L’organisation du monde selon le Coran : le monothéisme

Le Dieu du Coran est interventionniste. Il n’est pas seulement le Dieu créateur de l’univers – bien qu’il le soit aussi, comme dans tous les monothéismes. Il est également le Dieu qui porte le mouvement du monde, du moins dans ses traits fondamentaux et là on rejoint clairement la vision polythéiste-animiste du monde.

Le polythéisme animiste a, effectivement, une obsession : l’équilibre d’un monde en mouvement, la quête de stabilité. Dans le monothéisme, par contre, le monde est posé, tout est stabilisé par le monothéisme.

La Genèse du judaïsme et du christianisme permet, chez les Juifs et les chrétiens, de placer la naissance du monde bien avant soi, et de prendre le monde tel quel. Ce monde tourne d’ailleurs de lui-même ; Dieu est partout, mais il n’est également nulle part.

Le judaïsme est ici bien moins avancé que le christianisme, car ses rites sont encore très clairement liés aux différents épisodes de l’année, telles les récoltes. Dans le christianisme la liaison avec les phénomènes terrestres est tendanciellement coupée.

Le christianisme a réussi la coupure en faisant descendre Dieu sur Terre ; une fois cela fait, l’humanité devient le Dieu réel de la planète, du moins se l’imagine-t-elle ; auparavant il était un participant d’une réalité instable.

L’Islam se veut dans une même perspective, il se définit comme le vrai prolongement du judaïsme et du christianisme, qui auraient été modifiés de manière impropre. Mais de manière notable, le Coran est de son côté particulièrement lyrique quant à l’univers.

Miniature persane montrant Mahomet arrivant à La Mecque, 16e siècle

Mahomet insiste de manière à la fois marquée et lyrique sur l’organisation du monde et l’émerveillement qu’il faut éprouver. C’est tellement vrai que même Dieu, chose absurde, souligne la solennité qu’il y a à ce qu’il jure sur l’agencement des étoiles. C’est là une synthèse forcée entre un Dieu suprême et le polythéisme monothéiste.

On a, dans les faits, avec Mahomet, un caravanier qui s’extasie et une telle extase est absolument typique de l’animisme. Le monothéisme est normalement sec, par contre ; il ne considère pas que les choses « vibrent ». Chez Mahomet, le monothéisme musulman conserve la « charge » polythéiste animiste – d’où les vagues de conversions massives dans de nombreuses zones polythéistes animistes, notamment en Inde, en Indonésie, en Afrique.

Mahomet est ainsi un monothéiste qui, à l’instar du polythéisme animiste, regarde le cheminement des étoiles, donne un sens au mouvement du vent, observe avec attention le mouvement des nuages.

« Portrait » de Mahomet, Histoire générale de la religion des Turcs du Français Michel Baudier, 1625

Pour formuler la chose scientifiquement, il faut dire les choses de la manière suivante : la quantité et la qualité se disposent différemment dans le polythéisme animiste et le monothéisme.

Dans le polythéisme animiste, la tension est permanente, on porte de l’attention à tout, la qualité est dans la quantité, on est dans l’obsession, dans l’anxiété.

Dans le monothéisme, la tension est étalée, on ne porte son attention que sur un Dieu lointain, la quantité est dans la qualité ; on est dans l’angoisse.

Mahomet s’évertue à combiner les deux formes, à exprimer un monothéisme, dont la base est polythéiste-animiste. Tout « parle ». Dans la sourate « L’Agenouillée », on lit au début :

1. Ha, Mim.

2 La révélation du Livre émane d’Allah, le Puissant, le Sage.

3 Il y a certes dans les cieux et la terre des preuves pour les croyants.

4 Et dans votre propre création, et dans ce qu’Il dissémine comme animaux, il y a des signes pour des gens qui croient avec certitude.

5 De même dans l’alternance de la nuit et du jour, et dans ce qu’Allah fait descendre du ciel comme subsistance [pluie] par laquelle Il redonne la vie à la terre une fois morte, et dans la distribution des vents, il y a des signes pour des gens qui raisonnent.

Le monothéisme supprime les signes, même s’il n’a jamais réussi à entièrement le faire, cherchant néanmoins au moins à les limiter, à leur donner une valeur uniquement visible et compréhensive par les prophètes, les Saints ou le clergé.

Le polythéisme animiste vit par contre dans le culte des signes. L’univers étant en mouvement permanent, tout est signe, tout le temps et partout. L’affrontement entre l’équilibre et le déséquilibre est ininterrompu, d’où la nécessité de célébrer tel ou tel dieu, de pratiquer des sacrifices afin de pousser les choses dans une direction ou dans une autre.

Mahomet attribue tous les signes à un seul Dieu. Toutefois, il accorde une valeur à ces signes exactement comme dans le polythéisme animiste. Dans le Coran, on a la même visibilité, le même type de monde où les signes sont partout, tout le temps et témoignent de la « vie » interne de l’univers. D’ailleurs, chaque scansion du Coran, que l’on appelle improprement « verset » en français, constitue selon la langue arabe du Coran un Aya c’est-à-dire un signe. Le Coran est en fait en tant que tel, une succession de signes compilés les uns à la suite des autres.

D’où une nécessité fondamentale pour le Coran : mettre en avant un Dieu qui surveille et punit, tout le temps. Ce n’est pas un Dieu jaloux regardant de loin comme dans le judaïsme ou un Dieu absent dont la présence se fait par un « Fils » qui l’incarne sur Terre comme dans le christianisme.

Le Dieu du Coran est un dieu polythéiste-animiste qui assume le rôle du Dieu monothéiste, il est particulièrement présent, afin de surveiller la perpétuation du « dépôt », comme le formule la sourate Les coalisés dans un verset capital pour saisir l’essence de l’Islam :

72. Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de porter les charges de faire le bien et d’éviter le mal). Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé ; car il est très injuste [envers lui-même] et très ignorant.

73. [Il en est ainsi] afin qu’Allah châtie les hypocrites, hommes et femmes, et les associateurs et les associatrices, et Allah accueille le repentir des croyants et des croyantes. Allah est Pardonneur et Miséricordieux.

Cette conception d’un « dépôt » est essentielle ; elle correspond à une exigence qui est celle de l’animisme polythéiste, car il s’agit de « maintenir » l’ordre cosmique. Dans le monothéisme développé, l’ordre est posé ; dans le Coran, il est de type animiste-polythéiste, mais supervisé par un Dieu unique qui distribue bons et mauvais points.

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L’obsession du Coran pour les ténèbres et la lumière

Les premiers humains vivaient dans des conditions très difficiles ; sortis de l’état de nature, ils affrontaient la faim, la soif, le froid. Leurs carences étaient inévitablement immenses, alors que l’agriculture et la domestication ne s’étaient pas suffisamment développées et leur cerveau en développement ressentait les chocs de la vie courante avec une immense amplitude.

Les délires provoqués par les carences étaient interprétés comme une attaque du « mal », des forces de l’obscurité, tout comme l’utilisation de drogues naturelles devait permettre de ressentir au maximum la joie, la lumière apportant la visibilité et la chaleur.

Toutes les religions primitives insistent pour cette raison sur l’opposition entre l’obscurité et la lumière, la mort et la vie, deux forces allant ensemble et en lutte ininterrompue.

Le Coran s’appuie sur le même schéma, très exactement ; il est parsemé d’opposition entre la lumière et l’obscurité. Les versets les plus représentatifs se trouvent dans la sourate Le Créateur :

19 L’aveugle et celui qui voit ne sont pas semblables,

20 ni les ténèbres et la lumière,

21 ni l’ombre et la chaleur ardente.

Néanmoins, on retrouve l’insistance sur le conflit obscurité-lumière dans toute l’œuvre ; voici des titres de sourates exprimant la perspective de Mahomet sur ce plan : « La caverne », « Les lumières », « L’étoile », « La lune », « Les constellations », « L’astre du soir », « L’aube », « Le soleil », « La nuit », « La clarté du jour », « L’aube naissante ».

Cette dernière sourate est très courte et parfaitement représentative :

1 Dis : « Je cherche protection auprès du Seigneur de l’aube naissante,

2 contre le mal des êtres qu’Il a créés,

3 contre le mal de l’obscurité quand elle s’approfondit,

4 contre le mal de celles qui soufflent [les sorcières] sur les nœuds,

5 et contre le mal de l’envieux quand il envie. »

L’approche est littéralement polythéiste-animiste. Il faut de l’aide pour ne pas être happé par l’obscurité, c’est-à-dire au sens le plus large toute la souffrance qu’a éprouvé l’humanité au début de son existence, alors qu’elle n’avait pas encore réussi à trouver les moyens de transformer suffisamment la réalité au moyen du travail.

On parle ici d’une période terriblement longue, où l’être humain n’est plus un animal, sans disposer pour autant de moyens de satisfaire à ses besoins. En fait, cette période ne cessera au sens strict qu’avec le communisme.

Mahomet formule une religion qui date, sur le plan idéologique, du mode de production féodal, sauf que lui-même vit au sein d’une mode de production esclavagiste, et encore, peu développé. C’est la contradiction au cœur de l’Islam.

D’où son discours conforme au polythéisme animiste, avec une « vie » interne de l’univers qui implique un conflit ininterrompu entre l’obscurité et la lumière.

Mahomet recevant le Coran de Gabriel vu par l’oeuvre persane Histoire du Monde, 1307

Dans le monothéisme, on a déjà un mode de production esclavagiste avancé, mûr pour son effondrement et il n’y a plus la bataille pour la survie à travers les carences alimentaires au point d’avoir des individus délirants, des visions, etc., même si cela reste bien entendu à relativiser, car on sait comment le moyen-âge a connu des périodes de famine, d’hystérie collective, alors que de toutes façons les paysans vivaient misérablement, ce qui a totalement été oublié.

Mahomet veut le monothéisme ; il se situe dans une période donnée, mais entend vivre dans une autre période ; il valorise d’autant plus Dieu comme capable de résoudre le conflit obscurité-lumière typique des débuts de l’humanité.

On lit dans la sourate La lumière :

35. Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient de) cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat; son combustible vient d’un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. Lumière sur lumière. Allah guide vers Sa lumière qui Il veut. Allah propose aux hommes des paraboles et Allah est Omniscient.

Mahomet explique que c’est grâce à Dieu que la lumière l’emporte et s’il est capable de le faire et d’être compris, c’est bien qu’il y en a la possibilité à la base chez les Arabes alors, au moins partiellement.

Si Mahomet est en mesure de prétendre que l’alternance des jours et des nuits est ordonnée, alors les Arabes ont dépassé la période si longue où l’humanité craignait que le soleil ne revienne pas.

Ce qui a accompagné et suivi historiquement cette peur, c’est l’astronomie : les peuples anciens ayant réussi à établir une civilisation se sont précipités dans l’observation des astres et de leurs mouvements, avec un travail acharné.

De la fascination pour le soleil et la peur qu’il ne revienne pas jusqu’à l’astronomie, il y a une immense étape, puis encore une immense étape jusqu’au monothéisme.

Et Mahomet part d’un point très en arrière pour aller très en avant, là est la clef du Coran ; il joue le rôle de catalyseur historique, d’où le jeu dans le Coran sur le soleil et la lune, et les étoiles.

Le polythéisme animiste consistait en la bataille permanente – au moyen des prières, des sacrifices – pour faire revenir la lumière, pour maintenir à distance relative l’obscurité. Et Mahomet vient annoncer que Dieu, le Dieu unique, Allah, est là pour maintenir la lumière.

On lit dans la sourate Ya-Sin :

36. Louange à Celui qui a créé tous les couples de ce que la terre fait pousser, d’eux-mêmes, et de ce qu’ils ne savent pas !

37. Et une preuve pour eux est la nuit. Nous en écorchons le jour et ils sont alors dans les ténèbres.

38. et le soleil court vers un gîte qui lui est assigné ; telle est la détermination du Tout-Puissant, de l’Omniscient.

39. Et la lune, Nous lui avons déterminé des phases jusqu’à ce qu’elle devienne comme la palme vieillie.

40. Le soleil ne peut rattraper la lune, ni la nuit devancer le jour ; et chacun vogue dans une orbite.

La question n’est pas ici qu’en réalité le soleil ne trouve pas un « gîte » ou bien que la lune se rétrécisse réellement, ou encore que le soleil et la lune se courent après. Encore que cela est important, car on a ici des approches qui relèvent clairement du polythéisme animiste.

Ce qui compte ici comme aspect principal, c’est l’intérêt pour le soleil et la lune, exprimé comme inquiétude que le soleil ne revienne pas, avec Allah comme solution.

Pour en revenir à la question de l’astronomie, il y a même une sourate nommée Les constellations, c’est-à-dire les signes du zodiaque et commençant par :

1 Par le ciel aux constellations !

2 Et par le jour promis !

On est ici tellement dans un cadre polythéiste animiste que, de manière absurde, dans la sourate L’Évènement, Dieu… « jure » dans le Coran et le fait « par les positions des étoiles ».

68 Voyez-vous donc l’eau que vous buvez?

69 Est-ce vous qui l’avez fait descendre du nuage ? Ou [en] sommes Nous le descendeur?

70 Si Nous voulions, Nous la rendrions salée. Pourquoi n’êtes-vous donc pas reconnaissants?

71 Voyez-vous donc le feu que vous obtenez par frottement?

72 Est-ce vous qui avez créé son arbre ou [en] sommes Nous le Créateur?

73 Nous en avons fait un rappel (de l’Enfer), et un élément utile pour ceux qui en ont besoin.

74 Glorifie donc le nom de ton Seigneur, le Très Grand !

75 Non !.. Je jure par les positions des étoiles (dans le firmament).

76 Et c’est vraiment un serment solennel, si vous saviez.

77 Et c’est certainement un Coran noble,

78 dans un Livre bien gardé

79 que seuls les purifiés touchent ;

80 C’est une révélation de la part du Seigneur de l’Univers.

Le Dieu du Coran est là pour rattraper le monothéisme, mais il n’est pas issu d’une situation donnant naissance de manière « naturelle » au monothéisme.

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Le fond polythéiste animiste du Coran: les étoiles

L’humanité primitive célébrait les étoiles, le soleil et la lune ; outre le soleil et la lune, les étoiles sont un thème essentiel du Coran. Le début de la Sourate La royauté est exemplaire de leur valorisation.

1 Béni soit celui dans la main de qui est la royauté, et Il est Omnipotent.

2 Celui qui a créé la mort et la vie afin de vous éprouver (et de savoir) qui de vous est le meilleur en œuvre, et c’est Lui le Puissant, le Pardonneur.

3 Celui qui a créé sept cieux superposés sans que tu voies de disproportion en la création du Tout Miséricordieux. Ramène [sur elle] le regard. Y vois-tu une brèche quelconque ?

4 Puis, retourne ton regard à deux fois : le regard te reviendra humilié et frustré.

5 Nous avons effectivement embelli le ciel le plus proche avec des lampes [des étoiles] dont Nous avons fait des projectiles pour lapider les diables et Nous leur avons préparé le châtiment de la Fournaise.

Dans la sourate Les Rangées, on a pareillement les étoiles filantes comme « projectiles ».

1. Par ceux qui sont rangés en rangs.

2. Par ceux qui poussent (les nuages) avec force.

3. Par ceux qui récitent, en rappel :

4. « Votre Dieu est en vérité unique,

5. le Seigneur des cieux et de la terre et de ce qui existe entre eux et Seigneur des Levants ».

6. Nous avons décoré le ciel le plus proche d’un décor : les étoiles,

7. afin de le protéger contre tout diable rebelle.

8. Ils ne pourront être à l’écoute des dignitaires suprêmes [les Anges] ; car ils seront harcelés de tout côté,

9. et refoulés. Et ils auront un châtiment perpétuel.

10. Sauf celui qui saisit au vol quelque [information]; il est alors pourchassé par un météore transperçant. »

Les étoiles, dans le Coran, sont donc ces projectiles contre les démons et également un guide pour voyager en tant que moyen de se repérer. On a ici une séparation entre le monde invisible et le monde visible qui relève résolument du polythéisme animiste.

Dans le monothéisme, en effet, le monde est ce qu’il est ; les forces du mal sont un arrière-plan, une contre-tendance à la création, mais il n’y a pas de bataille perpétuelle entre le bien et le mal afin d’avoir le dessus au moment présent.

Avec les étoiles filantes, particulièrement visibles dans le désert, on a un phénomène marquant qui n’est pas mis de côté par le Coran comme peut le faire un monothéisme : il se voit attribuer une signification grandiose.

Cela s’associe à l’insistance de Mahomet pour dire que Dieu « règle » le monde. Il faut revenir sur cet aspect, afin de bien voir comment Mahomet enchevêtre le polythéisme animiste et le monothéisme.

Dans la sourate Les versets détaillés, il est proclamé la chose suivante ;

9 Dis: « Renierez-vous [l’existence] de celui qui a créé la terre en deux jours et Lui donnerez-vous des égaux ? Tel est le Seigneur de l’univers,

10 c’est Lui qui a fermement fixé des montagnes au-dessus d’elle, l’a bénie et lui assigna ses ressources alimentaires en quatre jours d’égale durée. [Telle est la réponse] à ceux qui t’interrogent.

11 Il S’est ensuite adressé au ciel qui était alors fumée et lui dit, ainsi qu’à la terre: « Venez tous deux, bon gré, mal gré. » Tous deux dirent: « Nous venons obéissants. »

12 Il décréta d’en faire sept cieux en deux jours et révéla à chaque ciel sa fonction. Et Nous avons décoré le ciel le plus proche de lampes [étoiles] et l’avons protégé. Tel est l’Ordre établi par le Puissant, l’Omniscient.

Dieu s’adresse à la terre et au ciel… avant qu’ils existent. Cela n’a pas de sens, et on voit bien comment le Dieu du Coran est en fait une force bien plus organisatrice que créatrice.

Si on comprend cela, alors il est facile de voir pourquoi Mahomet fait des étoiles filantes des missiles anti-démons. C’est que tout est réglé : le cours des choses, depuis les animaux jusqu’aux étoiles, en passant par l’alternance du jour et de la nuit.

S’il se déroule un événement hors-norme, c’est qu’il a une fonction hors-norme.

Et c’est là la base du Coran, qui est un incessant appel à bien se comporter, à suivre l’ordonnancement du monde par Allah. L’être humain existe ici sur le même plan que toutes les autres choses, car on est dans l’approche du polythéisme animiste.

D’où ces paroles de la sourate Le pèlerinage :

18 N’as-tu pas vu que c’est devant Allah que se prosternent tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les arbres, les animaux, ainsi que beaucoup de gens ?

Il y en a aussi beaucoup qui méritent le châtiment. Et quiconque Allah avilit n’a personne pour l’honorer, car Allah fait ce qu’il veut.

Mais pour arriver à comprendre pourquoi le Coran consiste en cet appel à se comporter adéquatement avec l’ordre divin, il faut d’abord se tourner vers l’obsession pour les ténèbres et les lumières, là encore un trait polythéiste animiste.

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Le fond polythéiste animiste du Coran: le soleil et la lune

Mahomet vit dans une société datant d’avant le monothéisme. C’est un cadre polythéiste animiste, mais lui-même connaît le christianisme, ainsi que le judaïsme, dont plusieurs courants étaient actifs dans la région. Il veut se tourner vers le monothéisme, mais le cadre arabe ne le permet pas.

Il va alors provoquer une onde de choc en formulant le monothéisme de nature féodale à travers le polythéisme animiste de type semi-esclavagiste. Pour que son entreprise réussisse, il doit toutefois conserver la dimension polythéiste animiste.

Comment repérer cela dans le Coran ? C’est simple : le polythéisme animiste parle d’un monde vivant, multiforme ; le monothéisme pose un cadre sans mouvement, avec un dieu statique.

Or, dans le Coran, on ne cesse de parler des choses comme étant en mouvement. Ce n’est pas seulement que Dieu a créé l’univers de manière ordonnée : on peut voir qu’il est en même temps dit que Dieu ramène l’ordre. Il y a ici une incohérence, due à la contradiction entre le polythéisme animiste et le monothéisme.

Ces versets de la sourate Le tonnerre sont ici exemplaires :

2 Allah est Celui qui a élevé [bien haut] les cieux sans piliers visibles. Il S’est établi [istawâ] sur le Trône et a soumis le soleil et la lune, chacun poursuivant sa course vers un terme fixé. Il règle l’Ordre [de tout] et expose en détail les signes afin que vous ayez la certitude de la rencontre de votre Seigneur.

3 Et c’est Lui qui a étendu la terre et y a placé montagnes et fleuves. Et de chaque espèce de fruits Il y établit deux éléments de couple. Il fait que la nuit couvre le jour. Voilà bien là des preuves pour des gens qui réfléchissent.

D’un côté, dans le verset 3, Dieu est le créateur. Mais dans le verset 2, Dieu est clairement celui qui met de l’ordre : il soumet le soleil et la lune, il règle l’Ordre et expose les signes qu’on est certain de trouver, ce qui implique qu’ils soient partout.

Le verset 3 relève du monothéisme, le verset 2 exprime clairement un point de vue polythéiste animiste. Normalement, dans le polythéisme animiste, le Dieu suprême n’ordonne pas le monde : il est un dieu impersonnel constituant en l’univers lui-même, univers où s’activent les dieux personnels.

Ici, Mahomet lui attribue une fonction, celle d’ordonner. Cela sonne étrangement et on a bien l’impression qu’on a un dieu personnel du polythéisme animiste qui se voit prendre une place suprême.

En fait, comme dans le judaïsme qui est un monothéisme non totalement abouti, on a la figure de Dieu comme « roi », comme grand ordonnateur. On n’a pas un Dieu absolu et total, comme le prétend l’Islam, bien au contraire : dans le Coran, on a un Dieu roi interventionniste.

Mahomet représenté sur une illustration ottomane du 17e siècle

Le thème de la soumission du soleil et de la lune n’est pas anecdotique, il est très révélateur puisque les dieux du soleil et de la lune sont traditionnellement de grande importance dans le polythéisme animiste.

Le Dieu du Coran a en fait soumis les dieux du soleil et de la lune, c’est ainsi qu’il faut le comprendre. Mais on reste paradoxalement dans le polythéisme animiste, car on a encore le soleil et la lune comme thème.

Voici un autre exemple, qu’on trouve dans la sourate Le Créateur :

13 Il fait que la nuit pénètre le jour et que le jour pénètre la nuit. Et Il a soumis le soleil et la lune. Chacun d’eux s’achemine vers un terme fixé. Tel est Allah, votre Seigneur : à Lui appartient la royauté, tandis que ceux que vous invoquez, en dehors de Lui, ne sont même pas maîtres de la pellicule d’un noyau de datte.

Un passage très connu du Coran, qu’on trouve dans la sourate La lune, concerne également la lune :

1. L’Heure approche et la lune s’est fendue.

Le miracle de la lune fendue est de grande importance dans l’Islam ; elle est censée être une preuve de la révélation faite par Mahomet. En réalité, cette insistance lunaire relève du polythéisme animiste et, d’ailleurs, le symbole de l’Islam, le croissant lunaire et l’étoile de Vénus, est un symbole qu’on trouve dans l’antiquité babylonienne et égyptienne.

Le soleil et la lune de l’Islam témoignent de l’intégration forcée du polythéisme animiste dans le monothéisme, au moyen du Coran comme synthèse naturaliste du monde.

La naissance de Mahomet vu par l’oeuvre ottomane Histoire du prophète, fin du 16e siècle

Dans la sourate Les bestiaux, on trouve d’ailleurs littéralement la preuve que le culte des étoiles, du soleil et de la lune a été remplacés par un Dieu « statique » ; c’est tellement flagrant qu’il est étrange que les commentateurs bourgeois aient raté ce qui se pose comme une évidence historique.

75 Ainsi avons-Nous montré à Ibrahim (Abraham) le royaume des cieux et de la terre, afin qu’il fût de ceux qui croient avec conviction.

76 Quand la nuit l’enveloppa, il observa une étoile, et dit: « Voilà mon Seigneur ! » Puis, lorsqu’elle disparut, il dit: « Je n’aime pas les choses qui disparaissent. »

77 Lorsqu’ensuite il observa la lune se levant, il dit: « Voilà mon Seigneur ! » Puis, lorsqu’elle disparut, il dit: « Si mon Seigneur ne me guide pas, je serai certes du nombre des gens égarés. »

78 Lorsqu’ensuite il observa le soleil levant, il dit: « Voilà mon Seigneur ! Celui-ci est plus grand » Puis lorsque le soleil disparut, il dit: « Ô mon peuple, je désavoue tout ce que vous associez à Allah.

79 Je tourne mon visage exclusivement vers Celui qui a créé (à partir du néant) les cieux et la terre; et je ne suis point de ceux qui Lui donnent des associés. »

Dans la même sourate, on lit par ailleurs un peu plus loin :

95 C’est Allah qui fait fendre la graine et le noyau : du mort il fait sortir le vivant, et du vivant, il fait sortir le mort. Tel est Allah. Comment donc vous laissez-vous détourner ?

96 Fendeur de l’aube, Il a fait de la nuit une phase de repos ; le soleil et la lune pour mesurer le temps. Voilà l’ordre conçu par le Puissant, l’Omniscient.

97 Et c’est Lui qui vous a assigné les étoiles, pour que, par elles, vous vous guidiez dans les ténèbres de la terre et de la mer. Certes, Nous exposons les preuves pour ceux qui savent !

Cette réduction des étoiles à un moyen de se guider reflète la position primitive du caravanier, cependant c’est aussi une manière de masquer, comme pour le soleil et la lune, le caractère polythéiste-animiste du thème des étoiles, également omniprésent dans le Coran.

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Mahomet et le Coran: un rattrapage tendant au féodalisme

Les modes de production ne sont pas séparés par une muraille de Chine ; l’Histoire avance par couches contradictoires, où tout s’entremêle, même s’il y a une tendance principale. Dans le cheminement inégal de l’Histoire, on a un bédouin qui s’est retrouvé à l’intersection de plusieurs de ces couches.

Vivant parmi les clans, dans un environnement esclavagiste peu développé et tourné vers le commerce régional, Mahomet a été frappé par la vague monothéiste qui a suivi l’émergence du christianisme.

Il a vécu en lui une contradiction : il a voulu un Dieu unique, mais ce qui l’entourait relevait de l’animisme polythéiste et il n’y avait pas de force unificatrice capable de transcender les divisions pour porter une certaine unité.

C’est là où son rêve de Dieu unique s’est confondu avec le regroupement des tribus arabes. Une idéologie extérieure s’alignait sur une situation interne – en contrecoup les Arabes passaient d’un esclavagisme arriéré au féodalisme, qu’il fallait par contre alimenter à coups de conquêtes.

Le développement inégal produisait avec Mahomet une nouvelle couche s’intercalant entre les autres couches historiques.

Page du Coran en script maghribi, 13e ou 14e siècle

C’est pourquoi Mahomet et le Coran semblent sortir de nulle part, et son peuple, les Arabes, semblent pareillement faire une irruption subite, inattendue, victorieuse qui plus est. En quelques siècles, l’Islam acquiert un prestige immense et les Arabes passent au cœur d’une civilisation à cheval sur trois continents : l’Europe, l’Afrique, l’Asie.

Ce qui semble mystérieux possède en réalité une nature qualitative de grande envergure. Mahomet a fait un pari humain incroyable, et il l’a réussi. Voici quelle a été son entreprise. L’époque où il vit est celle où les Arabes vivent en clans de manière arriérée. Leur religion est un polythéisme animiste, où chaque clan a son dieu de prédilection, les dieux s’empilant à La Mecque.

On est ici dans un cadre patriarcal traditionnel, nécessairement semi-esclavagiste mais où tout est éparpillé, divisé, sans unité. Dans l’Islam, on appelle jahiliyya, « l’époque de l’ignorance », cette période précédant Mahomet.

Cependant, la clef est précisément à ce niveau. Il ne faut pas croire que Mahomet ait rompu avec la période précédente, pour apporter une nouvelle loi. En réalité, il est une figure historique du plus haut niveau, car il combine justement le polythéisme animiste avec le monothéisme, en faisant en sorte de « sauter » toutes les étapes intermédiaires.

C’est de là que vient la charge incroyable de l’Islam. Quand on lit le Coran, on est frappé de l’incohérence continue qu’on y trouve. Il y a une célébration des étoiles et en même temps un appel à l’unicité divine la plus complète. Il y a des avertissements ininterrompus et violents sur les châtiments de l’enfer et en même temps une véritable poésie naturaliste.

Toute la contradiction interne de l’Islam se trouve justement dans la figure de Mahomet, d’où son immense prestige. Il a assumé la dimension polythéiste animiste pré-islamique et, sans la supprimer ni la dépasser, l’a intégré dans le monothéisme.

Coran écrit en Kufi doré sur du vélin teint à l’indigo, 10e siècle

Il n’y avait qu’un seul moyen pour cela : prétendre compiler l’univers entier dans un livre, dont les formules seraient non seulement de Dieu, mais coexistantes à Dieu de toute éternité. Le Coran est inséparable de Dieu, et Dieu du Coran.

La raison est que tout l’équilibre de l’Islam tient dans la contradiction productive entre le naturalisme généralisé propre au polythéisme animiste et une démarche juridique-moraliste relevant du monothéisme.

Il faut en effet bien avoir en tête que si le polythéisme animiste est un matérialisme naturaliste, il s’exprime à travers un mode de production esclavagiste propice aux débordements meurtriers et à la logique du sacrifice. Le monothéisme présente ici une amélioration, un ordonnancement des mœurs en même temps qu’une proposition universelle unificatrice permettant de dépasser l’horizon borné de l’organisation sociale en tribus.

La force de Mahomet, c’est d’avoir conservé la fascination magique pour l’univers pour l’intégrer dans un monothéisme rigoureux. C’est comme si un philosophe aztèque avait entendu parler du christianisme des Espagnols présents à Cuba avant l’invasion des conquistadors, et avait tenté une vaste réforme en poussant de force la religion aztèque dans un strict monothéisme rigoureux.

Manuscrit andalou du Coran, 12e siècle

Il faut toutefois être ici plus précis. Mahomet ne connaît en effet pas simplement de loin le monothéisme. Bien au contraire même, il connaît très bien le judaïsme et le christianisme ; dans tout le Coran, on trouve des références à ces religions et Mahomet y puise même son inspiration.

Un verset du Coran, de la sourate « Le repentir », dit par exemple :

30 Les Juifs disent: « ‘Uzayr est fils d’Allah » et les Chrétiens disent: « Le Christ est fils d’Allah. » Telle est leur parole provenant de leurs bouches. Ils imitent le dire des mécréants avant eux. Qu’Allah les anéantisse ! Comment s’écartent-ils (de la vérité) ?

Certes, le judaïsme n’a jamais considéré qu’un homme était fils de Dieu ; il s’agit ici fort vraisemblablement d’un écho d’un ouvrage apparu au 1er siècle, L’apocalypse d’Esdras, censé raconter les « visions » de celui qui a dirigé la sortie de l’exil de Babylone. La connaissance par Mahomet des religions chrétiennes et juives était donc élémentaire et pénétrée d’éléments hétérodoxes mais existant probablement dans son environnement immédiat.

C’est là une preuve de la connaissance par Mahomet des textes religieux circulant à l’époque et si on ne connaît pas suffisamment leur influence, on a suffisamment d’aperçu en termes de tendance historique pour voir de quoi il en retourne pour le Coran.

De la même manière, il faut justement prendre des distances avec Mahomet comme unique auteur du Coran. D’une part, on sait que les versets des sourates du Coran ont été révélés sur plus de vingt ans. Ils sont le fruit d’une longue évolution, d’une sorte de synthèse de la situation historique.

Preuve de cela très connue, il y a des corrections faites en 24 heures par Mahomet lui-même, lorsqu’il affirma que Satan lui avait fait prononcer des paroles incorrectes lors de la sourate L’Étoile, afin de modifier une alliance temporaire.

Surtout, il y a la mise à l’écrit et l’organisation interne du Coran qui datent d’après la mort de Mahomet, dans un contexte de guerre civile musulmane. Il est probable ici qu’il y ait eu des modifications, des ajouts et des retraits, et on sait que des versions alternatives du Coran ont été détruites à l’époque.

Le Coran est donc un outil historique pour les Arabes, dont la constitution a duré plusieurs décennies, dont on sait peu de choses avec certitude et c’est uniquement vers sa substance qu’il faut se tourner.

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Le matérialisme dialectique et le caractère national-universel de la révolution socialiste

Le matérialisme dialectique insiste sur la contradiction comme produit du passé et de l’avenir. Les contradictions ne sont pas le fruit d’une accumulation d’antagonismes en boule de neige dans le passé. Elles sont une réalité perpétuelle, avec de multiples couches en interaction.

Pour cette raison, connaître le présent ne se fait pas qu’en lisant le passé, mais également en saisissant l’avenir. Il y a des tendances historiques rendant des phénomènes inéluctables ; si on les comprend, on est capable de lire ce qui va se passer. Naturellement, les modalités ne peuvent pas être devinées précisément ; on a néanmoins le cadre général.

Il y a ici un aspect qui joue fondamentalement pour la question de la révolution socialiste. Initialement, avec le marxisme, il était pensé que toutes les révolutions seraient grosso modo de même nature. Avec le léninisme, le cadre national a été reconnu dans ses spécificités. Le maoïsme a approfondi la compréhension de ses spécificités.

Désormais, on est capable d’avoir une vue d’ensemble ; le matérialisme dialectique permet de lire la dialectique de l’Histoire, du passé et de l’avenir.

Lorsqu’il se produit une révolution socialiste, c’est l’expression de la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat. Cependant, le prolétariat est une classe qui veut abolir les classes. En ce sens, le socialisme, où le capitalisme est dépassé, est déjà en rapport avec le communisme, société où le socialisme a triomphé et s’est généralisé à tous les domaines.

Cela veut dire qu’une révolution socialiste n’a pas qu’un rapport avec le passé, mais également avec l’avenir. Le prolétariat fait la révolution pour prendre le pouvoir, et en même temps, lorsqu’il le fait, il porte sa disparition en tant que classe.

En ce sens, une révolution socialiste dans un pays donné relève du particulier, puisqu’il s’agit d’une révolution dans un pays particulier. Mais ce particulier est en rapport avec l’universel, vu qu’il porte l’universel.

Cela veut dire que le cadre national dont on parle pour une révolution socialiste n’est pas un cadre national en tant qu’accumulation de phénomènes, d’expériences, etc. qu’il faudrait prendre en compte pour saisir les mentalités et s’y adapter pour être crédible.

Le cadre national dont on parle pour une révolution socialiste relève au contraire de l’universel, dans la mesure où il est particulier.

Dit différemment : lorsque toutes les révolutions socialistes ont eu lieu, tous les pays s’unissent dans une seule nation, qui alors n’est plus une nation, les particuliers devenant l’universel. S’il y a fusion, c’est que la fusion est possible et nécessaire, donc que ce qui fusionne, bien que particulier, porte en soi l’universel.

Donc: chaque peuple va apporter dans la grande fusion des choses qui lui sont propres, mais qui présentent un aspect humain universel. L’humanité, dans le communisme, retrouve par là sa complexité perdue en sortant de la Nature, mais avec un saut qualitatif. C’est cela qui lui permet également de revenir à la Nature, en tant qu’être social.

Et comme chaque peuple va apporter ce qu’il porte en particulier et qui sera universel, chaque révolution socialiste s’appuiera fondamentalement sur ce particulier, puisque la tendance est à l’universel.

Le cadre national n’est ici plus un arrière-plan, si on regarde simplement le passé. En regardant le futur, on voit que l’apport du cadre national va se maintenir, et que donc c’est un aspect du futur qui va se maintenir depuis le présent, et qui joue par conséquent un rôle essentiel.

Il ne s’agit donc pas que de prendre en compte le cours du passé : il faut avoir comme fil conducteur ce qui va se maintenir dans l’universel. On parle ici de ce que chaque peuple va apporter à l’humanité en fusion.

L’être humain nouveau, revenu à lui-même après son parcours comme animal dénaturé, va récupérer toutes les facettes de son existence réelle : c’est le sens des multiples parcours, des multiples sensibilités nationales.

Chaque nation a en fait développé une nuance, une différence de sensibilité relevant de l’être humain universel.

La révolution socialiste dans chaque pays porte donc un aspect national – mais ce qui joue, c’est ce qui se relie à l’universel. La révolution socialiste française ne sera française que dans la mesure où elle porte en elle la disparition de la France comme nation.

L’apport de la France, ce sera bien entendu l’esprit sceptique-critique, tout comme l’Angleterre apportera le flegme, la Russie la profondeur électrisée, l’Ukraine la profondeur brumeuse, la Pologne l’élan brumeux, la Tchéquie la bonhommie intelligente, la Suède l’introversion ouverte, la Finlande la détermination stoïque, la Corée le jeu de l’esprit, l’Inde la psychologie coordonnée, le Mexique la mise en scène, le Pérou le statique volontaire, la Turquie l’introspection engagée, l’Iran l’introspection cultivée, etc.

En fait, tout comme les débuts du capitalisme donnent naissance à la nation, la fin du socialisme y met un terme. Et les parcours nationaux ont été un gigantesque détour pour récupérer de manière approfondie la richesse humaine perdue lorsque l’être humain a cessé d’être naturel.

L’humanité unifiée ne formera plus une seule nation : le principe même de nation aura été dépassé. Les nuances et les différences trouveront alors une voie différente pour se produire et faire vivre la contradiction sur le plan culturel.

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Le PMD, forteresse révolutionnaire au cœur du nexus des première et seconde crises générales

Dans le processus révolutionnaire, on sait qu’il y a des phases dont Mao a bien éclairé les dynamiques à travers le schéma de défense stratégique, équilibre stratégique puis offensive stratégique. Dans ce schéma, il y a dialectiquement la dynamique au travers de l’offensive, puis contre-défense, contre-offensive, etc., dans un cheminement en spiral se prolongeant en continu jusqu’au Communisme.

Lorsqu’on prend du recul sur l’expérience menée dans le cadre de la Première crise générale, ouverte en 1917 puis terminée en 1989, on doit souligner un élément idéologique important pour notre époque.

À chaque intervalle historique qui s’est présenté comme « défense stratégique », un travail théorique spécifique a été fourni, non pas pour les tâches immédiates de la révolution, mais pour sa consolidation universelle. Cela formait la contre-offensive prolétarienne face à la contre-offensive bourgeoise, une sorte de contre-contre-offensive.

Lorsque Friedrich Engels publie son analyse sur la « Dialectique de la Nature » en 1883, cela prend place dans un contexte historique plutôt défavorable. On est sur les cendres de l’échec de la Commune de Paris, la première Internationale est explosée et la seconde non encore fondée, et les conditions politiques de la lutte en Allemagne sont particulièrement durcies avec les lois anti-socialistes prononcées en 1878 par Bismarck.

Avec une telle mise en avant de l’idéologie, le recul de la Révolution devient relatif, car elle continue sa lancée en consolidant ses fondations, dans un mouvement de reflet avec la pratique. En effet, la « Dialectique de la Nature » correspond à un contexte de répression, mais dans le même temps à la stabilisation d’un centre social-démocrate dont le noyau politique est affermi.

De la même manière, lorsque Lénine publie en 1908 « Matérialisme et Empiriocriticisme », la Révolution en Russie est confrontée à la « réaction stolypinienne », mais aussi à la solidification de la fraction majoritaire du parti social-démocrate de Russie. Le recul de la révolution devient là aussi relatif, car avec cet ouvrage sont battus en brèche les errements idéalistes et autres opportunismes idéologiques présents jusque dans le camp social-démocrate.

Ainsi n’y a-t-il pas de hasard au fait qu’historiquement « Matérialisme et Empiriocriticisme » soit placé en continuité avec « Dialectique de la Nature » d’Engels, dont le texte était inconnu de Lénine. Il avait en effet été récupéré par les révisionnistes de la social-démocratie allemande, qui avaient bien pris soin de le mettre de côté. Ce n’est qu’en 1925 qu’il fut republié par les communistes russes.

En réalité, il y a un processus d’enrichissement tel un escalier avec des marches qui se compilent pour atteindre toujours plus de hauteur de vue. C’est la raison pour laquelle on lit dans le fameux « Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik) », publié en 1938, que :

« Pour apprécier la portée immense de l’ouvrage [Matérialisme et Empiriocritisme] de Lénine dans l’histoire de notre Parti et comprendre quel trésor théorique Lénine a défendu contre toutes les espèces de révisionnistes et de dégénérés de la période de réaction stolypinienne, il est indispensable de prendre connaissance, ne fût-ce que sommairement, des principes du matérialisme dialectique et historique.

C’est d’autant plus nécessaire que le matérialisme dialectique et le matérialisme historique constituent le fondement théorique du communisme, les principes théoriques du Parti marxiste ; connaître ces principes, les assimiler est le devoir de tout militant actif de notre Parti.

Ainsi donc :

1° Qu’est-ce que le matérialisme dialectique ?

2° Qu’est-ce que le matérialisme historique ? »

S’en suit dans le « Précis », le grand classique « Matérialisme dialectique et matérialisme historique » rédigé par Staline spécialement pour l’occasion. C’est au même moment, en 1937, que Mao rédigea « De la contradiction », classique qui, au-delà de protéger et défendre les acquis deviendra aussi un nouveau phare éclairant et approfondissant la compréhension matérialiste dialectique du monde.

À cette période, la Révolution mondiale doit également faire face au renforcement de la contre-révolution dans le cadre des régimes fascistes, et son allié objectif présent dans le camp révolutionnaire – le trotskysme – mais aussi à la stabilisation du premier État socialiste, avec l’URSS.

À chaque moment où la Révolution est sur la défensive, il se reflète inéluctablement des conceptions idéalistes, mécaniques, régressives au cœur même du camp révolutionnaire. Cela entraîne l’apathie et la démoralisation, comme le remarque le « Précis » de 1938 :

« La défaite de la révolution de 1905 avait porté la désagrégation et la décomposition parmi les compagnons de route de la révolution.

La décomposition et l’abattement moral étaient particulièrement graves parmi les intellectuels. Les compagnons de route qui étaient venus du milieu bourgeois dans les rangs de la révolution quand celle-ci prenait un impétueux essor, abandonnèrent le Parti dans les jours de réaction. (…)

L’offensive de la contre-révolution se poursuivit aussi sur le front idéologique.

On vit apparaître toute une kyrielle d’écrivains à la mode qui « critiquaient » et « exécutaient » le marxisme, bafouaient la révolution, la traînaient dans la boue, glorifiant la trahison, la débauche sexuelle au nom du « culte de la personne ».

Dans le domaine de la philosophie se multiplièrent les tentatives de « critiquer », de réviser le marxisme ; on vit également apparaître toute sorte de courants religieux couverts de prétendus arguments « scientifiques ». »

C’est la raison pour laquelle les quatre classiques cités précédemment forment, bien qu’à des moments différents, une seule et même vérité : celle de la réaffirmation des bases idéologiques de la Révolution dans un contexte marqué par l’abattement subjectif de ses forces.

Cela permet de temporiser la défense stratégique dans le sens où est affirmé le principe universel, scientifique, qui sous-tend la Révolution, et par conséquent de sauvegarder la subjectivité révolutionnaire. Et l’on sait combien la subjectivité révolutionnaire est la base motrice à la Révolution elle-même.

Il y a un prolongement et un enrichissement de « Dialectique de la nature » (1883) à « Matérialisme dialectique et matérialisme historique » (1938), en passant par « Matérialisme et empiriocritisme » (1908) et « De la contradiction » (1937). Le dernier mot « inversé » de la contre-contre-offensive révolutionnaire tient évidemment les écrits de la Grande Révolution culturelle Prolétarienne en Chine.

Entre 1883 et 1938 (mais aussi jusqu’en 1966), on se situe au cœur des premiers mouvements en spirale de la révolution (offensive, défensive, contre-offensive, etc.) dans le cadre de la première crise générale du capitalisme : les textes cités viennent affirmer et stabiliser des éléments théoriques considérés comme acquis de par une pratique antérieure.

On a là un travail de synthèse. Si on comprend justement cela, on voit que la mise en avant du Parti matérialiste dialectique (PMD) correspond à une situation historique évidente : celle du nexus entre la première crise générale et la seconde crise générale.

Dit autrement : la Révolution est en défense stratégique par rapport à la dynamique passée, mais tendanciellement à l’offensive par rapport au futur.

Il s’agit de correspondre à cette situation au plan général, dans l’affirmation idéologique elle-même pour contrer l’abattement, la démoralisation, affirmer l’offensive générale et l’optimisme révolutionnaire.

Il y a un besoin de ré-impulser la subjectivité révolutionnaire dans un contexte d’écrasement de la Révolution, non pas simplement conjoncturel telles les répressions bismarckienne, stolypinienne, hitlérienne, etc., mais de manière générale.

On parle ici d’une situation marquée par l’écrasement général de la première vague de la Révolution mondiale et la naissance des conditions pour le déploiement de la seconde vague.

Le PMD signifie précisément cette lecture des choses et s’intercale au cœur du nexus comme gardien du temple (celui des acquis du siècle précédent) et vecteur d’avant-garde du mouvement révolutionnaire futur.

C’est le sens de l’affirmation du PMD, car il apparaît dans un tel contexte historique qu’il y a besoin d’affirmer la vision du monde non plus seulement comme « base théorique » à l’engagement révolutionnaire pratique, mais comme l’engagement révolutionnaire lui-même, sa substance subjective même. L’époque le permet désormais.

Nous n’affirmons pas simplement la continuité des textes classiques précédemment cités, dans l’idée d’un héritage cumulatif, mais bien leur synthèse universelle, ou plutôt leur universalisation de manière synthétique.

Ce n’est pas une nouvelle marche dans l’escalier comme le furent les éléments théoriques précédents, mais l’arrivée sur un palier avant l’ascension d’un nouvel escalier.

Cela se matérialise par une nouvelle connexion cérébrale, synaptique avec une subjectivité développant une vision du monde totale, celle du matérialisme dialectique.

Le PMD, c’est l’expression révolutionnaire dans le nexus lui-même, et par cela-même il se doit de protéger et systématiser la vision du monde matérialiste dialectique tout en la prolongeant, car la révolution ne peut reculer que de manière relative. Qui ne le comprend pas se place d’emblée en dehors de la Révolution mondiale qui s’annonce.

L’Aube de la Nouvelle Humanité à travers le nexus dialectique

Dans le cours de notre analyse de la Crise du capitalisme de notre époque, il a été découvert et formalisé le concept de nexus, comme élément-clef de la compréhension du développement en spirale de la matière.

Ce concept est un étendard de grande valeur que nous opposons frontalement et de manière significative aux ennemis du matérialisme dialectique, qui masquent leur idéalisme ou leur dualisme derrière une compréhension erronée du matérialisme (dans le meilleur des cas). Il est un critère de différenciation décisif permettant d’identifier notre organisation.

On peut considérer que cela nous retranche de toutes les personnes ou les organisations qui valident sans réfléchir les fameux propos d’Antonio Gramsci (1891-1937), célèbre figure du communisme italien, cité à tort et à travers :

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »

Beaucoup considèrent qu’il y a là un résumé de leur façon de voir les choses, ce qui est vrai. Or, c’est justement toute leur façon de voir les choses qui est incorrecte.

En effet, cette affirmation erronée rend confuse le concept de « transition », entendue dans le sens donné ici comme le moment d’une unification censée être révolutionnaire, amalgamant d’un côté le vieux monde dans un rebut tendant à la monstruosité, alors que dans le même mouvement, s’opérerait symétriquement l’unification d’éléments formellement opposés au vieux monde, jusque-là séparés, voire même contraires, dont l’unification permettrait de donner un élan, une dynamique.

Nous résumons cette approche inexacte en disant qu’elle dit que deux deviennent un, à quoi nous opposons le principe correct : un devient deux, permettant justement de saisir la transition au sens révolutionnaire comme étant un nexus.

Cette juste compréhension est une attaque totale sur le plan culturel de la conception bourgeoise du monde, et notamment un dépassement de la conception même d’Histoire au sens bourgeois.

C’est pour nous la ligne rouge que nous traçons pour affirmer le plus exactement et le plus complètement possible la rupture révolutionnaire avec le vieux monde.

La lutte que nous entendons porter est en effet une lutte totale, opposant la bourgeoisie, et sa vision du monde, au matérialisme dialectique, porté par le prolétariat en tant que classe révolutionnaire.

Le concept de nexus permet de prendre la mesure effective de l’ampleur de notre rupture révolutionnaire, de comprendre que celle-ci, dans le cadre du processus de lutte des classes dans notre pays, est un renversement complet de l’ordre bourgeois, de fond en comble, annonçant une vague de transformation universelle.

Notre rupture est l’affirmation d’une nouvelle étape du développement de l’Humanité comme matière pensante au sein de la Biosphère, c’est une élévation de la Culture à la fois inscrite dans la longue marche de l’Humanité dans sa compréhension du Cosmos et à la fois nouvelle dans son épanouissement.

En tant qu’organisation d’avant-garde, c’est tout notre parcours qui nous a permis de saisir les premiers et si complètement tous ces aspects avec le plus de netteté possible. Prolongeant le gigantesque héritage historique ayant permis à l’Humanité de formaliser le matérialisme historique, nous comprenons le mieux ce que signifie la période dans laquelle nous entrons.

L’Humanité est maintenant en mesure de comprendre non seulement la nécessité historique de dépasser le Capitalisme comme vision du monde, mais également, dès lors que le concept d’anthropocène a été exprimé avec la modification de la planète par l’humanité, la nécessité d’établir de manière consciente et scientifique la symbiose entre le développement culturel que l’Humanité a accompli et son existence harmonieuse en tant qu’espèce, en tant que matière pensante, au sein de notre biosphère.

Pour parvenir à une pleine compréhension de cette étape vertigineuse et décisive, il a fallu des années et des années d’organisation productive. Nous savions que nous avions raison au tournant du XXIe siècle de prendre le recul stratégique nécessaire à rassembler et formaliser les bases d’une nouvelle pensée-guide, de mettre notre énergie au service d’un vaste travail de compilation et d’élaboration idéologique, ajustant notre pratique au sein de notre environnement, à notre théorie, avec exigence et en s’imposant une stricte discipline prolongée.

Notre organisation a donc existé sur cette base en générant et en rassemblant l’énergie de personnes s’ajustant à notre vision du monde, s’affinant et se complexifiant toujours plus.

Ce travail idéologique a été unique et sans équivalent dans les organisations révolutionnaires, ou prétendues telles, de France, au point que nous pouvons dire très ouvertement aujourd’hui : nous sommes la véritable base du matérialisme dialectique en France.

Nous sommes installés sur le sommet d’une production de centaines et de centaines d’articles, couvrant une large gamme de domaines, reflétant la profondeur de notre compréhension de la société française, au sein de notre époque, comme élément de l’Histoire collective de l’Humanité et comme composante de l’évolution de notre biosphère, au sein des gigantesques mouvements d’un Cosmos éternel.

Nous sommes parvenus à ce stade à saisir tous ensemble la totalité et la complexité de ces couches et leur dynamique, ce qui a donné dans le cadre des revues que nous avons générées pour analyser la seconde crise générale du mode de production capitaliste dans laquelle nous sommes engagés, et notamment de notre organe Crise, des analyses prospectives validées par les faits de manière implacablement vérifiée.

Ce travail nous a permis de stimuler collectivement notre conscience, de nous souder à l’international, et notamment en Belgique, à des camarades ayant entamé le même travail productif, et de nous projeter avec enthousiasme dans le futur, certains d’être le matériel biologique d’une vaste transformation de notre espèce dont nous sommes dans notre époque les prototypes.

Nous sommes des battements de coeur et nous devons nous aligner sur le rythme de l’Histoire !

Fort de cette énergie collective et de notre alignement tout à la fois sur le mouvement historique du développement de notre espèce et de sa place dans le Cosmos au sein de notre Biosphère, nous développons un engagement toujours plus symbiotique dans le Parti que nous générons, d’où chacun de nos éléments peut tirer en retour un soutien moral sans faille, exprimé par un enthousiasme ne cédant à aucune morosité ni nihilisme et un esprit de rupture toujours plus poussé avec la société bourgeoise dans sa décadence, ses institutions et surtout avec sa vision du monde. Car :

« En fin de compte, le régime socialiste se substituera au régime capitaliste ; c’est une loi objective, indépendante de la volonté humaine. Quels que soient les efforts des réactionnaires pour freiner la roue de l’histoire dans son mouvement en avant, la révolution éclatera tôt ou tard et sera nécessairement victorieuse. » (Mao Zedong)

Certains d’être l’avant-garde de la nouvelle Humanité, annonçant l’établissement d’un nouvel ordre conforme à l’évolution de notre espèce, nous arborons fièrement l’héritage de notre Histoire et nous tournons nos yeux vers le Cosmos infini et éternel, vers lequel se dirige l’étoile d’or illuminant le drapeau rouge que nos coeurs brandissent à l’assaut du ciel.

Que ceci soit un signal à toutes les consciences pour lesquelles résonnera notre appel à venir oeuvrer au service de la Culture et de l’Humanité, par la lutte prolongée et sans capitulation face à la bourgeoisie, pour installer au pouvoir le prolétariat, au service des masses, par le triomphe toujours plus approfondi de son idéologie : le matérialisme dialectique

La célébration de l’univers, la fin des religions

Pourquoi les religions existent-elles encore au début du 21e siècle ? C’est parce qu’en plus de refléter des intérêts de classe, elles forment une réponse civilisationnelle à la crise de la nature humaine. En effet, l’humanité est en crise, depuis son émergence historique « hors de la Nature », comme animal ou ancien animal capable de réflexion avancée et en mesure de transformer la Nature.

Un animal qui n’en est plus un, voilà comment est désormais l’être humain. La sortie de l’animalité par l’espèce humaine est ainsi contradictoire : elle s’est concrètement réalisée, mais en même temps elle est illusoire car les êtres humains restent des animaux. Les religions tentent alors de fournir un cadre général à l’humanité afin de pouvoir se regarder dans le miroir.

C’est la raison pour laquelle Jésus pouvait dire que « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! ». En effet, les personnes ayant un problème intellectuel majeur, étant « simplet » ou « attardé », n’ont pas à jongler entre le bien et le mal comme les êtres humains en général, ou plus exactement avec des situations ressenties comme vraiment « positives » et d’autres vécues comme particulièrement « négatives ».

Ils n’ont donc pas l’angoisse, l’inquiétude qui tourmente l’humanité en général, ce va-et-vient positif et négatif qui bouleverse le vécu. Toute l’Amérique précoloniale célébrait, pour la même raison que Jésus, les personnes ayant un retard intellectuel ou mental, y voyant des êtres en contact avec le divin, avec la bonté, avec le ciel.

Les religions, c’est une tentative de préserver les apparences, de neutraliser l’oscillation entre le « bien » et le « mal ». Les religions, c’est l’obsession de maintenir un cadre à l’humanité, pour s’extraire de la barbarie de la période où l’humanité vivait « sur le tas », avec des institutions sommaires établies à petite échelle.

C’est le paradoxe dialectique : d’un côté, les religions disent que l’humanité est mauvaise, de l’autre c’est par cette capacité non-animale à être mauvais que l’humanité peut être bonne. C’est un message contradictoire qui traverse toute la religion, à l’instar de ce qu’on lit dans le Coran : « En vérité, Nous avons proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes le Dépôt. Ils ont refusé de le porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé ; il est vraiment foncièrement injuste et ignorant. »

Les religions sont une fiction, car elles disent que l’humanité oscille tout le temps entre le bien et le mal, et pourtant c’est vers elle que se tournerait Dieu. En réalité, Dieu est un moyen de « tenir », de poser un certain calme.

C’est en ce sens qu’il est intéressant de regarder le double aspect de ce qui se passe au début du 21e siècle. D’un côté, les religions ne cessent de reculer, s’effaçant devant la vie quotidienne capitaliste qui ne laisse pas d’espace à une telle démarche spirituelle.

De l’autre, les religions ne cessent de s’agiter, multipliant leurs formes, leurs tentatives de jouer autant que possible sur la direction des sociétés. L’hindouisme veut l’hégémonie sur l’Inde, l’Islam sur toute une série de pays, le judaïsme entend contrôler Israël, le bouddhisme cherche à façonner les pays où il est majoritaire, l’évangélisme exige de prendre les commandes morales aux Etats-Unis, le catholicisme romain se veut un profond levier culturel et moral, alors que l’Église orthodoxe marche en tandem avec l’État russe.

Les religions agonisent et en même temps elles visent une expansion, afin de s’ancrer dans la modernité. C’est là lourd de sens, car ce qui se joue, c’est la modification complète de la vision du monde qu’a l’humanité. Les forces productives se sont tellement développées que les religions sont une anomalie, dont l’existence correspond à une humanité du passé. On en sait trop pour que les religions n’aient même la moindre crédibilité. On en sait trop sur le passé de la planète dans le cadre cosmique, sur le passé des animaux avec les dinosaures, sur l’évolution de l’humanité comme espèce…

Et pourtant les religions existent encore. Ce paradoxe implique qu’elles doivent disparaître. En ce début de 21e siècle, alors qu’on en passe le dernier quart, une rupture va se dérouler au sein de l’humanité, avec les religions qui sont remplacées non pas simplement par une lecture « sociale » des choses, mais par une vision matérialiste de la réalité, à la hauteur de l’univers.

C’est le rêve de Spinoza que le 21e siècle va réaliser, avec une humanité reconnaissant la Nature comme système et abandonnant l’hypothèse vaniteuse de « l’Homme dans la nature comme un empire dans un empire ».

La grille d’analyse nécessaire au PMD

Pour transformer un pays par la révolution, il faut une analyse stratégique. Sans stratégie, il n’y a rien ; on peut mener autant d’initiatives tactiques que l’on voudra, cela n’aboutira à rien, car la quantité n’est pas la qualité. Espérer pareillement qu’à force d’initiatives, la quantité se transforme en qualité, est vain, car des initiatives dispersées, sans fil conducteur, ne relèvent pas seulement de la quantité, mais de la qualité individuelle, avec une très mauvaise qualité.

Seule une vision sur le long terme permet de voir ce que veut telle ou telle chose, l’impact que peut avoir telle ou telle initiative. Pour avoir une grille de lecture, il faut envisager les choses en termes de périodes, de développement historique, d’exigences propres à ces périodes et ce développement.

Alors, quand on fait quelque chose, on le calibre en fonction des objectifs, des attentes historiques ; si on constate un phénomène, on évalue s’il est en phase ou non avec les attentes historiques.

Il faut toujours évaluer ce qu’on fait, ce qu’on constate, au moyen d’une analyse des deux lignes : quelle est la ligne rouge, quelle est la ligne noire, où se situe la chose, le phénomène, par rapport à ces lignes.

C’est ainsi de l’opportunisme que de se précipiter dans la moindre exigence revendicative, la moindre grève, la moindre contestation. De toutes manières, la France moderne, celle de 1945 à 2023, a été rempli de contestations, de grèves, de protestations, sans que jamais on aboutisse à une contestation de masse du capitalisme. La gréviculture de fonctionnaires et l’esprit étudiant de révolte n’ont jamais abouti à rien de concret.

Prenons un exemple concret. La France est un pays en décadence. Chez les gens, le niveau scientifique, culturel et sur le plan des idées connaît un effondrement prononcé. Il y a un laisser-aller général, une attitude pleine d’oisiveté car reflétant la situation parasite de la France par rapport au tiers-monde. Les Français veulent conserver leurs acquis, et cela s’arrête là.

Si on porte son attention sur les modalités et l’état d’esprit du mouvement contre la réforme des retraites de 2023, ou bien les Gilets Jaunes auparavant, on voit très bien alors qu’on a affaire à des initiatives réactionnaires visant à simplement conserver le capitalisme français tel quel. Rien ne pouvait en sortir de bon.

Comment faut-il envisager la ligne rouge, alors ? Il faut constater que la France est un pays qui perd des positions sur le marché mondial ; le niveau de vie ne peut pas être maintenu. Il y a déjà une vraie cassure entre une bourgeoisie vivant dans une bulle prononcée de consommation ostentatoire et des larges masses vivant sur le tas, avec la propriété de son habitation comme considération centrale. Cette cassure va s’élargir, produisant mécaniquement de l’aigreur et de la rancoeur.

Ce dernier aspect représente la difficulté morale majeure, puisqu’on est dans l’attitude rétrograde du prolétaire de pays riches. Néanmoins, l’aspect positif qui l’emporte est qu’il est désormais possible d’affirmer la civilisation comme socialiste.

Dans les années 1960, 1980, 2000… la bourgeoisie était encore éduquée, bien élevée, capable de cadrer les choses. Elle disposait du prestige de la tradition, de la continuité morale et civilisationnel. Qui allait faire confiance à des gauchistes ou des syndicalistes pour partir à l’aventure ? Personne, bien entendu.

Désormais, le prolétariat ne fait plus face à un ennemi si solide. Il lui reste toutefois à se transformer lui-même, massivement et profondément, pour s’assumer comme classe dominante.

Les syndicalistes de 2023 ou les Gilets Jaunes convergent-ils avec cette nécessité d’auto-critique du prolétariat, avec l’idée d’une civilisation socialiste ? Pas du tout. Les syndicalistes et les Gilets Jaunes s’alignaient sur l’illusion du capitalisme redistributeur à l’infini, pour peu qu’on puisse « gratter » des acquis.

Comment le PMD doit-il voir les choses ? Il doit partir du principe que le capitalisme français n’est pas statique, qu’il évolue. Il évolue en raison de ses contradictions internes, et il est en rapport également avec la compétition mondiale des puissances, petites et grandes. L’évolution interne, c’est la décadence ; le rapport avec la compétition mondiale, c’est la guerre. La France va à la guerre, elle est obligée pour chercher à maintenir son rang dans les rapports de force mondiaux, et également pour essayer de renforcer ses propres positions.

Au ratatinement interne s’associe donc une tendance à la guerre qui, nécessairement, va provoquer des remous dans la société. On tend alors à une situation révolutionnaire, que Lénine décrit comme suit :

« La loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les trois révolutions russes du XX° siècle, la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements.

Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C’est seulement lorsque« ceux d’en bas » ne veulent plusetque « ceux d’en haut » ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher.

Cette vérité s’exprime autrement en ces termes : la révolution est impossible sans une crise nationale (affectant exploités et exploiteurs).

Ainsi donc, pour qu’une révolution ait lieu, il faut: premièrement, obtenir que la majorité des ouvriers (ou, en tout cas, la majorité des ouvriers conscients, réfléchis, politiquement actifs) ait compris parfaitement la nécessité de la révolution et soit prête à mourir pour elle ; il faut ensuite que les classes dirigeantes traversent une crise gouvernementale qui entraîne dans la vie politique jusqu’aux masses les plus retardataires (l’indice de toute révolution véritable est une rapide élévation au décuple, ou même au centuple, du nombre des hommes aptes à la lutte politique, parmi la masse laborieuse et opprimée, jusque-là apathique), qui affaiblit le gouvernement et rend possible pour les révolutionnaires son prompt renversement. »

Le PMD doit, pour chaque chose ou phénomène, se demander non pas simplement une « position de classe », mais en quoi il y a connexion avec le Nouveau ou l’Ancien. En quoi, la chose, le phénomène, contribue-t-il à la décadence, ou au contraire y fait obstacle ? En quoi, la chose, le phénomène, contribue-t-il à la tendance à la guerre, ou au contraire y fait obstacle ?

Puis, vient la question de se placer historiquement : en quoi, la chose, le phénomène, converge-t-il, reflète-t-il à la conscience prolétarienne, à la vision du monde matérialiste dialectique ? Car sans le matérialisme dialectique, il n’y a pas de solidité suffisante.

C’est une analyse des deux lignes tout d’abord, puis de l’alignement avec l’exigence historique de civilisation socialiste ensuite. C’est le moteur du Parti et c’’est pourquoi Mao Zedong dit que se tenir sur une position de classe ne suffit pas en soi. Il faut s’aligner entièrement sur le Parti qui exprime le nouveau dans son caractère historique, complet.

« Nous nous tenons sur les positions du prolétariat et des masses populaires. Pour les membres du Parti communiste, cela implique la nécessité de se tenir sur la position du Parti, de se conformer à l’esprit de parti et à la politique du Parti. »

Le nouveau chasse l’ancien, le Parti porte l’avenir.

La mise en avant du matérialisme dialectique comme reflet de la maturité prolétarienne

Lorsque la bourgeoisie part à la conquête du pouvoir, elle se confronte à l’idéologie de l’ancienne classe dominante matérialisée dans l’Église et la religion catholique. Les Lumières ont été l’aboutissement du conflit idéologique avec la superstructure d’ancien régime, en mettant en avant la figure de l’individu doué de raison et d’un libre-arbitre.

La mise en place du mode de production capitaliste, ou plutôt la consolidation du pouvoir de la bourgeoisie sur toute la société tout au long du XIXe siècle, amène une transformation des valeurs et du style de vie. Karl Marx et Friedrich Engels avaient déjà remarqué cela dans le Manifeste de 1847, disant de la bourgeoisie que :

« Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques.

Tous les liens complexes et variés qui unissent l’homme féodal à ses « supérieurs naturels », elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du « paiement au comptant ».

Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste.

Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce.

En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu’on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages.

La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent. »

Cette transformation du mode de vie fut bien décrite dans les œuvres d’Honoré de Balzac, avec une portée critique, sur une base romantique d’idéalisation du passé. Marx et Engels ont qualifié de « socialisme féodal » cette idéologie venant justifier le retour un retour à l’ancien régime, et qui se recombinera au XXe siècle dans le fascisme et son idéologie corporatiste.

Toujours est-il que le rôle historique de la bourgeoisie fut celle de la dissolution la plus complète de toutes les normes morales de l’ancien régime.

Dans le cadre de la France, on peut affirmer que la mission historique de la bourgeoisie se déploie sur deux siècles, entre 1789 et 1989.

Entre 1789 et 1917, on a la pleine affirmation de la bourgeoisie face aux couches sociales d’ancien régime dans ses prétentions à diriger la société. Cela passe évidemment par une lutte principalement politique, notamment sur les questions d’ordre institutionnel, scolaire et clérical. C’est l’époque du tâtonnement de la bourgeoisie pour parvenir à former le régime politique le plus apte à affirmer sa domination et sa capacité de direction.

Ainsi en 1875 est actée la forme républicaine du régime, puis dans la foulée ce sera l’école comme institution centrale, l’influence de l’Église étant historiquement mise de côté en 1905 dans la « querelle des inventaires », jusqu’en 1913 où est inscrite dans la loi l’obligation du vote secret dans l’isoloir et par enveloppe, mettant fin à l’hégémonie du tandem curé-notable dans les campagnes.

La Première Guerre mondiale est le point d’aboutissement du processus : il n’y a pas de craquage dans l’édifice politique, la mobilisation pour la guerre est pleine et entière, à tous les niveaux de la société. La bourgeoisie apparaît comme la force dirigeante ayant triomphé entièrement de l’ancienne classe dominante.

Mais cela ne signifie pas que la bourgeoisie ait terminé ses tâches historiques car il lui reste à former et consolider un prolétariat, encore bien trop immature, non au sens pour lui-même mais par rapport aux nécessités d’accumulation du capital.

Il faut bien comprendre que, jusqu’aux années 1920, en France, la population reste encore massivement rurale, avec un océan de producteurs domestiques autosuffisants et une industrie encore éclatée et mise en branle par des travailleurs professionnels aux savoirs hérités de la corporation. De la même manière, jusqu’aux années 1970, subsiste la figure de l’« ouvrier-paysan » dans de nombreuses régions industrielles françaises, tout comme certains foyers ouvriers dans les campagnes les plus isolées n’ont pas de toilettes et d’eau courante.

Ainsi débute au cœur même de la première crise générale du capitalisme, la seconde mission de la bourgeoisie : la transformation de la paysannerie, elle-même formatée par l’ancien régime en un prolétariat n’existant pas dans le capitalisme, mais par l’accumulation du Capital.

Avec le recul historique, on peut donc affirmer sans peine que la France voit se former un prolétariat dans la période 1920-1970, au même moment où le mode de production capitaliste connaît sa première cassure qualitative.

À ce point de vue, on doit affirmer la chose suivante : la première crise générale du capitalisme n’est pas l’espace de la confrontation entre le prolétariat et la bourgeoisie, mais plutôt l’espace d’affirmation de la bourgeoisie sur le prolétariat.

Les prolétariats de chaque pays étaient encore trop immatures pour se poser en protagoniste positif face à une bourgeoisie qui n’était entrée que relativement en décomposition, puisque victorieuse que par un de ses côtés, celui de sa confrontation avec l’ancien régime féodal, encore si prégnant sur l’ensemble du globe.

Il ne faut pas oublier non plus l’émergence des Etats-Unis, vaste pays au capitalisme se déployant sans obstacles, généralisant un mode de vie parfaitement adapté aux besoins capitalistes, sans avoir à se confronter à la situation historique telle qu’elle existe en Europe.

Les expériences socialistes du 20e siècle apparaissent comme la tentative d’un prolétariat naissant de prendre en charge le mouvement historique, universel, d’élévation des forces productives. C’est une contradiction de taille : une force sociale historique encore au stade de sa chrysalide a été amenée à diriger un processus scientifique majeur que fut l’industrialisation.

C’était un processus d’autant plus difficile à diriger par la planification que le prolétariat mûrissait lui-même à l’intérieur du processus. Cette contradiction s’est matérialisée dans les débats sur les modalités du nouvel appareil d’État socialiste et les tâtonnements sur la mise en œuvre de la planification.

Ce n’est qu’après cette période d’établissement économique que le prolétariat de ces pays, 1930-1940 pour l’URSS, 1950-1960 pour la Chine populaire, voit s’ouvrir à lui la pleine compréhension de sa propre vision dirigeante, le matérialisme dialectique.

Mais c’est également à ce tournant que le prolétariat a échoué face au révisionnisme, car la bourgeoisie était encore sur sa lancée, elle n’avait pas totalement réalisée sa seconde tâche, n’étant entrée en décadence que de manière relative.

Si le prolétariat « termine » en des pays arriérés les deux missions de la bourgeoisie, révélant ainsi sa supériorité historique, il est resté au seuil de la réalisation de sa mission propre à lui-même. L’affirmation de l’idéologie socialiste-communiste s’est ainsi cantonné dans l’affirmation du prolétariat comme pôle opposé à la bourgeoisie, illustré par son emblème du marteau de la faucille.

Lorsque le prolétariat vise (et parvient à) la conquête du pouvoir au XXe siècle, c’est avant tout pour orienter les forces productives dans le sens de la pleine satisfaction des besoins de la société. Ce qui est l’objectif, c’est une production quantitative sur la base d’une planification harmonieuse.

C’est le sens du Socialisme que d’en finir avec le paupérisme, mais aussi avec l’individu-roi illustré par le triomphe de l’entrepreneur privé décidant de la vie de travailleurs tout autant que des consommateurs.

Dans cette optique, le prolétariat n’est pas confronté aux conséquences de l’industrialisation capitaliste sur le plan de la société de consommation. La société de consommation, c’est le point d’aboutissement historique du mode de production capitaliste, celui qui ouvre la voie au prolétariat de se saisir lui-même, pour lui-même et avec sa propre mission historique.

La raison est simple : il fallait que l’emprise de la marchandise se soit généralisée à tous les aspects de la vie humaine, et qu’à la subsomption du travailleur se superpose la subsomption du consommateur comme achèvement du mode de production capitaliste.

Ce n’est pas pour rien si Marx commence le Capital par l’analyse de la marchandise et cette affirmation si connue « La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une ‘‘immense accumulation de marchandises’’ ».

Prenons une image. Si l’on fait lire « Le caractère fétiche de la marchandise et son secret » à un ouvrier des années 1920, il en percevra la dimension mais pas avec une telle profondeur que le prolétaire de 2023. L’ouvrier des années 1920 est marginalisé sur le plan de la consommation, il vit de manière restreinte sur ce plan ; il ne connaît pas les marchandises comme le prolétaire de 2023, dont la consommation est partout présente.

Si on fait lire « La journée de travail » à un prolétaire de 2023, il en saisira inversement la substance, mais pas avec une telle intensité que l’ouvrier de 1936. Non pas que le prolétaire de 2023 travaille moins, mais l’implication psychique et psychologique du travail l’empêchent d’avoir la même distance que l’ouvrier par rapport au travail en 1936.

On assiste à l’achèvement de la seconde mission historique de la bourgeoisie avec l’existence d’un prolétariat participant de plain-pied, tout à la fois comme producteur et comme consommateur, au capitalisme.

Dialectiquement, c’est également la consécration de la maturité du prolétariat. On ne peut pas avoir un prolétaire consommateur, donc aliéné, sans avoir un prolétaire subjectivement actif dans des choix de consommation.

La société de consommation correspond à un stade de développement approfondi des forces productives qui, dans son cadre capitaliste, donne lieu à des multitudes de marchés valorisant des tas d’identités subjectives. Cela exige une certaine disposition cognitive en tant que consommateur, mais également un degré d’enrichissement intellectuel en tant que producteur.

En ce sens, la classe ouvrière peut se saisir de la science, non plus simplement comme modalité d’analyse de chaque secteur de la vie (biologie, chimie, neurologie, etc., etc.), mais comme un principe universel qui prend le nom de matérialisme dialectique. Cette compréhension est d’autant plus facilitée par l’héritage de la vaste et longue expérience du 20e siècle.

Jusqu’au développement de la société de consommation, la contradiction entre prolétariat et bourgeoisie posait un cadre qu’on peut dire encore formel. Il y avait les bourgeois d’un côté, les prolétaires de l’autre.

La compréhension du matérialisme dialectique restait encore marquée par des résidus de conceptions « unilatérales » : si ce n’était pas bourgeois, c’était prolétaire, et inversement. Le contenu réel de la bourgeoisie et du prolétariat comme classes s’effaçait devant des considérations restreintes, ce qui a amené le triomphe des tendances économistes, syndicalistes, réformistes.

Même en refusant l’abandon de la cause, c’était réducteur que de considérer qu’il fallait « appliquer » la dialectique dans tel domaine, chaque domaine étant vu de manière séparée, comme s’ils avaient une vie propre sans connexions logiques entre eux dans le tout général.

C’est ce qui fait que, même avec la meilleure volonté du monde, la social-démocratie d’avant 1914, le mouvement communiste de la première moitié du 20e siècle, puis même la Chine populaire de la seconde moitié du 20e siècle, devaient toujours courir derrière, à l’aveugle, les problèmes pour essayer de les résoudre. Il manquait la capacité à une vue globale.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP) fut justement la compréhension de ce manque de vue globale. Avant la GRCP, le Parti apparaissait comme un centre qui devait se charger de soutenir et d’orienter dans la bonne direction. Avec la GRCP, le Parti est considéré comme le noyau dur irradiant tout le pays de sa démarche. La Chine populaire appela ça la « pensée Mao Zedong », considérant qu’il s’agissait à la fois d’idéologie, d’idéologie appliquée aux conditions concrètes de la Chine, d’un état d’esprit, d’une mentalité.

C’est tout à fait juste et chaque pays a besoin effectivement d’une pensée-guide, synthèse historique de la réalité nationale exposant les contradictions.

Néanmoins, la GRCP ce n’est pas que l’expression du besoin d’une pensée-guide, c’est aussi la considération de l’idéologie comme irradiant tout le pays depuis son noyau dur, le Parti.

Il est évidemment plus facile de comprendre cette vision des choses au 21e siècle qu’en 1966. Dans un pays peu développé, et même dans la seconde partie du 20e siècle en général, on avait tendance à séparer les choses, à considérer que chaque chose existait à part, formant un domaine à part.

Avec le développement des forces productives, il apparaît au contraire immédiatement que tout est lié : il n’est plus possible de faire de l’économie sans mathématiques, de la physique sans de la philosophie, de la géographie sans de la physique, de l’archéologie sans l’astronomie, du droit sans l’histoire, de l’architecture sans l’esthétique, de la mécanique sans l’informatique, du sport sans de la biologie, etc.

Avant, il y avait peu de marchandises et un reflet d’artisanat était encore présent, ou bien on s’imaginait quelques grosses usines pour les biens les plus massifs, tels les automobiles. Désormais, on sait qu’il y a des industries variées, dans différents pays, des concepteurs dans d’autres pays, des vendeurs, des transporteurs, des livreurs, etc.

L’existence même d’internet comme réseau mondial implique les connexions multiples. Naturellement, ce réseau est découpé, séparé par les pays et leurs blocages éventuels, les monopoles s’accaparant son utilisation, le manque d’accès technique dans certains pays du monde encore, etc. Néanmoins, une conscience humaine qui connaît internet est foncièrement différente de celle ne l’ayant pas connu.

Pour résumer, on voit désormais comment tout est relié. Malheureusement, cette élévation du niveau de connaissances se déroule dans le cadre du capitalisme, parallèlement à une généralisation de la consommation. Tout ce qui est intelligence sert la concurrence capitaliste et la systématisation de la marchandisation à tous les niveaux.

Le matérialisme dialectique se pose comme le niveau de compréhension de cette contradiction entre des forces productives développées et une lecture des choses démolie par la société de consommation. Le matérialisme dialectique fait se rejoindre là où le capitalisme divise, et il sépare là où le capitalisme fait artificiellement se rassembler.

Ce qui se joue concrètement, ce n’est pas simplement une nouvelle répartition matérielle au sein de l’humanité, mais le rétablissement de l’être humain comme animal social après un détour commencé avec l’agriculture et l’élevage. La civilisation humaine cesse de vivre « à côté » de la réalité, dans l’illusion de la toute-puissance.

Le Parti Matérialiste Dialectique (PMD) assume de mettre en avant cette thèse essentielle pour le 21e siècle : la lutte de classe prolétarienne ne se situe pas simplement dans un espace-temps humain, mais se déroule dans le cadre du développement cosmologique lui-même.

Dit autrement, la révolution prolétarienne n’est pas simplement la réconciliation de l’Humanité avec elle-même, mais l’unification harmonieuse d’elle-même avec la matière vivante toute entière, avec la planète considérée comme Biosphère. En tant que pôle opposé à la bourgeoisie, le prolétariat porte une révolution sociale mais aussi un saut qualitatif pour l’Humanité tout entière.

Cette conception de la révolution prolétarienne comme vecteur du prolongement-enrichissement de la civilisation avait bien été aperçu par les fondateurs du matérialisme dialectique. C’est la thèse bien connue du communisme comme « fin de la préhistoire » que l’on trouve dans la Préface à la critique de l’économie politique, de 1859 de Marx, Préface rendu célèbre par Staline lui-même qui s’efforça de présenter ce texte comme le classique général du matérialisme dialectique et historique.

Voici ce que Marx écrit :

« Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production sociale, contradictoire non pas dans le sens d’une contradiction individuelle, mais d’une contradiction qui naît des conditions d’existence sociale des individus ; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s’achève donc la préhistoire de la société humaine. »

Historiquement cette thèse a été comprise comme cela de la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme et plus généralement de toute oppression. C’est tout à fait juste, mais dit ainsi c’est la limiter à une seule dimension. Il faut insister sur le fait qu’il est parlé de « préhistoire » et non pas simplement d’« histoire » : il y a une lecture du développement de l’Humanité non pas seulement par et pour elle-même mais dans le cadre de la Matière toute entière, dont l’humanité est une partie seulement.

Pour le comprendre, il faut lire ce passage du Capital où est analysé « le caractère fétiche de la marchandise et son secret » :

« En général, le reflet religieux du monde réel ne pourra disparaître que lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l’homme des rapports transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature.

La vie sociale, dont la production matérielle et les rapports qu’elle implique forment la base, ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l’aspect, que le jour où s’y manifestera l’œuvre d’hommes librement associés, agissant consciemment et maîtres de leur propre mouvement social.

Mais cela exige dans la société un ensemble de conditions d’existence matérielle qui ne peuvent être elles-mêmes le produit que d’un long et douloureux développement. »

Le mode de production socialiste, c’est l’humanité qui se saisit elle-même et, se saisissant elle-même, ne peut que saisir sa propre nature d’être vivant agissant dans le grand tout de la matière en mouvement. Dialectiquement, il fallait arriver à cette époque de généralisation de la marchandise pour que la révolution prolétarienne soit un point d’aboutissement pour l’Humanité, celui du passage vers une nouvelle Civilisation permise par la vision du monde matérialiste dialectique.

Du marxisme au matérialisme dialectique

Le marxisme est né avec le mouvement ouvrier ; il consiste en les écrits de Karl Marx et de Friedrich Engels, mais également en leur action politique, avec la première Internationale et la naissance de la social-démocratie allemande.

Ce dont on parle ici, c’est de gens en particulier, dans un pays en particulier, avec des idées en particulier. Et de par la dimension de ces idées de ces gens dans ce pays, c’est l’universel qui a prévalu et dans le monde entier, le marxisme a été reconnu comme juste par le mouvement ouvrier. Comme juste, non pas seulement pour l’Allemagne, mais pour tous les pays.

D’autres idées sont apparues et se sont ajoutées au marxisme, se plaçant en son sein, le développant à travers des obstacles, des difficultés, des conflits. Pareillement des idées développées en Russie et en Chine ont été reconnues ayant une valeur non pas simplement pour ces pays seulement, mais pour tous les pays.

Lénine et Mao ont été des références dans le monde entier.

Pourrait-alors penser que le processus peut continuer comme cela à l’infini, que d’autres peuvent s’ajouter, que le marxisme continuerait ainsi de se développer ?

Bien sûr, mais alors on doit reconnaître que ce n’est plus du marxisme. Le marxisme serait la base encore, mais il y aurait tellement d’ajouts, d’approfondissements, que le marxisme serait méconnaissable. Ce serait le marxisme, mais transformé. Déjà à l’époque de Lénine, le marxisme était transformé de manière profonde par rapport à l’époque de Marx, et c’est pareil avec Mao.

Une discussion intéressante avait eu lieu à ce sujet, dans les années 1990 entre les maoïstes français et des représentants en France du Parti Communiste du Pérou. Ces derniers expliquaient que pour comprendre le marxisme, il fallait d’abord comprendre le maoïsme, car le maoïsme était la forme la plus avancée du marxisme.

Pour les communistes français, cela semblait être le contraire : c’est en comprenant bien le marxisme qu’on arrivait, fort naturellement, au maoïsme. En un sens, les deux ont naturellement raison, car c’est une contradiction. Cependant, si c’est une contradiction, alors elle est productive.

C’est justement en se tournant vers cette nature productive qu’on dépasse les séparations entre marxisme, léninisme, maoïsme et qu’on saisit l’unité de substance, qui permet de voir en quoi il s’agit d’une seule et même chose, et non de trois choses avec lesquelles il faudrait « composer ».

Mao Zedong avait déjà pressenti ce qu’il faut bien appeler la mort du marxisme, mort non pas au sens où il est dépassé, devenu inutile ayant fait son temps, mais au sens où il forme de la matière qui s’est insérée dans quelque chose de plus développé.

Mao Zedong dit avec une profonde justesse et un regard historique d’une vaste ampleur que :

« Le monde est infini. A la fois dans le temps et l’espace, le monde est infini et inépuisable. Au-delà de notre système solaire, il y a de nombreuses étoiles qui, ensemble, forment la Voie Lactée. Au-delà de cette galaxie, il existe de nombreuses autres galaxies.

Considéré globalement l’univers est infini, et considéré étroitement, l’univers est aussi infini.

Non seulement l’atome est divisible, mais c’est aussi le cas du noyau atomique et il peut être divisé à l’infini (…).

Tous les individus et toutes les choses spécifiques ont leurs naissances, leurs développements, et leurs morts.

Chaque personne meurt, parce qu’elle est née. L’être humain doit mourir, et Chang San [NDLR : équivalent de Dupont, Durand, etc.] étant un homme, il doit mourir.

Personne ne peut voir Confucius qui vivait il y a 2000 ans, parce qu’il devait mourir.

L’humanité est née, et par conséquent l’humanité doit aussi mourir. La Terre est née, et ainsi elle doit également mourir.

Toutefois, quand nous disons que l’humanité mourra et que la Terre mourra, c’est différent de ce que disent les chrétiens au sujet de la fin du monde.

Lorsque nous parlons de la mort de l’humanité et de celle de la Terre nous voulons dire que quelque chose de plus avancé que l’humanité viendra la remplacer, et ceci est un stade plus élevé dans le développement des choses.

J’ai dit que le marxisme avait également sa naissance, son développement et sa mort. Cela peut sembler absurde.

Mais comme Marx dit que toutes les choses qui se déroulent ont leur mort, comment cela ne serait-il pas applicable au marxisme lui-même ?

Dire qu’il ne mourra pas, c’est de la métaphysique.

Naturellement, la mort du marxisme signifie que quelque chose de plus élevé que le marxisme viendra le remplacer. »

La mort du marxisme dont parle ici Mao Zedong, c’est la naissance du matérialisme dialectique.

Est-ce que cela veut dire que le matérialisme dialectique lui-même connaîtra la mort, disparaîtra ? C’est évidemment le cas ; le matérialisme dialectique connaîtra le même sort que le marxisme : il s’effacera pour laisser place à une compréhension plus approfondie du monde. Ce sera le matérialisme dialectique ayant connu un saut qualitatif.

Quand cela déroulera-t-il ? Très certainement dans les décennies suivant l’unification de l’humanité et la systématisation du matérialisme dialectique au niveau mondial. Il y aura alors un tel approfondissement, un tel développement de nuances, que des différences apparaîtront et que la loi de la contradiction s’appliquera au matérialisme dialectique lui-même.

Mais on n’en est, bien sûr, pas encore là. Ce dont il s’agit, pour la période donnée, c’est que l’humanité assimile les fondamentaux du matérialisme dialectique et sache les manier dans la pratique, ou plutôt : que le matérialisme dialectique soit porté comme vision du monde par toujours davantage de gens, jusqu’à la généralisation complète à l’échelle de la société.

Le socialisme triomphera lorsque le prolétariat comprendra la contradiction qui le lie et l’oppose à la bourgeoisie, et lorsque la loi de la contradiction sera saisie dans la vie quotidienne, dans l’expérimentation scientifique et les sciences, dans la production industrielle et sa conception, dans les arts et les lettres.

C’est une nouvelle ère où, plus les connexions sont comprises, plus les connexions se développent, le saut qualitatif connaît sa maturité, et se réalise.