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  • La tendance Cachin – Frossard au congrès de Tours en 1920

    La tendance favorable à l’adhésion immédiate à l’Internationale Communiste est représentée par Marcel Cachin et Ludovic-Oscar Frossard. Ils forment le noyau dur de la nouvelle direction qui a émergé en 1918.

    Ludovic-Oscar Frossard est le nouveau secrétaire, remplaçant Louis Dubreuilh qui était à ce poste depuis la fondation du Parti en 1905. Marcel Cachin dirige le quotidien, l’Humanité, remplaçant Pierre Renaudel, en poste depuis 1914 et l’assassinat de Jean Jaurès.

    Ludovic-Oscar Frossard

    Ils ont été à Moscou au second congrès de l’Internationale Communiste en juillet 1920 ; s’ils n’ont pas pu y assister en entier – ratant la question de l’organisation, avec les 21 conditions – ils ont été très impressionnés. Pour eux, l’adhésion à l’Internationale Communiste relève de l’inéluctable.

    Il ne s’agit pas d’une adhésion au bolchevisme, mais d’un raisonnement implacable : le passé a montré les limites d’une ancienne forme, certains ont réussi à débloquer la situation, il faut en être.

    Ludovic-Oscar Frossard résume tout à fait ce pragmatisme en disant au congrès de Tours :

    « La IIe Internationale est morte, non parce qu’elle n’a pas empêché la guerre, mais parce qu’elle a oublié pendant la guerre le devoir précis qui lui incombait. (Vifs applaudissements.)

    La faillite de la IIe Internationale, ce n’est pas au 2 août 1914 qu’elle commence. S’il y a eu faillite ce jour-là, c’est celle du prolétariat international. (Applaudissements.) »

    Marcel Cachin, qui a été pour l’Union Sacrée en 1914, ne dit pas autre chose. S’il est d’une immense ferveur lorsqu’il parle de la Russie soviétique qu’il a visitée, son regard reste pragmatique : il faut selon lui suivre les bolcheviks, car ils ont réussi.

    C’est une réduction techniciste du bolchevisme qui est absolument typique en France : au congrès de Tours, tout le monde voit les bolcheviks comme des socialistes implacables dans l’organisation et les décisions, et certains trouvent cela bien, d’autres mal.

    Marcel Cachin trouve cela bien, ce qu’il dit au congrès reflète parfaitement une incompréhension complète du principe de combat idéologique, de direction idéologique, au profit d’une lecture en terme de « dureté » :

    « Je sais quels sont les procédés de violente polémique des révolutionnaires de Russie. Ils ne les emploient pas spécialement contre nous ; ils les ont employés contre eux-mêmes traditionnellement, si j’ose dire.

    Il serait très aisé de retrouver dans leurs journaux des outrages du même genre, peut-être pis encore, contre ceux qui jouent le rôle le plus éminent dans la Révolution présente.

    J’avoue qu’à notre premier contact et à la première lecture de leur littérature, certaines expressions me choquaient aussi.

    Et j’avoue qu’à l’heure actuelle – vous en penserez ce que vous voudrez – à l’habitude de cette lecture j’ai pris celle de ne pas m’attacher à quelques expressions brutales, à quelques violences verbales.

    J’ai pris cette habitude parce que je sais que si ces hommes ont employé contre un grand nombre de socialistes des violences souvent injustes, ils ne l’ont fait que pour assurer un recrutement de plus en plus rigoureux, vigoureux, énergique, pour la bataille et pour l’action.

    Ce n’était pas seulement pour le plaisir d’outrager ou de violenter, comme vous les savez.

    Vous savez comment ils ont sélectionné leur parti, comment ils l’ont composé, de quelle façon brutale ils ont en effet chassé un certain nombre de ceux sur lesquels ils ne croyaient pas pouvoir compter d’une façon absolue pour leur action.

    Mais vous avez vu aussi qu’au terme de l’histoire de ce parti ils ont accompli – confessez-le – le plus grand geste de l’histoire moderne. »

    Marcel Cachin insiste d’ailleurs sur le fait que le bolchevisme a été capable de mettre les masses en mouvements pour des initiatives, malgré les terribles conditions. Il ne comprend strictement rien au fait que tout relève de décisions idéologiques – pour lui, tout est décidé sur le tas, en raison des situations, afin de simplement faire face.

    Marcel Cachin intervenant au congrès de Tours

    Pour lui, le bolchevisme a établi une machinerie destinée à vaincre :

    « Le Parti russe a su, au cours de sa longue et tragique histoire, se forger une discipline qui lui a assuré la victoire, il y a trois ans ; c’est encore sa méthode ferme et énergique, à laquelle se soumettent volontairement ses militants depuis les plus obscurs jusqu’aux plus éminents, qui lui garantit sa puissance actuelle.

    Il sait utiliser les valeurs. Il peut disposer de tous ses membres pour leur commander les besognes les plus périlleuses, et nul ne peut ni ne veut se soustraire aux obligations qu’il a librement consenties.

    Dans cette période de guerre civile et de guerre étrangère qui lui sont imposées depuis trois années, le nombre de victimes bénévoles du Parti bolcheviste est extrêmement élevé. Ils se sont habitués à sacrifier pour répondre à l’appel de l’organisation, non seulement leurs habitudes, leurs intérêts, leurs familles mêmes, mais leur vie elle-même lorsque les circonstances l’exigent.

    Je ne dis pas que nous soyons à la veille, en notre pays, de dresser une organisation aussi parfaite ; il est temps tout de même que nous fassions un grand effort en cette voie. »

    Cette lecture tout à fait erronée va de pair avec une vraie volonté de voir le socialisme triompher. Son élan est tel qu’après son discours au congrès de Tours, de nombreuses demandes arrivent au bureau du congrès pour que celui-ci soit édité en brochure, ce qui est immédiatement décidé à la fin de la prise de parole.

    Cette décision sera répétée plusieurs fois par la suite dans le congrès, mais le fait est que le discours de Marcel Cachin a véritablement donné le ton du côté des partisans de la IIIe Internationale.

    Marcel Cachin en 1918

    On a un bon aperçu de ce sentimentalisme révolutionnaire, mêlant ferveur et espoir, authenticité et idéalisme, dans ce qu’il écrit en août dans son carnet, alors qu’il avait été en Russie en avril 1917 initialement pour demander que celle-ci continue la guerre :

    « Il faut agir dans le sens de Moscou, car d’abord ils ont montré le chemin et ont déjà accompli une moitié de leur tâche, celle qui est la moins aisée, la destruction du régime de l’argent. Et d’avoir agi leur confère un prestige immense et légitime. Puis, ils sont restés dans la tradition révolutionnaire des temps modernes.

    Ils sont nourris de la révolution française. Et ils sont nourris de Marx, d’Engels, des enseignements de la Commune. Ils sont la vie, l’avenir : ils ont frayé une voie nouvelle à l’humanité. Sans faiblir, sans fléchir, une voie farouche, ils vont de l’avant ». 

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  • Le congrès de Tours et l’affrontement quant à la question de l’adhésion à l’Internationale Communiste

    Le 18e congrès de la SFIO s’est tenu du 25 au 30 décembre 1920 à Tours ; il est le prolongement direct du congrès précédent, qui s’est tenu à Strasbourg, sur le plan des idées, et bien entendu en ce qui concerne le principe fédéral. On a des délégués d’une fédération votant dans un sens, d’autres dans un autre sens ; la tradition est celle, socialiste, du Parti comme lieu de convergence.

    Cependant, la base s’est cependant élargie, d’environ 30 %. Il y a un engouement et une attraction toujours plus grande pour la révolution russe, alors que l’Internationale Communiste, très faible à sa fondation, gagne en ampleur et en organisation : la tenue de son second congrès, en juillet 1920, bouleverse littéralement l’impression qu’on a d’elle.

    C’en est fini de l’hypothèse, dominante à Strasbourg, du mouvement ouvrier français comme îlot préservé des tempêtes sur la carte du socialisme international. La question se pose simplement : se mettre à l’heure de Moscou, ou pas. Le second congrès de l’Internationale Communiste a une aura telle que l’issue semble d’ailleurs inéluctable et les opposants à l’adhésion à la nouvelle Internationale savent dès le milieu de l’année que tout est plié pour eux.

    Cela va leur laisser d’autant plus le temps de mettre en place un stratagème ingénieux pour torpiller le congrès de Tours. Cela va être facilité par le dédoublement des deux tendances en présence.

    Le congrès de Tours de la SFIO en 1920

    On a ainsi comme tendance principale celle de Marcel Cachin et de Ludovic-Oscar Frossard, qui est pour l’adhésion immédiate à l’Internationale Communiste, et celle de Jean Longuet et Paul Faure, qui s’y oppose.

    Cependant, la première tendance se voit dédoublée par celle de Georges Leroy et Maurice Heine, deux syndicalistes révolutionnaires ayant participé à l’aventure du « Parti Communiste » – « Fédération Communiste des Soviets ». Ils considèrent qu’il faut affirmer bien davantage la rupture avec la droite et le centre du Parti ; dans les faits, il s’agit en fait surtout d’une tentative de prendre le contrôle de la direction en se présentant comme les seuls ayant été vraiment en rupture depuis le départ.

    La seconde tendance est, elle, dédoublée par celle de Léon Blum et Dominique Paoli. Tout comme la motion Leroy – Heine se veut la motion Cachin – Frossard en plus poussée, la motion Blum – Paoli se veut la motion Longuet – Paul Faure en plus dure, en plus anti-bolchevik.

    L’ambiance est ici paradoxale : d’un côté il y a l’habituelle fraternité socialiste dépassant les tendances, dans une perspective de cohabitation et d’acceptation des autres tendances même si on les récuse, etc. De l’autre, les contradictions sont trop fortes et imposent les antagonismes.

    Paul Vaillant-Couturier résume la situation de la manière suivante. Lui-même avait participé à toute la guerre mondiale de manière très volontaire (cinq citations à l’ordre de l’armée, médaille militaire, Croix de guerre 1914-1918), mais en était sorti socialiste convaincu et il deviendra une grande figure des communistes.

    Paul Vaillant-Couturier en 1921

    Il fut d’ailleurs extrêmement populaire ; à son décès en 1937 à 45 ans, des centaines de milliers de personnes accompagnent le cercueil à travers Paris, avant le Père-Lachaise (il fut le premier communiste enterré là-bas, ce qui ouvrit une tradition par la suite).

    « Il ne s’agit plus de donner à une motion le nom d’un homme, mais d’en regarder l’esprit, de voir quelle est la grande crise qui nous divise.

    Il y a ici des hommes qui ne peuvent plus collaborer dans le même parti. Il faut le dire.

    Quelque douleur que nous ayons à l’avouer, il y a ici des hommes qui ne peuvent plus travailler ensemble. Ils se retrouveront peut-être sur certains terrains pour des actions communes.

    Je serais désolé de penser que je ne me rencontrerai pas parfois avec mes camarades Sembat, Bracke, Boncour, pour mener certaines batailles.

    J’espère, lorsque les batailles de cette nature viendront, que, contrairement à l’expérience de l’histoire, les social-patriotes ne seront pas du côté de la bourgeoisie pour nous faire la guerre.

    Je compte sur eux pour qu’ils évitent ce geste, contrairement à l’expérience de l’histoire. Mais je ne me fais pas d’illusions, je sais que certains d’entre eux vont être entraînés, attirés par le flot bourgeois, malgré eux.

    Je sais que cela doit arriver fatalement ; je sais que la bourgeoisie, à l’issue de ce Congrès, tournant des yeux attendris vers vous, va vous couvrir de fleurs. (Applaudissements.)

    Je sais que cela se produira fatalement. Mais j’espère que vous aurez la force d’âme de résister au chant de toutes ces sirènes… (Mouvements divers.)

    Je ne désespère pas de voir certains d’entre vous, éclairés par les faits, revenir vers nous, car un homme peut toujours s’être trompé, car un homme peut toujours avoir eu des illusions sur ce qui était son devoir. »

    Ce qui est flagrant, tout au long du congrès de Tours, c’est que personne ne voulait la scission, tout le monde affirme vouloir l’éviter.

    En même temps, il y avait deux camps exprimant deux orientations opposées : en pratique, le Parti socialiste SFIO se retrouvait piégé par l’Histoire, réfutait ce piège, mais devait en sortir coûte que coûte pour subsister dans un sens ou dans un autre.

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  • Du Parti socialiste SFIO au Parti Communiste SFIC: un saut qualitatif extrêmement tourmenté

    L’adhésion du Parti socialiste SFIO à l’Internationale Communiste lors du congrès de Tours de décembre 1920 reflète un parcours très compliqué en cette direction ; ce fut tellement le cas qu’au sens strict, la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste est plus symbolique qu’autre chose.

    Les raisons à cela sont multiples et se combinent.

    1. Tout d’abord, le Parti socialiste SFIO est étranger à la tradition social-démocrate. Il ne fait pas du marxisme ni sa référence systématique, ni sa doctrine en tant que tel. Il n’a pas de système de pensée fermé, mais un style : l’union de tous les « socialistes » voulant dépasser le capitalisme, quelles que soient leurs approches, quels que soient leurs choix, etc.

    Le Parti vit à côté du syndicat – la CGT – et admet la séparation des deux entités, sans parler de la subordination du syndicat au Parti, inconcevable pour les syndicalistes et même pour les socialistes.

    Comme le bolchevisme est une évolution de la social-démocratie russe, il aurait fallu que le Parti socialiste SFIO passe à la tradition social-démocrate puis au bolchevisme. Cela ne fut nullement vu.

    La conséquence, on s’en doute, est que rapidement les socialistes pro-IIIe Internationale s’apercevront qu’ils se sont fourvoyés ; bien souvent ils refuseront de se remettre en cause et ils partiront. Les années suivant la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste sont marquées par des départs en série, y compris au plus haut niveau.

    Le chef de file des partisans de la IIIe Internationale lors du congrès de Tours, Ludovic-Oscar Frossard, qui devint le premier dirigeant historique de la Section Française de l’Internationale Communiste, démissionnera dès janvier 1923, pour rejoindre la Section Française de l’Internationale Ouvrière « maintenue ».

    2. Le problème qu’on a avec les anciens socialistes est également valable pour les nouveaux adhérents, arrivés en 1919-1920 en ayant l’impression qu’être en phase avec la révolution russe, c’était adopter le style « socialiste ». Les exigences de la IIIe Internationale n’en apparaîtront que plus rudes.

    En 1919, le Parti socialiste SFIO a autour de 130 000 adhérents ; en 1920, au congrès de Tours, il s’appuie sur 178 372 adhérents.

    En 1921, la Section Française de l’Internationale Communiste a 109 391 adhérents ; en 1922 elle n’en a plus que 78 828. En 1923, elle n’en a plus qu’autour de 45 000.

    En 1924, elle en a 70 000, pour retomber à 60 000 en 1925. Il y a 55 000 adhérents en 1926, 54 000 en 1927, 52 000 en 1928, chiffre qui restera grosso modo le même jusqu’en 1934. Et encore faut-il considérer que seule une moitié des adhérents est réellement active.

    La Section Française de l’Internationale Communiste a été un lieu de projection et il y a une incapacité majeure des gens la rejoignant à s’adapter aux exigences de l’Internationale Communiste.

    3. Les délégués présents au congrès de Tours ne représentaient, de fait, pas réellement les adhérents. Eux-mêmes l’expliquent lors des présentations des votes sur la IIIe Internationale dans chaque Fédération : une grande partie des adhérents n’a tout simplement pas participé !

    De plus, ceux qui ont participé ne savaient pas exactement de quoi il en retournait. Nombre de Fédérations votent pour la IIIe Internationale… tout en soulignant l’exigence de l’unité et en réfutant toute exclusion de la minorité. C’est là une incompréhension totale du bolchevisme, des 21 conditions pour l’adhésion à la IIIe Internationale.

    La majorité de la Fédération socialiste de l’Ain, par la voix de René Nicod, proposa ainsi une motion d’ajournement, avec comme motif le constat tout à fait réaliste comme quoi :

    « L’effondrement de l’unité socialiste serait en France la première défaite de l’Internationale socialiste et la première grande victoire de la bourgeoisie capitaliste.

    Si ce n’est pas le Parti tout entier, mais si c’est un parti amputé qui entre à l’Internationale d’action désirable – que ce soit la IIIe ou que soit une autre – la portée de cet événement sera considérablement amoindrie.

    Or, le Parti socialiste constate que sur cette question particulière de l’adhésion ou de la non-adhésion à la IIIe Internationale, ses militants les plus qualifiés, ceux qui sont les plus imprégnés de sa doctrine, ceux qui sont les plus fidèles à sa tradition, sont presque partout en complet désaccord quant à la valeur socialiste ou à l’opportunité d’une décision immédiate.

    Ce désaccord, qui oppose artificiellement des hommes qui, hier encore, semblaient en parfaite communion d’idées quant à la doctrine, à l’organisation, aux méthodes de propagande et d’action du Parti, est dû à ce que les thèses de Moscou et les conditions préalables posées à l’adhésion de la IIIe Internationale n’ont généralement pas été étudiées et jugées en elles-mêmes, mais en fonction de ce grand événement qu’est la Révolution russe. »

    Cette motion visait dans les faits à temporiser en faveur d’une unité des restes de la seconde Internationale (qui deviendra ce qu’on appellera la « seconde et demie », avec Vienne comme centre névralgique) et de la IIIe Internationale. Ce n’était là pas réaliste, mais cela reflète l’approche « socialiste », incapable de saisir les choses de manière idéologique.

    D’ailleurs, l’ensemble du Parti socialiste SFIO est grosso modo en accord avec cette approche. Même les partisans de la IIIe Internationale soulignent que, finalement, l’adhésion à celle-ci ne changera pas immédiatement quoi que ce soit, qu’il n’y aura pas d’expulsions de membres, que les traditions sont préservées : elles seraient simplement améliorées, le bolchevisme étant une technique, une « exigence », etc.

    4. Les seuls qui avaient réellement compris les exigences du bolchevisme s’y opposaient. Sachant qu’ils allaient être en minorité au congrès de Tours, ils ont savonné la planche, préparé la scission de manière particulièrement machiavélique afin de passer pour des martyrs du sectarisme et du dogmatisme. Le plan réussira à merveille, les partisans de la IIIe Internationale, plus volontaires qu’autre chose, ne remarqueront même pas comment ils se font piégés.

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  • Parti Communiste, crise générale, démocratie populaire

    L’Histoire est l’histoire de la lutte des classes et le Parti Communiste est l’organisation des gens ayant justement compris le sens de l’histoire. Il ne s’agit pas d’une idée révolutionnaire plaquée abstraitement sur une société, ou même de grandes réformes élaborées de manière théorique et qu’on voudrait voir être instaurées.

    Le Parti Communiste pose son regard au moyen d’une grille historique : il définit la situation, les tâches et agit conformément à la lutte des classes, qui historiquement marque le passage du capitalisme au socialisme.

    Il fait face à l’opportunisme, qui profite du fait que certaines choses ne soient pas encore possibles pour prôner un soutien au capitalisme ; il fait face au gauchisme qui veut forcer le cours de l’histoire au moyen de méthodes se voyant attribuées des propriétés littéralement magiques.

    Au-delà de ces considérations générales, il faut voir en quoi le Parti Communiste est le produit d’une époque… le produit de son époque. Il est en effet incarné ; ce sont des êtres de chair qui le composent, qui l’ont forgé, qui sont forgés par lui. Étant donné qu’il est composé d’êtres concrets, de militants, de cadres, d’une direction, sur la base d’une pensée ayant synthétisé la nature du pays concerné… c’est tout un processus historique complexe, dont le cheminement n’est pas linéaire.

    Au cours de ce processus, à la base, il y a le noyau dur, qui voit le chemin et qui agit en tant que Parti pour le Parti. Ce sont des gens qui ont compris les caractéristiques générales de la période historique, qui ont participé à la lutte des classes de leur pays et en ont saisi les traits généraux. Ce noyau est déjà le Parti et il ne l’est pas encore, car il représente la substance du Parti, qui cependant doit encore se conjuguer avec les luttes de classes pour produire l’Histoire.

    Il est tout à fait possible que l’Histoire ne soit, en certains cas, pas au rendez-vous, ce qui fait qu’il y a de la lutte de classes, mais pas selon les modalités attendues. En Allemagne de l’Ouest, au début des années 1970, la Fraction Armée Rouge naît par exemple de ce constat d’impossibilité de la révolution à court et moyen terme, de par les conditions historiques alors. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait rien à faire, cependant l’ambition est forcément moins grande de par un telle analyse qui montre que la situation oblige les communistes à rester particulièrement isolés.

    Heureusement, nous échappons en 2020 en France à un tel triste constat, ou plus exactement nous commençons à y échapper. La raison, c’est l’irruption de la seconde crise générale du capitalisme.

    Le PCF(mlm) a affirmé que l’irruption du COVID-19 correspondait à l’expression d’une nouvelle crise générale du capitalisme. La première crise générale du capitalisme avait ,comme aspect principal, la contradiction entre le travail manuel et le travail intellectuel : la bourgeoisie totalement aux commandes avait mené les travailleurs à la boucherie de 1914-1918, mais heureusement les bolcheviks avaient saisi la situation et mené les travailleurs au pouvoir en Russie.

    La seconde crise générale du capitalisme a de son côté, comme aspect principal, la contradiction entre villes et campagnes : le capitalisme élancé au niveau mondial provoque une urbanisation qui défigure la Biosphère planétaire et provoque des catastrophes sanitaires, dont celle du COVID-19 qui a littéralement provoqué de lourds blocages économiques et politiques.

    Le mode de production capitaliste est rentré dans le mur et c’est cela qui justifie le Parti Communiste. Le Parti Communiste Français a été le Parti à la suite de la première crise générale, le PCF(mlm) sera celui de la seconde.

    Mais comment réussir là où le Parti Communiste Français a échoué ? Justement en comprenant mieux la seconde crise générale que le Parti Communiste Français n’avait compris la première.

    Rappelons les faits. Le Parti Communiste Français avait très bien compris le Front populaire, dont il a été l’initiateur concret. Il a été toutefois incapable de prolonger le tir, ce qui s’est vu dans le réformisme de Maurice Thorez, le dirigeant du Parti Communiste Français du tout début des années 1930 au début des années 1960. Au lieu d’en arriver à la Démocratie populaire, le Parti Communiste Français a cherché à démocratiser le capitalisme. Il s’est donc inscrit dans les institutions. Il s’est fait engloutir.

    Alors, pour se justifier, il a mis en avant la théorie du « Capitalisme Monopoliste d’État » : l’État serait devenu neutre, il aurait fusionné avec les grands capitalistes, il faudrait l’arracher à ceux-ci et le démocratiser.

    C’est là du révisionnisme. Le PCF(mlm) l’a compris et a par conséquent réactivé l’affirmation de la nécessité de la Démocratie populaire, en se réappropriant les enseignements de l’Internationale Communiste et de Staline, en revenant à la source. Ce fut un processus complexe, une bataille pour la récupération des fondamentaux, un travail de fond idéologique de grande ampleur.

    Qu’est-ce que la Démocratie populaire ? C’est l’unité des forces anti-monopolistes. Il ne s’agit pas de réaliser le socialisme, il s’agit d’unir les forces refusant le pouvoir des monopoles et ses menées guerrières. On l’aura compris : la notion de Démocratie populaire est éminemment défensive ; elle est dialectiquement le pendant de la révolution. S’il y a une offensive alors on peut faire la révolution ; si on ne peut pas, que le capitalisme a l’initiative, il faut la Démocratie populaire.

    Comment le capitalisme peut-il avoir l’initiative ? En allant vers la guerre impérialiste par la mobilisation populaire au moyen du fascisme. C’est la fuite en avant de la bourgeoisie passée sous la direction de sa partie la plus agressive, la plus puissante, celle des monopoles.

    Ce processus était extrêmement puissant dans les années 1920-1930 en raison de la crise générale du capitalisme produite par la première guerre mondiale et la révolution russe d’octobre 1917. Le capitalisme était en perdition et pour s’en sortir, chaque pays allait à la confrontation. Les communistes allemands, autrichiens et italiens, pour ne mentionner que les cas les plus connus, se sont faits littéralement déborder par ce processus.

    Pourquoi le PCF(mlm) affirme-t-il qu’il faut la Démocratie populaire ? Pourquoi adopter une position défensive ? La raison en est que dans les métropoles impérialistes, le 24 heures sur 24 du capitalisme a littéralement lessivé le mouvement ouvrier. En 2020, le niveau de conscience est pratiquement nul, le degré de corruption immense. Que ce soit sur le plan des idées, de l’organisation, de tout ce qu’on voudra, les masses populaires sont en-dessous de tout. Elles sont emprisonnées dans le capitalisme.

    Il suffit de voir les gilets jaunes, un mouvement petit-bourgeois radicalisé, sans base ni envergure puisque petit-bourgeois. Qu’un tel mouvement puisse exister en dit long sur le vide complet qui caractérise la situation française. Les syndicalistes tentent des coups de force sans y arriver, les anarchistes cassent des vitrines et tout s’arrête là, alors qu’une partie des masses est attirée par l’extrême-droite pour espérer qu’un capitalisme national les aidera à s’en sortir.

    Le processus est bien entendu contradictoire, mais dans tous les cas il est évident que le processus de reconstruction du camp des travailleurs va être particulièrement douloureux, étant donné tous les sacrifices à réaliser. Il y a une certaine expérience du conflit social, mais aucune perspective de lutte de classe consciente et il n’y a de ce fait ni détermination, ni engagement, ni participation de la classe ouvrière à quoi que ce soit pour l’instant.

    Tout cela va changer, mais cela implique une transformation très exigeante, qui devra se produire dans un contexte très difficile. Autant dire que c’est une position défensive, alors que du côté du capitalisme, il y a une longue expérience du pouvoir, un État à son service, un processus d’entraînement dans la compétition impérialiste internationale, dont la confrontation sino-américaine, c’est-à-dire la bataille de la superpuissance hégémonique contre la superpuissance en devenir cherchant à prendre directement la première place, est l’aspect principal.

    La ligne n’est donc pas celle de promouvoir directement la révolution, une chose qui apparaît clairement impossible. La ligne est de mettre en place les vecteurs démocratiques populaires forgeant un contre-pouvoir face à ce qui caractérise le capitalisme en crise : l’effondrement de la société sur elle-même et sa reprise en main par en haut.

    La difficulté est d’à la fois lutter contre la décadence et d’également lutter contre ce qui prétend lutter contre cette tendance. Le capitalisme en crise, c’est en effet l’individualisme, les idéologies relativistes allant jusqu’à nier la réalité biologique humaine, l’affirmation des « libertés » absolues de l’individu à faire ce qu’il entend comme il l’entend… et en même temps une mobilisation collective sur une base nationaliste, avec une militarisation généralisée accompagnant l’avancée vers la guerre impérialiste.

    Autrement dit, c’est en comprenant les modalités de la crise générale que le Parti Communiste se construit, parallèlement à la crise, comme réponse historique à la crise. Il n’est pas un produit de la lutte de classes en général ou d’activités en particulier. Il suit une ligne historique qui est celle de la crise. C’est parce qu’ils n’ont pas compris ces modalités que les communistes ont échoué en Europe dans les années 1920-1930, à un moment la crise les a dépassés.

  • 20 thèses pour la démocratie populaire

    Version de novembre 2019. Texte disponible au format pdf.

    1.

    Il y a deux faits marquants sur le plan des tendances à l’échelle mondiale. Le premier est l’émergence d’une idéologie libérale cosmopolite affirmant le caractère irréductiblement différent de chaque individu. C’est là le reflet de la diffusion renforcée du capital au-delà de toutes frontières politiques, économiques, sociales, culturelles, etc., c’est-à-dire la « mondialisation ». Le second phénomène est un repli identitaire, une crispation générale sur la base nationale, avec un esprit agressif d’égoïsme et de compétition. C’est là le reflet de la concurrence capitaliste mondiale.

    2.

    Les forces révolutionnaires sont pratiquement inexistantes dans un tel contexte, car elles sont coincées entre un « progressisme » appuyant le libéralisme et un conservatisme aux prétentions sociales. À cet espace particulièrement restreint s’ajoute le fait que lors du grand cycle d’accumulation capitaliste commencé en 1945, la tentative de construire des avant-gardes révolutionnaires durant la période 1960-1980 a échoué, ce qui renforce d’autant plus les faiblesses et l’isolement.

    3.

    Le capitalisme a des besoins contradictoires. D’un côté, il a tout à fait besoin que le marché se développe, alors que de l’autre, il y a des bases capitalistes en concurrence qui vont à l’affrontement pour maintenir ou conquérir une position monopoliste, principalement les États-Unis et la Chine. La thèse communiste est que l’aspect principal de la situation mondiale est la concurrence et non l’établissement du marché mondial unifié ; la thèse sociale-réformiste prétend que c’est l’établissement du marché mondial unifié et non la guerre, celle-ci étant évitable.

    4.

    Les masses des pays capitalistes ont subi l’atomisation propre au capitalisme, avec la dépolitisation et l’indifférence à la démocratie dans le cadre d’une société de consommation répondant aux exigences capitalistes. Elles sont profondément corrompues dans leur mode de vie et sur le plan des valeurs en général. Elles repoussent au maximum le fait de se remettre en cause, épousent aisément le populisme comme dernier recours, sont rétives aux principes d’organisation collective et de responsabilité personnelle.

    5.

    Ces masses ont en même temps connu le développement des forces productives et par conséquent une élévation de leur niveau culturel, une meilleure compréhension de la réalité. Leur besoin d’une société où s’épanouir a grandi sans commune mesure, tout comme leur capacité d’analyse, d’ouverture sur des thèmes multiples. À cela s’ajoute le métissage, le dépassement des barrières ethniques ou religieuses.

    6.

    La paralysie des masses, l’affrontement libéralisme « progressiste » – conservatisme identitaire, la tendance à la guerre… impliquent que le principe même de démocratie endure toujours plus les coups de boutoirs de l’individualisme forcené, du sectarisme nationaliste, de la militarisation, de l’indifférence apolitique et du populisme démagogue. La démocratie bourgeoise elle-même s’effiloche, s’amenuise, s’efface.

    7.

    Il ne s’agit pas de savoir si le programme d’une révolution doit s’en tenir à une perspective maximaliste ou minimale. Le principe même de programme en faveur d’un socialisme construit rationnellement par des masses mobilisées positivement est une abstraction complète dans un tel contexte. Il ne peut exister au mieux que des poches de résistance et un travail au corps de toute la société par des principes.

    8.

    En même temps, les avancées d’un repli sectaire, nationaliste, militariste ne peuvent aucunement se maintenir sur le long terme. De manière dialectique, leur existence est liée à la passivité des masses brisées par le développement et l’approfondissement du capitalisme… alors qu’en même temps et par là même, les masses ont atteint un niveau de conscience concrète et d’ouverture sur le monde totalement incompatible avec tout nationalisme. Le capitalisme a permis l’avènement possible d’une république unifiée des masses mondiales – mais il est incapable d’y parvenir, car la concurrence produit le monopole et donc la tendance à la division par l’affrontement.

    9.

    Ce qui se joue à l’arrière-plan, c’est l’entrée en décadence complète des couches dominantes de la société, qui ne maîtrisent plus rien et se font les simples jouets de la compétition capitaliste mondiale. Cela se déroule alors que les masses aliénées et exploitées ont les moyens de changer tout cela, mais ne sont pas engagées encore dans le processus. C’est là où émerge la conscience naissante des masses mondiales et en particulier de la classe ouvrière, dans cet affrontement entre tendances :

    * l’enfermement dans des activités bornées / l’affirmation de la nécessité de la combinaison du travail manuel et du travail intellectuel pour être épanoui ;

    * l’esprit superficiel de consommation futile / la mise en valeur des classiques et l’élévation du niveau culturel ;

    * l’art contemporain et le subjectivisme dans l’esthétique / le réalisme dans les arts et les lettres ;

    * la démarche utilitariste de tout ce qui existe / la valorisation et la protection de la matière vivante comme produit de l’évolution ininterrompue de l’univers ;

    * le rejet des réalités matérielles au nom d’un prétendu libre-arbitre / l’affirmation de la dimension naturelle de l’humanité

    * les comportements concurrentiels et l’éloge de la brutalité / la défense de la civilisation et l’esprit de collectivité ;

    * le goût pour la petite propriété et l’accumulation de richesses / l’épanouissement personnel dans la participation à l’universalisme de la société.

    10.

    L’affrontement entre ces tendances se lit comme l’affrontement entre le capitalisme en crise ainsi que toujours plus aux mains des monopoles et la démocratie populaire comme expression des intérêts réels des masses mondiales. Le processus d’affirmation des masses populaires est en effet à la fois lent et non-linéaire, il s’affirme comme une boule de neige accumulant au fur et à mesure de la puissance. Les communistes se placent et émergent dans le rôle d’appareil au service des masses dans le cadre de leur affrontement avec les valeurs anti-démocratiques, dans leur prise de conscience rationnelle des faits, dans leur auto-organisation pour établir un nouveau pouvoir permettant le triomphe de la tendance positive et l’écrasement de la tendance négative.

    11.

    L’Internationale Communiste constatait déjà que la France était une puissance capitaliste vivant au-dessus de ses moyens. Son passé colonial, sa puissance financière, sa base industrielle, son aura culturelle… l’amènent à vouloir se maintenir comme une des puissances majeures, mais cela lui a toujours été difficile. Les déconvenues ont été nombreuses, comme la défaite de 1940 et le démantèlement de l’immense empire colonial, même si dans ce dernier cas une forme nouvelle de colonialisme, plus subtile, s’est instaurée. La France apparaît ici comme le maillon faible de la chaîne impérialiste, avec un État historiquement très volontariste et une bourgeoisie aux ambitions démesurées. La tendance au néo-gaullisme lui est naturelle.

    12.

    La France a une longue tradition de rapports bourgeois pacifiés, au moyen de dispositifs puissants tels les syndicats, la franc-maçonnerie, l’idéologie de la neutralité républicaine, le monde associatif, le réseau des municipalités, des départements et des régions. Même le Parti Communiste français membre de l’Internationale Communiste a fini par succomber culturellement et idéologiquement malgré sa puissante base de masse. Il y a en France une grande tradition du « refus des extrêmes », de la « mesure » comme critère de vérité, d’annulation des contradictions.

    13.

    En France, les masses sont systématiquement mises à l’écart des processus de décisions, mais en même temps leur mobilisation-intégration dans les institutions, les initiatives militaristes… est une règle considérée comme incontournable. Il y a un style napoléonien chez les couches dominantes, qui ne se contentent pas de vouloir une soumission, mais exigent bien une participation au mouvement d’ensemble.

    14.

    L’idéologie républicaine est très puissante depuis Jean Jaurès ; elle affirme que la défense du régime républicain implique en soi une défense des masses populaires, voire même une tendance à la justice sociale, à la socialisation, au socialisme. C’est un aspect idéologique et culturel très puissant, qui a historiquement anéanti en France l’assimilation des enseignements de Karl Marx et Friedrich Engels. La France n’a pas connu de social-démocratie, mais des socialistes fédérés, sans unité ni souci de cohérence. Le Parti Communiste français a émergé par la suite comme courant ultra-gauchiste avant de se recentrer.

    15.

    L’anarchisme est une démarche très importante en France. Cela tient à la petite propriété paysanne s’étant très longtemps maintenue, ainsi qu’à l’existence d’une petite-bourgeoisie numériquement très importante. Sans ambition mais soucieux de faire du bruit et de se raccrocher à tout ce qu’il peut, l’anarchisme français est un obstacle majeur à une lutte prolongée, consciente, organisée, assumant la formation d’un nouveau pouvoir.

    16.

    Les larges masses affrontent ici deux écueils : tout d’abord, la capacité de la haute-bourgeoisie à parvenir à des mobilisations dans le sens de la réimpulsion du régime, du capitalisme, sous une bannière néo-gaulliste. Ensuite, les voies de garage des versions républicaine ou anarchiste de protestation, les deux se nourrissant l’une de l’autre de par les trahisons des uns, les absences de résultat de l’autre.

    17.

    De par son histoire, la France a cependant un important parcours de combat démocratique et d’exigences populaires. Le refus d’un caractère trop unilatéral des décisions étatiques est fortement présent, ainsi qu’un large refus de la torture et de la militarisation. Même le chauvinisme de grande puissance échoue à s’enraciner suffisamment pour aboutir à un nationalisme ayant une large base populaire organisée. À cela s’ajoute un souci très partagé d’exigence en termes de civilisation.

    18.

    La France connaît également des marqueurs historiques servant d’indicateurs dans la compréhension de la lutte des masses populaires : la Commune de Paris de 1871, le Front populaire de 1936, la Résistance, mai 1968. Il y a également une tradition d’effervescence combative dans de larges secteurs des masses, notamment la jeunesse. À cela s’ajoute la question de l’écologie et des animaux qui apparaît comme un nouveau et très important segment du réseau de contradictions de la société française.

    19.

    Il apparaît de tout ceci que les masses n’ont aucune capacité à agir de manière consciente et organisée face aux événements ; elles sont clairement à la traîne par rapport à ceux-ci. Tout volontarisme visant à pousser de manière offensive les masses à l’action sur un terrain de grande ampleur ou bien avec un niveau approfondi ne peut qu’échouer. Il y a toutefois le terreau parfait pour une résistance aux initiatives des couches dominantes, à condition que les masses disposent des outils adéquats pour canaliser leur résistance et établir des points de fixation où développer la conscience de leur expérience et, au-delà, la conscience de l’ensemble des rapports sociaux.

    20.

    La démocratie populaire est la bannière adéquate pour synthétiser les oppositions de masse qui cherchent à dépasser le simple horizon immédiat de résistance pour tenter d’aller à une véritable mise en perspective. La multiplicité des expériences pose ici la nécessité de toute une série d’étapes démocratiques, qui permettront d’aller dans le sens d’une synthèse socialiste sous l’impulsion de la classe ouvrière. Le retard à l’allumage des masses populaires se convertit ainsi en résistance populaire diffuse, se cristallisant au fur et à mesure de l’affirmation de la tendance à la guerre, se synthétisant dans le refus du triomphe de la tendance négative et comprenant la nécessité absolue de faire triompher la tendance positive : celle de la socialisation des monopoles, de la destruction du parti de la guerre, de l’écrasement de la haute bourgeoisie décadente.

  • L’idéologie au poste de commande du Parti Communiste: contre le révisionnisme

    La grande erreur historique des communistes français a été de penser qu’ils accompagnaient un processus qui était indépendant d’eux et que par conséquent ils pouvaient, ils devaient même adapter en permanence leurs conceptions, leurs idées, leurs modalités d’organisation.

    La révolution viendrait d’elle-même, il n’y aurait qu’à suivre le cours des choses, à maintenir ses positions en général, quitte à abandonner des principes en particulier ; tout serait bon du moment qu’on s’installe dans le paysage, et plus on s’installe dans le paysage plus la révolution qui vient d’elle-même permettrait de triompher.

    Sans même le remarquer, les communistes français ont alors basculé dans le révisionnisme. Il est tout à fait remarquable qu’il n’y ait aucun traumatisme chez les communistes français malgré le fait qu’ils aient changé d’idéologie du tout au tout, d’organisation du tout au tout, de conception du tout au tout. Ils ont accepté les modifications telle une évidence, sans se poser aucune question.

    Les communistes français sont passés sans aucun problème de l’étude de Staline au rejet total de Staline, de la révolution aux nationalisations pour s’approprier le « capitalisme monopoliste d’Etat », de la dictature du prolétariat au programme gouvernemental. Il n’y a pas eu de conflit, d’opposition interne, de rébellion ; tout a été parfaitement lisse.

    C’est là un problème de fond, quelque chose qui doit être compris, sinon on ne peut pas régler le problème qu’on peut résumer de la manière suivante : comment se fait-il que des gens révolutionnaires, en France, se transforment en réformistes sans même s’en apercevoir ? Pourquoi les gens ne restent-ils révolutionnaires d’ailleurs qu’à un moment de leur vie, avant de reprendre une vie « normale » ?

    C’est là que se pose la problématique de l’idéologie comme devant être au poste de commande. Il n’y a pas un Parti Communiste avec une idéologie – mais une idéologie avec un Parti Communiste. Toute autre conception est de l’opportunisme.

    Si on regarde plus en détail le parcours du Parti Communiste Français et qu’on cherche bien, on peut bien trouver une révolte, au début des années 1960. Mais elle est totalement marginale et se déroule parallèlement au Parti Communiste Français, elle ne l’atteint pas.

    Cette révolte avait eu lieu dans le Parti Communiste Français et dans l’Union des Étudiants Communistes.

    Au PCF, il y avait eu quelques protestations au sujet de la question algérienne et la question de soutenir François Mitterrand aux élections. S’est alors produit un rapprochement avec les thèses de Mao Zedong, ce qui a donné la formation de cercles marxistes-léninistes et la formation en 1967 d’un Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France.

    Dans l’Union des Étudiants Communistes, il y a eu des jeunes marqués par la Chine populaire de Mao Zedong, par la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. Ils ont alors formé une Union de la Jeunesse Communiste (Marxiste-Léniniste).

    Or, quel a été le problème ? Les gens formant le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France ne consistaient qu’en quelques mécontents. Ils sont partis, cela a déplu au Parti Communiste Français, mais cela n’a nullement touché sa base. D’ailleurs le Parti Communiste Français a énormément profité de mai 1968, bien qu’il ait été contre, et pas vraiment le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France, alors qu’il était pour !

    Le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France n’a été, dans les faits, qu’une sorte de micro-copie du Parti Communiste Français, incapable de rompre avec son style de travail, son approche, son révisionnisme. Il n’a été qu’une fraction de mécontents, incapables de rupture.

    On ne peut pas en dire autant de l’Union de la Jeunesse Communiste (Marxiste-Léniniste). Là, il y avait l’ambition de systématiser les positions pour reconstituer le Parti Communiste. Et l’Union s’est prolongée dans la Gauche Prolétarienne qui a organisé des révoltes populaires. Mais la reconstitution a été abandonnée, au profit d’un « Parti de la Résistance ».

    C’est que la marche était trop haute. Et quelle a été cette marche ? La thèse du « capitalisme monopoliste d’État ».

    C’est qu’il ne suffisait pas de s’apercevoir au milieu des années 1960 que le Parti Communiste Français avait jeté par-dessus bord les thèses de Marx, Engels, Lénine et Staline, qu’il était devenu un rouage des institutions, tout comme la CGT. Encore fallait-il savoir pourquoi.

    Si on ne comprend pas pourquoi, on tente de mener la révolution en trouvant des idées « géniales » pour faire avancer les choses, puis on s’aperçoit qu’il y avait une part de vrai dans ce qu’on fait, parce qu’on veut la révolution et qu’on fait avancer l’idée de révolution, mais qu’on est surtout hors du contexte historique, qu’on se marginalise, et alors on capitule. Cela a été le sort des initiatives « gauchistes » des années 1970.

    Les « gauchistes » ont tenté de créer un « parti » révolutionnaire nouveau, ils ont pratiqué l’hyper-activisme sur la base de quelques idées, puis est venu l’isolement, la défaite, après une période de succès relatif.

    C’est qu’il n’est pas besoin d’idées « géniales », mais d’une vue réaliste de la situation historique du pays, de ses contradictions, de sa situation économique, politique, idéologique, culturelle, militaire.

    Dans d’autres pays, il y a pu ainsi y avoir une reconstitution, car un révolutionnaire s’est forgé comme Dirigeant et a dit : l’interprétation de notre pays faite par le Parti Communiste devenu révisionniste est fausse, voilà où est l’erreur, voilà comment il faut la corriger. En Inde, en Turquie, au Pérou… la reconstitution avait comme axe central la conception de la situation historique du pays concerné.

    Tel ou tel révolutionnaire, forgé dans la lutte des classes, a dit : il y a des contradictions que le Parti Communiste devenu révisionniste ne voit pas, ou bien fait exprès de ne pas voir. Il n’est plus sur les rails historiques de la révolution, il ne fait plus qu’accompagner le cours des choses.

    Ainsi apparaissent des documents fondamentaux, analysant le pays, montrant le parcours de celui-ci, les contradictions existantes. Par exemple, en Amérique du Sud, les révisionnistes ont dit qu’il fallait se soumettre à la bourgeoisie nationale, pour acquérir une réelle indépendance. Les véritables communistes ont alors dit : c’est de l’escroquerie, la bourgeoisie nationale existe mais elle est faible, ce que vous appelez bourgeoisie nationale est une bourgeoisie bureaucratique que vous voulez simplement faire passer dans le camp soviétique.

    En ce qui concerne la France, le problème est simple, les « gauchistes » ont sombré face au Parti Communiste Français révisionniste car ils n’ont pas étudié la situation historique de la France. Le Parti Communiste Français révisionniste n’avait de son côté pas besoin d’une telle analyse, puisqu’il accompagnait le cours des choses. Il profitait du développement du capitalisme, de l’élargissement de l’aristocratie ouvrière, pour se corrompre à travers les municipalités et la CGT.

    Il était forcément dans le vrai… même si du mauvais côté de la barrière. Les « gauchistes » pouvaient être du bon côté de la barrière comme ils le voulaient, ils n’en restaient pas moins hors-sol.

    Sans une analyse correcte de l’Histoire, on ne peut pas trouver les leviers pour exister de manière révolutionnaire – c’est plus simple pour les non-révolutionnaires, les contre-révolutionnaires, qui eux ne font qu’accompagner ce qui se passe.

    Ainsi, si on est vraiment révolutionnaire, quand on regarde un groupe, une organisation, un parti qui se dit révolutionnaire, il faut demander : quelle est votre vue d’ensemble ? Soit, vous avez un point de vue sur les faits divers, des faits politiques du jour, des événements qui se sont produits… Mais quelle est votre vision d’ensemble ? Quelle est la tendance historique de la France, son mouvement concret, son évolution particulière ?

    Et donc, qu’est-ce qu’une analyse correcte de l’Histoire pour la France ? En quoi cela a-t-il un rapport avec l’idéologie au poste de commande du Parti Communiste ? C’est que l’analyse correcte de la situation historique d’un pays et l’idéologie sont une seule et même chose ; ce sont les deux faces de la même contradiction.

    On arrive à l’idéologie correcte quand on comprend véritablement la situation d’un pays ; on ne peut comprendre la situation d’un pays qu’au moyen de l’idéologie adéquate.

    On ne peut pas étudier le marxisme dans une chambre pendant vingt ans, l’avoir compris et se mettre à analyser la société à partir de ce qu’on a appris. Pareillement, on ne peut pas lutter et s’imaginer qu’on va avoir spontanément une vue d’ensemble, un regard d’envergure. Il faut la combinaison dialectique de la dignité du réel et de la théorie communiste.

    Il y a pour notre pays un exemple très parlant et malheureusement glaçant. Le Parti Communiste Français révisionniste a justifié son approche au moyen de la théorie du « capitalisme monopoliste d’État », au début des années 1960. Paul Boccara, un jeune économiste, a formulé que l’impérialisme était un concept dépassé, que désormais l’État venait organiser le capitalisme, qu’il y avait fusion des grandes entreprises et de l’État.

    Cette conception devint immédiatement la conception du Parti Communiste Français, de l’URSS, de tous les pays satellites de l’URSS. Il y avait d’ailleurs à l’arrière-plan le travail de l’économiste soviétique Eugen Varga au sujet de ce prétendu « capitalisme monopoliste d’État » dans les années 1950.

    Or, il aura fallu attendre les années 2010 et le PCF(mlm) pour qu’il y ait une analyse de la question du capitalisme monopoliste d’État ! Naturellement, le PCF(mlm) rejette cette conception révisionniste qui trahit le concept d’impérialisme forgé par Lénine, cette conception révisionniste qui revient à la théorie social-démocrate des années 1920 d’un « capitalisme organisé ».

    Mais au-delà de ce rejet, on peut voir qu’il s’agit de toute façon de la seule étude de fond menée ! Pire encore, la thèse du « capitalisme monopoliste d’État » a été unanimement acceptée à l’époque ! Que ce soit du côté du théoricien trotskiste Ernest Mandel, du gauchiste Paul Mattick, des « marxistes-léninistes » du PCMLF et du PCR(ml), tous sont d’accord pour dire qu’il y aurait en France un « capitalisme monopoliste d’État » !

    Ce faisant, ils se plaçaient eux-mêmes dans l’orbite du Parti Communiste Français révisionniste. Ils donnaient des réponses « révolutionnaires » à une question qui, en réalité, ne se posait pas du tout ainsi.

    Et ce qui est dramatique, c’est que la thèse du « capitalisme monopoliste d’État » ait pu être validée au sein du Parti Communiste Français sans produire aucune rébellion. Des gens pourtant formés à comprendre l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme ont accepté, sans sourciller, une thèse disant qu’on était passé à autre chose, à un stade post-impérialiste. C’est là une catastrophe.

    Et la source de cette catastrophe, c’est la considération que le Parti a une idéologie, alors que c’est le contraire. Il y a comme aspect principal l’universel : la vision du monde communiste, le matérialisme dialectique, l’idéologie de Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong. Et il y a comme aspect particulier le Parti Communiste de tel ou tel pays, appliquant l’idéologie aux conditions concrètes.

    Le révisionnisme nie l’universalité de la vision du monde, il nie le matérialisme dialectique, il nie que le Parti soit une expression historique dont le fondement est nécessairement idéologique. Le révisionnisme fait du Parti un regroupement puisant comme il le veut dans les idées, dans les conceptions, dans les points de vue, selon les besoins apparents du jour.

    Contre le révisionnisme, il faut l’idéologie au poste de commande du Parti Communiste, avec le Parti Communiste comme expression concrète, particulière, de l’idéologie universelle : le matérialisme dialectique, aujourd’hui à son étape marxiste-léniniste-maoïste.

    C’est cela, correspondre à la vision communiste du monde.

  • L’esprit national français et le Parti Communiste

    L’Italien Vincenzo Gioberti, un partisan de l’unité nationale italienne au XIXe siècle, disait des Français qu’ils sont des gens « qui vont par sauts et par bonds, et qui sont des gens de premier mouvement ». C’est que les Français sont des gens pour qui vivre c’est, dans un même élan, raisonner et se mettre à relier, enchaîner, combiner, associer, arranger, composer, coordonner, apparier, ordonnancer.

    C’est un jeu de l’esprit qui permet de triompher de l’adversité et c’est le sens du mot de Napoléon dans une lettre : « c’est impossible m’écrivez-vous ; cela n’est pas français. »

    Les Français sont au sens positif mathématiciens, ingénieurs, pharmaciens, avocats, militaires du génie. Ils sont au sens négatif des politiciens opportunistes, des libertins pour qui tromper est un plaisir de l’esprit, des commerçants truqueurs, des religieux prenant des libertés avec leur propre religion, des généraux calculateurs.

    Les caractéristiques de l’esprit national français

    Les Français sont particulièrement sociables : ils ont besoin d’entendre des bons mots. Pour eux, rire, c’est apprécier un trait de l’esprit et aussi pardonnent-t-ils tous les propos, toutes les caricatures, refusant de s’offusquer au nom de tel ou tel principe féodal-patriarcal. Les Français aiment les éclairs de génie et peu importe qu’une œuvre soit longue et insipide, si on y trouve de belles formules. On pardonne le caractère insipide des Fleurs du Mal de Baudelaire rien que pour le vers si bien trouvé « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! ».

    Les Français sont donc littéraires, car ils aiment agencer les mots, mais ces mots peuvent être des idées, des formules ou des actions. Il y a cette idée de bricoler en raisonnant, de s’arracher à l’adversité en étant ingénieux, de pouvoir agencer les gens et les faits de la meilleur manière, bref : de puiser dans l’esprit les ressources pour forcer les choses.

    Les Français apprécient donc les sports où il y a de subites fulgurances, ce qu’on appelle le « French flair » dans le rugby mondial, cet esprit à-propos qui fait que la France est la hantise du football allemand pour ses initiatives inattendues, comme sorties de nulle part.

    Pour les Français, un mot, une idée, une action… relève toujours d’une partition, celle de la raison, comprise comme un jeu de l’esprit. C’est par la conscience en action, en raisonnement, en calcul, que tout est possible. Charles de Saint-Évremond définit au XVIIe siècle cette vision des choses en disant que : « Il n’est rien que l’intelligence du Français ne puisse faire, pourvu qu’il veuille bien se donner la peine de réfléchir ».

    Le trait d’esprit comme marque française

    Si l’on comprend tout cela, alors Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (1897) apparaît comme une œuvre réactionnaire, car elle caricature ce qui est la marque française : la capacité à forger un trait d’esprit non pas gratuitement, mais au service d’une vision approfondie des choses. Dans la pièce Cyrano de Bergerac et dans le comique produit de manière commerciale, c’est au contraire totalement vain.

    Le véritable trait d’esprit comme marque française correspond, dans sa nature authentique, à des pointes venant couronner un subtil agencement. On précise, par un bon mot, par une tournure d’esprit, ce qui forme tout un ensemble à l’arrière-plan. Le bon mot, la forme harmonieuse, symétrique, la formule particulière… est là pour souligner toute une œuvre de l’esprit à l’arrière-plan.

    Ce sont les ornements ingénieux soulignant les châteaux de la Loire, c’est Molière et ses pointes comiques au cœur des portraits de caractères non raisonnables, c’est La Bruyère et son mot juste pour porter la peinture démonstrative de caractères également. C’est Racine et ses expressions ciblées dans les portraits de psychologies raisonnant calmement sur leur folie furieuse, c’est le château de Versailles et son très raisonnable jardin formant son écrin, c’est la déclaration des droits de l’Homme comme expression constitutionnelle raisonnée d’un peuple raisonnable composé de citoyens.

    L’esprit en réflexion ou le doute permanent

    Comme ici penser c’est réfléchir et que réfléchir c’est triompher, les Français ne veulent jamais s’interrompre dans la mise en branle de l’esprit. C’est là leur problème : ils raisonnent en roue libre, jusqu’à déraisonner. Les Français n’aiment pas les pensées qui se concluent, ils n’aiment pas les théoriciens, les idéologues, les théologiens, les penseurs. Ils apprécient les intellectuels, ceux pour qui, à l’instar de Pascal, « La vérité est une pointe subtile ».

    Les vrais auteurs sont donc, aux yeux des Français, les essayistes : Montaigne, Camus, Voltaire, Jaurès, Sartre, Maurras, Bernanos… Dites une chose en disant que vous en êtes certains, les Français ne vous écouteront pas. Dites la même en chose en disant que vous en doutez encore, ils la croiront !

    Le caractère historique de l’esprit national français

    Les Français ont systématisé le doute cartésien, le doute permanent de Descartes au sujet de toute chose, qui était déjà exprimé dans le scepticisme de Montaigne. C’est pour cela qu’on dit des Français qu’ils sont « cartésiens ».

    Mais c’est là en réalité une faiblesse historique, c’est le fruit de l’incapacité à assumer le protestantisme, alors que Jean Calvin est par ailleurs Français.

    Historiquement, le relativisme français existe pour mettre de côté la religion catholique omniprésente, parce que le pays n’a pas été à la hauteur pour assumer le calvinisme et son affirmation de la responsabilité personnelle, de l’autonomie de la raison.

    Ce relativisme traverse l’Histoire française, depuis François Ier et sa mise au second plan de la religion, jusqu’à la franc-maçonnerie avec son refus bourgeois des contradictions intellectuelles et bien sûr l’idéologie républicaine qui cherche à neutraliser toute opinion, toute idée, toute valeur.

    Le capitalisme avancé, avec son ultra-individualisme, son égocentrisme, ne pouvait qu’être en phase avec un tel relativisme, un tel repli sur l’individu. C’est la raison pour laquelle l’idéologie « post-moderne » s’appuie en grande partie sur les philosophes français relativistes, existentialistes, tournés vers la conscience individuelle « critique », etc.

    L’esprit national français se retourne en son contraire

    Le relativisme et le scepticisme ont joué un rôle historique positif en tant que posture défensive, contre l’Église catholique, mais une fois qu’ils s’étaient installés, ils se sont avérés insuffisants pour formuler des choses positives qui soient ancrées.

    Le relativisme et le scepticisme ont asséché la vigueur de l’esprit, apportant de la rigidité dans une société censée être fluidifiée par le « génie français ».

    La société bourgeoise a toujours plus systématisé ce qu’avait déjà mis en œuvre, en partie, la société féodale ; l’esprit français, « carré » et ingénieux, s’est réduit au fait de picorer, piocher, emprunter une démarche partiellement seulement. Être poli, cultivé serait emprunter des prêts-à-penser, des prêts-à-exister en société.

    « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément » expliquait ainsi Boileau dans son fameux Art poétique du XVIIe siècle, ce grand classique français. Et force est de constater qu’au-delà des mérites d’une telle approche, cela a produit des générations d’écoliers se croyant intelligents et même subtils, car ils écrivaient avec des paragraphes organisés dans leurs rédactions et qu’ils connaissaient la géométrie.

    L’esprit national français et la question romantique

    Les Français veulent de la rigueur dans l’expression des choses et des personnes : c’était un grand progrès face à la barbarie et au féodalisme. Mais ce progrès, devenu fictif, formel, abstrait, a produit un rejet de la vie dans toute sa complexité.

    Les Français voient dans les caractères entiers des dogmatiques ou des fantaisistes, qui systématisent leurs travers consistant à se laisser entraîner comme malgré eux, de se laisser emporter. Les Français valorisent de rester à distance des choses, de maintenir un écart et cela est particulièrement vrai dans leur rapport dénaturé aux animaux.

    Cette problématique était apparue dès le XVIIIe siècle et le romantisme est justement né en Allemagne et en Angleterre comme expression du besoin d’authenticité face aux manières, aux règles, aux codes sociaux que l’esprit national français a produit et finalement transformé partiellement en arbitraire au XVIIe siècle.

    L’amour romantique, immédiat et unitaire, a été le symbole d’une opposition à un esprit français pour qui les sentiments ne pouvaient être exprimés que par étapes, selon des règles préétablies, telles que notamment présentées dans la « carte de Tendre » au XVIIe siècle.

    Les contradictions de l’esprit national français

    La France a payé cher la contradiction entre l’approche raisonnable – formelle de son esprit national et le romantisme international. Par esprit de défense nationale, elle a réfuté le romantisme, ce qui a amené la naissance d’un romantisme à la française qui a été une démarche ultra-réactionnaire, un travestissement des romantismes allemand et anglais, visant à utiliser le naturel, le sentimental… pour mieux attaquer la République. Cette interprétation proprement française du romantisme sera la base idéologique de l’idéologie monarchiste française jusqu’en 1914, puis du fascisme international comme idéologie se prétendant libératrice, spontanée, vitaliste, créatrice, etc.

    Qui plus est, dans une société capitaliste développée, l’esprit formel d’abstraction et le repli sur une conscience relativiste devaient immanquablement se généraliser. Les Français sont alors d’autant plus aisément versatiles, superficiels, vaniteux, légers, inconstants.

    Pire encore, au niveau de la superstructure idéologique, les contradictions sont antagoniques entre un esprit républicain se voulant universel et une reconnaissance de tous les relativismes communautaires et religieux.

    Dépasser l’esprit national français en l’amenant à l’universel

    L’esprit national français accompagne l’émergence du peuple français et il va se prolonger, en ne gardant toutefois que l’essentiellement positif, dans l’intégration et la dissolution du peuple français dans la république socialiste mondiale.

    Ce processus est historiquement évident rien que par le fait que l’esprit national français a été un obstacle général à l’intégration des principes du marxisme. L’esprit national français a permis l’avènement d’un socialisme français remuant, en mouvement permanent, capable de prendre des initiatives, mais incapable de cimenter son activité sur les plans intellectuel, théorique et culturel.

    Heureusement la dimension activiste d’esprits sur la brèche en permanence a permis d’agir face à la tentative de coup d’État du 6 février 1934. Elle a permis d’avoir des luttes de classe avec des esprits clairs, pleines de fulgurances dans leurs interventions antifascistes, ouvrant la voie au Front populaire. Mai 1968 ne s’explique pas sans saisir l’esprit national français et c’est ce qui lui confère une expression littéraire, artistique.

    Mais l’absence de cimentation aura amené le Front populaire et Mai 1968 dans une impasse ; l’esprit national français se complaît dans l’action pour l’action. Il ne construit pas.

    Les socialistes et l’esprit national français

    Les socialistes français, lors de leur unification en 1905, ont souligné que dans leurs rangs deux choses devaient primer : tout d’abord une expression entièrement libre, ensuite une représentation proportionnelle dans la direction des idées exprimées dans le Parti. Cette approche était accompagnée d’un fédéralisme à tous les niveaux.

    Cette conception s’oppose historiquement à celle de la social-démocratie, qui pose une centralisation organique et exige une même mise en perspective. Elle s’appuie très clairement sur le libéralisme bourgeois, avec notamment la franc-maçonnerie, ainsi que sur le scepticisme ayant traversé l’histoire culturelle française.

    Les socialistes avaient bien entendu des moments de fulgurance, avec des figures politiques haut-en-couleur connues pour cela, tels Jules Guesde et Jean Jaurès. Le refus de systématiser fermait toutefois la porte à toute possibilité d’établir un programme politique bien déterminé.

    Les communistes et l’esprit national français

    Le Parti Communiste est une tentative de dépasser le socialisme français avec ses traditions relativistes. Il a cependant échoué et est revenu très rapidement, dès les années 1930, à une valorisation de l’esprit républicain.

    Lorsqu’il s’appuyait sur l’esprit national français, le Parti Communiste a été remuant, efficace avec des activistes plein d’esprit, mais lorsqu’il a pris l’esprit national français comme fin en soi, il s’est transformé en une démarche stérile, dans un style de travail formel.

    Le Parti Communiste a dès les années 1930 mis en valeur la Marseillaise, la République, le drapeau Bleu Blanc Rouge, affirmant que l’esprit national français non seulement se conjuguait au communisme, mais même qu’il lui ouvrait la voie, voire qu’il était lui-même le chemin au communisme.

    Toutes les positions de Maurice Thorez sont traversées par cette valorisation de l’esprit national français, qui est en réalité une soumission à la société bourgeoise. C’est que l’esprit national français n’existe pas abstraitement, il existe seulement comme mise en perspective d’une classe porteuse de son dépassement dans l’universel.

    Parti Communiste de France et non pas Parti Communiste Français

    L’interprétation bourgeoise de l’esprit national français a tellement apporté de subversion dans les rangs communistes que le nom du Parti a été incorrect, étant le seul dans l’Internationale Communiste à utiliser l’adjectif national, au lieu de désigner la localisation historique, géographique.

    La correction d’une telle erreur ne peut qu’être la suivante : l’esprit national français accompagne la nation, mais il n’est pas la nation et obéit à la loi de la contradiction dans son parcours.

    Ainsi, si le relativisme français a permis comme retrait intellectuel défensif de faire céder le catholicisme, il aurait mieux valu que le calvinisme l’emporte, car il représentait une affirmation réellement positive en comparaison.

    Le subtil agencement des choses n’a pareillement pas le même sens suivant qu’on se cantonne dans la gestion des choses comme un bourgeois maniaque ou qu’on reconnaisse la dignité du réel avec son mouvement dialectique. L’esprit national français, par exemple, consiste aussi en l’application criminelle de l’expérimentation animale comme « jeu de l’esprit ».

    En ce sens, et c’est sans doute vrai pour tous les pays, on peut dire que l’esprit national français a une portée seulement démocratique, qu’il accompagne la mise en place de la nation comme forme civilisée d’organisation sociale, mais que sa limite repose dans sa vision du monde, forcément bornée.

    C’est en effet la classe bourgeoise qui établit la nation dès l’émergence du capitalisme et si elle permet de dépasser les divisions antérieures, elle ne parvient pas à l’universel, à une vision mondiale de la communauté humaine.

    Le prolétariat, classe universelle, peut puiser dans la réalité nationale-démocratique, mais son drapeau est nécessairement uniquement rouge, car son esprit est par définition international, mondial ; son esprit est celui de l’humanité travailleuse toute entière dans sa marche au communisme.

    Le Parti Communiste est pour cette raison le Parti de la classe ouvrière, classe universelle, dans les conditions concrètes d’un pays qui a son parcours qui lui est propre. Le Parti Communiste a ainsi une dimension universelle, tout en étant lui-même particulier : pour faire l’Histoire universelle, il doit dépasser l’Histoire de son pays, et pour cela il doit déjà faire l’Histoire de son pays. L’aspect principal est toutefois l’aspect universel.

    Le Parti Communiste ne peut pas être « français », mais de France, même si bien sûr le Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste) s’appuie sur la réalité nationale-démocratique française pour faire triompher la démocratie populaire comme expression de la dictature du prolétariat.

    Il en va de même pour l’art dans le socialisme, qui sera national dans sa forme, mais socialiste dans son contenu. Les meilleurs traits nationaux passent dans l’universel, les autres disparaissent, tout comme le Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste) s’effacera dans le Parti Communiste mondial.

  • Le renversement du rapport de force au sein du Parti socialiste SFIO quant à l’Internationale Communiste

    Entre le congrès de Strasbourg de la fin février 1920 et celui de Tours de la fin décembre de la même année, le rapport de force interne – grosso modo de 70 % / 30 % – va se renverser au profit des partisans de la IIIe Internationale.

    La raison, c’est qu’en juillet 1920, l’Internationale Communiste tient son second congrès. Ce qui était considéré comme un simple appel avec le premier congrès se pose désormais comme véritable organisation mondiale, avec des soutiens désormais réellement nombreux.

    Il y a des positionnements politiques, il y a une dynamique, il y a le régime soviétique qui montre sa stabilité, tout cela forme une véritable proposition stratégique. D’août à décembre 1920, la question de l’adhésion à la IIIe Internationale devient l’obsession chez les socialistes et il est clair qu’il y a un engouement très net devant ce qui semble inéluctable.

    Naturellement, c’est un déclic qui se produit avec retard en France, puisque le processus fut enclenché dès la révolution d’Octobre 1917 dans de nombreux pays. Mais cela amène d’autant plus de volonté de rattraper le temps perdu. La minorité au sein de la CGT progresse de manière notable au congrès d’Orléans de fin septembre – début octobre 1920, obtenant 659 mandats contre 1 485 à la majorité.

    Mais cela se lit surtout avec les jeunesses de la SFIO, les Jeunesses socialistes. Avant même la fin de la guerre, à la conférence de Saint-Denis de juin 1918, la première depuis de 1913, le courant de Jean Longuet y devint majoritaire tout comme dans la SFIO. Pierre Lainé, né en 1899 et nouveau dirigeant avec 169 mandats contre 10, appartenait à ce courant depuis son adolescence.

    Naturellement, les jeunesses étaient sur une ligne plus dure que leurs aînés et les partisans de la IIIe Internationale y étaient plus puissants. En avril 1920, lors de la conférence des jeunesses à Troyes, la tendance longuettiste de Pierre Lainé représente 3 168 mandats, le Comité pour l’autonomie et l’adhésion à l’Internationale Communiste des Jeunes 2 350 mandats, alors qu’une troisième tendance, partisane de l’adhésion mais considérant qu’elle n’était pas encore possible, obtenait 1826 mandats.

    L’Avant-garde, journal Comité pour l’autonomie et l’adhésion à l’Internationale Communiste des Jeunes puis ensuite des Jeunesses Communistes

    On notera que le représentant de la première tendance, Pierre Lainé, restera dans la SFIO « maintenue », tout comme le représentant de la troisième tendance, Émile Auclair, après un bref passage chez les communistes. Enfin, le représentant de la seconde tendance, Maurice Laporte, joua un rôle très important dans les Jeunesses Communistes, avant de craquer en prison en 1923, de travailler pour la police et de devenir un ardent collaborateur des nazis pendant l’Occupation.

    Sous l’impulsion du second congrès de l’Internationale Communiste, la seconde et la troisième tendance s’unirent à la fin juillet 1920 comme Comité de l’Internationale Communiste des Jeunes. Fin septembre, ils mettent en place un journal, L’Avant-garde ouvrière et communiste, dirigé par Gabriel Péri et obtiennent la mise en place d’un congrès à la fin de l’année.

    La tendance longuettiste de Pierre Lainé fut balayée, sa résolution favorable à l’attente n’emportant que 1958 mandats, contre 5 443 pour l’adhésion immédiate à la IIIe Internationale (avec 350 abstentions).

    Voici la résolution ayant triomphé:

    « Le Congrès National des Jeunesses socialistes réuni à Paris les 30 octobre et 1er novembre 1920, constatant :

    que la IIIe Internationale rassemble tous les socialistes révolutionnaires du monde entier ;

    qu’elle répudie tout « socialisme de guerre » passé et futur, méconnaît le mythe que représente la Défense nationale, préconise l’intransigeance révolutionnaire et la dictature du prolétariat par le régime des Conseils des travailleurs se substituant à la fausse démocratie bourgeoise parlementaire, que ce régime peut seul faire triompher la production au bénéfice total du producteur et instaurer le Communisme ;

    constatant, d’autre part, que l’Union Internationale des Jeunesses socialistes a fait faillite au même titre que la IIe Internationale,

    le Congrès condamne avec force et refuse de s’associer jamais avec les Jeunesses qui, répudiant en 1914 les principes fondamentaux du socialisme en approuvant, de quelque manière que ce soit, la politique dite « d’Union sacrée », continuent deux ans après les hostilités à rester fidèles à leurs erreurs et à collaborer de près ou de loin, consciemment ou inconsciemment, avec la politique des renégats de la lutte sacrée de classe.

    Elle condamne également les tentatives des Jeunesses jaunes de Noske, d’Allemagne, de Renner, d’Autriche, faites dans le but de reconstruire une Internationale qui serait en complète opposition avec l’Internationale Communiste des Jeunes ;

    Le Congrès, conscient de l’idée de lutte de classe qui s’est affirmée dans l’Internationale Communiste des Jeunes ne faisant pas double emploi avec la IIIe Internationale, lui donne son entier appui et son adhésion non conditionnée, comme elle la donne sans réserve aucune à son aînée et approuve pleinement son manifeste et son programme lancé au Congrès international tenue le 25 novembre à Berlin ;

    De plus, le Congrès,

    considérant que la division qui s’est affirmée au sein de la Fédération Nationale des Jeunesses Socialistes résulte d’une divergence profonde sur le but et la doctrine ;

    considérant qu’aucune organisation ne saurait exercer d’action révolutionnaire sérieuse et efficace si ses membres sont ainsi divisés sur les principes mêmes de la lutte ;

    affirme que s’il est vrai que tous les communistes ont l’impérieux devoir d’adhérer sans réserve à la IIIe Internationale, il n’en est pas moins évident que seuls les communistes doivent y avoir accès.

    En conséquence :

    soucieux de permettre aux éléments révolutionnaires des Jeunesses de France d’adhérer à l’Internationale Communiste des Jeunes, le Congrès pour clarifier définitivement la situation et faire œuvre durable, décide la transformation des Jeunesses Socialistes de France en Fédération Nationale des Jeunesses Socialistes Communistes, et admet pleinement la déclaration et le programme général d’action suivant, qui sera celui de la Fédération ainsi reconstituée. »

    Les Jeunesses Socialistes devinrent les Fédérations nationales des Jeunesses Socialistes Communistes de France, puis en mai 1921 la Fédération nationale des Jeunesses Communistes.

    Ce qui s’était fait dans les Jeunesses reflétait de fait la tendance générale dans le Parti. Pourtant les partisans de la IIIe Internationale auraient dû tirer une leçon de ce qui s’était passé après le vote.

    Prenant la parole au nom des désormais minoritaires, Pierre Lainé lut une résolution où il affirma, au nom des 1958 mandats qui s’étaient portés sur lui, qu’il était pris acte « de l’acte d’indiscipline de la majorité qui vient de proclamer l’autonomie des Jeunesses ». On avait ici déjà la base du discours de la minorité, qui accusait la majorité de liquidation, d’aventurisme, de dogmatisme, etc. et ne comptait certainement pas accepter les décisions prises.

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    au lendemain de la première guerre mondiale

  • Le triomphe de la tradition socialiste française au congrès de Strasbourg de 1920

    Au congrès de Strasbourg, on retrouve la même situation qu’aux congrès d’avant-guerre. Les sections de la SFIO sont de taille tout à fait disparate, numériquement comme politiquement.

    Il y a un côté fourre-tout dans la démarche, le congrès étant par ailleurs marqué dès le début par des compte-rendus sans fin sur la trésorerie, la non-publication des cartes et des timbres, la question de l’imprimeur changé avec le nouveau ne publiant pas assez et avec retard, etc. etc.

    Dès le tout début du congrès, un délégué de la Fédération du Jura expliqua par exemple également que la société future serait entièrement décentralisée, organisée par communes et cantons se fédérant, avec un parlement régional, etc. Ces thèses anarchistes furent considérées comme relevant de la pensée socialiste dans sa multiplicité et ne choquait pas.

    Là où tout cela est fortement hypocrite et en tout cas inégal, c’est qu’on a encore et toujours quelques fédérations poids lourds, telle celle de la Seine avec 721 mandats – cela correspond grosso modo à la région parisienne -, celle du Nord avec 567 mandats et celle du Pas-de-Calais avec 479 mandats, la Seine-et-Oise 171 mandats.

    Pour le reste, les sections se divisent entre celles ayant 50-100 mandats – le Haut-Rhin a 101 mandats, le Gard 89, l’Isère 57, l’Oise 47, la Nièvre 44,… – et celles en ayant 10-30 (l’Eure en a 10 la Mayenne 7, la Haute-Savoie 11, le Finistère 36, etc.). Le poids des grandes fédérations est donc énorme.

    Pour autant, cela ne doit pas donner l’idée que la SFIO soit un parti puissant. Les Fédérations les plus puissantes ont un nombre restreint de membres ! On a pour la Seine 18 075 cartes de membre, le Nord 14 700, le Pas-de-Calais 11 950… Suivent la Seine-et-Oise avec 5 600 membres, la Moselle avec 4 500 membres, le Haut-Rhin avec 4 300 membres, le Bas-Rhin avec 3 200 membres…

    Au total, cela fait autour de 130 000 membres, dans 95 fédérations, avec seulement au total… quatre permanents, ce qui est la preuve d’une immense incapacité organisationnelle. On est à rebours des révolutionnaires professionnels prônés par Lénine.

    Si l’on ajoute à cela que tels mandatés d’une Fédération peuvent voter dans un sens, d’autres mandatés de la même Fédération dans un autre, on peut voir qu’on a le principe de la division poussé jusqu’à son paroxysme. Un mandaté peut d’ailleurs souvent avoir le droit d’éventuellement… voter contre ce pour quoi il a été mandaté, tous les mandats n’étant pas impératifs !

    Dans un tel rassemblement fourre-tout, les éléments traditionalistes du Parti n’ont aucun mal à surnager et à apparaître comme ceux qui forment le socle même de l’organisation. Paul Faure et Léon Blum apparaissent ici comme les meilleurs représentants d’une telle perspective et ils dirigeront d’ailleurs la SFIO de l’entre-deux guerres.

    Ils représentent la tradition socialiste française, dans le rejet de la social-démocratie et du bolchevisme ; leur ligne est de pratiquer le réformisme, sans fermer la porte à la révolution pour le jour où elle arriverait éventuellement.

    Avec une telle ligne, typique d’ailleurs du socialisme français – un discours à prétention révolutionnaire, une pratique réformiste, exactement comme chez Jean Jaurès – il n’y a pas de mal à balayer les ultras ne parvenant pas à asseoir leur démarche de manière conséquente.

    Paul Faure défend ainsi aisément la tradition socialiste française contre les éléments exigeant de renverser la table, sans disposer d’aucune approche au sens strict à part le volontarisme cherchant une légitimité en se revendiquant abstraitement de la IIIe Internationale :

    « Ah ! Du haut de vous-mêmes, vous nous dites : « les réformes, n’en parlons plus ! » Si, en revenant de Strasbourg, le Soviet central est constitué à Paris, et si la révolution est faite, il est possible, en effet, qu’on ne parlera plus de réformes, ou plus exactement, qu’on commencera à en parler. (Très bien ! Applaudissements)

    Mais il faut envisager l’hypothèse, évidemment ennuyeuse et pénible, où la révolution ne sera pas faite et où nous n’aurons pas le pouvoir dictatorial.

    Nous serons demain encore dans un pays où le capitalisme existera. Ceci est à craindre. J’entends bien que nous devons préparer le jour où nous pourrons abattre ce régime abject du capitalisme, je n’ai fait que cela depuis que je milite, je continuerai ; mais tant qu’il vivra, nous serons obligés tout de même de vivre avec lui, dans lui.

    Si vous clamez nous ne voulons plus de réformes du tout, et je vous l’ai entendu dire, non seulement dans ce Congrès, mais ailleurs, il faut que vous rectifiiez, que vous essayiez de faire rectifier par le Parti notre doctrine traditionnelle. »

    Léon Blum a exactement la même approche lorsqu’il justifie l’injustifiable au nom d’une sorte de pragmatisme révolutionnaire où, sans « révolution », tout est permis dans la compromission :

    « Je pense que la participation ministérielle pendant la guerre n’a été à aucun degré le signe d’une inflexion révisionniste de la pensée socialiste, car ce n’est pas pour collaborer à des réformes sociales que le Parti socialiste a accepté le pouvoir.

    Il l’a accepté pour un tout autre objet ; il l’a accepté dans des circonstances que la résolution Kautsky de Paris qualifiait de circonstances exceptionnelles ; il l’a accepté avec l’autorisation et la ramification des organes qualifiés du Parti socialiste. »

    Il s’en sort une conclusion logique : il faut balancer par-dessus bord la seconde Internationale, qui est incapable de maintenir cette « fiction » révolutionnaire… Mais il ne faut surtout pas rejoindre la IIIe Internationale, qui exige que la révolution, c’est-à-dire la prise dans la violence du pouvoir d’État, soit la perspective centrale.

    Pour cette raison, 4 330 mandats contre 337 votent la sortie de la seconde Internationale (avec 53 abstentions et 109 absents).

    Puis 3 031 mandats se prononcent pour la « reconstruction » d’une nouvelle Internationale, les tenants de la IIIe Internationale obtenant 1 621 mandats, un score honorable mais dans une absence d’unité, de clarté, de connaissance même d’ailleurs de ce qu’est réellement la IIIe Internationale, qui est simplement assimilée ou confondue avec la révolution russe.

    En fait, le congrès de Strasbourg marque simplement un recentrage du Parti socialiste SFIO. Les ex-majoritaires ont disparu : ils ont été liquidés en 1918-1919, ils sont trop compromis.

    Mais le Parti ne rejette pas leur activité durant la guerre, ils considèrent seulement qu’ils sont allés trop loin, alors que de toute façon ils sont carbonisés niveau crédibilité « révolutionnaire ». Ils sont donc simplement remplacés par des gens voulant simplement en revenir à la ligne d’avant 1914, Paul Faure et Léon Blum étant leurs chefs de file.

    On est donc dans l’ambiguïté assumée entre réforme et révolution, comme on le voit rien qu’à la première phrase de la résolution de politique intérieure adoptée au congrès qui affirme que :

    « Le Parti socialiste déclare que, plus que jamais, dans les circonstances présentes, son action nationale doit être fonction de l’action internationale du socialisme mondial. »

    C’est très symbolique puisque le Parti socialiste SFIO a abandonné la seconde Internationale sans rejoindre la IIIe, flottant dans un vide permettant toutes les ambiguïtés entre réforme et révolution qui lui sont caractéristiques… avec, naturellement, le « républicanisme ». La résolution de politique intérieure appelle ainsi à « la sauvegarde de la République », expliquant qu’il y a « un danger pour le régime ».

    On est ainsi de retour à avant 1914. Le Congrès de Tours, avec un renversement total de perspective, n’en sera que d’autant plus une surprise.

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  • L’absence de lutte de lignes et le question de la IIIe Internationale au congrès socialiste de Strasbourg de 1920

    Au congrès de Strasbourg, c’est paradoxalement Ernest Poisson, de l’aile droite, qui révéla tout le fond du problème, alors que les partisans de la IIIe Internationale ne comptaient pas pour autant mener une lutte de lignes dans la SFIO. La gauche de la SFIO était contre la droite, mais elle la tolérait, l’acceptait même, et Ernest Poisson dénonça logiquement ce paradoxe :

    « Mais il y a, permettez-moi de vous le dire, une première raison, et la meilleure de toutes.

    Vous voulez adhérer à la IIIe Internationale ? Mais vous n’ignorez pas que nous ne serons pas tous reçus ; vous n’ignorez pas qu’à la porte on vous priera de bien vouloir d’abord laisser quelques-uns des vôtres.

    Ce n’est donc pas avec tout le Parti socialiste français que vous allez adhérer. Je ne parle pas seulement de mon vieil ami Longuet à qui on veut faire passer une visite de santé morale avant de l’admettre ; je veux parler de ceux qui, comme moi, comme nous, ceux que vous dites à la droite du Parti et qui sont d’avance expulsés.

    On n’en veut pas ; des mandements sont donnés, des excommunications sont lancées. Je ne sais pas au nom de quelle démocratie, même ouvrière, mais je sais tout au moins que le Grand Maître de la IIIe Internationale, à lui tout seul, a décrété déjà les exclusions.

    Et alors puisque nous ne sommes pas admis, nous sommes peut-être un peu difficiles, mais nous ne sommes pas des gens qui voulons tout de même aussi facilement – permettez-moi cette expression – recevoir des coups de pied quelque part !

    Non, non, nous ne voulons pas aller à la IIIe Internationale où du reste on ne veut pas nous recevoir, et alors je vous pose une question à vous, camarades partisans de la IIIe Internationale : si vous adhérez, vous savez que nous n’en serons pas. Nous sommes donc des traîtres ; nous ne sommes plus des socialistes.

    Alors avant d’aller à la IIIe Internationale, puisque vous savez que nous ne pouvons pas y aller, ayez d’abord le courage de nous mettre à la porte du Parti socialiste français ! (Applaudissements.)

    Quand vous nous aurez mis à la porte, vous aurez le droit d’y aller, sinon vous allez demander à une des fractions du socialisme russe, ou plus exactement à celui qui parle en son nom à l’heure actuelle, vous allez lui demander la force de nous mettre à la porte alors que vous ne l’osez pas.

    Commencez d’abord par l’expulsion et vous irez ensuite à la IIIe Internationale. (Applaudissements à droite.) »

    Jean Longuet dira pareillement :

    « Mon cher [Raymond] Lefebvre, si vous avez des exclusions à proposer, venez les apporter ici ! S’il y a des membres du Parti dont vous demandez que le Parti se sépare, il ne faut pas, sous la forme indirecte d’un voyage à Moscou, poser le problème ; il faut venir dire franchement : je propose telles et telles exclusions. »

    De fait, c’était la IIIe Internationale qui représentait la ligne rouge, mais à l’extérieur du Parti socialiste SFIO.

    Henriette Roland Holst s’exprima au congrès de Strasbourg, en tant que déléguée étrangère, non seulement au nom du Parti Communiste de Hollande, mais au nom du Comité Exécutif de la IIIe Internationale, par un mandat du secrétariat de l’Europe occidentale et du bureau auxiliaire d’Amsterdam.

    Le message fut très clair :

    « L’Internationale Communiste, assise solidement sur l’indestructible terrain du monde nouveau, réunissant l’avant-garde révolutionnaire de tous les pays, attend de vous, prolétaires de France, des décisions fermes et des actes hardis (…).

    Prenez garde, camarades français, si, de loin, nous ne pouvons pas apercevoir comme vous, qui êtes dans la lutte, les détails de la vie sociale et politique française, par contre nous la voyons dans son ensemble et nous considérons comme notre devoir impérieux de vous mettre en garde contre votre bourgeoisie qui ne vous laissera pas un long intervalle de temps pour discuter paisiblement.

    Elle profite du répit que vous lui fournissez par vos hésitations ou plus exactement par l’hésitation de votre représentation politique pour organiser la vie économique non pas pour remédier au désordre général mais pour organiser ses forces et pour vous écraser coûte que coûte (…).

    Nous attendons de vous, camarades français, que vous poursuiviez par votre marche en avant, que vous ne vous laissiez pas endormir par des phrases et des déclamations qui dissimulent les anciennes pratiques, mais que vous luttiez pour créer un Parti solide, un Parti de combat en éliminant le poids mort du social-patriotisme et du réformisme. »

    Voici également le télégramme envoyé le 17 janvier 1920 par la IIIe Internationale :

    « Au congrès du Parti socialiste français à Strasbourg

    Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste adresse aux travailleurs français en lutte contre le social-patriotisme et contre toutes les conceptions équivoques et les déformations bourgeoises des principes du communisme, son salut fraternel.

    Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste espère que sous la pression des masses ouvrières françaises, le congrès de Strasbourg se décidera enfin à rompre avec la IIe Internationale, avec l’organisation jaune dont Noske, Galliffet [= le militaire ayant écrasé la Commune de Paris en 1871] d’outre-Rhin, est en Allemagne le représentant le plus en vue et qui est de même représenté en France par les agents de la bourgeoisie.

    Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste appelle tous les communistes français à s’unir en une seule organisation et à déclarer une guerre ouverte à tous ceux qui ont trahi le prolétariat.

    Vive le prolétariat révolutionnaire français !

    Vive l’épuration des forces ouvrières dont les jaunes de la IIe Internationale doivent être chassés !

    Vive la révolution prolétarienne !

    Le président du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste : Zinoviev »

    Ce principe de l’épuration exigée par l’Internationale Communiste était en fait incompatible avec toute la tradition socialiste française, qui reposait sur l’unité des tendances divergentes et de fédérations autonomes, ayant toujours réfuté toute centralisation organique du Parti.

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    au lendemain de la première guerre mondiale

  • Parti socialiste SFIO: le congrès de Strasbourg dans un cadre chauvin

    Le congrès de Strasbourg de la SFIO s’est tenu du 25 au 29 février 1920 ; par définition, de par l’importance du mouvement ouvrier français historiquement, il attira fortement l’attention. Comment les socialistes français allaient-ils se comporter dans leur réaffirmation de l’après-guerre ?

    Les invités étrangers consistaient en les suivants :

    – de Grande-Bretagne, le Labour Party, clairement droitier, mais également l’Independent Labour Party et le British Socialist Party, qui ont été anti-guerre et se rapprocheront des communistes russes, la seconde organisation formant par la suite la base du Parti Communiste ;

    – le Parti Ouvrier Belge, clairement droitier ;

    – le Parti Social-démocrate de Suède, clairement droitier également ;

    – des Pays-Bas, Henriette Roland Holst du Parti Communiste de Hollande, déjà affilié à la IIIe Internationale, ainsi que le très droitier Parti Ouvrier Social-démocrate des Pays-Bas.

    Le dirigeant de ce dernier, Willem Vliegen, prenant la parole, souligna la chose suivante :

    « Personnellement, je vous félicite, vous socialistes français, d’avoir tenu votre Congrès national à Strasbourg que rien n’a pu guérir d’être si longtemps éloigné de vous. »

    Effectivement, le choix de la ville de Strasbourg était, par définition même, une provocation nationaliste ; cela n’a jamais été remarqué historiquement, ce qui est un comble.

    Strasbourg avait en effet été allemande de la guerre de 1870-1871 jusqu’à 1918 ; elle n’était auparavant française que depuis la fin du 17e siècle. Elle est donc une ville avec un parcours historique complexe, demandant pour le saisir un haut niveau d’internationalisme prolétarien, que la SFIO n’a nullement.

    Une session du Soviet des soldats à Strasbourg en novembre 1918 dans le cadre de la révolution en Alsace parallèlement à dans l’ensemble de l’Allemagne

    Ainsi, si le nombre de mandats dépend du nombre de « timbres » cotisés de manière régulière par les membres, celui-ci a été réduit « pour l’attribution des mandats aux Fédérations des régions libérées », allusion à l’Alsace et la Lorraine. La présidence du congrès est confiée d’ailleurs à un Alsacien, Michel Heysch, épaulé pour son travail de plusieurs membres d’Alsace et de Lorraine. Il n’y a strictement aucune opposition à ce sujet lors du congrès.

    Même si Michel Heysch avait pris part au mouvement des Conseils d’ouvriers et de soldats en 1918 en Alsace, il s’inséra totalement dans la démarche nationaliste ; premier à prendre la parole, il ouvrit le congrès en disant :

    « Camarades, à vous tous accourus de tous les coins de France pour assister à ce premier Congrès tenu sur la terre libérée du joug du militarisme prussien, salut, fraternité et cordiale bienvenue.

    Vous n’ignorez pas quelle fut l’attitude du Parti socialiste d’Alsace et de Lorraine lorsque l’Allemagne déchaîna la plus formidable des guerres que l’univers ait jamais connue.

    Trahis par les compagnons d’Outre-Rhin (….), vous savez tous, citoyens, combien grande fut notre joie lorsque nous pûmes rejoindre la grande famille des prolétaires français. »

    Pierre Renaudel, principale figure du courant ayant précipité le Parti socialiste SFIO dans « l’Union sacrée » en 1914, pouvait s’exprimer totalement librement, jusqu’à revendiquer la participation gouvernementale et le soutien au régime de 1914 à 1918, quitte à quelques protestations lors de ses interventions :

    « Nous avons fait ce qu’il était possible de faire à ce moment-là. L’Internationale a subi une secousse, c’est vrai.

    Ce qui a tué l’Internationale, c’est le silence de la Social-démocratie allemande ; de même que ce qui rend à l’heure actuelle l’Internationale impuissante, c’est la faiblesse du socialisme français dont l’échec aux dernières élections a diminué – bien plus que ses mandats, – son unité et son autorité politiques. (Bruit et protestations.). »

    Le Parti Socialiste Indépendant d’Allemagne envoya un long message solidaire, qui fut lu à la tribune, mais il ne fut pas applaudi, à l’inverse du très court message de soutien norvégien.

    Ce chauvinisme étalé sans honte aucune reflète tout à fait un parti qui, somme toute, n’est qu’un assemblage hétéroclite et qui a repris entièrement sa forme et ses traditions d’avant 1914, sans se soucier en rien de la question de la guerre impérialiste. Son objectif est de repartir comme avant, de se relancer en profitant de la révolution russe.

    De toutes manières, alors qu’avant 1914 l’amitié franco-allemande était sans cesse soulignée, alors que la révolution allemande de 1918 a été d’une immense portée, il n’y a au congrès de Strasbourg de février 1920 aucun délégué allemand.

    Cyrille Spinetta pouvait par contre faire au congrès de Strasbourg un long éloge de la défense nationale, la France ayant été attaquée et n’ayant aucune part dans le déclenchement de la guerre, etc., avec quelques protestations, mais sans condamnation aucune.

    De la même manière, la question de la IIIe Internationale est reléguée loin dans les débats : après les rapports de la trésorerie, du groupe parlementaire, sur l’Humanité, après la question de la politique du Parti, etc. etc.

    Et cela, alors que c’est la majorité pro-paix née à la fin de la guerre qui est à la tête du Parti !

    Le secrétaire du Parti socialiste SFIO depuis 1918, Louis-Oscar Frossard, également directeur de l’Humanité, chef de file du courant pro-défense nationale tout de même partisan d’une reprise des relations internationales pendant la guerre, constata alors au congrès que :

    « Camarades, permettez-moi de le dire, je n’ai pas l’impression que le Congrès se rende compte de la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons placés à cet instant même.

    Camarades, au moment où nous discutons avec tant de passion de savoir si nous aurions dû ou non, pendant la guerre, pratiquer une politique de Défense nationale, des mouvements ouvriers de la plus haute importance sont en train de se développer. (Applaudissements)

    [Suit une très rapide présentation des grèves des cheminots, des mineurs, des imprimeurs, etc.]

    Camarades, nous délibérons au milieu de ces événements, et il me paraît que le Congrès, lorsqu’il s’évertue à réveiller les vieilles querelles, ressemble à ces docteurs en théologie du Moyen-Âge qui discutaient sur la couleur des cheveux du Christ (…).

    Camarades, je vais conclure [les débats sur la politique du Parti] en insistant sur ces mots : besogne d’éducation, besogne de recrutement !

    Le Parti socialiste, devant les événements d’une gravité exceptionnelle qui se produisent ne doit pas oublier qu’il est appelé à prendre les responsabilités les plus lourdes.

    Que demain, la grève des cheminots devienne générale ; que la grève des mineurs éclate ; que d’autres corporations entrent dans le mouvement, il faut que le Parti socialiste soit capable d’apporter aux prolétaires en grève autre chose, vous m’entendez, que des satisfactions verbales ; il faut qu’il puisse leur apporter un concours actif, une aide efficace, et, si nous voulons servir utilement des mouvements de grève générale, qui sont à la vérité les prodromes du mouvement révolutionnaire par nous espéré, il faut que notre unité nécessaire soit maintenue et fortifiée, – unité entre les organisations politiques et les organisations économiques… (Vifs applaudissements) unité nationale, unité internationale : le triomphe du socialisme est à ce prix. (Applaudissements prolongés) »

    Louis-Oscar Frossard défendit même les tenants de « l’Union sacrée » :

    « Quand des parlementaires ou des militants, dans l’état présent des choses, affirment que, s’ils avaient à recommencer ce qu’ils ont fait le 4 août 1914, ils recommenceraient, c’est leur droit absolu au regard de toutes les décisions du Parti. (Très bien !) »

    Et c’est ce même Frossard qui, au congrès suivant, à la fin de l’année, prônera l’adhésion à la IIIe Internationale, devenant le premier dirigeant de la Section Française de l’Internationale Communiste !

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    au lendemain de la première guerre mondiale

  • Les deux tendances favorables à l’Internationale Communiste dans le Parti socialiste SFIO à la fin de la première guerre mondiale

    En Allemagne, il y avait une toute petite structuration des sociaux-démocrates rejetant catégoriquement la guerre, autour de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht ; les bolcheviks avaient quant à eux les mains libres pour développer leurs activités anti-guerre, ayant exigé une centralisation théorique et organisationnelle.

    On n’a pas cela en France, où il n’existe aucune continuité révolutionnaire, dans la mesure où la guerre a imposé un nationalisme généralisé et un soutien complet au militarisme.

    De plus, le mouvement ouvrier français a été marqué par les courants socialistes et le courant syndicaliste révolutionnaire ; dans les deux cas, il n’y a pas de base de masse.

    On est dans le substitutisme : les socialistes sont historiquement une machine électorale portant des élus agissant au nom du prolétariat tout en étant divisés en tendances en conflit ouvert ; les syndicalistes une minorité pratiquent quant à eux le style du coup de force au nom du prolétariat, avec l’espoir mythique d’une grève générale.

    Affiche de la CGT de 1913 contre le service militaire allongé à trois années, juste avant la capitulation totale devant la guerre en 1914

    La social-démocratie comme mouvement historique est restée étrangère à la France, tout comme son idéologie qu’est le marxisme ; on est ainsi en France dans le mouvement ouvrier, au début du XXe siècle, soit électoraliste (tendant franchement à l’opportunisme), soit syndicaliste (tendant à l’anarchisme).

    La révolution russe et le chamboulement de la première guerre mondiale bouleversent immanquablement un tel panorama. Il y a alors l’idée de se sortir de l’impasse par le haut, en plaquant littéralement ses désirs sur la révolution russe et l’Internationale Communiste.

    Un acteur clef de ce processus est Fernand Loriot. Socialiste, il soutient l’Union sacrée à l’entrée en guerre, mais se remet en cause en août 1915. Il participe alors à la mise en place au sein des socialistes d’un Comité pour la reprise des relations internationales, qu’il dirige à partir de 1917, appelant à des pourparlers de paix, l’ancien dirigeant Alphone Merrheim ayant basculé ouvertement dans le réformisme et les plans américains de paix en Europe.

    Fernand Loriot en 1921

    Un autre acteur clef est Raymond Péricat. Lorsque le Comité pour la reprise des relations internationales forma en 1916 un Comité de défense syndicaliste, Raymond Péricat en prit la direction en 1917. Il se tourna vers les anarchistes et les syndicalistes.

    On va avoir, de ce fait, deux tendances favorables à la IIIe Internationale :

    – celle avec Fernand Loriot, représentant les socialistes favorables à la paix et s’imaginant que l’Internationale Communiste valide ce positionnement et qu’il est ainsi possible de sauver le Parti socialiste SFIO ;

    – celle avec Raymond Péricat, représentant les syndicalistes considérant que l’Internationale Communiste permet de récupérer les thèses syndicalistes révolutionnaires invalidées par le fait que l’ensemble de la CGT a soutenu l’Union Sacrée.

    Fernand Loriot est à l’origine la pointe d’un mouvement de contestation pro-paix chez les socialistes. Avant même la fin de la guerre, le Parti socialiste SFIO tint un Conseil national, les 28-29 juillet 1918, ainsi que son 15e congrès, du 6 au 10 octobre 1918. Expression de la révolte contre la guerre, les partisans d’une fin de la guerre l’emportent, avec à leur tête Jean Longuet.

    Jean Longuet en 1918

    La motion de Jean Longuet obtint 1 544 voix au Conseil national, celle plus à gauche de Fernand Loriot en obtenant 152, la motion de Pierre Renaudel pour l’ancienne majorité en obtenant 1 172 (pour 96 abstentions et 31 absents).

    Au congrès, Pierre Renaudel qui avait succédé à Jean Jaurès à la tête de l’humanité est alors remplacé par Marcel Cachin. Louis Dubreuilh, secrétaire général de la SFIO depuis 1905, est éjecté et remplacé par Ludovic-Oscar Frossard.

    Ludovic-Oscar Frossard

    La tendance de Fernand Loriot n’est donc, à ce moment-là, qu’une pointe de celle de Jean Longuet. Les soutiens à Fernand Loriot sont éclectiques et simplement pacifistes, lui-même n’a pas d’orientation, devenant simplement trésorier-adjoint dans la Commission administrative permanente.

    Cela laisse un espace pour les syndicalistes pro-révolution russe autour de Raymond Péricat, qui fondent en mai 1919 un « Parti Communiste » dont l’organe « Le Communiste » se présentait comme « organe officiel du PCF et des soviets adhérant à la section française de la IIIe Internationale de Moscou, des conseils ouvriers, de paysans et de soldats ».

    Il n’y avait bien entendu aucune reconnaissance de la IIIe Internationale et en décembre 1919 ce « Parti Communiste » se transforma en « Fédération Communistes des Soviets », pour disparaître très rapidement. C’est anecdotique, mais révélateur de comment en France la IIIe Internationale était un lieu de projection.

    La Fédération Communiste des Soviets se présente comme la section de langue française de l’Internationale Communiste de Moscou

    Ne restaient alors plus que les partisans de la IIIe Internationale au sein du Parti socialiste SFIO, le Comité pour la reprise des relations internationales étant devenu en mai 1919 le Comité pour l’adhésion à la IIIe Internationale.

    Après la victoire de la tendance de Jean Longuet, les ex-majoritaires cherchent bien entendu à reprendre la main, mais ils échouent, les plus à droite s’éloignent alors souvent, fondant le journal La France libre en 1918, un Parti socialiste français en 1920 avec de nombreux députés, etc.

    La SFIO penche de toute façon toujours plus vers la gauche et au congrès de 1919, la motion d’Alexandre Bracke triomphe avec 1 763 mandats contre 333 en prônant un refus de toute alliance avec les partis bourgeois.

    Alexandre Bracke, intransigeant ici en reprenant la ligne d’avant 1914, avait entre-temps été en première ligne dans l’Union Sacrée et même à l’œuvre pour l’intégration des socialistes dans le gouvernement !

    Alexandre Bracke

    Il ne manquait plus que le mouvement de masse pour pousser davantage cet élan sentimental-romantique vers la révolution russe.

    En avril 1919, alors que le meurtrier de Jean Jaurès est acquitté, 300 000 personnes défilent à Paris et le premier mai qui suit se transforme en bataille rangée avec la police, faisant au moins 430 blessés dans les rangs de celle-ci et un mort chez les manifestants, l’ouvrier électricien Charles Lorne, dont l’enterrement rassemble 300 000 personnes.

    Le même mois, la flotte française de la mer Noire, en opération contre la révolution russe, connaît une révolte, sur le Waldeck-Rousseau, le France, le Jean-Bart, le Justice… alors qu’André Marty tente avec le torpilleur le Protet de rejoindre l’armée rouge.

    Des mutins de la mer Noire

    La grève est alors massive dans tout le pays en juin, avec notamment 500 000 grévistes à Paris, l’ensemble des mineurs du Nord ; 1919 est marqué par 2026 grèves et 1 151 000 grévistes. Cependant, l’incapacité à organiser le 21 juillet 1919 une grève politique contre l’intervention en Russie soviétique sera également extrêmement mal vue par l’Internationale Communiste venant de se former.

    1920 verra ensuite 1832 grèves avec 1 317 000 grévistes, mais la tactique des « grèves successives » aboutit à un échec des grèves dans les métaux, puis dans le bâtiment, les transports, l’éclairage, les dockers, etc.

    Pourtant, les masses s’organisent : de 34 000 membres en 1918, le Parti socialiste SFIO en a 150 000 au début de l’année 1920 ; la CGT a quant à elle désormais 2,5 millions de membres.

    Cela se produit dans un contexte explosif : en 1920, le coût de la vie est de 400 % celui de 1914. L’agitation populaire est telle qu’avant le premier mai 1920, le ministre de la Guerre André Lefèvre prévient :

    « Il faut bien qu’on sache que l’armée reste la force publique, et qu’à l’avenir on n’ignore plus qu’elle sera munie de cartouches. »

    Cependant, le Parti socialiste SFIO ne parvient pas à émerger. Aux élections de novembre 1919, il n’obtient d’ailleurs que 1,8 million de voix sur 8 millions d’électeurs. Il faudra que ce changement quantitatif avec le mouvement de masse provoque un changement qualitatif avec les congrès de Strasbourg et de Tours, qui ont lieu au début et à la fin de l’année 1920.

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    au lendemain de la première guerre mondiale

  • La fin de la première guerre mondiale dans un contexte de révoltes

    Le congrès de Tours est l’aboutissement de toute une séquence commencée en 1917. C’est l’année en effet où la France craque sur le plan interne, la guerre perdant son caractère intouchable.

    Au début de l’année 1917, la mobilisation totale a clairement perdu son aura ; le nationalisme s’est épuisé ; le caractère parasite de la bourgeoisie dans « l’effort national » devient toujours plus visible. Déjà, en novembre 1916, un roman comme Le Feu Journal d’une escouade de Henri Barbusse pouvait paraître et avoir un immense succès, le prix Goncourt lui étant remis la même année encore.

    La guerre décourage, tout semble enlisé, le discipline s’étiole ; l’agitation grandit. La bourgeoisie est obligée de développer le mythe de la « dernière grande offensive », cherchant à forcer le destin. L’échec meurtrier de ce qui sera appelé la bataille du Chemin des Dames, avec pratiquement 200 000 soldats français tués, provoque des révoltes, des mutineries, des marches de régiments sur Paris : les rebelles sont fusillés par centaines, voire bombardés.

    La grève est également devenue une actualité de masse. On passe de 1916 à 1917 de 314 grèves à 696, de 41 000 grévistes à 294 000. La région parisienne est le bastion de la contestation, notamment les métallurgistes de Saint-Denis, Aubervilliers, chez Panhard, les employés de banques, les midinettes (qui sont des employées de couture), mais le mouvement est également puissant dans la Loire, en Isère.

    En réponse, en novembre 1917, la bourgeoisie lance une nouvelle vague nationaliste-autoritaire, avec la formation d’un gouvernement sous l’égide de Georges Clemenceau qui assume en même temps le poste de ministre de la Guerre. Georges Clemenceau avait déjà, lors d’un premier gouvernement en 1906-1909, réprimé brutalement, de manière sanglante, le mouvement ouvrier.

    Le chef du gouvernement Georges Clemenceau en novembre 1917

    Mais février 1917 avait déjà été marqué par la première révolution russe et le premier mai 1917, 10 000 personnes manifestent à Paris en soutien de celle-ci, avec un manifeste diffusé qui affirme :

    « Partout les peuples révoltés doivent se débarrasser de leur gouvernement de classe, pour mettre à sa place le pouvoir des délégués des ouvriers et des soldats passés au peuple. La révolution russe est le signal de la révolution universelle. »

    Cependant, il faut bien voir ici le grand malentendu qui se pose. Du côté français, de manière unanime à pratiquement quelques personnes près, on considère chez les socialistes que la guerre était nécessaire en raison du militarisme allemand et qu’il y a une seule erreur véritable : celle de ne pas avoir cherché à la terminer la plus rapidement possible.

    Cela n’a strictement rien à voir avec la ligne des sociaux-démocrates russes ayant prôné la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. L’approche est radicalement différente. Les socialistes ne le voient cependant pas. Pour eux, cela n’est valable qu’en cas de prochaine guerre – ils considèrent avoir fait le maximum en 1914 et ne pas avoir à se remettre en cause.

    Nullement autocritiques en quoi que ce soit, les socialistes français, voyant que la révolution russe met fin à la guerre et renverse la monarchie, qu’elle instaure même un régime à caractère collectiviste, se disent qu’ils relèvent de la même tendance historique, que tout cela s’appuie, somme toute, sur la même démarche.

    Des soldats français à Verdun

    C’est très important, car il faut bien saisir que le congrès de Tours est la convergence :

    – de socialistes se réorganisant à la fin de la première guerre mondiale, cherchant une base pour le faire ;

    – de mouvements de masse en opposition à la guerre et se reconnaissant à différents degrés dans les révolutions russes.

    Le processus n’est donc nullement conscient, nullement organisé et c’est cela qui fait que la question se pose seulement en décembre 1920, trois ans après la révolution russe, deux ans et demi après la révolution finlandaise, deux ans après la révolution allemande, un an et demi après la révolution hongroise.

    On peut de ce fait voir que la tendance qui va choisir la IIIe Internationale au sein du Parti socialiste SFIO vient du camp pro-paix s’étant formé en son sein à partir de 1916-1917. Elle ne vient pas de révolutionnaires qui se sont opposés à la guerre, comme en Allemagne avec le noyau de « Spartacus » autour de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht.

    Karl Liebknecht haranguant la foule à Berlin en 1918

    Le camp pro-paix au sein du Parti socialiste SFIO pousse à reprendre les relations internationales, avec comme but une conférence à Stockholm à la fin de l’année 1917 qui ne se tiendra pas en tant que telle, alors que 1500 personnes se rassemblent à Paris Place de la République, scandant « À bas la guerre ! Stockholm ! Stockholm ! Nous voulons nos poilus ! ».

    Le mouvement ouvrier ne cesse parallèlement de monter en puissance et à Lyon, le 19 janvier 1918, il y a une grève de trois jours, les ouvriers métallurgistes se rassemblant en plein centre-ville, exigeant de connaître les buts de la guerre menée par le gouvernement.

    Ce thème des buts de guerre est également celui de la minorité syndicale qui s’est formée à la CGT et qui se réunit à Saint-Étienne en mai 1918, où une grève d’une semaine dans la Loire est décidée et menée.

    En région parisienne, les délégués d’ateliers mis en place par le régime pour encadrer la production se transforment alors en terreau révolutionnaire, avec une révolte de masse appelant à l’armistice. Entre-temps, après Octobre 1917, le gouvernement français envoyait des troupes en Russie pour épauler la contre-révolution.

    Favorables à la paix, sympathisant avec la révolution russe, alors que la guerre mondiale se termine et qu’une réorganisation est possible : pour les socialistes français, l’heure est à l’engouement, pour un élan les poussant à se tourner vers l’Internationale Communiste pour avoir l’impression de ne pas décrocher.

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    au lendemain de la première guerre mondiale

  • Le sens de la reconstitution du Parti Communiste en France

    Qu’est-ce qu’un Parti Communiste ? Ce sont des gens qui incarnent la volonté de la révolution, qui portent les valeurs de la révolution, qui font de l’agitation et de la propagande, qui organisent. C’est une vérité bien connue dans notre pays, qui grâce à sa longue histoire de lutte des classes a su porter génération après génération des éléments se tournant vers le Communisme.

    Il est bien connu toutefois que, malheureusement, notre pays résume la politique au tempérament ; à cela s’ajoute que les Français ne sont bons que dans l’adversité. Lorsque le Parti Communiste fut fondé en 1920, il s’appuyait sur la majorité du Parti socialiste SFIO et pourtant il sombra immédiatement dans le sectarisme et la marginalité.

    Il fallut la tentative de coup d’État fasciste du 12 février 1934 pour que, le dos au mur, les révolutionnaires prennent l’initiative, portant une nouvelle dynamique qui fut celle du Front populaire. Livré à lui-même, le Front populaire s’enlisa toutefois et il fallut le drame de l’Occupation et du régime de Vichy pour que les révolutionnaires, une nouvelle fois le dos au mur, soient en mesure de se transcender, pour mener la Résistance.

    Ce n’est pareillement que le dos au mur, après dix années de régime gaulliste né du coup d’État de 1958, que les révolutionnaires furent en mesure de provoquer l’étincelle donnant naissance à Mai 1968, qui fut un véritable mouvement populaire. Puis, pareillement, les révolutionnaires sombrèrent dans le sectarisme et la marginalité après Mai 1968.

    Nous avons compris cette incapacité des révolutionnaires de France à agir de manière autonome, cette dépendance vis-à-vis des situations sans issue. Elle provient d’une démarche très française, s’appuyant sur un esprit rationaliste toujours prompt à relativiser et a ainsi se retrouver piégé par les situations.

    Cela, on n’y peut pas grand-chose : telle est la nature culturelle de notre peuple, de par son parcours historique. Si l’on ne discute pas de tout, ce n’est pas français. C’est une très bonne chose pour après la révolution, car c’est source de démocratie populaire. Cela n’aide toutefois pas pour aller à la révolution, car cela amène à repousser les échéances, à retarder les prises de décision, voire à ne jamais décider de rien.

    Il y a cependant un autre aspect, qu’on peut et qu’on doit travailler. C’est le fait qu’en France on réduise la question de la révolution au tempérament, à la volonté. C’est là un grave travers qui provient du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarchisme ; être révolutionnaire, ce serait ruer dans les brancards, tout le reste ne serait que réformisme.

    Nous affirmons que, justement, le bolchevisme développé par Lénine permet de ne pas sombrer ni dans l’anarchisme et sa vaine fascination pour le spectaculaire, ni dans le réformisme et son pragmatisme toujours prompt à la corruption. Ce fut également ce qu’avait senti la majorité des socialistes en France en 1920, lorsqu’il y eut la décision au Congrès socialiste de Tours de former la Section Française de l’Internationale Communiste, le Parti Communiste.

    Pourquoi le Parti Communiste a-t-il échoué dans les années 1920-1930 ?

    Les socialistes ont assumé, en 1920, de changer leurs méthodes de travail, leur conception de l’organisation, leur perception des questions théoriques. Cela a été très laborieux toutefois et il fallut attendre 1931 pour que le Parti Communiste se mette « à l’heure de Moscou ». Ce fut d’ailleurs le Slovaque Eugen Fried qui fut nommé en 1930 comme référent pour la France par l’Internationale Communiste ; c’est lui qui réorganisa le Parti Communiste, alors que Maurice Thorez en prit la direction.

    C’est ainsi sous la direction directe de l’Internationale Communiste que le Parti Communiste put réellement s’affirmer dans les années 1930, mais on sait bien qu’il y avait le besoin que soient générées des forces vives de l’intérieur pour que cela fonctionne vraiment. Or, avec l’Occupation, livrés à eux-mêmes, les militants du Parti Communiste ont montré qu’ils étaient comme Maurice Thorez.

    Les militants du Parti Communiste étaient plein d’abnégation, de tempérament sincèrement communiste. Mais ils ne comprenaient rien au matérialisme dialectique, ni à ce qui se passait en URSS. Ils suivaient l’URSS par intuition, par passion ; ils restaient incapables d’assimiler les bases du Communisme et ne produisirent aucune analyse matérialiste historique de leur propre pays.

    Les militants du Parti Communiste considéraient qu’ils représentaient le Parti du syndicalisme, que la révolution viendrait du syndicat, la CGT, qu’eux étaient des agitateurs politiques préparant le terrain pour cela. Lorsque le révisionnisme triompha en URSS en 1953, strictement rien ne changea pour le Parti Communiste : il continua tout comme avant.

    Pourquoi le Parti Communiste a-t-il échoué dans les années 1940-1960 ?

    Le Parti Communiste avait mené la Résistance, mais il se mit à la remorque de de Gaulle, tout comme il suivait en réalité le syndicat CGT dans tous les domaines. Devenu un mouvement de masse en 1945, et même le premier parti politique du pays, il ne prit jamais l’initiative, se plaçant toujours dans cette position de suivisme.

    Lors du coup d’État gaulliste de 1958, il ne fut donc pas en mesure de prendre l’initiative et après avoir rejeté le régime de la Ve République, il finit par s’en accommoder et même par le suivre. Cette logique de suivisme fut tellement forte que le Parti Communiste Français fut le grand opposant à Mai 1968, jetant avec la CGT toutes ses forces pour étouffer la protestation et casser les « gauchistes ».

    Comme on était alors déjà loin des principes du bolchevisme, de l’affirmation de la clandestinité, du soulèvement, de l’insurrection armée ! Et il est marquant que cette incohérence ne fut pas remarquée dans les rangs du PCF. Il y a une continuité profonde dans l’histoire du PCF, il n’y a jamais eu d’opposition interne, de protestation contre la décadence des orientations, de refus du révisionnisme à l’encontre des principes.

    C’est que le Parti Communiste, malgré les efforts de l’Internationale Communiste, ne fut jamais en France qu’un parti de type social-démocrate comme il existait en Allemagne et en Autriche avant 1914.

    Il était de masse, il exigeait les réformes, il en menait à grande échelle dans les municipalités ; il organisait de très nombreuses structures populaires, à grande échelle, comme le Secours Populaire, la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), l’Union des femmes françaises, l’UNEF, la Fête de l’Humanité, etc.

    Il était un lieu de socialisation, pas de révolution.

    Pourquoi le Parti Communiste a-t-il échoué dans les années 1970-1980 ?

    Mouvement de masse, Parti du syndicat, suiviste, le Parti Communiste a 440 000 membres au début des années 1970, mais il est incapable de prendre des initiatives, il ne peut que suivre. Il se mit logiquement à la remorque des socialistes, avec qui un programme commun est établi en 1972.

    De manière cohérente avec ce positionnement toujours accompagnateur, il avait naturellement balancé par-dessus bord tous les encombrants restes de principes idéologiques. Quelques jours avant son 22e congrès, son secrétaire général Georges Marchais annonça à la télévision que le concept de « dictature du prolétariat » était abandonné, sans que personne n’en soit offusqué par la suite parmi les 1500 délégués, qui avaient 32 ans de moyenne d’âge et dont 60 % avaient adhéré après 1968.

    Le Parti Communiste Français, parti gouvernemental dans les années 1980-2020

    Au début des années 1980, le Parti Communiste Français est un mouvement de masse et il le restera jusqu’au début des années 1990 encore. Cependant, il est hostile à l’idée de révolution ; il est ouvertement un parti d’orientation gouvernementale, étant d’ailleurs au gouvernement (1981-1984). Il choisit par la suite de rester entièrement un parti visant à une participation gouvernementale, ce qu’il réussit dans le cadre de la « gauche plurielle » (1997-2002).

    Il n’est plus que l’ombre de lui-même, il professe un « communisme » qui n’a plus rien à voir ni de près ni de loin avec son origine, ni même avec son propre parcours. Il a échappé à son rôle historique, qu’il n’a pas voulu assumer.

    Le sens de la reconstitution du Parti Communiste en France

    Puisque le Parti Communiste Français a trahi, il y a lieu de le reconstituer. Il ne s’agit pas de le « reconstruire ». Il y a eu des tendances qui sont apparues dans le Parti Communiste Français dans les années 1990, exprimant la nostalgie des années 1980, 1970, 1960. Cela n’a aucun sens, car le Parti Communiste Français était déjà corrompu.

    Il ne voulait déjà plus la révolution, le renversement du capitalisme et de son État par les masses en armes. Il n’assumait déjà plus le marxisme-léninisme et soutenait ouvertement le révisionnisme soviétique, auquel il contribuait avec la thèse développée par son économiste Paul Boccara, le « capitalisme monopoliste d’Etat », qui prolongeait celle du soviétique Eugen Varga.

    Aucune « reconstruction » n’est possible. Seule une reconstitution est possible et cela sur la base de deux éléments : l’affirmation de la prise du pouvoir par la violence et l’incarnation de l’antagonisme dans la société française. Le Parti Communiste se reconstitue en assumant la violence révolutionnaire et en étant porté par des gens assumant de rompre avec l’idéologie dominante, de ne pas céder aux valeurs proposées par le capitalisme.

    C’est cela qui forme le terrain pour l’expression du matérialisme historique permettant d’analyser la société française, du matérialisme dialectique comme vision du monde des communistes. C’est cela qui établit la substance du Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste), comme avant-garde portant l’antagonisme et le diffusant aux masses populaires, pour enclencher le processus révolutionnaire.

  • Une faillite généralisée de la seconde Internationale en 1914

    Les contorsions allemande et française pour « justifier » la guerre forment littéralement des modèles du genre dans la plupart des pays. Les social-démocraties autrichienne, hongroise et tchèque tinrent les mêmes positions sociales-chauvines.

    Affiche mise en place pour le congrès socialiste international de Vienne, qui fut empêché par le déclenchement de la guerre mondiale

    La social-démocratie autrichienne avait mené d’intenses initiatives anti-guerre en 1912, alors que l’empire austro-hongrois visait l’hégémonie sur les Balkans ; les congrès du Parti insistaient sur le refus du militarisme et de la guerre, l’affirmation de l’internationalisme, etc.

    Mais pareillement il fut expliqué que ce n’est pas le peuple qui décide de la paix et de la guerre, que la social-démocratie n’a aucune responsabilité dans tout cela, qu’il fallait maintenir les structures pour l’après-guerre où les choses reprendraient leur cours, que la guerre mondiale était la faute du tsar, etc.

    La social-démocratie hongroise dit exactement la même chose alors, mais du côté autrichien-allemand s’ajoute le pangermanisme : ce serait l’heure du destin de la nation allemande, dont la vie est en jeu et qui voit la possibilité d’enfin s’affirmer, etc.

    Cette ligne rendit fou de rage la section italienne de la social-démocratie autrichienne, alors que la section polonaise appela à se mobiliser contre la « brute moscovite ». Cette rhétorique guerrière contre les barbares envahisseurs est systématique pour compenser le retournement de situation.

    Le congrès syndical belge, fin juillet 1914, affirmait par exemple :

    « Le Congrès syndical affirmant l’irréductible opposition du prolétariat à la guerre, lance un cri d’alarme international et invite l’Internationale ouvrière à mettre tout en œuvre pour empêcher ce crime contre l’humanité et se solidarise dès à présent avec les travailleurs d’autres pays. »

    Le Parti Ouvrier Belge appelait de son côté à Bruxelles à une manifestation de protestation contre la guerre pour le 3 août 1914, qui fut annulée, alors que le 6 août les députés socialistes votaient « les crédits nécessaires à la mobilisation et à l’entretien des soldats et de la population civile. »

    Le manifeste « à la population » expliqua que cela va être un grand massacre… mais qu’on n’y peut rien.

    « Dans quelques jours, dans quelques heures peut-être, des millions d’hommes qui demandaient à vivre en paix, vont être entraînés, sans leur aveu, dans la plus effroyable des tueries par des traités qu’ils n’ont pas consentis, par des volontés qui leur sont étrangères.

    La démocratie socialiste n’a aucune responsabilité dans ce désastre. »

    L’article Pour le salut commun paru dans le quotidien Le Peuple le 4 août 1914 illustra alors la substance de ce tournant social-chauvin :

    « De toutes parts, tandis que le sentiment public s’enfièvre, s’exalte et tour à tour, il le faut bien dire, s’angoisse ou s’exaspère, de beaux jeunes gars, sans distinction de classe, ceux-ci de souche ouvrière, ceux-là d’origine bourgeoise, réclament l’honneur d’être enrôlés comme volontaires.

    Et nous, les farouches et les irréductibles antimilitaristes qu’on sait, nous qui n’avons cessé de lutter contre le monstre de la paix armée, sachant que, derrière lui, se profilait le spectre des plus abominables carnages, nous crions : « BRAVO ! » du fond du cœur, à tous ceux qui s’offrent bravement à participer à la défense nationale. »

    Encore les Belges pouvaient-ils justifier que leur pays connaissait une invasion allemande, mais ce serait là prendre au sérieux un justificatif dont il n’est nul besoin tellement la tendance au chauvinisme est présente pratiquement partout.

    Ainsi, même les Britanniques pourtant isolés territorialement se précipitèrent dans la guerre à laquelle participait leur pays. Le 2 août 1914 il y avait encore un rassemblement contre la guerre à Londres, sur la fameuse place Trafalgar Square, ainsi que dans d’autres villes. James Keir Hardie appela à se mobiliser pour arrêter la mobilisation générale, mais il fut isolé dans le mouvement ouvrier, tout comme son mouvement, l’Independent Labour Party, qui maintint une ligne d’opposition à la guerre, tout comme une partie du pareillement isolé British Socialist Party.

    Dans les pays neutres, le mouvement anti-guerre pouvait par contre échapper à la crise, au moins relativement et parfois temporairement seulement.

    Le 13e congrès du Parti Socialiste Italien, en juillet 1912, se prononça ainsi contre les tendances droitières ouvertes au chauvinisme et au nationalisme ; c’est paradoxalement Benito Mussolini qui se fit alors le porte-parole de l’aile gauche, en prônant et obtenant l’exclusion de quatre députés opportunistes. En avril 1914, le 14e congrès se prononça également encore contre le militarisme :

    « Le congrès affirme que l’antagonisme entre le socialisme et le militarisme est une expression corrélative de l’antagonisme existant entre le prolétariat et la bourgeoisie capitaliste. »

    Lorsque la guerre fit irruption, tant le Parti Socialiste Italien que la Confederazione Generale des Lavoro appelèrent à une intense propagande en faveur de la paix et pour la neutralité italienne, c’est-à-dire l’abandon de l’alliance normalement établie avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie.

    Par la suite pourtant, les socialistes italiens furent passifs, sur la base de l’absence de critique ou de soutien, « ni adhérer ni saboter », lorsque l’Italie entra dans la guerre en 1915 du côté des Alliés. Il y eut une vaste agitation ouvrière, mais la direction socialiste l’étouffa.

    Un autre pays neutre fut les Pays-Bas et la bourgeoisie néerlandaise décida de maintenir le pays à l’écart du conflit, en procédant à une mobilisation générale, ce qui formait bien entendu un appui au régime. Le 3 août 1914, le Parti Ouvrier Social-Démocrate des Pays-Bas vota les crédits de guerre ; Pieter-Jelles Troelstra, son dirigeant, justifia ainsi les choses dans une déclaration commune des dirigeants du Parti :

    « Désormais le peuple néerlandais fait face, et nous aussi camarades, devant les amères conséquences de la guerre.

    La mobilisation de l’armée et de la flotte par le gouvernement est la première conséquence. Comme elle doit montrer que notre peuple veut tout faire pour ne pas être impliqué dans le conflit des grandes puissances, la fraction parlementaire social-démocrate a voté en sa faveur (…).

    Même si vous n’êtes pas en mesure en cette période de désorganisation d’avoir en mains les armes contre le capitalisme, gardez les et protégez les, afin d’en faire usage au moment où la crise s’affaiblira et le moment sera venu de tirer les conséquences pour le soulèvement de notre classe. Unissez-vous sous le mot d’ordre : Fidèle au drapeau rouge ! »

    Pieter-Jelles Troelstra resta fidèle à cette ligne paradoxale de soumission au régime et d’attente du grand soir ; en novembre 1918, il annonça au parlement que l’heure de la révolution était arrivée. Cela apparut comme totalement décalé dans un pays légitimiste quant à la monarchie et il fut carbonisé politiquement, n’étant même pas arrêté.

    Le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Suède se réunit en août 1914 pour un congrès, appelant à la mobilisation pour le maintien de la neutralité. Il fut cependant au bout de deux jours repoussé à la fin novembre en raison de la mobilisation faite dans le pays. Le Parti des jeunes socialistes – une structure indépendante – expliqua qu’il n’était pas possible d’appeler à la grève générale et au soulèvement dans une telle situation et dans un petit pays. Dans son Manifeste du 15 août, il est dit :

    « Que se serait-il passé, comment est-ce que la guerre mondiale aurait pu être évite ? se demandent certainement des milliers qui le cou tendu attendent la mort.

    Ici il n’y a qu’une seule réponse, mille fois annoncée de notre part : la grève générale !

    Pourquoi est-ce que les ouvriers ne nous ont pas écoutés, pourquoi n’ont-ils pas écouté les socialistes révolutionnaires du monde entier, alors que nous avons de manière opiniâtre promu la grève générale contre la guerre ?

    Maintenant l’avalanche est sur nous – et nous donne raison. Pourquoi n’avez-vous pas écouté, avant qu’il soit trop tard ?

    Nulle part l’Europe serait en flammes si les ouvriers avaient été unis et prêts, lorsque cela aurait été un devoir sacré, de considérer chaque mobilisation comme une proclamation de la grève générale. »

    C’était là typique de la position centriste, qui justifiait l’injustifiable en prétendant que rien d’autre n’était possible, que les ouvriers n’ont pas été à la hauteur, etc. Il y avait heureusement des Partis sauvant l’honneur et montrant qu’il était possible de faire face.

    La Serbie était ainsi de son côté un des premiers pays concernés, puisque la guerre serbo-autrichienne était le déclencheur apparent de la première guerre mondiale.

    La social-démocratie serbe avait, avant la guerre, soutenu une énergique ligne en faveur d’une union de tous les peuples des Balkans ; la ligne était qu’une union entre la Serbie, la Bulgarie, la Roumanie, la Grèce, l’Albanie et le Monténégro amenait l’amitié entre les peuples balkaniques et empêcherait les conquêtes des grandes puissances à leurs dépens.

    Elle maintint cette ligne en s’opposant à la guerre ; les dirigeants Dimitrije Tucović et Dušan Popović prirent une position internationaliste. Le Parti fut cependant totalement déstructuré par la mobilisation. Décéda au front dès 1914 Dimitrije Tucović, dont l’ouvrage Serbie et Albanie : une contribution à la critique de la politique impérialiste de la bourgeoisie serbe fut une référence pour le mouvement ouvrier serbe.

    La fraction Tesniaki de la social-démocratie bulgare se mobilisa également contre une participation à la guerre, organisant des protestations de masse. C’était le début d’un grand rapprochement avec les bolchéviks russes.

    Le Socialist Party of America fut également contre la guerre, mais l’intervention américaine en Europe fut accompagnée d’une terrible vague nationaliste qui le mit à mal, dans le cadre d’un épisode décisif pour le mouvement ouvrier américain. C’était là un aspect méconnu mais qui devait avoir une importance mondiale de par l’importance des États-Unis après 1918.

    La seconde Internationale avait failli en Europe, seule la social-démocratie russe maintenant le cap en tant que tel au plus haut niveau, avec des parallèles bulgare, serbe… mais surtout elle avait échoué à apporter un niveau suffisant à sa section américaine, qui ne se relèvera jamais de la première guerre mondiale.

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    et le déclenchement de la première guerre mondiale