationale supérieure de céramique industrielle à Limoges (œuvre par ailleurs volée), etc.

L’art contemporain est très clairement un art officiel et c’est cette crédibilité qui lui a permis de devenir massivement une cible de la surproduction de capital, y voyant un moyen de placement.

Il y a très clairement eu une montée en puissance parallèle à l’expansion du capitalisme dans la période 1990-2021.

Le Hong Kong Museum of Art

L’art contemporain avait un chiffre d’affaires de 92 millions de dollars en 2000, de 1145 millions de dollars en 2010, de 1 993 millions de dollars en 2019.

Durant cette période, le prix moyen d’une œuvre a été multipliée par cinq, passant à autour de 25 000 dollars, le nombre d’œuvres a été pratiquement multiplié par 7. Les « artistes », en vingt ans, sont passés de 5 400 à 32 000.

L’art contemporain, c’est désormais 100 000 œuvres partant aux enchères par an dans 770 maisons de vente dans 59 pays, en plus de celles dans les galeries. L’importance de la vente aux enchères est importante pour comprendre que le si le goût subjectiviste-décadent compte, la dimension spéculation totalement claire dans les enchères a pris le dessus.

On a un excellent exemple cet aspect avec la manigance pathétique du Britannique Damien Hirst, devenu une très grande figure de l’art contemporain, sur un mode particulièrement décadent comme en utilisant des cadavres d’animaux (papillons, poissons, tigres, vache, cochon, requin, mouton…), voire des animaux vivants, comme 9 000 papillons enfermés en 1991, ou encore des larves se nourrissant d’une tête de vache dans un plexiglas, ne pouvant qu’aller vers le haut une fois transformées en mouches et s’électrocutant sur une lampe électrique au-dessus.

Damien Hirst dans une galerie de New York pour l’exposition The Complete Spot Paintings 1986-2011, WIkipédia

Comme son For the Love of God de 2007 – une réplique en platine avec 8601 diamants du crâne d’un homme décédé au XVIIIe siècle – ne se vendait pas, il l’a lui-même racheté cent millions de dollars avec l’aide d’un fonds d’investisseurs, pour ne pas que sa cote chute sur le marché.

Car la cote, plus que jamais, joue dans la définition de ce qui est censé être de l’art. Il n’y a que deux aspects ici : le subjectivisme de l’acheteur et la cote comme reflet de la valeur (ou prétendue valeur) sur le marché.

Cette question de la cote est flagrante quand on voit le chiffre d’affaires des œuvres de Banksy, qui double chaque année depuis 2016 (passant de trois millions de dollars à 67 en 2020 et bien plus du double en 2021). Cet « artiste » pseudo-contestataire est ainsi déjà cinquième classement des plus vendus, derrière Pablo Picasso, Jean-Michel Basquiat, Andy Warhol et Claude Monet !

Banksy, Girl with Balloon or There is Always Hope, wikipédia

On a également quelque chose de très parlant quand on sait que la Chine, où le capitalisme est particulièrement agressif et en expansion, représente 40 % des ventes de l’art contemporain, et la superpuissance américaine 32 %.

C’est clairement les capitalistes les plus actifs qui portent l’art contemporain, par le capital financier et il faut souligner ici l’importance de la Grande-Bretagne, qui avec 16 % montre sa forte importance en ce domaine.

Il faut bien saisir ici que l’art contemporain ne garantit pas un taux d’intérêt important comme placement, même si légalement on peut désormais posséder une œuvre à plusieurs, telle une entreprise avec des actions en bourse.

C’est vraiment le surplus de capital qui se déverse sur le marché de l’art contemporain. C’est une posture de super-capitaliste oisif mais tenté, soit par le subjectivisme soit par une aventure économique particulière.

Ce double aspect se révèle absolument dans le fait que l’art contemporain, c’est avant tout une peinture, qu’on apprécie et qu’il est facile de vendre dans le cas d’une spéculation.

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L’art contemporain : une idéologie impérialiste américaine par l’intermédiaire de l’abstraction

L’art contemporain fonctionne selon des règles qui lui sont propres, avec un développement qui lui est également particulier. Il faut bien comprendre que pour exister, il a besoin d’une reconnaissance sociale. Celle-ci lui est apportée par le marché de l’art, ainsi que par les institutions.

Il faut ici voir quel a été le détonateur de l’art contemporain. Avant la vague des années 1960 qui consiste en tant que tel en l’art contemporain, il existe un cercle d’artistes américains qui, dans les années 1950, sont à l’origine d’œuvres relevant de l’abstraction.

Les figures les plus connues sont Jackson Pollock, Mark Rothko et Willem de Kooning, mais il faut mentionner également Franz Kline, Barnett Newman, Robert Motherwell. Elles sont en fait particulièrement valorisées par les institutions américaines dans le cadre de l’affrontement idéologique avec l’URSS de Staline qui promeut alors le réalisme socialiste.

Jackson Pollock dans son atelier, Wikipédia

Initialement, en 1946, le département d’État achète ainsi 79 œuvres relevant de « l’expressionnisme abstrait » afin de mettre en place l’exposition internationale Advancing American Art. Celle-ci ne dura qu’un an devant les critiques du gouvernement et de la presse, sans parler de l’incompréhension des Américains eux-mêmes.

C’est alors la CIA qui va s’occuper de ce front idéologique et un élément important fut l’exposition « 12 Peintres et sculpteurs Américains Contemporains », qui passa en 1953 à Paris, Zurich, Düsseldorf, Stockholm, Helsinki et Oslo, avec des œuvres des peintres Ivan Le Lorraine Albright, Stuart Davis, Arshile Gorky, Morris Graves, Edward Hopper, John Cane, John Marin, Jackson Pollock, Ben Shahn, et des sculpteurs Alexander Calder, Théodore J. Roszak et David Smith.

Le Musée national d’art moderne de Paris accueillera également par la suite Le dessin contemporain aux Etats-Unis en 1954, Cinquante ans d’art aux Etats-Unis en 1955, Jackson Pollock et la Nouvelle Peinture Américaine en 1959, etc.

Le peintre néerlandais devenu américain Willem de Kooning

Cela converge avec l’abstraction à la française, qui reprend très rapidement le flambeau des années 1920-1930 et s’oriente résolument dans la perspective américaine, tant culturellement que politiquement.

On a la galerie en 1944 la galerie Jeanne Bucher exposant Nicolas de Staël et la galerie René Drouin exposant Jean Dubuffet, en 1945 la galerie René Drouin exposant Jean Le Moal, Gustave Singier, Alfred Manessier, Tal-Coat, Jean Fautrier et la galerie Louise Leiris exposant André Masson, en 1946 la galerie Rive gauche exposant Henri Michaux, en 1947 la galerie Conti exposant Pierre Soulages et Gérard Schneider, etc.

Les Etats-Unis apparaissent comme le pays où l’abstraction peut librement s’exprimer, formant un contre-modèle idéologique à l’URSS et son réalisme socialiste.

Aux manettes des expositions américaines, on retrouve en fait le Congress for Cultural Freedom, un rassemblement intellectuel anti-communiste généré par la CIA, qui pousse à promouvoir les valeurs américaines dominantes, notamment ce qui est considéré comme l’école américaine dit de « l’expressionnisme abstrait » par l’intermédiaire d’expositions dans les pays occidentaux.

L’expressionnisme abstrait comme précurseur de l’art contemporain est présenté ouvertement lié à l’American Way of Life et en particulier à la ville de New York : au réalisme socialiste comme art social en URSS est opposé un art subjectiviste sélectionné par la haute bourgeoisie américaine.

En réalité, il s’agit d’une valorisation artificielle des Etats-Unis, l’expressionnisme abstrait n’étant apprécié que par la haute bourgeoisie et les « artistes » décadents de New York fascinés par les « avant-gardes » européennes des années 1920.

C’est le Museum of Modern Art de New York qui joue ici un rôle central, ayant été fondé en 1929 par des mécènes dont principalement la mère de Nelson Rockefeller, l’un des plus fervents soutiens de l’expressionnisme abstrait qu’il définissait comme la « free enterprise painting ».

Nombre de membres de la direction du Museum of Modern Art étaient liés peu ou prou à la CIA, comme le président de CBS William Paley (un des fondateurs de la CIA), John Hay Whitney qui avaient été à la tête du prédécesseur de la CIA que fut l’OSS et qui sera ensuite ambassadeur en Grande-Bretagne, Tom Braden qui fut le premier responsable de la division des organisations internationales de la CIA, Porter McCray qui s’occupera du plan Marshall, etc.

Une salle du MoMA de New York avec à l’arrière-plan les fameuses boîtes de conserve d’Andy Warhol, wikipédia

La CIA opérait ici directement en liaison avec la haute bourgeoisie tenante de l’expressionnisme abstrait. Il est très important de saisir cet aspect. L’art contemporain est réellement apprécié par la haute bourgeoisie. Elle s’y reconnaît, elle s’y complaît.

Cette reconnaissance américaine de l’abstraction est ainsi essentielle pour voir comment les capitalistes ont investi dans les œuvres, à la fois parce que cela peut être une source d’investissement, voire de spéculation, et parce qu’ils y reconnaissent leur propre vision du monde. Il y a littéralement un modèle américain.

Mais même l’instauration du modèle américain fut progressive. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que la bourgeoisie américaine dans son ensemble va lui accorder toute sa place – parce qu’au-delà de la question idéologique et de l’attrait subjectiviste, il va s’agir en plus d’un placement efficace pour le capital financier.

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L’art contemporain : l’expérimental à la base même de la démarche

Il est bien connu que l’art contemporain est foncièrement tourné vers l’expérimental. On est ici dans un esprit d’entrepreneuriat capitaliste avec une recherche d’une marchandise nouvelle et l’immense nombre d’acteurs non reconnus de l’art contemporains sert de défricheurs pour ceux qui réussissent leur carrière.

Mais on aurait tort de penser que l’expérimentation serait le propre des années 1980 ou des années 2010, qui sont des périodes marquées par des avancées du capitalisme et donc un renforcement de l’art contemporain.

Dès le départ, dès le capitalisme développé, l’art contemporain va extrêmement loin dans l’expérience, parallèlement au théâtre contemporain. John Cage met ainsi en scène en 1952 sa « composition » musicale 4′33″, où personne ne joue rien et où on entend seulement un public par définition surpris pendant quatre minutes et trente-trois secondes.

Une note de John Cage présente la chose ainsi :

« Le titre de cette œuvre figure la durée totale de son exécution en minutes et secondes. À Woodstock, New York, le 29 août 1952, le titre était 4′33″ et les trois parties 33″, 2′40″ et 1′20″.

Elle fut exécutée par David Tudor, pianiste, qui signala les débuts des parties en fermant le couvercle du clavier, et leurs fins en ouvrant le couvercle. L’œuvre peut cependant être exécutée par n’importe quel instrumentiste ou combinaison d’instrumentistes et sur n’importe quelle durée. »

Mais cette vision « musicale » était déjà conceptualisée par Yves Klein à la fin des années 1940 avec sa « Symphonie Monoton-silence », qu’il présente ainsi :

« Pendant cette période de condensation, je crée vers 1947- 1948 une symphonie «monoton» dont le thème est ce que je voulais que soit ma vie.

Cette symphonie d’une durée de quarante minutes (mais cela n’a pas d’importance, on va voir pourquoi) est constituée d’un seul et unique « son » continu, étiré, privé de son attaque et de sa fin, ce qui crée une sensation de vertige, d’aspiration de la sensibilité hors du temps.

Cette symphonie n’existe donc pas tout en étant là, sortant de la phénoménologie du temps, parce qu’elle n’est jamais née ni morte, après existence, cependant, dans le monde de nos possibilités de perception conscientes : c’est du silence – présence audible. »

Cette question de la perception « individualisée » est au cœur de l’art contemporain. On a ainsi Le Cube avec condensation de Hans Haacke, en 1963, qui est en plexiglas et se recouvre de buée en fonction de la température de la pièce. Celui-ci dit à ce sujet que :

« Une « sculpture » qui réagit à son environnement ne peut plus être considérée comme un objet (…). Elle s’insère dans l’environnement selon une relation que l’on peut considérer plutôt comme un « système » de processus interdépendants.

Ces processus évoluent sans empathie de la part du spectateur. Le spectateur devient un témoin. Le système n’est pas imaginé, mais réel. »

On comprend ainsi pourquoi, pour « Cosmogonie », Yves Klein a en 1960 placé du papier enduit de bleu sur le toit de sa voiture pour le trajet Paris-Nice, pour « enregistrer » les projections sur le toit.

La même année, Jean Tinguely produisit un « Hommage à New York » sous la forme d’une machine mécanique en furie finissant par s’auto-détruire à la fin de la performance. Et l’année précédente, Arman exposait des détritus parisiens pour la série « Poubelles », alors que son Chopin’s Waterloo consiste en les restes fixés sur un panneau en bois d’un piano démoli à la masse en 1962.

La même année Andy Warhol présentait ses 32 tableaux de la série Campbell’s Soup Cans, des variations que ne possédaient pas les 90 petites boîtes de conserve de Piero Manzoni contenant de la « Merde d’Artiste » en 1961.

Piero Manzoni – Merda D’artista, 1961, Wikipédia

En 1962 encore, Hermann Nitsch, Otto Mühl et Adolf Frohner se faisaient emmurer trois jours dans une cave-atelier ; dans Shot put en 1964 Robert Rauschenberg danse dans le noir avec une lampe allumée à l’un de ses pieds ; dans Vagina Painting en 1965 Shigeko Kubota peint une toile avec un pinceau de peinture rouge installé dans son vagin.

La même année, Joseph Beuys effectue comme performance d’expliquer ce qu’est l’art à un cadavre de lièvre dont la tête est recouverte de miel et de poudre d’or.

Pour Still and chew en 1966, John Latham fait mâcher à ses étudiants des pages de l’ouvrage Art & Culture de Clement Greenberg emprunté à la bibliothèque de l’école, puis les fait cracher dans des bouteilles remplies d’acide, qui sont ensuite apportées à la bibliothèque ; pour l’opéra sextronique de Nam June Paik en 1967, la violoncelliste Charlotte Moorman devait se déshabiller par étapes.

En 1969 dans Messe pour un corps Daniel Templon mime l’eucharistie et donne au public du boudin confectionné avec son sang ; dans Lived Taped Video Corridor, Bruce Nauman fait en 1970 passer les gens dans un étroit corridor où un écran est visible au bout, mais ce qu’on voit est en fait la personne rentrée filmée de dos.

En 1972, Stuart Brisley régurgite des aliments et rampe dans son vomi, etc.

L’une des salles Joseph Beuys dans le Museum für Gegenwart de la Hamburger Bahnhof à Berlin, Wikipédia

Ce mouvement ininterrompu se prolonge à travers les décennies, depuis Boris Achour se plaçant en 1996 devant le magasin Christian Dior à Paris avec inscrit au dos de sa veste «  Les femmes riches sont belles », jusqu’à Piotr Pavlenski se clouant la peau des parties génitales dans le sol en 2013 à Moscou pour « protester » contre la journée de la police.

Il y a bien entendu une inflation des comportements extrêmes, brutaux, pittoresques, ridicules, bruyants, etc., puisque seule l’escalade peut permettre à un « artiste » de se présenter de manière suffisamment originale sur un marché totalement saturé.

Cette saturation est d’ailleurs relative, car en fait l’art contemporain a une expansion accompagnant celle de la surproduction de capital, dans le prolongement de son origine subjectiviste américaine.

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L’art contemporain : des propriétés magiques s’incrustant socialement

L’art contemporain se veut avant tout une forme immatérielle prenant appui sur de la matière brute ; lorsque Pierre Buraglio, en 1978, réalise un « Assemblage de paquets de gauloises bleues », il superpose simplement des paquets de cigarettes, c’est-à-dire des marchandises, en prétendant y juxtaposer ou plutôt y superposer une sorte de réflexion confinant à la spiritualité, comme si la réalisation avait une dimension magique.

Il en va de même pour la série des Anthropométries d’Yves Klein, avec du bleu sur des toiles blanches consistant en des empreintes de femmes nues enduites de peinture. Fervent catholique fasciné par l’immatériel, Yves Klein a même déposé à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) son « International Klein Blue », un bleu « découvert » lors de ses créations de peintures monochromes, tellement il lui accordait une valeur spirituelle.

Le primitivisme de l’art contemporain se veut toujours spirituel au moyen d’une sorte de magie ; la création d’une œuvre d’art serait d’ailleurs en soi magique, bien supérieur à l’œuvre qui n’est en quelque sorte qu’un sous-produit. Yves Klein affirme en 1959 dans Le dépassement de la problématique de l’art que :

« Je m’aperçois que les tableaux ne sont que les « cendres » de mon art. L’authentique qualité du tableau, son « être » même une fois créé, se trouve au-delà du visible, dans la sensibilité picturale à l’état matière première (…).

Voici comment les choses se sont passées : en 1946, je peignais ou dessinais, soit, sous l’influence de mon père, peintre figuratif, des chevaux dans un paysage ou des scènes de plage, soit, sous l’influence de ma mère, peintre abstrait, des compositions de formes et de couleurs.

Dans le même temps la « couleur », l’espace sensible pur, me clignait de l’œil d’une manière irrégulière mais obstinée. Cette sensation de liberté totale de l’espace sensible pur exerçait sur moi un tel pouvoir d’attraction que je peignais des surfaces monochromes pour voir, de mes yeux voir, ce que l’absolu avait de visible (…).

J’ai donc débouché dans l’espace monochrome, dans le tout, dans la sensibilité picturale incommensurable. »

L’art contemporain tend particulièrement à prolonger cette sensation « magique », comme lorsque Hermann Nitsch organise six jours de son Théâtre des Orgies et Mystères, fondé sur du sang et des entrailles d’animaux déversés sur des corps humains dénudés, avec un tank écrasant des viscères alors que joue un orchestre.

C’est le sens du primitivisme de l’art contemporain. Cependant, la forme primitive exige toujours un fond magique qui soit « concret », c’est-à-dire un appel irrationnel au fantasme, à un certain espoir de consommation.

Décoration d’un parking par Hermann Nitsch à Vienne en Autriche, WIkipédia

L’œuvre de l’art contemporain se veut ici en fait d’autant plus magique qu’elle prétend parler à tout le monde, s’adressant à chacun en particulier, lui permettant de la consommer en plaquant tout ce qu’il veut à ce sujet.

On ne saurait ici sous-estimer l’incrustation de l’art contemporain dans la réalité sociale. Les artistes de l’art contemporain prétendent toujours correspondre avec la société et les gens la composant, puisque pour eux une société n’est qu’un agrégat d’individus.

Le grand point de départ symbolique de cette approche est le roman Nadja d’André Breton, de 1928, qui associe des photographies au texte. Le roman présente la découverte brute d’une femme mystérieuse et envoûtante, entre folie et magie, et présente en quelque sorte la vie quotidienne comme devant consister en des moments magiques sans lendemain, telles des expériences transcendantes.

Voici le passage de la rencontre, tout à fait en phase avec la mise en perspective de chaque œuvre de l’art contemporain :

« Je venais de traverser ce carrefour dont j’oublie ou ignore le nom, là, devant une église. Tout à coup, alors qu’elle est peut-être encore à dix pas de moi, venant en sens inverse, je vois une jeune femme, très pauvrement vêtue, qui, elle aussi, me voit ou m’a vu.

Elle va la tête haute, contrairement à tous les autres passants. Si frêle qu’elle se pose à peine en marchant. Un sourire imperceptible erre peut-être sur son visage. Curieusement fardée, comme quelqu’un qui, ayant commencé par les yeux, n’a pas eu le temps de finir, mais le bord des yeux si noir pour une blonde.

Le bord, nullement la paupière (un tel éclat s’obtient et s’obtient seulement si l’on ne passe avec soin le crayon que sous la paupière. Il est intéressant de noter, à ce propos, que Blanche Derval, dans le rôle de Solange, même vue de très près, ne paraissait en rien maquillée. Est-ce à dire que ce qui est très faiblement permis dans la rue mais est recommandé au théâtre ne vaut à mes yeux qu’autant qu’il est passé outre à ce qui est défendu dans un cas, ordonné dans l’autre ? Peut-être).

Je n’avais jamais vu de tels yeux. Sans hésitation j’adresse la parole à l’inconnue, tout en m’attendant, j’en conviens du reste, au pire. Elle sourit, mais très mystérieusement, et, dirai-je, comme en connaissance de cause, bien qu’alors je n’en puisse rien croire.

Elle se rend, prétend-elle, chez un coiffeur du boulevard Magenta (je dis : prétend-elle, parce que sur l’instant j’en doute et qu’elle devait reconnaître par la suite qu’elle allait sans but aucun).

Elle m’entretient bien avec une certaine insistance de difficultés d’argent qu’elle éprouve, mais ceci, semble-t-il, plutôt en manière d’excuse et pour expliquer l’assez grand dénuement de sa mise. Nous nous arrêtons à la terrasse d’un café proche de la gare du Nord.

Je la regarde mieux. Que peut-il bien passer de si extraordinaire dans ces yeux ? Que s’y mire-t-il à la fois obscurément de détresse et lumineusement d’orgueil ? C’est aussi l’énigme que pose le début de confession que, sans m’en demander davantage, avec une confiance qui pourrait (ou bien qui ne pourrait ?) être mal placée elle me fait. »

L’art contemporain se veut un équivalent d’une rencontre ; si une œuvre de l’art contemporain est toujours spatiale, elle prétend représenter un moment subjectif de son auteur et en faire vivre un à celui qui la découvre.

D’où, évidemment, les très nombreux discours qui accompagnent les œuvres contemporaines, afin d’en révéler le sens ou plus exactement la portée. Les œuvres sont en effet tellement subjectivistes voire cryptiques que, sans le discours accompagnateur, sans idéologie pour conduire les considérations à ce sujet, cela ne saurait prendre sens.

L’entrée du musée Guggenheim de Bilbao au Pays basque espagnol avec Puppy de Jeff Koons

Lorsque le « plasticien » Wim Delvoye réalise au début des années 2000 « Cloaca », une machine transformant les aliments (notamment de grands chefs) en « matières fécales », il y a la prétention de faire une réflexion sur la dimension machinale du corps, de poser le rapport de l’être humain à son existence, etc.

Tous ces discours relèvent d’un dispositif incontournable pour chaque protagoniste de l’art contemporain, que ce soit du côté de « l’artiste », du côté des galeries ou des acheteurs.

Il faut toujours, pour chaque œuvre ou série d’œuvres, une narration, un discours, parce qu’il s’agit toujours de catégoriser la démarche, afin de répondre à un « besoin ». L’art contemporain répond, de fait, à tous les publics et non pas à une exigence culturelle universelle.

Il ne prétend pas d’ailleurs plaire à tout le monde mais révéler des formes artistiques de manière ininterrompue, tout comme le capitalisme produit des marchandises « différentes » pour des gens « différents ».

Une salle du Musée d’art moderne Louisiana au Danemark

Les thèmes touchés sont donc infinis. Il y a les sentiments, le féminisme, la mort, les fleurs, les animaux, les couleurs… L’art contemporain présente des œuvres correspondant au catalogue en expansion des marchandises en général. Il prétend répondre à tous les besoins « spirituels » ou « intellectuels » existant.

Si on rate cette incrustation sociale de l’art contemporain, on ne saisit pas pourquoi il parvient à interpeller. Il occupe littéralement les esprits, en proposant des œuvres qui sont des fins en soi.

Pour cette raison, bien entendu, l’art contemporain est tout à fait en phase avec les conceptions « post-modernes » du capitalisme, dont il est un élément, et s’oriente de manière tendancielle toujours vers la question des identités. Une figure majeure est ici Cindy Sherman, qui depuis les années 1980 prend des photos d’elles-mêmes dans des poses relevant de la fiction.

Rétrospective Cindy Sherman à la Fondation Louis Vuitton à Paris, Wikipédia

Mais il peut également prétendre avoir une dimension sociale, car le capitalisme est tout à fait satisfait de ce qui remet en cause l’ordre établi si cela permet de développer de nouveaux marchés.

Les pochoirs pseudos-contestataires et poétiques de Banksy sont ici un excellent exemple de comment l’art contemporain cherche à « toucher », à interpeller, à atteindre les gens dans leurs attentes, leurs désirs, leurs considérations… pour dévier cela vers l’émotion brute sans lendemain.

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L’art contemporain : une charge primitive ultra-moderne

Ce qui caractérise l’art contemporain, c’est sa prétention à être une expression brute, immédiate, tout en ayant un arrière-plan ultra-intellectualisé, à prétention spirituelle. Les œuvres de l’art contemporain se présentent d’un côté de manière littéralement crue, alors que leur caractère ne se révèle qu’à travers une pseudo-argumentation ultra-sophistiquée, quasi cryptique.

Un puissant ressort idéologique a été, à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, les acquis du colonialisme et de la mondialisation capitaliste. Les arts de l’Égypte antique, l’art khmer, l’art japonais, l’art polynésien, l’art dit « nègre »… ont été constamment valorisés par des démarches modernistes à prétention avant-gardiste.

Le peintre Vassily Kandinsky explique à ce sujet dans Du spirituel dans l’art :

« Comme nous, ces artistes purs ne se sont attachés dans leurs œuvres qu’à l’essence intérieure, toute contingence étant par là même éliminée. »

Vassily Kandinsky, Molle rudesse, 1927

Guillaume Apollinaire, dans son poème emblématique Zone où il décrit une sorte de traversée de Paris, conclut de la manière suivante :

« Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied
Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée
lls sont des Christs d’une autre forme et d’une autre croyance
Ce sont les Christs inférieurs des obscures espérances

Adieu Adieu

Soleil cou coupé »

André Breton, à l’origine du surréalisme et collectionneur averti d’œuvres « primitives », a pu affirmer que :

« L’artiste européen, au XXe siècle, n’a de chance de parer au dessèchement des sources d’inspiration entraîné par le rationalisme et l’utilitarisme qu’en renouant avec la vision dite primitive, synthèse de perception sensorielle et de représentation mental. »

L’entrée du musée d’Art contemporain de Berlin avec la sculpture Volk Ding Zero (« Peuple Chose Zéro ») de Georg Baselitz, 2009, Wikipédia

Cette base « primitive » de l’art contemporain est bien connue et lui confère une nature « à part », avec une dimension mystico-religieuse confinant au fanatisme. L’écrivain Yasmina Reza, qui fait des pièces de théâtre à destination des grands bourgeois s’auto-auscultant, présente cette question dans Art, en 1994, reflétant l’expansion de l’art contemporain.

« Marc, seul.

Marc : Mon ami Serge a acheté un tableau.
C’est une toile d’environ un mètre soixante sur un mètre vingt, peinte en blanc. Le fond est blanc et si on cligne des yeux, on peut apercevoir de fins liserés blancs transversaux.
Mon ami Serge est un ami depuis longtemps. C’est un garçon qui a bien réussi, il est médecin dermatologue et il aime l’art.
Lundi, je suis allé voir le tableau que serge avait acquis samedi mais qu’il convoitait depuis plusieurs mois.
Un tableau blanc, avec des liserés blancs.

Chez serge.
Posée à même le sol, une toile blanche, avec de fins liserés blancs transversaux.
Serge regarde, réjoui, son tableau.
Marc regarde le tableau.
Serge regarde Marc qui regarde le tableau.
Un long temps où tous les sentiments se traduisent sans mot.

Marc : Cher ?

Serge : Deux cent mille.

Marc : Deux cent mille ?…

Serge : Handtington me le reprend à vingt-deux.

Marc : qui est-ce ?

Serge : Handtington ?!

Marc : Connais pas.

Serge : Handtington ! La galerie Handtington !

Marc : La galerie Handtington te le reprend à vingt-deux ?…

Serge : Non, pas la galerie. Lui. Handtington lui-même. Pour lui.

Marc : Et pourquoi ce n’est pas Handtington qui l’a acheté ?

Serge : Parce que tous ces gens ont intérêt à vendre à des particuliers. Il faut que le marché circule.

Marc : Ouais…

Serge : Alors ?

Marc : …

Serge : Tu n’es pas bien là. Regarde-le d’ici. Tu aperçois les lignes ?

Marc : Comment s’appelle le…

Serge : Peintre. Antrios.

Marc : Connu ?

Serge : Très. Très !

Un temps.

Marc : Serge, tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille francs ?

Serge : Mais mon vieux, c’est le prix. C’est un ANTRIOS !

Marc : Tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille francs !

Serge : J’étais sûr que tu passerais à côté.

Marc : Tu as acheté cette merde deux cent mille francs ?!

Serge, Comme seul.

Serge : Mon ami Marc, qui est un garçon intelligent, garçon que j’estime depuis longtemps, belle situation, ingénieur dans l’aéronautique, fait partie de ces intellectuels, nouveaux, qui, non content d’être ennemis de la modernité, en tirent une vanité incompréhensible.
Il y a depuis peu, chez l’adepte du bon vieux temps, une arrogance vraiment stupéfiante.

Les mêmes. Même endroit. Même tableau.

Serge (après un temps) : … Comment peux-tu dire « cette merde » ?

Marc : Serge, un peu d’humour ! Ris ! … -Ris, vieux, c’est prodigieux que tu aies acheté ce tableau ! Marc rit. Serge reste de marbre.

Serge : Que tu trouves cet achat prodigieux tant mieux, que ça te fasse rire, bon, mais je voudrais savoir ce que tu entends par « cette merde ».

Marc : Tu te fous de moi !

Serge : Pas du tout. « Cette merde », par rapport à quoi ? Quand on dit que telle chose est une merde, c’est qu’on a un critère de valeur pour estimer cette chose.

Marc : A qui tu parles ? A qui tu parles en ce moment ? Hou hou ! …

Serge : Tu ne t’intéresses pas à la peinture contemporaine, tu ne t’y es jamais intéressé. Tu n’as aucune connaissance dans ce domaine, dont comment peux-tu affirmer que tel objet, obéissant à des lois que tu ignores, est une merde ?

Marc : C’est une merde. Excuse-moi. »

L’œuvre de l’art contemporain se veut une charge primitive dans un environnement ultra-moderne, elle se veut brute dans un cadre raffiné. C’est le subjectivisme brut dans un capitalisme regorgeant de marchandises.

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L’art contemporain : un subjectivisme radical

L’art est une forme d’expression où il y a une représentation synthétique réalisée par un artiste capable de jouer le rôle de miroir de la réalité, et sa représentation elle-même miroir de la réalité se reflète dans les esprits des gens qui, pour cette raison, l’apprécient.

Une vue de Paris par le peintre réaliste russe Vassili Perov en 1862

L’art authentique n’oppose ainsi pas la forme et le fond, il façonne la matière pour synthétiser la réalité d’une manière particulière, il ajoute pour ainsi dire de la matière à la matière. Il ne prétend pas produire un espace nouveau, il prend pour ainsi dire des photographies de ce qui s’est déroulé dans le temps.

L’art dit contemporain a une démarche totalement différente puisqu’il consiste en l’expansion d’un esprit individuel vivant des « moments » à prétention singulière à travers des formes « conquérant » des espaces.

Joseph Beuys, F.I.U. – Difesa della natura, 1983, Musée d’art contemporain de Zagreb, Wikipédia

Le véritable art est une production historique. L’art contemporain, c’est inversement avant tout une appropriation spatiale, de type subjectiviste ; c’est une « création » individuelle, un « élargissement » subjectiviste, une empreinte individualiste.

Que ce soit en emballant un monument, en écrivant un tag sur un mur, en présentant une installation de machines, en utilisant son propre corps… l’art contemporain occupe toujours un espace à partir d’un ressenti momentané de « l’artiste » qui procède ainsi à un étalement subjectiviste qui a plus ou moins de dignité dans son rapport à l’expérience à la matière.

Un exemple emblématique a été l’activité de la Serbe Marina Abramovic et de l’Allemand Ulay, dans les années 1970-1980.

Mouvement consistait à conduire une camionnette tournant en rond pendant des heures, Relation in time à avoir les cheveux attachés l’un à l’autre dos à dos pendant 17 heures, Relation in Space à courir l’un vers l’autre nu pour s’entrechoquer (pendant 58 minutes), Light/Dark à se donner des gifles en cadence pendant vingt minutes sous de puissantes lampes, Breathing In/Breathing Out à respirer par la bouche de l’autre jusqu’à épuisement, Rest Energy à ce que l’un tienne une flèche en tension tandis que l’autre tenant l’arc fasse face à la flèche…

https://www.youtube.com/watch?v=oKuDsFuV2lA

Le couple a, à juste titre, caractérisé une telle approche en présentant comme suit les exigences :

« Pas de lieu fixe, contact direct, prise de risque et mouvement permanent. »

L’art contemporain se veut en effet toujours « performance ». En 2010, Marina Abramovic organisera ainsi également une session de 736 heures et 30 minutes au MoMA (Museum of Modern Art de New York) où pendant soixante secondes quelqu’un pouvait s’asseoir en face d’elle pour la regarder dans les yeux.

L’œuvre de l’art contemporain se veut ainsi toujours affirmative, conquérante, disruptive, interpellante, car happant son entourage, son environnement, comme pour exister de manière autonome en tant que « création ».

Pour cette raison, l’art contemporain n’a, d’ailleurs, pas de définition esthétique. Il repose sur le subjectivisme du consommateur dont la consommation est si « profonde » qu’elle parviendrait à « créer » une œuvre.

De ce fait, absolument tout est matériau pour l’art contemporain, puisque la source créative est dans le subjectivisme de l’artiste qui façonne, tel un Dieu grec façonne une matière brute préexistante, sa propre réalité.

Nam June Paik, Electronic Superhighway: Continental U.S., Alaska, Hawaii 1995-96, Wikipédia

Cela explique l’expansion ininterrompue de ce qu’utilise l’art contemporain. Si initialement il reprenait des matériaux traditionnels de l’art, comme la peinture, le bois, la pierre, le textile, la céramique, le bronze… il a n’a cessé d’élargir son rayon d’action.

Se sont ainsi ajoutés des objets de récupération, des produits industriels, des paysages, des monuments, des corps, et jusqu’au langage présentée comme une « réalité » matérielle.

Cela reflète que l’art contemporain se veut pure individualité, aventure individuelle de dimension spirituelle, à rebours des principes de travail, de production, de norme. L’art contemporain est, avant tout, un rejet de la réalité transformatrice, au nom d’un subjectivisme créateur.

Relief éponge d’Yves Klein (1959) dans le théâtre de Gelsenkirchen en Allemagne, Wikipédia

L’art contemporain est ainsi une forme d’expression accompagnant le développement des forces productives dans le capitalisme. Les artistes étaient en effet auparavant liés à des principes et des formes sociales bien déterminées, que ce soit dans le folklore ou dans les académies organisées par les États.

Avec le capitalisme permettant l’accès aux matériaux nécessaires pour une expression artistique, ainsi qu’une autonomie dans la présentation et la promotion, il y a une déconnexion entre l’artiste et la société, celle-ci voyant échapper celui-ci à sa mainmise idéologique et culturelle.

Ce décrochage entre l’artiste et la société ne dure cependant qu’un temps relatif, celui de l’art dit moderne. Une fois le capitalisme développé, l’art contemporain n’a eu de cesse d’être valorisé, dans un processus allant des années 1920 aux années 1960-1970.

S’ensuit, à partir des années 1980, une véritable politique organisée par les entreprises et les États capitalistes pour promouvoir et valoriser l’art contemporain. Les musées qui leur son consacrés se sont multipliés parallèlement à la généralisation de galeries proposant des œuvres et à la systématisation de sa présence dans l’éducation.

L’art contemporain, anti-institutionnel initialement dans sa prétention, est ainsi entièrement institutionnel par la suite. Il est de fait l’esthétique elle-même du capitalisme développé.

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Lettre de Staline aux Éditions pour enfants (1938)

(Lettre aux Éditions pour enfants près le Comité Central de la Jeunesse communiste pan-unioniste)

16 février 1938, publiée la première fois dans Voprosy Istorii [Questions d’Histoire], n°II, 1953

Je suis absolument contre l’édition des Récits sur l’enfance de Staline. Le livre abonde d’une masse d’inexactitudes de fait, d’altérations, d’exagérations, d’éloges non mérités.

Des amateurs de contes, des baratineurs (peut-être des baratineurs « honnêtes »), des adulateurs ont induit en erreur l’auteur.

C’est dommage pour l’auteur, mais un fait reste un fait. Mais ceci n’est pas l’important.

L’important réside en ce que le livre a tendance à enraciner dans la conscience des enfants soviétiques (et les gens en général) le culte des personnalités, des dirigeants, des héros infaillibles. C’est dangereux, nuisible.

La théorie des « héros et de la foule » n’est pas bolchévik, mais une théorie s-r [socialistes-révolutionnaires].

Les héros font le peuple, le transforment de foule en peuple, ainsi parlent les s-r.

Le peuple fait les héros, ainsi répondent les bolchéviks aux s-r.

Le livre apporte de l’eau au moulin des s-r.

N’importe quel livre comme celui-ci va apporter de l’eau au moulin des s-r, va nuire à notre cause bolchévik commune.

Je conseille de brûler ce livre.

J. STALINE

Lettre d’Ivanov à Staline et sa réponse (1938)

Lettre d’Ivanov, en date du 8 janvier 1938

Cher camarade Staline,

Je vous prie instamment de m’expliquer la question suivante : Il existe, chez nous, sur place, et aussi au Comité régional des Jeunesses Communistes, deux façons de concevoir la victoire définitive du socialisme dans notre pays, c’est-à-dire qu’on confond le premier groupe de contradictions avec le second.

Dans nos ouvrages qui traitent des destinées du socialisme dans l’Union Soviétique, il est question de deux groupes de contradictions : intérieures et extérieures.

Pour le premier groupe de contradictions, il est clair que nous les avons résolues : le socialisme a triomphé à l’intérieur du pays. Je voudrais avoir une réponse au sujet du second groupe de contradictions, à savoir celles existant entre le pays du socialisme et les pays du capitalisme.

Vous indiquez que la victoire définitive du socialisme signifie la solution des contradictions extérieures, ta garantie complète contre l’intervention et, par conséquent, contre la restauration du capitalisme.

Or, ce groupe de contradictions ne peut être résolu que par les efforts des ouvriers de tous les pays. Lénine ne nous enseignait-il pas, d’ailleurs qu’ « on ne peut vaincre définitivement qu’a l’échelle mondiale, que par les efforts conjugués des ouvriers de tous les pays ».

Au cours de propagandistes titulaires auprès du Comité régional des Jeunesses Communistes léninistes de l’URSS, j’ai dit, me basant sur vos ouvrages, que la victoire du socialisme ne peut être définitive qu’à l’échelle mondiale, mais les militants du Comité régional, Ourojenko (premier secrétaire du Comité régional des Jeunesses Communistes) et Kazelkov (instructeur à la propagande) qualifient mon intervention de sortie trotskyste.

Je leur ai donné lecture de citations empruntées à vos ouvrages sur cette question, mais Ourojenko me propose de laisser là mon volume, ajoutant que « Le camarade Staline l’a dit en 1926, tandis que nous sommes déjà en 1938 ; nous n’avions pas alors la victoire définitive, tandis que nous l’avons maintenant, et il ne s’agit nullement pour nous de songer aujourd’hui à l’intervention, ni à la restauration » ; il a dit ensuite : « Nous avons maintenant la victoire définitive du socialisme et la garantie complète contre l’intervention et la restauration du capitalisme ».

Ainsi, on m’a qualifié de complice du trotskysme. On m’a relevé de mon travail de propagandiste et on pose la question de savoir si je puis rester dans les Jeunesses Communistes.

Je vous prie, camarade Staline, de m’expliquer si nous avons la victoire définitive du socialisme, ou pas encore pour le moment ? Peut-être n’ai-je pas encore trouvé la documentation complémentaire d’actualité sur cette question, en rapport avec les changements récents?

Je considère aussi comme anti-bolchévik la déclaration d’Ouro-jenko, prétendant que les ouvrages du camarade Staline sur cette question ont un peu vieilli.

Et les militants du Comité régional ont-ils eu raison de me qualifier de trotskyste ? J’en suis très mortifié et froissé.

Camarade Staline, je vous prie de bien vouloir me répondre à l’adresse suivante : Ivan Filippovitch lvanov, Soviet du village Pervy Zassiem, district de Mantourov, région de Koursk.

Le 8 janvier 1938. Signé : IVANOV.

Réponse de Staline, le 12 février 1938, à la lettre d’Ivanov, publiée tout comme cette dernière dans la Pravda du 14 février 1938

Naturellement, vous avez raison, camarade Ivanov, et ce sont vos adversaires idéologiques, c’est-à-dire les camarades Ourojenko et Kazelkov, qui ont tort.

Et voici pourquoi : Il est certain que la question de la victoire du socialisme dans un seul pays, en l’occurrence dans notre pays, a deux aspects différents. Le premier aspect de la question de la victoire du socialisme dans notre pays embrasse le problème des rapports entre les classes à l’intérieur de notre pays. C’est le domaine des rapports intérieurs.

La classe ouvrière de notre pays peut-elle surmonter les contradictions avec notre paysannerie et établir avec elle une alliance, une collaboration ?

La classe ouvrière de notre pays peut-elle, en alliance avec notre paysannerie, battre la bourgeoisie de notre pays, lui enlever la terre, les usines, les mines, etc… et édifier par ses propres forces une nouvelle société, une société sans classes, la société socialiste intégrale ?

Tels sont les problèmes qui se rattachent au premier aspect de la question de la victoire du socialisme dans notre pays. Le léninisme répond à ces problèmes par l’affirmative. Lénine enseigne que « nous avons tout ce qui est nécessaire pour édifier la société socialiste intégrale ».

Par conséquent, nous pouvons et nous devons, par nos propres forces, vaincre notre bourgeoisie et édifier la société socialiste. Trotsky, Zinoviev, Kamenev et consorts, qui sont devenus, par la suite, les espions et les agents du fascisme, niaient la possibilité d’édifier le socialisme dans notre pays avant que la révolution socialiste ait vaincu dans les autres pays, dans les pays capitalistes.

Ces messieurs voulaient, en somme, faire revenir notre pays dans la voie du développement bourgeois, en couvrant leur reniement par de fallacieuses arguties sur « la victoire de la révolution » dans les autres pays. C’est précisément sur ce point que s’est déroulée la discussion dans notre parti avec ces messieurs.

Le cours ultérieur des événements dans notre pays a montré que le Parti avait raison, et que Trotsky et compagnie avaient tort.

Entre-temps, nous avons réussi, en effet, à liquider notre bourgeoisie, à établir une collaboration fraternelle avec notre paysannerie et à édifier dans l’essentiel la société socialiste bien que la révolution socialiste n’ait pas encore vaincu dans les autres pays.

Il en est ainsi du premier aspect de la question de la victoire du socialisme dans notre pays. Je pense, camarade Ivanov, que votre controverse avec les camarades Ourojenko et Kazelkov ne concerne pas cet aspect de la question.

Le deuxième aspect de la question de la victoire du socialisme dans notre pays embrasse le problème des rapports de notre pays avec les autres pays, avec les pays capitalistes, le problème des rapports de la classe ouvrière de notre pays avec la bourgeoisie des autres pays.

C’est le domaine des rapports extérieurs, des rapports internationaux.

Le socialisme vainqueur dans un pays entouré de nombreux pays capitalistes puissants peut-il se considérer comme entièrement garanti contre le danger d’une invasion armée (d’une intervention) et, par conséquent, contre les tentatives de restauration du capitalisme dans notre pays ?

Notre classe ouvrière et notre paysannerie peuvent-elles, par leurs propres forces, sans aide sérieuse de la classe ouvrière des pays capitalistes, vaincre la bourgeoisie de ces autres pays, de même qu’elles ont vaincu leur bourgeoisie ?

Autrement dit : peut-on considérer la victoire du socialisme dans notre pays comme définitive, c’est-à-dire libérée de la menace d’une agression militaire et des tentatives de restauration du capitalisme, alors que le socialisme n’a triomphé que dans un seul pays et que l’encerclement capitaliste continue d’exister ?

Tels sont les problèmes qui se rattachent au deuxième aspect de la question de la victoire du socialisme dans notre pays.

Le léninisme répond à ces problèmes par la négative. Le léninisme enseigne que « la victoire définitive du socialisme dans le sens d’une garantie complète contre la restauration des rap-ports bourgeois n’est possible qu’à l’échelle internationale (voir la Résolution, que l’on connaît, de la XIV° Conférence du Parti Communiste de l’URSS).

Cela signifie que l’aide sérieuse du prolétariat international est la force sans laquelle ne saurait être résolu le problème de la victoire définitive du socialisme dans un seul pays. Cela ne signifie évidemment pas que nous-mêmes devions rester les bras croisés à attendre une aide du dehors.

Au contraire, l’aide du prolétariat international doit être unie à notre travail en vue de renforcer la défense de notre pays, de renforcer notre Armée Rouge et notre Flotte rouge, de mobiliser tout le pays pour la lutte contre l’agression militaire et les tentatives de restauration des rapports bourgeois.

Voici ce que dit Lénine à ce sujet :

« Nous ne vivons pas seulement dans un État, mais dans un système d’États, et l’existence de la République soviétique à côté d’États impérialistes est impensable pendant une longue période.

En fin de compte, l’un ou l’autre doit l’emporter. Et avant que cette fin arrive, un certain nombre de terribles conflits entre la République soviétique et les États bourgeois est inévitable. Cela signifie que la classe dominante, le prolétariat, si seulement il veut dominer et s’il domine en effet, doit en faire la preuve aussi par son organisation militaire. »

Et plus loin :

« Nous sommes entourés d’hommes, de classes et de gouvernements qui expriment ouvertement la haine la plus farouche à notre égard. On ne doit pas oublier que nous sommes constamment à un cheveu de l’invasion. »

Cela est dit avec force et acuité, mais honnêtement et avec droiture, sans fard, comme Lénine savait parler. Sur la base de ses prémisses, il est dit dans Les questions du léninisme de Staline :

« La victoire définitive du socialisme, c’est la pleine garantie contre les tentatives d’intervention et, par conséquent de restauration, car une tentative tant soit peu sérieuse ne peut avoir lieu qu’avec un sérieux appui du dehors, qu’avec l’appui du capital international.

C’est pourquoi le soutien de notre révolution par les ouvriers de tous les pays et, à plus forte raison, la victoire de ces ouvriers, ne fût-ce que dans quelques pays, est la condition nécessaire d’une pleine garantie du premier pays victorieux contre les tentatives d’intervention et de restauration, la condition nécessaire de la victoire définitive du socialisme. »

Il serait, en effet, ridicule et stupide de fermer les yeux sur l’existence de l’encerclement capitaliste et de penser que nos ennemis du dehors, les fascistes par exemple, ne tenteront pas à l’occasion de déclencher une agression armée contre l’URSS. Seuls peuvent penser ainsi les fanfarons aveugles ou les ennemis cachés désireux d’endormir le peuple.

Il ne serait pas moins ridicule de nier qu’au cas du moindre succès de l’intervention mili-taire, les interventionnistes tenteraient de détruire le régime soviétique et de rétablir le régime bourgeois dans les régions qu’ils occuperaient. Dénikine ou Koltchak ne rétablissaient-ils pas le régime bourgeois dans les régions qu’ils occupaient ?

En quoi les fascistes sont-ils meilleurs que Dénikine ou Koltchak ? Nier le danger d’une intervention militaire et des tentatives de restauration, alors qu’existe l’encerclement capitaliste, seuls peuvent le faire les brouillons ou les ennemis cachés, désireux de masquer leur hostilité par des fanfaronnades et cherchant à démobiliser le peuple.

Mais peut-on considérer la victoire du socialisme dans un seul pays comme définitive si ce pays se trouve. dans l’encerclement capitaliste et s’il n’est pas entièrement garanti contre le danger d’une intervention et de la restauration ? Il est clair que non. Il en est ainsi de la question de la victoire du socialisme dans un seul pays. Il s’ensuit que cette question comporte deux problèmes différents.

a) Le problème des rapports intérieurs de notre pays, c’est-à-dire celui de la victoire sur notre bourgeoisie et de l’édification du socialisme intégral, et

b) Le problème des rapports extérieurs de notre pays, c’est-à-dire celui de la garantie complète de notre pays contre les dangers d’une intervention militaire et de la restauration.

Nous avons déjà résolu le premier problème, puisque notre bourgeoisie est déjà liquidée et que le socialisme est déjà construit dans l’essentiel.

Cela s’appelle chez nous la victoire du socialisme ou, plus exactement la victoire de l’édification socialiste dans un seul pays. Nous pourrions dire que cette victoire est définitive si notre pays se trouvait dans une île et s’il n’y avait pas tout autour une quantité d’autres pays, des pays capitalistes.

Mais, comme nous ne vivons pas dans une île, mais « dans un système d’Etats », dont une grande partie est hostile au pays du socialisme, créant de la sorte le danger d’une intervention et d’une restauration, nous disons ouvertement et honnêtement que la victoire du socialisme dans notre pays n’est pas encore définitive. Il s’ensuit donc que, pour l’instant, le deuxième problème n’est pas résolu et qu’il faudra encore le résoudre.

Bien plus : il est impossible de résoudre le deuxième problème de la même manière que nous avons résolu le premier, c’est-à-dire par les seuls efforts de notre pays.

On ne peut résoudre le deuxième problème qu’en conjuguant les sérieux efforts du prolétariat international avec ceux encore plus sérieux de notre peuple soviétique tout entier.

Il faut renforcer et consolider les liens prolétariens internationaux entre la classe ouvrière de l’URSS et la classe ouvrière des pays bourgeois ; il faut organiser l’aide politique de la classe ouvrière des pays bourgeois à la classe ouvrière de notre pays dans l’éventualité d’une agression militaire contre notre pays, de même qu’il faut organiser une aide efficace de la classe ouvrière de notre; pays à la classe des pays bourgeois ; il faut renforcer et consolider par tous les moyens notre Armée rouge, notre Flotte rouge, notre Aviation rouge, notre Société d’encouragement à la défense aéro-chimique.

Il faut tenir tout notre peuple dans un état de mobilisation pour qu’il soit prêt à faire face au dan, ger d’une agression militaire pour qu’aucun « hasard » et aucune manœuvre de nos ennemis extérieurs ne puissent nous prendre au dépourvu…

Il ressort de votre lettre que le camarade Ourojenko s’en tient à un autre point de vue, pas tout à fait léniniste. Il affirme, paraît-il, que « nous avons maintenant la victoire définitive du socialisme et la garantie complète contre l’intervention et la restauration du capitalisme ».

Il est hors de doute que le camarade Ourojenko a essentiellement tort. Cette assertion du camarade Ourojenko ne peut s’expliquer que par l’incompréhension de la réalité ambiante et la méconnaissance des principes élémentaires du léninisme, ou bien par la stérile vantardise d’un jeune bureaucrate infatué de sa personne.

Si réellement « nous avons une garantie complète contre l’intervention et la restauration du capitalisme », avons-nous besoin après cela d’une puissante Armée rouge, d’une Flotte rouge, d’une Aviation rouge, d’une puissante Société d’encouragement à la défense aéro-chimique, de renforcer et de consolider les liens prolétariens internationaux ?

Ne vaudrait-il pas mieux employer à d’autres fins les milliards que nous dépensons pour renforcer l’Armée rouge et réduire celle-ci au minimum, voire même la licencier complètement ?

Les gens tels que le camarade Ourojenko, même s’ils sont subjectivement dé-voués à notre cause, sont objectivement dangereux pour notre cause, car volontairement ou non (il n’importe !), par leur vantardise, ils endorment notre peuple, ils démobilisent les ouvriers et les paysans et aident les ennemis à nous prendre au dépourvu en cas de complications internationales.

Quant à ce que vous me dites, camarade Ivanov, qu’on vous a « relevé de votre travail de propagandiste et qu’on pose la question de savoir si vous pouvez rester dans les Jeunesses Communistes », vous n’avez rien à craindre.

Si les gens du Comité régional des Jeunesses communistes désirent vraiment ressembler au sous-officier Prichibéiev, ce personnage de Tchékov, on peut être sûr qu’ils y perdront. Dans notre pays, on n’aime pas les Prichibéiev. Jugez, maintenant, si le passage cité du livre « Les Questions du léninisme » au sujet de la victoire du socialisme dans un seul pays est vieilli.

Je voudrais bien moi-même qu’il soit vieilli pour qu’il n’y ait plus au monde de ces choses désagréables comme l’encerclement capitaliste, le danger d’une agression militaire, le danger de la restauration du capitalisme et ainsi de suite. Mal-heureusement ces choses désagréables continuent d’exister.

J. STALINE.

Une pierre milliaire dans l’histoire de la science

Par Tcheou Pei-Yuan, chef de la délégation chinoise lors du Colloque de physique tenu à Pékin à l’été 1966. Une pierre milliaire était une borne qui, dans la Rome antique, indiquait le niveau de progression sur une route.

Du 23 au 31 juillet [1966], 144 physiciens de 33 pays d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Océanie, ainsi que d’une institution académique régionale d’Afrique, se sont réunis à Pékin à l’occasion du Colloque de physique d’été du Symposium de Pékin.

Cette rencontre internationale dans une discipline scientifique particulière réalise les vœux du Communiqué du Symposium de Pékin de 1964 : il avait en effet demandé qu’on organisât de telles rencontres avant 1968, année qui verra se tenir un nouveau Symposium de Pékin sur de multiples disciplines scientifiques.

99 rapports traitant surtout des particules élémentaires, de la physique nucléaire et de la physique des solides ont été présentés et discutés à ce Colloque. D’autres traitaient de l’astrophysique et de la biophysique.

Des rapports ont été aussi présentés sur l’enseignement de la physique et ont suscité des débats très animés. Ce Colloque revêt une signification particulière, car jamais auparavant dans notre histoire on n’avait vu tant de physiciens d’autres pays tenir à Pékin une réunion de si haute portée.

Seuls l’établissement de la République populaire de Chine et les incessantes victoires de notre pays dans sa révolution et son édification socialistes sous la direction clairvoyante du Parti communiste chinois dirigé par le camarade Mao Zedong ont rendu possible un tel événement.

A côté d’un certain nombre de physiciens notoires qui sont venus participer à ce Colloque, figuraient un grand nombre de jeunes physiciens qui prennent dans leurs pays respectifs une part active à l’enseignement et à la recherche. Ils représentaient un grand pourcentage surtout dans les délégations chinoise et japonaise.

Les jeunes membres de la délégation chinoise sont tous des fils de l’éducation socialiste inaugurée après la Libération. Ils se sont initiés aux travaux de recherche surtout depuis les années du Grand Bond en avant qui débuta en 1958.

L’une des figures de proue de la délégation chinoise, le camarade Tsai Tsou-tsiuan, un ouvrier-physicien de Shanghai, avait fréquenté l’école primaire trois ans seulement avant la Libération. Mais, dans la nouvelle société, sous la direction du Parti, il a étudié consciencieusement les oeuvres du président Mao et a apporté une grande contribution à la recherche et au développement des sources d’éclairage électriques pour l’édification socialiste du pays. Il est maintenant le directeur du laboratoire de recherche sur les sources d’éclairage électriques de l’Université Foutan de Shanghaï.

Il montra au Colloque différentes variétés de lampes que lui et ses camarades avaient réalisées. Son rapport « Fabriquer des lampes pour la révolution » et l’exposition de ses créations attirèrent l’attention et provoquèrent l’admiration des physiciens qui participaient au Colloque.

A côté des lampes du camarade Tsai, des membres de la délégation chinoise avaient aussi exposé des jeux d’appareils de démonstration destinés à l’enseignement de la physique générale. Ils avaient tous été fabriqués par des étudiants et des professeurs qui ont su compter sur leurs propres efforts, ont « osé penser et osé agir », comme l’enseigne le président Mao.

Le Colloque de physique d’été fut tenu en plein cœur de notre grande révolution culturelle qui a de grandes répercussions dans l’éducation, la culture, la science et la technique. De nombreux physiciens étrangers étaient anxieux de connaître le sens de cette révolution. Ils manifestaient aussi beaucoup d’intérêt pour le système d’éducation mi-travail mi-étude que nous mettons graduellement en pratique dans l’industrie comme dans l’agriculture.

Répondant à la demande des physiciens qui nous visitent, le ministre de la Culture par intérim fit un rapport sur la révolution culturelle et le ministre de l’Éducation en fit un autre sur l’éducation. Les deux rapports furent très appréciés par les physiciens et recueillirent leurs applaudissements chaleureux.

Dans la science physique chi-noise, la pensée de Mao Zedong est mise au poste de commandement

Les physiciens chinois ont présenté 31 communications au Colloque. Leur thème commun était qu’en Chine la pensée de Mao Zedong est aussi placée au poste de commandement en physique comme elle l’est dans l’industrie, l’agriculture et les autres domaines de la science et de la technique.

Le rapport du camarade Tsai Tsou-tsiuan en est une brillante illustration. Intitulé « Fabriquer des lampes pour la révolution », il montre avec précision comment la pensée du président Mao les guide, lui et ses camarades, dans leurs recherches et le développement des sources lumineuses dont notre pays a tant besoin pour son édification socialiste.

Ce rapport dit: « Pendant des années nous n’avons été capables de produire que des lampes à filaments de tungstène et des lampes fluorescentes. Pendant les années où notre pays avait été frappé par des calamités naturelles, les impérialistes, les révisionnistes modernes et les réactionnaires de tout poil poussèrent un tollé général contre la Chine, pensant qu’ils pouvaient tirer parti de nos difficultés.

Ils essayèrent de nous acculer par tous les moyens possibles et dans tous les domaines, sans excepter celui des sources lumineuses, dans l’espoir d’arrêter les progrès du peuple chinois. Mais ces seigneurs avaient mal calculé. Le président Mao nous a toujours enseigné à compter sur nos propres efforts et à travailler avec acharnement. Plus ils essayent de nous acculer, plus nous lutterons et plus vite nous progresserons. »

Le camarade Tsai et ses collègues ne disposaient pas de données techniques ni des appareils et de l’équipement nécessaires quand ils essayèrent, pour la première fois, de fabriquer une lampe à vapeur de mercure-haute pression. Les paroles du président Mao leur vinrent à l’esprit: « Faites usage de vos propres mains pour surmonter les difficultés. »

Ils en firent usage et les surmontèrent l’une après l’autre. C’est la pensée de Mao Zedong qui les encouragea et leur montra la juste voie à suivre.

Ils sont parvenus à fabriquer des lampes nécessaires à différents instruments, telles que des lampes de quartz au mercure-haute pression, des lampes à amalgame, au cadmium, au zinc, des lampes-arc à l’hydrogène ou au dentérium, des lampes au thallium, au krypton et des lampes utilisées pour l’éclairage telles que les lampes fluorescentes à vapeur de mercure-haute pression, des lampes à iodure de mercure-ultra-haute pression, des lampes de quartz à iode-tungstène (lampes infra-rouge à iode-tungstène, lampes à iode-tungstène pour l’éclairage ordinaire, à iode-tungstène pour la photographie des couleurs à haute température), des lampes au xénon à arc long, au xénon à arc court, au xénon à pulsations, des lampes au sodium.

Toutes ces lampes sont fabriquées avec des matériaux chinois et certaines d’entre elles répondent aux critères mondiaux les plus avancés.

Un autre exemple de la façon dont l’éclat de la pensée de Mao Zedong illumine les travaux de recherche des physiciens chinois, c’est la contribution apportée à la théorie des particules élémentaires par le groupe de recherche de Pékin qui se consacre à ces études.

Composé surtout de jeunes chercheurs, il a été formé en août 1965 par des scientifiques qui font des recherches sur la théorie des particules élémentaires dans des instituts de recherche de l’Académie des Sciences et des universités de Pékin.

Ils ont commencé par étudier ensemble les Oeuvres choisies de Mao Zedong, tandis qu’ils se livraient à leurs expérimentations scientifiques.

A la lumière de leur compréhension de la théorie de la connaissance et de la méthodologie telle qu’elle est exposée dans les deux textes classiques De la pratique et De la contradiction, ils ont discuté de la méthode d’approche correcte des problèmes, réfuté les conceptions métaphysiques et idéalistes de l’Occident et se sont débarrassés de la foi aveugle dans les « autorités » étrangères.

Armés de la pensée de Mao Zedong, ils se sont efforcés de libérer leur esprit, de briser leur foi aveugle et de frayer leur propre voie. Pour ce faire, il leur fallait absolument et avant tout une conception correcte du monde.

« Frayer sa propre voie » signifiait aussi apprendre à appliquer la théorie correcte de la connaissance et de la méthodologie et balayer les conceptions positivistes et mathématico-idéalistes qui, sur le plan mondial, se sont peu à peu développées dans le domaine des recherches sur la théorie des particules élémentaires.

Que l’atome puisse être divisé, voilà une importante découverte de ce siècle. Savoir si les particules élémentaires ont leur propre structure interne, savoir si elles peuvent être subdivisées, est devenu un problème extrêmement difficile et d’importance primordiale dans la physique contemporaine.

Sa solution permettra de faire un grand pas en avant dans la connaissance du monde matériel objectif et des lois de son mouvement.

Avec une conception correcte du monde et armés de la théorie correcte de la connaissance et de la méthodologie telle que l’incarne la pensée de Mao Zedong, les membres du groupe de recherche de Pékin sur les particules élémentaires sont parvenus à cette appréhension créatrice, savoir qu’aucune des particules élémentaires dont le nombre s’élève à plus d’une centaine, n’est « élémentaire » après tout, et qu’elles doivent toutes avoir des structures.

Ils ont soutenu que les hadrons, c’est-à-dire les mésons et les baryons, sont composés de nouvelles sous-unités de matière qu’ils ont appelées « stratons ».

Le nom de « straton » a été proposé par les physiciens chinois qui s’opposent à la croyance erronée des physiciens occidentaux pour qui la particule élémentaire est indivisible. L’expression « straton » est employée pour montrer que la structure de la matière se compose d’un nombre infini de couches et pour indiquer que le straton lui-même n’est nullement l’élément de base de la matière.

D’après cette nouvelle théorie de la structure et sa méthode de calcul théorique, il devient possible de donner une explication et une description unifiée d’un grand nombre de phénomènes concernant les particules élémentaires pour qui les anciennes théories n’avaient ni explication ni description unifiée.

Ce qui est très important pour les recherches futures sur la structure interne des particules élémentaires.

Dans les autres sections du Colloque comme celles de la physique nucléaire, de la physique des solides et de l’enseignement de la physique, les physiciens chinois qui ont présenté des rapports et pris part aux discussions ont, là aussi, étudié et appliqué activement la pensée de Mao Zedong.

Des communications telles que « La structure des noyaux se rapprochant de O puissance 16 dans des états de faible excitation — structure cohérente et effet de fluctuation », « Une étude des interactions résiduelles pour les noyaux légers » dans la section de physique nucléaire, « Résonance ferromagnétique des systèmes accouplés », « Système de libération des impuretés dans les ferrutes spinelles », « Une étude sur la théorie du camp de Ligand », etc.

Ces rapports ont tous été des exemples de recherches menées sous la direction de la pensée de Mao Zedong. Ces études ont pour autre caractéristique commune qu’elles sont les produits du travail collectif de groupes de recherches parmi lesquels les jeunes sont en forte majorité.

Dans ces activités collectives, la cellule du Parti communiste chinois joue un rôle important en unifiant et guidant le groupe, tant du point de vue idéologique que du point de vue scientifique, à la lumière de la pensée de Mao Zedong, de la politique du Comité central du Parti et des plans de recherche étroitement liés à l’édification socialiste du pays.

Les communications présentées par les membres de la délégation chinoise dans la section qui se consacrait à l’enseignement de la physique montrèrent aussi les caractéristiques de la pensée de Mao Zedong placée au poste de commandement.

On discuta les expériences et la compréhension des professeurs et des étudiants qui ont appliqué durant de longues années la politique éducative du Parti, nommément: « L’éducation doit servir la politique du prolétariat ; elle doit être combinée avec le travail productif. » Les rapports lus dans cette section avaient pour titres « Expérience du système mi-travail mi-étude en physique », « Expérience dans l’organisation des étudiants de physique pour les faire participer aux innovations techniques », « L’enseignement par « éclaircissement » — méthode où les étudiants apprennent tout seuls sous la direction du professeur », « Le «plan des expériences» en physique générale », « Une connaissance parfaite des points essentiels dans l’enseignement», etc.

L’exposition des appareils de démonstration pour la physique générale constituait une bonne illustration du principe de la con-fiance en soi, de l’intégration de la théorie à la pratique et une illustration de la réponse à l’appel lancé par le Parti pour « Oser penser, oser parler et oser agir ». Tout cela résulte de l’application de la pensée de Mao Zedong.

Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent en physique dans les quatre continents

Les communications présentées au Colloque ainsi que les discussions enthousiastes qui les ont suivies, tant au cours des réunions qu’après, ont symbolisé cette situation dans la-quelle « cent fleurs s’épanouissent et cent écoles rivalisent ».

Nous résumons ici les contributions apportées par des physiciens venus d’autres pays.

Dans le domaine des particules élémentaires, le professeur Shuzo Ogawa présenta un rapport sur « Les derniers développements de la théorie des particules élémentaires — sur le type Sakata ».

Sakata fut le premier physicien à voir que les particules élémentaires étaient divisibles et à concevoir un type de structure connu sous le nom de type Sakata.

Le professeur Ogawa étudia le premier les propriétés symétriques des particules élémentaires en faisant appel à la méthode du groupe unitaire unimodulaire à trois dimensions, désigné dans la théorie par le symbole SU(3).

Son rapport traite des récentes recherches effectuées au Japon sur le type Sakata. Le professeur Mikio Namiki parla de « La théorie des structures et des réactions de haute énergie des particules élémentaires ».

Le professeur Sachio Hayakawa présenta un rapport sur « Le développement des recherches sur les rayons cosmiques au Japon » et un autre sur « L’astrophysique nucléaire ».

Il y eut aussi un nombre relativement grand de rapports japonais sur différents aspects de la physique des particules élémentaires, sur les plans à la fois expérimental et théorique.

Beaucoup de leurs auteurs étaient de jeunes physiciens. Le professeur Abdus Salam du Pakistan présenta un rapport sur les récents travaux de l’Occident touchant les particules élémentaires. Il est connu pour avoir étendu la méthode de la théorie des groupes à U(12) et contribué au développement de la théorie de la symétrie phénoménologique des particules élémentaires.

Mais au Colloque il exprima l’opinion que la voie de développement futur de la physique des particules élémentaires était probablement de pénétrer la structure de ces mêmes particules.

D’autres communications sur les particules élémentaires et les rayons cosmiques furent présentées par des physiciens du Chili, du Mexique, de Ceylan et du Pakistan.

Dans le domaine de la physique nucléaire, le professeur Mokichiro Nogami présenta un rapport sur « L’interaction de deux noyaux atomiques — formation quasi moléculaire », alors que le Dr. Kiyomi Ikeda traita « Les états isobariques et la désintégration bêta ».

Yasukazu Yoshizawa, Keigo Nisimura et un certain nombre d’autres physiciens japonais présentèrent aussi leurs thèses au Colloque. Des communications furent également présentées par des délégués du Pakistan, du Chili, de la Syrie et de Ceylan. La communication cingalaise traitait des techniques radio-isotopiques en parasitologie.

Les communications présentées sur la physique des solides furent très variées et couvrirent plusieurs domaines. Le professeur Hiroshi Watanabe du Japon présenta une thèse sur « La théorie électronique du ferromagnétisme, du ferrimagnétisme et de l’antiferromagnétisme » et le professeur Tsunemaru Usui parla de « La dynamique du condensé statistique quantique ».

Il y eut d’autres rapports japonais sur le développement dans ce pays de la physique des plasmas et des recherches sur la fusion thermonucléaire contrôlée.

Le professeur coréen Jong Gie Sen présenta une communication sur « Le comportement de la friction interne des métaux en poudre agglomérés ». D’autres rapports furent présentés par des savants d’Algérie, d’Argentine, de Ceylan, d’Irak, du Maroc et de la R.A.U.

Dans la section de l’enseignement de la physique, les rapports comprenaient la large gamme de la politique éducative, des plans, des programmes et des méthodes d’enseignement. On discuta aussi de la relation entre l’enseignement des mathématiques et la préparation des jeunes physiciens.

On mit sur le tapis la question : « Quel est le problème fondamental dans le développement d’une science et d’une culture nationales dans les pays des quatre continents qui ont été pendant de longues années victimes de l’agression et de l’oppression impérialistes? »

Le problème fut présenté d’abord par un physicien argentin. La discussion conduisit à la conclusion : c’est en tout premier lieu un problème politique. Tant qu’on ne se sera pas débarrassé de l’impérialisme, du colonialisme et du néo-colonialisme, il ne peut exister de réelle indépendance nationale et aucune science ni culture nationales ne peuvent être développées.

Examinant la situation dans son pays, notre ami argentin a conclu que le problème fondamental de l’éducation n’est pas l’éducation même, mais un problème politique. On ne peut séparer l’éducation de la vie sociale, tout comme on ne peut séparer forme et contenu.

Le point de vue du physicien argentin reçut un accueil chaleureux. Un physicien de la Sierra Leone fit ressortir que beaucoup de pays africains ne peuvent résoudre leurs problèmes d’éducation qu’en extirpant l’impérialisme jusqu’en ses racines. Un physicien colombien montra que nous ne pouvons pas séparer la science de la vie sociale et que séparer physique et politique était une aberration.

Le chef de la délégation indonésienne, après avoir passé en revue les souffrances de son peuple aux différentes étapes de l’oppression impérialiste, aboutit à la conclusion que le développement d’une science et d’une culture nationales est inséparable de la révolution anti-impérialiste et anticolonialiste.

Il condamna avec véhémence le régime militaire fasciste actuel de l’Indonésie, soutenu par l’impérialisme américain, dans son oppression cruelle des hommes de science progressistes, et dénonça la pénétration culturelle de l’Indonésie par l’impérialisme américain.

Pour la solidarité, l’amitié et l’aide mutuelle et contre l’impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme dans le développement de la science et de la culture chez les peuples des quatre continents

Le Colloque de physique de l’été 1966 s’est déroulé dans son atmosphère traditionnelle de démocratie, d’égalité, d’amitié et de respect mutuel, qui s’était établie au Symposium de Pékin de 1964.

Toutes les fois que surgissaient des difficultés, comme on le vit dans les différences d’opinion sur la manière de conduire le Colloque, des consultations entre les membres sont venues les aplanir. Les participants de tous les pays, grands ou petits, avec des opinions politiques différentes, étaient tous les maîtres du Colloque.

L’esprit de consultation démocratique se manifeste clairement dans le communiqué adopté à l’unanimité par les hommes de science de toutes les délégations. Il exprime le fervent désir des hommes de science des quatre continents de multiplier leurs contacts bilatéraux et multi-latéraux et de contribuer à la convocation du Symposium de Pékin de 1968.

Il réaffirme la nécessité de s’opposer d’abord à l’impérialisme, au colonialisme et au néo-colonialisme pour développer la science et la culture nationales des peuples des quatre continents. Il exprime leur ferme croyance, basée sur les réalisations du Colloque, que les peuples et les hommes de science des quatre continents, maintenant réveillés, nourrissent la haute ambition de maîtriser les sciences et les techniques les plus avancées et possèdent les capacités et la confiance en soi nécessaires pour y parvenir.

Les hommes de science sont tous parfaitement convaincus de la grande importance du Colloque pour promouvoir de nouveaux progrès en physique.

Quels ont été les sentiments et les réflexions des physiciens qui ont pris part à ce Colloque et visité la République populaire de Chine? Pour la plupart, c’était leur première visite. En raison des obstacles placés sur leur chemin par les impérialistes américains et les réactionnaires, nombre d’entre eux durent surmonter de sérieuses difficultés pour venir en Chine.

Nos hôtes ont été invités, avant et après le Colloque, à visiter nos communes populaires, nos usines, nos universités et nos instituts de recherche. Ils ont été invités, le 22 juillet, à assister à un rassemblement d’un million de personnes sur la place Tien An Men pour soutenir le Vietnam contre l’impérialisme yankee.

Ainsi nos amis ont eu l’occasion de voir notre peuple en action dans divers secteurs de notre vie nationale : politique, industriel, agricole, scientifique et culturel.

A la cérémonie de clôture, le chef de la délégation d’Argentine a affirmé: « Nous sommes profondément émus par tout ce que nous avons constaté et qui nous confond ; nous sommes parvenus à comprendre ce qu’est réellement un pays socialiste en marche.

Nous sommes profondément convaincus que la grande transformation sociale de la Chine est irréversible et qu’en ce pays l’envahisseur impérialiste ne peut trouver que sa tombe. »

Le chef de la délégation cambodgienne a fait remarquer à la séance de clôture que les physiciens chinois avaient appliqué avec succès la pensée directrice dû président Mao Zedong dans leurs recherches et leur travail d’enseignement.

Un physicien colombien a émis une opinion semblable. La délégation colombienne, a-t-il déclaré, a pu admirer sur place le miracle opéré sur le peuple chinois par la brillante sagesse du président Mao Zedong, un miracle qui se manifeste par sa capacité de travail, d’organisation et de réalisation.

Le chef de la délégation japonaise a déclaré que les énormes succès obtenus en physique par les chercheurs de la République populaire de Chine dans divers domaines spécialisés ont fortement impressionné la délégation japonaise.

Touchant le Colloque lui-même, le chef de la délégation irakienne a souligné que l’atmosphère amicale et le désir, d’apprendre les uns auprès des autres ont permis aux participants des différents pays, en dépit de la diversité des opinions politiques et des croyances religieuses, de faire de ce Colloque de physique un grand succès.

Le chef de la délégation de la R.A.U. a fait remarquer que c’était la nature des pays participants qui avait contribué à la réussite du Colloque. L’écrasante majorité d’entre eux se compose de nouveaux pays montants et beaucoup de leurs problèmes sont semblables, car ils ont tous soufferts de l’oppression colonialiste et de l’exploitation impérialiste.

Le chef de la délégation vietnamienne a mentionné que les hommes de science de nos quatre continents sont étroitement unis dans leur lutte commune contre l’impérialisme et le colonialisme, pour l’indépendance nationale, la paix et le progrès social et qu’ils sont justement unis par leur désir commun et leur détermination commune de mettre la science au service de la vie et du bonheur des peuples.

Dans son jugement sur le Colloque, le chef de la délégation de la Sierra Leone a dit sa ferme conviction que le succès de celui-ci demeurera dans l’histoire comme l’une des plus grandes épopées de l’effort humain.

La grande majorité des physiciens participant au Colloque ont exprimé leur profonde indignation contre l’agression barbare et le bombardement éhonté dont le peuple vietnamien est victime de la part de l’impérialisme américain et affirmé leur ferme soutien à la juste lutte du peuple et des hommes de science vietnamiens.

Président Mao, vous êtes le soleil qui ne se couche jamais dans les cœurs des peuples du monde

Comme le Colloque tirait à sa fin, les hommes de science des différents pays ne souhaitaient qu’une seule et même chose : si nous pouvions voir le président Mao, le grand dirigeant du peuple chinois, quelle joie ce serait pour nous! Leur vœux s’est réalisé. Le président Mao a trouvé le temps de recevoir les hommes de science qui avaient participé au Colloque.

Le 31 juillet, à 22 heures, il a rencontré les hommes de science des quatre continents et, sous les brillantes lumières de la grande salle, s’est dirigé vers eux d’un pas ferme, levant et agitant les mains pour les saluer.

En voyant le grand dirigeant si ad-miré par le monde entier et qu’ils avaient tant désiré rencontrer, ils furent enthousiasmés au point qu’ils ne savaient comment exprimer leurs sentiments. Soudain les cris: « Vive le président Mao! Longue, très lon-gue vie au président Mao! Vive le Parti communiste chinois! » éclatèrent dans toutes les langues, tandis que les amis de races différentes qui venaient de divers pays exprimaient le sentiment profond qui jaillissait de leurs cœurs.

Pendant que les hommes de science criaient et applaudissaient, la grande salle tout entière vibrait d’une inexprimable joie. Le président Mao fut photographié au milieu des physiciens et, comme il quittait la salle, ceux-ci se présentèrent à lui pour lui serrer la main, en criant de nouveau: « Vive le président Mao! Très longue vie au président Mao! »

Après son départ, nos amis s’attardèrent quelques instants dans la salle qu’ils ne quittèrent qu’à regret en se rappelant l’heureux instant passé en compagnie du président Mao.

Ce fut comme une grande vague de bonheur et de joie ! Comment pouvaient-ils ne pas se sentir heureux ? Ne pas se sentir chanceux ? C’était une rencontre avec le grand dirigeant du peuple chinois, une rencontre avec le grand dirigeant et le porte-drapeau des peuples révolutionnaires du monde !

Quand le Dr. Mohammed Kashif Al-Ghita, chef de la délégation irakienne, arriva pour la première fois à Pékin, il déclara qu’il ne retournerait pas chez lui à moins d’avoir vu le président Mao. Maintenant il l’avait vu. Il était si enthousiasmé pendant la rencontre que ses vêtements étaient trempés de sueur.

« Le président Mao, dit-il, n’est pas seulement à vous, mais aussi à nous et à tous les peuples du monde. Vous devez être fiers de lui, il est le plus grand homme d’aujourd’hui! » Au même moment, le professeur Germanico Barragan de l’Équateur était si ému que des larmes lui montèrent aux yeux et y demeurèrent tandis qu’il rentrait en voiture à son hôtel. « C’est trop de joie, d’honneur pour moi! » Tel était le cri unanime qui jaillissait du cœur des amis des quatre continents.

C’était ce souvenir, le plus beau, le plus heureux, qu’ils voulaient emporter chez eux pour le raconter à leur famille, à leurs amis et connaissances afin de leur faire partager leur joie et leur bonheur.

C’est bien compréhensible, car, d’après le Dr. Mentalecheta Youcef, chef de la délégation algérienne, le président Mao est la plus grande figure de l’histoire universelle. Que le dirigeant d’un pays puisse obtenir la confiance complète et l’amour illimité de 700 millions de personnes, que sa pensée puisse être assimilée par elles et que l’application de cette pensée à tous les domaines ait conduit à d’aussi brillantes réalisations, voilà qui est rare dans l’histoire du genre humain.

Un physicien chilien déclara: « Maintenant les révolutionnaires du monde tournent leurs regards vers le président Mao, vers le Parti communiste chinois et vers le grand peuple chinois. Le président Mao est devenu le phare de la révolution populaire mondiale.

Si les peuples du monde suivent la direction qu’il leur montre, alors certainement la révolution mondiale progressera par grands bonds en avant. J’ai la plus haute estime pour le président Mao.

C’est qu’il a développé le marxisme-léninisme sur le plan politique comme pour la stratégie militaire. Il a apporté une contribution remarquable à la révolution populaire mondiale.

Il nous enseigne que l’impérialisme et tous les réactionnaires sont des tigres en papier, c’est bien en effet la conception stratégique et tactique la plus juste. Les peuples révolutionnaires du monde entier ont besoin d’un marxiste talentueux et créateur de l’envergure du président Mao. »

Toutes les langues des différents pays exprimaient ces sentiments cordiaux et faisaient entendre à l’unisson non seulement la voix des hommes de science des quatre continents, mais aussi celle des peuples révolutionnaires du monde entier: « Président Mao, vous êtes le soleil qui ne se couche jamais dans nos cœurs ! »

C’est ainsi que se termina le Colloque de physique de l’été 1966, organisé sous les auspices du Symposium de Pékin.

Il marque une nouvelle pierre milliaire dans l’histoire de la science.