La première vague de la musique classique russe

La Russie est une terre de prédilection pour la musique classique. Mikhail Glinka (1804-1857) fut celui qui ouvrit la perspective spécifiquement russe, ce qui permit l’émergence d’une première vague, consistant en le « groupe des cinq » – l’expression est du critique d’art Vladimir Stassov, qu’on retrouve également en rapport avec la peinture réaliste des « ambulants ».

Voici un extrait de Rouslan et Ludmila, datant de 1837-1842, de Mikhail Glinka avec une Anna Netrebko divine, en 1995 au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg (qui fut auparavant, à partir de 1935, le Kirov de Leningrad).

Le groupe des cinq fut composé de :

– Alexandre Borodine (1833-1887),

– César Cui (1835-1918),

– Mili Balakirev (1837-1910),

– Modeste Moussorgski (1839-1881),

– Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908).

César Cui rédigea leur manifeste, tout à fait dans l’esprit romantique-national :

1. La nouvelle école veut que la musique dramatique ait une valeur propre de musique absolue, indépendamment du texte qu’elle accompagne. Un des traits caractéristiques de cette école est de s’insurger contre la vulgarité et la banalité.

2. La musique vocale, au théâtre, doit se trouver en parfait accord avec la signification du texte chanté.

3. Les formes de la musique lyrique ne sont nullement déterminées par les moules traditionnels de la routine : elles doivent naître librement, spontanément, de la situation dramatique et des exigences particulières du texte.

4. Il est essentiel, fondamental, de traduire musicalement et avec un maximum de relief le caractère et le type des divers personnages. Ne jamais commettre d’anachronisme dans les œuvres de caractère historique. Restituer fidèlement la couleur locale.

Très proche du groupe des cinq et de fait leur prédécesseur direct, Alexandre Dargomyjski (1813-1869) avait initialement mis l’accent sur la dimension nationale et sur le réalisme des œuvres ; la grande figure musicale qui prolongera cette lancée est Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893), dont Le lac des cygnes est mondialement connu.

Cette première vague, portée par l’élan démocratique, fut suivie d’une seconde vague qui, elle, fut largement travaillée au corps par tout une tendance à un intimisme pessimiste.

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[PCF(mlm)] La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) : un produit du mode de production capitaliste

L’irruption d’une souche de coronavirus particulière, jamais encore identifiée chez l’être humain, ne doit rien au hasard. C’est un produit – entièrement nouveau, un saut qualitatif du virus – de la collision entre les villes et les campagnes provoquée par le mode de production capitaliste (MPC).

Ces villes et ces campagnes sont, qui plus est, elles-mêmes largement façonnées par le MPC, ce qui est vrai du mode de vie de l’humanité en général. Et tout cela se déroule de manière planétaire.

Il ne faut donc pas penser que la crise sanitaire vienne de l’extérieur de l’humanité, de l’extérieur du MPC, bien au contraire. Elle naît de l’intérieur même du MPC et du monde qu’il a formé à son image.

Un monde qui n’est nullement fini, ferme, stable, permanent… et qui s’effondre sous les coups de boutoir de ce qui est nouveau, exponentiel, en rupture.

Le capitalisme est un mode de production désormais planétaire

Le capitalisme n’est pas seulement une économie, c’est-à-dire une répartition particulière de la propriété et une distribution particulière des richesses. C’est, de manière plus concrète, la manière avec laquelle l’humanité trouve socialement les moyens matériels d’exister et de se développer.

C’est un mode de production.

Or, ayant atteint un immense développement des forces productives au début du 21e siècle, et étant par nature universel, le MPC assujettit toutes les activités planétaires. Ses conséquences concernent tous les aspects de la vie sur Terre, tout le temps.

C’est cette situation historique qui a amené l’irruption d’une souche nouvelle de coronavirus et lui a conféré une dimension mondiale.

C’est cette même situation historique qui a amené le réchauffement climatique et il en va de même pour la déforestation, l’anéantissement massif d’animaux sauvages, l’utilisation massive d’animaux dans l’industrie, le développement anarchique d’aires urbaines en expansion permanente, etc.

L’origine concrète de la maladie à coronavirus 2019

La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) est directement issue du développement du MPC en Chine, développement monopoliste et bureaucratique, avec des métropoles établies en peu de temps et engloutissant tout leur entourage.

La ville de Wuhan, d’où est partie la mutation du virus, illustre cela. Elle avait un peu moins de 1,5 million d’habitants en 1953, 2,2 millions au début des années 1970. Puis la restauration du capitalisme en Chine a provoqué un changement complet, la transformant en la mégalopole du centre de la Chine.

L’agglomération a plus de 4 millions d’habitants en 1982, plus de 8 millions en 2000, pratiquement 11 millions en 2015. Wuhan intègre huit villes d’importance significative dans cette agglomération (Huangshi, Erzhou, Huanggang, Xiaogan, Xianning, Xiantao, Tianmen, Qianjiang).

Cet ancien comptoir français se veut désormais même le modèle chinois en matière de développement urbain et connaît une opération massive de construction d’infrastructures routières (une ligne de métro par an, train de banlieue à grande vitesse sur 400 km, etc.).

Cette dimension urbaine n’est cependant qu’un aspect de la question. Le tiers de la population vit encore dans les campagnes, dans une agglomération où l’on trouve Carrefour, Auchan, Starbucks, Pizza Hut, KFC, etc.

On a ici un entremêlement des villes, des campagnes, dans le cadre d’une expansion capitaliste débridée.

L’origine du virus au sens strict, c’est ainsi l’urbanisation massive de l’aire de Wuhan, avec une utilisation, pour l’alimentation, d’animaux tant sauvages qu’issus de l’élevage, dans une sorte de confusion générale où l’on ne sait plus ce qui est villes, ce qui est campagnes.

Tel a été le terrain, contre-nature, favorable à la mutation du virus, qui est passé d’une espèce à une autre, puis finalement à l’espèce humaine.

Ce n’est pas une rencontre avec une maladie non découverte jusqu’à présent – c’est l’affrontement de l’humanité avec une maladie issue d’une mutation, provoquée par l’action de l’humanité elle-même.

La métropole comme base du MPC

Il y a à Wuhan une « ville durable » franco-chinoise de 39 km², un projet mis en place à l’époque de la présidence de François Hollande. L’année 2018 a même été « l’année franco-chinoise de l’environnement » et se rendant en Chine à cette occasion, Emmanuel Macron a déclaré la chose suivante :

« L’urbanisation est d’ores et déjà un défi de la Chine et le sera encore plus demain. La France souhaite renforcer ses partenariats en la matière en développant l’offre intégrée que nous avons construite pour la ville durable. »

Cela montre la convergence, à l’échelle mondiale, de toutes les forces capitalistes vers le renforcement de la métropole. Aujourd’hui, la majorité de l’humanité habite en effet dans des villes.

Il faudrait cependant davantage parler de milieux urbains, car depuis le passage de la bourgeoisie dans la réaction à la suite de sa victoire sur la féodalité, elle n’est plus en mesure de réaliser de villes au sens historique du terme, d’où le grand intérêt culturel pour les véritables villes au sens strict (Paris, Londres, New York, Venise, Bruges, Amsterdam, Prague…), elles-mêmes d’ailleurs profondément défigurées par le MPC.

La métropole aux innombrables ramifications, despotique dans son anonymat et entièrement dénaturée, devient la norme. C’est la forme la plus adaptée à la satisfaction de la production et de la consommation capitalistes, au 24 heures sur 24 du capitalisme.

Pour notre pays, la France, on peut dire que son symbole est le rond-point qui parsème les routes. On est là dans la dynamique du flux-tendu, du zéro stock impliquant massivement des zones industrielles dans les campagnes, afin d’avoir une circulation accélérée et une meilleure rotation du capital.

Cela entraîne la destruction de la nature et l’écrasement moral, culturel et psychologique des travailleurs. Karl Marx parle à juste titre d’une :

« corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. »

La ville historique, celle de la bourgeoisie, impliquait la culture, les échanges, les rencontres. Cela est incompatible avec le MPC, qui est tyrannique et exige que tout soit un rapport marchand toujours plus profond, plus ample, plus perfectionné, plus rapide.

La ville moderne, c’est désormais un endroit où habiter, de manière isolée, en cherchant à valoriser le plus possible son logement, si possible par l’accession à la propriété. Tout est loin, de plus en plus loin, qu’il s’agisse des loisirs, des possibilités de faire du sport, de ses achats, des gens qu’on peut rencontrer.

Tout est subordonné à un rapport marchand, tout doit passer par le MPC.

Le caractère borné du MPC face à la maladie à coronavirus 2019

Le MPC n’a qu’une seule logique : son propre développement. Il ne procède pas par choix, mais par nécessité, puisque son existence même dépend d’un développement ininterrompu et élargi du capital. Son seul horizon, c’est lui-même.

Le MPC est ainsi le premier à « regretter » la crise de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), mais en même temps si la même chose était à refaire, il le referait. Le MPC ne se permet en effet aucun recul, aucune analyse de fond ; il vit dans l’immédiateté de son auto-réalisation. Il n’a aucune considération sur lui-même, étant un système qui est sa propre fin en soi.

On voit clairement son caractère borné tout au long de la crise sanitaire due à la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), qui est nouvelle par son ampleur, et surtout qui choque de par sa dimension qualitative. Les chercheurs sont débordés, car les rapports naturels entre les êtres vivants sont bouleversés et cela provoque des crises sanitaires exprimant un saut qualitatif qui les dépasse.

Il y a déjà eu l’émergence du virus SRAS-CoV par l’intermédiaire de la civette palmiste masquée et du MERS-CoV par l’intermédiaire du dromadaire. Ces sauts entre espèces de virus, qu’on ne trouve pas en situation naturelle, deviennent récurrents en raison de la situation imposée par le MPC.

Tout le monde a pour cette raison entendu parler du VIH, d’Ebola, des grippes aviaires, des grippes porcines. La grippe dite espagnole, qui a tué entre 20 et 100 millions de personnes en 1918, est de ce type également ; provenant d’un élevage d’animaux aux États-Unis, elle reflète le début de la généralisation du rapport dénaturé à la vie.

Le MPC produit, par son action (et son inaction), des phénomènes destructeurs, naissant de la contradiction entre lui et la vie sur Terre.

Rien de tout cela n’est cependant saisissable par le MPC, qui ne cerne la réalité qu’au moyen de statistiques, du « big data », de l’évaluation quantitative de données. Le principe du développement qualitatif est étranger au MPC.

Le capitalisme étant non pas simplement une « économie », mais un mode de production unilatéral, il répond à sa propre logique d’accumulation et à rien d’autre. Il ne peut que constater, passivement, en restant lui-même.

Le MPC a ainsi intérêt à disposer de ce qu’il voit comme des ressources naturelles potentielles, donc à les préserver – mais de l’autre côté, il est obligé de les intégrer, de les valoriser rapidement, pour répondre aux besoins de la production et de la consommation fondés sur le capital.

Le MPC a de même tout intérêt à faire en sorte que le réchauffement climatique ne provoque pas de troubles massifs. Toutefois, en même temps, le MPC a ses priorités à lui et considère que son propre développement prime sur toute autre considération.

C’est la raison pour laquelle des partisans du MPC peuvent indifféremment dire soit que le réchauffement climatique ne compte pas, soit que le capitalisme doit développer de nouveaux marchés pour s’adapter. Ce sont les deux pièces d’une même médaille consistant en le caractère borné du MPC.

Le MPC se heurte à la réalité

Le MPC a bouleversé tout le rapport naturel entre la vie et son cadre. Le travail humain avait déjà lui-même provoqué des bouleversements, dès l’agriculture et l’élevage. Avec le développement des forces productives toutefois, la planète a entièrement changé de visage avec le MPC.

La vie concernée par le MPC était initialement restreinte, puisqu’il y avait seulement une poignée de pays capitalistes à l’origine, avec les Pays-Bas et l’Angleterre, avec des forces productives peu développées.

Suivirent ensuite toute une série de pays, comme la Belgique, la France, l’Allemagne… et principalement les États-Unis, avec une accumulation matérielle commençant à être significative, alors que la colonisation bouleversait les économies primitives partout dans le monde.

Il existe des économies qui ne sont pas encore parfaitement capitalistes au sens strict, mais le MPC les a foncièrement modifiées, afin de se les subordonner. Les situations de féodalité moderne qui existent dans la plupart des pays du monde rentrent elles-mêmes dans le cadre du MPC.

C’est cette féodalité moderne qui réalise la déforestation en Amazonie, l’utilisation massive d’énergies fossiles au Moyen-Orient, la monoculture de Cacao en Afrique de l’Ouest, celle de l’huile de palme en Indonésie et en Malaisie, etc.

Le mode de vie humain au sein du MPC n’a pourtant pas changé qualitativement à travers les décennies. C’est quantitativement qu’il s’est approfondi et généralisé.

Et le quantitatif se transforme, à un moment, en qualitatif.

La crise de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) reflète que le MPC commence à atteindre sa limite : il commence à porter atteinte à l’ensemble de la réalité, à tous les niveaux. Il n’est plus une force réalisatrice, mais une force de déstabilisation, de troubles, de destructions.

Le MPC touche à sa limite

Plus le MPC se développe, plus il se confronte à sa limite, son incapacité à amener la reproduction élargie de la vie sans rentrer en contradiction antagonique avec la vie elle-même.

Tant que le capital sera aux mains de personnes particulières, il cherchera de manière irrationnelle sa reproduction élargie et produira une systématisation forcée de la valorisation du capital – c’est-à-dire l’utilisation de ce qui existe, le plus possible, pour amener une production capitaliste, une consommation capitaliste.

La destruction de tout ce qui est naturel est inévitable pour un mode de production dont la fonction est l’accumulation dispersée, désordonnée, systématique et par cycles toujours plus puissants, par un capital toujours plus unifié et violent.

La crise de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) montre que la transformation de la réalité par le MPC a atteint une dimension planétaire et que le seuil de la rupture a été atteint.

Il y avait déjà de nombreux signes indicateurs. Le MPC cherche à forcer le cours des choses, à faire en sorte que tout s’insère parfaitement en lui, quitte à être violemment déformé, broyé, refaçonné.

Le MPC dynamite déjà littéralement le fonctionnement naturel des choses. Il déforme tout ce qui existe pour l’insérer dans le marché capitaliste. Cela est vrai pour les animaux employés dans l’industrie, qui sont modifiés génétiquement que ce soit pour l’alimentation ou pour le secteur des animaux de compagnie.

Cela est vrai pour la végétation et la vie sauvage en général, dont la richesse, la multiplicité, le foisonnement… sont considérés comme hostiles par le MPC, car porteurs de qualité, irréductibles à une simple lecture quantitative.

Cela est vrai pour le mode de vie humain ; il suffit de penser à la consommation de viande, l’utilisation massive du sucre et des produits stimulants (caféine, théine), la généralisation de produits transformés, la multiplication des marchés spécifiques (halal, cacher, sans gluten, produits simili-carnés, etc.).

Et même si les conditions de travail se sont améliorées, elles impliquent une tension humaine bien plus immense, ainsi qu’une déformation profonde de la personnalité. Rien que le travail de nuit s’est considérablement élargi, concernant plus de 15 % des travailleurs en France, avec des conséquences terribles sur la santé.

Le MPC tente concrètement de modifier sa propre base matérielle, afin d’éviter d’atteindre sa propre limite historique, et ce faisant il l’atteint.

Car le MPC rentre ainsi en contradiction avec sa propre base matérielle pour forcer son propre développement – la réalité devient antagonique au MPC.

Crise sanitaire mondiale et affirmation communiste

La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) est une crise mondiale qui ne vient pas de l’extérieur du MPC, mais de lui, et en même temps elle s’exprime en lui. L’accumulation capitaliste se déroule de manière concrète et c’est ce processus d’accumulation qui, lui-même, porte la crise, produit la crise, est la crise elle-même.

Le MPC voit ici la réalité se dérober sous ses pieds. Il est forcé de reculer.

Et le MPC qui recule, c’est l’humanité qui recule – se plaçant au cœur de la contradiction historique, comme source et résolution.

C’est en effet l’humanité qui porte le MPC. Ce que vit le MPC, l’humanité le vit aussi, tout comme ce que vit l’humanité, le MPC le vit.

L’humanité, prisonnière du MPC, de ses mécanismes, de l’idéologie qui en découle, se confronte alors à une prise de conscience brutale : la réalité se rebelle contre elle.

Le surgissement de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) est une crise ébranlant les fondements mêmes de la participation de l’humanité aux activités du MPC.

L’humanité, qui relève de la nature, est obligé de décrocher du MPC qui devient un obstacle à la vie elle-même.

C’est la fin de tout un mouvement. L’humanité est sortie de la nature pour s’affirmer comme espèce, mais elle doit y retourner en apportant les acquis de son propre parcours. Cela correspond au principe du développement inégal.

Ce qu’on appelle Histoire, c’est l’histoire humaine dans son parcours séparé de la Biosphère, c’est-à-dire de l’ensemble de la vie sur Terre en tant que système unifié.

La fin de l’Histoire, le passage au Communisme, c’est son retour dans l’Histoire de la Biosphère, en lui apportant ce qui a été acquis lors de son développement inégal.

La transformation communiste touche l’être humain dans ce qu’il a de plus profond. Elle le ramène à la nature, en tant qu’être social complexe.

C’est à la fois un déchirement, mais également une réinsertion dans le processus général de la Biosphère.

Les objectifs communistes

Produite par le MPC, la crise sanitaire va se répercuter en lui en provoquant des désorganisations, des ralentissements, d’inéluctables faillites. Cela dévoile toute cette fragilité de l’édifice du MPC, qui a fait son temps.

Le MPC cherchera évidemment désespérément à se sortir de là, aux dépens des masses, qui se feront encore davantage exploiter et aliéner. Cela passera également par l’accentuation de la marche à la guerre pour le repartage du monde, avec en son cœur l’affrontement entre la superpuissance impérialiste américaine hégémonique et la Chine désireuse d’un repartage du monde en sa faveur.

Cela ne suffira pourtant pas, la limite étant atteinte, le seuil de basculement étant atteint.

Ce qui joue substantiellement, c’est que la limite du MPC est le capital lui-même, toujours plus incapable de se valoriser dans la réalité, d’autant plus si elle se rebelle ouvertement.

Le MPC se retrouve dans la situation impossible de perpétuellement chercher à contourner la baisse tendancielle du taux de profit. Il tente d’échapper à une surproduction de marchandises de par l’absence de continuité dans le cycle de consommation, d’éviter la surproduction de capital, en cas d’absence de terrain où se développer.

La crise sanitaire le précipite d’autant plus dans l’échec de son auto-élargissement.

Le MPC s’efface concrètement devant le saut qualitatif historique : le passage à l’unification mondiale de l’humanité sous l’égide de la classe ouvrière, l’adoption de la position communiste par rapport à la nature.

Il découle clairement de cette lecture révolutionnaire de la crise de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) que les tâches suivantes sont à l’ordre du jour, relevant du programme communiste général pour toute notre époque :

1. Remplacement des appareils d’État par le pouvoir démocratique du peuple ;

2. Démantèlement des métropoles ;

3. Cessation autant que possible de tout rapport destructeur avec la vie sur Terre ;

4. Socialisation sans contrepartie de l’ensemble des monopoles ;

5. Établissement d’une République socialiste mondiale ;

6. Conquête de l’espace afin d’y répandre la vie depuis la Biosphère.

Nous entrons dans l’époque décisive, celle de la seconde vague de la révolution mondiale. Nous serons en première ligne pour faire de notre pays l’exemple à suivre pour répondre aux défis de notre époque !

Cette tâche est inévitable historiquement, la victoire communiste est assurée par définition même.

Vive Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong !
Vive le Marxisme-Léninisme-Maoïsme !

Guerre populaire pour le Communisme !

Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste)
Mars 2020

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[PCF(mlm)] Le mouvement contre la réforme des retraites de 2019/2020 a été une fiction

Pourquoi le mouvement contre la réforme des retraites a-t-il été une fiction ?

On doit parler de fiction, car c’est l’aristocratie ouvrière qui a calibré le mouvement contre la réforme des retraites. La forme des luttes, le contenu des revendications, les manière de s’engager intellectuellement et spirituellement dans le mouvement, l’esthétique des informations et des actions… Tout a été paramétré par l’aristocratie ouvrière.

La conséquence en a été une absence totale d’accroche dans la société. Malgré les profondes sympathies qui sont nées, le mouvement est toujours resté cantonné aux sympathisants des syndicats. Il n’a connu aucun développement culturel, il n’y a aucune élévation du niveau idéologique. Il n’a été qu’une péripétie, de manière totalement découplée de l’Histoire.

Cela, bien entendu, implique qu’on reconnaisse le principe d’Histoire, qu’on considère celle-ci comme l’histoire de la lutte des classes.

Une telle manière de voir les choses ne rentre-t-elle pas en conflit avec le fait que le mouvement contre la réforme des retraites a été porté par des centaines de milliers de gens, à travers tout le pays, pour des initiatives très variées ?

Bien au contraire, c’est justement parce qu’il s’agit d’un mouvement de masse qu’on peut et doit parler de fiction. Car le mouvement des retraites n’a été qu’un mouvement de masse de plus dans l’histoire française, dans le cadre d’un capitalisme puissant, très bien organisé, ayant intégré depuis les années 1960 les syndicats au sein même des institutions.

Il suffit de regarder les trente dernières années pour voir que le mouvement contre la réforme des retraites n’est qu’un ajout de plus à une liste déjà longue de mouvement de masse à caractère revendicatif.

C’est une tradition française, qui doit au fait que les rapports d’intégration des travailleurs au sein des institutions ne sont pas aussi bien structurés que, par exemple, en Allemagne, en Suède, en Belgique. Cela tient bien entendu au taux très faible de syndicalisation en France, le pire de tous les pays capitalistes d’ailleurs.

C’est cela la source du style français de négociations au moyen de coups de force symboliques, de rassemblements de masse sans lendemain, de discours contestataires enflammés. Vu de l’extérieur, cela peut impressionner. Quand on voit que cela se répète sans fin, c’est moins convainquant.

Il suffit de prendre l’exemple de la grève contre la réforme des retraites de 2010. La CGT et la CFDT affirment toutes deux que le 23 septembre 2010, trois millions de personnes se sont rendues aux manifestations, dans 239 villes. Qui s’en souvient ? Quel a été l’impact culturel, politique, idéologique ?

Il n’en reste tout simplement rien du tout. De la même manière, personne ne se souviendra qu’il y a eu d’après la CGT 1,8 millions de manifestants en France, le 17 décembre 2019. La raison en est que ce n’est pas de l’Histoire, mais une péripétie relevant de la petite histoire de la pacification des rapports sociaux dans le capitalisme français.

C’est là une critique du suivisme par rapport aux directions syndicales et du spontanéisme en général. Les actions menées par les bases syndicales ne sont-elles toutefois pas la preuve d’une dynamique conflictuelle, justement ?

Au-delà de la question importante de savoir si la lutte doit être portée par la base syndicale ou la base des travailleurs organisés en assemblée, il faut porter son regard sur le contenu des actions.

La CGT énergie 33 a par exemple, au cours du mouvement, pris de très nombreuses initiatives de coupures de courant. Au début, on a eu des coupures notamment du centre commercial Bordeaux-Lac, du centre commercial Mérignac Soleil, des sièges sociaux des banques de Bordeaux. Cela s’est déroulé en décembre. Puis, en janvier 2020, on a eu notamment des coupures contre la gare de Bordeaux-Saint-Jean et trois lycées bordelais.

C’est tout à fait exemplaire d’un esprit qui se veut contestataire, mais bascule dans une démarche réformiste de nuisance pour marquer le coup. Et pourquoi ? Parce que les syndicats ne sont pas une organisation politique. Or, quand on commence à lutter, il faut avoir des objectifs concrets, des exigences précises répondant à un agenda qui est par définition même politique.

Les syndicats sont hypocrites. D’un côté, ils récusent la politique au nom de la charte d’Amiens de 1906. De l’autre, ils se comportent de manière politique, dans un sens réformiste, cogestionnaire, et on ne devrait rien leur dire, simplement se soumettre.

Cela est acceptable si on veut profiter du mouvement avec comme but de faire du racolage, du populisme, de la démagogie sociale, pour se donner une image combative, activiste. C’est une grande tradition que de faire cela, pour « recruter » et se prétendre le fer de lance de la lutte, en accusant par la suite les directions de trahison, etc.

C’est inacceptable, par contre, pour qui veut faire avancer la lutte des classes.

Il y aurait donc une opposition irréductible entre, disons, un engagement immédiat et revendicatif, et un engagement se définissant comme politique ? Cela peut apparaître comme désengageant, échappatoire, comme une dérobade.

Il va de soi que la démagogie syndicaliste accuse ceux qui veulent faire de la politique d’esquiver le travail de fond. Et c’est même une point de vue très largement partagé, paralysant absolument tout depuis l’effondrement des organisations politiques révolutionnaires issus de mai 1968, qui assumaient, elles, leur propre agenda.

La France connaît, et c’est là notre malheur historique, une grande tradition syndicaliste révolutionnaire. Lorsque dans notre pays, quelqu’un se reconnaît dans l’idéologie révolutionnaire, il entend immédiatement « lutter ». Il ne considère pas qu’il doit se former, suivre une école de pensée, se soumettre à une discipline, répondre aux exigences intellectuelles. Il considère au contraire qu’il a fait le principal et qu’il peut tout de suite participer à la bataille.

L’esprit syndicaliste révolutionnaire justifie cette démarche, anti-marxiste par définition. Et il ne faut pas s’étonner qu’un tel spontanéisme se précipite parfois dans le nihilisme, voire pratiquement dans des formes fascistes, comme avec les gilets jaunes.

Notre problème historique, en France, qui explique concrètement tous nos problèmes depuis la fin du XIXe siècle dans la lutte des classes, c’est l’incapacité à assumer le principe de l’organisation politique d’avant-garde, reposant sur des fondements idéologiques, avec la considération que les syndicats ne peuvent être qu’une simple courroie de transmission, et rien d’autre.

Comme malheureusement les premiers socialistes français, à la fin du XIXe siècle, n’ont rien compris au marxisme, ont été influencés par Blanqui, Proudhon… et se sont de plus soumis aux syndicats, on en arrive à la catastrophe actuelle.

Les seuls moments où la dimension politique a pris le dessus, permettant de réelles avancées en termes de lutte de classe, c’est lorsque le syndicalisme n’avait plus d’espace. C’est en février 1934 avec l’unité antifasciste, en mai 1936 avec le Front populaire, durant l’Occupation avec la Résistance, puis au tout début des années 1950 avec la polarisation idéologique, et enfin en mai 1968.

Mais dès que le syndicalisme a pu reprendre le dessus, il a aboli la dimension politique. Et quand il ne pouvait pas le faire, il est allé au conflit. Il suffit de prendre l’exemple de la fondation de la CGT-Force Ouvrière, en 1947, en tant que scission de la CGT, avec l’appui des socialistes réformistes, des trotskistes, des anarchistes et même de la CIA.

La CGT-Force Ouvrière a travaillé justement main dans la main avec la CGT lors du mouvement contre la réforme des retraites. Comment interpréter cela ?

Non seulement les syndicats français sont extrêmement faibles, mais en plus ils sont puissamment divisés. Il y a la CFDT, qui vient du syndicalisme chrétien, est passée par le camp de la « seconde gauche » autogestionnaire pour devenir réformiste – moderniste. Il y a la CGT-Force Ouvrière qui est un syndicat réformiste anti-politique et anti-communiste.

Il y a la CGT qui, depuis son opposition totale à mai 1968, est le bastion du social-impérialisme, c’est-à-dire de la participation de l’aristocratie ouvrière au capitalisme, à l’élaboration de ses projets, à l’organisation de ses activités, etc.

La question de fond posée par la réforme des retraites, c’est la place de ces syndicats alors que le capitalisme va à la guerre impérialiste. Y a-t-il encore de la place pour une intervention de l’aristocratie ouvrière directement dans les institutions ? Ou bien cela va-t-il à l’encontre des exigences de centralisation et de soumission unilatérale à une partie toujours plus réduite de la bourgeoisie ?

L’alliance totale entre la CGT et la CGT-Force Ouvrière s’explique évidemment par le fait que le capitalisme considère qu’il n’a plus besoin de l’intervention de l’aristocratie ouvrière. D’où justement l’espace libre nouveau qui apparaît et qui est pris par la CFDT, qui a compris que désormais le syndicalisme ne pouvait faire qu’accompagner la modernisation capitaliste, et rien de plus.

C’en est fini de la très longue tradition de la CGT consistant à aller voir la bourgeoisie en proposant de meilleurs plans industriels, de meilleurs avions, de produire des centrales nucléaires, de meilleurs missiles pour l’exportation, de meilleurs tanks pour l’armée, de meilleures voitures pour de meilleures ventes, etc. Il n’y a plus de place pour la CGT relevant du social-impérialisme.

Le second aspect, c’est que l’État sort du jeu des négociations sociales, ce qui correspond à l’individualisation complète au sein du capitalisme. Les négociations sont censées désormais exister seulement entre la force de travail et l’acheteur de force de travail. Tout est individuel, ou au niveau de communautés d’individus. L’État n’a plus à s’en mêler, se résumant à un pôle stratégique – militariste pour l’aspect impérialiste du capitalisme.

Ainsi, il n’y a plus de place pour la CGT-Force Ouvrière non plus, qui n’existe que comme ombre de la CGT et de l’État. L’idéologie de la dénonciation de la main-mise de l’État sur les négociations et de l’influence de la CGT forme en effet le noyau dur de la démarche de la CGT-Force Ouvrière.

L’idéal, pour le capitalisme, ce sont des travailleurs se concevant comme « libres », s’unissant localement ou de manière corporatiste éventuellement pour des négociations avec les entreprises. La CFDT est parfaite pour cela. L’État, lui, se cantonne à être un stratège et un pourvoyeur de force militaire.

Si cela est juste, alors le capitalisme n’a plus du tout besoin du Parti Communiste Français révisionniste, il a simplement besoin de quelque chose de « moderne » comme, par exemple, Europe Écologie les Verts, le pendant politique de la CFDT.

Très précisément. Toute l’idéologie du PCF révisionniste repose sur la conception de Paul Boccara : il faudrait arracher l’État « neutre » au pouvoir de la finance et « démocratiser » les entreprises publiques. On ne peut comprendre strictement aucune décision du PCF révisionniste, des années 1960 à aujourd’hui, sans en cerner la substance « boccariste ».

Le boccarisme était le justificatif de l’intervention du PCF révisionniste et de la CGT en faveur du capitalisme, qui serait déjà mort-vivant et qu’il faudrait détourner dans le bon sens. Cela avait du sens : le capitalisme français était content d’une force d’appoint, l’URSS sociale-impérialiste était contente d’un satellite influençant l’État français, le PCF révisionniste disposait d’une pseudo-proposition révolutionnaire, la CGT pouvait se précipiter dans le bureaucratisme.

C’est désormais du passé. Le PCF révisionniste se retrouve dans un cul-de-sac. D’où justement la réactivation du social-impérialisme « dur », avec le Pôle de Renaissance Communiste en France, avec les éditions Delga… diffusant toute une nostalgie du PCF révisionniste des années 1960 et 1970.

C’est d’ailleurs un aspect important du mouvement contre la réforme des retraites, puisque d’importants secteurs de la CGT, sans l’assumer publiquement, relèvent de ce courant social-impérialiste « dur », notamment à la direction des cheminots et de l’énergie. Il y avait l’espoir de forcer le retour à une CGT sociale-impérialiste à l’ancienne.

Une telle démarche est vaine, ou réactionnaire. Elle n’a rien à voir avec la stratégie révolutionnaire de renversement du capitalisme et de destruction de l’appareil d’État, par la mise en place d’un nouvel État naissant de l’océan armé des masses et saisissant les principales forces de production, brisant les valeurs culturelles capitalistes.

Une structure politique moderniste comme Europe Écologie les Verts ne suffira pourtant pas au capitalisme pour détourner les mouvements de masse.

Tout à fait et cela implique le transvasement du courant social-impérialiste vers l’extrême-droite. On a déjà pu constater cette tendance avec Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise. Mais ce n’était qu’un début.

On va vers l’émergence d’un populisme social-national de masse, d’un idéalisme national-social minoritaire mais ultra-activiste.

C’est le modèle italien. L’échec des luttes populaires à s’inscrire dans la lutte des classes, dans une perspective communiste organisée et idéologique, aboutit au basculement dans l’affirmation nationaliste comme seule orientation « réaliste ». C’est ce qu’on appelle le fascisme.

Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste)
Mars 2020

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Le matérialisme dialectique et le caractère non linéaire du mouvement

Il y a une branche de la science, dont la connaissance devrait être obligatoire pour les bolcheviks de toutes les branches de la science, c’est la science marxiste-léniniste de la société, des lois du développement de la société, des lois du développement de la révolution prolétarienne, des lois du développement de la construction socialiste et de la victoire du communisme. J.V. Staline

Le mouvement possède par définition une nature non-linéaire. Si tel n’était pas le cas, il tendrait en effet inversement forcément à la linéarité et donc à l’abolition du mouvement en tant que tel. Or, le mouvement implique non pas l’abolition du mouvement comme principe universel propre à la matière, mais l’abolition de la matière qui porte le mouvement, c’est-à-dire sa transformation puisque son abolition est impossible.

Il y a toujours mouvement, car il y a toujours matière. Mais pour que le mouvement ne cesse pas, sans quoi il n’y aurait plus de matière l’exprimant, il faut que ce soit la matière elle-même qui cesse, et comme elle ne peut pas cesser, elle se transforme. La matière porte le mouvement, est abolie par le mouvement, est constituée par le mouvement.

Mais rien ne peut constituer la matière. Aussi la matière est mouvement et le mouvement matière.

Ce qui est en jeu ici, c’est la question de la qualité. Une ligne, même ascendante, n’évolue pas, elle porte une direction uniforme. Et qui dit direction uniforme dit absence de rupture. Même un mouvement connaissant uniformément des ruptures serait, par définition même, sans ruptures de par sa dimension continue. Il ne peut donc pas exister.

De ce fait, la rupture n’est pas suffisante en soi pour dépasser le principe d’un mouvement linéaire.

Si l’on prend une ligne uniforme, on n’a pas de ruptures.

Si l’on accepte le principe de rupture et qu’on l’intègre au mouvement, on a alors un saut, mais seulement sur le plan de la forme. Ce saut ne fait qu’ajuster la direction, la rectifier, il est une correction qualitative du quantitatif. La rupture s’applique au développement, à son expression – mais elle n’est pas le développement lui-même.

Une rupture, un saut qualitatif, ne suffit pas pour formuler la qualité.

Un saut qualitatif connaît la qualité, il n’est pas la qualité. Un saut n’est pas la qualité en soi.

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Concrètement, on voit bien dans le développement des phénomènes qu’il y a avancée, recul, révolution, restauration, contre-restauration. Le passage définitif à un stade supérieur n’est jamais unilatéral. Il n’est jamais linéaire.

Il n’est jamais linéaire non plus avec un seul « saut », puisqu’il y a des retours en arrière, une poussée en avant, une contre-poussée, etc.

Il n’y a pas donc simplement une « rupture » se lisant dans le parcours du développement. Il n’y a pas une tendance, puis subitement une accélération qualitative rompant avec cette tendance tout en la prolongeant. Cela ne peut être qu’une description sommaire, perdant la substance de la qualité.

Ce qui est ici en jeu, c’est la contradiction entre le nouveau et l’ancien. Si l’on s’arrête à elle, on a le principe de la rupture, de manière formelle simplement toutefois.

Cette contradiction implique en effet également la contradiction du phénomène avec lui-même. Il n’y a pas de lutte abstraite entre le nouveau et l’ancien, seulement une lutte concrète.

Le développement étant interne, la crise ne se produit pas de l’extérieur, amenant une transformation, mais à l’intérieur et elle est portée par l’intérieur lui-même ; en fait elle est l’intérieur lui-même.

Tout développement d’un phénomène est une crise portée par une déchirure interne. Ce n’est pas la « forme » du phénomène qui est touchée par la crise, mais la substance contradictoire du phénomène qui porte celle-ci.

Il n’y a donc pas de mouvement linéaire, car le mouvement lui-même connaît un changement de nature par le changement de la substance de ce qui le porte.

Le mouvement qui change est la matière qui change, la matière qui change est le mouvement qui change. Le mouvement est transformation de la matière et la transformation de la matière est la transformation du mouvement.

Ainsi, il y a contradiction entre le changement de nature du mouvement et le changement de substance qui le porte. L’ancien porte l’ancien mouvement, le nouveau le nouveau mouvement. Mais l’ancien et le nouveau sont un seul et même phénomène, portant ainsi de manière contradictoire à la fois l’ancien et le nouveau mouvements.

Il y a ainsi :

– contradiction au sein du phénomène (ou plus adéquatement contradiction du phénomène), produisant le mouvement ;

– contradiction au sein du phénomène, entre l’ancien et le nouveau ;

– contradiction entre le nouveau mouvement et l’ancien, au sein du phénomène ;

– contradiction entre l’ancien mouvement et le nouveau, au sein du phénomène ;

– contradiction entre le mouvement et le phénomène.

Il n’y pas de négation de la négation, car chaque étape constitue un terrain qualitativement nouveau. Il n’y a pas de mouvement linéaire, rien n’est linéaire, tout relève du caractère non-linéaire – y compris le caractère non linéaire.

Cela, car la contradiction est toujours concrète – il n’y a pas de mouvement en soi – c’est la dignité du réel qui prévaut.

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Moïse, Jésus, Mahomet: «nul n’est prophète en son pays»

Le paradoxe de la bataille pour la dignité est que Moïse, Jésus et Mahomet n’ont pas du tout été reconnus immédiatement et entièrement. Le matérialisme dialectique affirme que toute progression est non-linéaire, et étonnamment pour une religion qui se veut forcément « droite » dans son parcours, on voit que les prophètes ont dû batailler ferme.

Cela ressemble bien plus à de la bataille politique qu’à la réalisation prophétique triomphale. Et justement le matérialisme dialectique montre que les progrès de la civilisation consistent en des sauts qualitatifs, l’histoire avançant en spirale, pas en ligne droite.

Dans la Bible juive, l’épisode du veau d’or est ainsi absolument significatif, et le fait qu’il ait été mentionné montre les grands troubles politiques qui ont existé, les intenses contradictions au travail dans la société alors.

Ce qu’on lit dans l’épisode du veau d’or est proprement hallucinant : le peuple a connu un miracle (les eaux se séparant pour le laisser passer) mais l’oublie pourtant juste après, ce qui est totalement incohérent, et après cela on a Moïse littéralement en train de négocier avec Dieu présenté comme colérique, ce qui est proprement aberrant.

Voici ce qu’on lit :

1 Le peuple, voyant que Moïse tardait à descendre de la montagne, s’attroupa autour d’Aaron et lui dit : « Allons! fais-nous un dieu qui marche à notre tête, puisque celui-ci, Moïse, l’homme qui nous a fait sortir du pays d’Égypte, nous ne savons ce qu’il est devenu. »
2 Aaron leur répondit : « Détachez les pendants d’or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles et me les apportez. »
3 Tous se dépouillèrent des pendants d’or qui étaient à leurs oreilles et les apportèrent à Aaron.
4 Ayant reçu cet or de leurs mains, il le jeta en moule et en fit un veau de métal ; et ils dirent : « Voilà tes dieux, ô Israël, qui t’ont fait sortir du pays d’Égypte ! »
5 Ce que voyant, Aaron érigea devant lui un autel et il proclama : « A demain une solennité pour l’Éternel ! »
 6 Ils s’empressèrent, dès le lendemain, d’offrir des holocaustes, d’amener des victimes rémunératoires ; le peuple se mit à manger et à boire, puis se livra à des réjouissances.
7 Alors l’Éternel dit à Moïse : « Va, descends! car on a perverti ton peuple que tu as tiré du pays d’Égypte !
8 De bonne heure infidèles à la voie que je leur avais prescrite, ils se sont fait un veau de métal et ils se sont courbés devant lui, ils lui ont sacrifié, ils ont dit : ‘Voilà tes dieux, Israël, qui t’ont fait sortir du pays d’Égypte !’ »
9 L’Éternel dit à Moïse : « Je vois que ce peuple est un peuple rétif.
10 Donc, cesse de me solliciter, laisse s’allumer contre eux ma colère et que je les anéantisse, tandis que je ferai de toi un grand peuple ! »
11 Mais Moïse implora l’Éternel son Dieu, en disant : »Pourquoi, Seigneur, ton courroux menace-t-il ton peuple, que tu as tiré du pays d’Égypte avec une si grande force et d’une main si puissante ?
12 Faut-il que les Égyptiens disent : ‘C’est pour leur malheur qu’il les a emmenés, pour les faire périr dans les montagnes et les anéantir de dessus la face de la terre !’ Reviens de ton irritation et révoque la calamité qui menace ton peuple.
13 Souviens-toi d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, tes serviteurs, à qui tu as juré par toi-même leur disant : Je ferai votre postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel; et tout ce pays que j’ai désigné, je le donnerai à votre postérité, qui le possédera pour jamais ! »
14 L’Éternel révoqua le malheur qu’il avait voulu, infliger à son peuple.
(Exode, 32:1-14)

En ce qui concerne Jésus, il a tellement été rejeté là d’où il venait que cela a donné l’adage « nul n’est prophète en son pays ».

Mais ce qui est fascinant, dans ce raconte Marc, c’est que là où les gens n’avaient pas de ferveur pour lui, les miracles n’opéraient pas. Cela démontre encore une fois que ceux-ci ne consistaient qu’en la ferveur populaire.

Comme pour Moïse, si Jésus avait été réellement prophète, son affirmation aurait été linéaire. Voici ce que raconte Marc :

1 Jésus partit de là. Il vient dans sa patrie et ses disciples le suivent.
2 Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Frappés d’étonnement, de nombreux auditeurs disaient : « D’où cela lui vient-il ? Et quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, si bien que même des miracles se font par ses mains ?
3 N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Simon ? et ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous ? » Et il était pour eux une occasion de chute.
4 Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison. »
5 Et il ne pouvait faire là aucun miracle ; pourtant il guérit quelques malades en leur imposant les mains.
6 Et il s’étonnait de ce qu’ils ne croyaient pas.
(Marc, 6:1-6)

On trouve dans le Coran quelque chose de tout à fait similaire. On sait que dans l’Islam, le Coran est co-éternel à Dieu. Or, là, on a un Coran qui sermonne littéralement les gens qui prennent Mahomet pour un « fou », et justifiant cela en disant que s’ils ne croient pas, c’est que Dieu l’a voulu.

C’est une manière de justifier, encore une fois, le caractère non-linéaire de l’affirmation prophétique ; le fait de devoir justifier que Mahomet ne soit pas fou en dit d’ailleurs long sur les réactions qu’il a suscitées. Voici ce qu’on lit dans le Coran :

19. Ceci [le Coran] est la parole d’un noble Messager,
20. doué d’une grande force, et ayant un rang élevé auprès du Maître du Trône,
21. obéi, là-haut, et digne de confiance.
22. Votre compagnon (Muhammad) n’est nullement fou ;
23. il l’a effectivement vu (Gabriel), au clair horizon
24. et il ne garde pas avarement pour lui-même ce qui lui a été révélé.
25. Et ceci [le Coran] n’est point la parole d’un diable banni.
26. Où allez-vous donc?
27. Ceci n’est qu’un rappel pour l’univers,
28. pour celui d’entre vous qui veut suivre le chemin droit.
29. Mais vous ne pouvez vouloir, que si Allah veut, [Lui], le Seigneur de l’Univers.
(Sourate 81, At-Takwir – L’obscurcissement)

On se souvient également que Mahomet a dû fuir la Mecque, un épisode appelé l’Hégire (l’émigration), en 622 après JC, date devenant le point de départ du calendrier musulman. C’est dire si la question du rejet a été une obsession pour les religions suivant Moïse, Jésus et Mahomet. L’existence même de la possibilité du rejet témoigne du caractère en réalité humain de ceux qui se sont présentés comme prophètes.

Moïse sauvé des eaux, synagogue de Dura Europos, 244-255 de notre ère

On comprend aisément comment ici les religions aboutissent à l’obscurantisme : le processus non-linéaire de reconnaissance étant non logique du point de vue religieux, il faut par la force résoudre cette contradiction, conclure le « sceau de la prophétie ».

Moïse, Jésus et Mahomet étaient des poètes rebelles, des humains, la vision d’eux en prophètes a inspiré, mais plus on s’éloigne de la réalité matérielle, plus on bascule dans l’idéalisme et une logique fanatique.

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Moïse, Jésus, Mahomet: la dignité

Qui dit droit et compassion dit en même temps dignité. Moïse, Jésus et Mahomet représentent une étape de civilisation, d’affirmation de l’humanité par rapport à elle-même, au moyen de Dieu servant de miroir.

C’est là le problème le plus épineux de la religion, qui s’est accaparé toute une vision du monde où l’être humain gagne en dignité grâce à Dieu, par l’intermédiaire du prophète.

Sans Dieu, sans la figure du prophète, il n’y a selon les religions monothéistes plus de dignité humaine. Il n’y a que l’infamie, l’ignorance, le paganisme. Le Coran utilise par exemple le terme de jâhilîya, qui vient du verbe jahala, signifiant être ignorantagir stupidement.

On y trouve également une expression très poétique de la dignité de la condition humaine, même si bien entendu c’est au moyen d’une terrible contorsion :

70. Ô vous qui croyez! Craignez Allah et parlez avec droiture.
71. afin qu’Il améliore vos actions et vous pardonne vos péchés. Quiconque obéit à Allah et à Son messager obtient certes une grande réussite.
72. Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de porter les charges de faire le bien et d’éviter le mal). Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé; car il est très injuste [envers lui-même] et très ignorant.
73. [Il en est ainsi] afin qu’Allah châtie les hypocrites, hommes et femmes, et les associateurs et les associatrices, et Allah accueille le repentir des croyants et des croyantes. Allah est Pardonneur et Miséricordieux.

Sourate 33, Al-Ahzab – Les coalisés

L’humanité a un statut à part, tout en étant « mauvaise » en partie. C’est ici l’humanité qui a conscience de ses limites historiques, qui devront être dépassées. Le paradis, ici, n’est que l’expression du besoin de communisme ; c’est une anticipation naturelle déformée car socialement encore inapte.

Représentation persane avec Mahomet aux côtés notamment d’Abraham, Moïse et Jésus

Voici ce qu’on trouve dans la Bible chrétienne : Jésus rend la vue à Bartimée. Dans l’extrait que nous avons ici, Luc ne donne pas de nom à la personne guérie, mais Marc le nomme, et dans la Bible chrétienne c’est même la seule personne guérie qui est nommée en tant que tel.

Or, Bartimée signifie fils de Timée, Bar voulant dire « fils de » en araméen, alors que Timée signifie « honneur » en grec. Jésus rend la vue au fils de l’honneur : l’humanité elle-même, qui gagne sa dignité.

46 Ils arrivent à Jéricho. Comme Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une assez grande foule, l’aveugle Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin en train de mendier.
47 Apprenant que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, aie pitié de moi ! »
48 Beaucoup le rabrouaient pour qu’il se taise, mais lui criait de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! »
49 Jésus s’arrêta et dit : « Appelez-le. » On appelle l’aveugle, on lui dit : « Confiance, lève-toi, il t’appelle.
50 Rejetant son manteau, il se leva d’un bond et il vint vers Jésus.
51 S’adressant à lui, Jésus dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui répondit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! »
52 Jésus dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt il retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin.

Marc, 10:46-52

La bataille pour la dignité est, bien sûr, au coeur de la figure de Moïse, qui fait selon la Bible juive sortir les Hébreux d’Egypte. L’épisode du buisson ardent est le plus connu, car il est la grande affirmation par Dieu que la dignité va être affirmée contre l’oppression.

C’est un épisode idéologique dont la dimension universelle est facile à saisir. Voici ce qu’on lit dans la Bible juive ;

1 Or, Moïse faisait paître les brebis de Jéthro son beau-père, prêtre de Madian. Il avait conduit le bétail au fond du désert et était parvenu à la montagne divine, au mont Horeb.
2 Un ange du Seigneur lui apparut dans un jet de flamme au milieu d’un buisson. Il remarqua que le buisson était en feu et cependant ne se consumait point.
3 Moïse se dit : « Je veux m’approcher, je veux examiner ce grand phénomène: pourquoi le buisson ne se consume pas. »
4 L’Éternel vit qu’il s’approchait pour regarder ; alors Dieu l’appela du sein du buisson, disant: « Moïse ! Moïse ! » Et il répondit : « Me voici. »
5 Il reprit : « N’approche point d’ici ! Ote ta chaussure, car l’endroit que tu foules est un sol sacré ! »
6 Il ajouta : « Je suis la Divinité de ton père, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob… » Moïse se couvrit le visage, craignant de regarder le Seigneur.
7 L’Éternel poursuivit : « J’ai vu, j’ai vu l’humiliation de mon peuple qui est en Égypte ; j’ai accueilli sa plainte contre ses oppresseurs, car je connais ses souffrances.
8 Je suis donc intervenu pour le délivrer de la puissance égyptienne et pour le faire passer de cette contrée-là dans une contrée fertile et spacieuse, dans une terre ruisselante de lait et de miel, où habitent le Cananéen, le Héthéen, l’Amorréen, le Phérézéen, le Hévéen et le Jébuséen.
9 Oui, la plainte des enfants d’Israël est venue jusqu’à moi ; oui, j’ai vu la tyrannie dont les Égyptiens les accablent.
10 Et maintenant va, je te délègue vers Pharaon ; et fais que mon peuple, les enfants d’Israël, sortent de l’Égypte. »

Exode, 3:1-10

Moïse, Jésus et Mahomet sont ainsi les vecteurs de la dignité ; ils la permettent, car ils permettent à l’humanité de s’auto-exiger, par l’intermédiaire de Dieu comme moyen, un niveau plus élevé de civilisation.

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Moïse, Jésus, Mahomet: un refuge pour le peuple

Le droit ne peut s’imposer, s’il ne transporte pas quelque chose de supérieur par rapport à auparavant. C’est pour cela que la religion est un refuge ; Moïse, Jésus et Mahomet ont construit la religion comme projet politique très concret, comme modification juridique.

Cependant, en même temps, ils devaient inévitablement également réfuter les difficultés de la vie matérielle, en tentant de souligner que le nouveau droit apporterait la justice.

C’est de là que vient « l’humanisme » que portent les religions ; c’est ce que Karl Marx a expliqué avec sa fameuse formule de « l’opium du peuple », sur le double caractère de la religion : protestation contre la dureté de la vie et expression en même temps de celle-ci.

Moïse, Jésus et Mahomet sont ici des grands poètes, exprimant avec douceur et sévérité en même temps les difficultés de la vie humaine. C’est cela qui les a rendu populaire.

Voici la sourate 113 du Coran, appelée al-Falaq, « l’aube naissante » :

« Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.
1. Dis : « Je cherche protection auprès du Seigneur de l’aube naissante,
2. contre le mal des êtres qu’Il a créés,
3. contre le mal de l’obscurité quand elle s’approfondit,
4. contre le mal de celles qui soufflent (les sorcières) sur les noeuds,
5. et contre le mal de l’envieux quand il envie ».

Sourate 113 – al-Falaq – l’aube naissante

Jésus a tenu des propos également d’une magistrale poésie, comme avec la parabole du berger. Voici comment Jean raconte cela :

1 « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans l’enclos des brebis mais qui escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand.
2 Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis.
3 Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix ; les brebis qui lui appartiennent, il les appelle, chacune par son nom, et il les emmène dehors.
4 Lorsqu’il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête, et elles le suivent parce qu’elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles ne suivront un étranger ; bien plus, elles le fuiront parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
6 Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas la portée de ce qu’il disait.
7 Jésus reprit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.
10 Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre ; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance.
11 « Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis.
12 Le mercenaire, qui n’est pas vraiment un berger et à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et prend la fuite ; et le loup s’en empare et les disperse.
13 C’est qu’il est mercenaire et que peu lui importent les brebis.
14 Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,
15 comme mon Père me connaît et que je connais mon Père ; et je me dessaisis de ma vie pour les brebis.

Jean, 10:1-10

Dans la Bible juive, c’est pas Moïse qui compte pour la compassion, car celle-ci ne peut qu’être nationale, or Moïse n’est pas rentré sur la terre promise, justement pour une question juridique, ayant frappé un rocher dans le désert pour obtenir de l’eau, au lieu de parler à ce rocher, ce qui sous-tend un manque de confiance dans le commandement divin.

Par conséquent, la compassion est forcément liée à la sagesse, car là on est déjà dans un cadre proto-national, dans un Etat presque constitué nationalement. C’est la très grande particularité de la Bible juive, et indéniablement ce qui a fait son succès.

Par ailleurs, les multiples commentaires de celle-ci dans le cadre du judaïsme touchent surtout les questions juridiques. Lorsqu’on dit que le judaïsme est une religion du livre, on devrait dire surtout des livres concernant le droit.

La figure de Salomon est ici très connue, avec son fameux « jugement », et il faut bien comprendre que Moïse est intégré ici idéologiquement, comme celui qui ouvre cette perspective morale et juridique :

16 En ce temps-là, deux femmes de mauvaise vie vinrent se présenter devant le roi.
17 Et l’une de ces femmes dit « Ecoute-moi, Seigneur! Moi et cette femme nous habitons la même maison ; j’y ai donné naissance à un enfant, étant avec elle.
18 Trois jours après ma délivrance, cette femme a également accouché. Or, nous vivons ensemble, nul étranger n’habite avec nous la maison, nous deux seules y demeurons.
19 Pendant la nuit, l’enfant de cette femme est mort, parce qu’elle s’était couchée sur lui.
20 Mais elle s’est levée au milieu de la nuit, a enlevé mon fils d’auprès de moi, tandis que ta servante était endormie, l’a couchée sur son sein, et son fils qui était mort, elle l’a déposé entre mes bras.
21 Comme je me disposais, le matin, à allaiter mon enfant, voici, il était mort! Je l’examinai attentivement quand il fit grand jour, et ce n’était pas là le fils que j’avais enfanté.
22 Non pas! dit l’autre femme, mon fils est vivant, et c’est le tien qui est mort! Point du tout, reprit la première, c’est le tien qui est mort, celui qui vit est le mien! » C’est ainsi qu’elles discutaient devant le roi.
23 Le roi dit alors: « L’une dit: Cet enfant qui vit est le mien, et c’est le tien qui est mort; l’autre dit: Non, c’est le tien qui est mort, celui qui vit est le mien. »
24 Le roi ajouta: « Apportez-moi un glaive; » et l’on présenta un glaive au roi.
25 Et le roi dit: « Coupez en deux parts l’enfant vivant, et donnez-en une moitié à l’une de ces femmes, une moitié à l’autre. »
26 La mère de l’enfant vivant, dont les entrailles étaient émues de pitié pour son fils, s’écria, parlant au roi: « De grâce, seigneur! Qu’on lui donne l’enfant vivant, qu’on ne le fasse pas mourir! » Mais l’autre disait: « Ni toi ni moi ne l’aurons: coupez! »
27 Le roi reprit alors la parole et dit: « Donnez-lui l’enfant vivant et gardez-vous de le faire mourir: celle-ci est sa mère. »
28 Tout Israël eut connaissance du jugement que le roi avait rendu, et ils furent saisis de respect pour le roi; car ils comprirent qu’une sagesse divine l’inspirait dans l’exercice de la justice.

Prophètes, Rois 1, 3:16-28

Justice et compassion, se mêlant l’un l’autre: voilà le socle du succès de Moïse, Jésus et Mahomet.

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Moïse, Jésus, Mahomet: le livre comme base du droit

Moïse, Jésus et Mahomet expriment un grand tournant historique. Par conséquent, il y a le droit qui fait irruption, comme superstructure nouvelle de la nouvelle infrastructure.

Les propos de Dieu relatés par Moïse sont ici très clairs dans l’expression de la nouveauté juridique désormais écrite :

12 L’Éternel parla ainsi à Moïse:
13 « Et toi, parle aux enfants d’Israël en ces termes : Toutefois, observez mes sabbats car c’est un symbole de moi à vous dans toutes vos générations, pour qu’on sache que c’est Moi, l’Éternel qui vous sanctifie.
14 Gardez donc le sabbat, car c’est chose sainte pour vous! Qui le violera sera puni de mort; toute personne même qui fera un travail en ce jour, sera retranchée du milieu de son peuple.
15 Six jours on se livrera au travail; mais le septième jour il y aura repos, repos complet consacré au Seigneur. Quiconque fera un travail le jour du sabbat sera puni de mort.
16 Les enfants d’Israël seront donc fidèles au sabbat, en l’observant dans toutes leurs générations comme un pacte immuable.
17 Entre moi et les enfants d’Israël c’est un symbole perpétuel, attestant qu’en six jours, l’Éternel a fait les cieux et la terre, et que, le septième jour, il a mis fin à l’œuvre et s’est reposé. »
18 Dieu donna à Moïse, lorsqu’il eut achevé de s’entretenir avec lui sur le mont Sinaï, les deux tables du Statut, tables de pierre, burinées par le doigt de Dieu.
(Exode, 31:12-18)

C’est le symbole de la loi avec Moïse muni des fameuses tables écrites par Dieu, descendant de la montagne – montagne qu’il faisait surveiller, en prétendant le risque pour la vie des visiteurs éventuels devant la puissance de Dieu.

Cette notion de droit est bien sûr présente chez Mahomet et Jésus, mais de manière très différente, le projet de Mahomet ayant réussi, alors que celui de Jésus s’est transformé. Pour Mahomet, la dimension livresque est au cœur du processus lui-même, de manière outrancièrement symbolique.

En effet, le terme de Coran lui-même vient de l’arabe al Qur’ān, « la récitation ». Le terme de Coran, en arabe, signifie quant à lui « lecture » ; il est même le « kitab », « l’écriture » par excellence.

Une page du Coran, de Perse

La dimension révolutionnaire est ouvertement assumée : Mahomet faisait une retraite spirituelle comme il en avait l’habitude, dans une grotte non loin de La Mecque, en 610 après JC, alors qu’un qu’un ange est censé à s’adresser à Mahomet, qui est illettré, pour lui exiger de lire. Cette contradiction, d’une force symbolique magnifique, est racontée ainsi dans le Coran :

1. Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé,
2. qui a créé l’homme d’une adhérence.
3. Lis! Ton Seigneur est le Très Noble,
4. qui a enseigné par la plume [le calame],
5. a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas.
(Al-Alaq – L’adhérence)

Le Coran aurait donc lui-même un caractère divin, l’archange Gabriel ayant transmis des messages à Mahomet qui les aurait répété, conformément à son rôle de « prophète ». Il ne raconte pas quelque chose au sens strict, il est en lui-même une réalité divine, définissant la vie quotidienne.

Le paradoxe est que si le Coran est présenté comme un livre cohérent dans la mesure où il est le livre par excellence, en pratique il consiste en des phrases prononcées par Mahomet pendant pas moins de 23 ans, et qui plus est dans le désordre.

Cette absence de linéarité est en contradiction avec ce qui se veut un caractère juridique rationnel, mais là est la grandeur de Mahomet : avoir exprimé les exigences d’une époque, puis avoir réussi à les synthétiser dans un corpus juridique symbolique complet.

Avec Jésus, le droit ne se pose pas en tant que tel, car son objectif politique n’a pas été réalisé, en raison de sa défaite politico-militaire. Par conséquent, il y avait encore plus une marge de manoeuvre pour s’inspirer de ses propos, et les déplacer hors de son contexte, pour les amener à d’autres revendications, principalement contre l’esclavage. Les paroles de Jésus sont celles d’un rebelle, qui soulève les coeurs ; on peut s’en inspirer.

Jean raconte ainsi :

19 – « Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es un prophète.
20 Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu’à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer. »
21 Jésus lui dit : « Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père.
22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
23 Mais l’heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père.
24 Dieu est esprit et c’est pourquoi ceux qui l’adorent doivent adorer en esprit et en vérité. »
25 La femme lui dit : « Je sais qu’un Messie doit venir – celui qu’on appelle Christ. Lorsqu’il viendra, il nous annoncera toutes choses. »
26 Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle. »
(Jean, 4:19-26)

Avec Jésus, le droit est celui de la période révolutionnaire – Jésus n’était qu’au début de son oeuvre, son échec politique fera que c’est Paul de Tarse qui se chargera de fournir une théorie cohérente à la figure de Jésus, sous la forme d’une rupture au sein du judaïsme donnant naissance au christianisme organisé.

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Moïse, Jésus, Mahomet: le rapport systématique à la production

Moïse, Jésus et Mahomet ont affirmé des valeurs : celle d’un Dieu éternel montrant sa toute puissance en montrant son contrôle du temps dans l’espace terrestre où vivent les humains profitant de la nature pour vivre.

La question est alors : pourquoi le rapport est-il posé ainsi entre Dieu et la nature ? Tout simplement parce que Dieu représente l’affirmation de la domination de la nature permettant un saut dans la production de biens, notamment alimentaires.

Jusqu’à présent, au sujet de Moïse, on a considéré qu’il représentait l’allégorie d’un cheminement spatial, avec les Hébreux fuyant l’Egypte pour trouver la terre promise. En réalité, il faut s’intéresser à la dimension temporelle : le mouvement n’est pas tant dans l’espace que dans le temps.

Voilà la raison pour laquelle on n’a pas de traces archéologiques de la fuite des Hébreux, chose de toutes manières secondaire par rapport à l’allégorie que représente Moïse comme saut dans la production.

La mère de Dieu, période byzantine

Regardons par exemple ce que dit Dieu à Moïse sur le mont Sinaï en plein épisode de l’exode. Dieu parle de l’esclavage, expliquant grosso modo qu’il faut une réforme et son abolition. Puis il donne toute une série de principes concernant des rapports humains touchant à la production.

Voici comment Moïse relate les propos de Dieu dans la Bible juive, et ce qui doit frapper, c’est qu’il y a ici des explications détaillées… alors que les Hébreux sont censés survivre dans le désert, et non pas déjà disposer de meules de blé, de moissons, de vignobles, etc.

– 21:
1 Et voici les statuts que tu leur exposeras.
2 Si tu achètes un esclave hébreu, il restera six années esclave et à la septième il sera remis en liberté sans rançon.
3 S’il est venu seul, seul il sortira ; s’il était marié, sa femme sortira avec lui.
(…)
15 Celui qui frappera son père ou sa mère sera mis à mort.
16 Celui qui aura enlevé un homme et l’aura vendu, si on l’a pris sur le fait, sera mis à mort.
(…)
26 « Si un homme blesse l’œil de son esclave ou de sa servante de manière à lui en ôter l’usage, il le renverra libre à cause de son œil
27 et s’il fait tomber une dent à son esclave ou à sa servante, il lui rendra la liberté à cause de sa dent.
28 « Si un boeuf heurte un homme ou une femme et qu’ils en meurent, ce boeuf doit être lapidé et il ne sera point permis d’en manger la chair ; mais le propriétaire du boeuf sera absous.
(…)
– 22:
1 Si quelqu’un dérobe un bœuf ou une brebis, puis égorge ou vend l’animal, il donnera cinq pièces de gros bétail en paiement du boeuf, quatre de menu bétail pour la brebis.
2 Si un voleur est pris sur le fait d’effraction, si on le frappe et qu’il meure, son sang ne sera point vengé.
3 Si le soleil a éclairé son délit, son sang serait vengé. Lui cependant doit réparer ; et s’il ne le peut, il sera vendu pour son vol.
4 Si le corps du délit est trouvé entre ses mains, intact, soit boeuf, soit âne ou brebis, il paiera le double.
5 Si un homme fourrage un champ ou un vignoble en faisant pâturer son bétail sur les terres d’autrui, il paiera le dégât du meilleur de son champ ou de sa vigne.
6 Si le feu, en s’étendant, gagne des buissons et dévore une meule de blé, ou la moisson ou le champ d’autrui, l’auteur de l’incendie sera tenu de payer.
(Exode, 21:1 – 22:6)

On voit ici très bien que Moïse exprime des besoins juridiques propres à une époque nouvelle dans la production, le passage de l’esclavage à l’abondance étant simplement une allégorie, c’est-à-dire le reflet de type religieux, fantasmagorique, de la modification de la situation dans l’esprit humain.

Mahomet, lui, s’adresse à des tribus pastorales, et le Coran – censé pourtant être intemporel – décrit précisément leur situation :

5. Et les bestiaux, Il les a créés pour vous ; vous en retirez des [vêtements] chauds ainsi que d’autres profits. Et vous en mangez aussi.
6. Ils vous paraissent beaux quand vous les ramenez, le soir, et aussi le matin quand vous les lâchez pour le pâturage.
7. Et ils portent vos fardeaux vers un pays que vous n’atteindriez qu’avec peine. Vraiment, votre Seigneur est Compatissant et Miséricordieux.
8. Et les chevaux, les mulets et les ânes, pour que vous les montiez, et pour l’apparat. Et Il crée ce que vous ne savez pas.
9. Il appartient à Allah [par Sa grâce, de montrer] le droit chemin car il en est qui s’en détachent. Or, s’Il voulait, Il vous guiderait tous.
10. C’est Lui qui, du ciel, a fait descendre de l’eau qui vous sert de boisson et grâce à la quelle poussent des plantes dont vous nourrissez vos troupeaux.
11. D’elle, Il fait pousser pour vous, les cultures, les oliviers, les palmiers, les vignes et aussi toutes sortes de fruits. Voilà bien là une preuve pour des gens qui réfléchissent.
12. Pour vous, Il a assujetti la nuit et le jour; le soleil et la lune. Et à Son ordre sont assujetties les étoiles. Voilà bien là des preuves pour des gens qui raisonnent.
(Sourate 16 – An-Nahl – Les abeilles)

En ce qui concerne Jésus, le passage le plus important concernant la question de la production est celui raconté par Jean : c’est le fameux épisode où les marchands du temple sont chassés.

Jésus va, en fait, à Jérusalem, dans le grand temple construit par Hérode le grand, et il s’affronte aux commerçants, dont les principaux représentants sont liés au grand prêtre. Sous l’occupation romaine, le haut clergé juif est un allié des forces étrangères, il fait office de force bureaucratique local reconnaissant la domination romaine que Jésus, lui, compte renverser.

L’action de Jésus est un coup d’éclat politique touchant à la production : le clergé gère les sacrifices en toute continuité, paralysant le peuple qui selon Jésus doit se révolter contre Rome, et cette gestion passe par une corruption que Jésus appelle à remettre en cause.

Au temple matériel qui participe à la soumission des Juifs face aux romains, Jésus oppose la cause révolutionnaire, dont il est le symbole, symbole comptant plus qu’un sanctuaire inféodé à l’occupation romaine.

Voici comment Jean raconte l’action de Jésus :

13 La Pâque juive était proche et Jésus monta à Jérusalem.
14 Il trouva dans le temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes ainsi que les changeurs qui s’y étaient installés.
15 Alors, s’étant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, et les brebis et les bœufs ; il dispersa la monnaie des changeurs, renversa leurs tables ;
16 et il dit aux marchands de colombes : « Otez tout cela d’ici et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. »
17 Ses disciples se souvinrent qu’il est écrit : Le zèle de ta maison me dévorera.
18 Mais les autorités juives prirent la parole et lui dirent : « Quel signe nous montreras-tu, pour agir de la sorte ? »
19 Jésus leur répondit : « Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai. »
20 Alors ces Juifs lui dirent : « Il a fallu quarante-six ans pour construire ce temple et toi, tu le relèverais en trois jours ? »
21 Mais lui parlait du temple de son corps.
(Jean, 2:13-21)

Luc précise de la manière suivante comment en réalité Jésus fait du sanctuaire un bastion politique nouveau, en confrontation avec les forces s’étant soumises aux Romains :

45 Puis Jésus entra dans le temple et se mit à chasser ceux qui vendaient.
46 Il leur disait : « Il est écrit : Ma maison sera une maison de prière ; mais vous, vous en avez fait une caverne de bandits. »
47 Il était chaque jour à enseigner dans le temple. Les grands prêtres et les scribes cherchaient à le faire périr, et aussi les chefs du peuple ;
48 mais ils ne trouvaient pas ce qu’ils pourraient faire, car tout le peuple, suspendu à ses lèvres, l’écoutait.
(Luc, 19:45-48)

Les choses sont ici très claires. Les religions ont gommé ces aspects, en contradiction formelle avec l’universalisme supposé des messages de Moïse, Jésus et Mahomet. Et il y a bien une dimension universelle : elle consiste en un aspect, celui qui exprime une révolution par l’unification face à une adversité.

Mais dans les faits, Mahomet s’adresse à des bergers, Jésus à une nation opprimée par les Romains, Moïse à un peuple à un tournant économique et de la politique.

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Moïse, Jésus, Mahomet: Dieu comme abondance naturelle

Dieu est l’éternité et il intervient dans l’espace en jouant sur le temps. Lorsque Jésus marche sur l’eau, le temps de la chute est « bloqué », comme est bloquée l’eau de la mer rouge pour permettre le passage des Hébreux poursuivis par les troupes égyptiennes. Quant au Coran, il est un miracle intemporel pareillement puisqu’il est censé être co-éternel à Dieu.

Dans ces trois cas, on a à chaque fois un humain qui est là pour ce miracle, dans la mesure où il le porte, de par sa présence. C’est le statut de prophète qu’on retrouve ici, avec le judaïsme qui ne reconnaît que Moïse et les prophètes de la Bible juive, tandis que le christianisme reconnaît en plus Jésus Christ et l’Islam y ajoute Mahomet.

Certificat de mariage juif, Italie, 1740

Cependant, qui est cet humain, de quoi témoigne-t-il ? Il faut qu’il conjugue à la fois le terrestre et le divin, puisqu’il est un intermédiaire. Pour cela, il doit représenter le temps terrestre du point de vue divin. Il doit donc témoigner de la marche de la nature, en expliquant que c’est Dieu qui est à la source de toute vie.

La nature est créée par Dieu, selon les religions, cependant elle assure également la vie : elle se rapproche donc de Dieu de par cet aspect nourricier. Par conséquent, le prophète célèbre la nature, en tant que vecteur de Dieu.

Le Coran s’explique en ces termes :

5. C’est Lui qui a fait du soleil une clarté et de la lune une lumière, et Il en a déterminé les phases afin que vous sachiez le nombre des années et le calcul (du temps). Allah n’a créé cela qu’en toute vérité. Il expose les signes pour les gens doués de savoir.
6. Dans l’alternance de la nuit et du jour, et aussi dans tout ce qu’Allah a créé dans les cieux et la terre, il y a des signes, certes, pour des gens qui craignent (Allah)
(…)
24. La vie présente est comparable à une eau que Nous faisons descendre du ciel et qui se mélange à la végétation de la terre dont se nourrissent les hommes et les bêtes. Puis lorsque la terre prend sa parure et s’embellit, et que ses habitants pensent qu’elle est à leur entière disposition, Notre Ordre lui vient, de nuit ou de jour, c’est alors que Nous la rendrons toute moissonnée, comme si elle n’avait pas été florissante la veille. Ainsi exposons-Nous les preuves pour des gens qui réfléchissent.
(…)
61. Tu ne te trouveras dans aucune situation, tu ne réciteras aucun passage du Coran, vous n’accomplirez aucun acte sans que Nous soyons témoin au moment où vous l’entreprendrez. Il n’échappe à ton seigneur ni le poids d’un atome sur terre ou dans le ciel, ni un poids plus petit ou plus grand qui ne soit déjà inscrit dans un livre évident.

Sourate 10Yunus – Jonas

C’est Dieu qui parle ici en théorie, mais en pratique c’est Mahomet, et que dit Mahomet, si ce n’est qu’il jette un regard sur la nature et qu’il y voit Dieu ? Le rythme de la nature témoignerait de Dieu.

De la même manière, lorsque Moïse fait l’éloge de la terre nouvelle que rejoignent les Hébreux, il dit la chose suivante (dans le Deutéronome ou Devarim en hébreu), expliquant que les bienfaits de la nature dans cette terre ont été sélectionnés par Dieu :

7 Car l’Eternel, ton Dieu, va te faire entrer dans un bon pays, pays de cours d’eaux, de sources et de lacs, qui jaillissent dans les vallées et dans les montagnes ;
8 pays de froment, d’orge, de vignes, de figuiers et de grenadiers ; pays d’oliviers et de miel ;
9 pays où tu mangeras du pain avec abondance, où tu ne manqueras de rien ; pays dont les pierres sont du fer, et des montagnes duquel tu tailleras l’airain.
10 Lorsque tu mangeras et te rassasieras, tu béniras l’Eternel, ton Dieu, pour le bon pays qu’il t’a donné.

Devarim, 2:7-10

Les sept espèces mentionnées jouent une grande importance dans le judaïsme, où sont mis en parallèle le début de la saison de la moisson du blé et la réception par Moïse de la Torah sur le Mont Sinaï, lors de l’importante fête appelée Chavouot.

Jésus Christ, pareillement, parle de la nature comme réalité divine apportant la vie. Ce qu’il dit au moment de la Cène (le dernier repas de Jésus avec les douze Apôtres le soir avant sa crucifixion) est très connu, mais le prolongement lui-même de cela traite de la nature. Matthieu dit ainsi :

26 Pendant le repas, Jésus prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit ; puis, le donnant aux disciples, il dit : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. »
27 Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna en disant : « Buvez-en tous,
28 car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude, pour le pardon des péchés.
29 Je vous le déclare : je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, avec vous dans le Royaume de mon Père. »
30 Après avoir chanté les psaumes, ils sortirent pour aller au mont des Oliviers.
31 Alors Jésus leur dit : « Cette nuit même, vous allez tous tomber à cause de moi. Il est écrit, en effet : Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées.

Matthieu26:26-31

Moïse, Jésus et Mahomet ont systématiquement un regard précis sur la nature comme lieu de l’abondance, permis par l’éternité divine.

C’est là un élément clef : Moïse, Jésus et Mahomet posent un temps éternel, dans un espace terrestre où Dieu est tout puissant en contrôlant le temps – les miracles ne sont pas des choses merveilleuses mais des phénomènes « bloqués ». Ces phénomènes appartiennent à la nature et systématiquement Dieu est accolé à celle-ci présentée comme source matérielle de la vie.

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Moïse, Jésus, Mahomet: la question du miracle

Tant que Moïse, Jésus et Mahomet parlait de Dieu, ils pouvaient faire référence à l’éternité. Le problème est tout à fait différent si l’on se place sur le plan spatial. L’équivalent de l’éternité est l’infini. Or, si un humain peut dire que quelque chose a existé avant lui et existera après lui, le problème est tout autre avec l’espace, puisque là il est obligé non pas de parler, mais de montrer l’infini.

C’est ici très précisément ce que font les « super-héros », parce que leurs réserves d’énergie semblent inépuisables, infinis : Superman n’est jamais fatigué, l’homme-élastique conserve sa plasticité, etc.

C’est ici également qu’intervient, on l’aura deviné, la notion de miracle. Si Dieu est éternel et est au-delà du temps, alors sur le plan spatial il est infini et donc tout puissant.

Icone grecque, autour de 1450

Mais dans quel domaine le miracle peut-il se réaliser ? Il n’y en a qu’un : c’est dans la nature.

La raison est très simple. En fait, si Dieu existe réellement, alors il fait apparaître des choses à partir de rien, de la même manière qu’il est censé avoir créé le monde. Mais le monde est dans le temps, et rien de ce qui est dans le monde ne peut échapper au temps.

Tout est figé dans un temps périssable. Or, rien de ce qui relève de Dieu n’est périssable. S’il faisait intervenir par exemple un monstre pour détruire des armées égyptiennes traquant les Hébreux, ce monstre devrait avoir des qualités divines.

Cela n’est pas possible, déjà parce que la création a déjà été réalisée au départ, et ensuite bien entendu parce que si Dieu n’existe pas, ces apparitions de « monstres » ne sont pas crédibles du tout, ne faisant pas partie d’un horizon mental et culturel cohérent pour les humains. A cela s’ajoute naturellement que créé par Dieu, il relèverait du divin et co-existerait à côté de Dieu avec des propriétés divines, ce qui ne saurait être dans le monothéisme strict.

Dieu n’intervient alors pas dans les choses soumises au temps, mais au-delà de cela. Cela signifie agit dans le temps lui-même.

Cela signifie bloquer le temps, comme par exemple lorsque Jésus marche sur l’eau. Il devrait couler, mais sa chute est « bloquée » ; voici comment Matthieu raconte cela :

22 Aussitôt Jésus obligea les disciples à remonter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules.
23 Et, après avoir renvoyé les foules, il monta dans la montagne pour prier à l’écart. Le soir venu, il était là, seul.
24 La barque se trouvait déjà à plusieurs centaines de mètres de la terre ; elle était battue par les vagues, le vent étant contraire.
25 Vers la fin de la nuit, il vint vers eux en marchant sur la mer.
26 En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent affolés : « C’est un fantôme », disaient-ils, et, de peur, ils poussèrent des cris.
27 Mais aussitôt, Jésus leur parla : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ! »
28 S’adressant à lui, Pierre lui dit : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » –
29 « Viens », dit-il. Et Pierre, descendu de la barque, marcha sur les eaux et alla vers Jésus.
30 Mais, en voyant le vent, il eut peur et, commençant à couler, il s’écria : « Seigneur, sauve-moi ! »
31 Aussitôt, Jésus, tendant la main, le saisit en lui disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »
32 Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba.
33 Ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui et lui dirent : « Vraiment, tu es Fils de Dieu ! »

Matthieu, 3:22-32

Dieu ne peut pas que bloquer le temps, il peut l’inverser – et là on rapproche évidemment le miracle de phénomènes naturels. C’est précisément la substance de la mer rouge qui s’ouvre en deux.

La mer s’ouvre et se ferme, et Dieu ne fait pas apparaître quelque chose en plus : il modifie le rythme de la nature lui-même, il l’inverse. C’est l’irruption de l’infini, mais dans le temps propre à l’espace. Voici ce qu’on lit dans le chapitre 14 de la Bible juive :

9 Les Égyptiens qui les poursuivaient les rencontrèrent, campés sur le rivage; tous les attelages de Pharaon, ses cavaliers, son armée, les joignirent près de Pi-Hahiroth, devant Baal-Cefôn.
10 Comme Pharaon approchait, les enfants d’Israël levèrent les yeux et voici que l’Égyptien était à leur poursuite; remplis d’effroi, les Israélites jetèrent des cris vers l’Éternel.
11 Et ils dirent à Moïse: « Est-ce faute de trouver des sépulcres en Égypte que tu nous as conduits mourir dans le désert? Quel bien nous as-tu fait, en nous tirant de l’Égypte?
12 N’est-ce pas ainsi que nous te parlions en Égypte, disant: ‘Laisse-nous servir les Égyptiens?’ De fait, mieux valait pour nous être esclaves des Égyptiens, que de périr dans le désert. »
13 Moïse répondit au peuple: « Soyez sans crainte! Attendez, et vous serez témoins de l’assistance que l’Éternel vous procurera en ce jour! Certes, si vous avez vu les Égyptiens aujourd’hui, vous ne les reverrez plus jamais.
14 L’Éternel combattra pour vous; et vous, tenez-vous tranquilles ! »
15 L’Éternel dit à Moïse: « Pourquoi m’implores-tu? Ordonne aux enfants d’Israël de se mettre en marche.
16 Et toi, lève ta verge, dirige ta main vers la mer et divise la; et les enfants d’Israël entreront au milieu de la mer à pied sec. »
(…)
21 Moïse étendit sa main sur la mer et l’Éternel fit reculer la mer, toute la nuit, par un vent d’est impétueux et il mit la mer à sec et les eaux furent divisées.
22 Les enfants d’Israël entrèrent au milieu de la mer, dans son lit desséché, les eaux se dressant en muraille à leur droite et à leur gauche.
23 Les Égyptiens les poursuivirent et tous les chevaux de Pharaon, ses chariots, ses cavaliers, entrèrent à leur suite au milieu de la mer.
24 Or, à la dernière veille, l’Éternel fit peser sur l’armée égyptienne une colonne de feu et une nuée et jeta la perturbation dans l’armée égyptienne
25 et il détacha les roues de ses chars, les faisant ainsi avancer pesamment. Alors l’Égyptien s’écria: « Fuyons devant Israël, car l’Éternel combat pour eux contre l’Égypte ! »
26 Le Seigneur dit à Moïse: « Étends ta main sur la mer et les eaux rebrousseront sur l’Égyptien, sur ses chars et sur ses cavaliers. »
27 Moïse étendit sa main sur la mer et la mer, aux approches du matin, reprit son niveau comme les Égyptiens s’élançaient en avant; et le Seigneur précipita les Égyptiens au sein de la mer.
28 Les eaux, en refluant, submergèrent chariots, cavalerie, toute l’armée de Pharaon qui était entrée à leur suite dans la mer; pas un d’entre eux n’échappa.
29 Pour les enfants d’Israël, ils s’étaient avancés à pied sec au milieu de la mer, ayant les eaux, comme un mur, à leur droite et à leur gauche.
30 L’Éternel, en ce jour, sauva Israël de la main de l’Égypte ; Israël vit l’Égyptien gisant sur le rivage de la mer.
31 Israël reconnut alors la haute puissance que le Seigneur avait déployée sur l’Égypte et le peuple révéra le Seigneur; et ils eurent foi en l’Éternel et en Moïse, son serviteur.

Exode, 14:9-22

Mahomet, de son côté, n’a pas réalisé de miracles, même si la tradition musulmane, composée de « hadiths » consistant en des compte-rendus, lui attribue d’avoir fendu la lune en deux, d’avoir multiplié de l’eau et de la nourriture, etc.

On n’a pas cela dans le Coran, pour une raison très simple : c’est le Coran lui-même qui est présenté comme le miracle final. Et naturellement, il est présenté comme ayant toujours existé de toute éternité, comme parole éternelle de Dieu, et comme se réalisant matériellement sous la forme d’un livre, dans l’espace humain.

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Moïse, Jésus, Mahomet: le temps humain face à l’éternité

Il existe de très nombreuses manières de lire les récits concernant la vie de Jésus fait par les apôtres (les Évangiles ou Nouveau Testament), tout comme le Coran ou encore les écrits de la Bible juive (appelée Tanakh en hébreu et correspondant en partie à ce qui est appelé Ancien Testament par les chrétiens).

Habituellement, deux approches se présentent, se contredisant : la première admet que les textes ont ici une dimension sacrée, divine, relevant de ce qui est révélé par une entité parfaite, omnisciente, omnipotente (résumée sous le concept de Dieu).

Quant à la seconde, elle considère que ces textes sont une retranscription historique d’événements uniquement humains, avec des ajouts surnaturels propre aux superstitions de l’époque dans un endroit donné.

Dans les deux cas, on perd la substance de l’œuvre. Si une œuvre a atteint un tel niveau de culture, de civilisation, c’est qu’elle porte en elle quelque chose de très fort. Regarder ailleurs que dans elle – dans l’histoire de faits déconnectés dont on sait peu de choses ou dans la religion – c’est perdre de vue cette substance, qui consiste en une vision du monde.

Le Taj Mahal (la couronne du palais)

Qu’est-ce qu’une vision du monde ? C’est une manière d’appréhender l’espace et le temps. Si l’on veut comprendre Moïse, Jésus et Mahomet, alors il faut regarder quelle est leur conception de l’espace et du temps.

La dynamique commune à ces figures historiques est qu’elles revendiquent une certaine vision du temps, qu’elles opposent au temps dans lequel vivent les humains.

Prenons un exemple avec une sourate – ces « chapitres » du Coran – consacrée au temps. Elle est extrêmement brève ; on y lit :

« Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.

1 Par le Temps !
2 L’homme est certes, en perdition,
3 sauf ceux qui croient et accomplissent les bonnes œuvres, s’enjoignent mutuellement la vérité et s’enjoignent mutuellement l’endurance. »
(Sourate 103 – Al-Asr – le temps)

On a ici une allégorie du temps, présentée comme une entité générale, à laquelle on se réfère. Et en se référant au temps, le Coran, c’est-à-dire Dieu, explique que l’humain est en perdition, forcément puisqu’il meurt un jour. Cependant, il y a un ajout : certains vont échapper au temps.

On a la même chose dans le Nouveau Testament, de manière très précise. Voici ce que Jésus explique, tel que raconté par l’apôtre Luc (10:25-28) :

« 25 Un docteur de la loi se leva, et dit à Jésus, pour l’éprouver : Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ?
26 Jésus lui dit : Qu’est-il écrit dans la loi ? Qu’y lis-tu ?
27 Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée ; et ton prochain comme toi-même.
28 Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela, et tu vivras… »

Il faut noter que dans les deux cas, il y a la dimension communautaire qui est précisée : il faut s’enjoindre mutuellement la vérité et l’endurance est-il dit dans le Coran, et c’est bien le sens de ce que Jésus veut dire quand il dit d’aimer son prochain comme soi-même.

Il ne s’agit pas d’amour abstrait, mais d’une affirmation d’un dénominateur commun aux humains, qui ne peuvent s’en sortir qu’en s’admettant mutuellement les uns les autres, en s’unissant face à l’ennemi qu’est le temps.

C’est très exactement comment l’épisode du buisson ardent avec Moïse présente l’intervention divine (Exode 3:13-15) :

«13 Moïse répondit à Dieu : « J’irai donc trouver les fils d’Israël, et je leur dirai : “Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous.” Ils vont me demander quel est son nom ; que leur répondrai-je ? »

14 Dieu dit à Moïse : « Je suis qui je suis. Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : “Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : JE-SUIS”. »

15 Dieu dit encore à Moïse : « Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : “Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est LE SEIGNEUR (YHWH), le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob”. C’est là mon nom pour toujours, c’est par lui que vous ferez mémoire de moi, d’âge en d’âge. »

Ainsi, la communauté à laquelle appartient Moïse connaît une intervention à partir du temps lui-même, sous la forme de l’éternité.

Cela signifie, évidemment, la vie éternelle qui se profile ; voici comment le judaïsme présente cela, avec la même substance, dans le livre de Daniel, écrit un peu après 200 avant notre ère :

«1 En ce temps-là, Mikhaël, le prince supérieur, qui a mission de protéger les enfants de ton peuple, sera à son poste ; et ce sera un temps de détresse tel qu’on n’en aura pas vu depuis qu’existent des nations jusque-là. En ce temps-là, la délivrance viendra pour ton peuple, pour tous ceux qui se trouvent inscrits dans le livre.

2 Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière du sol se réveilleront, les uns pour une vie éternelle, les autres pour être un objet d’ignominie et d’horreur éternelle.

3 Les sages resplendiront comme l’éclat du firmament, et ceux qui auront dirigé la multitude dans le droit chemin comme les étoiles, à tout jamais.»
(Hagiographes, Daniel : 12:1-3)

Que ce soit dans le judaïsme, le christianisme ou l’Islam, on a le temps qui est présenté comme l’ennemi, alors que Dieu lui fait face, comme base pour l’éternité. Il y a ici un aspect essentiel, et tout à fait connu.

Ce qu’on appelle historiquement falasifa – les philosophes, c’est-à-dire les disciples arabo-persans d’Aristote – ont bataillé contre la conception religieuse du temps, et finalement contre les religions elles-mêmes.

Seulement, si l’on veut comprendre la vision du monde de Moïse, Jésus et Mahomet comme figures historiques et sans les intégrer abstraitement aux religions qu’ils ont fondé, alors il faut comprendre comment ils conçoivent l’espace.

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Aristote et les topiques comme compilation re-disant le compilateur

Dans les Topiques, Aristote présente les champs, la méthode pour les distinguer, ne pas les confondre, bien les définir, etc. En voici un exemple :

« Par exemple, que c’est la même [chose] la sérénité dans la mer et la tranquillité dans l’air, car chacune est un calme; de même le point dans la ligne et l’unité dans le nombre, car chacun est principe.

Par conséquent, c’est en produisant à titre de genre ce qu’il y a de commun à tous [les cas semblables] qu’il fera figure d’endoxe [=opinion certaine devenant principe] que nous ne définissons pas étrangement. »

Aristote multiplie les conseils, tel :

« Il est évident aussi qu’on définit mieux par les choses antérieures et plus connues; de sorte que les deux définitions s’appliqueraient à la même chose. Mais cela ne saurait être; car chaque chose n’est uniquement que ce qu’elle est; or, s’il y a plusieurs définitions d’une même chose, il faudra que l’essence donnée dans chacune des définitions soit identique à l’essence de la chose définie.

Mais ces essences ne sont pas identiques, puisque les définitions sont diverses; donc il est évident qu’on n’a point défini, quand on n’a point défini par des choses antérieures au défini et plus connues que lui. »

Seulement voilà, une telle démarche est impossible à réaliser, du moins pour Aristote. Il faudrait ici arriver à une énorme compilation – et c’est d’ailleurs le but d’Aristote, car il sait que l’intellect agent est le grand compilateur et que par conséquent la science a comme but de re-dire tout ce qu’il formule lui-même comme principes premiers.

L’entreprise est cohérente, mais les Topiques apparaissent de ce fait comme des remarques intéressantes et ininterrompues, dont on ne finit par ne plus se sortir. Dans l’édition des Topiques de 1967, par la société d’édition Les Belles Lettres, des Topiques, on lit ainsi dès le début de l’introduction :

« Ce n’est assurément pas sur les Topiques que repose aujourd’hui la gloire d’Aristote. Comme philosophe et comme logicien, il a d’autres titres à notre admiration que ce livre qu’on ne lit plus beaucoup, et qu’on éprouve peu de remords à ne pas lire.

Des six traités que les éditeurs anciens de son œuvre ont réunis sous le nom collectif d’Organon, parce qu’ils intéressaient tous la logique, du moins à leurs yeux, et parce que la tradition aristotélicienne tenait cette discipline pour l’instrument de la science, plutôt que pour une science proprement dite, les Topiques sont certainement le plus long, et probablement le plus facile ; mais ils ne sont ni le plus génial, ni le plus stimulant, ni le plus fécond, ni même le plus lisible (…).

Aux yeux d’un lecteur moderne, toutefois, il semble que l’indifférence d’Aristote à rendre son texte d’une lecture agréable atteigne dans les Topiques un degré ailleurs inégalé.

Ses autres œuvres ne sont pas moins elliptiques ni moins sèches ; mais sous l’aridité de leur forme, elles laissent presque toujours apercevoir le mouvement d’une recherche laborieuse et obstinée.

Dans leur quasi-totalité, au contraire, les Topiques offrent l’aspect décourageant d’une mosaïque d’éléments juxtaposés, indépendants les uns des autres, tous taillés, à peu de choses près, sur le même patron, alignés à la suite comme les fiches d’un interminable fichier. »

C’est là une critique à la fois juste et injuste – juste, car les Topiques sont indigestes et se perdent, mais injustes car c’est une tentative de généraliser le principe de systématisation. En ce sens, les Topiques forment un manifeste matérialiste de par sa démarche.

Aristote est un titan du matérialisme ; il marque le début de son affirmation, ouvrant la séquence poursuivie après lui par Avicenne, Averroès, Spinoza.

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Aristote et l’analyse par topique

Aristote se tourne vers le fait de parler de quelque chose. Il y a en effet différents degrés. Si on voit au loin deux formes, on peut les regrouper. Pareillement, si deux personnes sont assises, on peut les regrouper, là encore, car ils ont tous les deux la même la chose « en propre » même si c’est relativement seulement, car à un moment ils ne seront plus assis. Ces regroupements se font numériquement.

Si un chien et un être humain sont ensemble, on peut les regrouper aussi, comme animaux. On fait alors une attribution qui procède génériquement. Enfin, si on deux êtres humains, comme un être humain est un être humain, on les regroupe tous deux, spécifiquement.

On a donc à la fois :

– la définition, le propre, le genre, l’accident ;

– les attributions numérique, générique, spécifique.

Aristote ajoute les particularités des attributions. Il y en a dix :

« Ce que [la chose] est, en quelle quantité, de quelle qualité, en relation à quoi, où, quand, [qu’elle] est disposée, a, fait, subit. »

Or, Aristote passe par le principe de l’endoxe, ce qui semble juste au moyen d’une accumulation de données établissant un principe passé au niveau qualitatif. Il nous dit alors qu’il faut utiliser une proposition dialectique, relevant non pas du paradoxe, mais précisément de ce qui semble vrai en tant que tel.

Il définit celle-ci ainsi :

« Une proposition dialectique, c’est une demande endoxale pour tous, pour la plupart ou pour les sages et, chez ceux-ci, pour tous, pour la plupart ou pour les plus connus. »

Voici un exemple de proposition endoxale, avec un raisonnement sur comment on peut la modifier pour élargir son champ d’action :

« S'[il est] endoxal, en effet, qu’il faut faire du bien à ses amis, [il sera] endoxal aussi qu’il ne faut pas [leur] faire de mal; le contraire, c’est qu’il faut faire du mal à ses amis et ce qui contredit cela, c’est qu’il ne faut pas [leur] faire de mal.

Semblablement encore, s’il faut faire du bien à ses amis, il ne le faut pas à ses ennemis. Cela aussi contredit le contraire. En effet, le contraire, c’est qu’il faut faire du bien à ses ennemis. »

Parant de là, on procède soit par induction – en systématisant et en généralisant – soit au moyen de raisonnements. Pour ces deniers, il y a quatre manières différentes de les mettre en place :

« Quant aux instruments grâce auxquels nous abonderons en raisonnements, il y en a quatre : l’un consiste à obtenir des propositions; le second, c’est de pouvoir distinguer en combien de manières chaque [chose] se dit; le troisième, c’est de découvrir les différences et le quatrième, c’est l’investigation du semblable. »

Somme toute, tout revient d’ailleurs à faire des propositions et Aristote nous dit au sujet de celles-ci :

« Certaines propositions sont morales, d’autres naturelles, d’autres rationnelles. »

Tout est une question de circonscrire le thème et de formuler la proposition adéquatement. Voici un exemple :

« Par exemple, [on ne doit] pas seulement [relever] que la justice et le courage, d’une part, et le revigorant et le sain, d’autre part, se disent bons d’une façon différente, mais aussi que les premiers c’est du fait d’être en eux-mêmes de quelque qualité, tandis que les autres c’est du fait de produire une chose [de quelque qualité] et non du fait d’être en eux-mêmes de [cette] qualité (…).

[Investiguer] en outre, si tantôt il existe un contraire de la [chose] et tantôt absolument aucun.

Par exemple, du plaisir qui vient de boire, le contraire c’est la peine qui vient de la soif, mais du plaisir qui vient de considérer que le diamètre n’est en rien commensurable au côté, il n’en existe aucun.

En conséquence, le plaisir se dit de plusieurs manières. De même, haïr est le contraire d’aimer de cœur, mais d’aimer de corps il n’en existe aucun. »

On a ainsi une analyse par topique, c’est-à-dire par endroit, ou si l’on préfère par champ. Il ne faut pas que celui-ci soit trop élargi ; chaque champ d’observation exige son approche spécifique, tout en cherchant à généraliser la proposition.

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Aristote et la quête des « endoxes »

Les topiques sont le cinquième ouvrage de l’Organon. Topiques est le pluriel de topique et ce dernier mot est la retranscription française du terme grec Topoï, qui signifie « lieu ». Aristote va en effet s’évertuer à présenter des exemples de ce qu’on obtient par induction, c’est-à-dire des idées qu’on considère comme des principes premiers en ayant accumulé des données quantitativement, jusqu’à un saut qualitatif.

Le souci qu’il a, bien entendu, c’est de distinguer ces principes premiers des opinions. Le terme qu’il emploie est d’ailleurs celui d’endoxe, qui a comme racine le mot doxa, l’opinion commune. Par endoxe, on entend une idée faisant consensus, qu’on admet par principe, de manière pour ainsi dire naturelle.

Le tout début des Topiques consiste ainsi en cette affirmation :

« Le propos de notre travail [sera de] découvrir une méthode grâce à laquelle d’abord nous pourrons raisonner [à partir] d’endoxes sur tout problème proposé; [grâce à laquelle] aussi, au moment de soutenir nous-mêmes une raison, nous ne dirons rien de contraire. »

Aristote présente également de la manière suivante l’intérêt des Topiques :

« Il sert à trois [utilités] : à l’exercice, aux entretiens et aux sciences de caractère philosophique. »

Comment procéder ? Pour Aristote, il y a un fondement à tout discours scientifique, consistant en des problèmes et des propositions. Ce fondement repose sur quatre bases :

– la définition,

– le propre,

– le genre,

– l’accident.

Par définition, on entend une « raison, celle qui signifie ce que [la chose] est au juste ». On retrouve ici le principe de la substance et c’est bien entendu le point le plus délicat.

Le propre, c’est ce qui relève de la chose, et de pas autre chose. Une contre-attribution à la chose elle seule doit être possible ; Aristote donne ici un exemple :

« C’est le propre de l’homme d’être susceptible de lire et d’écrire. En effet, si on est un homme, on est susceptible de lire et d’écrire, et si on est susceptible de lire et d’écrire, on est un homme. »

Cela ne marche pas pour dormir, car qui dort n’est pas nécessairement un être humain.

Avec le principe du genre, on retrouve le principe de catégorisation établi par Aristote. Il y a des éléments en commun, qu’on peut rassembler. En l’occurrence, le genre de l’être humain, c’est l’animal.

L’accident, enfin, c’est qui relève justement de l’accident, c’est-à-dire ni de la définition, ni du propre, ni du genre. La couleur blanche est un accident pour l’être humain, car cela n’appartient ni à sa définition, ni son propre, ni à son genre. Il aurait pu être noir. Il n’y a aucune nécessité à cela, d’où le terme d’accident.

Il va de soi que selon les choses, les thèmes, tout cela peut s’avérer totalement différent et les nuances entre les notions peuvent être ardues à saisir. Aristote est bien d’accord avec cela et il n’y voit pas de problème. Son principe est d’avancer dans l’observation ; il sait qu’une méthode unique serait difficile à trouver, « obscure » et même inutile.

Il s’agit en fait de découvrir la spécificité des choses, de les observer. Puis de les contempler conceptuellement, conformément au matérialisme d’alors.

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