Albert Treint et Suzanne Girault

Deux figures sont en première ligne dans la période de reprise en main du Parti Communiste (SFIC) par l’Internationale Communiste. Il y a Suzanne Girault, qui était en Ukraine comme enseignant de français pendant quatorze ans, avant de revenir en France au début des années 1920.

Il y a Albert Treint, né en 1889, qui à la suite du départ de Ludovic-Oscar Frossard en janvier 1923, devient secrétaire général par intérim pendant un an aux côtés de Louis Sellier, ce dernier étant remplacé par le syndicaliste Pierre Semard.

Ces deux derniers étaient des centristes et Albert Treint représentait lui les partisans de la stricte application des exigences de l’Internationale Communiste.

Voici ce qu’il écrit dans son article « Lutter sans cesse pour la bolchevisation », dans le numéro de la fin décembre 1924 dans les Cahiers du Bolchevisme :

« La démocratie, y compris le socialisme, passent ouvertement dans le camp du fascisme.

Répression des grèves à Douarnenez, campagne de calomnies et de faux contre le Parti communiste, expulsion d’ouvriers étrangers suspects d’être des révolutionnaires, expédition policière contre l’école léniniste de Bobigny, tout cela montre que la démocratie, loin de combattre le fascisme, s’allie avec lui contre le prolétariat et les masses travailleuses (…).

Pour combattre le fascisme, nous devons, non pas traîner le prolétariat à la remorque des chefs du Bloc des Gauches, mais organiser sur des mots d’ordre politiques clairs les masses travailleuses trompées par le Bloc des Gauches autour du prolétariat et de son Parti communiste (…).

Le fédéralisme et l’esprit anarchisant ne s’éliminent pas en quelques semaines par un coup de baguette magique dans un Parti où ils régnèrent souverainement pendant près de vingt années (…).

L’esprit du bolchevisme commence à pénétrer les cerveaux et à produire des actes. Mais le tempérament demeure, chez trop de camarades, anarchisant et fédéraliste.

Il faut un effort constant, une vigilance constante de tout le Parti et de chaque membre pour vaincre les vieilles survivances et pour éviter les rechutes. »

Voici, de la même époque, une Lettre aux membres du Parti Communiste signée par Alfred Rosmer, Pierre Monatte, Victor Delagarde. Datant de fin novembre 1924, elle dénonce Albert Treint et la bolchevisation menée par l’Internationale Communiste :

« Depuis un an, on agite le spectre d’une droite dans le Parti et dans l’Internationale. On accuse cette droite de nuire, de désagréger, de décomposer le Parti ; on l’accuse d’entraver son travail politique et de susciter des obstacles à sa réorganisation sur la base des cellules d’entreprise.

Nous sommes bien sûrs de ne pas appartenir à la droite du Parti.

Quand Treint publia sa première édition de la géographie des tendances, Monatte lui répliqua avec raison que s’il voulait à tout prix nous classer quelque part il devrait nous loger dans une toute autre tendance, qui s’appellerait, la gauche ouvrière. Dans sa deuxième édition, revue et corrigée, des tendances du Parti, Treint paraissait donner satisfaction à cette juste revendication ; il parlait récemment du « néogauchisme ouvriériste, teinté de syndicalisme pur », de Monatte.

Nous n’étions toujours pas plus orthodoxes qu’avant ; nous sentions toujours le roussi; mais enfin c’en était fini de l’imbécile qualification de droitiers ; nous étions reconnus et proclamés gauchistes, néogauchistes.

Mais sous la plume et dans la bouche de Treint et de ses amis, les mots changent rapidement de sens. Dès le lendemain, nous redevenions la droite pestiférée. Il suffit sans doute de ne pas bailler d’admiration devant les cabrioles de Treint pour être rangé dans la droite (…).

Qu’il y ait un malaise grave dans l’Internationale, depuis la mort de Lénine et depuis sa retraite forcée par la maladie, c’est un fait trop visible, mais il est bien indépendant de la crise que traverse le Parti français (…).

La réorganisation sur la base des cellules est une œuvre capitale pour le Parti. S’il la réussit, c’est-à-dire s’il sait déterminer les tâches pratiques des cellules, éviter qu’elles tournent à vide et se découragent, il disposera réellement d’une base de granit.

Mais le granit pourrait bien se changer en sable mouvant si les cellules, au bout de quelques semaines, n’apercevaient pas le travail qui leur incombe, si on leur refusait, en outre, le droit élémentaire de désigner leur secrétaire et leur délégué de rayon, sans crainte d’un veto d’en haut.

Il est beaucoup question d’homogénéité, d’alignement, de discipline. Du haut en bas du Parti, on établit une cascade de mots d’ordre auxquels on doit obéir sans comprendre et surtout sans murmurer autre chose que le sacramentel : Capitaine, vous avez raison !

Une mentalité de chambrée se crée et les mœurs de sous-offs s’installent. Il n’est question que d’appareil à faire fonctionner, de permanents à instituer. Bientôt la bureaucratie du Parti fera la pige à celle de l’État français.

On dit que le Parti doit être une cohorte de fer. En réalité, quiconque fait preuve de caractère doit être brisé. »

La Conférence nationale extraordinaire du Parti de début décembre 1924 vota à l’unanimité l’exclusion des auteurs de la lettre. Albert Treint et Suzanne Girault furent ainsi les vecteurs du succès de l’Internationale Communiste face aux anti-centralisateurs, qui convergeaient toujours plus vers Léon Trotsky qui menait une opération du même esprit en Russie.

Cela permit une véritable orientation vers les usines, avec une prolétarisation générale du Parti par la constitution de cellules d’entreprise. Cela bouscula énormément le Parti socialiste SFIO, notamment avec les « comités d’unité prolétarienne » et le groupe « Clarté », qui visaient l’intégration des ouvriers socialistes.

Il y eut d’ailleurs une série de congrès ouvriers durant l’été 1925, notamment à Paris, Lille, Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg et Béziers ; y participèrent 7 230 délégués dont 200 socialistes, 320 syndiqués réformistes, 31 syndiqués autonomes, 1 173 sans-parti et plus de 200 sont des délégués de villages.

En décembre 1923 le Parti Communiste (SFIC) proposa au Parti socialiste SFIO de former un Bloc ouvrier et paysan, ce qui fut refusé (au profit du soutien aux radicaux dans le « Cartel des gauches »).

Et pour les municipales de 1925, le Parti Communiste (SFIC) annonça :

« Nous proposerons des listes communes avec des candidats socialistes en posant comme condition de prendre un certain nombre d’engagements comme celui de défendre en toute occasion les revendications les plus immédiates des travailleurs, de mener au sein des municipalités une lutte énergique en organisant au besoin des milices municipales antifascistes. »

On est toutefois là dans la perspective de se présenter comme le plus combatif, le plus activiste ; à l’arrière-plan, il reste un sectarisme terrible, fondé sur un style entre affirmation communiste et esprit syndicaliste révolutionnaire parisien.

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La reprise en main du jeune Parti Communiste SFIC par l’Internationale Communiste

L’Internationale Communiste prit en mains l’appareil du Parti Communiste, car elle s’aperçut que si le cap de la fondation du Parti était passé, la réorganisation n’avançait pas, alors que la base s’effritait.

Si l’on prend les bastions, la Fédération de la Seine (c’est-à-dire de la région parisienne), la plus importante, avait 21 200 membres en 1920, 15 167 en 1921, 10 000 en 1922. Entre 1921 et 1922, celle du Nord était passée de 11 000 à 8 000, celle du Pas-de-Calais de 6 000 à 3 500.

L’Internationale Communiste fit le ménage au sein de sa section française, en envoyant des ordres, des conseils, du personnel. Lors du troisième congrès du Parti Communiste (SFIC), en janvier 1924 à Lyon, elle envoya un message commençant de la manière suivante, en disant long sur ce qu’il était pensé des années 1921 – 1922 – 1923 (le congrès de Tours ayant eu lieu en décembre 1920) :

« Chers camarades,C’est la première fois que le P. C. F. réunit son congrès depuis que tous les éléments hostiles au communisme l’ont débarrassé de leur présence.

Le malaise qui s’y est fait sentir pendant plusieurs années était causé — tous aujourd’hui s’en rendent compte — par cette présence d’éléments hétérogènes restés dans le Parti pour en freiner le développement et saboter son action.

L’épuration survenue après le IVe congrès mondial, la cohésion morale et l’unité qui en résultent donnent au Parti Communiste français la possibilité de remplir sa mission historique.

L’Internationale Communiste qui a suivi avec un intérêt particulier toutes les phases de la crise que vous avez traversée, veut attirer l’attention de votre congrès et de tout le Parti sur quelques questions, qui se posent devant l’Internationale Communiste en général et devant le Parti plus spécialement.

[Suivent des points concernant la situation française surtout : I. — La Révolution sociale au centre de l’Europe, II. — La Situation générale en France, III. — Le Bloc des gauches et le réformisme, IV. — Le Bloc ouvrier et paysan, V. —Parlementarisme réformiste et parlementarisme révolutionnaire, VI. — La conquête des masses, VII. — Les prochaines élections, VIII. — La question de l’antimilitarisme, IX. — La question coloniale, X. — L’animation de la vie Intérieure du parti] »

L’Internationale Communiste réalisa quatre mesures en particulier. Tout d’abord, elle fit en sorte que la discipline soit réelle.

Ensuite, elle poussa à la formation d’une véritable direction. Elle ne cessa également de mentionner les décisions politiques n’allant pas, notamment en ce qui concerne le front unique.

Enfin, elle procéda à la réorganisation du Parti sur la base des cellules d’entreprises, une chose ayant sérieusement commencée au tout début de 1925 et terminée en 1926.

Cela coûta cher en termes numériques, car les exigences politiques sont bien plus élevées quand on travaille sur le terrain de l’entreprise par rapport aux réunions de section. La peur de perdre son emploi et la fuite devant les responsabilités fut de règle chez les éléments les plus timorés.

De plus, toute cette pression en faveur de la discipline, de la direction centralisée, d’un appareil de qualité, fut un prétexte pour une double agitation anti « russo-allemande ».

Il y avait des éléments finalement restés sociaux-démocrates dans le fond, qui sortirent pour fonder l’Union fédérative des travailleurs socialistes révolutionnaires en 1922, le Parti communiste unitaire en 1923.

Ces deux structures fusionnèrent quasi immédiatement dans une Union socialiste-communiste qui devint en 1927 le Parti socialiste communiste. Lui-même fusionna en 1930 avec le Parti ouvrier et paysan pour fonder le Parti d’unité prolétarienne, qui rejoignit la SFIO en 1937.

On aura compris qu’il s’agissait là d’éléments ayant cherché à semer la confusion, d’abord dans le Parti puis à l’extérieur, avant d’assumer d’être des sociaux-démocrates.

Il y a ensuite un courant porté par Boris Souvarine, d’origine ukrainienne et liaison à Moscou du Parti avec l’Internationale Communiste. Ce courant dénonce le centralisme et développe les thèses de Léon Trotsky, qui n’avait rejoint les bolcheviks qu’en 1917 et critiquait désormais leur « bureaucratisation ». Boris Souvarine fut exclu en 1924 et tenta l’aventure jusqu’en 1934 à travers un « bulletin communiste », une revue dénommée « La Critique sociale », puis un « Cercle communiste démocratique », pour devenir un expert anti-communiste jusqu’à sa mort en 1984.

Ce dernier courant, qui avait pris le dessus sur le premier dans les instances dirigeantes, fut immédiatement liquidé par l’intermédiaire d’Albert Treint et de Suzanne Girault.

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Le Parti Communiste SFIC à ses débuts : indiscipliné et éclaté

Comme le syndicalisme révolutionnaire était considéré comme la démarche porteuse, il n’y avait aucune raison pour le Parti Communiste (SFIC) d’accepter ni même de comprendre les exigences de l’Internationale Communiste en ce qui concerne la tactique du « front unique », présentée comme suit dans la Correspondance Internationale, publiée par l’Internationale Communiste :

« On ne peut pas, depuis 1919, compter sur un grand mouvement révolutionnaire en Europe à brève échéance, et la tâche immédiate de l’Internationale Communiste n’est pas l’organisation d’un nouvel assaut contre la société bourgeoise, mais la préparation et l’entraînement des forces qui donneront un jour cet assaut. »

C’est que le Parti français se forme tardivement, on est dans la période de stabilisation relative de la crise générale du capitalisme, principalement en Europe occidentale. Mais les partisans français de la IIIe Internationale considèrent qu’ils n’ont pas signé pour ça, ils veulent être de la vague révolutionnaire considérée comme une sorte de grand soir à grande échelle.

Adepte du concept de minorité substitutiste, le Parti Communiste (SFIC) n’entendait donc certainement pas chercher une unité dans quelque domaine que ce soit. Pour les activistes de la CGT unifiée, le front unique était réalisé justement par la CGT unifiée, tout comme le Parti était le seul front unique dans le domaine politique, puisqu’il avait différentes tendances.

La conférence des secrétaires fédéraux réfuta ainsi l’Internationale Communiste quant à la question du front unique, en janvier 1922, avec le Comité Directeur du Parti expliquant à l’unanimité moins une voix l’impossibilité d’une telle orientation en France.

En avril 1922, le Conseil national tenu à Aubervilliers prit ainsi une résolution par 3 337 mandats contre 627, avec 235 abstentions et 355 absents, affirmant que le Parti récuse la tactique de front unique, au nom de l’esprit dans lequel a été fondée l’Internationale Communiste. Or, c’était impossible puisque c’était le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste qui décidait, le Parti devant simplement adapter la réalisation de la décision aux conditions concrètes.

Déjà, au congrès de Marseille de décembre 1921, les tenants de la soumission complète à l’Internationale Communiste avaient été mis de côté et avaient démissionné du Comité Directeur. Il s’agit de Fernand Loriot, Amédée Dunois, Albert Treint, Paul Vaillant-Couturier (le premier quittera le Parti, le second et le troisième rejoindront la SFIO en 1927 et 1934 respectivement).

Toutes ces querelles reposaient de fait sur une incapacité à forger une direction, alors qu’il y avait une systématisation sur le plan de l’organisation.

Dès 1921 un immeuble fut acheté par le Parti Communiste (SFIC), au 120 rue La Fayette à Paris, afin de servir comme siège du Parti. La cour intérieure était couverte d’une verrière en forme de cercle, d’où le nom de salle de la Rotonde ; elle pouvait accueillir 200 personnes.

Il y avait une librairie au rez-de-chaussée, deux étages pour héberger des permanents, le Comité Central occupant le troisième étage. Il n’avait fallu que quinze jours pour obtenir la somme nécessaire par souscription.

C’était un premier pas allant dans le sens de la mise en place d’une réelle capacité de centralisation. Le souci était que le socialisme français était entièrement fédéraliste. À cela s’ajoute qu’il insiste sur l’existence du droit de tendance et sur la représentation proportionnelle de ces tendances à tous les niveaux du Parti. Aller dans le sens d’une rupture était très difficile.

On peut comprendre le problème en voyant la presse communiste en 1921. Elle est importante ; on a comme quotidien à Paris L’Humanité et L’Internationale (sortant le soir), ainsi que le Journal du Peuple. On a Le Populaire de Bourgogne basé à Dijon, La Dépêche de l’Aube basée à Troyes, La Volkstribune basée à Metz, La Neue Welt basée à Strasbourg, Habib el Oumma qui est publié en arabe à Tunis.

On a une presse bi-hedomadaire avec Germinal basé à Belfort et Le Travailleur basé à Sens.

Et on a une importante presse hebdomadaire : Le Bulletin Communiste (Paris), L’Éclaireur de l’Ain (Oyonnax), La Lutte Sociale (Alger), Le Travail (Montluçon), Le Travailleur des Alpes (Digne), L’Éclaireur (Decazeville), Le Populaire Normand (Caen), Le Travailleur Charentais (Ruelle), L’Émancipateur (Bourges), Le Prolétaire (Périgueux), Le Travailleur (Chartres), Germinal (Brest), L’Ordre Communiste (Toulouse), Le Réveil Socialiste (Nîmes), Travail (Bordeaux), La Voix Socialiste (Fougères), Le Réveil (Tours), Le Progrès (Vendôme), Le Peuple (Saint-Étienne), Le Travailleur (Agen), L’Anjou Communiste (Saumur), L’Égalité (Chaumont), Le Socialiste Nivernais (Nevers), Le Prolétaire (Lille), Le Réveil Social (Maubeuge), Le Franc-Parleur (Beauvais), Le Communiste du Pas-de-Calais (Boulogne), Le Cri du Peuple (Lyon), La Voix Paysanne (Paris), Le Travailleur Savoyard (Annecy), Le Communiste de Normandie (Rouen), L’Aube Sociale (de Seine-et-Oise) (Paris), Le Semeur (Chelles), L’Aube Sociale (Amiens), L’Avenir Social (Tunis), L’Avenir (Carpentras), Le Prolétaire (La-Roche-sur-Yon), Le Prolétaire (Châtellerault), L’Émancipation (Saint-Denis), L’Éveil Communiste (Montrouge), La Butte Rouge (Paris), Le Midi Communiste (Marseille).

Il y a également le bi-mensuel L’Étincelle, à Épinal.

En l’absence de centralisation, de formation des cadres, comment faire pour que toute cette presse aille dans le même sens, soit sur les mêmes bases, ne soit pas une source d’éparpillement et même de division ?

Le Journal du Peuple, quotidien parisien fondé en 1916, était par exemple le bastion de l’aile droite du Parti Communiste (SFIC) et cette situation était un scandale aux yeux de l’Internationale Communiste.

L’exclusion de son responsable était considérée comme fondamentalement nécessaire :

« L’exclusion de [Henri] Fabre et de son journal est une étape de la lutte contre cet esprit de bohème intellectuelle anarcho-journalistique qui, particulièrement en France, prend successivement toutes les formes, toutes les couleurs de l’anarchisme et de l’opportunisme, et finit inévitablement par un coup de couteau dans le dos de la classe ouvrière. »

Sont également exclus Pierre Brizon tenant le journal La Vague, le journaliste Paul-Louis, rédacteur de politique étrangère dans l’Humanité travaillant également au Progrès de Lyon et à La France de Bordeaux.

Subissent le même sort Victor Méric lié à la Ligue des Droits de l’Homme, et en général ceux qui relèvent de la culture radicale républicaine liée à la franc-maçonnerie. Ceux qui en sont membres doivent la quitter avant le premier janvier 1923 et sont écartés des responsabilités pour deux ans, ou bien c’est l’exclusion.

C’en était terminé de la logique la participation individuelle à une sorte d’aventure intellectuelle pour une république sociale. L’Internationale Communiste exigea d’ailleurs que cesse la parution d’articles signés, qui était un prétexte pour faire de la presse des moyens de faire carrière individuellement, d’aller dans le sens de monter des tendances, fractions, etc.

Les intellectuels étaient mis au pas, la culture républicaine – franc-maçonne écrasée : il ne restait plus qu’à prolétariser le Parti Communiste SFIC, ce que l’Internationale Communiste réalisa en le restructurant entièrement.

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Le Parti Communiste SFIC et la capitulation initiale face au syndicalisme

Le Parti Communiste (SFIC) a une conception socialiste de son travail, c’est-à-dire qu’étranger à la social-démocratie historique, il n’accorde pas de valeur à la théorie. Aussi met-il en place à sa fondation un « Conseil d’Études Communistes », qui doit être un « Laboratoire du Communisme ».

Il s’agirait de trouver les moyens de faire « passer » dans la vie les principes de la doctrine communiste, en étudiant les ressorts psychologiques et économiques. Une fois cela fait, on saurait comment réorganiser la société de manière adéquate.

C’est là non seulement du socialisme utopique, mais c’est qui plus est ouvertement à l’écart du marxisme, avec une méconnaissance complète de ce qu’est le matérialisme historique. Cela implique de ce fait nécessairement une soumission au syndicalisme révolutionnaire, puisque celui-ci a justement la prétention de former une minorité capable de « réorganiser » l’économie de la même manière, en forçant le cours des choses.

C’est là d’ailleurs une conception mécanique tout à fait en phase avec une lecture française de la réalité comme « mathématique », ordonnée, etc. L’Internationale Communiste va sous-estimer ce vaste problème, typiquement français, où une minorité substitutiste prétend tracer une ligne droite – la grève générale – pour mener des transformations prévues en laboratoire.

Son souci était que sa section française aille aux masses, qu’elle ne forme pas un bloc séparé et autoréférentiel. Si on avait un Parti Communiste en restant à une posture gauchiste, ce serait l’isolement et l’effondrement. Ce fut par exemple le sort du Parti Communiste d’Autriche, le premier Parti Communiste fondé après Octobre 1917 pourtant, qui ne sortit jamais d’un sectarisme et d’un isolement social pratiquement complet.

Et le souci était donc que le Parti Communiste (SFIC) se maintenait sur la ligne du Parti socialiste SFIO en ce domaine. Le Parti devait promouvoir la révolution politiquement, mettre en place les perspectives, les syndicats se chargeraient du travail concret. Le Parti Communiste (SFIC) ne comptait donc pas du tout partir en guerre avec les syndicalistes révolutionnaires, qui évidemment provoquèrent un scandale lorsque fut fondée l’Internationale Syndicale Rouge qui exigeait la primauté du politique.

Le Parti Communiste (SFIC) recula ouvertement dans sa décision du 22 juillet 1921 :

« Le Comité Directeur, considérant les appréciations contradictoires que suscite dans les milieux syndicalistes la résolution votée à Moscou par l’Internationale des syndicats rouges, rappelle que la position du Parti communiste en France a été définie par la motion de Tours, disant textuellement, en ce qui concerne les rapports du Parti avec les syndicats :

« le Parti groupe les militants de toutes les organisations prolétariennes qui acceptent ses vues théoriques et ses conclusions pratiques. Tous, obéissant à sa discipline, soumis à son contrôle, propagent ses idées dans les milieux où s’exercent leur activité et leur influence.

Et lorsque la majorité, dans ces organisations, est conquise au communisme, il y a entre elles et le Parti coordination d’action et NON ASSUJETTISSEMENT d’une organisation à une autre. »

En réponse aux allégations des dirigeants actuels de la CGT, le Comité directeur fait observer que la motion votée à Moscou, loin d’impliquer une « subordination » quelconque des organisations syndicales à l’organisation politique, se borne à préconiser « un contact étroit et une liaison organique » entre les exécutifs de l’Internationale communiste et de l’Internationale syndicale.

Il fait observer, d’autre part, que les social-dissidents, après avoir réclamé pour leur compte une entente permanente et une liaison organique entre syndicats et entre CGT et Parti, sont mal qualifiés pour se poser aujourd’hui en champions de l’Indépendance syndicale dont le Parti communiste n’a pas cessé de proclamer la nécessité en France.

Le Comité directeur affirme une fois de plus sa volonté de ne rien négliger pour réaliser en France, dans le respect de l’autonomie traditionnelle du syndicalisme, l’unité révolutionnaire du front prolétarien. »

De par la force du syndicalisme révolutionnaire en France, ce positionnement était suicidaire pour le Parti Communiste (SFIC). Il fallait assumer le conflit, mais il n’y avait personne pour cela dans ses rangs et encore moins à la direction, de par le regard favorable sur le « tempérament » syndicaliste révolutionnaire.

Ce déficit idéologique très grave apparut pleinement lors de la grande grève des dockers du Havre en août 1922, avec des affrontements très violents et plusieurs morts. Le Parti Communiste (SFIC) resta à l’écart et même ses militants participant aux luttes considérèrent que c’était normal, que c’était une question purement syndicale.

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Parti Communiste SFIC : de grandes difficultés à se mettre en place

Un an après la transformation du Parti socialiste SFIO en Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste au congrès de Tours, il y eut un congrès qui se tint à Marseille, du 25 au 29 décembre 1921. Il fut bien moins triomphaliste et constatait un immense travail à mener.

Entre-temps, il y avait eu une modification de son règlement lors d’une assemblée nationale en avril 1921, puis une seconde assemblée nationale en octobre pour le compte-rendu des délégués français au troisième congrès de l’Internationale Communiste.

À ce troisième congrès, la section française ne formait nullement une actualité et il n’en fut parlé qu’en passant. Il était souligné que les Français étaient très en retard, à tous les niveaux, d’où la mansuétude de l’Internationale Communiste à leur égard. Cela provoquait la colère des Italiens d’ailleurs, pour qui il y avait deux poids, deux mesures.

Mais c’est que l’Internationale Communiste a compris que le Parti français avait de gros problèmes de constitution.

Contrairement à ce qui était imaginé lors du congrès de Tours en décembre 1920, les scissionnistes restaient une force de nuisance très puissante. Ils étaient partis avec cinq quotidiens de province sur six, la plupart des élus, des propagandistes, des administrateurs, des archives des fédérations…. Et bien évidemment des caisses des fédérations, tout comme la caisse du Parti (ne laissant que 1 500 francs sur les 60 000).

D’où l’appel au soutien financier publié dans l’Humanité :

« Socialistes ! Travailleurs ! Nous faisons appel à vous pour nous aider dans ces circonstances et nous assurer immédiatement, par un don généreux des masses ouvrières, les ressources dont nous aurons besoin pour développer toute notre action.

Que les gros sous des prolétaires remplacent les cotisations des élus traîtres au Parti !

Que la souscription publique, ouverte aujourd’hui par nous, permette à l’enthousiasme des travailleurs pour la IIIe Internationale et la Révolution russe de se manifester avec éclat !

Aux misérables listes sur lesquelles les dissidents épinglent péniblement les noms de quelques individus déserteurs du devoir, il faut que répondent des milliers et des milliers d’hommes sincères qui veulent se serrer autour de notre vieux drapeau rouge, où brillent, depuis notre glorieux Congrès de Tours, les armes de la République des Soviets !

Nous voulons que la souscription qui commence nous apporte une force morale en même temps que l’aide matérielle nécessaire ; nous souhaitons qu’elle nous permette de faire immédiatement le dénombrement des dévouements les plus actifs sur lesquels nous pouvons compter. »

Il s’en fallut même de peu que justement l’Humanité ne passe aux mains des scissionnistes. C’est dire l’ampleur des problèmes, largement sous-estimés au congrès de Tours, alors que les scissionnistes s’étaient préparés largement en amont déjà.

Il est vrai que les dirigeants du Parti Communiste (SFIC) avaient de toute façon une démarche absurde. Au lieu de revendiquer l’ensemble des fonds du Parti socialiste SFIO au nom de la continuité, ils prônaient le compromis, en proposant la répartition des fonds selon le nombre des mandats des motions au congrès de Tours ! On était au degré zéro de la combativité.

Ce n’est pas tout : malgré la forte progression des opposants au sein de la CGT, la direction de celle-ci avait réussi à profiter de sa faible majorité en termes de mandats et à provoquer une scission/expulsion, avec en décembre 1921 la formation de la Confédération générale du Travail Unitaire, liée à la SFIC. C’est une défaite en termes de bataille pour la légitimité, puisque le Parti socialiste SFIO « maintenu » peut utiliser cela comme argument en sa faveur.

Et à cela s’ajoute le fait que la CGT-U est également voire surtout impulsée par les syndicalistes révolutionnaires, dont une partie se confond avec le Parti Communiste (SFIC) dans un insupportable mélange des genres.

Ce problème serait à la limite secondaire s’il y avait une réelle direction qui s’était formée à partir de la bataille du congrès de Tours. Ce n’est pas le cas, car la lutte de deux lignes n’a pas été menée en tant que telle, les partisans de l’Internationale Communiste n’ayant cessé de louvoyer, de vouloir convaincre les sociaux-patriotes.

Quel fut le résultat ? La direction du Parti était, en 1921 constituée des éléments suivants.

Ludovic-Oscar Frossard est le secrétaire général, Fernand Loriot est secrétaire international, Antonio Coen est secrétaire adjoint, Marcel Cachin est Directeur de l’Humanité. Il y a comme délégués permanents Raoul Verfeuil, Flavien Veyren, Lucie Colliard, Charles-André Julien.

Or, Ludovic-Oscar Frossard démissionne en janvier 1923, pour fonder une Union socialiste communiste et finalement revenir à la SFIO dès 1925. Fernand Loriot cesse toute activité dès 1922 et quitte le Parti en 1926.

Antonio Coen est exclu en 1926 pour appartenance à la franc-maçonnerie et il rejoint la SFIO. Raoul Verfeuil est exclu en 1922, il rejoint l’Union socialiste communiste, puis dès 1924 la SFIO.

Flavien Veyren quitte le Parti en 1923, pour rejoindre l’Union socialiste communiste et finalement la SFIO après 1945. Lucie Colliard est exclue en 1929, elle rejoint le Parti socialiste ouvrier et paysan en 1938, puis la SFIO en 1945. Charles-André Julien quitte le Parti en 1926 et rejoint la SFIO en 1936.

Cela signifie que sur les huit premières figures majeures du Parti Communiste (SFIC), six finissent par rejoindre la SFIO ! Fernand Loriot fréquente de son côté l’ultra-gauche, seul Marcel Cachin restant inébranlable.

Mais Marcel Cachin n’est pas un dirigeant et d’ailleurs il a une tendance au centrisme très marqué, lui qui vient de la droite initialement. En fait, le Parti Communiste (SFIC) n’apparaît pas comme ayant été porté par des cadres ; sa naissance reflète un élan, mais tout l’appareil du Parti a été siphonné par les scissionnistes et il n’y a pas une nouvelle génération prête à en former un nouveau.

Le Parti Communiste (SFIC) apparaît ainsi, en 1921 au congrès de Marseille, comme construit sur des sables mouvants. Il n’a pas de dynamique, alors qu’on aurait pu considérer que sa fondation en aurait formé une.

Son nombre de membres a d’ailleurs reculé, passant de 178 787 à 131 476. C’est moins qu’au congrès de Strasbourg de début 1920 (133 227) et c’est en fait une baisse exprimant une véritable tendance, s’étalant sur toute la décennie.

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Le matérialisme dialectique et la réponse à 1 + 1

Du point de vue bourgeois, 1 + 1 = 2. Cela repose sur la tradition partant de Pythagore, passant par Platon puis Descartes, débouchant sur l’idéologie mathématique. Le monde serait constitué à partir de nombres ; comprendre quelque chose consisterait à étudier sa composition numérique.

On évalue chaque chose au moyen des nombres, car tout est dénombrable, les nombres étant fixés, stables, éternellement de même nature. Comprendre une chose, ce serait la mesurer.

Descartes résume cette conception en disant que :

« J’ai découvert que toutes les sciences qui ont pour but la recherche de l’ordre et de la mesure se rapportent aux mathématiques ; qu’il importe peu que ce soit dans les nombres, les figures, les astres, les sons, ou tout autre objet, qu’on cherche cette mesure ; qu’ainsi il doit y avoir une science générale qui explique tout ce qu’on peut trouver sur l’ordre et la mesure prise indépendamment de toute application à une matière spéciale. »

L’idéologie mathématique repose de ce fait forcément sur l’existence d’un « 1 » primordial, « Dieu », qui donnerait naissance au multiple tout en lui conférant une certaine unité pour ne pas qu’il s’éparpille.

Le matérialisme dialectique rejette cette conception qui donne une « source » unique à la réalité et qui la voit comme « composée » au moyen de nombres. Concrètement, le matérialisme dialectique rejette le « dénombrement » du monde et de ses éléments, au nom de l’infini.

Comme tout est divisible à l’infini, on ne saurait trouver des éléments stables, fixés pour l’éternité et donnant une « composition » certaine, éternelle, du point de vue mathématique.

Il n’existe pas d’éléments fixes, statiques, éternels, comme le seraient les nombres. Autrement dit, les choses ne sont pas dénombrables, car elles ne sont pas séparables les unes des autres, déjà, mais en plus dans leur aspect relatif par rapport aux autres choses, elles sont également en mouvement, donc insaisissables au moyen d’éléments statiques, fixes comme les nombres.

Pour le matérialisme dialectique, les mathématiques sont un moyen de « photographier » la réalité, c’est-à-dire de quantifier un processus à un moment donné, pour un certain état donné. Mais cela s’arrête là : il n’y a pas de « décodage » du « langage » de l’univers au moyen des mathématiques.

Pour cette raison, il n’existe pas dans les faits de formule mathématique abstraite comme « 1 + 1 = 2 », mais toujours une réalité physique concrète, à un moment donné, ce qui fait qu’on a : 1 crayon + 1 crayon = 2 crayons, ou bien 1 homme + 1 femme = 1 homme + 1 femme + 1 bébé.

Comment le matérialisme dialectique cerne-t-il cependant la question « 1+ 1 = ? » en tant que telle ?

Il existe trois réponses possibles :

a) la question 1 + 1 n’est, au sens strict, pas possible car l’univers forme une seule unité globale ; il n’est donc pas possible de séparer les éléments le composant ;

b) la question 1 + 1 a comme réponse 1, car chaque chose a deux aspects, comme l’exprime la loi de la contradiction ou conception des deux points ; on a ainsi 1 +1 = 1, ce qui est parfaitement juste puisque cela signifie également que 1 +1 = (1 +1) + (1 +1) = 1, et ce à l’infini ;

c) la question 1 + 1 a comme réponse 3, car toute contradiction porte un saut qualitatif et amène à davantage que les quantités initiales.

Il existe alors deux possibilités : choisir une réponse parmi les trois, ou bien considérer qu’il manque une réponse pour avoir deux contradictions se faisant face, composant elle-même une seule contradiction.

Au sens strict, la réponse de type a) et celle de type b) se répondent ; dans l’une, on a un monde réduit au « 1 » et, dans l’autre, on a l’infini. On a ainsi la contradiction entre le fini et l’infini. C’est, de ce fait, en soi la preuve que 1 +1 = 1.

Il faut alors chercher la réponse correspondant de manière dialectique à la réponse de type c), qui dit que 1 + 1 = 3 en raison de l’existence d’un saut qualitatif.

L’opposé du qualitatif, c’est le quantitatif. On devrait alors logiquement penser qu’il suffit de supprimer le saut et de laisser les choses se cumuler quantitativement. On aurait alors 1 + 1 = 2.

1 + 1 = 2 et 1 + 1 = 3 seraient deux opposés, comme expressions de l’opposition entre quantité et qualité.

Un tel choix n’est cependant pas possible. En effet, quand on dit 1 + 1 = 3, on n’a pas que la qualité, on a aussi la quantité. 1 + 1 = 3 c’est en effet 1 + 1 = 2 + le saut qualitatif. On ne peut pas séparer la quantité de la qualité.

Pourtant, on ne peut pas séparer la qualité de la quantité non plus. Quelle est alors la réponse à donner à 1 + 1 dans un telle approche où l’on cherche l’opposé de la qualité ?

C’est simplement 1 + 1 = 0. Le contraire du saut qualitatif – qui passe par la quantité – n’est pas une quantité statique, mais le statique lui-même. 1 + 1 = 0 signifie : rien ne change.

La contradiction entre 1 + 1 = 0 et 1 + 1 = 3 est celle entre l’absolu et le relatif (et inversement).

Les deux aspects d’une chose permettent l’existence d’un processus, son existence relative en tant que processus – et ce processus est absolu car il existe en tant que tel.

Mais les deux aspects portent en soi la rupture et confère donc à l’existence d’une chose, de manière absolue, un caractère seulement relatif à son existence, qui est ainsi dépassable.

On a ainsi :

  • 1 +1, c’est-à-dire seulement le 1, c’est-à-dire le fini
  • 1 + 1 = 1, c’est-à-dire 1 +1 = (1 +1) + (1 +1) = 1, c’est-à-dire l’infini
  • 1 + 1 = 3, c’est-à-dire la qualité passant par la quantité, c’est-à-dire l’absolu relatif
  • 1 + 1 = 0, c’est-à-dire la chose en elle-même, le relatif absolu

Ce qui donne :

d’abord
la
première
contradiction :
l’espace
ensuite
la
seconde
contradiction :
le temps

1 + 1 = 1, c’est-à-dire 1 +1 = (1 +1) + (1 +1) = 1, c’est-à-dire l’infini
1 +1, c’est-à-dire seulement le 1, c’est-à-dire le fini
1 + 1 = 3, c’est-à-dire la qualité passant par la quantité, c’est-à-dire l’absolu relatif
1 + 1 = 0, c’est-à-dire la chose en elle-même, le relatif absolu

La question 1 + 1 ne saurait ainsi se répondre de manière mécanique, statique, au moyen de nombres fixés éternellement et ayant une valeur en soi ; elle pose, au fond, la question du rapport du temps à l’espace, c’est-à-dire du mouvement à la matière elle-même, matière qui porte le mouvement et produit ainsi le temps.

Le matérialisme dialectique et le caractère inégal des artistes et des scientifiques

A travers les orages le soleil de la liberté a brillé pour nous
Et le génial Lénine a éclairé notre chemin
Staline nous a élevés – pour la loyauté au peuple
Pour le travail et les exploits

Tout développement se caractérise par le développement inégal ; rien n’est linéaire et un processus qui s’affirme se distingue nécessairement des autres processus de par ses nuances, sa différence, finalement sa contradiction avec eux.

Tout développement se pose ainsi comme un déséquilibre, un saut qualitatif, une émergence, une modification, avec un aspect particulier qui prime, qui bouscule l’équilibre ainsi que les autres aspects.

Cela est vrai non seulement pour ce qu’observent l’artiste et le scientifique, en tant que phénomène matériel observé, mais cela est vrai également de l’observation de l’artiste et du scientifique elle-même. Toute pensée est un phénomène matériel, se déroulant par un être humain concret, et elle obéit de ce fait elle-même à la loi de la contradiction.

Il n’y a pas de pensée « pure » ; toute pensée est une activité de la matière grise propre à un être humain dans une situation concrète.

Cette pensée est dans les faits une réflexion, le reflet de la réalité. Et ce processus de réflexion est lui-même contradictoire dans son développement, il est lui-même de nature inégale, rien qu’au sens où cette réflexion n’est pas celle des autres êtres humains, de par ses nuances, sa différence et finalement la contradiction qu’elle pose avec les autres réflexions.

C’est la raison pour laquelle les artistes et les scientifiques troublent de par leurs réflexions, qui se posent comme des affirmations qui sont en décalage avec les réflexions des autres êtres humains, qui n’ont eux pas encore connu le même processus de pensée, en raison du développement inégal.

L’humanité est en retard sur le développement de la matière, mais elle est également en retard sur l’artiste et le scientifique qui sont en première ligne pour saisir un aspect de ce développement.

C’est la raison pour laquelle les artistes et les scientifiques, lorsqu’ils réalisent des œuvres artistiques ou scientifiques, surprennent, étonnent ou choquent, de par le caractère avant-gardiste de leur démarche, les autres êtres humains prenant conscience a posteriori par rapport à eux.

C’est la raison pour laquelle les artistes et les scientifiques se sentent en décalage par rapport aux êtres humains, éprouvant une certaine méfiance ou réticence à la socialisation, ayant peur d’être incompris, rejetés, ostracisés pour leurs efforts de synthèse.

Spinoza, qui raisonnait au 17e siècle sur l’univers comme formant un ensemble organisé et systématique, avait ainsi pris comme devise « Caute », soit « prudence », « méfiance » ; il savait que sa cosmologie était si avancée et l’humanité si en retard que sa vie serait en danger s’il ne prenait garde à ce qu’il disait publiquement. Averroès avait au 12e siècle la même position face au fanatisme musulman, alors que lui-même diffusait la philosophie matérialiste d’Aristote.

Inversement, des artistes et des scientifiques ont fait un fétiche de cette position en décalage, étant épaulés en cela par le capitalisme qui a mis en avant cette forme pour jouer les faussaires quant au contenu.

L’esthétique noire de Baudelaire, la figure des « poètes maudits », le symbolisme de Rimbaud, le surréalisme… sont des exemples bien connus en France d’un charlatanisme se prétendant visionnaire au nom d’un décalage en réalité théâtralisé et nullement produit par une situation d’avant-garde.

L’art moderne puis l’art contemporain fonctionnent précisément par décalage, surprise, étonnement… afin de prétendre représenter quelque chose d’avant-garde. C’est une caricature de la réalité dialectique – au caractère forcément inégal – de l’artiste.

Il y a pareillement une théâtralisation menée par certains scientifiques – de manière fétichisée sur une base initialement scientifique ou bien de manière entièrement manipulatoire – afin d’apparaître comme des génies ouvrant la voie à quelque chose de radicalement nouveau, de formidable (comme Wilhelm Reich avec sa révolution sexuelle et « l’orgone » comme forme d’énergie vitale, en France Didier Raoult et le covid-19 comme gripette dont il aurait la solution, etc.).

En somme, pour apparaître visionnaire, des figures cherchent à apparaître comme tourmentés, en décalage, à part, « maudits », en opposition au « système », etc.

Cela existe bien entendu dans le domaine de l’idéologie où il y a toujours des ultras cherchant à se donner une image hyper-révolutionnaire au moyen de coups d’éclat plus ou moins superficiels, afin de se donner l’image d’une avant-garde, de prétendre représenter un développement inégal.

En réalité, tout se démasque aisément si l’on voit que le caractère inégal des artistes et des scientifiques repose sur une activité de synthèse de la réalité.

La réalité se transforme, les artistes et les scientifiques voient cette transformation et la reflètent, dans un processus en décalage avec les autres êtres humains. Mais ce reflet est un processus de synthèse ; les artistes et les scientifiques ne s’éloignent pas de la réalité, ils cherchent à la représenter de manière synthétique, complète.

Ils visent à poser un monument de clarté ; ils n’ont rien à voir avec une théâtralisation cherchant à imiter la complexité et la découverte.

Ils portent une dimension démocratique, car ils cherchent à montrer quelque chose de manière synthétisée ; ils ont une exigence de complétude, une logique d’encyclopédie, car ils portent la systématisation dans le rapport au réel. Ils savent que tout le monde atteindra un jour cette dimension synthétique, d’où leur souci de l’accessibilité, de la diffusion des conceptions à l’ensemble du peuple.

Les artistes et les scientifiques sont ainsi, lorsqu’ils sont authentiques, forcément du côté de la démocratie et du peuple ; le développement inégal de leur démarche les rend cependant méfiants et en décalage, exigeant un rapport dialectique de la société avec eux, une bienveillance complète marquée par la fermeté sur les principes, comme l’URSS le fit avec l’écrivain Maxime Gorki et le scientifique Vladimir Vernadsky.

Le nouveau chasse l’ancien et cela passe par la synthèse ; les porteurs de synthèse correspondent à un développement inégal, tant de par leur activité que dans le développement inégal observé, synthétisé. Une société saisissant cette dimension de l’activité des scientifiques et des artistes est capable de les reconnaître pleinement, de les soutenir, de les orienter, de développer réellement la science et les arts.

L’industrie de la reproduction humaine illustre une énième facette de la seconde crise générale du capitalisme

Plus le capitalisme avance, plus il doit trouver de nouveaux marchés pour se reproduire, et pour cela il doit de plus en plus se tourner vers du superflu et faire tomber les barrières morales. Cette dynamique va en s’intensifiant en temps de crise, puisqu’il existe alors une masse de capital cherchant à s’investir.

C’est le cas du marché de la reproduction humaine, qui profite de la stérilité causée par d’autres secteurs détruisant la nature et les capacités de reproduction des espèces, mais aussi de l’égocentrisme inhérent à une société individualiste.

Au lieu d’orienter les incroyables forces productives et technologiques vers le développement d’un mode de vie harmonieux, il y a un désordre caractéristique, où l’on ne raisonne qu’en court terme et en parades des développements anarchiques antérieurs.

En somme, on soigne les maux d’une industrie mortifère par une autre, encore plus aliénante avec de nouveaux intérêts en jeux.

Le grand « avantage » du marché de la reproduction est qu’il place son créneau dans le fondement même de la vie : perpétuer l’espèce. Et celle-ci passe par la capacité à se reproduire. C’est donc quelque chose qui peut passer facilement pour incontournable, dans lequel on ne va pas hésiter à investir.

Cette industrie a tout intérêt à transformer la procréation, déplaçant une production naturelle par une artificielle grâce à la technologie. C’est en cela que peuvent se créer de nouveaux secteurs dans lesquels les capitaux disponibles peuvent venir s’injecter.

Prenons par exemple les dispositifs de congélation des gamètes, l’imagerie médicale de pointe, le matériel obstétrique et bien sûr, le développement des outils génétiques, permettant d’isoler des gènes, de raccrocher des morceaux d’ADN tels que les ciseaux génétiques CRISPR-Cas9.

C’est que pour être réellement un marché viable, la reproduction va devoir toucher les couples hétérosexuels non-stériles, le plus gros marché potentiel. Le moyen d’y arriver est la génétique.

Pour ce marché en pleine expansion, la libéralisation de la PMA n’est pas un droit pour les homosexuels, c’est l’outil principal du processus permettant de faire passer un saut qualitatif au marché en allant à la rencontre des couples fertiles et des femmes seules.

Et pour toucher des couples stériles et des femmes seules, il faut proposer quelque chose d’attractif à banaliser, avec le pragmatisme génétique, « pour le bien de sa descendance ».

On a ainsi un développement extrêmement sophistiqué de la génétique pour pouvoir d’abord proposer l’implantation d’embryons « sains », puis pour pouvoir de plus en plus proposer des « options ».

Le bond de la pratique de la PMA depuis 2015 correspond d’ailleurs à l’amélioration des congélations d’ovocytes, mais aussi à la multiplication des possibilités de diagnostiques préimplantatoires (DPI), avec notamment des techniques permettant, outre d’éliminer un large spectre de maladies génétiques, de choisir le sexe depuis l’analyse génétique de l’embryon.

On a donc des parents non-stériles qui optent pour la PMA pour éviter des « problème génétiques », ceux-ci allant de la trisomie 21 à la dyslexie en passant par le strabisme comme cela peut être proposé au Royaume-Uni. Et d’autres encore, parce qu’ils ne veulent pas de fille, du fait d’une société encore fortement patriarcale comme c’est souvent le cas des couples chinois, par exemple.

Depuis ces améliorations, le marché de la procréation et ses multiples entreprises éparpillées commencent à connaître une activité intense de fusions – acquisitions, montrant une tendance au monopole.

Au début des années 2010, les entreprises étaient éparpillées, avec d’un côté des cliniques « indépendantes », de l’autre quelques banques de sperme et une industrie de niche.

En Europe, c’est l’Espagne qui a constitué le premier pôle à faire de la reproduction un secteur avec un ensemble de cliniques privées (IVI) essaimant à l’étranger, profitant des lois libérales. Dans ce pays, le marché de la procréation était estimé à un chiffre d’affaire de 500 millions d’euros environ en 2018.

À titre comparatif, le marché des jus de fruit dans ce même pays (premier vendeur européen) est de 730,63 millions d’euros. La procréation est un secteur du médical dans lequel l’Espagne est spécialisé, au même titre que les jus de fruits dans l’agro-alimentaire.

Mais pour gagner du terrain il faut pouvoir baisser les prix et bénéficier de lois favorables, cela ne peut se faire qu’en « pesant » toujours davantage.

C’est le sens de la fusion en 2017 d’IVI les cliniques espagnoles et RMANJ les américaines, faisant de IVI-RMA Global le leader mondial du marché de la procréation.

Aux USA, le marché de la reproduction est estimé à 3,6 milliards de dollars en 2017. Toujours à titre comparatif, 1,65 milliard c’est le chiffre d’affaire de Burger King en 2018.

En Asie aussi, le marché de la reproduction est en plein essor, avec une industrie des biotechnologies très développée. La discrimination sexuelle à la naissance au bénéfice des garçons, encore très présente, y promet la popularité du CGP (criblage génétique préimplantatoire, sorte de DPI permettant le choix du sexe).

Progressivement, les leaders du marché de la procréation vont inéluctablement arriver au stade de monopoles, avec 2 grands secteurs :

1) Les services, des cliniques liées aux banques de gamètes et aux agences de mères porteuses, qui sont en lien avec les clients.

2) Les bio-technologies et labos pharmaceutiques (avec les tests ADN, l’imagerie médicale, les outils génétiques, les traitements hormonaux, les instruments obstétriques…) représentant tout de suite des masses de capitaux énormes dont la procréation n’est qu’une nouvelle branche.

La tendance est également à racheter quelques acteurs des services pour disposer d’un contrôle complet de la chaîne de production de fœtus. Plus il y a de cliniques, plus leur industrie a des débouchés.

Viennent ensuite des secteurs adjacents comme l’assurance, le transport, le « tourisme de la santé »…

Évidemment tout cela se fait de manière absolument opaque et anti-démocratique, il est par exemple très difficile de trouver des chiffres, des données et de savoir où tout cela peut bien mener la société.

La pression du secteur est déjà énorme sur les pays n’ayant pas encore libéralisé la PMA, mobilisant toute une couche intermédiaire intellectuelle libérale sous couvert d’égalité des droits.

Il en va de même pour la Gestation Pour Autrui (GPA). Le sandale des nouveaux nés coincés dans le pays de leur « gestatrice » pendant les confinements amène les pro-réglementation à arguer en faveur d’une législation pour faciliter les filiations à l’internationale.

Avec la GPA on normalise le fait de louer le corps d’une femme pour accéder au « désir » d’enfant de tierces personnes. On connaît bien le cas des couples gays, deux hommes ne peuvent pas avoir d’enfants. On connaît aussi le cas des couples hétérosexuels dont l’utérus de la femme ne fonctionne pas. À cela s’ajoute une multitude de raisons tordues de recourir à une mère porteuse : Avoir un enfant après la ménopause, ne pas vouloir abîmer son corps de femme « objectifié » ou encore être un homme et vouloir un enfant tout seul.

À aucun moment il n’est question de morale, tout est une question de pseudo-égalité à posséder des enfants, de possibilités et de choix, et le rôle du libéralisme est de promouvoir une société où la pire des choses n’est pas la traite des êtres humains mais l’entrave à la liberté de choix.

Cependant pour la GPA, l’argument de l’égalité des droits à beaucoup plus de mal à faire son chemin puisque cette pratique relève purement et simplement de la traite des êtres humains.

D’autant plus que l’exploitation reproductive nécessite un réservoir de femmes précaires pour baisser ses prix et pouvoir prétendre à vendre une grossesse à des couples de classe moyenne.

C’est le sens des multiples tentatives d’ouverture de la GPA en Amérique Latine, ou de son développement dans les pays de l’Est de l’Europe. À l’inverse on a pu voir de scandaleuses usines à bébés en Inde, mais la pression populaire a mené à procéder à une législation restrictive en 2015.

La crise du mode de production va entraîner une accélération de ce phénomène avec des injections massives de capitaux et une bourgeoisie moderniste poussant à une élimination complète des barrières morales en contournant le débat démocratique, avec par exemple des résolutions internationales.

La bioéthique va donc être une question cruciale au niveau mondial, c’est un aspect supplémentaire de la friction entre le capitalisme et l’ensemble de la vie, de la biosphère, toujours plus méprisée et bafouée.

Le capital e-commercial dans la seconde crise générale du capitalisme

La crise générale a nécessairement un développent inégal selon les secteurs d’activités. D’ailleurs, c’est une nécessité pour les communistes que de comprendre les modalités de krach de tels et tels secteurs, avec en même temps, dialectiquement, les modalités d’essor accéléré d’autres secteurs. Sinon, on bascule dans une lecture unilatérale et on ne comprend pas la nature profondément contradictoire de la crise.

La plasticité du capitalisme permet à une partie du capital de s’engouffrer dans les possibilités de modernisation-restructuration offerte par la « crise » – en même temps, cela désaxe le capitalisme et accentue la pression sur les capitalistes en général.

À ce niveau, l’essor de la vente en ligne comme expression du capital commercial est un bon exemple pour comprendre le processus dialectique d’essor particulier d’une branche capitaliste qui renforce l’aspect général de la crise.

Dans un communiqué de presse de début décembre 2020, la « fédération e-commerce et vente à distance » (Fevad) note ainsi :

Avec un chiffre d’affaires cumulé de 77,9 milliards sur les 9 premiers mois, les ventes de produits et de services sur internet ont progressé de 5% par rapport à la même période l’an dernier.

A partir de l’analyse des données disponibles à ce jour, la Fevad table sur une progression des ventes de 8,5% au dernier trimestre. Si la croissance des ventes en ligne de produits devrait être plus importante que lors des précédents trimestres, celle-ci ne devrait toutefois pas suffire à compenser la baisse des services.

Dans ce contexte, le chiffre d’affaires annuel du e-commerce en 2020, tous produits et services confondus, devrait progresser de +6% sur un an, contre +11,5% en 2019, pour atteindre 109,6 milliards.

I. L’ « e-commerce » comme une forme spécifique du capital commercial dans la chute tendancielle du taux de profit

a) L’ « e-commerce » accompagne les monopoles industriels

Remarquons d’emblée que : la vente en ligne permet la rotation de telle industrie vestimentaire, telle industrie technologique et culturelle, etc., mais ne joue en rien dans la rotation par exemple de l’accumulation du capital dans l’acier, le pétrole, le ciment, etc. Reprenons donc la question de la baisse tendancielle du taux de profit.

On a des capitalistes qui cherchent à vendre toujours plus de marchandises pour élargir leur capital. Pour cela il faut baisser les coûts de production ainsi qu’élargir les marchés.

Comme on le sait, cela a pour conséquence de faire baisser la part du capital dédiée à l’emploi de la main d’œuvre (baisse coût de production) et d’augmenter la part dédiée à des moyens de production plus sophistiqués afin de produire plus vite, en moins de temps, et que donc que les marchandises soient moins chères et qu’ainsi elles se vendent mieux.

Or si le taux de profit baisse (la part des travailleurs diminue par rapport à la part de la machinerie), la logique même de cette baisse implique une hausse de la masse des profits puisque il y a une machinerie plus productive, donc plus de produits mis sur le marché.

Et comme on l’a compris avec Lénine, cette contradiction entre baisse qualitative (le taux de profit) et hausse quantitative (la masse de profits) aboutit à la formation de monopoles qui sont les seuls à mêmes d’assurer les énormes investissements en capital constant.

Le « e-commerce » qui appartient au capital commercial ne créé ni profit, ni ne produit de plus-value, il est donc entièrement dépendant de la dynamique de valorisation du capital industriel dont il s’approprie une part de survaleur. Il suit donc inévitablement la tendance monopolistique.

Comme le dit Marx à propos du capital commercial :

Le taux du profit de celui-ci est une grandeur donnée, qui dépend d’une part de la masse de profit produite par le capital industriel, et d’autre part du rapport du capital commercial au capital total avancé pour la production et la circulation.

De fait, on considère ainsi que 87 % du chiffre d’affaire du « e-commerce » est réalisé par 5% des acteurs du secteur.

b) Le capital e-commercial, comme un aspect de la contre-tendance à la chute du taux de profit

Dans l’explication de la baisse tendancielle du taux de profit dans le Capital, Karl Marx explique qu’il y a donc des contre-tendances. Au cœur de ce raisonnement, il y a la question du rapport entre le taux de plus-value, le taux de profit, et le capital organique. Et ce rapport se fonde sur un moment précis de l’accumulation du capital qui est le taux de rotation.

La rotation du capital, c’est l’ensemble du temps parcouru pour qu’un capital-argent investi initialement revienne sous la forme-argent, enrichie d’une plus-value produite dans la sphère de la production, « et » réalisée dans la sphère de la circulation. Bien qu’aspect secondaire de l’accumulation, le capital commercial est une clef du processus général d’accumulation.

Marx explique :

Le temps de rotation du commerce mondial a été diminué considérablement et l’activité du capital a été doublée et même triplée.

Il va de soi que cette révolution ne s’est pas accomplie sans contre-coup sur le taux du profit.

Pour apprécier d’une manière exacte l’influence de la rotation sur ce dernier, nous devons admettre que tous les autres éléments (taux de la plus-value, journée de travail, composition centésimale) sont les mêmes pour les deux capitaux que nous mettrons en parallèle. (…) Les taux de profit de deux capitaux de même composition, de même taux de plus-value et de même durée de travail, sont donc en rapport inverse des périodes de rotation.

Pour contrer la baisse continue et inéluctable de la main d’œuvre par rapport à la machinerie en général, le capital produit dans le cours de son accumulation des contre-tendances, des freins à la chute de sa baisse de valorisation.

Et pour bien saisir cela, il faut faire la différence entre le taux de profit et le taux de plus-value. Le taux de plus-value correspond au rapport d’exploitation entre le travail payé et le travail non payé. Le taux de profit correspond au rapport entre le taux de plus-value et le capital organique avancé.

On le voit le taux de plus-value reste central, mais ce taux connaît une tendance à la baisse du fait de l’augmentation de la machinerie « au détriment » de la main d’œuvre, source réelle de la plus-value. Pour un capitaliste, celle-ci peut donc au bien augmenter le taux d’exploitation (augmentation de la journée de travail, donner plus de tâches aux travailleurs, baisse du salaire, etc.).

Mais cela peut aussi donc jouer sur la rotation du capital, ce qui fait référence au taux de profit et non au taux de plus-value. Si le capital connaît 10 cycles de rotation au lieu de 5, cela signifie que lorsqu’il jette la somme initiale de capital-argent pour l’accumulation, il va obtenir 10 « retours sur investissements » (enrichis de la plus-value) sans avoir à rejeter à chaque fois la somme initiale.

Marx explique bien cela dans cet exemple :

Prenons un capital A, ayant la composition 80 c + 20 v = 100 C, et qui, pour un taux de plus-value de 100 %, accomplit deux rotations par an. Son produit annuel sera 160 c + 40 v + 40 pl . Le taux du profit devant être calculé en rapportant 40 pl , non pas au capital employé de 200, mais au capital avancé de 100, nous aurons p’ (profit) = 40 %.

Soit un second capital B = 160 c + 40 v = 200 C qui, pour le même taux de plus-value de 100 %, n’accomplit qu’une rotation par an. Son produit annuel sera également de 160 c + 40 v + 40 pl , mais les 40 pl devront être rapportés au capital avancé de 200, ce qui donnera un taux de profit de 20 %, la moitié de celui de A.

Donc, un capital d’un secteur industriel donné a tout intérêt à maximiser ses rotations, car cela lui permet de freiner la baisse inéluctable de sa valorisation.

On comprend ainsi quel rôle jouent les géants du « e-commerce » pour des branches industrielles, comme le high-tech, le textile, la culture.

Et comme le remarquait bien Lénine à propos du fait que « les monopoles n’éliminent pas la libre concurrence dont ils sont issus ; ils existent au-dessus et à côté d’elle », les monopoles du e-commerce laisse aux petits capitaux la possibilité de se lancer en accédant à la plateforme de vente en ligne qui leur fait économiser des coûts et leur permet d’accéder à un taux de rotation plus élevé.

c) Les géants du e-commerce comme expression de la tendance à la socialisation

En tant qu’agent du capital commercial, le e-commerce est donc l’expression de la chute tendancielle du taux de profit en ce sens qu’il suit la tendance à la concentration monopolistique, tout autant qu’une contre-tendance à cette chute elle-même (taux de rotation).

La chose est que comme il y a de plus en plus de marchandises produites dans le cadre d’une production monopolistique, il faut davantage écouler ces marchandises, au risque de voir la rotation, et donc l’accumulation, se gripper.

Comme le taux de profit ne fait que chuter et que ce qui compte toujours plus c’est sa masse, il faut absolument augmenter les rotations du capital. Pour cela, il faut arriver à faire correspondre au mieux le temps de production et le temps de circulation.

C’est là qu’émerge le « e-commerce », comme expression d’une tendance toujours plus marquée à la socialisation à travers et malgré le capitalisme. À ce niveau, le capital commercial moderne profite des avancées informatiques, et principalement de la combinaison du big data et de l’intelligence artificielle, pour écouler coûte que coûte les marchandises via des comptes individuels à l’abonnement mensuel.

Mieux même, en produisant des besoins-artificiels sur cette base algorithmique, il génère l’illusion comme quoi il n’y aurait plus le chaos entre la production et la consommation. Évidemment cela est illusoire car cela n’ôte en rien la question de la paupérisation dans le cadre de la crise générale.

Le capitalisme est dans l’impossibilité même de faire que la production et la circulation se correspondent : seul le socialisme est à même de réaliser ce saut qualitatif, grâce à la planification. Mais justement, comment bien analyser ce qui relève ici d’une tendance à socialiser sur la base de la révolution socialiste et ce qui relève d’une empreinte capitaliste à démanteler ?

II Le capital e-commercial, une superstructure liée à l’impérialisme

a) La généralisation du fétichisme de la marchandise

A lors que la grande distribution s’est principalement emparée de l’écoulement des biens alimentaires dans les années 1960-1970, les géants de la vente en ligne se sont principalement appropriés la vente de vêtements et d’objets culturels (high-tech compris). Il y a ici une continuité dans la tendance au monopole de la grande distribution, dans les nouvelles conditions de la mutation informatique des années 1990-2000.

On pensera ici à Cdiscount (groupe Casino, 1998), Ebay (1995), Vente Privée (2001), Zalando (2008), PriceMinister (2000, racheté par le japonais Rakuten en 2010), Wish (groupe Alibaba, 1999), Amazon (1994). En 2017, Cdiscount a écoulé 30 millions de colis, Alibaba 821 millions et Amazon plus de 3 milliards. C’est vertigineux.

Avec les modalités de la circulation à flux-tendu du capital, l’épuration rapide des stocks est encore plus nécessaire qu’auparavant – sans rien changer à la nature même du capitalisme. La surproduction de capital oblige à ce que les parties des capitaux investis aient un « retour sur investissement » le plus rapide possible, et donc, dans le même temps, que la surproduction de marchandises soit « évitée » par la garantie de leur écoulement.

De par cette configuration, ce secteur de l’ « e-commerce » pousse jusqu’à l’absurde les tendances à l’éparpillement-gâchis capitaliste. C’est là un des caractères typiques du fétichisme de la marchandise qui occulte les conditions même de sa production réelle.

Ce sont ces camions poids-lourds qui peuvent traverser l’Europe toute entière, avec seulement quelques colis chargés, afin de satisfaire la demande d’une livraison rapide (24 à 48 heures). Ou bien ces palettes entières de marchandises reçues, qui sont sorties de leur carton initial, pour être emballées une seconde fois dans un carton – aux proportions parfois démesurées par rapport à la valeur d’usage contenue – aux couleurs du distributeur.

Notons ici également que l’industrie du carton, et donc l’exploitation du bois, sont des secteurs capitalistes qui ont vu leurs profits exploser avec la crise sanitaire, puisqu’elle fournit les cartons des marchandises.

Cela se heurte là aussi à des contradictions, principalement l’écocide, avec notamment de nombreuses forêts exploitées qui sont rongées par le scolyte, un insecte en prolifération du fait du réchauffement climatique. L’essor de l’industrie du carton est également génératrice d’une forte pollution des eaux, comme cela est visible avec Smurfit Kappa dans le bassin d’Arcachon, provoquant des critiques et oppositions locales. 

L’augmentation de la vitesse de rotation du capital joue ici un rôle dans la contre-tendance à la chute du taux de profit, en accentuant l’aspect extensif-quantitatif de la circulation marchande. Évidemment, cela offre toujours plus de poids aux monopoles car il faut assumer une très lourde logistique.

Avec le boom de l’« e-commerce », on passe un seuil dans le rapport fétichisé à la marchandise. Tout le caractère social de la chaîne de production du bien utile disparaît derrière une valeur d’échange que l’on s’approprie par désir, dans l’isolement et l’atomisation sociale – la figure du livreur étant la seule figure comme fenêtre ouverte dans la saisie des producteurs.

Un maillon de la chaîne qui est d’ailleurs déjà en cours de dissolution avec l’essor des services de livraison en l’absence de clients « grâce » aux boites sécurisées par digicode (« smart box »).

Et avec le big bata « e-commercial », on a un capital commercial qui anticipe des nouveaux besoins, afin d’assurer l’écoulement des marchandises.

Il y a une généralisation à l’ensemble des rapports sociaux de la forme aliénée qu’est la marchandise, où les personnalités ne vivent et ne se réalisent que dans la valorisation marchande elle-même. Le caractère utile, productif, des besoins (et pensons ici aux besoins culturels et intellectuels) disparaît dans des personnalités façonnées, modelées par l’immense automate de l’auto-valorisation.

b) Le caractère parasite du « e-commerce »

L a tendance aux monopoles a ceci de bon qu’elle rapproche inéluctablement du socialisme, de la socialisation complète de la production.

En tant qu’expression de la chute tendancielle du taux de profit, les monopoles de l’« e-commerce » suivent l’augmentation de la productivité sociale du travail. On le voit avec des tas de technologies de stockages, l’approfondissement de l’automatisation de l’entreposage, etc.

T out cela est donc à socialiser dans le cadre de la Révolution socialiste, formant ensuite une base certaine pour la transition au communisme, tout en tenant compte de leur ré-organisation dans le cadre de la résolution de la contradiction ville-campagne.

Mais, il ne faudrait pas pour autant penser de manière unilatérale les choses. Car le « e-commerce » relève dialectiquement d’une infrastructure et d’une superstructure, la seconde étant l’aspect principal.

La superstructure concerne, non pas le contenu, mais la forme de l’ « e-commerce » passant par le fait de « faire son marché » en quelques clics sur internet pour se faire livrer quelques jours plus tard. Cet aspect est à démanteler par une révolution culturelle.

Nulle doute d’ailleurs que toute cette dynamique a suivi l’accès massif des français à la propriété privée, notamment par le biais d’un pavillon en périphérie urbaine ou en zone rurale. Il y a une généralisation du comportement des dominants à l’ensemble de la population qui veut qu’il y ait des gens dont la fonction est de servir leurs intérêts égo-centrés. Cette généralisation suffit de montrer à quel niveau de corruption se situent les masses en France, quel est le taux d’aliénation général.

Nul hasard donc à ce que la Fevad remarque début décembre que :

« Suite à l’annonce du second confinement, la Fevad a mis en place un panel d’une cinquantaine de sites e-commerce dans le secteur non-alimentaire. Si les résultats issus de ce panel n’ont pas valeur d’indicateur global pour l’ensemble du secteur, ils n’en permettent pas moins de mesurer l’évolution de l’activité dans le contexte du confinement.

Ainsi, le chiffre d’affaires global du panel a progressé de 77% pendant ce second confinement. Les enseignes à dominante Meubles-Décoration-Aménagement Maison réalisent près de trois fois le chiffre d’affaires de l’an dernier à la même période. Les enseignes à dominante Produits Techniques près du double. »

La généralisation du « life style » aristocratique, de l’esprit de châtelain pour lequel on paie pour être servi est le reflet de ce que l’on pourrait résumer par : société de service, société de serviteurs.

La société de services, tant vantée comme une société de « l’immatériel » et de l’emploi de couches moyennes, révèle dans la seconde crise générale son vrai visage : une société de serviteurs d’esprits aliénés aux mœurs bourgeois. Et ce ne sont pas des « employés » qui occupent cette tâche, mais tout simplement des prolétaires.

Et tout cela repose sur l’approfondissement de la destruction de la campagne par la ville. Comme le rappelait le président de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance lui-même en 2017 :

Partout dans le monde, « on assiste à une mutation profonde et durable de la façon dont les gens font leurs courses, ce qui aura des répercussions sur la géographie des villes d’ici à 10 ans », notamment en ce qui concerne les points de livraison, les entrepôts, etc.

En fait, le principe de livraison de colis-marchandises répond ici à la tendance parasitaire du capitalisme monopoliste. On a des marchandises produites à moindre frais, là où le caractère d’exploitation est largement extensif ; marchandises qui inondent ensuite la métropole avec son esprit de consommation généralisée.

La seconde crise générale ouverte par le virus SARS-CoV-2 accélère alors ce processus du fait des confinements de la population.

Le confinement a posé une question antagonique au capitalisme : comment continuer à faire circuler les marchandises, alors que les flux de population sont sévèrement contraints, que les principaux magasins de vente ont été fermés ?

Comme tout mode de production basé sur la propriété privée le fait, le capitalisme a « répondu » en exploitant une couche sociale prolétarienne au bénéfice de toute la société. C’était là l’expression absurde, misérabiliste, d’esprit typiquement bourgeois, de « premiers de corvées ».

L a France se situe au troisième rang européen pour la vente en ligne, avec 37 millions d’acheteurs ayant dépensé en moyenne 2 200 euros, pour 33 clics-achats en moyenne avec un attrait poussé pour les vêtements. Au milieu des années 2000, la moyenne était de 763 euros. Se faire livrer du papier cadeau à Noël, un sèche-cheveux, des piles, du liquide vaisselle, on est bien loin du service de livraison du magasin de gros meubles…

Bref, on a là devant nous toutes les expressions économiques, sociales et culturelles de la métropole impérialiste ayant transformé le prolétariat en un prolétariat métropolitain, soumis au 24h sur 24h du capitalisme.

c) L’espace de la rupture subjective

C’est l’achèvement de ce que Lénine avait senti venir dans son livre « l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme » où il cite John Atkinson Hobson, un économiste britannique social-libéral qui décrivait le parasitisme des monopoles transnationaux sur les rapports sociaux de la Métropole :

« Telles sont les possibilités que nous offre une plus large alliance des États d’Occident, une fédération européenne des grandes puissances : loin de faire avancer la civilisation universelle, elle pourrait signifier un immense danger de parasitisme occidental aboutissant à constituer un groupe à part de nations industrielles avancées, dont les classes supérieures recevraient un énorme tribut de l’Asie et de l’Afrique et entretiendraient, à l’aide de ce tribut, de grandes masses domestiquées d’employés et de serviteurs, non plus occupées à produire en grandes quantités des produits agricoles et industriels, mais rendant des services privés ou accomplissant, sous le contrôle de la nouvelle aristocratie financière, des travaux industriels de second ordre. »

E t Lénine remarquait justement contre ce penseur libéral que toute la question était de savoir quelles luttes de classes auraient lieu pour résister et changer la tendance.

Or, on le sait, le premier cycle de la lutte de classe opposé à ce phénomène a eu lieu das les années 1970-1980 avec les avant-gardes révolutionnaires armées européennes. Des avant-gardes qui ont précisément théorisé à la suite de ce cycle la question du prolétaire métropolitain, de la domination générale du capitalisme sur les subjectivités.

L a seconde crise générale est l’ouverture d’un second cycle de lutte de classe dans lequel la rupture subjective va connaître une densité d’autant plus profonde que le caractère parasite de l’impérialisme pèse sur les mentalités.

Avec l’approfondissement de l’aspect économique de la crise qui voit paupérisme et précarité se renforcer, on voit l’espace qui se forme pour l’émergence de telles subjectivités. Car d’un côté, il y a le renforcement de toute cette dynamique absurde de l’ « e-commerce », avec comme aspect central la question écologique, et de l’autre il y a ratatinement des bases de la consommation, un effritement des bases du remboursement des crédits pour la voiture, le pavillon…

Dans la configuration d’une formation sociale atomisée, où le cannibalisme social va en progressant et l’individualisme s’épanouit, il n’y a aucune barrière morale, culturelle, à cet essor de la livraison à domicile, qui va même aller jusqu’à faire « disparaître » le livreur.

Pour les révolutionnaires, la livraison à domicile est une hérésie. Il faut à tout prix se désengager d’une telle pratique, cela fait partie d’un aspect de la rupture nécessaire avec ce monde. Cela correspond à la même nature que refuser le « fast-food » ou l’idéalisation du restaurant comme moment de détente. C’est là une expression de mentalités individualistes-atomisées qui se « font servir » passivement : un communiste refuse ce principe de la passivité.

L’ouverture d’un second cycle de lutte de classe sur la base de ruptures subjectives est nécessaire, et possible, et cela d’autant plus que l’avancée de la Guerre impérialiste forme tout un arrière-plan à la prise de conscience de tout le caractère parasite-impérialiste de la formation sociale capitaliste.

Les contours militaires des prochains conflits impérialistes et la substance de la guerre populaire au 21e siècle

Si elle n’est pas empêchée, la guerre impérialiste mondiale vers laquelle on tend ne se déclenchera pas de manière directe ; elle va passer par de violents accrochages, dont les contours militaires sont absolument nouveaux. Une importante réflexion est nécessaire à ce sujet.

Il ne s’agit pas seulement que la technologie a modifié la donne, c’est aussi que le matériau humain lui-même a changé. Les êtres humains sont en effet davantage formés dans l’utilisation de la technologie, des réseaux ; leur attention porte beaucoup plus facilement sur le court terme, aux dépens d’ailleurs d’efforts intellectuels et conceptuels prolongés.

Les êtres humains ont d’habitude l’avantage de devoir réagir et interagir, d’être placé dans un réseau d’activité. C’est le reflet d’exigences bien plus grandes du capitalisme quant aux réactions humaines dans les activités manuelles et intellectuelles.

C’est que la grande croissance des forces productives a modifié la donne, dans une situation de stabilité relative qui puise sa source dans la victoire de la superpuissance impérialiste américaine sur la superpuissance social-impérialiste soviétique, d’une part, et l’intégration du social-fascisme chinois dans le marché mondial, d’autre part.

Les êtres humains du début du 21e siècle seraient de ce fait absolument incapables de supporter les tranchées de la première guerre mondiale avec ses combats rudimentaires ; non seulement les conditions de vie leur sembleraient intenables, mais l’ennui et l’incompréhension de la simplicité des tâches leur seraient insupportables.

Même la seconde guerre mondiale, avec ses opérations conjuguées à grande échelle, ne correspond plus à des mentalités habituées à combiner, à apporter une certaine initiative, à ajouter quelque chose dans les activités, et cela à court terme.

Le travail d’aujourd’hui, même élémentaire, exige beaucoup plus d’intensité physique et psychique, de par une division du travail extrêmement approfondi. Les êtres humains sont bien plus insérés dans la production capitaliste qu’avant, même si un certain confort matériel apparaît comme pendant du développement de la consommation.

Cela modifie nécessairement les contours de la guerre.

Les états-majors et l’insertion du matériau humain dans la technologie

Les états-majors ont constaté cette importante modification des êtres humains et le matériau humain pour leurs troupes est désormais sélectionné. L’armée s’est professionnalisée ; elle n’est plus une troupe expérimentée organisant des appelés. C’est là une transformation radicale, parallèle à la spécialisation toujours plus poussée dans la société.

Les états-majors ont ainsi eu le souci d’intégrer cette spécialisation dans leur propre démarche. Ils ont cependant un souci de taille. Si les mentalités humaines sont désormais portés vers une plus grande rapidité de décision, il faut en même temps que cela corresponde aux vues de l’état-major.

Pour procéder à une image pittoresque, il suffit de penser à la contradiction dans le football. Les meilleurs entraîneurs sont devenus des experts en tactique de jeu, mais les joueurs sont le plus souvent peu éduqués et qui plus est aux mœurs simplistes ou décadentes. Les joueurs ne sont donc pas en mesure de suivre les entraîneurs, d’appliquer leurs consignes, voire même de les comprendre.

Les armées ont en un sens le même problème et cherchent à compenser cette contradiction en renforçant à tout prix la dimension « réseau ». Un joueur sur un terrain de football pourra toujours éviter les consignes en se positionnant de manière erronée. Mais les armées peuvent empêcher les soldats d’agir de manière « spontanée » en multipliant les couches de réseaux, c’est-à-dire en récoltant un maximum d’informations et en donnant des ordres en temps réel.

C’est le sens de la professionnalisation de l’armée, moyen essentiel pour systématiser les réseaux. L’expression consacrée en France pour cela est le « combat en réseau infocentré ».

Un soldat livré à lui-même agira relativement comme bon lui semble, en fonction de sa formation et de ses impulsions, alors qu’un soldat connecté en permanence, donnant des informations sur sa position en temps réel, recevant des ordres, dépendant des autres et du type de matériel fourni, n’aura pas d’autres choix possibles que celui de suivre à la lettre les décisions venant par en haut.

Le « combat en réseau infocentré »

Le « combat en réseau infocentré » suit une logique implacable et c’est même sa nature de se constituer comme un raisonnement logique systématique.

Chaque élément donne des informations à une centrale, qui fournit en réponse des ordres aux différents éléments afin d’être le plus efficace possible. C’est la reprise de la théorie de la cybernétique : tout mouvement consiste en des données quantitatives, qu’il faut agencer.

Un tel agencement serait possible de la manière la plus efficace au moyen de scénarios d’évaluation établis au préalable et de calculs rationnels des gains et des pertes. On est dans la logique formelle, avec des données fixées une fois pour toutes, qu’on prévoit avec des scénarios.

Afin de s’assurer que le scénario prévu triomphe, l’accent est mis sur la dimension technologique, car fournissant les paramètres les plus stables.

Le « combat en réseau infocentré » et la technologie comme clef

Le « combat en réseau infocentré » est obligé d’avoir comme aspect principal la technologie et non le matériau humain. Cela tient à sa lecture formelle, qui ne reconnaît pas la dignité du réel, le caractère vivant des processus. Il considère tout comme « mort » et étant donné que le matériau humain est instable, insuffisamment « mort », il cherche à le neutraliser de la manière la plus poussée possible.

Son objectif concret est de réduire autant que possible ce qui n’est pas automatique. C’est le même raisonnement que le capitalisme mettant des gens au chômage en se procurant des machines pour les remplacer, alors que la richesse vient pourtant de ces gens.

Le « combat en réseau infocentré » privilégie donc les couches technologiques, qui en se superposant se neutralisent les unes les autres et permet à l’état-major de tout paramétrer. En pratique, cela donne la chose suivante :

– brouillage électroniques des forces ennemies pour affaiblit leur capacité de réaction ;

– système satellitaire ultra-précis pour dégager les points à viser ;

– missiles guidées de haute précision pour atteindre ces points ;

– envoi de troupes spéciales afin de procurer des informations ou d’attaquer des centres névralgiques ;

– soutien aérien et pilonnage afin de maintenir une domination en surface ;

– emploi de blindés de haut niveau pour asseoir l’emprise territoriale ;

– actions de drones armés téléguidés afin de procéder au harcèlement.

En clair, c’est une progression par petits blocs. L’infiltration désorganise la ligne de front, avec immédiatement une double offensive par l’artillerie et les drones, puis un assaut des blindés.

La supériorité n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, qualitative. La supériorité est purement quantitative : la maîtrise technologique est censée déplacer la nature de la bataille pour asseoir une nouvelle supériorité purement numérique. L’idée est simplement d’anéantir le centre de décision et de désorganiser les troupes ennemies, afin d’être en mesure de prendre le dessus quantitativement. La technologie ouvre la voie.

La guerre populaire et le peuple comme clef

Le « combat en réseau infocentré » se présente sous la forme d’une logique. La guerre populaire est, inversement, un système.

La logique passe par la technologie, par l’assemblage de données sous une forme mathématique, avec un agencement logique, prévu par le calcul. Les « wargames » sont des entraînements aux multiples scénarios. L’armée française a d’ailleurs embauché en 2020 une série d’auteurs de science-fiction pour former une « red team » alimentant l’état-major en scénarios surprenants.

Le système, à l’inverse, passe par le peuple, par la combinaison systématique de la dignité du réel, avec un agencement dialectique, imprévu et construit dans l’interaction. Il ne peut y avoir d’entraînement scénarisé au sens strict, car chaque situation est par définition nouvelle et elle-même en mouvement, en transformation, nécessitant par conséquent un choix adéquat de nature politique.

Cela sous-tend que les forces militaires de la révolution n’existent pas au préalable : elles se construisent au fur et à mesure, dans un processus prolongé. Les états-majors passent par en haut : ils ont leurs troupes et leurs scénarios prévoyant tel ou tel mode opératoire ; les forces révolutionnaires passent par en bas.

La génération des forces militaires de la révolution

La révolution génère les forces pour la faire vaincre et inversement ; c’est un processus dialectique entre les masses populaires et le processus historique, à travers le Parti Communiste dont la substance est de permettre la réalisation de ce processus.

Le Parti ne peut pas, de lui-même, générer abstraitement des organismes de masse, a fortiori des organismes révolutionnaires de masse. Il faut pour cela que la crise générale du capitalisme soit enclenché et déchire tellement la situation historique que même les revendications concernant les besoins immédiats relèvent de l’antagonisme.

La base de cela, c’est la contradiction entre la restructuration capitaliste et la réalité prolétarienne. Lorsque la base prolétarienne ne tolère plus la restructuration, se produit la confrontation et l’émergence du terrain révolutionnaire comme aire de l’autonomie prolétarienne par rapport à l’État et à la bourgeoisie.

C’est dans cette aire que se constituent les forces militaires de la révolution ; c’est un processus à la fois similaire et convergent avec la reconstitution du tissu prolétarien en tant que tel.

Le besoin de communisme et la recomposition du prolétariat

Le Parti Communiste a un aperçu complexe du processus révolutionnaire parce qu’il sait que c’est le besoin de communisme qui s’exprime historiquement et que le prolétariat se recompose secteur par secteur dans la bataille face à l’État et la bourgeoisie, contre la crise et ses restructurations capitalistes, contre la guerre.

L’unification des masses populaires s’accompagne pour cette raison de l’établissement du programme démocratique populaire, dans l’accumulation/synthèse des éléments de ce programme par l’expérience révolutionnaire concrète.

Si l’état-major militaire d’une armée réactionnaire a déjà ses scénarios, ses plans, sa logique, la guerre populaire consiste en un processus concret, non linéaire, porté par la subjectivité révolutionnaire se confrontant au réel et le transformant, accumulant les éléments d’un programme qui, une fois synthétisée, reflète le triomphe de la révolution.

Le Système du pouvoir prolétarien

De par le lent processus de formation des forces militaires révolutionnaires, il ne peut pas y avoir un « centre » de décision qui serait, immanquablement, la cible de la contre-révolution et qui, surtout, n’aurait pas un regard « intérieur ».

L’état-major d’une armée bourgeoise se veut « neutre », « objectif », avec des règles et des principes valables de manière systématique ; les forces révolutionnaires s’appuient de leur côté sur une compréhension dialectique concrète de la dignité du réel, le centre n’étant pas tant un lieu de décision qu’une base idéologique et politique, ayant formé une démarche servant de guide au processus.

C’est sur la base d’une telle pensée-guide que les différentes forces s’étant condensées dans le processus révolutionnaire se reconnaisse et s’agglomère, préservant leur compartimentation pour éviter l’écrasement, mais se reliant de manière dialectique dans les actions se combinant pour former un Système de pouvoir.

Le pouvoir prolétarien se constituant au fur et à mesure consiste en un système articulant de manière naturelle les forces s’accumulant dans le processus révolutionnaire. Il ne répond pas à un plan préétabli ou bien un modèle idéologique abstrait, bref à une logique formelle comme chez les états-majors bourgeois.

Il est le produit naturel d’une généralisation des forces révolutionnaires se combinant, secteur par secteur.

Et cette question de la capacité des forces militaires révolutionnaires à s’agglomérer dépend du niveau des communistes y participant et ayant atteint le niveau pour les diriger, puisqu’en dernier ressort la question décisive est celle de l’interaction dialectique que seuls les communistes peuvent saisir. La capacité des communistes à calibrer les activités des forces révolutionnaires conformément aux termes de l’affrontement en perpétuelle transformation est la clef de la victoire.

La question des termes de l’affrontement

Le « combat en réseau infocentré » exige de connaître au préalable les termes de l’affrontement, alors que la guerre populaire considère que ces termes sont en perpétuelle transformation et ne peuvent être connues au préalable.

Le « combat en réseau infocentré » raisonne en terme de « super-cerveau » plaçant des pions ; la guerre populaire se place comme Système de pouvoir se construisant dans les faits par des contre-pouvoirs démantelant l’ancien État.

Le « combat en réseau infocentré » est une conception de la guerre en général, alors que la guerre populaire est la conception spécifique du prolétariat pour prendre le pouvoir.

C’est que la bourgeoisie ne « pense » pas et ne peut pas voir un aperçu clair de la lutte des classes, alors que le prolétariat acquière une maturité toujours plus grande dans le processus révolutionnaire exposé et orienté par le Parti Communiste.

On peut dresser le tableau suivant des questions principales de la guerre :


BourgeoisieProlétariat
CommandementMécanique-hiérarchiséIdéologique-politique
ContrôleTechnique-satellitaireHumain
CommunicationsTechnique-satellitaireHumain
OrdinateursGrande puissance de calculCapacité de nuisance
InformationsDonnées mathématiquesCombinaison humaine
SurveillanceTechnique-satellitaireHumain
ReconnaissanceTechnique-satellitaireHumain
DoctrineÉcrasementAffirmation
StratégieVisant la résolutionCherchant le prolongé
TactiqueScénariséAdaptation au réel
TechnologiesHaut niveauFaible niveau

Tout cela n’a bien entendu qu’une valeur introductive, le problème se posant concrètement, dans le cadre de la crise générale du capitalisme.

Ce qui compte principalement, c’est de voir que pour le matérialisme dialectique, la guerre populaire a comme cœur le peuple ; pour les états-majors, la guerre impérialiste a comme cœur la technologie. Pour la guerre populaire, le chef est un soldat qui indique une voie et chaque soldat est un chef à petite échelle ; pour la guerre impérialiste, les soldats ne sont que des pions placés selon les calculs de l’état-major.

Pour la guerre populaire, les forces militaires se construisent secteur par secteur ; pour les états-majors, ce sont des forces préexistantes. Pour la guerre populaire, le processus est prolongé ; pour les états-majors, il s’agit de trouver le moyen de mener une frappe décisive.

Les PIB belge et français en 2020 : une dette budgétaire impliquant la restructuration capitaliste

Les institutions belges et françaises ont, à la fin de l’année 2020, fourni des données concernant le recul du PIB. Il faut bien sûr être prudent avec cela, car il est extrêmement difficile dans une société capitaliste d’avoir un aperçu fiable de la comptabilité. Il y a de plus un grand rôle idéologique dans les messages qui sont fait passés par l’intermédiaire de ces institutions. Il s’agit de leur part de montrer que la situation est bien suivie, voire bien supervisée, etc.

Du côté belge, la Banque Nationale de Belgique parle d’une chute du PIB de 6,7 %, avec pour chaque trimestre une évolution respective de – 3,4 %, – 11,8 %, +11,4 %, -1,5 %. Du côté français, l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) parle d’une chute du PIB de 9 %.

Les deux institutions se réjouissent du fait que ces chiffres sont moins importants qu’elles ne le pensaient. Elles constatent cependant qu’un retour à la « normale » ne se produirait pas avant la fin de 2022, avec également beaucoup d’incertitudes en raison de la pandémie encore en cours.

Surtout, elles constatent toutes deux une explosion du déficit des États, qui comme on le sait sont intervenus massivement pour maintenir l’ordre capitaliste. Pour ces institutions, un tel déficit est intenable et doit être réglé, en général mais aussi de manière plus particulière en cas de nouveau choc exigeant une nouvelle intervention. Ce qui se joue donc ici, c’est la future restructuration visant à faire payer la crise aux masses populaires.

La Banque Nationale de Belgique annonce la couleur en parlant de « feuille de route » pour résoudre une situation intenable :

« Le déficit budgétaire se creuserait sensiblement pour atteindre 10,6 % du PIB en 2020, sous l’effet de la crise économique qui induit automatiquement plus de dépenses et moins de recettes, mais aussi en raison des importantes mesures de soutien.

Ces dernières sont cependant principalement de nature temporaire; par conséquent, le déficit devrait se réduire dans les prochaines années, mais il se maintiendrait malgré tout aux alentours de 6 % du PIB.

La dette publique rapportée au PIB grimperait à quelque 120 % en 2023 et, dans l’hypothèse d’une normalisation de la croissance et d’un déficit budgétaire constant, elle continuerait d’augmenter par la suite.

Cette situation budgétaire intenable signifie que les éventuelles mesures de relance supplémentaires doivent être temporaires et cibler les entreprises saines et les groupes vulnérables. Pour donner un caractère durable à la reprise économique, une feuille de route pour l’assainissement des finances publiques s’impose également. »

Il est intéressant de voir la Banque Nationale de Belgique parler de soutenir les entreprises saines… mais aussi les groupes vulnérables, montrant que les groupes forment un secteur à part dans le capitalisme, au-delà de la question d’être « sain » ou pas. On reconnaît ici la force des monopoles dans le capitalisme.

L’INSEE constate pareillement pour la France que c’est l’État qui a assumé les frais de la crise :

« En moyenne annuelle, l’ordre de grandeur du recul du PIB en 2020 est confirmé à – 9 %. Il est intéressant de se pencher sur la décomposition de cette baisse, selon les trois approches du PIB en comptabilité nationale (production, demande, revenu).

L’approche « production » reflète les forts contrastes sectoriels inhérents à la crise actuelle, les pertes d’activité étant largement conditionnées au degré d’exposition de chaque secteur aux mesures d’endiguement sanitaire.

Ainsi, le recul de 9 points du PIB sur l’année est surtout un recul des services marchands (contribution de 5 points), en particulier des transports, de l’hébergement-restauration, du commerce et des services aux ménages.

La construction, l’industrie et les autres services ont également été affectés, en particulier pendant le premier confinement, avant d’apprendre à « vivre avec le virus » via les protocoles sanitaires et le télétravail.

Selon l’approche « demande », près de 8 points des 9 % de recul du PIB sont liés à la contraction de la demande intérieure et 2 points à celle du commerce extérieur, la contribution des variations de stocks ayant été, en sens inverse, légèrement positive.

Tous les principaux postes de la demande se sont bien sûr contractés en 2020 et le recul de la consommation des ménages (laquelle représente plus de la moitié du PIB) pèse lourd dans cette contraction. Mais la consommation des ménages a moins chuté que le PIB, à l’inverse des exportations.

Enfin, l’approche « revenu » traduit les soutiens budgétaires massifs qui ont visé à protéger les revenus et le tissu productif, même si en la matière des disparités existent entre les ménages ou entre les entreprises.

Ainsi, en moyenne annuelle, le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages ne baisserait « que » de l’ordre de 0,3 % en 2020, et de 0,9 % en le ramenant au nombre d’unités de consommation.

Cela traduit notamment le fait que grâce au dispositif de chômage partiel, l’emploi baisserait beaucoup moins que l’activité : entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020, 600 000 emplois salariés (et 700 0000 en incluant les non-salariés) seraient détruits, soit 2,3 % du niveau d’avant-crise.

Le taux de marge des entreprises perdrait quant à lui près de 4 points en moyenne sur l’année. La plus grande partie des pertes de revenus liées à la crise serait prise en charge par le compte des administrations publiques. »

Il ne faut toutefois pas se fier aux apparences, car si les États ont une dette d’autour de 100 %, c’est également le cas des entreprises et des ménages. La situation est donc plus qu’explosive.

La différence, c’est que les États représentant une forme socialisée à la plus haute échelle, leur faillite s’accompagne forcément de celle de la société toute entière. Il faut donc que les États se renflouent.

Mais comment faire ? Il y a les impôts, qui nécessitent toutefois une vie économique toujours plus élargie. Or, jusqu’à la fin de 2022, on ne sera même pas au niveau de 2019. Il faudrait atteindre 2023 pour espérer une reprise économique, alors qu’entre-temps il peut se passer de nombreuses choses nécessitant davantage de dépenses étatiques.

Il y a les privatisations. Celles-ci vont forcément se développer, à tous les niveaux. L’idée même d’un État assurant un arrière-plan universaliste – avec des musées, une éducation, différents services de santé et de transport, etc. – va nécessairement être remise en cause.

Ce démantèlement de l’État est cependant en conflit fondamental avec la nécessité pour les monopoles d’un État qui soit puissant afin d’être capable d’agir sur le plan mondial, de manière impérialiste. Une roquette antichar, c’est 900 euros, un missile qui parcourt 400 kilomètres et détruit un bunker, cela coûte pratiquement un million d’euros.

Il faut donc que l’armée soit capable d’avoir un budget militaire élevé, avec un appareil d’État de qualité pour gérer cette armée, ce qui a également un coût et implique que l’État ne soit pas réduit à la portion congrue.

On a donc des PIB belge et français en 2020 qu’on doit relier
à une dette budgétaire massive, qui implique une restructuration capitaliste, qui toutefois n’est pas dans l’intérêt des monopoles si cela va avec le démantèlement de l’État.

Les monopoles ont intérêt à un État fort : c’est l’expression, dans la crise générale du capitalisme, à la mise en place d’un capitalisme monopoliste d’État comme forme nouvelle propre à la phase de guerre impérialiste. Le capitalisme nécessite pourtant en même temps un budget qui soit « sain ». La guerre apparaît alors comme la seule porte de sortie.

Gonzalo, le marxisme-léninisme-maoïsme principalement maoïsme et la pensée guide

Mao Zedong a apporté au matérialisme dialectique le concept d’aspect principal, aspect principal qui conditionne les aspects secondaires et « tire », « pousse », met en branle le développement d’un processus. Cet aspect principal peut changer, un aspect secondaire peut devenir principal et le principal ainsi secondaire, mais il y a toujours dans un phénomène à la fois plusieurs aspects et un aspect principal.

Comme tout est contradiction, il va de soi qu’un aspect est une contradiction. On a ainsi des contradictions dans un phénomène lui-même contradictoire. Mao Zedong nous dit :

« Dans un processus de développement complexe d’une chose ou d’un phénomène, il existe toute une série de contradictions; l’une d’elles est nécessairement la contradiction principale, dont l’existence et le développement déterminent l’existence et le développement des autres contradictions ou agissent sur eux. »

Si l’on ne saisit pas quel est l’aspect principal, on saisit mal le phénomène. On constate ce dernier, mais on ne comprend pas comment il se développe, car on n’entrevoit pas suffisamment le fil conducteur. Mao Zedong nous explique cela de la manière suivante :

« Par conséquent, dans l’étude de tout processus complexe où il existe deux contradictions ou davantage, nous devons nous efforcer de trouver la contradiction principale.

Lorsque celle-ci est trouvée, tous les problèmes se résolvent aisément. »

Mao Zedong parle de deux contradictions comme « minimum », car tout est contradiction, y compris une contradiction. Une contradiction fait forcément face à une contradiction, sinon elle ne serait pas contradictoire, ou plus précisément en contradiction ; elle serait quelque chose sans contradiction, mais ayant en soi une contradiction.

Ce serait là séparer les choses, les isoler, en imaginant qu’elles ont un développement dialectique à part mais sans se relier.

C’est également naturellement un « minimum » relatif, puisque tout étant contradictoire, tout est contradictoire à l’infini, l’infini étant lui-même contradictoire. Deux contradictions font forcément elles-mêmes face à une contradiction, ensemble lui-même faisant face à une contradiction, etc. C’est le principe d’un univers en oignon avec différentes couches inter-reliées, tel un océan de contradictions.

Gonzalo, à la tête du Parti Communiste du Pérou, a souligné cette question de l’aspect principal. Les documents du Parti Communiste du Pérou ont systématisé l’emploi du terme principalement après avoir caractérisé un phénomène de plusieurs manières.

Lorsqu’il est parlé d’arborer, de défendre et d’appliquer le marxisme-léninisme-maoïsme, il va être ainsi ajouté « principalement appliquer », car appliquer est l’aspect principal, de par la dignité du réel. S’il est parlé de plusieurs dirigeants, un dirigeant en particulier va être mis en avant par le terme « principalement », afin de montrer qu’il est l’aspect principal, puisqu’il y a forcément un aspect principal.

Le premier congrès du Parti Communiste du Pérou reconstitué dit ainsi :

« Dans son processus de développement toute révolution dans la lutte du prolétariat comme classe dirigeante et surtout le Parti Communiste qui arbore ses irrévocables intérêts de classe, génère un groupe de chefs et principalement un qui la représente et qui la dirige, un chef d’autorité et ascendant reconnu. »

Dans le document La ligne internationale, on lit :

« Le prolétariat engendra une idéologie: le marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme, pour la révolution mondiale et le marxisme-léninisme-maoïsme, pensée Gonzalo, principalement pensée Gonzalo, pour la révolution péruvienne. »

Cette dernière citation est très importante, pour deux raisons.

La première, c’est qu’est posée la question de la construction du marxisme, avec ses étapes. La seconde, c’est que chez Gonzalo la construction du marxisme ne saurait être conçue sans pensée guide.

Concrètement, lorsqu’on parle du « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme », on entend par là deux choses.

La première, c’est qu’il y a eu des étapes : le marxisme, puis Lénine faisant des apports synthétisés par Staline, puis Mao Zedong faisant des apports (justement synthétisés par Gonzalo).

La seconde est tout aussi importante et sa difficulté exige une maîtrise avancée du matérialisme dialectique. En effet, si l’on regarde de manière formelle les choses, on s’imagine qu’on aurait trois choses différentes – le marxisme, le léninisme, le maoïsme – et que c’est la dernière qui compterait le plus, « principalement ».

Or, ce n’est pas du tout de cela dont il s’agit. Il s’agit d’une seule et même chose, ayant plusieurs aspects.

Mais il y a alors une erreur à éviter, qui consiste à dire que ces aspects étant évolutifs, il faut passer d’abord par le premier, puis le second, puis le troisième, afin de monter en puissance, ou bien inversement, passer d’abord par le troisième, puis par le second, puis par le premier, pour « relire » ce qui est passé à partir du niveau le plus haut.

C’est une erreur, car c’est considérer que le marxisme-léninisme-maoïsme serait le fruit d’une « accumulation » dont on saisirait, de manière unilatérale, la substance en allant dans un sens ou dans un autre.

En réalité, il y a une seule et même chose, le marxisme-léninisme-maoïsme, mais cette chose s’est déployée dans le temps, c’est-à-dire qu’elle s’est matériellement transformée. Ce n’est pas un concept qui flotterait au-dessus de la réalité. Une telle chos n’existe pas.

La question du « principalement » signifie que de la même manière qu’un être humain adulte n’est plus un enfant, même s’il en est le prolongement, le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » implique une transformation ; cela signifie qu’il n’est pas possible de saisir l’idéologie à partir d’un point de vue antérieur de son développement.

Bien entendu, on peut relire Karl Marx à partir de Mao Zedong et mieux comprendre Mao Zedong à la lumière de Karl Marx. La question n’est pas là ; ce qui est en jeu ici, c’est le développement, le caractère non statique de tout phénomène, donc du marxisme-léninisme-maoïsme également.

C’est pour cela qu’il n’est pas possible, du point de vue de Gonzalo, de séparer le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » de la pensée guide. Un phénomène idéologique, puisqu’il est en mouvement, est forcément porté par la pensée de quelqu’un et de ce fait les deux aspects – idéologie et pensée – sont indissociables.

D’où la présentation liée des deux concepts :

« Le prolétariat engendra une idéologie: le marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme, pour la révolution mondiale et le marxisme-léninisme-maoïsme, pensée Gonzalo, principalement pensée Gonzalo, pour la révolution péruvienne. »

La différence entre le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » et le « marxisme-léninisme-maoïsme, pensée Gonzalo, principalement pensée Gonzalo » est celle entre l’universel et le particulier. Et il n’y a pas l’un sans l’autre.

C’est là le grand mérite de Gonzalo que d’avoir non seulement systématisé la question de l’aspect principal, mais également de n’avoir pas fait de l’idéologie quelque chose de formel, d’idéal, d’abstrait, d’avoir saisi que celle-ci se développait concrètement, donc avec un aspect principal, et donc concrètement, et donc avec un aspect principal, etc., dans un jeu dialectique ininterrompu.

D’où le principe de la pensée guide, qui découle du fait qu’il y a un aspect principal au marxisme-léninisme-maoïsme.

Il y a le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » comme aspect universel et le « marxisme-léninisme-maoïsme, pensée XYZ, principalement pensée XYZ » dans chaque pays où le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » se réalise, comme aspect particulier (de l’idéologie universelle) porté par un aspect particulier (la pensée guide), au sein d’un phénomène général (le marxisme-léninisme-maoïsme, lui-même principalement le maoïsme).

Gonzalo a bien saisi la question de l’aspect particulier dans son rapport à la contradiction entre l’universel et le particulier ; il a compris le rapport dialectique entre le « marxisme-léninisme-maoïsme, principalement le maoïsme » comme aspect universel et le « marxisme-léninisme-maoïsme, pensée XYZ, principalement pensée XYZ » comme aspect particulier.

Michel-Ange, la Chapelle Sixtine et la fresque nationale italienne à la suite de Dante et Boccace

Michel-Ange a peint le plafond de la Chapelle Sixtine durant les années 1508-1521, alors que sa fresque du Jugement dernier concerne les années 1536-1541. Ce sont là de longues années et pourquoi Michel-Ange est-il passé si aisément de la sculpture monumentale à ce délire coloré rempli de figures colossales?

La création d’Ève par Michel-Ange, plafond de la Chapelle Sixtine

C’est qu’en fait, l’Eglise n’a pas fait que détourner la sculpture massive de Michel-Ange pour réussir à occuper spatialement la Chapelle Sixtine. Elle a également réalisé une appropriation du style italien, celui de la fresque. C’est ce qui explique l’engagement de Michel-Ange.

Il faut ici comprendre le cheminement historique de l’Italie et la mentalité nationale qui en découle. Lorsque commence une période plus stable, plus lisible après l’effondrement du système esclavagiste s’étalant sur des siècles à travers la chute de Rome, alors que des villes se développent autour du commerce et des échanges, deux figures apparaissent exprimant un immense niveau de culture.

Le premier est Dante Alighieri (1265-1321) et le second Boccace (1313-1375). Dante a écrit la fameuse Comédie, à la fin de sa vie ; la première édition imprimée apparaissant en 1472. L’adjectif « divine » a été ajouté devant le titre par Boccace, auteur de son côté du Décaméron (1349-1353).

Portrait de Dante Alighieri, détail d’une fresque de la chapelle du Bargello attribuée à Giotto di Bondone

Tous deux sont florentins et leur approche similaire va caractériser la démarche nationale italienne. Le principe est très simple : même si on est au 14e siècle seulement, l’Italie profite d’un très riche patrimoine littéraire à travers les œuvres en latin de l’ancienne Rome. Cela fait qu’il y a déjà un bagage intellectuel, avec des références donc, mais également des auteurs parlant d’autres auteurs, d’autres gens, etc.

Or, que va-t-il se passer? Lorsque Florence se développe au 12e siècle, pour former une république avec tout un appareil administratif et une sorte de noblesse locale, il va immédiatement y avoir une tentative de coller à ce système de références, de faire comme si la société était aussi rempli de personnalités et de faits que pour toute la littérature de l’antiquité romaine.

De plus, les grandes œuvres latines sont l’Énéide de Virgile et les Métamorphoses d’Ovide, deux vastes fresques, s’étalant sur un vaste champ de faits et de gens.

On a donc immédiatement une orientation vers le portrait d’ensemble, sous la forme d’une fresque, de manière littéraire mais avec des images figurées ; le troisième auteur national italien, Pétrarque (1304-1374), procédera de même dans son éloge de la femme aimée prétexte à la fresque d’Il Canzoniere, vaste recueil de poèmes.

La Comédie correspond donc à ce jeu intellectuel, dont il est considéré comme l’expression la plus substantielle. Dante y raconte comment il visite l’enfer, le purgatoire, le paradis ; la liste de ses références à des faits et des gens est absolument innombrable et a donné naissance à un océan d’ouvrages d’analyses de ces références. Impossible de lire quelques lignes sans avoir des notes en série pour émettre telle ou telle hypothèse.

Une des premières éditions de la Comédie

Cela n’empêche pas l’oeuvre d’être magistrale de par son ample mouvement et ses figures particulièrement imagées, ses remarques intellectuelles imbriquées dans une approche littéraire particulièrement soignée.

On a là le cœur de l’approche italienne : celui de la fresque littéraire à contenu intellectuel, à travers des figures imagés.

Le Décaméron de Boccace relève du même principe. Des jeunes gens fuient la peste noire frappant Florence et pendant leur séjour à la campagne, chacun des dix protagonistes doit chaque jour raconter une petite histoire. Et là on a pareillement une fresque littéraire prétexte à des remarques intellectuelles, à travers des figures imagées.

On comprend maintenant aisément que ce qui a attiré Michel-Ange dans la réalisation de la fresque de la Chapelle Sixtine, c’est la réalisation d’une sorte de panorama à l’italienne.

Le sacrifice de Noé

Le plafond de la Chapelle Sixtine ne présente pas simplement des thèmes religieux, on y trouve une fresque historique, avec la création du monde, celle de l’humanité, puis les débuts de l’humanité avec Noé.

On a donc une trame pour ainsi dire à l’italienne, avec tout d’abord la séparation de la lumière des ténèbres, la création des astres, la séparation des eaux. Suivent la création d’Adam, celle d’Ève, le péché originel et enfin le sacrifice de Noé, le déluge, l’ivresse de Noé. Le Jugement dernier est pareillement composé de multiples éléments en mouvement, présentant ce jour d’intervention divine sous toutes ses facettes.

Mais que restait-il d’italien? Strictement rien. On a ici un tournant, qui va être fatal à l’Italie : le Vatican a aspiré les forces nationales accompagnant l’émergence du capitalisme italien, de sa bourgeoisie.

Le Vatican va évidemment, dans la foulée, briser ces forces nationales sur le plan culturel, passant très rapidement dans le camp du baroque pour réaliser une propagande populaire anti-protestante et anti-humaniste. Et la nation italienne aura perdu tout point de repère, errant dans son affirmation historique.

Saint-Blaise et Sainte-Catherine dans le Jugement dernier de Michel-Ange : à gauche une copie du 16e siècle de l’original, à droite la version retouchée au même siècle par le Vatican, qui jusqu’au 20e siècle procéda à de tels ajustements

Il est un homme qui, cependant, saisi le caractère éminemment décadent de la Rome de l’époque de Michel-Ange : Martin Luther. Ce dernier est à Rome, en 1510-1511 ; Michel-Ange était déjà depuis plusieurs années à l’oeuvre pour le plafond de la Chapelle Sixtine.

Martin Luther en reviendra avec une haine complète pour la papauté et Rome, cette « prostituée babylonienne ». Le plafond de la Chapelle Sixtine est inagurée par le pape Jules II le 31 octobre 1512 ; le 31 octobre 1517 Martin Luther placarde ses 95 thèses sur les portes de l’église de Wittemberg.

Martin Luther posait l’exigence de l’autonomie individuelle en pleine acceptation de sa vie intérieure, en prenant appui sur l’image d’un Christ humain en souffrance. Michel-Ange, quant à lui, ne représentait même pas le Christ sur le plafond de la Chapelle Sixtine ! Et il le montrait en colosse dans le Jugement dernier.

Ce rejet de la vie intérieure, on le voit à une anecdote révélatrice. Lorsque le mur destiné au Jugement dernier fut préparé pour de la peinture à l’huile, techniquement plus précis et permettant des retouches, Michel-Ange, alors déjà âgé, fit tout recommencer à zéro pour peindre sur la mode des fresques, directement sur un enduit en train de sécher, avec cette idée de l’élan physique pour présenter une trame générale.

C’était un geste italien – mais qui par son rejet de l’esprit de synthèse allait contribuer à nier l’Italie pour toute une période historique.

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Michel-Ange et la Chapelle Sixtine

La Chapelle Sixtine est un palais du pape au Vatican ; de taille importante – 40 mètres de long sur 13 mètres de large avec 21 mètres de hauteur – elle est depuis le XIVe siècle le lieu d’élection du pape après le décès de celui.

Un conclave, c’est-à-dire l’assemblée des cardinaux pour l’élection du prochain pape

Cette chapelle est la Magna Capella Sacri Palatii ou Grande Chapelle du Sacré Palais ; seul le pape peut y célébrer une messe. Et ce lieu, un des principaux lieux idéologiques du catholicisme romain, fut principalement décoré par Michel-Ange, qui y passa de très nombreuses années de sa vie.

C’était là un détournement catholique romain de l’activité de Michel-Ange. De sculpteur, il passa à peintre et de ce fait toute sa substance artistique se voyait tronquée. Au lieu de réaliser des figures monumentales sous la forme de statue, il se mit à mettre en place des figures théâtrales dans le cadre de mises en scène au service de la fiction religieuse.

La dimension corporelle, le jeu dialectique des éléments sculpturaux… tout cela disparaissait au profit d’un travail d’agencement à grande échelle, illusion de complexité et réelle grossièreté dans l’assemblage à la fonction directement idéologique.

Il suffit de voir Judith et Holopherne pour cerner ce qui est perdu par rapport à la sculpture. Le rapport à la réalité a disparu, seule reste la dimension massive utile pour occuper le vaste espace, ce qui est entièrement formel.

On retrouve dans la punition de Haman des éléments sculpturaux, au point qu’on devine que cela aurait été une statue très intéressante, mais on a là simplement une occupation d’espace, avec des personnages d’arrière-plan aux traits simplistes.

La Chapelle Sixtine combine occupation spatiale et simplicité, afin d’impressionner dans la présentation de la doctrine catholique romaine. C’est un détournement de la sculpture de Michel-Ange, dont la substance pour ainsi dire massive est déviée vers une mobilisation pour mettre en place des formes spatialement grandes, occupant assez d’espace et assez nombreuses pour surcharger l’esprit, faire impression.

La Chapelle Sixtine est le lieu même d’une surcharge générale, avec tous ses murs et son plafond emplis de scènes, de couleurs ; c’est l’exact contraire de l’appel à la raison que font, au même moment, l’humanisme et le protestantisme.

Ce qui était la liaison entre le naturel et le matériau brut dans la sculpture devient, même dans le meilleur des cas, une illustration isolée, dans une posture forcée, dans un environnement littéralement kitsch, comme ici pour la Sibylle libyque qui aurait pu être prétexte à une sculpture de la plus haute valeur.

Et pour la grande majorité des cas, on a droit à des représentations tout à fait traditionnellement catholiques, associés à un côté massif provenant de la sculpture, aboutissant à des êtres physiquement grossiers, disproportionnés, dont seul intérêt plastique est d’occuper l’espace, comme ici pour le premier jour de la Création.

Le caractère colossal et lascif des nus masculins qu’on trouve autour des figures religieuses est tout à fait représentatif d’un état d’esprit décadent propre à la papauté de l’époque
Un nu plus en détail, très réussi mais entièrement tourné vers la dimension lascive et colossale agrémentant une représentation religieuse

L’affrontement entre David et Goliath n’a aucune majesté : il suffit de le comparer à la statue de David ! Quant à la représentation du Déluge, on a un assemblage de choses massives : les corps, les muscles, les tissus, le bois, tout est boursouflé, dans une esthétisation de l’occupation de l’espace qui n’a aucune finesse, aucun rapport à la réalité.

On est dans une combinaison de la fantasmagorie religieuse et du fantasme de l’occupation spatiale massive.

La Création d’Adam est tout à fait en phase avec cette lecture esthétique boursouflée. Dieu est présenté de manière théologiquement absurde sous une forme humaine, accompagné d’êtres aux formes arrondies, pour ne pas dire qu’ils sont grotesques, dans un monument de kitscherie.

Adam, à l’image d’un Dieu désormais humain, est très réussi de par sa dimension sculpturale, mais il aurait dû justement être une sculpture et non pas se retrouver amalgamé à une accumulation de formes et de couleurs.

Cette autre représentation de Dieu sur le plafond de la Chapelle Sixtine témoigne de ce côté massif et on voit bien comment Michel-Ange a pu s’attacher à ce projet : il a fait un fétiche de la dimension massive.

Les formes sont tout aussi grossières pour la fresque Le Jugement dernier, au fond de la Chapelle Sixtine. Le Christ est d’un caractère lourd, massif : il est l’exact opposé du Christ humain, fragile, symbole d’une humanité en quête d’un progrès intérieur, que met alors en avant le protestantisme avec sobriété et raison.

Le Christ du Jugement dernier est à l’image d’un assemblage de personnages physiquement grotesques, tous plus massifs les uns que les autres et de ce qui relève littéralement d’une sorte de fantasme corporel homosexuel par ailleurs : tout est lourd, musclé, viril, massif dans les gestes.

Michel-Ange a trahi la cause du réalisme avec ses travaux pour la Chapelle Sixtine : il a accepté le détournement de son art pour une orientation vers le massif au service d’une occupation spatiale servant une opération de propagande catholique romaine passant par la noyade des esprits.

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Le David de Michel-Ange

Michel-Ange a sculpté le David de septembre 1501 à mai 1504 ; c’est une statue de marbre qui fait plus de quatre mètres. Sa gloire tient surtout à ce qu’au moment de sa réalisation, Florence est une Cité-État. L’oeuvre est alors placée devant le Palazzo Vecchio, le siège municipal de Florence, et est censé symboliser la détermination de l’esprit « républicain ».

Au-delà de toute considération politique de ce type, il est en tout cas très clair que le David, de manière encore plus nette que le Moïse et la Pietà, est séparé de la religion. Il est évident que le thème religieux relève du contexte historique, voire sert même de prétexte.

La référence à l’antiquité gréco-romaine apparaît si clairement qu’on doit parler de drapeau de la nation italienne en formation. Il y a ici un rapprochement assumé avec l’idéal antique, dans sa dimension païenne, avec l’harmonie, la détermination virile, la nudité aux muscles façonnés, la dimension imposante, etc.

En ce sens, le David est un recul par rapport à la complexité du Moïse et de la Pietà. C’est, si l’on veut, un travail de référence, une allusion esthétique, un exposé nostalgique de l’idéalisme antique.

Le problème de fond, c’est la simplicité apparente, qui élude toute complexité, toute profondeur psychologique, tout esprit synthétique. On est ici dans une immédiateté analytique, le grand travers de la Renaissance qui fonctionne par rapprochements, allusions, codes, dans un mélange de religion catholique romaine et de références idéalistes à Platon.

Naturellement, les tenants de la Renaissance valorisent cette approche se voulant « harmonieuse », « idéale », qui en réalité laisse sur sa faim de par l’absence de contenu. L’oeuvre, relevant de l’idéalisme, est purement auto-référentielle.

Le David de Michel-Ange présente ainsi un tournant dans l’histoire de l’art de la Renaissance italienne. Il montre que la nation italienne en formation a passé un cap, qu’elle sait exprimer un art national, mais qu’en même temps elle est obligé de passer par le prisme de la référence antique pour être en mesure de faire face au catholicisme romain.

Ce faisant, tournant le dos à la réalité, à un rapport assumé à la réalité, le développement de la nation italienne se brisait. Il ne faisait plus le poids face à la production massive du catholicisme romain, qui profitant de ses réseaux pouvait se permettre d’intégrer des aspects populaires.

Le baroque n’est pas qu’une réaction au réalisme de l’art flamand, au protestantisme, à l’humanisme ; il est aussi une déviation des énergies populaires italienne, autrichienne, tchèque, ôtant le terrain, du moins pour un temps, pour une affirmation nationale.

La position de Michel-Ange est donc celle de celui qui a été le plus loin dans l’affirmation nationale italienne dans le domaine de la sculpture. L’utilisation de son talent pour la Chapelle Sixtine est littéralement un détournement ; il suffit de voir le travail effectué sur le David, oscillant entre réalisme et idéalisme, pour voir le décalage avec de très grandes fresques allégoriques techniquement faibles et directement religieuses.

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