Programme d’action agraire du quatrième congrès de l’Internationale Communiste

Indications pour l’application des thèses du 2e Congrès Mondial sur la question agraire

Les bases de nos rapports vis-à-vis des masses laborieuses de la campagne ont déjà été fixées dans les thèses agraires du 2e Congrès. Dans la phase actuelle de l’offensive du Capital, la question agraire acquiert une importance primordiale.

Le 4e Congrès demande à tous les partis de s’efforcer de gagner les masses laborieuses de la campagne et établit pour ce travail les règles suivantes:

§1. La grande masse du prolétariat agricole et des paysans pauvres qui ne possèdent pas assez de terre et sont obligés de travailler une partie de leur temps comme salariés, ou qui sont exploités d’une manière ou d’une autre par les propriétaires fonciers et les capitalistes, ne peut être libérée définitivement de son état actuel de servitude et de guerres inévitables dans le régime capitaliste que par une révolution mondiale, une révolution qui confisquera sans indemnité et mettra à la disposition des ouvriers la terre, avec tous les moyens de production, et qui instaurera à la place de l’État des propriétaires fonciers et des capitalistes l’État Soviétique des ouvriers et des paysans et préparera ainsi la voie au communisme.

§2. Dans la lutte contre l’État des capitalistes et des propriétaires fonciers, les petits paysans et les petits fermiers sont les camarades de combat naturels du prolétariat industriel et agricole. Pour relier leur mouvement révolutionnaire à la lutte du prolétariat de la ville et de la campagne, la chute de l’État bourgeois est nécessaire, ainsi que la prise du pouvoir politique par le prolétariat industriel, l’expropriation des moyens de production ainsi que de la terre, et la suppression de la domination des agrariens et de la bourgeoisie à la campagne.

§3. Afin de gagner à une neutralité bienveillante les paysans moyens et les ouvriers agricoles ainsi que les paysans pauvres à la révolution, les paysans moyens doivent être arrachés à l’influence des paysans riches liés aux grands propriétaires fonciers.

Ils doivent comprendre qu’ils doivent lutter avec le Parti révolutionnaire du prolétariat, le PC, étant donné que leurs intérêts s’accordent, non avec ceux des gros paysans riches, mais avec ceux du prolétariat.

Pour arracher ces paysans à la direction des grands propriétaires fonciers et des paysans riches, il ne suffit pas d’établir un programme ou de faire de la propagande: le PC doit prouver par une action continue qu’il est véritablement le Parti de tous les opprimés.

§4. C’est pourquoi le PC doit se mettre à la tête de toutes les luttes que les masses laborieuses de la campagne mènent contre les classes dominantes.

Défendant les intérêts quotidiens de ces masses, le PC réunit les forces dispersées des travailleurs à la campagne, élève leur volonté combative, soutient leur lutte en la faisant appuyer par le prolétariat industriel, et les mène dans la voie conduisant aux buts de la révolution. Cette lutte menée en commun avec les ouvriers industriels, le fait que les ouvriers industriels luttent sous la direction du PC pour les intérêts du prolétariat agricole et des paysans pauvres, convaincront ceux-ci que, premièrement, seul le PC les défend réellement, tandis que tous les autres partis, tant agraires que social-démocrates, malgré leurs phrases démagogiques, ne veulent que les tromper, et servent en réalité les intérêts des capitalistes et des propriétaires fonciers, et, deuxièmement, que sous le capitalisme une amélioration véritable de la situation des ouvriers et des paysans pauvres est impossible.

§5. Nos revendications concrètes doivent se conformer à l’état de dépendance et d’oppression dans lequel se trouvent les ouvriers, les petits et moyens paysans à l’égard des capitalistes et des grands propriétaires fonciers, comme aussi à leurs intérêts réels.

Dans les pays coloniaux ayant une population paysanne opprimée, la lutte de libération nationale sera ou bien conduite par toute la population, comme c’est le cas par exemple en Turquie – et dans ce cas la lutte des paysans opprimés contre les grands propriétaires fonciers commence inévitablement après la victoire de la lutte de libération nationale –ou bien les Seigneurs féodaux s’allient avec les impérialistes étrangers, comme c’est le cas par exemple dans l’Inde, et alors la lutte sociale des paysans opprimés concorde avec la lutte de libération nationale.

Dans les territoires où il reste encore de fortes survivances du féodalisme, où la révolution bourgeoise n’a pas été terminée et où des privilèges féodaux sont encore liés à la propriété foncière, ces privilèges doivent disparaître au cours de la lutte pour la possession de la terre, qui est ici d’une importance décisive.

§6. Dans tous les pays, où il existe un prolétariat agricole, cette couche sociale constitue le facteur le plus important du mouvement révolutionnaire à la campagne.

Le Parti Communiste soutient, organise, approfondit le prolétariat pour l’amélioration de sa situation politique, économique et sociale – contrairement aux social-démocrates qui poignardent dans le dos.

Pour hâter la maturité révolutionnaire du prolétariat rural et l’éduquer pour la lutte en vue de la dictature du prolétariat qui, seule, peut le libérer définitivement de l’exploitation dont il souffre, le PC soutient le prolétariat agricole dans sa lutte pour :

• L’élévation du salaire réel, l’amélioration des conditions de travail, de logement et de culture.

• La liberté de réunion, d’association, de grève, de la presse, etc. pour obtenir au moins les mêmes droits que les ouvriers industriels.

• Journée de huit heures, assurance contre les accidents, assurance contre la vieillesse, interdiction du travail des enfants, construction d’écoles techniques, etc., et, au moins, extension de la législation sociale dont jouit actuellement le prolétariat.

§7. Le PC luttera jusqu’au jour où les paysans seront définitivement libérés par la révolution sociale contre toutes les sortes d’exploitation des petits et moyens paysans par le capitalisme, contre l’exploitation par les usuriers, qui jettent les paysans pauvres dans la servitude de l’endettement, enfin contre l’exploitation par le capital commercial qui achète à bon marché les légers excédents de production des petits paysans et les revend à des prix élevés au prolétariat des villes.

Le PC lutte contre ce capital commercial parasitaire et pour la liaison immédiate des coopératives de consommation du prolétariat industriel contre l’exploitation par le capital industriel, qui utilise son monopole pour élever artificiellement les prix des produits industriels ; pour la fourniture aux petits paysans de moyens de production (engrais artificiels, machines, etc.) à bon marché. Les conseils d’entreprises industrielles devront contribuer à cette lutte en établissant le contrôle des prix.

• Contre l’exploitation du monopole privé des compagnies de chemins de fer, comme cela existe surtout dans les pays anglo-saxons.

• Contre l’exploitation de l’État capitaliste, dont le système fiscal surcharge les petits paysans en faveur des grands propriétaires fonciers ; le Parti réclame l’exonération d’impôt pour les petits paysans.

§8. Mais l’exploitation la plus grave dont souffrent les paysans pauvres dans les pays non coloniaux provient de la propriété privée du sol des grands propriétaires fonciers.

Pour pouvoir utiliser pleinement leurs forces de travail et surtout pour pouvoir vivre, les paysans pauvres sont obligés de travailler chez les grands propriétaires fonciers à des salaires de famine ou d’affermer ou d’acheter de la terre à des prix très élevés, par quoi une partie du salaire des petits paysans est accaparée par les grands propriétaires fonciers. L’absence de terres oblige les paysans pauvres à se soumettre à l’esclavage moyenâgeux sous des formes modernes.

C’est pourquoi le PC lutte pour la confiscation de la terre avec tout l’inventaire au profit de ceux qui la cultivent réellement. Jusqu’à ce que cela soit réalisé par la révolution prolétarienne, le PC soutient la lutte des paysans pauvres pour :

1) L’amélioration des conditions d’existence des métayers, par la réduction de la part qui revient aux propriétaires ;

2) La réduction des fermages pour les petits fermiers, la remise obligatoire d’une indemnité pour toutes les améliorations apportées à la terre par le fermier au cours du contrat de fermage, etc. Les syndicats des travailleurs agricoles, dirigés par les communistes, soutiendront les petits fermiers dans cette lutte et n’accepteront de faire aucun travail dans les champs qui auront été enlevés aux petits fermiers par les propriétaires fonciers à cause de litiges se rapportant au fermage;

3) La cession des terres, de bétail et de machines à tous les paysans pauvres, à des conditions permettant d’assurer leur gagne-pain ; et non pas des parcelles de terres qui lient leurs propriétaires à la glèbe et les obligent à chercher du travail pour des salaires de famine chez les propriétaires ou paysans voisins, mais des quantité de terres suffisantes pour pouvoir employer toute l’activité des paysans. Dans cette question, il faudra avant tout tenir compte des intérêts des ouvriers agricoles.

§9. Les classes dominantes essayent d’étouffer le caractère révolutionnaire du mouvement des paysans au moyen de réformes agraires bourgeoises, de répartitions de terres entre les éléments dirigeants de la classe paysanne. Elles ont réussi à provoquer un fléchissement temporaire du mouvement révolutionnaire à la campagne.

Mais toute réforme agraire bourgeoise se heurte aux limites du capitalisme. La terre n’est donnée que contre indemnité et à des personnes qui sont déjà en possession de moyens de production. Une réforme agraire bourgeoise n’a absolument rien à offrir aux éléments prolétariens ou semi-prolétariens.

Les conditions extrêmement sévères qui sont imposées aux paysans recevant de la terre lors d’une réforme agraire bourgeoise et qui, par suite, n’ont pas pour résultat d’améliorer véritablement leur situation, mais au contraire de les plonger dans l’esclavage de l’endettement, mènent inévitablement à une recrudescence du mouvement révolutionnaire et à une aggravation de l’antagonisme existant entre les petits et gros paysans, de même qu’entre les ouvriers agricoles qui ne reçoivent pas de terre et perdent des occasions de travail par suite de la division des grandes propriétés.

Seule, une révolution prolétarienne pourra apporter la libération définitive des classes laborieuses de la campagne, révolution qui confisquera sans indemnité aucune la terre des grands propriétaires fonciers ainsi que tout l’inventaire, mais laissera intactes les terres cultivées par les paysans, délivrera ceux-ci de toutes charges, fermages, hypothèques, restrictions féodales qui pèsent sur eux, et soutiendra de toutes les façons les couches inférieures de la classe paysanne. Les paysans qui cultivent la terre décideront eux-mêmes de la façon dont la terre enlevée aux grands propriétaires fonciers devra être exploitée.

À ce sujet les thèses du 2e Congrès déclarent ce qui suit: Pour les pays capitalistes les plus développés, l’IC croit qu’il est bon de maintenir le plus possible les grandes exploitations agraires et de les former sur le modèle des domaines soviétiques en Russie.

Il faudra également soutenir la création de l’exploitation collective (coopératives agraires, communautés agricoles). Le maintien des grandes exploitations agricoles sauvegarde les intérêts des couches révolutionnaires de la population paysanne, des ouvriers agricoles et des petits propriétaires semi-prolétariens qui sont obligés de gagner leur vie en travaillant une partie de leur temps dans les grandes exploitations agricoles.

D’autre part, la nationalisation des grandes exploitations agricoles rend la population des villes, au moins en partie dans la question du ravitaillement, indépendante des paysans. Là où existent encore des survivances du féodalisme, des servitudes, ou le système du métayage, il peut être nécessaire, dans certaines circonstances, de remettre aux paysans une partie de la terre des grandes propriétés.

Dans les pays où les grandes exploitations agricoles ne jouent qu’un rôle relativement petit, et où par contre il existe une grande quantité de petits propriétaires paysans qui veulent conserver la terre, la répartition de la terre des grandes propriétés est le meilleur moyen de gagner les paysans à la révolution, tandis que le maintien des grandes exploitations n’est pas d’une importance primordiale pour le ravitaillement des villes.

Là où se produit une répartition des grandes propriétés entre les paysans, il faudra tenir compte en premier lieu des intérêts du prolétariat agricole.

***

Tous les communistes qui travaillent dans l’agriculture ou dans les entreprises industrielles liées à l’agriculture, sont tenus d’entrer dans les organisations des ouvriers agricoles, d’y grouper et de conduire les éléments révolutionnaires, en vue de transformer ces organisations en organes révolutionnaires.

Là où il n’existe aucun syndicat, c’est le devoir des communistes de travailler à leur création. Dans les organisations jaunes, fascistes et contre-révolutionnaires, ils doivent mener un travail d’éducation intense en vue de détruire ces organisations contre-révolutionnaires.

Dans les grandes entreprises agricoles, ils doivent créer des conseils d’entreprise, en vue de la défense des intérêts ouvriers, du contrôle de la production, et pour empêcher l’introduction du système d’exploitation extensive. Ils doivent appeler le prolétariat industriel au secours du prolétariat agricole en lutte et incorporer celui-ci dans le mouvement des conseils d’entreprises industrielles.

Etant donné l’importance formidable des paysans pauvres pour le mouvement révolutionnaire, c’est le devoir des communistes d’entrer dans les organisations des petits paysans (coopératives de production, de consommation et de crédit) pour les transformer, pour faire disparaître les antagonismes apparents d’intérêt entre les ouvriers agricoles et les paysans pauvres, antagonismes grossis artificiellement par les propriétaires fonciers et les paysans riches, et relier étroitement l’action de ces organisations avec le mouvement du prolétariat rural et industriel.

Seule, la collaboration de toutes les forces révolutionnaires de la ville et de la campagne permettra d’opposer une résistance victorieuse à l’offensive du capitalisme et, passant de la défensive à l’offensive, d’obtenir la victoire finale.

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Thèses sur la question noire du quatrième congrès de l’Internationale Communiste

[La traduction française du document a comme titre Thèses sur la question nègre ; le terme étant déprécié aujourd’hui, il a été considéré juste de le modifier.]

§1. Pendant et après la guerre, il s’est développé parmi les peuples coloniaux et semi-coloniaux, un mouvement de révolte contre le pouvoir du capital mondial, mouvement qui fait de grands progrès.

La pénétration et la colonisation intense des régions habitées par des races noires posent le dernier grand problème dont dépend le développement futur du capitalisme. Le capitalisme français admet clairement que son impérialisme, après la guerre, ne pourra se maintenir que par la création d’un empire franco-africain, relié par une voie terrienne transsaharienne.

Les maniaques financiers de l’Amérique, qui exploitent chez eux 12 millions de nègres, s’appliquent maintenant à pénétrer pacifiquement en Afrique. Les mesures extrêmes prises pour écraser la grève du Rrand montrent assez combien l’Angleterre redoute la menace surgie pour sa position en Afrique.

De même que sur le Pacifique le danger d’une autre guerre mondiale est devenu menaçant par suite de la concurrence des puissances impérialistes, de même l’Afrique apparaît comme l’objet de leurs rivalités.

Bien plus, la guerre, la révolution russe, les grands mouvements qui ont soulevé les nationalistes d’Asie et les musulmans contre l’impérialisme, ont éveillé la conscience de millions de nègres opprimés par les capitalistes, réduits à une situation inférieure depuis des siècles, non seulement en Afrique, mais peut-être même encore davantage en Amérique.

§2. L’histoire a dévolu aux nègres d’Amérique un rôle important dans l’affranchissement de toute la race africaine. Il y a 300 ans que les nègres américains ont été arrachés de leur pays natal, l’Afrique, transportés en Amérique où ils ont été l’objet des pires traitements et vendus comme esclaves.

Depuis 250 ans, ils ont travaillé sous le fouet des propriétaires américains: ce sont eux qui ont coupé les forêts, construit les routes, planté les cotonniers, posé les traverses de chemins de fer et soutenu l’aristocratie du Sud. Leur récompense a été la misère, l’ignorance, la dégradation.

Le nègre n’était pas un esclave docile, il a eu recours à la rébellion, à l’insurrection, aux menées souterraines pour recouvrer sa liberté ; mais ses soulèvements ont été réprimés dans le sang ; par la torture, on l’a forcé à se soumettre ; la presse bourgeoise et la religion se sont associées pour justifier son esclavage.

Quand l’esclavage concurrença le salariat et devint un obstacle au développement de l’Amérique capitaliste, il dut disparaître. La guerre de sécession entreprise, non pas pour affranchir les nègres, mais pour maintenir la suprématie industrielle des capitalistes du Nord, mit le nègre dans l’obligation de choisir entre l’esclavage dans le Sud et le salariat dans le Nord.

Les muscles, le sang, les larmes du nègre « affranchi » ont aidé à l’établissement du capitalisme américain, et quand, devenue une puissance mondiale, l’Amérique a été entraînée dans la guerre mondiale, le nègre américain a été déclaré l’égal du blanc, pour tuer et se faire tuer pour la démocratie.

Quatre cent mille ouvriers de couleur ont été enrôlés dans les troupes américaines, où ils ont formé les régiments de « Jim crow ». À peine sortis de la fournaise de la guerre, les soldats nègres, revenus au foyer, ont été persécutés, lynchés, assassinés, privés de toute liberté et cloués au pilori.

Ils ont combattu, mais pour affirmer leur personnalité ils ont dû payer cher. On les a encore plus persécutés qu’avant la guerre pour leur apprendre à « rester à leur place ».

La large participation des nègres à l’industrie après la guerre, l’esprit de rébellion qu’ont éveillé en eux les brutalités dont ils sont les victimes, met les nègres d’Amérique, et surtout ceux de l’Amérique du Nord, à l’avant-garde de la lutte de l’Afrique contre l’oppression.

§3. C’est avec une grande joie que l’IC voit les ouvriers nègres exploités résister aux attaques des exploiteurs, car l’ennemi de la race nègre est aussi celui des travailleurs blancs. Cet ennemi, c’est le capitalisme, l’impérialisme. La lutte internationale de la race nègre est une lutte contre le capitalisme et l’impérialisme.

C’est sur la base de cette lutte que le mouvement nègre doit être organisé: en Amérique, comme centre de culture nègre et centre de cristallisation de la protestation des nègres ; en Afrique, comme réservoir de main-d’œuvre pour le développement du capitalisme ; en Amérique Centrale (Costa-Rica, Guatemala, Colombie, Nicaragua et les autres républiques « indépendantes » où l’impérialisme américain est prédominant) ; à Porto-Rico, à Haïti, à Saint-Domingue et dans les autres îles de la mer des Caraïbes, où les mauvais traitements infligés aux nègres par les envahisseurs américains ont soulevé les protestations des nègres protestations des nègres conscients et des ouvriers blancs révolutionnaires.

En Afrique du Sud et au Congo, l’industrialisation croissante de la population nègre a provoqué des soulèvements de formes variées ; en Afrique Orientale, la pénétration récente du capital mondial pousse la population indigène à résister activement à l’impérialisme.

§4. L’IC doit indiquer au peuple nègre qu’il n’est pas seul à souffrir de l’oppression du capitalisme et de l’impérialisme, elle doit lui montrer que les ouvriers et les paysans d’Europe, d’Asie et d’Amérique, sont aussi les victimes de l’impérialisme ; que la lutte contre l’impérialisme n’est pas la lutte d’un seul peuple, mais de tous les peuples du monde ; qu’en Chine, en Perse, en Turquie, en Égypte et au Maroc, les peuples coloniaux combattent avec héroïsme contre leurs exploiteurs impérialistes, que ces peuples se soulèvent contre les mêmes maux que ceux qui accablent les nègres (oppression de race, exploitation industrielle intensifiée, mise à l’index) ; que ces peuples réclament les mêmes droits que les nègres: affranchissement et égalité industrielle et sociale.

L’IC, qui représente les ouvriers et les paysans révolutionnaires du monde entier dans leur lutte pour abattre l’impérialisme, l’IC qui n’est pas seulement l’organisation des ouvriers blancs d’Europe et d’Amérique, mais aussi celle des peuples de couleur opprimés du monde entier, considère qu’il est de son devoir d’encourager et d’aider l’organisation internationale du peuple nègre dans sa lutte contre l’ennemi commun.

§5. Le problème nègre est devenu une question vitale de la révolution mondiale. La 3e Internationale qui a reconnu le précieux secours que pouvaient apporter à la révolution prolétarienne les populations asiatiques dans les pays semi-capitalistes, regarde la coopération de nos camarades noirs opprimés essentielle à la révolution prolétarienne qui détruira la puissance capitaliste. C’est pourquoi le 4e Congrès déclare que tous les communistes doivent spécialement appliquer au problème nègre les «thèses sur la question coloniale».

§6.

a) Le 4e Congrès reconnaît la nécessité de soutenir toute forme du mouvement nègre ayant pour but de miner et d’affaiblir le capitalisme ou l’impérialisme, ou d’arrêter sa pénétration ;

b) L’IC luttera pour assurer aux nègres l’égalité de race, l’égalité politique et sociale ;

c) L’IC utilisera tous les moyens à sa disposition pour amener les trade-unions à admettre les travailleurs nègres dans leurs rangs ; là où ces derniers ont le droit nominal d’adhérer aux trade-unions, elle fera une propagande spéciale pour les attirer ; si elle n’y réussit pas, elle organisera les nègres dans des syndicats spéciaux et appliquera particulièrement la tactique du front unique pour forcer les syndicats à les admettre dans leur sein ;

d) L’IC préparera immédiatement un Congrès ou une Conférence générale des nègres à Moscou.

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Thèses générales sur la question d’Orient du quatrième congrès de l’Internationale Communiste

1. — La croissance du mouvement ouvrier en Orient

Se fondant sur l’expérience de l’édification soviétique en Orient et sur la croissance des mouvements nationalistes révolutionnaires aux colonies, le 2e Congrès de l’IC a fixé la position principale de l’ensemble de la question nationale et coloniale à une époque de lutte à longue échéance entre l’impérialisme et la dictature prolétarienne.

Depuis, la lutte contre le joug impérialiste dans les pays coloniaux et semi-coloniaux s’est considérablement intensifiée sur le terrain de l’aggravation de la crise politique et économique d’après-guerre de l’impérialisme. Les faits suivants le prouvent :

1) la faillite du traité de Sèvres, qui avait pour objet le démembrement de la Turquie, et la restauration de l’autonomie nationale et politique de celle-ci ;

2) une forte recrudescence du mouvement nationaliste révolutionnaire aux Indes, en Mésopotamie, en Égypte, au Maroc, en Chine et en Corée ;

3) la crise intérieure sans issue où se trouve engagé l’impérialisme japonais, crise qui a provoqué l’accroissement rapide des éléments de la révolution bourgeoise démocratique et le passage du prolétariat japonais à une lutte de classe autonome ;

4) l’éveil du mouvement ouvrier dans tous les pays orientaux et la formation, dans presque tous ces pays, de PC. Les faits précités sont l’indice d’une modification survenue à la base sociale du mouvement révolutionnaire des colonies ; cette modification provoque une intensification de la lutte anti impérialiste dont, de cette façon, la direction n’appartient plus exclusivement aux éléments féodaux et à la bourgeoisie nationaliste qui sont prêts à des compromis avec l’impérialisme. La guerre impérialiste de 1914-18 et la longue crise du capitalisme, surtout du capitalisme européen, qui s’ensuivit, ont débilité la tutelle économique des métropoles sur les colonies. D’un autre côté, les mêmes circonstances qui ont eu pour résultat un rétrécissement de la base économique et de la sphère d’influence politique du capitalisme mondial ont accentué encore davantage les compétitions capitalistes autour des colonies, d’où une rupture d’équilibre dans l’ensemble du système du capitalisme mondial (lutte pour le pétrole, conflit anglo-français en Asie Mineure, rivalité américano-japonaise pour la domination sur l’océan Pacifique, etc.).

C’est précisément cet affaiblissement de l’ascendant capitaliste sur les colonies, en même temps que la rivalité croissante des divers groupes impérialistes, qui a facilité le développement du capitalisme indigène dans les pays coloniaux et semi-coloniaux ; ce capitalisme a déjà débordé et continue à déborder le cadre étroit et gênant de la domination impérialiste des métropoles.

Jusqu’à présent, le capital des métropoles persistant à vouloir monopoliser la plus-value de l’exploitation commerciale, industrielle et fiscale des pays arriérés, tâchait d’isoler ces derniers de la circulation économique du reste du monde.

La revendication d’une autonomie nationale et économique arborée par le mouvement nationaliste colonial est l’expression du besoin de développement bourgeois éprouvé par ces pays. Le progrès constant des forces productrices indigènes aux colonies se trouve ainsi en contradiction irréductible avec les intérêts du capitalisme mondial, car l’essence même de l’impérialisme comporte l’utilisation de la différence de niveau qui existe dans le développement des forces productrices des divers secteurs de l’économie mondiale, dans le but de s’assurer la totalité de la plus-value monopolisée.

2. — Les conditions de la lutte

Le caractère retardataire des colonies s’accuse dans la diversité des mouvements nationalistes révolutionnaires dirigés contre l’impérialisme et reflète les divers niveaux de transition entre les corrélations féodales et féodalo-patriarcales et le capitalisme. Cette diversité prête un aspect particulier à l’idéologie de ces mouvements.

Dans ces pays, le capitalisme surgit et se développe sur une base féodale ; il prend des formes incomplètes, transitoires et bâtardes qui laissent la prépondérance, avant tout, au capital commercial et usuraire (Orient musulman, Chine). Aussi la démocratie bourgeoise prend-elle, pour se différencier des éléments féodalo-bureaucratiques et féodalo-agrariens, une voie détournée et embrouillée.

Tel est le principal obstacle au succès de la lutte contre le joug impérialiste, car l’impérialisme étranger ne se fait pas faute de transformer dans tous les pays arriérés la couche supérieure féodale (et en partie semi-féodale, semi-bourgeoise) de la société indigène en instrument de sa domination (gouverneurs militaires, ou toukoiuns en Chine, bureaucratie et aristocratie en Perse, fermiers de l’impôt foncier, zémindars et taloukdars aux Indes, planteurs de formation capitaliste en Egypte, etc.).

Ainsi les classes dirigeantes des pays coloniaux et semi-coloniaux n’ont-elles ni la capacité ni le désir de diriger la lutte contre l’impérialisme, à mesure que cette lutte se transforme en un mouvement révolutionnaire de masses.

Là seulement où le régime féodalo-patriarcal ne s’est pas suffisamment décomposé pour séparer complètement les hautes couches indigènes des masses du peuple, comme par exemple chez les nomades et semi-nomades, les représentants de ces hautes couches peuvent jouer le rôle de guides actifs dans la lutte contre l’oppression capitaliste (Mésopotamie, Mongolie, Maroc).

Dans les pays musulmans, le mouvement national trouve tout d’abord son idéologie dans les mots d’ordre politico-religieux du panislamisme, ce qui permet aux fonctionnaires et aux diplomates des métropoles de se servir des préjugés et de l’ignorance des multitudes populaires pour combattre ce mouvement (c’est ainsi que les Anglais jouent au panislamisme et au panarabisme, déclarant vouloir transporter le Khalifat aux Indes, etc., et l’impérialisme français spécule sur les « sympathies musulmanes » ).

Cependant, à mesure que s’élargit et mûrit le mouvement d’émancipation nationale, les mots d’ordre politico-religieux du panislamisme sont évincés par des revendications politiques concrètes. Ce qui le confirme, c’est la lutte commencée dernièrement en Turquie pour enlever au Khalifat son pouvoir temporel.

La tâche fondamentale, commune à tous les mouvements nationaux-révolutionnaires, consiste à réaliser l’unité nationale et l’autonomie politique.

La solution réelle et logique de cette tâche dépend de l’importance des masses travailleuses que tel ou tel mouvement national saura entraîner dans son cours, après avoir rompu toutes relations avec les éléments féodaux et réactionnaires et incarné dans son programme les revendications sociales de ces masses.

Se rendant fort bien compte que dans diverses conditions historiques les éléments les plus variés peuvent être les porte-parole de l’autonomie politique, l’IC soutient tout mouvement national-révolutionnaire dirigé contre l’impérialisme.

Toutefois, elle ne perd pas de vue en même temps que, seule, une ligne révolutionnaire conséquente, basée sur la participation des grandes masses à la lutte active et la rupture sans réserve avec tous les partisans de la collaboration avec l’impérialisme peut amener les masses opprimées à la victoire.

La liaison qui existe entre la bourgeoisie indigène et les éléments féodalo-réactionnaires permet aux impérialistes de tirer largement Parti de l’anarchie féodale, de la rivalité qui règne entre les divers clans et tribus, de l’antagonisme entre la ville et les campagnes, de la lutte entre castes et sectes nationalo-religieuses pour désorganiser le mouvement populaire (Chine, Perse, Kurdistan, Mésopotamie).

3. —La question agraire

Dans la plupart des pays d’Orient (Inde, Perse, Égypte, Syrie, Mésopotamie), la question agraire présente une importance de premier ordre dans la lutte pour l’affranchissement du joug du despotisme métropolitain.

En exploitant et en ruinant la majorité paysanne des pays arriérés, l’impérialisme la prive des moyens élémentaires d’existence, cependant que l’industrie peu développée, disséminée sur divers points du pays, est incapable d’absorber l’excédent de population rurale qui, en outre, ne peut même pas émigrer. Les paysans pauvres restés sur leur sol se transforment en serfs.

Si, dans les pays civilisés, les crises industrielles d’avant-guerre jouaient le rôle de régulateur de la production sociale, ce rôle régulateur est rempli dans les colonies par les famines. L’impérialisme, ayant un intérêt vital à recevoir le plus de bénéfices avec le moins de dépenses, soutient jusqu’à la dernière extrémité dans les pays arriérés les formes féodales et usuraires d’exploitation de la main-d’œuvre.

Dans certains pays, comme par exemple aux Indes, il s’attribue le monopole, appartenant à l’État féodal indigène, de la jouissance des terres et transforme l’impôt foncier en une redevance qui doit être versée au capital métropolitain et à ses commis, les«zémindaram» et «taloukdar».

Dans d’autres pays, l’impérialisme se saisit de la rente foncière en se servant pour cela de l’organisation indigène de la grosse propriété foncière (Perse, Maroc, Égypte, etc.).

Il s’ensuit que la lutte pour la suppression des barrières et des redevances féodales qui restent sur le sol revêt le caractère d’une lutte d’émancipation nationale contre l’impérialisme et la grande propriété foncière féodale. On peut prendre pour exemple le soulèvement des Moplahs contre les propriétaires fonciers et les Anglais, en automne 1921, aux Indes, et le soulèvement des Sikhs, en 1922.

Seule, une révolution agraire ayant pour objet l’expropriation de la grosse propriété féodale est capable de soulever les multitudes paysannes et d’acquérir une influence décisive dans la lutte contre l’impérialisme.

Les nationalistes bourgeois ont peur des mots d’ordre agraires et les rognent tant qu’ils peuvent (Indes, Perse, Égypte), ce qui prouve l’étroite liaison qui existe entre la bourgeoisie indigène et la grande propriété foncière féodale et féodalo-bourgeoise ; cela prouve aussi qu’idéologiquement et politiquement les nationalistes dépendent de la propriété foncière.

Ces hésitations et ces incertitudes doivent être utilisées par les éléments révolutionnaires pour une critique systématique et divulgatrice de la politique hybride des dirigeants bourgeois du mouvement nationaliste. C’est précisément cette politique hybride qui empêche l’organisation et la cohésion des masses travailleuses, comme le prouve la faillite de la tactique de la résistance passive aux Indes (non-coopération).

Le mouvement révolutionnaire dans les pays arriérés d’Orient ne peut être couronné de succès que s’il est basé sur l’action des multitudes paysannes.

C’est pourquoi les partis révolutionnaires de tous les pays d’Orient doivent nettement déterminer leur programme agraire et exiger la suppression totale du féodalisme et de ses survivances qui trouvent leur expression dans la grande propriété foncière et dans l’exemption de l’impôt foncier.

Aux fins d’une participation active des masses paysannes à la lutte pour l’affranchissement national, il est indispensable de proclamer une modification radicale du système de jouissance du sol. De même, il est indispensable de forcer les partis bourgeois nationalistes à adopter la plus grande partie possible de ce programme agraire révolutionnaire.

4. — Le mouvement ouvrier en Orient

Le jeune mouvement ouvrier oriental est un produit du développement du capitalisme indigène de ces derniers temps. Jusqu’à présent, la classe ouvrière indigène, si même on prend son noyau fondamental, se trouve traverser une époque transitoire, s’acheminant du petit atelier corporatif à la fabrique du grand type capitaliste.

Pour autant que les intellectuels bourgeois nationalistes entraînent dans le mouvement révolutionnaire la classe ouvrière pour lutter contre l’impérialisme, leurs représentants assument tout d’abord un rôle directeur dans l’action et l’organisation professionnelle embryonnaire. Au début, l’action de la classe ouvrière ne dépasse pas le cadre des intérêts « communs à toutes les nations » de démocratie bourgeoise (grèves contre la bureaucratie et l’administration impérialiste en Chine et aux Indes).

Bien souvent, comme l’a indiqué le 2e Congrès de l’IC, les représentants du nationalisme bourgeois, exploitant l’autorité politique et morale de la Russie des Soviets et s’adaptant à l’instinct de classe des ouvriers, drapent leurs aspirations démocratico-bourgeoises dans du « socialisme » et du « communisme » pour détourner ainsi, parfois sans s’en rendre compte, les premiers organes embryonnaires du prolétariat de leurs devoirs d’organisation de classe (tel le Parti Behill Ardou en Turquie, qui a repeint le panturquisme en rouge, et le « socialisme d’État » préconisé par certains représentants du Parti Kuomintang).

Malgré cela, le mouvement professionnel et politique de la classe ouvrière des pays arriérés a grandement progressé dans ces dernières années. La formation de partis autonomes de la classe prolétarienne dans presque tous les pays orientaux est un fait symptomatique, bien que la majorité écrasante de ces partis doive faire encore un grand travail intérieur pour se libérer de l’esprit de coterie et de beaucoup d’autres défauts.

L’IC a, dès le début, apprécié à sa juste valeur l’importance potentielle du mouvement ouvrier en Orient, et cela prouve bien que les prolétaires du monde entier sont unifiés internationalement sous le drapeau du Communisme.

Les Internationales 2 et 2½ n’ont, jusqu’à présent, trouvé de partisans dans aucun des pays arriérés, parce qu’elles se bornent à jouer un « rôle auxiliaire » en face de l’impérialisme européen et américain.

5. —Les objectifs généraux des PC de l’Orient

Les nationalistes bourgeois apprécient le mouvement ouvrier selon l’importance qu’il peut avoir pour leur victoire. Le prolétariat international apprécie le mouvement ouvrier oriental au point de vue de son avenir révolutionnaire.

Sous le régime capitaliste, les pays arriérés ne peuvent pas prendre part aux conquêtes de la science et de la culture contemporaine sans payer un énorme tribut à l’exploitation et à l’oppression barbares du capital métropolitain.

L’alliance avec les prolétariats des pays hautement civilisés leur sera avantageuse, non seulement parce qu’elle correspond aux intérêts de leur lutte commune contre l’impérialisme, mais aussi parce que c’est seulement après avoir triomphé que le prolétariat des pays civilisés pourra fournir aux ouvriers de l’Orient un secours désintéressé pour le développement de leurs forces productrices arriérées.

L’alliance avec le prolétariat occidental fraie la voie vers une fédération internationale des républiques soviétiques.

Le régime soviétique offre aux peuples retardataires le moyen le plus facile pour passer de leurs conditions d’existence élémentaires à la haute culture du Communisme, qui est destinée à supplanter dans l’économie mondiale le régime capitaliste de production et de répartition. Le meilleur témoignage en est l’expérience de l’édification soviétique dans les colonies affranchies de l’ex-Empire Russe.

Seule, une forme d’administration soviétique est à même d’assurer le couronnement logique de la révolution agraire paysanne. Les conditions spécifiques de l’économie agricole dans une certaine partie des pays orientaux (irrigation artificielle), entretenues jadis par une organisation originale de collaboration collective sur une base féodale et patriarcale et compromises actuellement par la piraterie capitaliste, exigent également une organisation politique capable de servir systématiquement les besoins sociaux.

Par suite de conditions climatiques, sociales et historiques particulières, un rôle important appartient généralement en Orient, dans la période transitoire, à la coopération des petits producteurs.

Les tâches objectives de la révolution coloniale dépassent le cadre de la démocratie bourgeoise. En effet, sa victoire décisive est incompatible avec la domination de l’impérialisme mondial.

Au début, la bourgeoisie indigène et les intellectuels indigènes assument le rôle de pionniers des mouvements révolutionnaires coloniaux ; mais dès que les masses prolétariennes et paysannes s’incorporent à ces mouvements, les éléments de la grosse bourgeoisie et de la bourgeoisie foncière s’en écartent, laissant le premier pas aux intérêts sociaux des couches inférieures du peuple.

Une longue lutte, qui durera toute une époque historique, attend le jeune prolétariat des colonies, lutte contre l’exploitation impérialiste et contre les classes dominantes indigènes qui aspirent à monopoliser tous les bénéfices du développement industriel et intellectuel et veulent que les masses restent comme par le passé dans une situation « préhistorique ».

Cette lutte pour l’influence sur les masses paysannes doit préparer le prolétariat indigène au rôle d’avant-garde politique. Ce n’est qu’après s’être soumis à ce travail préparatoire et après lui avoir soumis les couches sociales adjacentes que le prolétariat indigène se trouvera en mesure de faire face à la démocratie bourgeoise orientale, qui porte un caractère de formalisme encore plus hypocrite que la bourgeoisie d’Occident.

Le refus des communistes des colonies de prendre part à la lutte contre l’oppression impérialiste sous le prétexte de « défense » exclusive des intérêts de classe, est le fait d’un opportunisme du plus mauvais aloi qui ne peut que discréditer la révolution prolétarienne en Orient.

Non moins nocive est la tentative de se mettre à l’écart de la lutte pour les intérêts quotidiens et immédiats de la classe ouvrière au nom d’une «unification nationale» ou d’une «paix sociale» avec les démocrates bourgeois.

Deux tâches confondues en une seule incombent aux PC coloniaux et semi-coloniaux: d’une part, ils luttent pour une solution radicale des problèmes de la révolution démocratique-bourgeoise ayant pour objet la conquête de l’indépendance politique ; d’autre part, ils organisent les masses ouvrières et paysannes pour leur permettre de lutter pour les intérêts particuliers de leur classe et utilisent à cet effet toutes les contradictions du régime nationaliste démocratique-bourgeoise.

En formulant des revendications sociales, ils stimulent et libèrent l’énergie révolutionnaire qui ne se trouvait point d’issue dans les revendications libérales bourgeoises.

La classe ouvrière des colonies et semi-colonies doit savoir fermement que, seules, l’extension et l’intensification de la lutte contre le joug impérialiste des métropoles peuvent lui donner un rôle directeur dans la révolution, et que, seules, l’organisation économique et politique et l’éducation politique de la classe ouvrière et des éléments semi-prolétariens peuvent augmenter l’amplitude révolutionnaire du combat contre l’impérialisme.

Les PC des pays coloniaux et semi-coloniaux d’Orient, qui sont encore dans un état plus ou moins embryonnaire, doivent participer à tout mouvement apte à leur ouvrir un accès aux masses.

Mais ils doivent mener une lutte énergique contre les préjugés patriarco-corporatifs et contre l’influence bourgeoise dans les organisations ouvrières pour défendre ces formes embryonnaires d’organisations professionnelles contre les tendances réformistes et les transformer en organes combatifs des masses.

Ils doivent s’employer de toutes leurs forces à organiser les nombreux journaliers et journalières ruraux, de même queles apprentis des deux sexes sur le terrain de la défense de leurs intérêts quotidiens.

6. — Le front anti-impérialiste unique

Dans les pays occidentaux qui traversent une période transitoire caractérisée par une accumulation organisée des forces, a été lancé le mot d’ordre du front prolétarien unique ; dans les colonies orientales, il est indispensable, à l’heure présente, de lancer le mot d’ordre du front anti-impérialiste unique.

L’opportunité de ce mot d’ordre est conditionnée par la perspective d’une lutte à longue échéance contre l’impérialisme mondial, lutte exigeant la mobilisation de toutes les forces révolutionnaires. Cette lutte est d’autant plus nécessaire que les classes dirigeantes indigènes sont enclines à des compromis avec le capital étranger et que ces compromis portent atteinte aux intérêts primordiaux des masses populaires.

De même que le mot d’ordre du front prolétarien unique a contribué et contribue encore en Occident à démasquer la trahison, par les social-démocrates, des intérêts du prolétariat, de même le mot d’ordre du front anti-impérialiste unique contribuera à démasquer les hésitations et les incertitudes des divers groupes du nationalisme bourgeois.

D’autre part, ce mot d’ordre aidera au développement de la volonté révolutionnaire et à la clarification de la conscience de classe des travailleurs en les incitant à lutter au premier rang, non seulement contre l’impérialisme, mais encore contre toute espèce de survivance du féodalisme.

Le mouvement ouvrier des pays coloniaux et semi-coloniaux doit, avant tout, conquérir une position de facteur révolutionnaire autonome dans le front anti-impérialiste commun.

Ce n’est que si on lui reconnaît cette importance autonome et s’il conserve sa pleine indépendance politique que des accords temporaires avec la démocratie bourgeoise sont admissibles et même indispensables.

Le prolétariat soutient et arbore des revendications partielles, comme par exemple la république démocratique indépendante, l’octroi aux femmes des droits dont elles sont frustrées, etc., tant que la corrélation des forces qui existe à présent ne lui permet pas de mettre à l’ordre du jour la réalisation de son programme soviétique.

En même temps, il essaye de lancer des mots d’ordre susceptibles de contribuer à la fusion politique des masses paysannes et semi-prolétariennes avec le mouvement ouvrier.

Le front anti impérialiste unique est lié indissolublement à l’orientation vers la Russie des Soviets. Expliquer aux multitudes travailleuses la nécessité de leur alliance avec le prolétariat international et avec les républiques soviétiques, voilà l’un des principaux points de la tactique anti impérialiste unique.

La révolution coloniale ne peut triompher qu’avec la révolution prolétarienne dans les pays occidentaux. Le danger d’une entente entre le nationalisme bourgeois et une ou plusieurs puissances impérialistes hostiles, aux dépens des masses du peuple, est beaucoup moins grand dans les pays coloniaux que dans les pays semi-coloniaux (Chine, Perse) ou bien dans les pays qui luttent pour l’autonomie politique en exploitant à cet effet les rivalités impérialistes (Turquie).

Reconnaissant que des compromis partiels et provisoires peuvent être admissibles et indispensables quand il s’agit de prendre un répit dans la lutte d’émancipation révolutionnaire menée contre l’impérialisme, la classe ouvrière doit s’opposer avec intransigeance à toute tentative d’un partage de pouvoir entre l’impérialisme et les classes dirigeantes indigènes, que ce partage soit fait ouvertement ou sous une forme déguisée, car il a pour but de conserver leurs privilèges aux dirigeants.

La revendication d’une alliance étroite avec la République prolétarienne des Soviets est la bannière du front anti impérialiste unique.

Après l’avoir élaborée, il faut mener une lutte décisive pour la démocratisation maximum du régime politique, afin de priver de tout soutien les éléments socialement et politiquement les plus réactionnaires et afin d’assurer aux travailleurs la liberté d’organisation leur permettant de lutter pour leurs intérêts de classe (revendications de la république démocratique, réforme agraire, réforme des impositions foncières, organisation d’un appareil administratif basé sur le principe d’un large self-government, législation ouvrière, protection du travail, des enfants, protection de la maternité, de l’enfance, etc.).

Même sur le territoire de la Turquie indépendante la classe ouvrière ne jouit pas de la liberté de coalition, ce qui peut servir d’indice caractéristique de l’attitude adoptée par les nationalistes bourgeois à l’égard du prolétariat.

7. —Les tâches du prolétariat des pays du Pacifique

La nécessité de l’organisation d’un front anti-impérialiste est dictée en outre par la croissance permanente et ininterrompue des rivalités impérialistes.

Ces rivalités revêtent actuellement une telle acuité qu’une nouvelle guerre mondiale, dont l’Océan Pacifique sera l’arène, est inévitable, si la révolution internationale ne la prévient. La Conférence de Washington était une tentative faite pour parer à ce danger, mais en réalité elle n’a fait qu’approfondir et qu’exaspérer les contradictions de l’impérialisme.

La lutte qui a eu lieu dernièrement entre Hu-Peï-Fu et Djan-So-Lin en Chine, est la conséquence directe de l’échec du capitalisme japonais et du capitalisme anglo-américain dans leur tentative d’accorder leurs intérêts à Washington.

La nouvelle guerre qui menace le monde entraînera non seulement le Japon, l’Amérique et l’Angleterre, mais aussi les autres puissances capitalistes, telles que la France et la Hollande, et tout laisse prévoir qu’elle sera encore plus dévastatrice que la guerre de 1914-18.

La tâche des PC coloniaux et semi-coloniaux des pays riverains de l’Océan Pacifique consiste à mener une propagande énergique ayant pour but d’expliquer aux masses le danger qui les attend et de les appeler à une lutte active pour l’affranchissement national et à insister pour qu’elles s’orientent vers la Russie des Soviets, soutien de tous les opprimés et de tous les exploités.

Les PC des pays impérialistes tels que l’Amérique, le Japon, l’Angleterre, l’Australie et le Canada ont le devoir, vu le danger imminent, de ne pas se borner à une propagande contre la guerre, mais de s’efforcer par tous les moyens d’écarter les facteurs capables de désorganiser le mouvement ouvrier de ces pays et de faciliter l’utilisation par les capitalistes des antagonismes de nationalités et de races.

Ces facteurs sont : la question de l’émigration et celle du bon marché de la main-d’œuvre de couleur. Le système des contrats reste jusqu’à présent le principal moyen de recrutement des ouvriers de couleur pour les plantations sucrières des pays du sud du Pacifique où les ouvriers sont importés de Chine et des Indes.

Ce fait a déterminé les ouvriers des pays impérialistes à exiger la mise en vigueur de lois prohibant l’immigration et l’emploi de la main-d’œuvre de couleur, aussi bien en Amérique qu’en Australie. Ces lois prohibitives accusent l’antagonisme qui existe entre les ouvriers blancs et les ouvriers de couleur, divisent et affaiblissent l’unité du mouvement ouvrier.

Les PC des États-Unis, du Canada et d’Australie doivent entreprendre une campagne énergique contre les lois prohibitives et montrer aux masses prolétariennes de ces pays que des lois de ce genre, excitant les inimitiés de races, se retournent en fin de compte contre les travailleurs des pays prohibitionnistes.

D’un autre côté, les capitalistes suspendent les lois prohibitives pour faciliter l’immigration de la main-d’œuvre de couleur, qui travaille à meilleur marché, et pour diminuer ainsi le salaire des ouvriers blancs. Cette intention manifestée par les capitalistes de passer à l’offensive peut être déjouée efficacement si les ouvriers immigrés entrent dans les syndicats où sont organisés les ouvriers blancs.

Simultanément, doit être revendiquée une augmentation des salaires de la main-d’œuvre de couleur, de façon à les rendre égaux à ceux des ouvriers blancs. Une telle mesure prise par les PC démasquera les intentions capitalistes et en même temps montrera avec évidence aux ouvriers de couleur que le prolétariat international est étranger aux préjugés de race.

Pour réaliser les mesures ci-dessus indiquées, les représentants du prolétariat révolutionnaire des pays du Pacifique doivent convoquer une Conférence des pays du Pacifique qui élaborera la tactique à suivre et trouvera les formes d’organisation pour l’unification effective du prolétariat de toutes les races des pays du Pacifique.

8. —Les tâches coloniales des pays métropolitains

L’importance primordiale du mouvement révolutionnaire aux colonies pour la révolution prolétarienne internationale exige une intensification de l’action aux colonies des PC des puissances impérialistes. L’impérialisme français compte, pour la répression des forces de la révolution prolétarienne en France et en Europe, sur les indigènes des colonies qui, dans sa pensée, serviront de réserves à la contre-révolution.

Les impérialismes anglais et américain continuent, comme par le passé, à diviser le mouvement ouvrier en attirant à leurs côtés l’aristocratie ouvrière par la promesse de lui octroyer une partie de la plus-value provenant de l’exploitation coloniale.

Chacun des PC des pays possédant un domaine colonial doit se charger d’organiser systématiquement une aide matérielle et morale au mouvement révolutionnaire ouvrier des colonies.

Il faut, à tout prix, combattre opiniâtrement et sans merci les tendances colonisatrices de certaines catégories d’ouvriers européens bien payés, travaillant dans les colonies. Les ouvriers communistes européens des colonies doivent s’efforcer de rallier les prolétaires indigènes en gagnant leur confiance par des revendications économiques concrètes (hausse des salaires indigènes jusqu’au niveau des salaires des ouvriers européens, protection du travail, etc.).

La création, aux colonies (Égypte et Algérie), d’organisations communistes européennes isolées n’est qu’une forme déguisée de la tendance colonisatrice et un soutien des intérêts impérialistes.

Construire des organisations communistes d’après le principe national, c’est se mettre en contradiction avec les principes de l’internationalisme prolétarien. Tous les partis de l’IC doivent constamment expliquer aux multitudes travailleuses l’importance extrême de la lutte contre la domination impérialiste dans les pays arriérés.

Les PC agissant dans les pays métropolitains doivent former auprès de leurs comités directeurs des commissions coloniales permanentes qui travailleront aux fins indiquées ci-dessus.

L’IC doit aider les PC de l’Orient, au premier chef, en leur donnant son aide pour l’organisation de la presse, l’édition périodique de journaux rédigés dans les idiomes locaux. Une attention particulière doit être accordée à l’action parmi les organisations ouvrières européennes et parmi les troupes d’occupation coloniales.

Les PC des métropoles doivent profiter de toutes les occasions qui se présentent à eux pour divulguer le banditisme de la politique coloniale de leurs gouvernements impérialistes ainsi que de leurs partis bourgeois et réformistes.

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de l’Internationale Communiste

Thèses sur l’action communiste dans le mouvement syndical du quatrième congrès de l’Internationale Communiste

1. – Situation du mouvement syndical

§1. Au cours de ces deux dernières années, marquées par l’offensive universelle du capital, le mouvement syndical s’est sensiblement affaibli dans tous les pays. Sauf de rares exceptions (Allemagne, Autriche), les syndicats ont perdu un grand nombre de leurs membres.

Ce recul s’explique à la fois par les vastes offensives de la bourgeoisie et par l’impuissance des syndicats réformistes, non seulement à résoudre la question sociale, mais même à résister sérieusement à l’attaque capitaliste et à défendre les intérêts les plus élémentaires des masses ouvrières.

§2. Devant cette offensive capitaliste d’une part et cette collaboration de classe persistante d’autre part, les masses ouvrières sont de plus en plus désabusées. De là, non seulement leurs tentatives pour créer des groupements nouveaux, mais encore la dispersion d’un grand nombre d’ouvriers conscients qui quittent leurs organisations.

Le syndicat a cessé d’être pour beaucoup un foyer d’agitation, parce qu’il n’a pas su et dans bien des cas il n’a pas voulu arrêter l’offensive du capital et maintenir les positions acquises. La stérilité du réformisme s’est manifestée avec évidence dans la pratique.

§3. Le mouvement syndical porte, dans tous les pays, un caractère d’instabilité foncière ; des groupes assez nombreux d’ouvriers ne cessent de s’en détacher, tandis que les réformistes continuent assidûment leur politique de collaboration de classes, sous prétexte « d’utiliser le capital au profit des ouvriers ».

En fait, le capital a continué d’utiliser dans ses intérêts les organisations réformistes en les rendant complices de l’abaissement du niveau d’existence des masses. La période écoulée a surtout renforcé les liens qui existaient déjà entre les gouvernements et les meneurs réformistes, de même que la subordination des intérêts de la classe ouvrière à ceux de ses dirigeants.

2. – L’offensive d’Amsterdam contre les syndicats révolutionnaires

§4. Au moment même où ils cédaient sur toute la ligne à la pression bourgeoise, les chefs réformistes engageaient leur offensive contre les ouvriers révolutionnaires.

Voyant que leur mauvaise volonté à organiser la résistance contre le capital avait provoqué une fermentation profonde dans les masses ouvrières, et résolus à nettoyer les organisations de la contagion révolutionnaire, ils entreprirent contre le mouvement syndical révolutionnaire une offensive en règle tendant à désagréger et à démoraliser la minorité révolutionnaire par tous les moyens en leur pouvoir, et à faciliter la consolidation de la domination de classe ébranlée de la bourgeoisie.

§5. Pour conserver leur autorité, les dirigeants de l’Internationale d’Amsterdam n’hésitent pas à exclure, non seulement des individus et de petits groupes, mais des organisations entières ; pour rien au monde les gens d’Amsterdam ne veulent rester en minorité et, en cas de menace des éléments révolutionnaires, partisans de l’ISR, et de l’IC, ils sont décidés à provoquer la scission, pourvu qu’ils puissent ainsi conserver leur mainmise sur l’appareil administratif et les ressources matérielles.

Ainsi ont fait les chefs de la CGT française ; sur la même voie sont engagés les réformistes de Tchécoslovaquie et les meneurs de la Confédération Nationale des Syndicats allemands. Les intérêts de la bourgeoisie exigent la scission du mouvement syndical.

§6. En même temps que l’offensive réformiste se déclenchait dans les différents pays, la même offensive se déclenchait dans le monde entier: les Fédérations internationales adhérant à Amsterdam excluaient systématiquement ou refusaient d’admettre les Fédérations nationales révolutionnaires correspondantes.

Ainsi les Congrès internationaux du sous-sol, du textile, des employés, des cuirs et peaux, des travailleurs sur bois, du bâtiment et des PTT ont refusé d’admettre les syndicats russes et les autres syndicats révolutionnaires parce que ces derniers appartiennent à l’ISR.

§7. Cette campagne des gens d’Amsterdam contre les syndicats révolutionnaires est une expression de la campagne du capital international contre la classe ouvrière.

Elle poursuit les mêmes buts: consolider le système capitaliste sur la misère des masses laborieuses. Le réformisme pressent sa fin prochaine ; il veut, à l’aide des exclusions et de la scission des éléments les plus combatifs, affaiblir au maximum la classe ouvrière pour la rendre incapable de mettre la main sur le pouvoir et les moyens de production et d’échange.

3. – Les anarchistes et les communistes

§8. En même temps, une «offensive» toute semblable à celle d’Amsterdam était lancée par l’aile anarchiste du mouvement ouvrier contre l’IC, les PC et les noyaux communistes des syndicats.

Un certain nombre d’organisations anarcho-syndicalistes se déclarèrent ouvertement hostiles à l’IC et à la Révolution russe, en dépit de leur adhésion solennelle à l’IC en 1920 et de leurs Adresses de sympathie au prolétariat russe et à la Révolution d’Octobre. Ainsi, les syndicats italiens, les localistes allemands, les anarcho-syndicalistes de France, de Hollande et de Suède.

§9. Au nom de l’autonomie syndicale, certaines organisations syndicalistes (Secrétariat Ouvrier National de Hollande, IWW, Union syndicale Italienne,etc.) excluent les partisans de l’ISR en général et les communistes en particulier.

Ainsi la devise d’autonomie, après avoir été archi révolutionnaire, est devenue anticommuniste, c’est-à-dire contre-révolutionnaire et coïncide avec celle d’Amsterdam qui fait la même politique sous le drapeau de l’indépendance, bien que ce ne soit un secret pour personne qu’elle dépend entièrement de la bourgeoisie nationale et internationale.

§10. L’action des anarchistes contre l’IC, l’ISR et la Révolution russe a apporté la décomposition et la scission dans leurs propres rangs. Les meilleurs éléments ouvriers sont intervenus contre cette idéologie. L’anarchisme et l’anarcho-syndicalisme se sont scindés en plusieurs groupes et tendances qui mènent une lutte acharnée pour ou contre l’ISR, pour ou contre la dictature prolétarienne, pour ou contre la Révolution russe.

4. – Neutralisme et autonomie

§11. L’influence de la bourgeoisie sur le prolétariat se reflète dans la théorie de la neutralité, sur laquelle les syndicats devraient se proposer exclusivement des buts corporatifs, étroitement économiques et non point des visées de classe.

Le neutralisme a toujours été une doctrine purement bourgeoise contre laquelle le marxisme révolutionnaire mène une lutte à mort. Les syndicats qui ne se posent aucun but de classe, c’est-à-dire ne visent pas au renversement du système capitaliste, sont, en dépit de leur composition prolétarienne, les meilleurs défenseurs de l’ordre et du régime bourgeois.

§12. Cette période du neutralisme a toujours été favorisée par cet argument que les syndicats ouvriers doivent s’intéresser aux seules questions économiques sans se mêler de politique.

La bourgeoisie a toujours tendance à séparer la politique de l’économie, comprenant parfaitement que, si elle réussit à insérer la classe ouvrière dans le cadre corporatif, aucun danger sérieux ne menace son hégémonie.

§13. Cette même démarcation entre économie et politique est tracée aussi par les éléments anarchistes du mouvement syndical, pour détourner le mouvement ouvrier de la voie politique, sous prétexte que toute politique est dirigée contre les travailleurs.

Cette théorie, purement bourgeoise au fond, est présentée aux ouvriers comme celle de l’autonomie syndicale, et l’on comprend cette dernière comme une opposition des syndicats au PC et une déclaration de guerre au mouvement ouvrier communiste.

§14. Cette lutte contre « la politique et le Parti politique de la classe ouvrière », provoque un rétrécissement du mouvement ouvrier et des organisations ouvrières, de même qu’une campagne contre le communisme, conscience concentrée de la classe ouvrière.

L’autonomie sous toutes ses formes, qu’elle soit anarchiste ou anarcho-syndicaliste, est une doctrine anticommuniste et la résistance la plus décidée doit lui être opposée ; le mieux qu’il puisse en résulter, c’est une autonomie par rapport au communisme et un antagonisme entre syndicats et PC ; sinon c’est une lutte acharnée des syndicats contre le PC, le communisme et la révolution sociale.

§15. La théorie de l’autonomie, telle qu’elle est exposée par les anarcho-syndicalistes français, italiens et espagnols, est en somme le cri de guerre de l’anarchisme contre le communisme.

Les communistes doivent mener à l’intérieur des syndicats une campagne décisive contre cette manœuvre de faire passer en contrebande, sous le pavillon de l’autonomie, la camelote anarchiste et pour diviser le mouvement ouvrier en segments hostiles les uns aux autres, pour ralentir ou entraver le triomphe de la classe ouvrière.

5. – Syndicalisme et communisme

§16. Les anarcho-syndicalistes confondent syndicats et syndicalisme en faisant passer leur Parti anarcho-syndicaliste pour la seule organisation réellement révolutionnaire et capable de mener à terme l’action de classe du prolétariat.

Le syndicalisme, qui constitue un immense progrès sur le trade-unionisme, présente cependant de nombreux défauts et côtés malfaisants, auxquels il faut résister de la façon la plus ferme.

§17. Les communistes ne peuvent ni ne doivent au nom de principes abstraits anarcho-syndicalistes abandonner leur droit à organiser des « noyaux » au sein des syndicats, quelle que puisse être l’orientation de ces derniers.

Ce droit, personne ne peut le leur enlever. Il va de soi que les communistes militant au sein des syndicats sauront coordonner leur action avec ceux d’entre les syndicats qui y ont pris acte de l’expérience de la guerre et de la révolution.

§18. Les communistes doivent se charger de l’initiative de créer dans les syndicats un bloc avec les ouvriers révolutionnaires d’autres tendances. Les plus proches du communisme sont les « syndicalistes communistes », qui reconnaissent la nécessité de la dictature prolétarienne et défendent contre les anarcho-syndicalistes le principe de l’État ouvrier.

Mais la coordination des actions suppose une organisation des communistes. Une action isolée et individuelle des communistes ne saurait se coordonner avec qui que ce soit, parce qu’elle ne présenterait aucune force sérieuse.

§19. Tout en réalisant de la façon la plus énergique et la plus conséquente leurs principes, tout en combattant les théories anticommunistes d’autonomie et la séparation de la politique et de l’économie, idée anarchiste extrêmement nuisible au progrès révolutionnaire de la classe ouvrière, les communistes doivent, à l’intérieur des syndicats de toutes tendances, s’efforcer de coordonner leur action dans la lutte pratique contre le réformisme et le verbalisme anarcho-syndicaliste avec tous les éléments révolutionnaires qui sont pour le renversement du capitalisme et pour la dictature du prolétariat.

§20. Dans les pays où existent des organisations importantes syndicalistes-révolutionnaires (France) et où sous l’influence de toute une série de causes historiques, la méfiance à l’égard des partis politiques persiste dans certaines couches d’ouvriers révolutionnaires, les communistes élaborent sur place, d’accord avec les syndicalistes, conformément aux particularités du pays et du mouvement ouvrier en cause, les formes et méthodes de lutte commune et de collaboration dans toutes les actions défensives et offensives contre le capital.

6. —La lutte pour l’unité syndicale

§21. Le mot d’ordre de l’IC (contre la scission syndicale) doit être appliqué aussi énergiquement que par le passé, malgré les furieuses persécutions auxquelles les réformistes de tous les pays soumettent les communistes.

Les réformistes veulent prolonger la scission à l’aide des exclusions. chassant systématiquement les meilleurs éléments des syndicats, ils espèrent faire perdre le sang-froid aux communistes, les faire sortir des syndicats et leur faire abandonner le plan profondément réfléchi de la conquête des syndicats du dedans en se prononçant pour la scission. Mais les réformistes ne pourront pas arriver à ce résultat.

§22. La scission du mouvement syndical, surtout dans les conditions actuelles, représente le plus grand danger pour le mouvement ouvrier dans son entier. La scission dans les syndicats ouvriers rejetterait la classe ouvrière à plusieurs années en arrière, car la bourgeoisie pourrait alors reprendre facilement les conquêtes les plus élémentaires des ouvriers.

Coûte que coûte, les communistes doivent empêcher la scission syndicale. Par tous les moyens, par toutes les forces de leur organisation, ils doivent mettre obstacle à la criminelle légèreté avec laquelle les réformistes brisent l’unité syndicale.

§23. Dans les pays où deux centrales syndicales nationales existent parallèlement (Espagne, France, Tchécoslovaquie, etc.) les communistes doivent lutter systématiquement pour la fusion des organisations parallèles.

Étant donné ce but de la fusion des syndicats actuellement scindés, il n’est pas rationnel d’arracher les communistes isolés et les ouvriers révolutionnaires des syndicats réformistes, en les transférant dans les syndicats révolutionnaires.

Pas un syndicat réformiste ne doit rester dépourvu du ferment communiste. Un travail actif des communistes dans les deux syndicats est une condition du rétablissement de l’unité détruite.

§24. La sauvegarde de l’unité syndicale, ainsi que le rétablissement de l’unité détruite, ne sont possibles que si les communistes mettent en avant un programme pratique pour chaque pays et pour chaque branche d’industrie ; sur le terrain d’un travail pratique, d’une lutte pratique, on peut grouper les éléments dispersés du mouvement ouvrier et créer, dans le cas d’une scission syndicale, les conditions propres à assurer leur unification organique.

Chaque communiste doit avoir en vue que la scission syndicale est non seulement une menace pour les conquêtes immédiates de la classe ouvrière, mais encore une menace pour la révolution sociale.

Les tentatives des réformistes de scinder les syndicats doivent être étouffées radicalement ; or, cela ne peut être atteint qu’à l’aide d’un travail énergique d’organisation et un travail politique dans les masses ouvrières.

7. – La lutte contre l’exclusion des communistes

§25. L’exclusion des communistes a pour but de désorganiser le mouvement révolutionnaire en isolant les dirigeants des masses ouvrières ; aussi, les communistes ne peuvent pas se borner aux formes et méthodes de lutte mises en vigueur par eux jusqu’à l’heure actuelle. Le mouvement syndical mondial est arrivé à son moment le plus critique.

La volonté scissionniste des réformistes s’est exacerbée, tandis que notre volonté de sauvegarder l’unité syndicale est attestée par des faits nombreux, et les communistes doivent montrer à l’avenir, également pratiquement, la valeur qu’ils attachent à l’unité du mouvement syndical.

§26. Plus la ligne scissionniste de nos ennemis devient évidente et plus il faut montrer de vigueur à mettre en avant le problème de l’unité syndicale. Pas une fabrique, pas une usine, pas une réunion ouvrière ne doit être oubliée, partout doit se faire entendre la protestation contre la tactique d’Amsterdam.

Il faut que le problème de la scission syndicale soit posé devant chaque syndiqué et il faut qu’il soit posé, non seulement à un moment où la scission est imminente, mais alors qu’elle est à peine amorcée. La question de l’exclusion des communistes du mouvement syndical doit être mise à l’ordre du jour de tout le mouvement de chaque pays en cause. Les communistes sont assez forts pour ne pas se laisser étrangler sans mot dire. La classe ouvrière doit savoir qui est pour la scission et qui est pour l’unité.

§27. L’exclusion des communistes après leur élection à des fonctions syndicales par des organisations locales ne doit pas seulement susciter des protestations contre la violence exercée à l’égard de la volonté des électeurs ; une telle exclusion doit provoquer une résistance organisée bien déterminée. Les membres exclus ne doivent pas demeurer dispersés.

La tâche la plus importante des PC consiste à ne pas permettre aux éléments exclus de se désagréger. Ils doivent s’organiser en syndicats d’exclus en mettant au centre de leur travail politique un programme concret et l’exigence de leur réintégration.

§28. La lutte contre les exclusions est en fait une lutte pour l’unité du mouvement syndical. Ici, toutes les mesures sont bonnes, toutes les mesures qui aboutissent au rétablissement de l’unité détruite.

Les exclus ne doivent pas demeurer isolés et coupés de toute opposition, pas plus que des organisations révolutionnaires indépendantes existant dans le pays en cause, en vue de l’organisation commune de la lutte contre les exclusions et pour la coordination de l’action dans la lutte contre le capital.

§29. Les mesures pratiques de lutte peuvent et doivent être complétées et modifiées en conformité avec les conditions et particularités locales. Il est important que les PC prennent nettement une position anti-scissionniste de combat et fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour tenir en échec la politique des exclusions qui s’est sensiblement renforcée en relation avec le commencement de la fusion des Internationales 2 et 2½.

Il n’existe pas de moyens et méthodes universels et définitifs dans la lutte contre les exclusions. Sous ce rapport, les PC ont la possibilité de lutter par les moyens qui sont à leurs yeux les meilleurs pour arriver à ce but: la conquête des syndicats et le rétablissement de l’unité syndicale détruite.

§30. Les communistes doivent développer la lutte la plus énergique contre l’exclusion des syndicats révolutionnaires du sein des Fédérations Internationales par industrie. Les PC ne peuvent et ne doivent pas demeurer spectateurs passifs de l’exclusion des syndicats révolutionnaires, pour la seule raison qu’ils sont révolutionnaires.

Les comités internationaux de propagande par industrie, créés par l’ISR, doivent trouver le soutien le plus ardent de la part des PC, de façon à grouper toutes les forces révolutionnaires existantes dans le but de lutter pour les fédérations internationales uniques par industrie. Toute cette lutte doit se faire sous le drapeau de l’admission de tous les syndicats, sans distinction de tendance, sans distinction de courants politiques, dans une organisation internationale unique d’industrie.

Conclusion

Poursuivant son chemin vers la conquête des syndicats et la lutte contre la politique scissionniste des réformistes, le 4e Congrès de l’IC déclare solennellement que toutes les fois que les gens d’Amsterdam n’auront pas recours aux exclusions, toutes les fois qu’ils donneront aux communistes la possibilité de lutter idéologiquement pour leurs principes au sein des syndicats, les communistes lutteront en membres disciplinés dans les rangs de l’organisation unique, marchant toujours en avant dans toutes les collisions et dans tous les conflits avec la bourgeoisie.

Le 4e Congrès de l’IC déclare que tous les PC doivent faire tous leurs efforts pour empêcher la scission dans les syndicats, qu’ils doivent faire tout ce qui dépend d’eux pour reconstituer l’unité syndicale détruite dans certains pays, et obtenir l’adhésion du mouvement syndical deleurs pays respectifs à l’ISR.

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de l’Internationale Communiste

Thèses sur l’unité du front prolétarien du quatrième congrès de l’Internationale Communiste

§1. Le mouvement international traverse en ce moment une période de transition qui pose devant l’IC et devant ses Sections de nouveaux et importants problèmes tactiques. Cette période est principalement caractérisée par les faits suivants : La crise économique mondiale s’aggrave. Le chômage s’accroît.

Dans presque tous les pays, le Capital international a déclenché contre la classe ouvrière une offensive systématique, dont le but avoué est tout d’abord de réduire les salaires et d’avilir les conditions d’existence des travailleurs. La faillite de la paix de Versailles devient de plus en plus évidente pour les masses laborieuses elles-mêmes.

Il est clair que si le prolétariat international n’arrive pas à détruire le régime bourgeois, une ou même plusieurs guerres impérialistes ne sauraient tarder à éclater. C’est ce qu’a démontré avec éloquence la Conférence de Washington.

§2. Les illusions réformistes qui, par suite de diverses circonstances, avaient bénéficié d’un regain de faveur dans les grandes masses ouvrières, font place, en présence des dures réalités, à un état d’esprit tout différent. Les illusions démocratiques et réformistes qui, après la guerre impérialiste, avaient repris du terrain parmi une catégorie de travailleurs privilégiés, ainsi que parmi les ouvriers les plus arriérés au point de vue politique, se dissipent avant même d’avoir pu s’épanouir. Les résultats des travaux de la Conférence de Washington leur porteront le coup de grâce.

Si l’on pouvait, il y a six mois, parler avec un semblant de raison d’une certaine évolution à droite des masses ouvrières d’Europe et d’Amérique, l’on ne saurait nier en ce moment le début d’une nouvelle orientation à gauche.

§3. D’autre part, l’offensive capitaliste a suscité dans les masses ouvrières une tendance spontanée à l’unité, que rien ne saurait contenir et qui va de pair avec l’accroissement de la confiance dont les communistes bénéficient auprès du prolétariat. Maintenant seulement, des milieux ouvriers de plus en plus importants commencent à apprécier la vaillance de l’avant-garde communiste qui engagea la lutte, pour la défense des intérêts prolétariens, à une époque où les grandes masses demeuraient encore indifférentes, voire hostiles, au communisme.

Les ouvriers comprennent de plus en plus que les communistes ont réellement défendu, souvent au prix des plus grands sacrifices et dans les circonstances les plus pénibles, les intérêts économiques et politiques des travailleurs. De nouveau,le respect et la confiance vont à l’avant-garde intransigeante que constituent les communistes ; reconnaissant enfin la vanité des espérances réformistes, les travailleurs les plus arriérés se convainquent qu’il n’est, contre la spoliation capitaliste, de salut que dans la lutte.

§4. Les PC peuvent et doivent recueillir maintenant le fruit des luttes qu’ils ont naguère soutenues dans les circonstances les plus défavorables au milieu de l’indifférence des masses. Mais, portés par une confiance croissante vers les éléments les plus irréductibles, les plus combatifs de leur classe – vers les communistes – les travailleurs témoignent plus que jamais d’un irrésistible désir d’unité.

Éveillées désormais à une vie plus active, les couches les moins expérimentées de la classe ouvrière rêvent de la fusion de tous les partis ouvriers, sinon de toutes les organisations prolétariennes. Elles espèrent accroître ainsi leur capacité de résistance à la poussée capitaliste. Des ouvriers qui, jusqu’à présent, s’étaient à peu près désintéressés des luttes politiques, veulent vérifier désormais, par leur expérience personnelle, la valeur du programme politique du réformisme.

Les ouvriers qui adhèrent aux vieux partis social-démocrates et qui constituent une fraction importante du prolétariat n’admettent plus les campagnes des calomnies des social-démocrates et des centristes contre l’avant-garde communiste ; bien plus, ils commencent à réclamer une entente avec cette dernière.

Cependant ils ne sont pas encore complètement émancipés des croyances réformistes, et nombreux sont ceux qui accordent leur appui aux Internationales Socialistes et à celle d’Amsterdam.

Sans doute leurs aspirations ne sont-elles pas toujours nettement formulées, mais il est certain qu’elles tendent impérieusement à la création d’un front prolétarien unique, à la formation, par les partis de la 2e Internationale et les syndicats d’Amsterdam alliés aux communistes, d’un bloc puissant contre lequel viendrait se briser l’offensive patronale. En ce sens, ces aspirations représentent le progrès même.

La foi au réformisme est à peu près éteinte. Dans la situation actuelle du mouvement ouvrier, toute action sérieuse, même si elle a son point de départ dans des revendications partielles, amènera fatalement les masses à poser les questions fondamentales de la révolution. L’avant-garde communiste ne pourra que gagner à l’expérience des nouvelles couches ouvrières, qui se convaincront par elles-mêmes de l’inanité des illusions réformistes et des effets déplorables de la politique de conciliation.

§5. Lorsque commença la protestation organisée et consciente des travailleurs contre la trahison des leaders de la 2e Internationale, ceux-ci disposaient de l’ensemble du mécanisme des organisations ouvrières. Ils invoquèrent l’unité et la discipline ouvrière pour bâillonner impitoyablement les révolutionnaires protestataires et briser toutes les résistances qui les eussent empêchés de mettre au service des impérialistes nationaux la totalité des forces prolétariennes.

La gauche révolutionnaire fut ainsi forcée de conquérir, coûte que coûte, sa liberté de propagande, afin de faire connaître aux masses ouvrières la trahison infâme qu’avaient commise – et que continuent de commettre – des partis et des syndicats créés par les masses elles-mêmes.

§6. Après s’être assuré une complète liberté de propagande, les PC s’efforcent aujourd’hui, dans tous les pays, de réaliser une unité aussi complète que possible des masses ouvrières sur le terrain de l’action pratique.

Les gens d’Amsterdam et ceux de la 2e Internationale, eux aussi, prônent l’unité, mais tous leurs actes sont la négation de leurs paroles. N’ayant pas réussi à étouffer dans les organisations les protestations, les critiques et les aspirations des révolutionnaires, les réformistes, avides de compromis, cherchent maintenant à sortir de l’impasse où ils se sont engagés, en semant la désorganisation et la division parmi les travailleurs et en sabotant leur lutte. Démasquer en ce moment leur récidive de trahison est un des devoirs les plus importants des PC.

§7. La profonde évolution intérieure provoquée dans la classe ouvrière d’Europe et d’Amérique par la nouvelle situation économique du prolétariat, oblige même les dirigeants et les diplomates des Internationales socialistes et de l’Internationale d’Amsterdam à mettre au premier plan le problème de l’unité ouvrière.

Alors que, chez les travailleurs récemment arrivés à une vie politique consciente et encore inexpérimentés, le mot d’ordre du Front Unique est l’expression sincère du désir d’opposer à l’offensive patronale toutes les forces de la classe ouvrière, ce mot d’ordre n’est, de la part des leaders réformistes, qu’une nouvelle tentative de duper les ouvriers pour les ramener dans l’ornière de la collaboration de classe.

L’imminence d’une nouvelle guerre impérialiste, la course aux armements, les nouveaux traités secrets des puissances impérialistes, non seulement ne détermineront pas les dirigeants de la 2e Internationale, de l’Internationale 2½et de l’Internationale d’Amsterdam à sonner l’alarme et aider effectivement à l’union internationale de la classe ouvrière, mais ils susciteront infailliblement parmi eux les mêmes dissensions que dans la bourgeoisie internationale.

C’est là un fait d’autant plus inévitable que la solidarité des «socialistes» réformistes avec «leurs» bourgeoisies nationales respectives, constitue la pierre angulaire du réformisme.Telles sont les conditions générales dans lesquelles l’IC et ses Sections ont à préciser leur attitude envers le mot d’ordre de l’unité du front ouvrier.

§8. Tout bien pesé, le CEIC estime que le mot d’ordre du 3e Congrès de l’IC : « Aux masses! » ainsi que les intérêts généraux du mouvement communiste, exigent que l’IC et ses Sections soutiennent le mot d’ordre de l’unité du front prolétarien et prennent en main l’initiative de sa réalisation. La tactique des PC s’inspirera des conditions particulières à chaque pays.

§9. En Allemagne, le PC, à la dernière session de son Conseil National, s’est prononcé pour l’unité du front prolétarien et a reconnu possible d’appuyer un « gouvernement ouvrier unitaire » qui serait disposé à combattre sérieusement le pouvoir capitaliste. Le CEIC approuve sans réserve cette décision, persuadé que le PC Allemand, tout en sauvegardant son indépendance politique, pourra ainsi pénétrer dans de plus larges couches prolétariennes et y fortifier l’influence communiste.

En Allemagne plus que partout ailleurs, les grandes masses comprennent de mieux en mieux que leur avant-garde communiste avait raison de se refuser à déposer les armes dans les moments les plus difficiles et de dénoncer l’inanité absolue des remèdes réformistes à une situation que la révolution prolétarienne seule peut dénouer. En persévérant dans cette voie, le Parti Allemand ne tardera pas à rallier à lui tous les éléments anarchistes et syndicalistes qui sont restés jusqu’à présent en dehors de la lutte des masses.

§10. En France, le PC englobe la majorité des travailleurs politiquement organisés. Par suite, le problème du front unique y revêt un aspect quelque peu différent de celui qu’il a dans les autres pays. Mais en France également, il faut que toute la responsabilité de la rupture du front ouvrier retombe sur nos adversaires. La fraction révolutionnaire du syndicalisme français combat avec raison la scission dans les syndicats et défend l’unité de la classe ouvrière dans la lutte économique. Mais cette lutte ne s’arrête pas au seuil de l’usine.

L’unité n’est pas moins indispensable contre la vague de réaction, contre la politique impérialiste, etc. La politique des réformistes et des centristes, après avoir provoqué la scission dans le Parti, menace à cette heure l’unité du mouvement syndical, ce qui prouve que, de même que Jean Longuet, Jouhaux sert en réalité la cause de la bourgeoisie.

Le mot d’ordre de l’unité politique et économique du front prolétarien contre la bourgeoisie est le meilleur moyen de faire avorter les manœuvres scissionnistes. Quelles que soient les trahisons de la CGT réformiste que dirigent Jouhaux, Merrheim et consorts, les communistes, et avec eux tous les éléments révolutionnaires de la classe ouvrière française, se verront forcés de proposer aux réformistes, avant toute grève générale, avant toute manifestation révolutionnaire, avant toute action de masses, de s’associer à cette action, et, sitôt que les réformistes s’y seront refusés, de les démasquer devant la classe ouvrière.

La conquête des masses ouvrières apolitiques nous sera ainsi facilitée. Il va de soi que cette méthode n’implique nullement pour le Parti français une restriction de son indépendance et ne saurait l’engager, par exemple, à soutenir le Bloc des gauches en période électorale, ou à faire preuve d’une indulgence exagérée envers les « communistes » indécis qui ne cessent de déplorer la scission d’avec les social-patriotes.

§11. En Angleterre, le Labour Party (Parti Ouvrier) réformiste avait refusé d’admettre en son sein le PC au même titre que les autres organisations ouvrières.

Mais, sous la pression des masses ouvrières dont nous avons indiqué les aspirations, les organisations ouvrières londoniennes viennent de voter l’admission du PC dans le Labour Party.À cet égard, l’Angleterre constitue évidemment une exception. Par suite de conditions particulières, le Labour Party forme en Angleterre une sorte de coalition embrassant toutes les organisations ouvrières du pays.

Il est maintenant du devoir des communistes d’exiger par une campagne énergique, leur admission dans le Labour Party. La récente trahison des leaders des trade-unions dans la grève des mineurs, l’offensive capitaliste contre les salaires, etc., provoquent une effervescence considérable dans le prolétariat anglais. Les communistes doivent s’efforcer à tout prix de pénétrer au plus profond des masses laborieuses sous le mot d’ordre de l’unité du front prolétarien contre la bourgeoisie.

§12. En Italie, le jeune PC, qui avait eu jusqu’ici une attitude des plus intransigeantes à l’égard du Parti Socialiste réformiste et des dirigeants social-traîtres de la Confédération Générale du Travail –dont la trahison envers la révolution prolétarienne est maintenant définitivement consommée –entreprend néanmoins, en présence de l’offensive patronale, une agitation énergique en faveur de l’unité du front prolétarien.

Le CEIC approuve entièrement cette tactique des communistes italiens et insiste sur la nécessité de la développer encore davantage. Le CEIC est convaincu que le PC italien, s’il fait preuve d’une perspicacité suffisante, deviendra, pour l’IC, un modèle de combativité marxiste et, tout en dénonçant impitoyablement les hésitations et les trahisons des réformistes et des centristes, saura poursuivre une campagne de plus en plus vigoureuse dans les masses ouvrières pour l’unité du front prolétarien contre la bourgeoisie.

Il va de soi que le Parti Italien ne devra rien négliger pour gagner à l’action commune les éléments révolutionnaires de l’anarchisme et du syndicalisme.

§13. En Tchécoslovaquie, où le Parti groupe la majorité des travailleurs politiquement organisés, les tâches des communistes sont, sous certains rapports, analogues à celles des communistes français.

Tout en affermissant son indépendance et en rompant les derniers liens qui le rattachent aux centristes, le Parti Tchécoslovaque doit savoir populariser le mot d’ordre de l’unité du front prolétarien contre la bourgeoisie et mettre en lumière le rôle véritable des social-démocrates et des centristes, agents du Capital. Les communistes tchécoslovaques ont aussi à intensifier leur action dans les syndicats, restés dans une large mesure au pouvoir des leaders jaunes.

§14. En Suède, le résultat des dernières élections parlementaires permet à un PC numériquement faible de jouer un rôle important. M. Branting, leader des plus éminents de la 2e Internationale en même temps que président du Conseil des Ministres de la bourgeoisie suédoise, se trouve dans une situation telle que l’attitude de la fraction parlementaire communiste ne peut lui être indifférente pour la constitution d’une majorité parlementaire.

Le CEIC estime que la fraction communiste ne pourra pas refuser d’accorder, sous certaines conditions, son appui au gouvernement menchevique de M. Branting, comme l’ont d’ailleurs fait avec raison les communistes allemands pour certains gouvernements régionaux (Thuringe).

Mais il n’en résulte nullement que les communistes suédois doivent abandonner quoi que ce soit de leur indépendance ou cesser de dénoncer le caractère véritable du gouvernement menchevique. Au contraire, plus les mencheviks auront de pouvoir, plus ils trahiront la classe ouvrière et plus les communistes devront s’efforcer de les démasquer devant les masses ouvrières.

§15. Aux États-Unis, l’union de tous les éléments de gauche du mouvement ouvrier syndical et politique commence à se réaliser.

Les communistes américains ont ainsi l’occasion de pénétrer dans les grandes masses laborieuses et de devenir le centre de cristallisation de cette union des gauches. Formant des groupes partout où il se trouve des communistes, ils doivent savoir prendre la direction du mouvement de ralliement des éléments révolutionnaires et propager avec énergie l’idée du front unique (par exemple, pour la défense des intérêts des sans-travail).

L’accusation principale qu’ils devront porter contre les organisations de M. Gompers sera que ces dernières se refusent obstinément à constituer l’unité du front prolétarien pour la défense des chômeurs. Néanmoins, la tâche essentielle du Parti sera d’attirer à lui les meilleurs éléments des IWW.

§16. En Suisse, notre Parti a déjà remporté certain succès dans la voie que nous avons indiquée. La propagande communiste pour le front unique a obligé la bureaucratie syndicale à convoquer un Congrès extraordinaire qui doit se tenir prochainement et où nos amis sauront mettre à nu les mensonges du réformisme et développer, pour l’unité révolutionnaire du prolétariat, la plus grande activité.

§17. Dans une série d’autres pays, la question se présente, selon les conditions locales, sous un aspect plus ou moins différent. Mais le CEIC est persuadé que les Sections sauront appliquer, conformément aux conditions particulières de chaque pays, la ligne de conduite générale qu’il vient de tracer.

§18. Le CEIC stipule, comme condition rigoureusement obligatoire pour tous les PC, la liberté, pour toute Section passant une convention quelconque avec les partis de la 2e Internationale et de l’Internationale 2½, de continuer la propagande de nos idées et la critique des adversaires du communisme.

Tout en se soumettant à la discipline de l’action, les communistes doivent absolument se réserver le droit et la possibilité d’exprimer, non seulement avant et après, mais encore pendant l’action, leur opinion sur la politique de toutes les organisations ouvrières sans exception.

En aucun et sous aucun prétexte, cette clause ne saurait souffrir d’infraction. En préconisant l’unité de toutes les organisations ouvrières dans chaque action contre le front capitaliste, les communistes ne peuvent renoncer à la propagande de leurs points de vue qui, seuls, constituent l’expression logique des intérêts de l’ensemble de la classe ouvrière.

§19. Le CEIC croit utile de rappeler à tous les partis frères les expériences des bolchéviks russes, dont le Parti est le seul qui ait jusqu’à présent réussi à vaincre la bourgeoisie et à s’emparer du pouvoir. Pendant les quinze années qui s’étendent entre la naissance du bolchevisme et sa victoire (1903-17), celui-ci n’a jamais cessé de combattre le réformisme, ou, ce qui revient au même, le menchevisme.

Mais pendant ce même laps de temps, les bolchéviks ont, à plusieurs reprises, passé des accords avec les mencheviks. La première scission formelle eut lieu au printemps de 1905. Mais sous l’influence irrésistible d’un mouvement ouvrier de vaste envergure, les bolchéviks formèrent, la même année, un front commun avec les mencheviks. Laseconde scission formelle eut lieu en e janvier 1912.

Mais de 1905 à 1912, la scission alterna avec des unions et des accords temporaires (en 1906, 1907 et 1910). Unions et accords ne se produisirent pas seulement à la suite des péripéties de la lutte entre fractions, mais surtout sous la pression des grandes masses ouvrières éveillées à la vie politique et qui voulaient voir par elles-mêmes si les voies du menchevisme s’écartaient véritablement de la révolution.

Peu avant la guerre impérialiste, le nouveau mouvement révolutionnaire qui suivit la grève de la Léna engendra dans les masses prolétariennes une puissante aspiration à l’unité, que les dirigeants du menchevisme s’évertuèrent à exploiter à leur profit, comme le font aujourd’hui les leaders des Internationales «socialistes» et ceux de l’Internationale d’Amsterdam.

À cette époque, les bolchéviks ne se refusèrent pas au front unique. Loin de là, pour contrebalancer la diplomatie des chefs mencheviks, ils adoptèrent le mot d’ordre de « l’unité par la base », c’est-à-dire de l’unité des masses ouvrières dans l’action révolutionnaire pratique contre la bourgeoisie. L’expérience montra que c’était là la seule vraie tactique. Modifiée selon les temps et les lieux, cette tactique gagna au communisme l’immense majorité des meilleurs éléments prolétariens mencheviks.

§20. Adoptant le mot d’ordre de l’unité du front prolétarien et admettant des accords entre ses diverses Sections et les partis et syndicats de la 2e Internationale et de l’Internationale 2½, l’IC ne saurait évidemment renoncer elle-même à passer des accords analogues sur l’échelle internationale. Dans la question du secours aux affamés de Russie, le CEIC a proposé un accord à l’Internationale Syndicale d’Amsterdam.

Il a renouvelé ses propositions en vue d’une action commune contre la terreur blanche en Espagne et en Yougoslavie. Il soumet actuellement aux Internationales socialistes et à l’Internationale d’Amsterdam une nouvelle proposition au sujet des travaux de la Conférence de Washington, laquelle ne peut que précipiter l’explosion d’une nouvelle guerre impérialiste. Mais les dirigeants de ces trois organisations internationales ont montré que, dès qu’il s’agit d’en venir aux actes, ils renoncent entièrement à leur mot d’ordre d’unité ouvrière.

Par suite, la tâche précise de l’IC et de ses Sections sera de dévoiler aux masses l’hypocrisie des dirigeants ouvriers qui préfèrent l’union avec la bourgeoisie à l’unité des travailleurs révolutionnaires et, en restant dans le Bureau International du Travail auprès de la Société des Nations, participent par là même à la Conférence impérialiste de Washington, au lieu de mener une campagne contre elle.

Mais le refus opposé à nos propositions ne nous fera pas renoncer à la tactique que nous préconisons, tactique profondément conforme à l’esprit des masses ouvrières et qu’il faut savoir développer méthodiquement, sans relâche. Si nos propositions d’action commune sont repoussées, il faudra en informer le monde ouvrier afin qu’il sache quels sont les destructeurs réels de l’unité du front prolétarien. Si nos propositions sont acceptées, notre devoir est d’accentuer et d’approfondir les luttes engagées.

Dans les deux cas, il importera de faire en sorte que les pourparlers des communistes avec les autres organisations éveillent et attirent l’attention des masses laborieuses. Car il faut absolument intéresser ces dernières à toutes les péripéties du combat pour l’unité du front révolutionnaire de tous les travailleurs.

§21. En fixant ce plan d’action, le CEIC tient à attirer l’attention des partis frères sur les périls qui peuvent en résulter. Tous les PC sont loin d’être suffisamment affermis et organisés et d’avoir vaincu définitivement les idéologies centriste et semi-centriste.

Des excès peuvent se produire et amener la transformation des partis et groupes communistes en blocs hétérogènes informes. Pour appliquer avec succès la tactique préconisée, il importe que le Parti soit fortement organisé et que sa direction se distingue par la clarté parfaite de ses idées.

§22. Au sein même de l’IC, dans les groupements que l’on considère à tort ou à raison comme droitiers ou semi-centristes, il existe indubitablement deux courants. Le premier, réellement émancipé de l’idéologie et des méthodes de la 2e Internationale, n’a pourtant pas su se défaire d’un sentiment de respect à l’égard de l’ancien pouvoir organisateur et voudrait, consciemment ou non, rechercher les bases d’une entente idéale avec la 2e Internationale et, partant, avec la société bourgeoise.

Le second, qui combat le radicalisme formel et les erreurs d’une prétendue « gauche », voudrait donner à la tactique du jeune PC plus de souplesse et d’aptitude à la manœuvre afin de lui permettre de pénétrer plus facilement les masses ouvrières.

L’évolution rapide des PC a parfois poussé ces deux courants à se rejoindre, voire à n’en former qu’un. Une application attentive des méthodes indiquées plus haut, dont le but est de donner à l’agitation communiste un appui dans les actions des masses unifiées, contribuera efficacement à l’affermissement révolutionnaire de nos partis, tant en faisant l’éducation expérimentale des éléments impatients et sectaires qu’en les débarrassant du poids mort du réformisme.

§23. Par unité du front prolétarien, il faut entendre l’unité de tous les travailleurs désireux de combattre le capitalisme, y compris par conséquent les ouvriers qui suivent encore les anarchistes et les syndicalistes. Dans divers pays, ces éléments peuvent utilement s’associer aux actions révolutionnaires.

Dès ses débuts, l’IC a toujours préconisé une attitude amicale à l’égard de ces éléments ouvriers qui surmontent progressivement leurs préjugés et adhèrent peu à peu au communisme. Les communistes devront dorénavant leur accorder d’autant plus d’attention que le front unique contre le capitalisme est en voie de réalisation.

§24. Dans le but de fixer définitivement le travail ultérieur dans les conditions indiquées, le CEIC décide de convoquer prochainement une assemblée extraordinaire à laquelle tous les partis affiliés seront représentés par un nombre de délégués double du nombre ordinaire.

§25. Le CEIC consacrera la plus grande attention à toutes les démarches pratiques effectuées dans la voie qu’il vient d’indiquer et demande aux différents partis de l’informer par le menu de toutes leurs tentatives dans ce sens et de tous les résultats obtenus.

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de l’Internationale Communiste

Les questions non résolues lors du quatrième congrès de l’Internationale Communiste

Le quatrième congrès de l’Internationale Communiste fut celui de la prise de conscience d’un retard concernant de nombreux thèmes, malgré les volontés initiales de les résoudre. Le décalage n’en fut qu’amèrement ressenti.

Il y avait ainsi déjà la question agraire. Eugen Varga fit un long rapport à ce sujet et il souligna d’autant plus l’importance de la question que, dans le contexte d’offensive du capital, il fallait renforcer le camp de la révolution, donc mobiliser les paysans.

Le problème était cependant double : d’abord, la paysannerie pauvre subissait l’influence d’une bourgeoisie agraire solidement organisée, ensuite les Partis Communistes constitués n’étaient absolument pas en mesure de mener un travail de fond en ce domaine.

Les situations étaient qui plus est très différentes selon les pays, voire au sein du pays. En Yougoslavie, l’agriculture était composée de paysans avec des terres dans un esprit assez égalitaire en Serbie, d’unité capitalistes en Croatie, d’une structure féodale en Bosnie-Herzégovine.

Il y avait là un grand défi, reflétant qu’on en était qu’au début des analyses et de la structuration des luttes.

Le quatrième congrès fut également le premier à aborder en tant que tel la question noire, soulignant la terrible situation dans les États du sud des États-Unis. Cette mise en perspective est liée à l’insistance sur la question de tous les peuples victimes de l’impérialisme.

Tan Malaka, un communiste d’Indonésie, une figure d’importance dans son pays, posa ainsi au quatrième congrès de l’Internationale Communiste la question du rapport au panislamisme. C’était une question d’importance, ouverte par l’effondrement de l’empire ottoman.

Et cela montre que, en 1922, malgré l’importance extrême accordée à la question des peuples opprimés par l’Internationale Communiste, il n’y avait pas encore d’analyses de fond de faites, pas encore de ligne stratégique de formuler, encore moins de tactiques.

Dans le contexte électrique du début des années 1920, cela va aboutir à l’espoir d’obtenir des coups de pouce historique et la question musulmane était espérée en être un.

En effet, toute une génération petite-bourgeoise, cultivée grâce à la colonisation, tout en étant empêtré dans ses propres traditions mystiques, cléricales, avait vu avec horreur tomber le dernier obstacle idéologique à la colonisation : l’empire ottoman. Ce dernier était en effet le « califat » nécessaire à tout musulman. Sa disparition bouleversait toutes les conceptions musulmanes et une immense littérature commença à naître.

Une figure importante était par exemple celle de Muhammad Asad (1900-1992), de son vrai nom Leopold Weiss. Ce Juif autrichien converti à l’Islam participa en première ligne à l’émergence de l’anticapitalisme romantique musulman, principalement depuis l’Arabie devenant Saoudite.

L’Internationale Communiste constatait le début de ce phénomène et n’avait pas encore les outils pour l’évaluer correctement. Effaçant la question féodale, elle ne retint qu’une dimension anti-impérialiste capable de mettre le feu dans l’ensemble des pays musulmans et d’ainsi contribuer à l’affirmation de la révolution mondiale lancée en Octobre 1917.

De manière pragmatique, le panislamisme était vu comme un levier possible pour la mobilisation de masses afin d’affaiblir l’impérialisme. L’Indien Manabendra Nath Roy considérait pareillement que, tout en restant prudent, il fallait soutenir de manière unilatérale le mouvement de la bourgeoisie nationale.

Comment cependant organiser une tactique adéquate depuis l’Internationale Communiste, alors que les situations étaient très différentes dans chaque pays de type colonial ou semi-colonial ?

La problématique devenait d’autant plus grave que c’était un prétexte, de la part des Partis Communiste des pays impérialiste tel en France et en Grande-Bretagne, pour ne pas affronter la question.

Cela amena plusieurs Partis à protester contre l’incapacité du quatrième congrès à accorder une grande place à la question coloniale et semi-coloniale. Le quatrième congrès ouvrait toute une série de questions ; les exigences tactiques soulignaient le besoin d’analyses stratégiques.

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de l’Internationale Communiste

Le quatrième congrès de l’Internationale Communiste et la section française

Les Français se firent encore remarquer, à leur habitude, lors du quatrième congrès de l’Internationale Communiste. Il y eut ainsi une violente polémique entre deux délégués à l’occasion du débat sur les coopératives, mais il était considéré comme normal de leur part de s’invectiver au congrès.

Le Parti français était effectivement divisé entre plusieurs tendances, qui ne cachaient nullement leur hostilité les unes pour les autres. On peut considérer qu’il y avait trois tendances majeures et deux secondaires.

À ce moment, l’Internationale Communiste les reconnaissait. Ainsi, Jean Varlet (en fait François Koral, d’origine polonaise) défendit ouvertement le point de vue de sa tendance, le congrès lui donnant trois quart d’heures pour s’exprimer. Il sera lui-même exclu du Parti en 1932, dont il restera cependant toujours proche à travers une importante action dans la CGT.

Il dit notamment la chose suivante : en France, il n’y a jamais eu de mouvement ouvrier de masse et de plus, ni les ouvriers ni même finalement les membres du Parti ne savent en quoi consistent des conseils ouvriers. Appliquer une ligne de masses, ce serait donc faire disparaître le Parti lui-même, le diluer, le dissoudre.

Ferdinand Faure tiendra pareillement un discours de remise en cause des remarques de l’Internationale Communiste au sujet du Parti français. S’il expliqua qu’il resterait toujours dans le Parti et dans l’Internationale Communiste, soulignant sa fidélité lors de sa prise de parole, il sera exclu peu après le quatrième congrès pour avoir dénoncé celui-ci dans la presse communiste et rejoindra dans la foulée les socialistes de la SFIO.

Alfred Rosmer fit remarquer au sujet de la critique de Ferdinand Faure qu’effectivement en France les interventions de l’Internationale Communiste étaient perçues comme des ingérences. Lui le regrettait et dénonça le refus du front unique, interprétant toutefois celui-ci dans un sens syndicaliste. Lui-même quittera le Parti par la suite pour prôner le syndicalisme.

Pareillement, le délégué français Émile Béron sera exclu du Parti en 1932, deviendra ensuite un député indépendant pro-Front populaire grâce au désistement du PCF, pour finalement voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. Le délégué français Arthur Henriet sera lui mis de côté à la fin des années 1920.

C’est la base même du Parti qui est instable, à tous les niveaux, sa base étant trop peu formée, trop peu compréhensive, trop indisciplinée, trop ancrée dans le révolutionnarisme ou le réformisme. On l’aura aisément compris, les Français s’avéraient ingérables et ne suivaient pas les consignes.

Boukharine résuma cela de la manière suivante lors du congrès au sujet de la tendance centriste :

« Les tendances centristes françaises sont les reliquats de l’ancienne idéologie social-démocrate ; elles ont également un masque blanc.

Leur masque consiste en ce qu’elles acceptent tout ce qu’on leur propose. On peut les donner 21 conditions, ces 21 conditions vont être acceptées. On peut leur proposer de très bonnes résolutions sur l’activité du Parti ; ces bonnes résolutions sont tout de suite acceptées à l’unanimité.

Il en est toujours ainsi. On approuve tout ce que veut le prétendu diktat de Moscou. Puis, évidemment, on dénonce naturellement le diktat de Moscou avec toute l’énergie communiste, mais on signe tout ce qui est demandé.

C’est tout d’abord parfaitement loyal en apparence, mais le grand danger repose en ce que tout reste sur le papier. Après la prise de telles bonnes résolutions, strictement rien n’est fait.

Les déviations, les déviations tactiques qui existent matériellement, ne sont jamais formulées. »

Les problèmes étaient innombrables. Il y avait déjà les rapports à la franc-maçonnerie, cette structure bourgeoise apolitique à prétention humaniste. Il y avait, surtout, une soumission complète au syndicalisme révolutionnaire, ce qui était d’autant plus choquant que le Parti avait 80 000 membres, par rapport aux 300 000 membres dans la CGT Unifié où est actif le Parti.

Les syndicalistes révolutionnaires avaient en fait l’hégémonie idéologique et culturelle, au point que leurs conceptions se retrouvaient même dans la presse du Parti qui, de toutes façons, n’avait rien de véritablement communiste d’ailleurs.

Ce penchant syndicaliste connaissait un pendant opportuniste, avec un ancrage dans une tradition socialiste d’avant-guerre, ce qui se formalisait par l’existence d’un forte tendance au centrisme, avec à sa tête Daniel Renoult, qui deviendra par la suite la figure de proue du « communisme municipal ».

Zinoviev n’y alla d’ailleurs pas par quatre chemins : il expliqua que si la naissance d’un Parti Communiste était difficile, en ce qui concerne la France cela l’était encore plus que prévu.

La résolution sur la question française du quatrième congrès de l’Internationale Communiste est donc très claire : désormais, c’est l’Internationale qui prend les choses en main. On y lit :

« Le 4° Congrès de l’Internationale Communiste constate que l’évolution de notre Parti français depuis le socialisme parlementaire jusqu’au communisme révolutionnaire s’opère avec une extrême lenteur qui est loin de s’expliquer par les conditions uniquement objectives, par les traditions, par la psychologie nationale de la classe ouvrière, etc., mais qui est due, avant tout, à une résistance directe et parfois exceptionnellement opiniâtre des éléments non communistes qui sont encore très forts dans les sommets du Parti et particulièrement dans la fraction du centre qui, depuis Tours, a eu, pour la plus grande part, la direction du Parti.

La cause fondamentale de la crise aiguë que traverse actuellement le Parti se trouve dans la politique d’attente, indécise et hésitante, des éléments dirigeants du centre qui, devant les exigences urgentes de l’organisation du Parti, essaient de gagner du temps, couvrant ainsi une politique de sabotage direct dans les questions syndicale, du front unique, de l’organisation du Parti et autres. Le temps ainsi gagné par les éléments dirigeants du centre a été perdu pour le progrès révolutionnaire du prolétariat français.

Le Congrès fait au Comité Exécutif une obligation de suivre de toute son attention la vie intérieure du Parti Communiste français afin de pouvoir, en s’appuyant sur la majorité incontestablement prolétarienne et révolutionnaire, le libérer de l’influence des éléments qui ont engendré la crise et qui ne cessent de l’aggraver. »

Cette situation horrifiait d’autant plus l’Internationale Communiste que ce fractionnisme au sein du Parti français existait alors qu’aucune action de masse n’avait été même encore menée. Or, c’est justement les actions de masse qui avaient été le détonateur, en Allemagne, des divergences de vue.

Cette absence d’action de masse est liée au fait que le Front unique n’avait pas été réalisé en France non plus, alors qu’on était passé de 628 000 grévistes dans la première partie de 1920 à 57 000 pour la seconde partie de la même année et 9 000 seulement en 1921.

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste avait pourtant, à de très nombreuses reprises, en 1921 et 1922, cherché à modifier les positions du Parti français, mais l’absence de réponses fut une sorte de règle du côté français. La situation apparaissait comme intenable et c’est le sens de la résolution sur la section française, accompagnée même d’un programme d’action formulé pour elle au quatrième congrès.

De plus, l’Internationale Communiste réorganisa elle-même le Comité Central. Au Comité Central du Parti français furent nommés 10 membres de la tendance centriste, 9 de celle de gauche, 4 de celle de droite, 1 de la tendance de Jean Renaud, la grande figure « paysanne » du Parti français historiquement.

L’Internationale Communiste exigea également que les articles de l’Humanité présentant les points de vue du Parti ne soient plus signés, que ses journalistes ne travaillent plus pour la presse bourgeoise et il fut même procédé à une répartition des postes dirigeants de la presse, des différentes commissions du Parti selon les tendances.

On a cependant là une question de fond, qui allait se poser avec d’autant plus d’acuité dans tous les Partis de l’Internationale Communiste. Fallait-il accepter ce principe de tendances ? La réponse allait être négative, avec la mise en place de la « bolchevisation ».

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de l’Internationale Communiste

Le quatrième congrès de l’Internationale Communiste et l’offensive du capital et le fascisme

Lénine intervint au congrès, à la huitième session du quatrième congrès de l’Internationale Communiste, le 13 novembre 1922, prononçant un discours en allemand au sujet des cinq ans de la révolution russe et des perspectives de la révolution mondiale. Il y raconta comment le régime soviétique organisa un capitalisme d’État, effectua un recul temporaire avec la NEP, nouvelle politique économique, avec un secteur privé encadré.

L’aspect principal était que le régime s’était maintenu, qu’il pouvait maintenant souffler et se mettre à apprendre. Cependant, apprendre devait aussi être le mot d’ordre des communistes à l’extérieur de la Russie. Alors que, selon Lénine, les perspectives de la révolution mondiale seraient excellentes.

Lénine et Staline en 1922

Lénine n’aborda que très brièvement la question du fascisme, soulignant que c’était un enseignement pour les Italiens comme quoi la situation n’était pas telle que des bandes fascistes ne pouvaient pas apparaître.

Il y a ici un aspect essentiel, mais nouveau, qui ne faisait qu’être découvert. Dans la conquête des masses, le fascisme se présentait comme un phénomène contre-révolutionnaire avec des contours qu’on ne connaissait pas.

Boukharine souligna l’importance de ne pas sous-estimer cela :

« Une seconde erreur que j’ai remarqué dans le discours de la camarade Ruth Fischer consiste en la phrase suivante : «la force organisationnelle est un reliquat de l’esprit social-démocrate».

Ce n’est en aucun cas un reliquat de l’esprit social-démocrate. Nous ne devons établir la considération politique selon laquelle l’organisation n’est pour nous quasiment rien, alors que l’ensemble de la bourgeoisie avec on organisation trouve même de nouvelles formes.

Le fascisme n’est pas une simple forme d’organisation dont la bourgeoisie disposait auparavant – elle est une forme nouvellement trouvée, qui est adaptée au nouveau mouvement avec l’intégration mobilisatrice des masses.

Entre autres : la bourgeoisie comprend que pour elle aussi un parti de masse est nécessaire, ce que malheureusement même [Amadeo] Bordiga ne comprend pas. »

Le quatrième congrès de l’Internationale Communiste ne considérait pas toutefois que le Fascisme était devenu la principale forme de contre-révolution. Il était raisonné en terme d’offensive du capital en réponse à la vague révolutionnaire.

Le capitalisme se maintenait, non pas par un nouvel élan, mais en pressurisant les masses. Le fascisme était vu comme un phénomène de révolte petite-bourgeoise venant servir d’appui au capitalisme.

C’est Radek qui se chargea d’exposer ce concept d’offensive du capital, dans un long exposé ; il résuma la situation au nom de l’Internationale Communiste de la manière suivante :

« La caractéristique de la période où nous sommes est que, malgré que la crise du capital mondial ne soit pas encore dépassé, que, malgré que la question du pouvoir soit toujours objectivement au centre de toutes les questions, les larges masses du prolétariat ont perdu la considération qu’ils pourraient conquérir le pouvoir à court terme. Elles sont poussées à la défensive. »

Dans ce cadre, le fascisme y est présenté comme un aspect illégal de la contre-révolution qui s’ajoute aux gouvernements contre-révolutionnaires encaissant l’onde de choc de première vague de la révolution mondiale.

Cela relève de la mise en place par la bourgeoisie d’opérations pour relancer l’économie, stopper le développement du communisme, alors que trois pays sont des points névralgiques de l’affrontement entre révolution et contre-révolution : l’Allemagne, la Tchécoslovaquie et l’Italie.

En ce sens, Radek résume de la manière suivante la grande réflexion que les communistes firent avec la victoire du fascisme en Italie :

« Je vois dans la victoire du fascisme non pas une victoire mécanique des armes des fascistes, mais j’y vois la plus grande défaite qu’a connu le socialisme et le communisme depuis le début de la période de la révolution mondiale, une plus grande défaite que celle de la Hongrie soviétique, car la victoire du fascisme est une suite de la banqueroute momentanée, spirituelle et politique, du socialisme italien et de tout le mouvement ouvrier italien (…).

Rosa Luxembourg a un jour dit que les meilleurs défenseurs de la bourgeoisie ont ceux qui ont des illusions.

Les illusions, seulement la petite-bourgeoisie peut en avoir, et comme le socialisme italien s’est révélé une illusion, alors les fascistes purent lui opposer l’illusion petite-bourgeoisie.

Ils ont attaqué les organisations des ouvriers et ceux-ci n’ont pas su se défendre. Dans les villes et les centres industriels, les masses restèrent unis. Mais dans les petites villes et les villages, où les ouvriers étaient dispersés, ils ont été les victimes du fascisme.

Ils les a d’abord maîtrisés avec les armes, ensuite il les a toutefois guidés. Et il n’y a aucun doute que si dans les centres industriels, les masses ouvrières n’ont intérieurement pas suivi le fascisme, celui-ci a dans les campagnes et les petites villes pas seulement gagné les ouvriers par les armes, mais aussi en partie avec sa politique démagogique (…).

Si nos amis italiens, les communistes, veulent être un Parti petit et pur, alors je peux leur dire, qu’un Parti petit et pur trouve aisément sa place en prison. »

Le Parti allemand étant, malgré sa grande qualité, en pleine reconstruction après la défaite de 1918, le Parti italien se retrouvant dans une situation terrible, le Parti tchécoslovaque ne se trouvant pas dans un pays capitaliste de faible taille, c’est ainsi le Parti français qui se voit accordé une place capitale dans le dispositif de l’Internationale Communiste.

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de l’Internationale Communiste

Quatrième congrès de l’Internationale Communiste: Parti de cadres, Parti de masse

Pour comprendre le rapport à la social-démocratie du quatrième congrès de l’Internationale Communiste, il faut bien voir que, de manière unilatérale, il était considéré que la scission avec la social-démocratie était consommée. Zinoviev se moqua par exemple de Georg Ledebour comme d’un « révolutionnaire à l’ancienne mode ».

Or, si Georg Ledebour était un centriste, il avait été un opposant à la première guerre mondiale. Il avait participé à la révolution spartakiste de 1918 ; il refusa le passage dans le camp social-démocrate des restes de l’USPD n’ayant pas rejoint les communistes et fondit en conséquence l’Union Socialiste. Il appartint ensuite au Parti Ouvrier socialiste tout en soutenant des initiatives de masse des communistes, soutenant finalement en 1948 la fusion des socialistes et des communistes dans le SED dans la partie orientale de l’Allemagne.

L’incapacité à saisir de manière dialectique une figure comme Georg Ledebour est symptomatique de tout un volontarisme, d’une posture visant à forcer le cours des choses, une attitude qui était, en fait, systématique dans les organisations de l’Internationale Communiste.

Des délégués au quatrième congrès

Cela aboutit à la formation d’oppositions internes se querellant sur les interprétation des directives de l’Internationale Communiste. Une gauche du Parti Communiste de Tchécoslovaquie avait ainsi littéralement fait sécession contre ce qu’elle voyait comme une inaction de sa direction et donc un véritable « attentat » anti-parti.

Des conflits internes ouverts s’exprimaient dans les Partis hongrois, allemand, américain, français, tchécoslovaque, etc.

L’Italien Amadeo Bordiga formulait quant à lui les thèses gauchistes antiparlementaires et ultra-centralistes, ultra-volontarisme reflétant en fait simplement le relatif recul des communistes suite au tassement momentané de la crise révolutionnaire.

Cela était d’ailleurs parallèle au gauchisme dit germano-hollandais, éjecté de tout rapport avec l’Internationale Communiste et qui désormais rejetait toute grève, au nom de la révolution imminente considérée comme seule actualité !

On avait affaire à une fuite en avant dans un radicalisme « puriste » justement fondamentalement opposé au principe de front unique mis en avant par l’Internationale Communiste pour sortir de la période de tassement. Le radicalisme « puriste » dans l’Internationale Communiste affirmait que le front unique était une bonne ligne… mais inapplicable dans le pays concerné.

Il y au, au-delà de cette question éminemment importante, une problématique de fond travaillant l’Internationale Communiste dans toute son histoire, et qu’elle ne résoudra pour ainsi dire jamais, scellant son destin.

Comment conjuguer, en effet, l’exigence d’un Parti d’avant-garde sur le plan idéologique, avec une discipline de fer, et l’exigence d’être un Parti de masse ? Toutes les options oscillaient fondamentalement dans un sens ou dans un autre, se confrontant brutalement aux choix inverses.

Radek formule cette question substantielle de la manière suivante au quatrième congrès, exprimant le point de vue des tendances « de gauche » :

« Je suis d’avis que, dans la situation où se trouve le prolétariat à l’échelle mondiale, le danger ne vient pas de gauche, mais de droite.

Le danger de droite repose avant tout en ce qu’il est très difficile, dans une période où les masses ne partent pas à l’assaut, de mener la politique communiste.

Dans une période d’assaut, chaque ouvrier sent instinctivement la nécessité de l’action révolutionnaire et le Parti est ensuite plus le régulateur que la force de mise en branle.

Dans une telle période de préparation organique entre deux vagues de la révolution, comme nous nous trouvons désormais, le communisme signifie en premier lieu un difficile travail de préparation spirituelle du Parti.

Et avec la jeunesse de nos Partis Communistes d’un côté, et avec son passé social-démocrate de l’autre, il n’est pas seulement pas facile, mais même très difficile de relier deux choses : le caractère de masse du Parti avec son caractère communiste. »

Ayant ici l’appui de Zinoviev, le point de vue de Radek pose le problème de manière technique-pragmatique et, par conséquent, les problèmes ne furent en réalité que repoussés. Tout ce qui importait, en 1922, pour l’Internationale Communiste, c’était de se tourner fondamentalement vers les masses, pour empêcher la réduction des Partis au niveau de sectes coupés de la vie populaire, et cela alors qu’une nouvelle vague révolutionnaire allait se produire.

Les soubresauts provoqués par l’émergence de tendances conflictuelles ne furent pas analysées comme un phénomène idéologique. Cela le sera lors des prochains congrès, avec la mise en place de la bolchevisation comme solution.

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de l’Internationale Communiste

La considération stratégique du quatrième congrès de l’Internationale Communiste

C’est Clara Zetkine, représentante du Parti Communiste d’Allemagne, qui ouvrit le quatrième congrès de l’Internationale Communiste, le 5 novembre 1922.

Comme c’était la règle, la marche funèbre fut jouée après une présentation des innombrables martyrs tombés pour la Cause. Cependant, cinq ans s’étaient écoulés depuis la révolution russe, 15 mois depuis le 3e congrès, et Zinoviev fut obligé de parler non plus de la révolution mondiale comme aspect principal, mais de la réussite de la mise en place de l’Internationale Communiste :

« C’est justement au cours de ces quinze derniers mois qu’est devenu assuré, en un certain sens, la prochaine destinée de l’Internationale Communiste. Il va de soi que l’Internationale Communiste, au sens historique du mot, voit sa victoire assurée.

Même si notre organisation de combattants disparaissait de la surface de la terre sous le feu de la réaction, comme cela est arrivé aux communards de Paris [en 1871] et à la première Internationale, l’Internationale Communiste renaîtrait et amènerait le prolétariat à la victoire.

Mais il en va de la question de savoir si l’Internationale Communiste, telle qu’elle existe présentement, si notre génération de combattants va parvenir à remplir la mission historique qu’a assumée l’Internationale Communiste. »

Zinoviev dit alors : puisque toutefois l’Internationale Communiste existe encore malgré quinze mois de coups de boutoir de la réaction armée et de la seconde Internationale, ainsi que de la seconde Internationale « et demie », alors l’avenir lui est assuré.

Il s’agit de présenter comme temporaire le fait que la répression a été brutale en Yougoslavie, en Roumanie, en Grèce, en Italie bien entendu avec le fascisme, mais également en Pologne, en Finlande, en Lituanie, en Estonie,aux États-Unis, alors qu’en Allemagne le président de la république est un social-démocrate.

C’est là un aspect essentiel du quatrième congrès. En effet, il apparaît clairement qu’aucune victoire à court terme n’est espérée, au sens il y aurait un prolongement direct de la vague révolutionnaire partie de Russie qui pourrait encore se dérouler. Rien que le reflux syndical le reflète – le nombre de syndiqués passant de 25 millions en 1920 à au grand maximum 18 millions en 1922.

Il s’agit désormais de construire des Partis, sur le modèle russe, afin de réaliser le second moment de la révolution mondiale, qui est considéré comme devant se produire à court terme.

Zinoviev formule cela ainsi, faisant glisser délicatement l’aspect principal de la question :

« Toutes les conditions objectives mûrissent pour la victoire de la révolution prolétarienne dans tous les pays décisifs. Toutes les préconditions économiques sont visibles.

La seule chose qui manque à la classe ouvrière du monde entier est ce qui est connu comme le facteur subjectif – l’organisation de classe qui soit suffisante, la conscience de classe qui soit suffisante. En ce sens, le rôle de la social-démocratie est très grand au moment présent (…).

La seconde Internationale est le principal pilier de la bourgeoisie. Sans l’aide de la seconde Internationale et de l’Internationale [syndicale] d’Amsterdam, la bourgeoisie ne peut pas se maintenir. »

On a ici une clef essentielle de la vie de l’Internationale Communiste. On passe de la diffusion du message (avec le premier congrès), puis des grands principes (les second et troisième congrès), au mélange de deux, c’est-à-dire à l’association de la subjectivité révolutionnaire et de l’organisation bolchevique. Le poids de la social-démocratie est présentée comme le frein essentiel au processus.

La thèse du déclin du capitalisme, avec des cycles, formulée par Eugen Varga à l’occasion du troisième congrès, est ainsi maintenue, mais ajustée dans un sens organisationnel toujours plus marqué.

C’est également un congrès de transition dans la mesure où le fascisme est un thème abordé, mais pas de manière formelle, pas comme un thème d’importance capitale. Au congrès suivant, cela ne sera déjà plus le cas, le fascisme commençant à devenir l’un des sujets majeurs, avant de devenir le thème du septième congrès en lui-même avec le principe de Front populaire.

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de l’Internationale Communiste

L’organisation du quatrième congrès de l’Internationale Communiste

Le quatrième congrès de l’Internationale Communiste s’est tenu du 5 novembre au 5 décembre 1922. 104 personnes prirent la parole, pour 187 discours.

Affiche soviétique pour le 5e anniversaire de la révolution d’Octobre et le 4e congrès de l’Internationale Communiste

Étaient présents 343 délégués représentant 58 pays ; le nombre de délégués a été réparti selon l’importance de chaque Parti, ainsi que de la situation du pays de ceux-ci, de l’importance dans la crise en cours, etc.

C’est ce qui explique le peu de délégués pour certaines délégations, malgré un nombre important de membres. Ainsi, on le Parti norvégien, avec 60 000 membres, qui a 5 délégués seulement, et le Parti bulgare, avec 40 000 membres, qui a 6 délégués.

Si le premier, qui a un nombre très important de membres par rapport à la taille de son pays a beaucoup de problèmes internes, le second est pourtant considéré comme celui le plus exemplaire dans l’Internationale Communiste, après bien entendu le Parti russe.

Inversement, le Parti japonais, qui n’a que 250 membres pourtant, a 4 délégués, tout comme le Parti américain, qui a 8 000 membres seulement, a 8 délégués. C’est là bien sûr l’importance de leurs pays respectifs qui jouent.

Ces différenciations se lisent également très bien quand on voit la nature du bloc de Partis ayant un nombre important de délégués bien plus important que les autres.

Des délégués américains au quatrième congrès

Le Parti russe, au pouvoir et s’appuyant sur 324 522 membres, a 75 délégués ; le Parti ukrainien, qui a 80 000 membres, a 10 délégués.

Le Parti allemand, qui dispose de 226 000 membres, a 23 délégués, tout comme le Parti français, qui a pourtant 78 828 membres. Le Parti italien, qui a 24 638 membres, a 21 délégués, alors que le Parti tchécoslovaque, qui a 170 000 membres, n’ en a que 17.

On doit noter ici de plus que le Parti italien comptait alors seulement 1,5 % de femmes dans ses rangs, contre 20 % pour le Parti tchécoslovaque.

C’est un aspect considéré comme secondaire, ou plutôt comme un processus en cours : il existe en effet un secrétariat dirigé par Clara Zetkine, épaulant le Secrétariat de l’Internationale Communiste (la part de femmes dans le Parti allemand est de 11-12 %, dans le Parti norvégien de 15 %, dans le Parti français de 2 %, en Belgique de 6 %, en Angleterre le chiffre est également très faible).

Pareillement afin de les valoriser, les sections jeunesse et syndicale de l’Internationale Communiste profitent de 20 délégués chacun également.

On comprend donc qu’une importance essentielle va être accordée à la France, à l’Italie, aux États-Unis, à la Tchécoslovaquie, à la jeunesse, aux syndicats. C’est un aspect important, car cela signifie qu’à son quatrième congrès, l’Internationale Communiste assume d’être encore en construction, en évolution.

Des délégués au quatrième congrès

On comprend inversement, dans une telle situation, quelle est la difficulté d’évaluer correctement les Partis relevant d’un pays où la révolution a échoué. Le Parti finlandais, qui a 25 000 membres et réussit à avoir un rôle significatif encore malgré la sanglante répression, a 7 délégués ; le Parti hongrois, qui est démantelé dans le pays et n’existe de manière organisée qu’en exil, a 7 délégués également, mais nommés directement par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste.

Le restant des pays présents, pour citer les principaux, a un nombre de délégués plus restreints: Espagne (3 délégués), Roumanie (3), Suède (6), Lettonie (6), Suisse (3), Autriche (4), Pays-Bas (1), Belgique (1), Chine (3 invités, 1 seul présent), Inde (4 invités, 1 seul présent), Irlande (3), Azerbaïdjan (2), Géorgie (2), Lituanie (2), Estonie (2), Danemark (1), Perse (2), Turquie (2), Australie (2), Argentine (2), Afrique du Sud (1), Java (1), Canada (1), Portugal (1), Chili (1), Uruguay (1), Brésil (1), Mexique (1), Arménie (1).

A cela s’ajoute une soixantaine de délégués n’ayant qu’un droit de vote consultatif.

On aurait tort toutefois de considérer que tout cela a été bien organisé : en effet, des querelles très importantes étaient nées dans de nombreux partis. On a ainsi l’exemple tout à fait parlant du Parti Communiste d’Autriche.

Le Comité Exécutif reçoit un message comme quoi trois délégués ont été élus mais ne pourront pas venir pour des raisons matérielles et que, de toutes façons, leur mandat leur a finalement été enlevé au profit d’un autre. Ils arrivent tout de même, et le quatrième dans la foulée. Ce genre de situation est typique de conflit allant jusqu’à être d’une très grande virulence entre différentes tendances, différentes fractions.

Une large partie du quatrième congrès est polluée par des discussions d’opposition entre les tendances, avec en toile de fond ce qui a été mis en avant par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste :

– le front unique, afin de relancer la mobilisation ouvrière ;

– l’appel à un gouvernement ouvrier, comme expression politique parallèle au front unique.

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de l’Internationale Communiste

La situation au moment du quatrième congrès de l’Internationale Communiste

Le quatrième congrès de l’Internationale Communiste s’est tenu à la fin de l’année 1922. C’est un congrès de transition : on n’est déjà plus dans l’esprit des précédents congrès, on n’est pas encore dans celui de ceux qui vont suivre.

Au moment où il s’ouvre, la marche sur Rome vient d’avoir lieu et on commence à comprendre que le fascisme n’est pas qu’un aspect de la réaction, qu’il est un saut qualitatif de celle-ci. Cela va modifier l’ensemble de la démarche de l’Internationale Communiste, pour aboutir à la thèse du Front populaire, quelques années plus tard.

De plus, en 1922, il est clair que la vague révolutionnaire issu d’octobre 1917 a connu, non pas un temps d’arrêt au sens strict, mais un détour et qu’on est là en pleine offensive du capital. Il s’agit donc de renforcer la base prolétarienne, d’où la stratégie du front unique et d’appel à un gouvernement ouvrier.

Le précédent congrès posait les bases de cette approche, le tout reposant sur l’évaluation de la crise générale du capitalisme, dont Eugen Varga est encore, pour l’instant, le principal analyste. Le capitalisme est en déclin, il cherche cependant une voie pour bloquer celui-ci de manière relative, en pressurisant les salaires, en augmentant le temps de travail, etc.

Eugen Varga, La situation de l’économie mondiale et le cours de la politique économique ces trois dernières années, 1922

La dimension de transition ne repose toutefois pas qu’en l’irruption du fascisme dans la conquête du pouvoir et l’offensive du capital. L’Internationale Communiste s’aperçoit également que ses tâches sont bien plus denses que prévues.

Il y a déjà des questions, comme celle des situations dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, qui demandent un gigantesque investissement intellectuel, d’analyses historiques approfondies. Cela exige de mettre des structures en place.

Il y a ensuite que la construction des Partis Communistes se déroule de manière bien moins correcte que prévue. Les Français sont divisés en tendances, les Danois ont deux structures séparées, les Norvégiens sont divisés et la direction a un mauvais rapport avec l’Internationale Communiste, la direction des Italiens a une démarche ultra-sectaire, etc.

On ne saurait comprendre l’ampleur de cette crise qu’affronte l’Internationale Communiste si l’on ne voit pas qu’il y a déjà eu une tentative de la résorber. Le Comité Exécutif élargi s’est en effet réuni à Moscou du 24 février au 4 mars 1922, avec 36 délégations.

On peut considérer que c’est le noyau dure de l’Internationale Communiste qui s’est alors réuni, avec comme pays représentés :

– l’Allemagne, la France, la Tchécoslovaquie, l’Italie, l’Angleterre, les Etats-Unis, le Japon ;

– la Russie, l’Ukraine, la Géorgie, l’Arménie,

– la Pologne, la Bulgarie, la Yougoslavie, la Roumanie,

– la Norvège, le Danemark, la Suède, la Finlande, l’Islande, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Hollande, l’Espagne, la Suisse, l’Autriche, la Hongrie,

– le Canada, l’Australie, l’Argentine ;

– la Perse, la Chine, l’Afrique du Sud, Java.

Cette session du Comité Exécutif élargi a concrètement abordé les mêmes points que lors du congrès à venir – ce qui signifie que n’ont pas été résolus les problèmes entre-temps, lors d’une période de plus de six mois.

De plus, il y a ouvertement une opposition à l’application du principe de Front unique, avec une motion « minoritaire » signée des Partis espagnol, français et italien. Pour eux, hors de question de chercher à travailler avec les socialistes en général.

Le quatrième congrès de l’Internationale Communiste va révéler qu’on est à un tournant historique et que la réalisation du prolongement de la vague révolutionnaire d’octobre 1917 va être bien plus compliqué que ce que les communistes s’imaginaient.

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de l’Internationale Communiste

Derrière les barreaux

Publié en 1929 dans la revue de social-démocratie autrichienne Kuckuck

Peu importe que les prisons soient faites de bâtiments en murs ou de barreaux de fer, les deux signifient une limitation spatiale, l’esclavage de la volonté, également pour l’animal, qui est né en liberté et lutte pour elle.

Les animaux sont des créatures du moment. Ils ne vivent pas consciemment le futur, ils sont liés au présent. Aux crises de colère lorsque les vœux ne sont pas satisfaits succède une profonde tristesse, que rien ne peut initialement influencer.

Rarement le moment psychique est plus fort que le sentiment de faim physiologique. La volonté de vivre repousse l’absence de liberté corporelle et spirituelle.

La prise de nourriture, c’est-à-dire l’apparition du surveillant, devient le contenu de la vie, ce qui s’est déroulé disparaît dans le subconscient de l’intellect animal.

Des gâteries, comme un morceau de sucre, un pauvre navet ou une banane, doivent aider à dépasser beaucoup de chose.

Derrière les barreaux, ils sont tous logés à la même enseigne. L’hippopotame et l’ours polaire ont oublié leur force, les grands singes leurs forêts, les girafes leurs steppes, l’oiseau merveilleux qu’est le Bec-en-sabot du Nil son pays d’origine, les sources du Nil.

Tous deviennent un concept, un numéro dans le catalogue du zoo – un pauvre prisonnier, à qui on a volé la liberté, qu’on a dénaturé, qui a perdu son moi derrière les barreaux.

Totalement triste au zoo de Schönbrunn
Mères
Les animaux te regardent
« On reconnaît comment les animaux sont si humains
« 

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L’austro-marxiste Otto Bauer et le socialisme intégral

En exil, Otto Bauer tenta de reformuler l’approche de la social-démocratie autrichienne. Il se rapprocha très clairement des positions soviétiques, qu’il ne voyait définitivement plus comme un Etat dominé par une petite clique bureaucratique formant un nouveau capitalisme, mais comme un authentique pays socialiste, une référence incontournable pour tout révolutionnaire.

C’était déjà parfaitement lisible dans la démarche du Parti Ouvrier Social-Démocrate depuis le milieu des années 1920.

Il théorisa alors ce qu’il appela le socialisme intégral, c’est-à-dire la réunification de la social-démocratie et du mouvement communiste, sur une base nouvelle unifiant le meilleur des deux approches.

L’approche d’Otto Bauer tangue entre un véritable saut qualitatif et une approche qu’on a pu voir dans les années 1936-1938 en Espagne ou après 1945 dans les démocraties populaires, et une régression à un dénominateur commun aux contours mal définis et relevant d’un réformisme de gauche.

Voici comment il formule son point de vue, en 1936, dans Entre deux guerres mondiales? La crise de l’économie mondiale, de la démocratie et du socialisme.

« Ce développement du capitalisme à un niveau sans pareil de développement technique, social et culturel a été l’un des résultats les plus importants de la démocratie.

Cela n’a cependant pas été l’œuvre des capitalistes ; c’était le résultat des luttes de classes que la classe ouvrière a mené pour et dans la démocratie.

Mais le résultat de ces luttes a renforcé le capitalisme (…). Le capitalisme a rendu soumis les forces naturelles de l’être humain, il a multiplié les forces productives du travail, il a rendu l’humanité incomparablement plus riche qu’elle ne l’a jamais été.

Avec son développement technique, main dans la main avec le développement des sciences naturelles, de la médecine, de l’hygiène, il a accompli des performances qui seront l’héritage précieux de chaque ordre social futur.

Mais tout ce développement s’est accompli sous la domination du capital (…). De caractère tout aussi ambigu est la démocratie bourgeoisie (…). Tout ce fructueux développement de la démocratie s’est accompli sur le terrain de l’ordre social capitaliste et pour cette raison sous la domination du capital (…).

La démocratie bourgeoise a été le plus grand triomphe du capitalisme (…). La guerre a été le plus grand triomphe de la démocratie bourgeoise (…).

Depuis l’effondrement de la social-démocratie allemande, le Labour Party anglais, le parti bolchevique russe et le parti socialiste de France sont les trois partis les plus puissants du mouvement ouvrier socialiste dans le monde.

Le Labour Party est la plus pure incarnation du réformisme. Le parti bolchevique russe est la direction du communisme révolutionnaire. Le parti socialiste français se situe entre les deux (…).

Dans l’idéologie du parti socialiste français, il y a indubitablement des éléments importants et prometteurs pour le développement d’une conception qui s’élève au-dessus de l’opposition entre réformisme et bolchevisme.

Des éléments semblables se retrouvent dans les partis socialistes des pays fascistes. Les cadres sont issus des partis démocratiques réformistes de masses, vaincus et démantelés. Mais la défaite de ces partis les a rendu révolutionnaires, la terreur fasciste les a contraints à la lutte révolutionnaire.

En eux se rejoignent les traditions de la phase réformiste démocratique et les nouvelles méthodes et perspectives révolutionnaires.

Enfin, il y a entre les deux Internationales de petits groupes résultat les uns de scissions à gauche de la social-démocratie, les autres de scissions à droite de l’Internationale Communiste. Ils cherchent aussi à élaborer une conception dépassant les dogmes figés des grands camps dans le socialisme international.

La tâche, c’est de développer ces multiples éléments unificateurs de la théorie et de la politique socialistes, d’intégrer ce que la guerre mondiale avait divisé.

J’appelle socialisme intégral cette conception unifiée qui doit surmonter la scission du prolétariat mondial (…).

D’un côté, nous avons les grands mouvements ouvriers de masses : le Labour Party anglais, les partis et les syndicats sociaux-démocrates des pays scandinaves, de Belgique, des Pays-Bas, avec leurs succès, les syndicats des États-Unis, les partis ouvriers d’Australie – tous ces grands mouvements de masse sont démocratiques et réformistes.

De l’autre côté, nous avons la lutte consciente pour une société socialiste qui se réalise en URSS, dont l’influence domine les cadres socialistes révolutionnaires des pays fascistes, se fait sentir dans les mouvements socialistes de masses en France et en Espagne et aussi dans le mouvement révolutionnaire d’Extrême-Orient.

Les rapports entre le mouvement réformiste de classe et le socialisme conscient, tel est le problème dont il faut partir pour élaborer un socialisme intégral (…).

La scission de la classe ouvrière, provoquée par la guerre mondiale et par l’évolution opposée de la révolution russe et des révolutions d’Europe centrale [Hongrie, Allemagne], a dressé le mouvement ouvrier réformiste et le socialisme révolutionnaire face à face, comme deux pôles opposés.

La classe ouvrière a fait l’expérience des conséquences catastrophiques de cette scission. Le fascisme et le danger de guerre poussent les deux camps à surmonter cette hostilité (…).

Le réformisme n’est pas une idéologie bourgeoise, ce n’est pas « l’asservissement idéologique des ouvriers à la bourgeoisie ». C’est l’idéologie de la classe ouvrière à une étape déterminée de son développement.

Le marxiste qui a compris que l’idéologie et la tactique réformistes sont la phase nécessaire et inévitable du développement de la classe conscience de classe prolétarienne dans des conditions déterminées, à une étape déterminée de son développement, ne peut pas croire qu’il pourrait surmonter l’idéologie réformiste des masses, la tactique réformiste des partis de masses, tant que les conditions mêmes qui ont donné naissance à cette idéologie et auxquelles répond cette tactique ne sont pas surmontées (…).

Il [Le marxisme] doit faire comprendre aux masses que seule une dictature temporaire du prolétariat peut détruire définitivement la puissance économique et idéologique de la bourgeoisie capitaliste, pour rétablir la démocratie à un plus haut niveau, dans une forme plus accomplie, sur la base d’une nouvel ordre social et garantir ainsi à l’humanité les grandes conquêtes de la civilisation bourgeoise comme des biens inaliénables.

Dans cette conception de l’histoire, il doit unir l’ethos du socialisme démocratique et le pathos du socialisme révolutionnaire (…).

Il faut avant tout mettre le fait le plus important de l’histoire d’après-guerre au centre de la conception de l’histoire qu’il s’agit de transmettre à la classe ouvrière, et ce fait c’est le développement triomphal du socialisme en URSS.

Il faut combattre les préjugés petits-bourgeois et d’un démocratisme vulgaire à l’égard de l’URSS, qui continuent à sévir au sein du socialisme réformiste. Il faut apprendre aux masses ouvrières que dirigent les partis ouvriers réformistes à reconnaître qu’en URSS se développe au rythme le plus puissant et le plus rapide un ordre socialiste prouvant la supériorité du socialisme sur le capitalisme.

Il faut se servir de tous les succès remportés en URSS pour la propagande en faveur de la société socialiste (…).

En un temps où la classe ouvrière des pays capitalistes a subi les plus graves défaites et voit peser sur elle les plus graves menaces, le marxisme révolutionnaire doit insuffler aux masses la foi dans les idées socialistes, la confiance dans leurs propres forces, l’espoir en leur émancipation en leur montrant que là-bas, dans le vaste territoire qui va de la Baltique et de le mer Noire au Pacifique, une société socialiste est en voie de réalisation.

Là-bas se développe une grande puissance socialiste, votre alliée, avec laquelle vous, les travailleurs du monde entier, vous abattrez le capitalisme, vous réaliserez la société socialiste, vous surmonterez les frontières nationales pour édifier la future fédération internationale des Etats socialistes ! (…)

Le processus de transformation de la société capitaliste en société socialiste qui s’accomplit en URSS ne sera achevé que lorsque la dictature, seule capable de mettre et de maintenir en mouvement ce processus, sera éliminée et remplacée par une démocratie socialiste qui rendre les masses populaires elles-mêmes maîtresses de leur travail, de leur vie, de leur civilisation sur la base des droits individuels restaurés, de la liberté intellectuelle totale, de l’autodétermination collective directe. »

Otto Bauer décéda en juillet 1938. Après 1945, le Parti Socialiste d’Autriche ne fut formé que dans un sens résolument pro-américain et liquida entièrement tout ce qui avait un rapport avec lui. Le Parti Communiste d’Autriche ne comprit rien à cela ni au patrimoine ouvrier des années 1920 et 1930 et resta entièrement marginalisé.

La résolution de 44 cadres socialistes prônant une indépendance par rapport aux Etats-Unis et soutenant en pratique la ligne d’Otto Bauer fut écrasée, son existence même passée sous silence. Même la Jeunesse Socialiste, qui avait soutenu la résolution, n’osa jamais la mentionner nulle part.

Le Parti Socialiste ne parla absolument jamais de l’austro-marxisme, ne publia aucun ouvrage à ce sujet. Le secrétaire Adolf Schärf refusa une proposition d’étudiants d’installer un buste de Max Adler dans l’université de Vienne au motif que celui-ci aurait été pour la dictature du prolétariat.

Les œuvres choisies d’Otto Bauer ne furent publiés qu’en 1961, à quoi répondirent en quelque sorte les Souvenirs d’Adolf Schärf qui appelaient à la liquidation complète de tout ce qui avait trait à Otto Bauer, ce que Norbert Leser s’effectua à faire sur le plan théorique.

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Le 12 février 1934 vu par le Secours Rouge

DES POTENCES EN AUTRICHE

L’héroïque Insurrection du prolétariat autrichien

par Herta Müllerpublié par le Secours Rouge en 1934 

«Le Paris des ouvriers de 1871, le Paris de la Commune sera à jamais célébré comme l’avant-coureur glorieux d’une société nouvelle. La mémoire de ses martyres vivra comme en un sanctuaire, dans le grand coeur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l’histoire les a déjà cloués à un pi lori éternel, et toutes les prières de leurs traîtres n’arriveront pas à les racheter.»(MARX: La guerre civile en France.) 

Comme les communards du Paris de 1871, les héros de l’insurrection autrichienne vivent, eux aussi, dans le grand coeur du prolétariat, qui dans tous les pays du capitalisme mène le combat contre le fascisme. Les ouvriers autrichiens ont livré une bataille d’une grandeur gigantesque et ont écrit de leur sang une page glorieuse de l’histoire. La formidable insurrection du mois de février a été la première insurrection armée contre le fascisme. Ces luttes héroïques de la petite Autriche ont tenu pendant six jours et six nuits le monde en haleine.

La bourgeoisie a tremblé devant la force formidable de la classe ouvrière. Elle a tremblé pour son système capitaliste pourri, pour son édifice banqueroutier, qui ne saurait s’appuyer que sur la pointe des baïonnettes. Et elle n’a eu qu’un avant-goût de ce que les ouvriers sont capables lorsqu’ils s’engagent sur la voie de la lutte révolutionnaire !

Les masses travailleuses du monde entier – les ouvriers, les masses travailleuses opprimées, les esclaves coloniaux – ont tourné un regard plein d’espérance vers l’Autriche; elles ont suivi avec la sympathie et l’enthousiasme le plus grand l’héroïque combat des ouvriers autrichiens. Cette insurrection leur a clairement démontré que la victoire finale des masses opprimées sur le fascisme est certaine.

L’arme à la main, des ouvriers social-démocrates ont pris place dans les rangs de la lutte contre les attaques du fascisme. Comment cela est-il arrivé ? Un coup d’oeil en arrière sur le développement des événements en Autriche nous l’expliquera.

En 1918, la monarchie a été renversée en Autriche. Certes, les ouvriers n’entendaient pas seulement renverser la monarchie, mais avec elle tout le régime capitaliste. Ils avaient devant eux, comme un exemple lumineux, la Révolution victorieuse d’Octobre du prolétariat russe.

Le Parti social-démocrate autrichien était grand et puissant. Mais il utilisa sa force pour secourir la bourgeoisie, pour l’aider à édifier sa « République démocratique ».

« Nous ne voulons pas de guerre civile », disaient les « gauches » Friedrich Adler et Otto Bauer. Nous progresserons par la démocratie vers le socialisme, et cela sans sacrifices. » Lorsque des ouvriers exigeaient, malgré cela la lutte révolutionnaire, les chefs social-démocrates s’exclamaient: « L’Entente affamerait une Autriche soviétique. » Comment s’est traduit, en réalité, cette « fuite devant la famine » ?

On compte, chaque année, en Autriche, une moyenne de 3.000 suicides, par suite de la famine et la détresse; ce sont donc environ 45.000 personnes que la famine a poussé à la mort au cours des quinze dernières années.

Les chefs social-démocrates se sont engagés sur le chemin de « l’édification » de la République autrichienne, et le 15 juin 1919 la police du ministre social-démocrate de l’intérieur Eldersch a tué dix-sept ouvriers social-démocrates et communistes, au cours d’une manifestation de sympathie envers la Hongrie soviétique.

Les chefs social-démocrates ont maintes fois répété à la bourgeoisie qu’ils représentaient la seule force capable de sauvegarder l’Autriche du bolchévisme. On peut reconnaître qu’au moins, en cette circonstance, ils ont dit l’exacte vérité.

C’est grâce à cette politique que, petit à petit, la bourgeoisie a pu grouper ses forces, renforcer ses rangs et passer à l’offensive contre la classe ouvrière.

L’offensive contre les salaires s’en est suivie. Le chômage a éclaté et expulsé en quelques années des centaines de millier d’ouvriers du processus de la production. La paupérisation des masses travailleuses a fait des progrès et les gouvernements successifs ont renforcé l’offensive contre les ouvriers, cependant que parallèlement la bourgeoisie créait ses organisations armées et les faisait s’exercer à l’assassinat d’ouvriers.

La justice autrichienne a régulièrement acquitté tous ces assassins d’ouvriers. Les ouvriers autrichiens voulaient venger leurs camarades; ils voulaient lutter et vaincre la réaction. Mais ils se heurtaient, là encore, à la résistance des chefs social-démocrates qui défendaient la bourgeoisie et retenaient les ouvriers de la lutte.

En rappelant leurs grandes victoires aux élections parlementaires, les chefs social-démocrates proclamaient que « personne ne saurait battre cette armée de la classe ouvrière autrichienne ». Jusqu’en 1931, la social-démocratie comptait dans un pays de 6 millions 1/2 d’habitants, 750.000 membres; presque un habitant adulte sur trois était organisé dans la social-démocratie ! Les Syndicats réformistes comptaient 850.000 membres.

Dans les villes industrielles, ils avaient derrière eux presque les deux tiers de la population. Le nombre des voix réunies aux élections parlementaires s’était accru sans cesse, et Otto Bauer affirma, avec beaucoup de pédantisme, que son parti est parvenu à grouper 42,8 % de toutes les voix exprimées, et qu’il ne lui manquait que 8,2 % de voix, au Parlement, pour instaurer le socialisme au pouvoir.

Des phrases semblables, qui ont semé des illusions parlementaires dans les rangs du prolétariat, ont eux aussi le don d’augmenter fortement, au sein de la classe ouvrière autrichienne, la conscience de sa force. Ceci est apparu avec évidence au cours de

L’INSURRECTION DU 15 JUILLET 1927

qui éclata spontanément comme réplique à l’acquittement de quatre assassins d’ouvriers: Tous les efforts des chefs social-démocrates ne parvinrent pas à retenir les ouvriers de la lutte. Bien que Julius Deutsch, en sa qualité de commandant suprême du Schutzbund, ait pris, devant la police, la responsabilité du maintien de l’ordre, les ouvriers le troublèrent de fond en comble. En guise de réponse à la criminelle justice de classe, ils mirent le feu au Palais de Justice et luttèrent héroïquement contre la police qui tira sur les ouvriers. Mais, comme les chefs social-démocrates avaient laissé les ouvriers sans armes, la police put, en deux journées, en fusiller quatre-vingt-dix.

A la grande conférence des hommes de confiance de la social-démocratie viennoise, conférence qui eut lieu trois jours après l’insurrection, Otto Bauer déclara que des larmes lui venaient aux yeux lorsque de vieux camarades s’adressaient à lui, au Parlement, et le prient de leur donner des armes, « car la police était en train de les massacrer ». Otto Bauer dut leur refuser ces armes, car « les armes entre les mains des ouvriers signifient la guerre civile ». Pour lui, l’assassinat de quatre-vingt-dix ouvriers n’était pas la guerre civile, mais le « maintien de l’ordre et de la légalité ».

Le 15 juillet fut un moment décisif dans le développement des événements d’Autriche: après que la bourgeoisie fut parvenue à écraser l’insurrection, elle commença à développer et surtout à armer ses organisations fascistes, les Heimwehren avant tout. Celles-ci commencèrent aussitôt à s’exercer dans les provocations contre la classe ouvrière.

Les ouvriers voulaient aussi combattre contre ces provocations et combattirent effectivement en plusieurs occasions dans un front unique avec les communistes, mais les chefs social-démocrates parvinrent, grâce à de nouvelles phrases révolutionnaires, à empêcher ou à étouffer ces luttes. Ce furent surtout les membres du Schutzbund qui firent sans cesse front aux provocations des Heimwehren.

QU’EST-CE LE SCHUTZBUND ?

Le Schutzbund est une organisation d’auto-défense ouvrière. Des ouvriers communistes et sans parti en firent partie auparavant, mais la direction se trouve toujours entre les mains des social-démocrates. A sa tête étaient placés – Julius Deutsch (qui prit la fuite avec Otto Bauer), l’ancien général Koerner, le major Eifler et d’autres. Les membres du Schutzbund recevaient une instruction militaire.

Une grande partie de ses membres étaient des ouvriers révolutionnaires animés d’un esprit de combat. Au lendemain du 15 juillet 1927, le mécontentement se fit jour dans les rangs du Schutzbund. Les chefs social-démocrates répondirent par l’exclusion des ouvriers révolutionnaires et communistes des rangs du Schutzbund, et par une « réorganisation » destinée à en faire une organisation purement social-democrate.

Toutes les fois que les Heimwehren entreprirent des manifestations provocatrices, on « mobilisa » le Schutzbund, mais les membres étaient consignés aux sièges et dans les clubs, et y attendaient « mobilisés » jusqu’à ce que le dernier fascistes des Heimwehren eût quitté la rue.

Ces éternelles manoeuvres de diversion provoquèrent un mécontentement de plus en plus grand et une radicalisation des ouvriers du Schutzbund. Le mécontentement était devenu si grand qu’aucune phrase de « gauche » et aucune démagogie ne servait plus à rien. Leur radicalisation rapide les mena à l’insurrection armée de février.

Si le Schutzbund était l’orgueil militaire de la social-démocratie,

LES MAISONS D’HABITATION MUNICIPALES

étaient l’orgueil administratif. Les plus grands bâtiments de ce genre se trouvent dans les quartiers prolétariens. Le Karl Marx Hof est une des plus grandes bâtisses. Construction moderne et pratique, d’une présentation très imposante (les logements le sont certes moins !), elle s’étend sur une perspective formidable et compte environ 5.000 logements, ce qui signifie que 10.000 personnes environ y sont logées.

Le Sandleiten, dans le quartier d’Ottakring, est un bâtiment presque aussi grand – une des dernières constructions de la municipalité de Vienne. Un peu moins central, ce bâtiment figure avec son cinéma, ses squares, ses salles de clubs, etc., presque une ville à lui seul.

Les maisons municipales abritaient surtout des ouvriers. des employés, des traminots social-démocrates.

Ce n’était, d’ailleurs, pas très facile d’obtenir un logement dans une maison municipale. Il suffisait d’être connu comme communiste ou comme ouvrier révolutionnaire pour que, bien qu’inscrit régulièrement et depuis plusieurs années à l’Office des logements de la ville de Vienne, l’on n’obtienne pas son logement, un logement pourtant construit avec l’argent des contribuables, qui n’étaient autres que les ouvriers communistes ou social-démocrates, chômeurs ou non-chômeurs.

Les ouvriers qui, il y a plusieurs années, y avaient emménagé comme de braves social-démocrates, ont été cependant amenés sur le chemin de la lutte révolutionnaire par l’aggravation de la crise et par la trahison de leurs chefs. Ces braves social-démocrates sont devenus de plus en plus des ouvriers conscients, lecteurs des nouveaux journaux de maisons que les organisations révolutionnaires éditaient et diffusaient largement dans ces fiefs social-démocrates.

La radicalisation des ouvriers a été la prémice de leur héroïque lutte armée pour la défense de ces maisons.

L’AVENEMENT DE LA DICTATURE DOLLFUSS

La crise économique s’est fortement aggravée; elle s’est emparée de l’Autriche, bien avant que de sévir dans les autres pays, et s’est accrue en 1933. Sur les 1.200.000 ouvriers que compte l’Autriche, l’armée des sans-travail se chiffre à 500.000. Des centaines de milliers d’ouvriers n’ont pas travaillé depuis des années. Le chômage partiel est dans beaucoup de branches de production, un phénomène endémique. Des régions industriels ressemblent à des cimetières. Dans beaucoup de localités ouvrières, la majorité des habitants est sans travail.

Les salaires et les allocations de chômage ont été diminués. Des centaines de milliers de sans-travail ont été volés de leurs allocations; la famine et la détresse sévissaient à travers le pays. Aussi, la révolte et la radicalisation des ouvriers ont-elles augmenté sans cesse, tandis que la bourgeoisie recourait à des attaques incessantes contre le niveau de vie des travailleurs.

Dans cette situation, l’avènement de la dictature sanglante hitlérienne en Allemagne, qui a ranimé la réaction dans tous les pays, a été ressenti avant tout dans l’Autriche voisine. Le chancelier fédéral Dollfuss a profité d’une grève de deux heures des cheminots d’Autriche, le jour du 1er mars 1933, pour écarter le Parlement – cette coquille de la dictature de la bourgeoisie – et pour instaurer la dictature ouverte.

A l’aide de décrets-lois, le droit de grève et de réunion a été supprimé, la presse prolétarienne interdite, les cours d’assises supprimées; le Parti communiste, le Secours Rouge, les Amis de l’U.R.S.S., l’Association des Libres-Penseurs, le Schutzbund et d’autres organisations prolétariennes interdites et leurs biens confisqués. Les prisons se sont remplies d’ouvriers révolutionnaires. Les cours martiales et la peine de mort ont été introduites.

En attendant, la situation politique de l’Autriche, tant intérieure qu’extérieure, s’est aggravée. Vu sa situation géographique, l’Autriche est d’une grande importance pour les intérêts impérialistes de plusieurs pays, et surtout pour ceux de la France, de l’Italie et de l’Allemagne. Elle constitue le pont entre les Balkans et l’Europe centrale. Elle se trouve entre les deux Etats fascistes alliés: l’Italie et la Hongrie.

L’avènement du national-socialisme au pouvoir en Allemagne a fait de l’Autriche le foyer central des contradictions impérialistes. Le programme du national-socialisme allemand, qui prévoyait le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne (Anschluss), a inquiété les puissances de Versailles.

Une lutte acharnée a commencé autour des sphères d’influence en Autriche et en Europe du Sud-Est. Sous le mot d’ordre de « l’indépendance de l’Autriche », Dollfuss a groupé les forces fascistes dans le « front patriotique », qui se trouve, certes, en contradiction avec les nationaux-socialistes autrichiens, mais qui, dès le début, a dirigé son feu contre la classe ouvrière.

L’aggravation des contradictions entre les nationaux-socialistes autrichiens, le Reich allemand et le gouvernement Dollfuss a contraint ce dernier à essayer sans cesse d’obtenir avec l’Allemagne un accord qui permit la concentration de toutes les forces fascistes, y compris celles des nazis autrichiens, contre les masses travailleuses, et qui favorisât l’instauration d’un régime ouvert de terreur sanglante. Mais la radicalisation de la classe ouvrière, les progrès de la paupérisation des masses travailleuses, l’aggravation de la crise économique en Autriche ont augmenté encore l’impatience de la bourgeoisie autrichienne, qui a passé directement à l’attaque décisive contre les masses travailleuses.

Le Parti social-démocrate autrichien s’était mis sous la protection de l’impérialisme français, dont il était le principal agent en Autriche. Le ministre de France rappela à Dollfuss l’accord – devenu public à cette occasion – conclu entre les gouvernements français et autrichien, et en vertu duquel aucune mesure décisive ne devait être prise contre le Parti social-démocrate autrichien sans l’accord préalable du gouvernement français.

Dollfuss répondit qu’il n’est plus à même de tenir cette promesse.Le 30 janvier 1934, les troupes armées des Heimwehren occupèrent Innsbruck (capitale du Tyrol) et s’emparèrent de tous les leviers de commande de l’appareil d’Etat. Au cours du développement ultérieur de cette action des Heimwehren, ceux-ci exigèrent l’interdiction du Parti social-démocrate.

Le 7 février, les Heimwehren répétèrent, dans la Haute Autriche, l’action qu’ils avaient entreprise dans le Tyrol. Les troupes des Heimwehren occupèrent la banlieue de Linz, alors que tous les Heimwehren fascistes étaient mobilisés dans l’ensemble de la Haute-Autriche, ils pénétrèrent dans Linz et mirent les mitrailleuses en batterie contre les ouvriers. Dans la Basse-Autriche, on retira à vingt et un maires social-démrocrates les fonctions de police.

Et, cependant, même au coeur de cette situation tragique, les chefs social-démocrates tâchèrent toujours de faire croire aux ouvriers que tout s’arrangerait sans recours à la violence. Dans un discours prononcé au Conseil municipal de Vienne, le maire social-démocrate Seitz déclarait, en effet:

« Une ville comme notre Vienne, avec son histoire, sa culture, ne peut pas être administrée par la violence.
« C’est un non-sens pour la République autrichienne que de vouloir régler par la violence les divergences d’idées si profondes soient-elles. Cela contredit l’esprit et la mentalité de l’Allemand autrichien. Nous ne pouvons régler nos divergences que par des moyens pacifiques. »

Ainsi donc, c’est jusqu’à la dernière minute que les chefs social-démocrates – comme l’a déclaré Otto Bauer à Prague – entretinrent de telles négociations « pacifiques » avec le chancelier Dollfuss.

Et, pendant que Seitz prononçait ces paroles pacifiques, et que les chefs social-démocrates essayent de négocier, les Heimwehren poursuivaient à fond leurs actions armées contre les ouvriers, et les ouvriers se préparaient à la défense. C’est le même jour, dans une édition spéciale de son organe illégal, la « Rote Fahne », que le Parti communiste autrichien écrivait:

« Il y va de la vie et de l’existence des ouvriers. Ecrasez le fascisme avant qu’il ne vous écrase ! Cessez aussitôt le travail ! Faites grève ! Entraînez les usines voisines ! Elisez des comités d’action pour l’organisation de la lutte dans chaque entreprise ! Descendez dans la rue ! Désarmez les fascistes ! Donnez les armes aux ouvriers !

GREVE GENERALE

« A BAS LE GOUVERNEMENT DE BOURREAUX ! »

Ces mots d’ordre eurent un accueil enthousiaste. Le 10 février, le maire de Vienne et gouverneur de la province, Karl Seitz, fut à son tour privé des fonctions de police. Bien que les chefs social-démocrates aient tranquillement accueilli ce coup, les ouvriers se décidèrent au combat.

Lorsque cette nouvelle fut connue, les ouvriers de Vienne se mirent en grève. La circulation des tramways fut interrompue, et à midi la grève générale fut proclamée. Des luttes armées se déroulèrent à Steyr, à Graz, à Bruck, à Mur, à Atthang et dans d’autres localités.Le 12 février, à la suite des perquisitions qu’elle avait opérées chez les ouvriers à la recherche d’armes, la police tente de prendre d’assaut la Maison du Peuple de Linz, la capitale de la Haute-Autriche.

Les détachements du Schutzbund qui se trouvaient dans la maison opposèrent une résistance armée. On alerta des régiments de ligne et une lutte acharnée s’engagea, dont le bilan s’est chiffré par vingt ouvriers tués et un policier blessé.

A Vienne, des luttes éclatèrent dans les quartiers prolétariens. La guerre civile était en plein développement. Chaque attaque de la police contre les maisons municipales ou les Maisons du Peuple était repoussée par la lutte armée des ouvriers. 

Le gouvernement répondit par l’état de siège; sa presse déclencha une campagne de mensonges pour désagréger les masses ouvrières et pour semer la confusion dans les rangs de combattants. Le 13 février, la presse bourgeoise du matin lança en grosses lettres la nouvelle mensongère: « Le gouvernement est maître de la situation. » Le 14 février, les journaux de province écrivirent: « L’ordre le plus parfait règne à Vienne », alors qu’à son tour la presse viennoise écrivait: « L’ordre est rétabli dans la province ».

Mais, à la deuxième page de chacun de ces journaux, on pouvait trouver des nouvelles annonçant que les luttes continuaient, ou des appels dans lesquels le gouvernement conseillait aux mères de ne pas laisser leurs enfants dans la rue, ou bien encore des ordonnances annonçant la fermeture des écoles, des théâtres et des cinémas.

Le 14 février, le vice-chancelier Fey, ce bourreau de la classe ouvrière, déclara, au cours d’un discours radiodiffusé:

« Ce matin, on ne pouvait plus rien apercevoir de l’état de dépression que l’on pouvait remarquer dans la ville auparavant. La circulation des tramways est reprise, et il en est de même du travail dans toutes les entreprises. Les magasins ont rouvert leurs portes, et dès le matin des autos de livraison traversaient rapidement la ville en s’efforçant de rattraper ce qui a été raté hier et avant-hier. »

Et plus loin:

« Les mesures de barrage sont maintenues et les cours martiales sont introduites. Des combats continuent dans les quartiers ouvriers. »

Le nombre des cadavres augmentait sans cesse. C’était là l’ordre du gouvernement Dollfuss-Fey. La peur éprouvée par le gouvernement Dollfuss devant la lutte héroïque et la force formidable de la classe ouvrière l’obligea à recourir à d’autres moyens pour désagréger encore les rangs de la classe ouvrière, la démagogie et la fourberie venant à la rescousse des potences et des assassinats:

PAROLES PACIFIQUESLe 13 février, Fey disait dans la radio: 
« Au peuple d’Autriche ! 
« Ouvriers d’Autriche ! 
« Vous, qui aveuglés, vous vous trouvez encore de l’autre côté de la barricade, dites-vous bien que vous ne parviendrez à rien par la violence.(Cette violence dont M. Fey avait une si grande peur lorsqu’elle était celle des ouvriers, mais dont il se servit si férocement contre eux). Mais si vous vous ressaisissez, si vous abandonnez le fantôme marxiste, vous serez accueillis par nous comme des frères que vous étiez et que vous êtes encore, à condition que vous renonciez à votre couleur rouge. » 
Et plus loin:
« Au peuple d’Autriche ! 
« …Le gouvernement fédéral s’adresse, encore une fois, aux éléments trompés, en les avertissant de renoncer à leurs actions folles et de reprendre leur travail en toute tranquillité. » 
Le 14 février, un nouvel appel est adressé par le chancelier fédéral aux femmes pour qu’elles décident leurs maris à rentrer chez eux: 
« On pardonnera à tous ceux qui se soumettront. Celui qui, jusqu’au 15 février, à 11 heures du matin, aura livré les armes et aura cessé la lutte, ne sera pas puni ! 
« Ouvriers, – s’écria hypocritement Dollfuss dans la radio – vous êtes le sang de notre sang; nous ne voulons pas rogner les droits de la classe ouvrière ! » 
Le 15 février: 
« Appel aux ouvriers ! 
« Voulez-vous continuer à détruire les formidables richesses de l’économie nationale ? Vous ne saurez vivre qu’à condition que vive l’économie nationale. Réfléchissez, ouvriers d’Autriche, qui dans votre aveuglement vous trouvez encore de l’autre côté de la barricade. Le gouvernement dispose d’assez de gouvernement dispose d’assez de moyens de violence, et il en a fourni la preuve, – le coeur gros – mais c’était inévitable (!), il sait utiliser ces moyens de violence. Et si vous continuez la lutte nous la continuerons aussi jusqu’au bout si tragique qu’elle soit, et bien qu’elle ne puisse aboutir qu’à votre destruction. »
ACTES SANGLANTSLe 13 février, les journaux annoncent: 
« Cours martiales à Graz, Vingt-quatre membres du Schutzbund sont déférés à cette cour. Dans l’intérêt de l’ordre public, les débats. auront lieu à huis clos.

« La Cour martiale de Loeben (Haute-Styrie) est en pleine organisation et aura à s’occuper des affaires découlant de l’état de siège. »

Cours martiales dans le Burgenland.

Cours martiales à Vienne.

L’ouvrier Munichreiter, condamné à mort, est porté sur une civière à la potence !

L’ingénieur Weissel est pendu à Floridsdorf.

Le 14 février, les journaux annoncent: « La Cour martiale continue à siéger. Dix membres du Schutzbund y sont déférés. Douze membres du Schutzbund sont accusés de rébellion. D’autres ouvriers sont exécutés.
« Les potences sont dressées dans la cour des tribunaux de Vienne, de Saint-Poelten, de Steyr, de Graz, de Bruck et de Linz. »

Le 15 février, trois verdicts de mort sont prononcés contre des ouvriers de Heiligenstadt, qui avaient défendus le Karl-Marx-Hof.

Le procès intenté devant la Cour martiale de Saint-Poelten à l’ouvrier maçon Rauchenberger, âgé de vingt-six ans, et six autres co-inculpés, a dû être déplacé pour des raisons de sécurité d’une salle d’audiences se trouvant du côté rue, dans la grande salle des Cours d’assises.

Les potences sont déjà dressées dans la cour du tribunal. Rauchenberger a été exécuté.
Morauf est condamné à mort.

Un verdict de mort a été prononcé à Graz.

Un verdict de mort a été prononcé à Steyr.

En attendant, la lutte continua de faire rage. Pendant trois jours, les ouvriers restèrent maître du Karl-Marx-Hof. Des salves d’artillerie furent tirées, d’énormes bâtiments furent en maints endroits transformés en décombres. Lorsqu’on chassait les ouvriers d’une aile de la maison, ils se concentraient dans une autre, et ils continuaient la lutte.

A Sandleiten, les ouvriers empêchèrent à coups de mitrailleuse l’avance des troupes. Là encore, l’artillerie fut mise en fonction. Là encore, la lutte fit rage pendant trente-six heures sans interruption, et les ouvriers y défendirent héroïquement leurs maisons.

Plusieurs journées durant, Bruck-sur-Mur a été occupé par les ouvriers, et lorsque les ouvriers qui occupaient la gare, apprirent qu’un train blindé était envoyé contre eux, ils enlevèrent les rails.

Plusieurs ponts sur le Danube furent dynamités en province, et un pont de chemin de fer subit le même sort à Vienne. Le gouvernement employa les gaz et les avions de bombardement contre les ouvriers. Mais tout fut en vain, les ouvriers continuèrent leur lutte héroïque.

Toute l’armée, toute la police, la Gendarmerie et les Heimwehren fascistes était debout.

Les journaux écrivaient: « Les soldats et les agents de police luttent depuis trente-six heures sans un moment de répit. Ils ont leurs traits tirés et leurs figures sont pâles. La dépression règne parmi les hommes de la Heimwehr. »

Le gouvernement avait fait appel à des volontaires, mais cet appel à des assassins d’ouvriers ne fut entendu que par des anciens officiers déclassés de la guerre mondiale et par les gardes blancs habitant l’Autriche. Les masses ouvrières restèrent inébranlables dans leur héroïque défense, malgré la mobilisation par le gouvernement de toutes ses forces militaires. Leur fidélité à la lutte prolétarienne leur donna du courage, de la constance et de la force.

N’est-ce pas là, en effet, un exemple grandiose de fidélité de la classe ouvrière qu’après un bombardement d’artillerie, les soldats prenant d’assaut une maison n’aient pu y trouver que des morts et des blessés ?

Ou encore que les positions défendues à la mitrailleuse par le groupe féminin viennois d’Ottakring n’aient pu être conquises que lorsque toutes les femmes étaient à terre, fauchées par les balles ? Ne s’agit-il pas là de la même lignée de femmes combattantes que celles de la Commune de Paris, avec l’indomptable Louise Michel en tête ?

Et l’ingénieur Weissel ne passera-t-il pas dans l’histoire comme un héros prolétarien ? Lui, le social-démocrate d’opposition, commandant des pompiers, s’est rendu compte que son devoir n’était pas de lutter pour le gouvernement et contre les ouvriers, mais de combattre a coté des ouvriers, l’arme a la main, contre le fascisme assassin. Weissel avait confiance dans la social-démocratie; c’est pourquoi il resta dans leurs rangs. Mais, à la lueur des flammes de insurrection armée, il s’est rendu compte que le seul chemin vers l’affranchissement de l’esclavage capitaliste c’était le chemin révolutionnaire, et il proclama du haut de l’échafaud: « Vive l’Internationale communiste ! Vive l’Union soviétique ! »

L’insurrection de ces héros a été écrasée. La classe ouvrière était trop faible, parce qu’elle manquait d’une direction politique centrale révolutionnaire, parce que chaque maison combattait a son propre compte, parce que l’insurrection était menée dans un esprit défensif et non pas offensif. Les chefs social-démocrates ont laissé tomber les masses ouvrières et tandis qu’ils les livraient à la terreur de Dollfuss, le Parti communiste autrichien était trop faible pour s’emparer de la direction centrale du combat, bien qu’il ait toujours été la force entraînante.

La lutte héroïque a été écrasée et la bourgeoisie autrichienne a déclenché sa terreur sanglante. Comme Thiers et Galliffet s’étaient vengés en 1871 des communards, Dollfuss et Fey se sont vengés des barricadiers de Vienne de Linz, de Graz, de Steyr et des autres villes d’Autriche.

Les Cours martiales ont siégé sans arrêt jour et nuit. Des potences ont été dressées à travers le pays.

« Tous ceux qui ont combattu l’arme à la main seront pendus ! » a proclamé le chrétien M. Dollfuss. Aux milliers d’ouvriers tués pendant l’insurrection, chaque jour se sont ajoutées des victimes des potences. Des dizaines de milliers d’ouvriers languissent dans les prisons, des milliers ont été torturés jusqu’à l’infirmité; des milliers de veuves et d’orphelins sont dans la plus grande détresse.

Tous ces tristes résultats ont été obtenus par le gouvernement Dollfuss-Fey, par la mise en jeu de toutes leurs forces militaires, par la démolition et la dévastation de maisons et de quartiers ouvriers. Les phrases ronflantes de M. Fey, selon lesquelles le gouvernement était préparé à étouffer dans l’oeuf tout mouvement des ouvriers, avaient crevé comme de bulles de savon. Si le fascisme autrichien est parvenu à noyer l’insurrection dans le sang, la classe ouvrière a montré quand même sa force !

Le courage héroïque et la volonté de combat des ouvriers autrichiens ne sont pas brisés. Le fait que, même après l’écrasement de l’insurrection, les luttes armées ont continué dans les différents quartiers de Vienne entre les ouvriers d’une part, les fascistes et la police de l’autre; le fait qu’au cours de ces luttes les ouvriers ont mis debout de nouvelles forces imposantes est presque sans exemple dans l’histoire.

Après l’insurrection, les fascistes des Heimwehren croyaient pouvoir continuer tranquillement leurs attaques contre les logements ouvriers, mais ils se sont trompés dans leurs calculs. Lorsqu’ils ont voulu s’attaquer, dans le 5e et 19e arrondissement, à d’autres maisons ouvrières, ils furent accueillis par les ouvriers à coups de revolver et de grenades à main.

Dans le 5e arrondissement, la lutte continua pendant trois heures; la police et les Heimwehren y perdirent 15 morts et environ 50 blessés, tandis que les ouvriers quittaient leurs positions par des canaux souterrains.

Dans d’autres localités encore, les ouvriers s’opposèrent aux perquisitions pour recherche d’armes une résistance acharnée.

Lorsqu’après la grève les ouvriers retournèrent à leurs entreprises, ils firent des assemblée de protestation contre les arrestations et les verdicts de mort.

L’héroïsme du prolétariat autrichien, qui s’est exprimé avec tant de grandeur dans son soulèvement armé, est encore davantage souligné par ce nouveau combat et montre que la classe ouvrière autrichienne se prépare à de nouvelles luttes. C’est pourquoi la bourgeoisie autrichienne reste toujours sous l’emprise de la peur, même après l’écrasement de l’insurrection.

C’est là la raison de cette démagogie inouïe que mène le gouvernement Dollfuss. Il a organisé un enterrement commun des soldats, des policiers et des ouvriers tombés, afin d’empêcher des manifestations ouvrières. Le cardinal Innitzer, qui a béni les armes assassines des fascistes, – ce même monsieur, qui, au printemps 1933, avait organisé une soi-disante action de secours aux « affamés » de l’Union soviétique, dans le but de renforcer encore la campagne d’excitation contre l’U.R.S.S. – essaie de nouveau par une nouvelle « action de secours » aux familles des assassinés, de tromper les masses travailleuses.

La presse gouvernementale annonce qu’une action de secours est organisée sur l’initiative de ce cardinal, et sous la présidence de Mme la chancelière Dollfuss, « non seulement aux victimes du devoir, mais aussi aux victimes de l’excitation ».

« Les secours – dit M. Dollfuss – seront accordés individuellement. » Cela signifie que le gouvernement fasciste de Dollfuss entend exercer un contrôle précis sur les familles des assassinés pour pouvoir les poursuivre de sa haine. M. Dollfuss a pris en tutelle des enfants des ouvriers qu’il vient de tuer, afin d’amener ces enfants sous l’influence fasciste.

Mais les ouvriers et les travailleurs se détournent avec dégoût de la démagogie du gouvernement fasciste. Les femmes et les enfants n’acceptent pas les secours des mains des assassins de leurs maris et de leurs pères. Ces secours, ils les obtiendront – ils en ont la certitude de la part des masses travailleuses d’Autriche et du monde entier.

LE SECOURS ROUGE D’AUTRICHE A LA TETE DE L’OEUVRE DE SOLIDARITE

Le Secours Rouge d’Autriche, qui depuis le 20 mai 1933 continue son travail dans l’illégalité, était et reste à son poste. Dans le tract illégal qu’il a fait distribuer le 12 février, il disait:

« Dollfuss-Fey veulent étouffer les masses ouvrières dans le sang ! Des potences sont dressées dans tout le pays ! Répondez en développant la grève jusqu’à la grève générale !  écrasez le fascisme avant qu’il ne vous écrase…

…En attendant, l’état de siège a été décrété à Vienne et dans la Haute-Autriche. Les autres pays fédéraux suivront incessamment ! C’est la première fois depuis les journées sanglantes qui ont suivi l’écrasement de la révolution de 1848…

« …Le gouvernement des potences et des assassins annonce que celui qui n’obéira pas aux ordres de la police fasciste, qui sous un prétexte quelconque participera à des « attroupements », celui qui suscitera à de tels attroupements, etc., sera puni de la peine de mort par la procédure martiale…

« …Luttons pour la libération des héroïques défenseurs des maisons ouvrières de Linz et d’Innsbruck, et des autres prisonniers politiques prolétariens ! Arrêtez le bras des bourreaux, empêchez l’accomplissement des ignobles intentions criminelles du gouvernement ! Organisez la résistance à toute arrestation ! Vengez les journées sanglantes de Linz et d’Innsbruck ! Ne vous laissez intimider par qui que ce soit, même si vous tombez entre les mains de l’ennemi de classe; ne vous laissez intimider ni par les tortures, ni par les potences ! Pensez à l’exemple lumineux que nous a donné Dimitrov ! Rappeles-vous que nous n’oublions personne et que la solidarité prolétarienne vit !

C’est pourquoi nous ne devons oublier aucun de nos héroïques et meilleurs camarades emprisonnés ou destinés aux potences. Prenez aussitôt la défense de leurs familles, et surtout de leurs enfants ! Aucun d’eux ne doit souffrir de faim ! N’hésitez devant aucun moyen pour leur venir au secours !

« Membres du Secours Rouge, rejoignez les premières lignes de combat !« Comité Central du Secours Rouge. »

Dans un second tract illégal en date du 14 février, le Secours Rouge d’Autriche écrivait:

« Le gouvernement Dollfuss a déclaré la guerre au peuple travailleur d’Autriche… Le massacre des masses ouvrières est sans exemple dans l’histoire du monde. Des milliers d’ouvriers, femmes et enfants ont été froidement abattus à coups d’obusier ou de mitrailleuse. Une misère sans nom et une détresse sans bornes ont été semées dans des dizaines de milliers de foyers ouvriers.

Les criminels fascistes ont préparé de longue main ce plan assassin. Ils font croire au peuple que les ouvriers veulent un régime de chaos, alors qu’eux-mêmes sont incapables de mettre un terme à la famine et à la détresse des masses… Les cerbères ruisselant de sang mordent « de par la grâce de Dieu » et font bénir les canons avec lesquels ils massacrent leur propre peuple.

Les prolétaires qui ont défendu leur vie, ils les traînent devant les Cours martiales et essaient d’étrangler le cri du pain, du travail et de la liberté I

« Nous accusons !
« Nous nommons les assassins ! Les mains des Dollfuss, Fey, Starhemberg sont toutes poisseuses du sang des milliers d’honnêtes ouvriers !
« Leur conscience scélérate est chargée des crimes commis contre des femmes travailleuses et leurs enfants.
« Nous vous appelons au combat !
« Manifestez devant les prisons !
« Arrêtez le travail dans les entreprises ! Descendez dans la rue !
« Ouvriers, vous n’êtes pas vaincus !
« Ne vous laissez pas interdire par les fascistes assassins!

« Gloire et honneur aux héros !

« Le Secour Rouge appelle tous les travailleurs à la solidarité de masse. Organisez le Secours ! Au même titre que vous condamnez avec dégoût et révolte les agissements des gouvernants fascistes, au même titre enrôlez-vous au front de la solidarité prolétarienne. Nos combattants héros ont saigné et sont morts pour vous. Protégez leurs familles de la ruine ! Derrière les murs de prisons et des fils de fer barbelés, les emprisonnés tournent leurs regards vers vous ! Secourez leurs femmes et leurs enfants !

« En cette heure historique, le Secours Rouge d’Autriche, organisation de solidarité prolétarienne au-dessus des partis, s’adresse à tous les travailleurs, social-démocrates, communistes et sans parti. Au delà de toute barrière, enrôlez-vous dans le front de solidarité !

Adhérez au Secours Rouge ! Organisez avec lui la lutte et l’aide matérielle. Vous étiez ensemble dans la lutte ! Forgez maintenant et resserrez le lien de la solidarité prolétarienne ! Aidez les victimes ! Rendez visite aux blessés ! Visitez les familles des assassinés, des blessés, des emprisonnés ! Recueillez leurs enfants ! Protégez ceux dont les logements ont été démolis, dont l’avoir a été détruit !

« Serrez les rangs de la lutte ! Vous êtes les plus forts !
« Ne laissez pas étrangler vos frères par les potences !
« Libérez les antifascistes emprisonnés !

« Empêchez les arrestations !

« Dispersez les Cours martiales!

« Transformez l’enterrement de nos héros en des démonstrations de masse !

« Collectez ! Collectez des vêtements, du linge, des vêtements d’enfants, des vivres, de l’argent ! Celui qui peut se priver de quelque chose, qu’il le mette à leur disposition ! Allez de maison en maison, de boutique en boutique, collectez dans les entreprises ! Faites vite ! Adressez-vous aux militants du Secours Rouge, qui organisent l’oeuvre de solidarité !

« Le S.R.I. a déjà déclenché une action de solidarité dans tous les pays.

« Groupez-vous en rangs serrés dans cette oeuvre de solidarité du S.R.I. !

« A bas les assassins fascistes !

« Vive la solidarité prolétarienne !« Le Comité central du S.R. d’Autriche. »

Que les masses travailleuses aient vivement répondu à cet appel du S.R., nous en trouvons la preuve dans la lettre où le S.R. d’Autriche communiquait, le 20 février, au S R. d’Allemagne les mesures de secours déjà entreprises:

« Nous avons collecté de l’argent, des vivres et des vêtements. Certaines entreprises ont déjà pris le parrainage de plusieurs prisons et de nombreux blessés. Un grand nombre d’ouvriers social-démocrates participent à l’oeuvre de secours. Le S.R. d’Autriche fait appel à toutes les organisations soeurs pour qu’elles participent à cette oeuvre de secours, étant donné que le nombre des victimes de cette lutte est très grand… »

Cet appel du S.R. d’Autriche a trouvé un puissant écho non seulement auprès des membres du Secours Rouge du monde entier, mais aussi auprès de tous les travailleurs. Jamais une action de solidarité internationale ne fut déclenchée si rapidement et avec une telle impétuosité que celle en faveur des héros de l’insurrection autrichienne.

En Espagne, en Tchécoslovaquie, en Pologne, et dans d’autres pays encore, des grèves générales ont été faites en signe de protestation contre les potences de Dollfuss. Les sections du S.R. ont accordé les premières grandes sommes en faveur des victimes de l’insurrection autrichienne; à leur tour, les ouvriers ont répondu avec un grand empressement à l’appel de collectage. 

Dès le 16 février 1934, la section française du S.R. a fait parvenir à la section autrichienne les premiers 10.000 francs. Le Bureau européen du S.R.I. a lui aussi transmis 10.000 francs, alors que 5.000 ont été mis à la disposition pour l’envoi d’une délégation d’avocats devant défendre les accusés renvoyés devant les Cours martiales.

En Amérique, au Canada, dans les pays de l’Amérique latine, partout, les plus larges collectes en faveur des victimes de l’insurrection autrichienne sont organisées sous la direction du Secours Rouge.

L’action de solidarité des millions de travailleurs de l’Union Soviétique est un exemple sans précédent. L’usine Staline de Moscou, imitée par d’autres usines, a collecté 10.000 roubles. Des réunions de protestation ont été organisées dans toutes les entreprises de l’U.R.S.S. On y a pris la décision de verser le salaire d’une journée de travail pour les victimes autrichiennes. Comme premier secours, les ouvriers de l’U.R.S.S. ont transmis, par l’intermédiaire du Comité exécutif du S.R.I., la somme de 600.000 francs, à valoir sur une souscription totale de 3 millions de francs !

D’Angleterre, plusieurs milliers de francs ont été expédiés. Il n’est pas jusqu’aux prolétaires d’Allemagne et d’Italie qui, dans leurs usines, aient ramassé des marks et des lires pour leurs frères autrichiens tombés dans le combat, et pour les enfants et les femmes de ces héros.

L’accueil sous leurs toits d’orphelins de barricadiers et d’enfants d’emprisonnés a déjà été prévu et réclamé, sous l’impulsion du Secours Rouge International, par de nombreuses familles de travailleurs. Les P.T.T. d’Espagne, des familles d’émigrés italiens en France, la Maison d’enfants de la section française du S.R.I., etc., attendent déjà les fils des ouvriers autrichiens assassinés ou emprisonnés.

Une vague de protestations a déferlé à travers toutes les régions de la seule patrie des travailleurs. Une action de solidarité si admirable n’est concevable que dans un pays à régime prolétarien. C’est là un exemple lumineux, un signal de la solidarité internationale pour les 14 millions de membres du S.R. et pour les exploités et opprimés du monde entier.

Ce n’est pourtant là que la première réponse des travailleurs du monde entier au gouvernement des bourreaux Dollfuss-Fey. Ce n’est que la première preuve de la solidarité internationale envers les héros de l’insurrection autrichienne du mois de février. Le mouvement doit s’élargir et gagner en puissance. Le S.R.I. appelle tous les exploités et les opprimés du monde à entrer dans le front unique de solidarité envers les victimes d’Autriche.

Des ouvriers social-démocrates, communistes et sans parti ont lutté et sont tombés ensemble; ils languissent ensemble dans les prisons. Ouvriers social-démocrates, communistes et sans parti, vous devez constituer ensemble la force motrice de cette action de solidarité internationale ! Créez des comités d’unité dans les entreprises et dans les syndicats ! Organisez de larges collectes, organisez le parrainage des familles des assassinés !

Renforcez le « Fonds ingénieur Weissel », créé par le Secours Rouge d’Autriche ! Protégez et secourez les émigrés politiques ! Sauvez les condamnés à mort ! Abattez par votre tempête de protestations les potences du fascisme ! Enfoncez par votre lutte internationale les portes des prisons du fascisme autrichien !

Travailleurs ! Ne permettez pas que l’on touche à ce formidable mouvement de solidarité ! Les ennemis de la solidarité – le Fonds Matteoti et les Comités social-démocrates de « secours », qui avaient déjà essayé de briser le mouvement de solidarité envers les victimes du fascisme hitlérien – sont de nouveau à l’oeuvre.

De même que les appels de la IIe Internationale et du Fonds Matteoti, demandent « du secours pour les victimes », devaient dissimuler le fait que les chefs social-démocrates d’Allemagne avaient livré les ouvriers allemands au régime sanglant hitlérien, de même la IIe Internationale essaie maintenant de dissimuler la honte de sa section autrichienne, « la plus à gauche », par des faux appels à la solidarité.

Par cette division de la solidarité, les chefs social-démocrates n’aident pas les victimes, mais leurs ennemis. C’est pourquoi toute tentative de division doit être énergiquement rejetée !

Les héros de l’insurrection autrichienne sont tombés comme des pionniers de la lutte contre le fascisme international. Renforcez la lutte antifasciste ! Portez secours aux emprisonnés et aux familles des assassinés d’Autriche ! Votre action sera le plus beau monument qui puisse être élevé à nos héroïques camarades assassinés !

Les masses travailleuses du monde entier saluent les héros des barricades autrichiennes; elles inclinent leurs drapeaux devant les victimes de la terreur sanglante et des potences. Elles jurent de continuer la lutte contre la bourgeoisie tachée de sang jusqu’à ce que le fascisme et le emprisonnés et aux familles des assassinés d’Autriche ! Votre action sera le plus beau monument qui puisse être élevé à nos héroïques camarades assassinés !

Les masses travailleuses du monde entier saluent les héros des barricades autrichiennes; elles inclinent leurs drapeaux devant les victimes de la terreur sanglante et des potences. Elles jurent de continuer la lutte contre la bourgeoisie tachée de sang jusqu’à ce que le fascisme et le capitalisme écrasés aient mordu la poussière !

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