Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Le sens de la reconstitution du Parti Communiste en France

    Qu’est-ce qu’un Parti Communiste ? Ce sont des gens qui incarnent la volonté de la révolution, qui portent les valeurs de la révolution, qui font de l’agitation et de la propagande, qui organisent. C’est une vérité bien connue dans notre pays, qui grâce à sa longue histoire de lutte des classes a su porter génération après génération des éléments se tournant vers le Communisme.

    Il est bien connu toutefois que, malheureusement, notre pays résume la politique au tempérament ; à cela s’ajoute que les Français ne sont bons que dans l’adversité. Lorsque le Parti Communiste fut fondé en 1920, il s’appuyait sur la majorité du Parti socialiste SFIO et pourtant il sombra immédiatement dans le sectarisme et la marginalité.

    Il fallut la tentative de coup d’État fasciste du 12 février 1934 pour que, le dos au mur, les révolutionnaires prennent l’initiative, portant une nouvelle dynamique qui fut celle du Front populaire. Livré à lui-même, le Front populaire s’enlisa toutefois et il fallut le drame de l’Occupation et du régime de Vichy pour que les révolutionnaires, une nouvelle fois le dos au mur, soient en mesure de se transcender, pour mener la Résistance.

    Ce n’est pareillement que le dos au mur, après dix années de régime gaulliste né du coup d’État de 1958, que les révolutionnaires furent en mesure de provoquer l’étincelle donnant naissance à Mai 1968, qui fut un véritable mouvement populaire. Puis, pareillement, les révolutionnaires sombrèrent dans le sectarisme et la marginalité après Mai 1968.

    Nous avons compris cette incapacité des révolutionnaires de France à agir de manière autonome, cette dépendance vis-à-vis des situations sans issue. Elle provient d’une démarche très française, s’appuyant sur un esprit rationaliste toujours prompt à relativiser et a ainsi se retrouver piégé par les situations.

    Cela, on n’y peut pas grand-chose : telle est la nature culturelle de notre peuple, de par son parcours historique. Si l’on ne discute pas de tout, ce n’est pas français. C’est une très bonne chose pour après la révolution, car c’est source de démocratie populaire. Cela n’aide toutefois pas pour aller à la révolution, car cela amène à repousser les échéances, à retarder les prises de décision, voire à ne jamais décider de rien.

    Il y a cependant un autre aspect, qu’on peut et qu’on doit travailler. C’est le fait qu’en France on réduise la question de la révolution au tempérament, à la volonté. C’est là un grave travers qui provient du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarchisme ; être révolutionnaire, ce serait ruer dans les brancards, tout le reste ne serait que réformisme.

    Nous affirmons que, justement, le bolchevisme développé par Lénine permet de ne pas sombrer ni dans l’anarchisme et sa vaine fascination pour le spectaculaire, ni dans le réformisme et son pragmatisme toujours prompt à la corruption. Ce fut également ce qu’avait senti la majorité des socialistes en France en 1920, lorsqu’il y eut la décision au Congrès socialiste de Tours de former la Section Française de l’Internationale Communiste, le Parti Communiste.

    Pourquoi le Parti Communiste a-t-il échoué dans les années 1920-1930 ?

    Les socialistes ont assumé, en 1920, de changer leurs méthodes de travail, leur conception de l’organisation, leur perception des questions théoriques. Cela a été très laborieux toutefois et il fallut attendre 1931 pour que le Parti Communiste se mette « à l’heure de Moscou ». Ce fut d’ailleurs le Slovaque Eugen Fried qui fut nommé en 1930 comme référent pour la France par l’Internationale Communiste ; c’est lui qui réorganisa le Parti Communiste, alors que Maurice Thorez en prit la direction.

    C’est ainsi sous la direction directe de l’Internationale Communiste que le Parti Communiste put réellement s’affirmer dans les années 1930, mais on sait bien qu’il y avait le besoin que soient générées des forces vives de l’intérieur pour que cela fonctionne vraiment. Or, avec l’Occupation, livrés à eux-mêmes, les militants du Parti Communiste ont montré qu’ils étaient comme Maurice Thorez.

    Les militants du Parti Communiste étaient plein d’abnégation, de tempérament sincèrement communiste. Mais ils ne comprenaient rien au matérialisme dialectique, ni à ce qui se passait en URSS. Ils suivaient l’URSS par intuition, par passion ; ils restaient incapables d’assimiler les bases du Communisme et ne produisirent aucune analyse matérialiste historique de leur propre pays.

    Les militants du Parti Communiste considéraient qu’ils représentaient le Parti du syndicalisme, que la révolution viendrait du syndicat, la CGT, qu’eux étaient des agitateurs politiques préparant le terrain pour cela. Lorsque le révisionnisme triompha en URSS en 1953, strictement rien ne changea pour le Parti Communiste : il continua tout comme avant.

    Pourquoi le Parti Communiste a-t-il échoué dans les années 1940-1960 ?

    Le Parti Communiste avait mené la Résistance, mais il se mit à la remorque de de Gaulle, tout comme il suivait en réalité le syndicat CGT dans tous les domaines. Devenu un mouvement de masse en 1945, et même le premier parti politique du pays, il ne prit jamais l’initiative, se plaçant toujours dans cette position de suivisme.

    Lors du coup d’État gaulliste de 1958, il ne fut donc pas en mesure de prendre l’initiative et après avoir rejeté le régime de la Ve République, il finit par s’en accommoder et même par le suivre. Cette logique de suivisme fut tellement forte que le Parti Communiste Français fut le grand opposant à Mai 1968, jetant avec la CGT toutes ses forces pour étouffer la protestation et casser les « gauchistes ».

    Comme on était alors déjà loin des principes du bolchevisme, de l’affirmation de la clandestinité, du soulèvement, de l’insurrection armée ! Et il est marquant que cette incohérence ne fut pas remarquée dans les rangs du PCF. Il y a une continuité profonde dans l’histoire du PCF, il n’y a jamais eu d’opposition interne, de protestation contre la décadence des orientations, de refus du révisionnisme à l’encontre des principes.

    C’est que le Parti Communiste, malgré les efforts de l’Internationale Communiste, ne fut jamais en France qu’un parti de type social-démocrate comme il existait en Allemagne et en Autriche avant 1914.

    Il était de masse, il exigeait les réformes, il en menait à grande échelle dans les municipalités ; il organisait de très nombreuses structures populaires, à grande échelle, comme le Secours Populaire, la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), l’Union des femmes françaises, l’UNEF, la Fête de l’Humanité, etc.

    Il était un lieu de socialisation, pas de révolution.

    Pourquoi le Parti Communiste a-t-il échoué dans les années 1970-1980 ?

    Mouvement de masse, Parti du syndicat, suiviste, le Parti Communiste a 440 000 membres au début des années 1970, mais il est incapable de prendre des initiatives, il ne peut que suivre. Il se mit logiquement à la remorque des socialistes, avec qui un programme commun est établi en 1972.

    De manière cohérente avec ce positionnement toujours accompagnateur, il avait naturellement balancé par-dessus bord tous les encombrants restes de principes idéologiques. Quelques jours avant son 22e congrès, son secrétaire général Georges Marchais annonça à la télévision que le concept de « dictature du prolétariat » était abandonné, sans que personne n’en soit offusqué par la suite parmi les 1500 délégués, qui avaient 32 ans de moyenne d’âge et dont 60 % avaient adhéré après 1968.

    Le Parti Communiste Français, parti gouvernemental dans les années 1980-2020

    Au début des années 1980, le Parti Communiste Français est un mouvement de masse et il le restera jusqu’au début des années 1990 encore. Cependant, il est hostile à l’idée de révolution ; il est ouvertement un parti d’orientation gouvernementale, étant d’ailleurs au gouvernement (1981-1984). Il choisit par la suite de rester entièrement un parti visant à une participation gouvernementale, ce qu’il réussit dans le cadre de la « gauche plurielle » (1997-2002).

    Il n’est plus que l’ombre de lui-même, il professe un « communisme » qui n’a plus rien à voir ni de près ni de loin avec son origine, ni même avec son propre parcours. Il a échappé à son rôle historique, qu’il n’a pas voulu assumer.

    Le sens de la reconstitution du Parti Communiste en France

    Puisque le Parti Communiste Français a trahi, il y a lieu de le reconstituer. Il ne s’agit pas de le « reconstruire ». Il y a eu des tendances qui sont apparues dans le Parti Communiste Français dans les années 1990, exprimant la nostalgie des années 1980, 1970, 1960. Cela n’a aucun sens, car le Parti Communiste Français était déjà corrompu.

    Il ne voulait déjà plus la révolution, le renversement du capitalisme et de son État par les masses en armes. Il n’assumait déjà plus le marxisme-léninisme et soutenait ouvertement le révisionnisme soviétique, auquel il contribuait avec la thèse développée par son économiste Paul Boccara, le « capitalisme monopoliste d’Etat », qui prolongeait celle du soviétique Eugen Varga.

    Aucune « reconstruction » n’est possible. Seule une reconstitution est possible et cela sur la base de deux éléments : l’affirmation de la prise du pouvoir par la violence et l’incarnation de l’antagonisme dans la société française. Le Parti Communiste se reconstitue en assumant la violence révolutionnaire et en étant porté par des gens assumant de rompre avec l’idéologie dominante, de ne pas céder aux valeurs proposées par le capitalisme.

    C’est cela qui forme le terrain pour l’expression du matérialisme historique permettant d’analyser la société française, du matérialisme dialectique comme vision du monde des communistes. C’est cela qui établit la substance du Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste), comme avant-garde portant l’antagonisme et le diffusant aux masses populaires, pour enclencher le processus révolutionnaire.

  • Une faillite généralisée de la seconde Internationale en 1914

    Les contorsions allemande et française pour « justifier » la guerre forment littéralement des modèles du genre dans la plupart des pays. Les social-démocraties autrichienne, hongroise et tchèque tinrent les mêmes positions sociales-chauvines.

    Affiche mise en place pour le congrès socialiste international de Vienne, qui fut empêché par le déclenchement de la guerre mondiale

    La social-démocratie autrichienne avait mené d’intenses initiatives anti-guerre en 1912, alors que l’empire austro-hongrois visait l’hégémonie sur les Balkans ; les congrès du Parti insistaient sur le refus du militarisme et de la guerre, l’affirmation de l’internationalisme, etc.

    Mais pareillement il fut expliqué que ce n’est pas le peuple qui décide de la paix et de la guerre, que la social-démocratie n’a aucune responsabilité dans tout cela, qu’il fallait maintenir les structures pour l’après-guerre où les choses reprendraient leur cours, que la guerre mondiale était la faute du tsar, etc.

    La social-démocratie hongroise dit exactement la même chose alors, mais du côté autrichien-allemand s’ajoute le pangermanisme : ce serait l’heure du destin de la nation allemande, dont la vie est en jeu et qui voit la possibilité d’enfin s’affirmer, etc.

    Cette ligne rendit fou de rage la section italienne de la social-démocratie autrichienne, alors que la section polonaise appela à se mobiliser contre la « brute moscovite ». Cette rhétorique guerrière contre les barbares envahisseurs est systématique pour compenser le retournement de situation.

    Le congrès syndical belge, fin juillet 1914, affirmait par exemple :

    « Le Congrès syndical affirmant l’irréductible opposition du prolétariat à la guerre, lance un cri d’alarme international et invite l’Internationale ouvrière à mettre tout en œuvre pour empêcher ce crime contre l’humanité et se solidarise dès à présent avec les travailleurs d’autres pays. »

    Le Parti Ouvrier Belge appelait de son côté à Bruxelles à une manifestation de protestation contre la guerre pour le 3 août 1914, qui fut annulée, alors que le 6 août les députés socialistes votaient « les crédits nécessaires à la mobilisation et à l’entretien des soldats et de la population civile. »

    Le manifeste « à la population » expliqua que cela va être un grand massacre… mais qu’on n’y peut rien.

    « Dans quelques jours, dans quelques heures peut-être, des millions d’hommes qui demandaient à vivre en paix, vont être entraînés, sans leur aveu, dans la plus effroyable des tueries par des traités qu’ils n’ont pas consentis, par des volontés qui leur sont étrangères.

    La démocratie socialiste n’a aucune responsabilité dans ce désastre. »

    L’article Pour le salut commun paru dans le quotidien Le Peuple le 4 août 1914 illustra alors la substance de ce tournant social-chauvin :

    « De toutes parts, tandis que le sentiment public s’enfièvre, s’exalte et tour à tour, il le faut bien dire, s’angoisse ou s’exaspère, de beaux jeunes gars, sans distinction de classe, ceux-ci de souche ouvrière, ceux-là d’origine bourgeoise, réclament l’honneur d’être enrôlés comme volontaires.

    Et nous, les farouches et les irréductibles antimilitaristes qu’on sait, nous qui n’avons cessé de lutter contre le monstre de la paix armée, sachant que, derrière lui, se profilait le spectre des plus abominables carnages, nous crions : « BRAVO ! » du fond du cœur, à tous ceux qui s’offrent bravement à participer à la défense nationale. »

    Encore les Belges pouvaient-ils justifier que leur pays connaissait une invasion allemande, mais ce serait là prendre au sérieux un justificatif dont il n’est nul besoin tellement la tendance au chauvinisme est présente pratiquement partout.

    Ainsi, même les Britanniques pourtant isolés territorialement se précipitèrent dans la guerre à laquelle participait leur pays. Le 2 août 1914 il y avait encore un rassemblement contre la guerre à Londres, sur la fameuse place Trafalgar Square, ainsi que dans d’autres villes. James Keir Hardie appela à se mobiliser pour arrêter la mobilisation générale, mais il fut isolé dans le mouvement ouvrier, tout comme son mouvement, l’Independent Labour Party, qui maintint une ligne d’opposition à la guerre, tout comme une partie du pareillement isolé British Socialist Party.

    Dans les pays neutres, le mouvement anti-guerre pouvait par contre échapper à la crise, au moins relativement et parfois temporairement seulement.

    Le 13e congrès du Parti Socialiste Italien, en juillet 1912, se prononça ainsi contre les tendances droitières ouvertes au chauvinisme et au nationalisme ; c’est paradoxalement Benito Mussolini qui se fit alors le porte-parole de l’aile gauche, en prônant et obtenant l’exclusion de quatre députés opportunistes. En avril 1914, le 14e congrès se prononça également encore contre le militarisme :

    « Le congrès affirme que l’antagonisme entre le socialisme et le militarisme est une expression corrélative de l’antagonisme existant entre le prolétariat et la bourgeoisie capitaliste. »

    Lorsque la guerre fit irruption, tant le Parti Socialiste Italien que la Confederazione Generale des Lavoro appelèrent à une intense propagande en faveur de la paix et pour la neutralité italienne, c’est-à-dire l’abandon de l’alliance normalement établie avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie.

    Par la suite pourtant, les socialistes italiens furent passifs, sur la base de l’absence de critique ou de soutien, « ni adhérer ni saboter », lorsque l’Italie entra dans la guerre en 1915 du côté des Alliés. Il y eut une vaste agitation ouvrière, mais la direction socialiste l’étouffa.

    Un autre pays neutre fut les Pays-Bas et la bourgeoisie néerlandaise décida de maintenir le pays à l’écart du conflit, en procédant à une mobilisation générale, ce qui formait bien entendu un appui au régime. Le 3 août 1914, le Parti Ouvrier Social-Démocrate des Pays-Bas vota les crédits de guerre ; Pieter-Jelles Troelstra, son dirigeant, justifia ainsi les choses dans une déclaration commune des dirigeants du Parti :

    « Désormais le peuple néerlandais fait face, et nous aussi camarades, devant les amères conséquences de la guerre.

    La mobilisation de l’armée et de la flotte par le gouvernement est la première conséquence. Comme elle doit montrer que notre peuple veut tout faire pour ne pas être impliqué dans le conflit des grandes puissances, la fraction parlementaire social-démocrate a voté en sa faveur (…).

    Même si vous n’êtes pas en mesure en cette période de désorganisation d’avoir en mains les armes contre le capitalisme, gardez les et protégez les, afin d’en faire usage au moment où la crise s’affaiblira et le moment sera venu de tirer les conséquences pour le soulèvement de notre classe. Unissez-vous sous le mot d’ordre : Fidèle au drapeau rouge ! »

    Pieter-Jelles Troelstra resta fidèle à cette ligne paradoxale de soumission au régime et d’attente du grand soir ; en novembre 1918, il annonça au parlement que l’heure de la révolution était arrivée. Cela apparut comme totalement décalé dans un pays légitimiste quant à la monarchie et il fut carbonisé politiquement, n’étant même pas arrêté.

    Le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Suède se réunit en août 1914 pour un congrès, appelant à la mobilisation pour le maintien de la neutralité. Il fut cependant au bout de deux jours repoussé à la fin novembre en raison de la mobilisation faite dans le pays. Le Parti des jeunes socialistes – une structure indépendante – expliqua qu’il n’était pas possible d’appeler à la grève générale et au soulèvement dans une telle situation et dans un petit pays. Dans son Manifeste du 15 août, il est dit :

    « Que se serait-il passé, comment est-ce que la guerre mondiale aurait pu être évite ? se demandent certainement des milliers qui le cou tendu attendent la mort.

    Ici il n’y a qu’une seule réponse, mille fois annoncée de notre part : la grève générale !

    Pourquoi est-ce que les ouvriers ne nous ont pas écoutés, pourquoi n’ont-ils pas écouté les socialistes révolutionnaires du monde entier, alors que nous avons de manière opiniâtre promu la grève générale contre la guerre ?

    Maintenant l’avalanche est sur nous – et nous donne raison. Pourquoi n’avez-vous pas écouté, avant qu’il soit trop tard ?

    Nulle part l’Europe serait en flammes si les ouvriers avaient été unis et prêts, lorsque cela aurait été un devoir sacré, de considérer chaque mobilisation comme une proclamation de la grève générale. »

    C’était là typique de la position centriste, qui justifiait l’injustifiable en prétendant que rien d’autre n’était possible, que les ouvriers n’ont pas été à la hauteur, etc. Il y avait heureusement des Partis sauvant l’honneur et montrant qu’il était possible de faire face.

    La Serbie était ainsi de son côté un des premiers pays concernés, puisque la guerre serbo-autrichienne était le déclencheur apparent de la première guerre mondiale.

    La social-démocratie serbe avait, avant la guerre, soutenu une énergique ligne en faveur d’une union de tous les peuples des Balkans ; la ligne était qu’une union entre la Serbie, la Bulgarie, la Roumanie, la Grèce, l’Albanie et le Monténégro amenait l’amitié entre les peuples balkaniques et empêcherait les conquêtes des grandes puissances à leurs dépens.

    Elle maintint cette ligne en s’opposant à la guerre ; les dirigeants Dimitrije Tucović et Dušan Popović prirent une position internationaliste. Le Parti fut cependant totalement déstructuré par la mobilisation. Décéda au front dès 1914 Dimitrije Tucović, dont l’ouvrage Serbie et Albanie : une contribution à la critique de la politique impérialiste de la bourgeoisie serbe fut une référence pour le mouvement ouvrier serbe.

    La fraction Tesniaki de la social-démocratie bulgare se mobilisa également contre une participation à la guerre, organisant des protestations de masse. C’était le début d’un grand rapprochement avec les bolchéviks russes.

    Le Socialist Party of America fut également contre la guerre, mais l’intervention américaine en Europe fut accompagnée d’une terrible vague nationaliste qui le mit à mal, dans le cadre d’un épisode décisif pour le mouvement ouvrier américain. C’était là un aspect méconnu mais qui devait avoir une importance mondiale de par l’importance des États-Unis après 1918.

    La seconde Internationale avait failli en Europe, seule la social-démocratie russe maintenant le cap en tant que tel au plus haut niveau, avec des parallèles bulgare, serbe… mais surtout elle avait échoué à apporter un niveau suffisant à sa section américaine, qui ne se relèvera jamais de la première guerre mondiale.

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    et le déclenchement de la première guerre mondiale

  • La passivité française devant la déclaration de guerre en 1914

    Lénine se plaçait dans le prolongement de la social-démocratie historique et avait su affirmer la ligne révolutionnaire. Qu’en serait-il du côté des socialistes français, dont la tradition était bien différente de la social-démocratie allemande et de son marxisme ?

    Dans son manifeste d’octobre 1912, le Parti socialiste SFIO avait une position très dure, affirmant qu’il n’y a aucune confiance à avoir « dans la diplomatie, dont le rôle est de servir toujours et partout le capitalisme ».

    Lors de son 10e congrès national tenu à Brest en mars 1913, il adopta à l’unanimité une résolution intitulée La loi des trois ans et les armements, où il est dit notamment :

    « Considérant que le développement des armements et le vote de la loi des trois ans seraient considérés par la nation et le monde comme les preuves évidentes et caractéristiques d’une politique nationaliste et chauvine ;

    Considérant que le seul moyen d’assurer la défense nationale est d’instaurer les milices par l’armement général du peuple et que toute diminution du service militaire est un pas dans cette voie, que le prolongement du séjour des jeunes soldats en caserne en est la négation (…)

    Donne mandat au groupe parlementaire et à la Commission administrative permanente de mener dans le Parlement et dans le pays et l’action la plus énergique et la plus résolue pour l’entente franco-allemande, l’arbitrage international, les milices nationales et contre la loi de trois ans. »

    C’est là très exactement la conception socialiste française avant 1914, qui est même présentée de manière plus volontaire encore au 11e congrès national du Parti socialiste SFIO les 14, 15 et 16 juillet 1914, puisqu’il est précisé que :

    « Entre tous les moyens à employer pour prévenir et empêcher la guerre et pour imposer aux gouvernements le recours à l’arbitrage, le Congrès considère comme particulièrement efficace la grève générale ouvrière simultanément et internationalement organisés dans les pays intéressés, ainsi que l’agitation et l’action populaires sous les formes les plus actives. »

    Cela formait un amendement qui devait être présenté au Bureau Socialiste International et être fait accepté au congrès socialiste international devant se tenir à Vienne. Il fut voté par le Parti socialiste SFIO par 1690 voix contre 1174, avec 83 abstentions et 24 absents. La minorité considérait que cela impliquait la défaite du pays où la grève générale serait le plus efficace.

    Il ne faut cependant pas croire que ce discours sur la grève générale relève du socialisme : au sens strict, il est « socialiste français », avec ce mélange de « collectivisme », de fédéralisme et de syndicalisme révolutionnaire.

    Ce sont d’ailleurs les syndicalistes révolutionnaires qui ont produit avec la CGT la théorie de la « grève générale » et ils l’utilisent comme mythe politique, agitant dans de nombreux quartiers parisiens au même moment.

    La réunion des Conseils syndicaux de l’Union des syndicats de la Seine de la CGT aboutit à un appel « À la population ! Aux travailleurs français ! », publié dans La bataille syndicaliste le 29 juillet 1914, soutenant que :

    « Dans la grave situation présente, la CGT rappelle à tous qu’elle reste irréductiblement opposée à toute guerre.

    Que le devoir des travailleurs organisés est de se montrer à la hauteur des circonstances en évitant, par une action collective, consciente, harmonisée à travers tout le pays, internationalement et par-dessus les frontières, le plus grave péril mondial de se réaliser (…).

    La CGT croit fermement que la volonté populaire peut empêcher le cataclysme effroyable que serait une guerre européenne (…).

    Que partout, dans les villes industrielles, comme dans les communes agricoles, sans aucun mot d’ordre, la protestation populaire s’élargisse, se fortifiant, s’intensifiant au fu et à mesure que les dangers deviendront plus pressants.

    À bas la guerre ! Vive la paix. »

    Le meeting prévu pour le lendemain, le 29 (jour de la publication), fut cependant interdite :

    « Il n’a pas paru possible au gouvernement, dans les circonstances actuelles, de tolérer une réunion où, si on s’en réfère à sa convocation, les orateurs devraient traiter des moyens d’entraver la mobilisation. »

    La CGT et l’Union des syndicats de la Seine appela alors à redoubler de « vigilance », à « l’énergie » et au « sang-froid », à intensifier la « protestation anti-guerrière ».

    Le 31 juillet 1914, elles annonçaient d’ailleurs dans La bataille syndicaliste l’organisation d’une manifestation le 9 août, soulignant qu’il y avait les mêmes initiatives dans de nombreuses autres villes (Amiens, Bordeaux, Lille, Limoges, Lyon, Marseille, Nantes, etc.). Il fut appelé à ce que le Parti socialiste SFIO l’organisa conjointement.

    Tout cela disparut comme par enchantement. Le même jour, Jean Jaurès était assassiné, alors que l’Allemagne déclare la guerre à la France ; le lendemain, le gouvernement français annonça la mobilisation générale.

    Dans un mouvement unanime la Chambre rend hommage à Jaurès
    Elle acclame la Défense nationale contre l’agression, au milieu de l’enthousiasme le plus émouvant

    Dans La bataille syndicaliste du 2 août 1914, la capitulation fut annoncée comme suit dans le message de la CGT « aux prolétaires de France » :

    « Le prolétariat n’a pas assez unanimement compris tout ce qu’il fallait d’efforts continus pour préserver l’Humanité des horreurs de la guerre.

    Femmes, qui pleurez en ce moment, nous avons tout fait pour vous épargner cette douleur. Mais, hélas ! Nous ne pouvons aujourd’hui que déplorer le fait accompli.

    Pouvions-nous demander aux camarades un sacrifice plus grand ? Quoiqu’il nous en coûte, nous répondons : non !

    Ce que nous réclamons de tous, c’est un inébranlable attachement au syndicalisme qui doit traverser et survivre la crise qui s’ouvre. Aussi fermement qu’hier nous devons conserver l’intégralité de nos idées et la foi dans leur triomphe définitif. »

    Le Parti socialiste SFIO tint une assemblée le 2 août 1914, le secrétaire général (depuis 1905) Louis Dubreuilh expliquant que :

    « Fidèles aux engagements qui furent toujours les nôtres, notre devoir est donc de protéger l’indépendance et l’intégrité de notre France républicaine et pacifique si elle est attaquée.

    Mais nous n’oublierons pas d’autre part que nous sommes les membres de l’Internationale ouvrière et socialiste. C’est une guerre de défense à laquelle un sinistre destin nous accule. »

    Le 4 août 1914, Léon Jouhaux put prononcer aux obsèques de Jean Jaurès un long discours résumant bien le point de vue socialiste français : ils n’y sont pour rien, ils doivent participer à la guerre contre leur gré, ils ne peuvent pas se révolter face ce qui apparaît comme la destinée, etc.

    « Jaurès a été notre réconfort dans notre action passionnée pour la paix. Ce n’est pas sa faute, ni la nôtre, si la paix n’a pas triomphé.

    Avant d’aller vers le grand massacre, au nom des travailleurs qui sont partis, au nom de ceux qui vont partir, dont je suis, je crie devant ce cercueil toute notre haine de l’impérialisme et du militarisme sauvage qui déchaînent l’horrible crime. »

    Le secrétaire général du Parti socialiste SFIO Louis Dubreuilh dira quant à lui que :

    « Jaurès a été vaincu dans cet effort [en faveur de la paix]. Nous avons été vaincus avec lui : c’est la guerre qui se dresse. Nous en affronterons sans peur les hasards et les périls.

    S’il était ici, il deviendrait le clairon de la bataille pour rallier, avec sa grande voix, toutes les forces vives du pays. Et il aurait comme nous, en défendant la France, la conviction de défendre le haut idéal de fraternité humaine de notre Parti. »

    S’ouvrit alors une intense propagande en faveur de la France républicaine contre « l’Allemagne monarchique, féodal, militariste ».

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    et le déclenchement de la première guerre mondiale

  • Lénine contre la guerre impérialiste et pour la guerre civile

    L’échec allemand ne surprit pas Lénine, qui avait compris le processus en cours dans la seconde Internationale. Il fut ainsi capable de proposer la ligne révolutionnaire, continuatrice des principes de la seconde Internationale.

    Lénine arriva à Berne en Suisse au moment de la guerre et discuta avec le groupe des bolchéviks réfugiés dans cette ville, à la fin août.

    Lénine en 1914

    Il résuma la position prise dans le document « Les tâches de la social-démocratie révolutionnaire dans la guerre européenne » qui fut envoyé à toutes les sections du Parti à l’étranger et servit de base à la déclaration de son Comité Central, « La guerre et la social-démocratie russe », publié dans le Social-Démocrate du premier novembre 1914.

    Dans le premier document, on lit notamment que :

    « 1. La guerre européenne et mondiale présente tous les caractères d’une guerre bourgeoise, impérialiste, dynastique.

    La lutte pour les marchés et pour le pillage des autres États, la volonté d’enrayer le mouvement révolutionnaire du prolétariat et de la démocratie à l’intérieur des pays belligérants, la tentative de duper, de diviser et de décimer les prolétaires de tous les pays en jetant les esclaves salariés d’une nation contre ceux d’une autre au profit de la bourgeoisie, tel est le seul contenu réel de la guerre, telle est sa signification.

    2. L’attitude des chefs du parti social-démocrate allemand, — le plus fort et le plus influent des partis de la II° Internationale (1889-1914), — qui ont voté le budget de guerre et qui reprennent la phraséologie bourgeoise et chauvine des hobereaux prussiens et de la bourgeoisie, est une trahison pure et simple du socialisme.

    Cette attitude ne peut se justifier en aucune façon, pas même en supposant que le parti social-démocrate allemand soit extrêmement faible et provisoirement obligé de se plier à la volonté de la majorité bourgeoise de la nation. En fait, dans la situation présente, ce parti a pratiqué une politique national-libérale.

    3. L’attitude des chefs des partis social-démocrates belge et français, qui ont trahi le socialisme en entrant dans les ministères bourgeois, mérite d’être condamnée au même titre.

    4. La trahison du socialisme par la majorité des chefs de la II° Internationale (1889-1914) signifie la faillite idéologique et politique de cette dernière.

    Cette faillite a pour cause fondamentale la prédominance au sein de l’Internationale de l’opportunisme petit-bourgeois, dont le caractère bourgeois et le danger qu’il constituait étaient depuis longtemps déjà signalés par les meilleurs représentants du prolétariat révolutionnaire de tous les pays.

    Les opportunistes avaient préparé de longue date la faillite de la IIe Internationale, en répudiant la révolution socialiste pour lui substituer le réformisme bourgeois ;

    en répudiant la lutte des classes et la nécessité de la transformer, le cas échéant, en guerre civile, et en se faisant les apôtres de la collaboration des classes ;

    en prêchant le chauvinisme bourgeois sous couleur de patriotisme et de défense de la patrie et en méconnaissant ou en niant cette vérité fondamentale du socialisme, déjà exposée dans le Manifeste du Parti communiste, que les ouvriers n’ont pas de patrie ;

    en se bornant, dans la lutte contre le militarisme, à un point de vue sentimental petit-bourgeois, au lieu d’admettre la nécessité de la guerre révolutionnaire des prolétaires de tous les pays contre la bourgeoisie de tous les pays ;

    en faisant un fétiche de la légalité et du parlementarisme bourgeois qui doivent nécessairement être mis à profit, en oubliant qu’aux époques de crise, les formes illégales d’organisation et d’agitation deviennent indispensables. »

    Dans le second document, on lit notamment que :

    « S’emparer de territoires et asservir des nations étrangères, ruiner la nation concurrente, piller ses richesses, détourner l’attention des masses laborieuses des crises politiques intérieures de la Russie, de l’Allemagne, de l’Angleterre et des autres pays, diviser les ouvriers et les duper par le mensonge nationaliste, et décimer leur avant-garde pour affaiblir le mouvement révolutionnaire du prolétariat : tel est le seul contenu réel, telle est la véritable signification de la guerre actuelle.

    La social-démocratie est tenue, en premier lieu, de dévoiler cette véritable signification de la guerre et de dénoncer implacablement le mensonge, les sophismes et les phrases « patriotiques » que répandent en faveur de la guerre les classes dominantes : les grands propriétaires fonciers et la bourgeoisie (…).

    Force est de constater, avec une profonde amertume, que les partis socialistes des principaux pays européens n’ont pas accompli cette tâche qui leur incombait, et que l’attitude des chefs de ces partis – du parti allemand surtout – confine à la trahison pure et simple de la cause du socialisme.

    En cette heure d’une portée historique capitale, la plupart des chefs de l’actuelle, de la II° Internationale socialiste (1889-1914), cherchent à substituer le nationalisme au socialisme.

    En raison de leur comportement, les partis ouvriers de ces pays ne se sont pas opposés à l’attitude criminelle des gouvernements, mais ont appelé la classe ouvrière à aligner sa position sur celle des gouvernements impérialistes (…).

    La transformation de la guerre impérialiste actuelle en guerre civile est le seul mot d’ordre prolétarien juste, enseigné par l’expérience de la Commune, indiqué par la résolution de Bâle (1912) et découlant des conditions de la guerre impérialiste entre pays bourgeois hautement évolués.

    Si grandes que paraissent à tel ou tel moment les difficultés de cette transformation, les socialistes ne renonceront jamais, dès l’instant que la guerre est devenue un fait, à accomplir dans ce sens un travail de préparation méthodique, persévérant et sans défaillance.

    C’est seulement en s’engageant dans cette voie que le prolétariat pourra s’arracher à l’influence de la bourgeoisie chauvine et avancer résolument, d’une manière ou d’une autre, avec plus ou moins de rapidité, sur le chemin de la liberté réelle des peuples et du socialisme.

    Vive la fraternité internationale des ouvriers contre le chauvinisme et le patriotisme de la bourgeoisie de tous les pays ! Vive l’Internationale prolétarienne, affranchie de l’opportunisme ! »

    On était là dans un positionnement tout à fait en phase avec ce qu’avait été la seconde Internationale historiquement, mais celle-ci avait failli. Ce sera la base pour un appel à la fondation d’une IIIe Internationale.

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  • L’opportunisme complet de la seconde Internationale en 1914 et le contre-modèle allemand

    La croyance que la guerre ne viendrait jamais reflète le degré de corruption de la seconde Internationale par l’aristocratie ouvrière. Il y a une contradiction ouverte entre les thèses marxistes et les positions prises.

    Dans le quotidien de la social-démocratie allemande, le Vorwärts (En avant), on lit par exemple le 25 juillet 1914 une dénonciation de l’empire autrichien qui veut la guerre… mais également un appel au gouvernement allemand à influencer les Autrichiens dans le sens de la paix. Il était pensé que la guerre se déroulerait – si jamais elle devait se déroulait – ailleurs, par d’autres, etc.

    Le Vorwärts dénonce le 25 juillet 1914 les provocations de guerre frivoles du gouvernement austro-hongrois

    Il est pareillement parlé de refus de la guerre mondiale, cependant on voit que les choses n’étaient pas prises au sérieux, car l’article du lendemain sur la déclaration de guerre autrichienne commence ainsi :

    « Ce qu’on pensait impossible jusqu’à la dernière heure est devenu un fait. »

    La surprise fut en fait générale. Même l’appel à la mobilisation d’absolument tout le monde de la part de la social-démocratie allemande du 27 juillet 1914 s’accompagnait somme toute d’exigences de discussions diplomatiques : il y a alors une soumission générale à la gouvernance bourgeoise.

    Il y a beau avoir des rassemblements dans tout le pays, dans toutes les villes principales et tous les centres industriels, cela reste toujours du suivisme par rapport aux événements.

    On a un bon exemple de cette « surprise » vécue avec ce qui arriva comme mésaventure au social-démocrate allemand Hermann Müller. Il fut présent aux congrès de la SFIO et du Labour Party avant le déclenchement de la guerre, et juste après celle-ci il se précipita à Paris pour tenter de former une initiative franco-allemande pour la paix.

    Jean Jaurès venait d’être assassiné, ce qu’il apprit en cours de route, et les socialistes français l’accueillirent très bien, tout en expliquant que tout était de la faute de l’Allemagne, qu’ils avaient tout fait pour éviter la catastrophe et que leur propre gouvernement « avait voulu, jusqu’au bout, chercher la solution pacifique », comme Pierre Renaudel l’expliqua dans l’Humanité par la suite.

    Hermann Müller se prononçait lui pour la paix, arguant auprès des Français que la social-démocratie allemande voterait contre les crédits de guerre ou s’abstiendrait, que jamais elle ne voterait jamais les crédits de guerre… alors qu’elle était en train de le faire au même moment !

    Hermann Müller ne pensait simplement pas que cela soit possible. C’est un excellent exemple du décalage entre positions théoriques et positions pratiques. Et il est symptomatique que lorsqu’il rentra en Allemagne, Hermann Müller s’en accommoda et devint une figue de l’aile droite.

    La fraction parlementaire social-démocrate a voté les crédits de guerre demandés par le gouvernement lors de la session parlementaire d’aujourd’hui

    Cet épisode trouve en écho en Roumanie au même moment. Le Parti Social-Démocrate de Roumanie s’était déjà opposé aux initiatives militaristes du gouvernement roumain dans le cadre des affrontements dans les Balkans ; lors du déclenchement de la guerre mondiale, il dénonça le « nationalisme panserbe » et le « militarisme autrichien ». Il exigea le maintien de la neutralité du pays.

    Le Parti tomba des nues cependant lorsque la social-démocratie allemande vota les crédits de guerre : il pensa initialement que c’était un mensonge diffusé par l’empire allemand et maintint plusieurs jours cette position. Puis, ce fut la capitulation, avec une savante ambiguïté.

    Le Parti tint un congrès extraordinaire où il maintint sa ligne pacifiste et affirma que, si le pays était attaqué par une grande puissance, la réponse devait être une entente balkanique, avec en perspective une République fédérale balkanique. Comme il n’y avait pas la guerre pour la Roumanie, la position anti-guerre historique pouvait être maintenue.

    Le dirigeant du Parti, Christian Rakovski, expliqua cependant que les positions des socialistes participant à la guerre en France, en Allemagne, en Autriche, etc. était inévitable de par les nécessités de défendre le territoire national étant donné qu’un soulèvement révolutionnaire n’était pas possible. C’était ainsi accepter l’opportunisme et même prévoir une porte de sortie opportuniste le cas échéant.

    En fait, le cœur du problème était que la social-démocratie allemande avait l’hégémonie historique dans la seconde Internationale et que sa faillite complète entraîna tout le monde dans l’abîme.

    Un exemple marquant et suffisant consiste en la censure de la position de la social-démocratie allemande par le chancelier allemand lui-même.

    Lorsqu’il y eut la question de voter les crédits de guerre, Karl Kautsky, l’idéologue de la seconde Internationale, proposa l’abstention.

    Karl Kautsky

    Il fut récusé par les parlementaires : un peu moins de la moitié considérait que dans une situation de guerre il n’y avait plus de division entre partis dans le pays, un groupe équivalent considérait que la guerre était d’essence capitaliste mais qu’il fallait faire face à la Russie tsariste et accompagner la nation, seule une toute petite minorité récusait totalement la guerre.

    Le groupe parlementaire décida de voter les crédits, en accompagnant ce vote d’un texte critique, où on trouve cette phrase :

    « Aussitôt que la guerre deviendra une guerre de conquête, nous nous dresserons contre elle par les moyens les plus énergiques. »

    C’était là chercher à sauver la face, au moyen d’une phrase symbolique visant en même temps à renforcer la fiction selon laquelle il s’agissait d’une guerre défensive. Le chancelier du Reich Theobald von Bethmann Hollweg exigea toutefois qu’elle fut enlevée et elle le fut.

    Le pire fut que comme la grande majorité de la fraction parlementaire social-démocrate vota en interne en faveur du vote des crédits de guerre, la minorité se plia à la discipline. Hugo Haase, le dirigeant de la social-démocratie allemande, pourtant lui-même contre la guerre, lut ainsi le communiqué au parlement ; même Karl Liebknecht vota par discipline, au nom de la tradition d’unité.

    La faillite de la social-démocratie allemande torpillait littéralement la seconde Internationale, puisque celle-ci avait été fondée par elle au moyen d’un rapprochement avec les socialistes français.

    Au moins, du côté allemand, on avait quelques rares esprits clairs comme Rosa Luxembourg et Clara Zetkine, qui appelèrent à une mobilisation sur le terrain de la lutte de classes, de manière révolutionnaire. C’était cependant isolé, sans envergure, sans base organisationnelle.

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  • La seconde Internationale et la croyance que la guerre ne viendrait jamais

    Puisque la guerre n’était portée que par le militarisme, qui lui-même représentait une tendance dans le capitalisme, mais pas le capitalisme en tant que tel, alors il était cohérent de se tourner seulement contre le militarisme, d’appeler à des arbitrages internationaux, à la diplomatie, etc.

    La guerre était une possibilité, si elle se déclenchait elle serait de masse, assassine, mais elle n’est qu’une possibilité historique particulière, qui peut être contré en général.

    Le bureau socialiste international de Bruxelles organisa ainsi une réunion les 29-30 juillet 1914, soit quelques jours après la remise de l’ultimatum autrichien à la Serbie, le 23 juillet, et la rupture des rapports diplomatiques entre l’Autriche et la Serbie le 25. La déclaration de guerre eut lieu le 28.

    Initialement, le Bureau annonça que le congrès de la seconde Internationale devant se tenir à Vienne, en Autriche, fin août, se déroulerait au début du même mois à Paris. La réunion du Bureau du 30 juillet appela alors à se mobiliser, mais sur la base d’un règlement « diplomatique » des conflits :

    « À l’unanimité, il fait une obligation aux prolétaires de toutes les nations intéressées, non seulement de poursuivre, mais encore d’intensifier leurs démonstrations contre la guerre, pour la paix et pour le règlement arbitral du conflit austro-serbe. »

    Le communiqué demanda que soit exercée une pression sur les gouvernements français et allemand pour qu’ils fassent pression sur la Russie et l’Autriche – une illusion ô combien meurtrière, mais caractéristique.

    Jean Jaurès, qui prit la parole le 29 juillet dans le cadre d’un meeting, tint des propos aberrants conformes à cette vision des choses :

    « Nous, socialistes français, notre devoir est simple ; nous n’avons pas à imposer à notre gouvernement une politique de paix. Il la pratique.

    Moi qui n’ai jamais hésité à assumer sur ma tête la haine de nos chauvins, par ma volonté obstinée qui ne faillira jamais, de rapprochement franco-allemand, j’ai le droit de dire qu’à l’heure actuelle le gouvernement français veut la paix et travaille au maintien de la paix.

    Le gouvernement français est le meilleur allié de paix de cet admirable gouvernement anglais qui a pris l’initiative de la conciliation. Et il donne à la Russie des conseils de prudence et de patience. »

    La position de Jean Jaurès n’est nullement isolée, elle est même caractéristique. Dans le Manifeste publié dans l’Humanité le 28 juillet 1914 et signé par plus de vingt dirigeants du Parti socialiste SFIO, on lit :

    « Les socialistes, les travailleurs de France font appel au pays tout entier pour qu’il contribue de toutes ses forces au maintien de la paix.

    Ils savent que le gouvernement français dans la crise présente a le souci très net et très sincère d’écarter ou d’atténuer les risques de conflit (…).

    À bas la guerre ! Vive la république sociale ! Vive le socialisme international ! »

    Dans les rangs du Parti socialiste SFIO, Gustave Hervé était la grande figure du style syndicaliste révolutionnaire ; son journal La guerre sociale était un brûlot anti-militariste.

    Voici ce qu’il écrit avec le même aveuglement, le 28 juillet 1914, dans l’article La vérité sur l’attitude de l’Allemagne :

    « Que d’insanités, que d’injustices, que d’erreurs dans toute la presse française sur l’attitude de l’Allemagne et de son ambassadeur M. Schoen ! L’Allemagne belliqueuse, menaçante ! Allons donc ! En réalité, l’Allemagne est aussi embarrassée de son allié [= l’Autriche-Hongrie] que nous du nôtre [= la Russie].

    Les démarches de l’ambassadeur d’Allemagne à Paris ont tout juste le sens opposé à celui que lui attribue Clemenceau dont la germanophobie, ces jours derniers, confine à la démence (…).

    Si nous échappons cette fois à la catastrophe, la France et l’Allemagne, si elles sont sages, feraient bien, à la prochaine occasion, de lâcher l’une l’alliance russe et l’autre l’alliance autrichienne, pour réaliser cette entente cordiale franco-allemande, qui l’Angleterre et l’Italie aidant, serait le meilleur rempart de la paix européenne et de la civilisation. »

    Cette confiance en le gouvernement, même en le régime « républicain » en lui-même, explique beaucoup de choses : on comprend pourquoi il y eut un retournement de situation si facile. Les socialistes et les sociaux-démocrates, tout comme les syndicalistes, appelaient tous à la paix, car ils ne croyaient pas en la guerre.

    Ils avaient qui plus est relativement confiance en leur propre gouvernement, qu’ils considéraient comme en quelque sorte raisonnable, dans le cadre d’un régime républicain et donc relativement démocratique en soi, etc.

    Cette démarche est quasi systématique dans les Partis de la seconde Internationale. Voilà pourquoi dans leur ensemble, comme pour l’ensemble des syndicats européens, ils réfutaient la guerre dans des communiqués lyriques, pour immédiatement abandonner toute position anti-guerre lorsque celle-ci s’enclencha.

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  • La seconde Internationale et la question du militarisme

    L’un des aspects essentiels pour comprendre la faillite de la seconde Internationale est le militarisme. La social-démocratie russe avait compris avec Lénine que le capitalisme avait développé une superstructure, l’impérialisme ; la seconde Internationale considérait que le militarisme existait parallèlement au capitalisme, qu’il était porté par certains secteurs seulement.

    Cela est flagrant dans le communiqué, en mai 1913, de la conférence de 34 députés allemands et 121 députés français (dont 12 indépendants hors SFIO), en Suisse. On y lit en effet :

    « Elle [= la première conférence de parlementaires allemands et français] invite ses membres à faire tous leurs efforts pour amener les gouvernements des grandes puissances à modérer leurs dépenses navales et militaires.

    La conférence appuie chaleureusement la proposition de M. Bryan, sous-secrétaire d’État aux États-Unis, relative aux traités d’arbitrage.

    Elle demande que les conflits qui pourraient s’élever entre les deux pays et qui ne seraient pas réglés par la voie diplomatique soient déférés à l’arbitrage du tribunal de La Haye et elle compte sur ses membres pour engager une action énergique et soutenue.

    Elle estime qu’un rapprochement de la France et de l’Allemagne facilitera l’entent des deux grands groupes européens et préparera, par là, l’établissement durable de la paix. »

    C’est là formuler toute une série d’illusions, qui reflètent une vision du monde embourgeoisée caractéristique de la seconde Internationale, notamment de Karl Kautsky, et qui est précisément ce que dénonce Lénine.

    Voici un extrait d’une lettre de la fraction social-démocrate parlementaire russe à la social-démocratie d’Autriche et de Hongrie :

    « Les questions de l’accès à la Serbie à l’Adriatique, de l’autonomie de l’Albanie, de [la ville albanaise cible de grandes convoitises] Scutari, etc., ne servent qu’à masquer la lutte entre la Russie et l’Autriche pour l’hégémonie dans la péninsule balkanique.

    Dans le conflit roumano-bulgare nous trouvons également les excitateurs austro-hongrois et russes qui firent métier d’aiguillonner les appétits des petits États pour fonder sur les dissensions et l’inimitié de ceux-ci des plans de nouvelles intrigues impérialistes.

    Et chacune de ces questions secondaires au sujet desquelles les diplomates responsables et irresponsables tentent de faire une épreuve de force, peut devenir le départ d’un nouveau chapitre sanglant de l’ignominie de l’histoire européenne.

    Si toute tentative tendant à jeter deux peuples l’un contre l’autre est, comme l’a dit le Congrès socialiste international de Bâle, un attentat contre l’Humanité et la Raison, une guerre entre la Russie et l’Autriche – guerre qui serait une sauvage mêlée des nations et des races – serait une véritable incarnation de la folie. »

    Le dirigeant de la social-démocratie autrichienne Victor Adler salua chaleureusement le message russe, mais lui-même se fit un partisan de l’Union sacrée en 1914, tout comme l’autre signataire, Ferdinand Skaret, membre de l’Exécutif de la seconde Internationale.

    Le dirigeant hongrois Buchinger Manó fut plus digne, bien qu’il adopta une position centriste ; après 1945 il soutint la démocratie populaire hongroise.

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  • La première guerre mondiale et sa signification dans l’histoire de la seconde Internationale

    L’acceptation de la première guerre mondiale ne fut pas simplement une erreur de la part de la seconde Internationale : ce fut une faute, car elle décida d’y participer en soutenant la mobilisation et les gouvernements. Tous les discours sur la paix, la fraternité des peuples, le rejet des réactionnaires… passa à la trappe littéralement du jour au lendemain.

    Il suffit de regarder la position d’Édouard Vaillant. Il a participé à la Commune de Paris et dût s’exiler à Londres jusqu’en 1880. C’est une des principales figures du socialisme français de 1880 à 1914, aux côtés de Jean Jaurès et de Jules Guesde.

    Édouard Vaillant devant le Mur des Fédérés au cimetière du Père-Lachaise à Paris en 1908

    Au congrès de Bâle, en novembre 1912, il insista sur la volonté des socialistes français de s’opposer à la guerre, considérant que le Manifeste de Bâle n’allait pas assez loin, que les socialistes français étaient quant à eux prêts au conflit total :

    « Dans la commission qui a élaboré le manifeste, tous les membres ont déclaré qu’ils le voulaient animé du même esprit qui animait les résolutions du Congrès national français.

    Il était dans cette résolution des termes auxquels beaucoup d’entre nous tenaient le plus, qui ne pourraient sans danger ou inconvénient pour quelques sections être admis dans le manifeste.

    Mais na été exclues ni la pensée, ni la volonté de la Grève Générale et de l’insurrection comme recours suprême contre la guerre.

    La grève insurrectionnelle en Russie a été, en 1905, l’arme par excellence de la Révolution. Elle recommence aujourd’hui et c’est par elle déjà que sont tenues en échec les intrigues et les entreprises belliqueuses du tsarisme.

    Mais le langage de l’Internationale ne peut être celui d’une section nationale. L’Internationale fait appel à l’action contre la guerre de toutes les sections nationales et elle fait confiance à chacune d’elles dans la certitude que chacune fera tout son devoir et agira dans toute la mesure des possibilités et de ses forces et de toute son énergie pour rendre la guerre impossible.

    La section française saura ne démériter ni de son histoire ni de son esprit révolutionnaire. »

    En 1914, Édouard Vaillant se rallia pourtant à l’Union sacrée. Il n’y vit pas d’incohérence, ni d’ailleurs la quasi-totalité de la seconde Internationale.

    On ne peut pourtant pas dire que les socialistes français et les sociaux-démocrates allemands n’étaient pas prévenus. Alors qu’au début de l’année 1913 les tensions franco-allemandes s’accompagnaient de préparatifs militaires, un Manifeste germano-français contre l’accroissement des armements avait été produit en commun le premier mars 1913.

    On y lit notamment la chose suivante :

    « Au moment où, en Allemagne et en France, les gouvernements se préparent à déposer de nouveaux projets de loi qui vont encore accroître les charges militaires déjà formidables, les socialistes français et les socialistes allemands estiment que c’est leur devoir de s’unir plus étroitement que jamais pour mener ensemble la bataille contre ces agissements insensés des classes dirigeantes.

    Les socialistes français et les socialistes allemands protestent, unanimement et d’une même voix, contre les armements incessants qui épuisent les peuples, les contraignent à négliger les plus précieuses œuvres de civilisation, aggravent les défiances réciproques, et au lieu d’assurer la paix, suscitent des conflits qui conduisent à une catastrophe universelle et qui aboutissent à la misère et à la destruction des masses.

    Les socialistes des deux pays ont le droit de se regarder comme les interprètes tout à la fois du peuple allemand et du peuple français, quand ils affirment que la masse des deux peuples, à une majorité écrasante, veut la paix, et qu’elle a horreur de la guerre (…).

    Les socialistes d’Allemagne et de France ont déjà, par leur conduite dans le passé, démasqué le double jeu, le jeu perfide des chauvins et des fournisseurs militaires des deux pays, qui évoquent aux yeux du peuple, en France, une prétendue complaisance des socialistes allemands pour le militarisme, et en Allemagne une prétendue complaisance des socialistes français pour le même militarisme.

    La lutte commune contre le chauvinisme, d’un côté et de l’autre de la frontière, l’effort commun pour une union pacifique et amicale des deux nations civilisées doivent mettre fin à cette artificieuse duperie.

    C’est le même cri contre la guerre, c’est la même condamnation de la paix armée qui retentissent à la fois dans les deux pays.

    C’est sous le même drapeau de l’Internationale – de l’Internationale qui repose sur la liberté et l’indépendance assurées à chaque nation – que les socialistes français et les socialistes allemands poursuivent avec une vigueur croissante leur lutte contre le militarisme insatiable, contre la guerre dévastatrice, pour l’entente réciproque, pour la paix durable entre les peuples. »

    Un an après, il ne sera plus parlé de « catastrophe universelle », de « destruction de masse » et de paix entre les peuples. Il sera parlé de défense de la France, phare de la civilisation, tous les maux étant attribués au « militarisme prussien ».

    On doit à ce titre noter qu’il est inexact de considérer que les socialistes s’imaginaient que la guerre serait brève. Toutes les déclarations anti-guerre de la seconde Internationale soulignaient bien la dimension de masse de la guerre, l’ampleur terrifiante des destructions, l’immense crime que cela représenterait.

    C’est dire l’ampleur de la faillite en 1914.

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  • Déclaration du Centre MLM de Belgique et du PCF(mlm) pour le 200e anniversaire de la naissance de Friedrich Engels

    Nous voulons ici saluer la figure de Friedrich Engels, à l’occasion du 200e anniversaire de sa naissance le 28 novembre 1820 !

    Nous le faisons d’autant plus volontiers que Friedrich Engels a été d’une abnégation complète et d’une grande humilité. Il avait compris que Karl Marx était parvenu à forger une vision du monde scientifique et il s’est mis pour cette raison entièrement à son service.

    Friedrich Engels est par conséquent une figure dans l’ombre de l’immense Karl Marx, notre maître, mais une figure exemplaire. Il mérite d’être mis en lumière, d’autant plus qu’en raison du développement inégal, un rôle d’importance lui a été attribué.

    Karl Marx s’est en effet précipité dans ses études matérialistes historiques, dont le célèbre Capital. Pour cette raison, il a mis de côté les études portant sur le développement des sciences naturelles et c’est Friedrich Engels qui s’en est chargé, en étant bien entendu supervisé. C’est dans ce cadre que Friedrich Engels a écrit sur la dialectique de la nature.

    Nous affirmons par conséquent que les figures de Karl Marx et Friedrich Engels sont inséparables. C’est un point sur lequel nous ne saurions insister assez en ce bicentenaire de la naissance de Friedrich Engels.

    Lorsque Friedrich Engels écrit sur la dialectique de la nature, il le fait en liaison avec Karl Marx, au service de Karl Marx. La relecture d’un Karl Marx simplement « matérialiste historique » relève de la fiction, de la trahison de ce qu’a été le tandem Karl Marx-Friedrich Engels.

    Une telle relecture est d’ailleurs courante précisément parce qu’elle sert la bourgeoisie. La littérature bourgeoise pullule d’affirmations selon lesquelles Friedrich Engels aurait modifié la démarche de Karl Marx, comme quoi il en aurait fait un dogme.

    Friedrich Engels serait à l’origine d’une lecture « totalitaire » en affirmant l’universalité de la dialectique. L’objectif est de briser le marxisme de l’intérieur en opposant Karl Marx à Friedrich Engels et inversement. Les classiques du marxisme – Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong – ont quant à eux toujours souligné que Karl Marx et Friedrich Engels forment un tout parfaitement cohérent.

    Honorer Friedrich Engels, c’est donc souligner qu’il est indissociable de Karl Marx et en même temps affirmer la dialectique de la nature comme vision du monde communiste.

    Ne pas le faire, c’est avoir la même position que la social-démocratie de la fin du XIXe siècle et nous pouvons voir qu’une telle position est courante pour ne pas dire systématique à travers le monde dans les mouvements se réclamant du marxisme. C’est très lourd de sens selon nous, cela montre la force de l’idéologie bourgeoise.

    Friedrich Engels a joué un rôle très important dans ses contributions à Karl Marx et au marxisme, en généralisant les précisions sur le matérialisme dialectique, notamment avec ses nombreux feuillets sur la « dialectique de la nature », que les archivistes sociaux-démocrates avaient cependant mis de côté. Friedrich Engels fut lui-même un acteur de la fondation de la seconde Internationale (1889-1914), qui rassembla les organisations politiques du mouvement ouvrier.

    La dialectique de la nature était toutefois considérée comme une question au mieux secondaire, alors que de toutes façons de nombreux Partis récusaient le marxisme, comme le Parti Ouvrier Belge et le Parti Socialiste Section Française de l’Internationale Ouvrière.

    Heureusement, ces écrits sur la dialectique de la nature furent publiés en URSS dans les années 1920. Cela souligne le rôle très important de Lénine et de l’URSS de Staline pour remettre les choses à leur juste place. Ne pas valoriser cette étape, c’est pratiquer le révisionnisme ! C’est nier la substance du marxisme !

    Et c’est là le cœur de la question. Ceux qui ont réussi à transformer le monde l’ont fait précisément en s’appuyant sur la dialectique de la nature.

    Lénine insista particulièrement sur la nécessité d’avoir le matérialisme dialectique comme vision du monde ; son écrit intitulé Matérialisme et empirio-criticisme est un manifeste en ce sens. Ce fut la base de l’idéologie du Parti bolchévik.

    Staline systématisa de manière très pédagogique cette vision du monde et il fit en sorte qu’à tous les niveaux, le matérialisme dialectique soit le fondement des recherches scientifiques dans tous les domaines en URSS. Le révisionnisme de Khrouchtchev a consisté en la négation du matérialisme dialectique, à tous les niveaux.

    La Chine populaire, avec Mao Zedong, a maintenu debout le drapeau du matérialisme dialectique, plus particulièrement à partir de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, qui a amené de grandes avancées dans sa compréhension.

    Il en fut de même pour le Parti Communiste du Pérou dirigé par Gonzalo, dont voici les principes basiques exposés dans le programme de 1988, le premier principe portant précisément et évidemment sur le matérialisme dialectique :

    « La contradiction, seule loi fondamentale de la transformation incessante de la matière éternelle ;

    Les masses font l’histoire et « on a raison de se révolter » ;

    Lutte de classe, dictature du prolétariat et internationalisme prolétarien ;

    La nécessité pour le Parti communiste marxiste-léniniste-maoïste d’appliquer fermement l’indépendance, les propres décisions et l’autosuffisance ;

    Combattre l’impérialisme, le révisionnisme et la réaction de manière indélébile et implacable ;

    Conquérir et défendre le pouvoir avec la guerre populaire ;

    La militarisation du Parti et la construction concentrique des trois instruments de la révolution ;

    La lutte de deux lignes comme force motrice du développement du parti ;

    La transformation idéologique constante et toujours mettre la politique au poste de commande ;

    Servir le peuple et la révolution prolétarienne mondiale ; et

    Désintérêt absolu et un style de travail juste et correct. »

    Tout cela est juste. Le matérialisme dialectique est la vision du monde des communistes : en réfuter les fondements, c’est récuser le communisme, c’est nier que la matière va au communisme comme l’a toujours souligné le Parti Communiste du Pérou.

    Nous pensons qu’il est opportun ici de donner l’exemple d’une réfutation tout à fait typique dans son anticommunisme et pour cette raison mentionnant naturellement Friedrich Engels. Le groupe français d’ultra-gauche « Parti Communiste Maoïste » dénonçait le PCF(mlm) en 2012 en ces termes justement:

    « Le p « c » « mlm » prétend détenir la vérité dans tous les domaines, être le parti de la science.

    Il avance la thèse de l’inéluctable marche vers le communisme de l’Univers et d’autres déclarations délirantes du même acabit.

    Il confond souvent les hypothèses et les lois avérées qui sont d’ailleurs relatives aux connaissances acquises, complétées, modifiées ou rendues obsolètes par de nouvelles découvertes.

    Il se prend pour le nouvel Engels et le théoricien d’une «nouvelle» «Dialectique de la Nature». Il est vrai que le p « c » « mlm » est plus mégalomane que modeste.

    Qu’il s’en tienne à la vulgarisation de thèses scientifiques ou indique les
    meilleures vulgarisations mais un peu de modestie et de prudence en matière de science ou de jugement culturel. »

    On a ici des critiques que connaissaient déjà le marxisme et Friedrich Engels : le matérialisme dialectique serait une mystique, il ne faut pas aborder les questions scientifiques d’un point de vue communiste, le Parti ne doit pas avoir un avis dans tous les domaines il faut en rester à un relativisme prudent, etc.

    Ce sont précisément ces réfutations empirio-criticistes, empiristes– critiques, simplement fondées sur l’expérience immédiate et une sorte de critique subjectiviste, que dénonçait Lénine ! Ce sont précisément ces conceptions qui ont été écrasées en URSS avec Staline, le matérialisme dialectique étant considéré comme le seul moyen d’analyser la réalité. Ce sont précisément ces conceptions qui ont été combattues durant la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne !

    Qui est communiste transforme la réalité et qui transforme la réalité saisit que le mouvement est dialectique tout le temps et partout. C’est parce qu’ils étaient des révolutionnaires concrets que Karl Marx et Friedrich Engels ont pu porter l’idéologie communiste.

    Qui reconnaît véritablement la dignité du réel saisit l’universel dans le particulier et comprend la nature dialectique de la matière éternelle.

    Pour les révisionnistes, le matérialisme dialectique est une fantasmagorie, une aventure intellectuelle, une chose à combattre, car à l’arrière-plan la bourgeoisie est à l’œuvre et pour elle la reconnaissance de l’universalité de la dialectique est à la fois incompréhensible et criminelle.

    La dialectique, comme la lutte armée, représente pour la bourgeoisie sa négation.

    Voilà pourquoi il y a une pression gigantesque contre tout ce qui s’y rattache, tout ce qui la porte. Honorer Friedrich Engels en son bicentenaire a ainsi une portée révolutionnaire, car c’est honorer celui qui a joué un rôle notable dans la mise en place du dispositif idéologique communiste, qui a contribué à mettre en place le matérialisme dialectique.

    Honorer Friedrich Engels, c’est le considérer comme un classique, aux côtés de son frère d’armes Karl Marx, de Lénine et de Staline, de Mao Zedong.

    Honorer Friedrich Engels, c’est arborer, défendre et appliquer le matérialisme dialectique !

    Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste de Belgique
    Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)

    Novembre 2020

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  • Le chemin au PCF(mlm)

    [Article du prochain numéro de Bolchevik.]

    Le chemin menant au PCF(mlm) consiste en une série de sauts qualitatifs nécessaires historiquement. Il s’ouvre au début des années 1990.

    Action Directe a été une organisation de lutte armée issue du mouvement autonome de la fin des années 1970 et des milieux anarchistes. Elle se fait écraser dans la seconde partie des années 1980. Au début des années 1990, il y a dans la mouvance d’Action Directe deux courants, l’un de type « guévariste » et publiant la revue Guérilla, l’autre exigeant des analyses politiques en développement et qui publiera la revue trimestrielle Front Social dans la seconde partie des années 1990.

    La revue Front Social

    De par leur orientation, les gens de la revue Front Social se lièrent de manière approfondie (ou très approfondie) à l’extrême-gauche turque, principalement les milieux du TKP(ML) et du DHKC. Concrètement, on peut considérer la revue Front Social comme relevant des milieux de l’extrême-gauche turque durant tout son parcours.

    Il y avait également eu des discussions approfondies avec les quelques sympathisants en France de la revue maoïste internationale Un monde à gagner (notamment du Bangladesh) et avec le Mouvement Populaire Pérou, émanation du Parti Communiste du Pérou pour le travail à l’étranger.

    Mais le milieu principal où agissaient les gens de la revue Front Social était celui de l’extrême-gauche turque. C’était alors vu par eux comme inévitable. La position était de considérer que seuls les milieux alternatifs pouvaient tenir le choc face au 24 heures sur 24 du capitalisme, mais que malheureusement il n’existait pas en France de scène comme en Allemagne avec les autonomes, qui disposaient de bases comme les squats, les centres sociaux, des organisations « souterraines » échappant aux surveillances étatiques.

    Les milieux de l’extrême-gauche turque formait donc un véritable refuge, puisque de toutes façons il était estimé qu’il fallait se tourner politiquement vers les expériences les plus avancées relevant forcément d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. C’était une application de la ligne « anti-impérialiste » et ce n’est pas un secret que la RAF allemande était ici la référence.

    La contradiction dans la revue Front Social

    La tension existante dans la revue Front Social était la suivante : d’un côté, il y avait l’étude, la valorisation et les contacts avec les milieux alternatifs, en ayant conscience de leurs limites, mais considérant que c’était un espace possible pour l’expression d’un véritable antagonisme dans un pays capitaliste aseptisé. De l’autre, il y avait l’appui à des expériences politiques très avancées, très structurées, comme celles de Turquie et du Pérou.

    Il fallait faire un choix :

    – soit proposer une ligne activiste dans les milieux alternatifs et militants, en profitant des acquis effectués… en considérant que le niveau atteint était tel qu’il y avait les moyens de concrétiser quelque chose ayant une petite ampleur ;

    – soit considérer qu’il fallait prolonger le tir, parvenir à une synthèse idéologico-politique, en se mettant encore plus à l’écart de ce qui se passe comme activisme ou pseudo-activisme dans la métropole impérialiste.

    Il va de soi que les perspectives étaient opposées et que la tension entre les deux positions ne pouvaient qu’aller en grandissant. Il en résultait surtout qu’attendre, c’était placer la revue Front Social dans une situation très délicate face à la répression, de par les perspectives proposées. Le rapport des Renseignements Généraux ayant « fuité » en 2000 fut considéré comme le bon moment pour cesser Front Social et cela provoqua la séparation des tenants des deux positions.

    DES ELECTRONS LIBRES

    o Nostalgiques de l’ex-Action Directe

    – Les Noyaux Autonomes pour le Communisme

    Apparu en début d’année 1995 sous la dénomination initiale de Noyaux Anti-Capitalistes, le mouvement Noyaux Autonomes pour le Communisme s’est organisé autour de la publication « Front Social ».

    Revue trimestrielle lancée à l’automne 1995, et ferraillant sur le créneau de la « Triple oppression » -racisme, sexisme et capitalisme comme fondements et piliers des sociétés contemporaines-, elle prône la réappropriation sociale, un front anti-impérialiste et antifasciste, les luttes sociales d’offensive anticapitaliste, la création de « cercles actions » ; « l’autonomie de classe » .…

    Aspirant, entre autres, au communisme, à la révolution, au « Marxisme-Léninisme – Maoïsme », les N.A.C., bien que donnant dans l’intellectualisme, revendiquent en privé l’héritage de l’ex-Action Directe.

    La structure reprend d’ailleurs l’emblème de l’étoile à cinq branches en ajoutant, en son centre, un poing fermé. Bien qu’elle prétende travailler « à la construction d’un rassemblement des révolutionnaires, sur une base d’avant-garde et selon les principes marxistes-léninistes-maoïstes », l’organisation compte au mieux une vingtaine de membres.

    Vulgarisant nombre de textes célébrant « les antifascistes kurdes en France », les Cellules Communistes Combattantes (C.C.C.) de Belgique, l’I.N.L.A. en Irlande, les G.R.A.P.O. d’Espagne, la R.A.F., les Brigades Rouges, l’ex-Action Directe…, les N.A.C. sont en relation avec des éléments peu ou prou impliqués au sein des organisations terroristes concernées.

    C’est ainsi que le leader des N.A.C., *** a effectué, en Italie, divers séjours le mettant en rapport avec « l’Autonomie Ouvrière » et a, en janvier 1998, contribué à animer en Allemagne des rencontres avec des proches de la R.A.F. et des Brigades Rouges tandis qu’il correspond par ailleurs avec les leaders emprisonnés de l’ex-Action Directe.

    De son côté, ***, révolutionnaire de longue date, dispose de relations anciennes avec les sympathisants de la R.A.F. et des proches de l’ex-Action Directe tandis que ***, désormais en retrait, aurait des accointances en direction de l’I.N.L.A..

    D’une manière générale, la structure semble entretenir des contacts plus particuliers avec d’anciens brigadistes ayant appartenu à la « Cellule pour la Constitution du Parti Communiste Combattant » (C.C.-P.C.C.). A noter toutefois que, bien que les N.A.C. ne soient pas peu fiers de rappeler que la Fédération Anarchiste a interdit leur revue dans sa librairie, dès son numéro 1, en les suspectant de vouloir « reformer un bras armé de type R.A.F./A.D. », rien n’est venu pour l’heure étayer de tels soupçons. La menace reste virtuelle.

    – Le Collectif Communiste Résistance Offensive

    D’apparition récente, présentant une certaine porosité avec les N.A.C. dont il fait figure, tantôt de complément, tantôt de dissidence, ce groupuscule qui ne regrouperait guère qu’une dizaine de militants, est localisé dans les Hauts-de-Seine. L’un de ses principaux animateurs, ***, ancien numéro 2 des N.A.C. a, par ailleurs, été responsable du Bureau d’Information des Amis du Front Révolutionnaire de Libération du Peuple Kurde (B.I.A.-D.H.K.C.) jusqu’à son auto-dissolution.

    – Collectif pour un Secours Rouge

    Constitué au cours de l’été 1999 « pour faire connaître l’existence de prisonniers politiques en France, les causes et les conséquences de leur incarcération et créer un mouvement de solidarité en vue de faire respecter leurs droits et exiger leur libération », le Collectif pour un Secours Rouge a vocation à sensibiliser l’opinion à la situation des militants incarcérés de l’ultra gauche européenne.

    La structure est domiciliée au siège d’une association évoluant en périphérie du Collectif Communiste Résistance Offensive, à savoir ***.

    Pour le PCMLM

    La dissolution de Front Social en 2000 s’accompagna d’une séparation déjà inévitable entre ce qu’on peut appeler les « mouvementistes » et les « idéologiques ». Les premiers, qui contribuèrent notamment à Résistance Offensive, n’aboutirent à rien, alors que les seconds purent établir la ligne « pour le Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste ».

    Ils agirent dans toute la première partie des années 2000, en relevant de tout le milieu maoïste lié au Mouvement Populaire Pérou. Ce processus d’affirmation « idéologique » fut alors marqué par trois positions déterminantes :

    – la valorisation de la révolte des banlieues françaises de 2005 – une position totalement isolée alors – comme expression d’un antagonisme refaisant enfin surface dans la société française ;

    – la considération que le « non » au référendum sur la constitution européenne, la même année, marquait l’ouverture d’un conflit au sein de la bourgeoisie entre la fraction nationaliste agressive et la fraction moderniste ;

    – la réfutation du développement du révisionnisme dans la guerre populaire au Népal – une position isolée alors en apparence dans le mouvement maoïste international, mais reflétant en fait la position du Mouvement Populaire Pérou et qui fut embrayée par de nombreuses organisations (PC populaire d’Argentine, URC MLM du Chili, UOC(MLM) de Colombie, etc.).

    On peut considérer qu’en 2006, tout en étant restreint numériquement, le travail pour le PCMLM a établi une base idéologique, une approche, réaffirmant le maoïsme en France.

    La contradiction dans le PCMLM

    De la même manière que dans la revue Front Social, il y eut une opposition entre « mouvementistes » et « idéologiques » et le PCMLM fut travaillé dans les années 2000 par une grande tension entre deux tendances. Cela se cristallisa à travers l’affirmation, dans la seconde partie des années 2000, de la nécessité de groupes se définissant comme « Action antifasciste ».

    Il est significatif que la mouvance anarchiste ait pu récupérer cette dénomination par la suite, ce qui est une aberration à tous les niveaux. C’est une conséquence de l’activité des « mouvementistes », qui remplacèrent l’unité antifasciste par la fusion de tous les points de vue contestataires dans un grand pack « antifasciste ». Les « mouvementistes » firent imploser en 2010 les différents groupes de l’Action antifasciste, proposant leur propre version qui fut éphémère et laissa l’espace vacant aux anarchistes.

    Cela donna également naissance à une sorte de mouvance maoïste éclectique de style anarchiste, relevant des milieux d’ultra-gauche et puisant largement dans leur style et leurs conceptions, totalement coupée de la culture autonome et des expériences de la lutte armée. Cette mouvance subsista et se développa durant tous les années 2000 en racolant de manière systématique sur les réseaux sociaux. Leur méthode était de proposer un « maoïsme » en mode prêt à porter à bas prix, sur une base totalement spontanéiste et anti-idéologique, à la fois pro-CGT et de style anarchiste, aux pratiques oscillant entre charité chrétienne, syndicalisme traditionnel et agitation bruyante anarchiste.

    En apparence, les « idéologiques » avaient été isolés, mais en réalité ils connaissaient un saut qualitatif extrêmement marquant. La quantité des « mouvementistes » était le pendant opportuniste du déploiement de la qualité des « idéologiques », dont l’isolement apparent provenait du développement inégal.

    C’est que les « idéologiques » étaient incroyablement en avance concernant les questions écologique et animale. Si cela était totalement décalé au milieu des années 2000, c’était tout à fait en phase avec son époque ; la saisie des concepts de Biosphère, de véganisme, de mouvement unifié de la matière à travers pourtant différents niveaux… amenait et provenait d’une maîtrise approfondie du matérialisme dialectique.

    Cela débloqua toute une mise en perspective de l’évolution historique et permit la production d’analyses matérialistes historiques en série, notamment concernant l’histoire de France. Pour ne mentionner que différents aspects, on a la compréhension de la signification du calvinisme et de son écrasement, celle de la pose des bases de la nation française au XVIe et XVIIe siècles, la lecture de la monarchie absolue de Louis XIV comme stade suprême de la féodalité, la saisie de la forme romantique fasciste française du début du XXe siècle, l’analyse du retour de De Gaulle en 1958 comme coup d’État, etc.

    C’est de là que vint la modification du nom, de PCMLM à PCF(mlm), pour souligner que le cadre national avait bien été saisi, que tout cosmopolitisme avait été réfuté.

    Une précision sur la nature des « idéologiques »

    Le capitalisme produit une intense contradiction entre le travail manuel et le travail intellectuel. Il arrive ainsi régulièrement que, voyant la capacité intellectuelle des « idéologiques », il en soit déduit qu’il n’y ait pas de pratique. C’est là une conception bourgeoise : personne peut produire quelque chose de valeur intellectuellement s’il n’est pas dialectiquement lié à la pratique. C’est d’ailleurs vrai inversement : une absence d’approche intellectuelle amène une pratique sans intérêt.

    Le profil des gens agissant dans le cadre du PCMLM/PCF(mlm) a d’ailleurs historiquement grosso modo toujours été assez proche. Il s’agit de gens ayant été des activistes de manière quasi permanente dans leur jeunesse, très à l’aise dans certains milieux contestataires et hautement socialisés en leur sein, mais comprenant qu’il fallait du recul et une mise en perspective.

    Les « idéologiques » s’appuient concrètement sur une vraie activité les ayant justement menés au Parti, pour trouver une base à leur action. Personne n’a envie de lutter et de s’apercevoir que ce qu’il fait ne mène à rien, ne sert à rien. Qui lutte veut ancrer son travail, lui donner une signification. Il se tourne alors vers ce qui a de la profondeur, une profondeur qu’il a lui-même compris de par sa pratique.

    Il faut souligner ici qu’il y a eu d’ailleurs énormément d’hypocrites, de gens restant à la marge du PCMLM/PCF(mlm), puisant largement chez lui pour trafiquer dans leur coin au moyen de versions édulcorées, délavées, rendues acceptables pour le folklore d’ultra-gauche, etc. C’était une version «mouvementiste » en dehors de l’organisation, avec laquelle convergeaient les « mouvementistes » au sein de l’organisation.

    Ce trafic a pu avoir parfois un véritable succès, provoquant d’indéniables torts au développement de l’organisation, mais n’a jamais relevé en même temps que d’une époque arriérée et corrompue. De tels sous-produits d’un développement authentique sont inévitables en général, et en particulier dans un capitalisme permettant à des couches petites-bourgeoises de massivement exister, et donc de chercher à parasiter, dévier, dénoncer, calomnier, etc.

    De fait, les « mouvementistes » n’ont jamais pu vivre que dans l’ombre des « idéologiques », cherchant autant que possible à arracher des morceaux de lumière pour tromper, trafiquer, tenter de subsister en se donnant une image révolutionnaire. Cela peut sembler frustrant, mais cela n’est qu’un incident propre à une époque qui n’est pas encore la bonne. Quand les dés de l’Histoire sont tombés, tout est alors bien différent. Et c’est là que le chemin menant au PCF(mlm) permet l’incarnation de la révolution.

  • Le matérialisme dialectique et l’univers en oignon comme contradiction du développement inégal et de la différence

    Longue vie à l’auteur de la constitution de la société socialiste, le chef du peuple soviétique, le grand Staline !

    Tout contraste est une différence, toute différence une contradiction. Si les choses ne se développent pas simultanément, alors il y a déjà différence.

    C’est également vrai si les choses existent déjà de manière différente : des choses différentes se développant de manière différente vont de pair avec l’existence de contradictions entre ces choses, de par leur différence.

    Une erreur commise de par le passé fut la suivante :

    – puisqu’il y a différence, il y a indépendance de la contradiction d’une chose, car elle est différente ;

    – s’il y a indépendance de la contradiction, alors son développement lui est propre ;

    – si le développement lui est propre, alors il est particulier ;

    – s’il est particulier, alors il y a négation de la négation au sein de ce particulier ;

    – s’il y a négation de la négation au sein de ce particulier, alors on peut forcer l’existence de cette négation de la négation puisqu’elle est elle-même particulière.

    C’est l’erreur commise en URSS au début des années 1950 et qui a permis aux révisionnistes de prendre le dessus. Une erreur connue est celle de Trofim Lyssenko qui considérait qu’il pouvait modifier le développement de l’agriculture en « forçant » des changements de réaction des végétaux, par exemple en plantant plusieurs graines dans un même trou.

    C’était une lecture idéaliste en terme de choses isolées, sur la base de la « négation de la négation » appliquée à une chose en particulier ; le pendant exact de cette démarche est la lecture du tout génétique qui, pareillement, prend les choses isolément en les fixant unilatéralement sur la base de l’ADN. Dans l’agriculture et pour le vivant en général, ce sont notamment les Organismes Génétiquement Modifiés.

    On a ici une incompréhension du rapport du particulier au général, une réduction du processus de mouvement à une chose isolée, sur la base d’une « négation de la négation ».

    Un autre exemple connu est la campagne contre les « quatre nuisibles » en Chine populaire, visant les rats, les mouches, les moustiques et les moineaux friquets. Cette campagne commencée en 1958 fut cessée en 1960, car il était clair que les déséquilibres écologiques provoqués par la campagne amenaient dans le mur.

    On comprend pourquoi la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne produisit d’intenses recherches sur la cosmologie, sur les liens entre les différentes couches de l’univers, alors que Mao Zedong rejeta le concept de négation de négation.

    Mao Zedong salue ainsi les efforts du physicien japonais Shoichi Sakata, qui chercha à formuler les liens entre les différentes « couches » de matière, ce qu’on peut résumer par l’image d’un univers en oignon. Shoichi Sakata nous dit dans Physiques théoriques et dialectique de la nature, en juin 1947 :

    « La science actuelle a trouvé que, dans la nature, il existe deux « niveaux » qualitatifs différents : la forme du mouvement, par exemple une série de niveaux comme particules élémentaires-noyaux-atomes-molécules-masses-corps célestes-nébuleuses.

    Ces niveaux forment des points nodaux variés qui restreignent les différents modes qualitatifs de l’existence de la matière en général. Et ainsi ils ne sont simplement reliés de manière directe comme décrit ci-dessus. 

    Les « niveaux » sont également connectés dans une direction comme molécules-colloïdes-cellules-organes-individus-sociétés. Même dans les masses semblables, il existe des « niveaux » d’états correspondant aux solides-liquides-gaz.

    Dit de manière métaphorique, ces circonstances peuvent être décrites comme ayant une sorte de structure multi-dimensionnelle du type d’un filet de pêche ou, plutôt serait-il mieux de dire, qu’ils ont une structure du type des oignons, en phases successives.

    Ces niveaux ne sont en rien isolés mutuellement et indépendants, mais sont connectés mutuellement, dépendants et constamment « transformés » les uns en les autres.

    Un atome, par exemple, est construit à partir des particules élémentaires et une molécule est construite à partir d’atomes et, inversement, peut être fait la décomposition d’une molécule en atomes, d’un atome en particules élémentaires.

    Ces types de transformation arrivent constamment, avec la création d’une nouvelle qualité et la destruction des autres, dans des changements incessants. »

    Il y a ici, forcément, deux aspects.

    Le premier, c’est le développement inégal qui caractérise tout mouvement et implique des différences au sein de cet univers en oignon.

    Le second, c’est la différence, puisque chaque couche est différente, ce qui est déjà une contradiction. On a ainsi une contradiction dans le mouvement tout comme entre les couches du mouvement.

    La crise du Covid-19 est ainsi le produit d’une contradiction entre deux couches, l’humanité et la Biosphère ; pour donner un exemple de développement inégal du mouvement, on peut prendre l’émergence de la sexualité chez l’adolescent, qui apparaît comme une rupture/saut qualitatif dans le mouvement de développement de la personne.

    En dernier ressort, tout cela apparaît comme la contradiction du général et du particulier. Cette contradiction est universelle, elle exige de saisir les différences entre les couches de l’univers et apparaît comme contradiction du développement inégal et de la différence.

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  • Le matérialisme dialectique et la loi de la contradiction comme loi de la complémentarité oppositionnelle: la théorie des deux points

    Le sport en URSS – le sport de millions !

    Le matérialisme dialectique considère que chaque phénomène forme une unité des contraires, ceux-ci étant en lutte, en opposition. C’est la loi de la contradiction, loi universelle de la matière éternelle et inépuisable en marche vers le communisme.

    Le terme de contraire est dans ce cadre souvent assimilé à celui d’opposé. Dans ses notes philosophiques, Lénine dit ainsi :

    « Au sens strict, la dialectique est la recherche des contradictions dans l’essence des choses elles-mêmes. »

    « Le développement est la « lutte » des opposés. »

    Les termes de contraire et d’opposé sont aisément interchangeables et dans les faits il est facilement passé d’un terme à l’autre, avec à l’esprit qu’ils seraient équivalents.

    Dans la langue française, il existe d’ailleurs une grande ambiguïté dans la définition des deux termes ; on a tendance à définir quelque chose de contraire comme opposé, et quelque chose d’opposé comme un contraire, même s’il y a des nuances, selon le contexte.

    La base de ces nuances est la suivante. Opposer est un terme venant du latin, c’est poser vers, devant, c’est-à-dire poser en face, contre. Il y a une idée de face à face.

    La contradiction, c’est ce qui vient contre-dire ; le terme vient également du latin. Il y a une idée d’annulation.

    Les langues latines et le russe suivent pareillement ce schéma ; en allemand cela revient au même avec pour le terme contradiction widerspruch (wider signifiant à l’encontre, spruch le fait de dire) ; le terme gegensatz, opposition, signifie quant à lui au sens strict contre-phrase ou anti-phrase. Karl Marx et Friedrich Engels utilisent le terme de widerspruch, mais dans le sens de gegensatz ; la distinction n’est pas opérative.

    Le langage mathématique fait quant à lui une distinction nette en apparence, mais on peut voir que cela revient au même.

    L’opposé de 1 est -1, -2 pour 2, -3 pour 3, etc. L’opposé se pose contre, on retrouve l’idée de face à face : face à 1 il y a -1, face à 2 il y a -2, etc.

    La contradiction est dénommée « inverse ». L’inverse désigne un nombre permettant d’arriver à 1 si on le multiplie par lui : 0,2 est l’inverse de 5, car 5 x 0,2=1 ; 0,01 est l’inverse de 100 car 0,01 x 100=1, etc.

    Cet inverse contre-dit en fait un nombre, car il l’empêche de parvenir à 1, c’est-à-dire qu’il l’empêche de former une unité, d’être lui-même. L’inverse annule le nombre, il anéantit son identité, il le contre-dit. On retrouve ici l’idée de contre-affirmation à une affirmation.

    Cependant, si on raisonne en termes de tension, de conflit, on voit mal de prime abord une différence entre contraire et opposé, même dans le langage mathématique. On a en effet toujours deux aspects, qui se font face, l’un ne pouvant exister sans l’autre.

    Les termes de contraire et d’opposé sont ainsi en rapport étroit, voire interchangeables, car ils ont en commun de signifier la négation. Les nuances existantes ont trait avec les modalités de cette négation, mais leur substance est commune : leur rapport dialectique, à la fois lié (donc positif) et négatif.

    Ces nuances négatives se retrouvent inlassablement dans tout langage cherchant à décrire les processus matériels. On parlera ainsi d’un vent contraire pour dire que le vent intervient et s’oppose au mouvement initial, formant une annulation.

    Le terme opposé lui implique l’idée de résistance, d’un obstacle : on dira qu’on a fait face à une opposition. Il y a une forte idée de tension.

    On dira cependant indifféremment au contraire ou bien à l’opposé.

    Il est ici utile de se tourner vers la langue chinoise. Le terme de contradiction choisi initialement en chinois par Mao Zedong, Mao-dun, est composé de 矛, signifiant lance, et de 盾, signifiant bouclier. Il s’appuie sur une vieille histoire, racontée par Han Fei Zi (280 – 233 avant notre ère) :

    « Un quidam, désireux de vendre sa lance et son bouclier, vantait l’excellence de celui-ci en ces termes : « Sa résistance est telle que rien ne peut l’entamer. Ce bouclier est absolument impénétrable. »

    Passant à la lance, il poursuivait : « Sa pointe est si bien affilée qu’il n’est rien qu’elle ne puisse entamer. Elle est omni-pénétrante. »

    – Comment, objecta l’interlocuteur, votre lance peut-elle entamer votre bouclier ?

    L’homme ne sut que répondre. Il s’était contredit. Logiquement, un bouclier absolument impénétrable et une lance omni-pénétrable ne peuvent aller de pair. »

    On a ici une contradiction, quelque chose vient contre-dire autre chose, il y a annulation, même si l’idée de lance et de bouclier implique également une tension, donc une opposition.

    Il y a d’autres expressions chinoises qu’il faut noter, telles 一分為二, yifenweier, signifiant un devient deux, chaque chose a deux côtés, etc. ; 对立统, duili tongyi, signifiant l’unité des opposés ; 相反相承, xiangfan xiangcheng, signifiant s’opposer et se promouvoir mutuellement ; 两點論, liangdian lun, qu’on peut traduire par la théorie des deux points.

    Toutes ces expressions ont été utilisées en Chine populaire à l’époque de Mao Zedong, notamment au moment de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. Elles sont utiles pour montrer que le terme de contradiction ne permet pas de cerner, en soi, de manière adéquate la complémentarité et la tension ; inversement, la notion d’opposé ne permet pas de saisir l’unité des deux pôles, qui est bien plus apparente avec le terme de contradiction.

    Concrètement, contradiction et opposé forment deux aspects d’une même contradiction/opposition, les deux termes se rejoignant et se repoussant.

    Si l’on veut éviter un tel va-et-vient, l’expression « théorie des deux points » semble plus abstraite de prime abord, mais elle permet de poser le cadre opératif dialectique.

    L’expression a notamment été utilisé dans un article pour les cinquante ans du Parti Communiste de Chine, publié simultanément dans le Renmin Ribao (le Quotidien du peuple), le Hongqi (le Drapeau rouge, l’organe théorique), le Jiefangjun Bao (le Quotidien de l’Armée Populaire de Libération).

    Ce document de 1971 retrace l’histoire du Parti, avec les luttes de deux lignes, entre la ligne rouge et la ligne noire à chaque étape, depuis la guerre révolutionnaire jusqu’à la construction du socialisme et la lutte contre les forces de la restauration capitaliste, avec donc la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne lancée en 1966, tout en soulignant qu’il en faudrait plusieurs.

    La longue conclusion porte sur le fait de bien apprendre et mentionne l’importance de la théorie des deux points :

    « Nous devons suivre la théorie des deux points, pas la théorie d’un seul point.

    Tout en portant notre attention sur la tendance principale, nous devons prendre note de l’autre tendance qui est possiblement masquée.

    Nous devons prendre totalement en considération et fermement saisir l’aspect principal et en même temps résoudre un par un les problèmes soulevés par l’aspect non principal.

    Nous devons voir les aspects négatifs des choses tout comme leurs aspects positifs. Nous devons voir les problèmes qui se sont déjà soulevés et également anticiper les problèmes pas encore perçus, mais pouvant se soulever. »

    Hsueh Li précisa cela dans un article de 1972, La théorie des deux points, où il expliqua dès le départ que :

    « Qu’est-ce que la théorie des deux points ?

    C’est ce que nous appelons usuellement le matérialisme dialectique ; c’est la théorie marxiste-léniniste de la loi fondamentale de l’univers.

    Le président Mao nous a donné une explication compréhensible et pénétrante dans son De la contradiction. »

    Après avoir rappelé les fondamentaux du matérialisme dialectique, il conclut de la manière suivante :

    « Parvenir à porter la théorie des deux points et à dépasser la théorie d’un seul point n’est pas simplement une question de méthode, mais de vision du monde.

    La théorie des deux points appartient à la vision du monde prolétarienne et la théorie d’un seul point appartient à la vision du monde de la bourgeoisie et de toutes les classes exploiteuses.

    Sans exception, la pensée des gens vivant une société de classe est marquée par une marque de classe et est invariablement influencée par l’orientation politique de la classe à laquelle ils appartiennent.

    Même si des personnes ne relèvent pas des classes exploiteuses, elles sont immanquablement affectées par l’idéalisme et la métaphysique existant universellement dans la société de classe.

    C’est pourquoi chaque personne des rangs révolutionnaires doit faire en sorte que soit éliminé de son esprit tout point de vue idéaliste et métaphysique, et doit faire des efforts constants pour remodeler son monde subjectif tout en changeant le monde objectif.

    Ce n’est qu’ainsi que la théorie des deux points peut être soutenue et la théorie d’un seul point dépassée. »

    L’expression « théorie des deux points » permet de ne pas se focaliser sur l’idée d’annulation que peut impliquer abstraitement le terme de contradiction – et on notera que les révisionnistes chinois sont passés par là en disant que justement il fallait accepter l’existence de la contradiction, accepter les choses négatives, etc.

    L’expression « théorie des deux points » permet également de ne pas employer le terme d’opposition, qui perd de vue l’unité et risque d’amener à réfuter même l’unité des contraires, sur un mode gauchiste.

    L’expression « théorie des deux points » souligne qui plus est immédiatement l’existence de deux aspects, ce qui est important à une époque où la bourgeoisie cherche à nier la dialectique, comme en témoigne la réfutation nihiliste de l’existence de l’homme et de la femme.

    Elle permet de modifier son état d’esprit tout en transformant la réalité : ai-je bien suivi la théorie des deux points, ai-je bien vu les deux aspects, en m’appuyant sur la tendance principale pour voir dans quel sens aller ?

    L’expression permet ainsi de mettre l’accent sur la pratique : c’est un bon équivalent aux termes contradiction et opposition, qui sont eux-mêmes « deux points ».

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  • Le matérialisme dialectique et l’assimilation des concepts d’unité, d’identité, de coïncidence, d’équivalence des contraires

    Selon le matérialisme dialectique, chaque phénomène a deux aspects, qui forment une unité et qui, en même temps, sont en lutte. L’unité permet l’existence de phénomènes, cependant la lutte interne est la base de sa transformation (et donc de son existence). L’unité et la lutte forment elles-mêmes une contradiction.

    La question s’est posée de savoir dans quelle mesure les termes d’unité et d’identité (des contraires) étaient équivalents ou lequel il fallait privilégier. On s’est vite aperçu que, plutôt que réduire le principe à un seul concept, il était plus adéquat d’élargir le champ des termes qu’on pouvait employer.

    Lénine, dans ses remarques au sujet de la dialectique, souligne le caractère commun de ces deux termes d’unité et d’identité ; il déplace la question vers le rapport du général et du particulier. Il dit ainsi :

    « Les contraires (le particulier est le contraire du général) sont identiques : le particulier n’existe pas autrement que dans cette liaison qui conduit au général. Le général n’existe que dans le particulier, par le particulier.

    Tout particulier est (de façon ou d’autre) général. Tout général est (une parcelle ou un côté où une essence) du particulier. Tout général n’englobe qu’approximativement tous les objets particuliers. Tout particulier entre incomplètement dans le général, etc., etc. »

    Il assimile de ce fait le terme unité à d’autres termes : coïncidence, identité, équivalence ; voici ce qu’il expose :

    « L’unité (coïncidence, identité, équivalence) des contraires est conditionnelle, temporaire, transitoire, relative. La lutte entre contraires s’excluant mutuellement est absolue, comme sont absolus le développement et le mouvement. »

    Puisque le mouvement est absolu, l’unité est particulière et relative ; de ce fait le rapport entre les contraires de cette unité des contraires est lui-même particulier et relatif. Il échappe à toute absolutisation en un seul terme.

    Dans son immense classique De la contradiction, Mao Zedong présente la chose de la même manière, en élargissant les termes équivalents ou approximativement équivalents :

    « L’identité, l’unité, la coïncidence, l’interpénétration, l’imprégnation réciproque, l’interdépendance (ou bien le conditionnement mutuel), la liaison réciproque ou la coopération mutuelle – tous ces termes ont la même signification et se rapportent aux deux points suivants : premièrement, chacun des deux aspects d’une contradiction dans le processus de développement d’une chose ou d’un phénomène présuppose l’existence de l’autre aspect qui est son contraire, tous deux coexistant dans l’unité ; deuxièmement, chacun des deux aspects contradictoires tend à se transformer en son contraire dans des conditions déterminées.

    C’est ce qu’on appelle l’identité. »

    On ainsi un rapprochement ou une assimilation des termes suivants :

    – unité ;

    – identité ;

    – coïncidence ;

    – équivalence ;

    – interpénétration ;

    – imprégnation réciproque ;

    – interdépendance ;

    – conditionnement mutuel ;

    – liaison réciproque ;

    – coopération mutuelle.

    On a alors le paradoxe : le mouvement est absolu et pourtant on le définit de manière statique, alors que l’unité est relative (et statique) et pourtant on en a une définition mouvante, changeante, en mouvement, au moyen de différents termes pour essayer de la caractériser.

    Ce paradoxe est en réalité lui-même dialectique. L’unité est en effet statique mais le statique est en mouvement, de par l’identité des contraires ; de même le mouvement est identique au statique, et donc il n’est pas en mouvement.

    C’est que l’identité, l’unité, la coïncidence… des contraires est présente partout, pour tout phénomène ; cela fait qu’elle est présente :

    – dans le phénomène lui-même, dans le rapport entre l’unité et la lutte des contraires, unité et lutte formant elles-mêmes une contradiction ! ;

    – dans le rapport qu’on peut avoir au phénomène : la saisie d’un phénomène au moyen de l’intellect est elle-même dialectique et donc contradictoire.

    Ainsi, l’identité des contraires est valable pour la saisie de cette identité des contraires elle-même – la dialectique de la matière est dialectique et ne peut être saisie que dialectiquement.

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  • L’engagement et le poids croissant de la subjectivité dans les métropoles impérialistes

    Nous voulons ici rendre plus clair le rapport entre la notion de Parti et la question de l’engagement subjectif dans une métropole impérialiste. Nous ne raisonnons en effet pas du tout selon le principe de « l’adhésion », de la carte de membre, de la cotisation, etc.

    Cela ne veut pas dire que nous n’assimilons pas les gens qui viennent chez nous, qu’ils ne s’intègrent pas selon des principes, des règles, avec des droits et des devoirs, dans le cadre d’une démocratie centralisée.

    Ce que nous voulons dire ici, c’est qu’il y a un processus de reconnaissance naturelle entre notre organisation et les gens se reconnaissant en notre démarche. Nous fonctionnons en termes de longueur d’ondes, pour ainsi dire : il y a un principe d’unité qui tombe sous le sens entre les gens décidant de choisir de rompre avec les valeurs dominantes et d’aller dans le sens du communisme.

    Nous ne demandons pas de comprendre parfaitement tel ou tel point idéologique ; ce qui compte c’est d’être en mesure de le comprendre et pour cela il faut être porté par une certaine rébellion dans les métropoles impérialistes.

    Nous ne sommes pas une association, ni un syndicat ; nous ne sommes pas un regroupement programmatique de gens « raisonnables » s’étant tourné vers certains « principes ». Ce qui compte, c’est la dignité du réel, d’être porté par un mouvement historique résolument tourné vers le futur, en portant le principe de la transformation, de la collectivité.

    Le caractère erroné du regroupement fermé sur lui-même et ne visant qu’à recruter

    Il est une erreur connue qui a été faite dans les années 1960-1970 en France.

    Face au Parti « Communiste » Français passé dans le camp du capitalisme suite au triomphe des positions révisionnistes, il y a eu des tentatives de reconstruire le Parti. Cependant, ces tentatives ont été formelles. Des gens ont établi un programme, le plus souvent en reprenant ce qui avait été fait dans le passé, puis ont mis en place quelques points théoriques, afin de se distinguer de ce qui n’allait pas à leurs yeux.

    C’est une approche erronée, car elle n’est pas portée par la dignité du réel, mais par un esprit de « correction ». Le résultat bien connu est que ces gens ont cherché à recruter d’autres personnes autour de la base formée.

    Ensuite, les gens recrutés devaient faire ceci ou faire cela, selon les exigences de l’organisation qu’ils avaient rejointe, chaque organisation se distinguant par un certain style, un certain état d’esprit, une certaine culture. Dans les années 1970, un homme à Lutte Ouvrière ne pouvait pas porter de boucle d’oreille pour ne pas « choquer », alors qu’une femme à la Ligue Communiste Révolutionnaire devait avoir des mœurs « libres ».

    Dans tous les cas, les gens adhéraient à une organisation, car ils en appréciaient tel ou tel point, mais on ne prenait pas en compte leur personnalité, leur propre parcours. Ils étaient pris pour être façonnés dans un certain moule et obéir aux directives.

    Soit le moule leur plaisait suffisamment et ils restaient un certain temps, soit somme toute cela n’allait rapidement pas et ils partaient d’autant plus vite. Les organisations construites de telle manière connaissaient un intense va-et-vient.

    Pourquoi les gens ne restaient pas, de toutes façons ? Car on ne prenait pas en considération leur richesse intérieure, ce qu’ils avaient à dire, à apporter. Un exemple vraiment flagrant est la Gauche Prolétarienne. Il est bien connu qu’après sa dissolution au début des années 1970, de nombreux membres ont eu une carrière significative en tant qu’expert musical, journaliste, intellectuel, philosophe, dans la radio, etc.

    C’est là l’expression d’un opportunisme individuel, mais également d’une incapacité de la Gauche Prolétarienne à s’appuyer sur la richesse de ses membres. Forcés à être comme ci ou comme ça, les gens ressentent une certaine frustration et, à un moment, partent.

    Cela ne signifie nullement qu’il faille accepter tous les subjectivismes – mais cela veut dire que si on ne comprend pas la subjectivité des gens, on ne peut pas les intégrer correctement et avoir une véritable organisation révolutionnaire.

    Le recrutement comme fin en soi

    Il est bien connu que les Témoins de Jéhovah ou bien l’Église de la scientologie forment des « contre-mondes » séparés de la société et que le recrutement missionnaire est considéré comme vital pour alimenter un tel « contre-monde ».

    Cette approche a été similaire à beaucoup d’organisations des années 1960, provoquant en retour une vague d’anarchisme et de pseudo-spontanéisme, dont l’expression la plus célèbre est De la misère en milieu étudiant.

    Les anarchistes, spontanéistes proposaient une réponse totalement erronée à un vrai problème. En effet, des regroupements entièrement tournés vers eux-mêmes sont déconnectés de toute vie sociale et culturelle. Les mentalités deviennent bornées, la vie de l’esprit se tarit, la déconnexion avec la réalité devient toujours plus marquée.

    Les gens recrutés avaient comme mission d’en recruter d’autres, qui eux-mêmes devaient en recruter d’autres. La société n’était plus analysée, ni le pays ; l’organisation fonctionnait en cercle fermé, avec comme but de recruter pour elle-même, sans faire attention à rien d’autre.

    Le pragmatisme était général ; tous les moyens étaient considérés comme bons. Une technique classique était d’envoyer des gens dans une autre organisation et, au bout de quelques mois, de les faire annoncer qu’en réalité ils s’étaient trompés, que l’autre organisation était en fait la bonne.

    Les anarchistes, spontanéistes… ont affirmé que c’était inévitable au principe d’organisation et que, par conséquent, il fallait le supprimer. C’est là une réponse petite-bourgeoise à un travers petit-bourgeois.

    Ce n’est en effet pas la question de l’organisation qui est en jeu, mais celui de la rupture. Qui a rompu avec les valeurs dominantes cherche, forcément, à retrouver des gens comme lui. Le recrutement comme fin en soi est une caricature de ce processus.

    Aussi ne fallait-il pas dire que l’organisation est un principe mauvais en soi, mais : qui recrute-t-on ? Pourquoi ? Sur quelle base ?

    La seule base : la rupture subjective

    La question de l’engagement subjectif a été compris de manière progressive dans le mouvement communiste. Ce n’est pas apparent chez Lénine, aussi y a-t-il eu beaucoup d’erreurs dans l’interprétation de son activité.

    Il est bien connu qu’il y a chez beaucoup de gens une lecture machiavélique de Lénine. Ce dernier aurait formé un cercle qu’il aurait « militarisé » pour être plus opérationnel en terme militant, formant une sorte de mini-armée prête au coup de force.

    Cette lecture de la perspective de Lénine est totalement anti-léniniste. Elle fait de Lénine une sorte de calculateur pragmatique, prêt à tout du moment que cela marche et ce sur la base d’une organisation de petits soldats agissant au doigt et à l’œil selon les besoins pratiques.

    Beaucoup de gens dans les années 1920 ont vraiment cru, en Europe de l’Ouest, que c’était cela le « bolchevisme ». Ne connaissant pas le matérialisme dialectique, ils n’ont rien compris de la démarche idéologique de Lénine ; partant de là ils pouvaient encore moins comprendre Staline, qui a souligné avec le marxisme-léninisme la nécessité d’une démarche idéologique, la nécessité d’un engagement dans l’affrontement de classe.

    C’est tout le sens de la liquidation violente des contre-révolutionnaires dans les années 1930. L’agent du NKVD, le commissaire politique, le travailleur de choc, le stakhanoviste était la pointe de l’engagement subjectif pour la cause communiste.

    C’est également le sens de la diffusion de la pensée Mao Zedong en Chine populaire, où les communistes ont compris qu’il y avait un état d’esprit communiste propre à la situation d’un pays, que c’est cet état d’esprit, cette manière de voir et de sentir les choses qu’il fallait adopter et promouvoir. Le communisme, en Chine, était porté par Mao Zedong et la pensée Mao Zedong, c’est le marxisme-léninisme concrétisé en Chine.

    C’est pour cette raison qu’au Pérou, l’idéologie du Parti Communiste n’a pas été défini abstraitement, mais correctement délimitée comme « marxisme-léninisme-maoïsme pensée Gonzalo, principalement pensée Gonzalo ».

    Pourquoi cela ? Car il fallait quelqu’un pour concrétiser le matérialisme dialectique, pour porter la transformation.

    Gonzalo a saisi la réalité du Pérou de manière matérialiste dialectique, parce qu’il était un révolutionnaire authentique, qui a assumé l’antagonisme, qui a compris ce qui devait se transformer.

    De ce fait, tout révolutionnaire du Pérou considère nécessairement les choses comme lui, il retombe sur les mêmes vérités constatées par Gonzalo. Gonzalo a été le premier et il sert de repère.

    Comme qui plus est Gonzalo a été à la pointe du regard matérialiste dialectique au Pérou, qu’il a ouvert des espaces, de nouvelles compréhensions, qu’il s’est forgé comme un dirigeant, cela implique que sa pensée sert de guide, car elle balise le chemin à suivre pour les révolutionnaires au Pérou.

    Et lorsqu’il n’y a plus Gonzalo, ceux qui ont assumé sa direction prolonge son mouvement et approfondisse sa démarche, jusqu’à faire passer à une autre étape, exactement comme Staline a prolongé le mouvement de Lénine en URSS et comment Mao Zedong a approfondi la démarche de Lénine au point de vue universel, dans le contexte chinois.

    La pensée guide n’est ainsi pas un « ajout » au matérialisme dialectique, ni une « interprétation » : c’est au contraire le matérialisme dialectique lui-même, dans une situation concrète, de manière pratique, car c’est la seule manière dont le matérialisme dialectique peut exister, de manière transformatrice.

    D’où le mot d’ordre péruvien de « arborer, défendre et appliquer, principalement appliquer ». L’aspect principal est la l’application, la transformation, exactement comme la RAF se fondait sur le primat de la pratique.

    Et cela passe par des grands dirigeants, qui affirment la transformation, qui la portent dans leur existence même.

    Staline est ici un excellent exemple même d’une abnégation complète de son existence sachant assumer les différentes situations, depuis les braquages de banque jusqu’à la conduite de la construction du socialisme en URSS, puis la direction de la Grande guerre patriotique anti-nazie.

    Voilà pourquoi il est tellement la cible de la propagande contre-révolutionnaire ; voilà pourquoi les dirigeants révolutionnaires en général sont la cible de la contre-révolution cherchant à les nier, en dire du mal, les agresser, les exterminer, etc., afin d’écraser ce qu’ils véhiculent.

    Parti de cadres ou de militants ?

    À l’arrière-plan de la question subjective concernant la définition de qui est communiste, on trouve la question des cadres et des militants. Le cœur de l’erreur des regroupements visant au recrutement comme fin en soi est qu’ils veulent des militants obéissant à des cadres.

    Ce n’est pas là la vision correcte du rapport entre communistes. Il n’y a, au sens strict, pas de distinction entre cadres et militants dans une organisation communiste.

    Bien entendu, il y a des éléments plus avancés, plus éprouvés, ayant des fonctions techniques, opératives, dirigeantes. Cependant, dans leur nature, ils ne sont pas différents des autres.

    En effet, en pratique, tout le monde doit aller dans le sens d’être cadre. C’est un processus long, connaissant un développement inégal. Ce n’est pas un processus linéaire et une véritable organisation est capable de prendre les gens tels qu’ils sont et de les accompagner dans leur montée en puissance sur le long terme.

    Staline note, avec une justesse caractéristique de sa part, cette question du facteur individuel (on devrait en fait dire : personnel),en 1937 dans son discours « Pour une formation bolchévik ».

    « Enfin, encore une question. Je veux parler de l’attitude formaliste et sèchement bureaucratique de certains de nos communistes pour le sort de tels ou tels membres du Parti, pour les exclusions du Parti ou la réintégration des exclus dans leurs droits de membres du Parti.

    La vérité est que certains de nos dirigeants du Parti pèchent par un manque d’attention pour les hommes, pour les membres du Parti, pour les militants. Bien plus, ils ne cherchent pas à connaître les membres du Parti, ils ne savent pas ce qui fait leur vie, ni comment ils progressent ; d’une façon générale, ils ne connaissent pas les militants.

    C’est pourquoi, dans leur façon d’aborder les membres du Parti, les militants du Parti, ils ne tiennent pas compte du facteur individuel.

    Et, justement parce qu’ils ne tiennent pas compte du facteur individuel en jugeant les membres du Parti et les militants du Parti, ils agissent habituellement au hasard : ou bien ils les vantent en bloc et sans mesure (…).

    La plupart du temps, on exclut du Parti pour ce qu’on appelle la passivité. Qu’est-ce que la passivité ?

    On considère, paraît-il, que si un membre du Parti ne s’est pas assimilé le programme du Parti, il est passif et doit être exclu.

    Mais c’est faux, camarades. On ne peut pourtant pas interpréter de façon aussi pédantesque le statut de notre Parti. Pour s’assimiler le programme du Parti, il faut être un vrai marxiste, un marxiste éprouvé et possédant une formation théorique.

    Je ne sais s’il se trouvera beaucoup de membres dans notre Parti, qui se soient déjà assimilé notre programme, qui soient devenus de vrais marxistes éprouvés et possédant une formation théorique. Si l’on continuait à marcher dans cette voie, il ne nous faudrait laisser dans le Parti que les intellectuels, et, en général, les hommes savants. Qui a besoin d’un tel Parti ?

    Nous avons pour l’appartenance au Parti une formule léniniste vérifiée et qui a résisté à toutes les épreuves. Selon cette formule, est considéré comme membre du Parti celui qui reconnaît le programme du Parti, paie les cotisations et travaille dans une de ses organisations. Remarquez bien : la formule léniniste ne parle pas d’assimilation du programme, mais de reconnaissance du programme.

    Ce sont deux choses absolument différentes. Inutile de démontrer qu’ici c’est Lénine qui a raison, et non pas nos camarades du Parti, qui bavardent inutilement d’assimilation du programme.

    Et cela se conçoit.

    Si le Parti partait du point de vue que, seuls, les camarades qui se sont assimilés le programme et sont devenus des marxistes théoriquement formés peuvent être membres du Parti, il ne créerait pas dans son sein des milliers de cercles communistes, des centaines d’écoles du Parti, où l’on enseigne le marxisme aux membres du Parti et où on les aide à s’assimiler notre programme.

    Il est parfaitement clair que si le Parti organise ces écoles et ces cercles pour ses membres, c’est parce qu’il sait que les membres du Parti n’ont pas encore eu le temps de s’assimiler le programme du Parti, qu’ils n’ont pas encore eu le temps de devenir des marxistes ayant une formation théorique.

    Ainsi donc, pour redresser notre politique dans la question de l’appartenance au Parti et des exclusions, il faut en finir avec cette façon stupide d’interpréter la question de la passivité. Mais nous péchons encore sur un autre point, dans ce domaine.

    La vérité est que nos camarades ne reconnaissent pas de milieu entre les deux extrêmes. Il suffit qu’un ouvrier, membre du Parti, commette une faute légère, qu’il arrive en retard une ou deux fois à une réunion du Parti, qu’il ne paye pas pour une raison ou pour une autre sa cotisation, pour qu’aussitôt il soit chassé du Parti.

    On ne cherche pas à établir le degré de sa culpabilité, le motif pour lequel il n’est pas venu à la réunion, la raison pour laquelle il n’a pas payé sa cotisation. Le bureaucratisme, dans ces questions, est tout simplement inouï. »

    Ainsi, à la fameuse alternative Parti de cadres / Parti de masse sur laquelle a buté l’Internationale Communiste pendant les années 1920-1930, nous répondons qu’il faut avoir une forte exigence, donc aller dans le sens d’un Parti de cadres, tout en sachant que dans les faits les masses elles-mêmes peuvent être cadres si elles se lancent réellement.

    Il y a ici une dialectique à l’œuvre qui ne peut être saisi que dans la pratique, et il est évident que, dans une métropole impérialiste source de corruption, cette pratique vit dans l’antagonisme : c’est ce terrain qui définit les modalités d’organisation du Parti.

    Qu’est-ce que l’activisme communiste dans une métropole impérialiste ?

    Un reproche qui nous est fait consiste à dire, pour résumer, est qu’en respectant les parcours personnels et en nous reposant sur la question de la subjectivité, on enlève tout espace pour le « militantisme ».

    Une telle lecture est fondamentalement fausse, car elle se fonde sur l’analyse totalement erronée qu’il existerait, dans une métropole impérialiste comme la France, un terrain naturel, spontané, pour l’activité communiste et qu’il suffirait simplement de recruter pour apporter des militants dans un tel cadre.

    Il faut vraiment être sur une base syndicaliste pour croire qu’il suffirait de monter un regroupement « militant » et d’intervenir dans un pays pacifié, d’esprit petit-bourgeois jusque dans la classe ouvrière, pour croire qu’on va changer les choses.

    En 1988, la RAF et les BR-PCC constataient déjà que :

    « Le niveau historiquement atteint par la contre-révolution impérialiste a fondamentalement modifié le conflit entre l’impérialisme et les forces révolutionnaires.

    Cela signifie devenir conscient du poids croissant de la subjectivité dans la confrontation des classes et du fait que le terrain révolutionnaire ne peut pas être un simple réflexe aux conditions objectives. »

    C’était là la conclusion de toute une réflexion commençant dans les années 1960 et constatant l’impact du 24 heures sur 24 du capitalisme. Aussi, il n’est certainement pas possible d’avoir une conception réduite, bornée de l’activité communiste et de s’imaginer que « militer », c’est diffuser des tracts dans une manifestation ou adhérer au syndicat de son entreprise.

    Dans une métropole impérialiste, la question se pose de manière extrêmement complexe, car il n’est tout simplement pas possible d’aborder les gens pour proposer la révolution – même s’ils l’accepteraient, ils resteraient sur une base subjective et une démarche culturelle prisonnières du capitalisme.

    On le voit bien avec les mouvements de contestation « anticapitaliste » comme le Parti du Travail en Belgique, La France Insoumise en France, Podemos en Espagne, etc. Il n’y a dans le fond strictement aucune rupture avec le capitalisme.

    Il n’y a pas d’espace « naturel » où militer – ce sont aux communistes de les former, de les développer et c’est un processus qui demande des qualités humaines qui n’apparaissent pas du jour au lendemain.

    Ce sont ces qualités qui permettent d’asseoir la subjectivité, qu’elle soit à la hauteur face à la corruption et à l’envahissement des valeurs bourgeoises dans le 24 heures sur 24 du capitalisme.

    Les porteurs de rupture, chose la plus précieuse

    Dans son discours de 1935 prononcé au palais du Kremlin à l’occasion de la promotion des élèves de l’Académie de l’Armée rouge, connu sous le nom de « L’Homme, capital le plus précieux », Staline dit la chose suivante. Auparavant, nous étions dans une situation économique très arriérée et il fallait dire « la technique décide de tout ». Maintenant, il faut dire « les cadres décident de tout », sinon on ne peut pas avancer dans le socialisme.

    Il en va de même pour le Parti et la question du poids croissant de la subjectivité dans les métropoles impérialistes, lieu de perdition pour les esprits, de démolition pour la sensibilité. Ce qui porte le Parti, ce sont des êtres humains incarnant une démarche de rupture. Sans de tels êtres humains, il n’y a rien.

    On ne peut pas les évaluer de manière formelle, en portant sur eux le même regard que sur des militants associatifs ou des représentants syndicaux. Ce qu’il porte les amène à avoir un profil différent. Il ne faut bien entendu pas faire du fétichisme de ce profil, sinon c’est du subjectivisme. Ce n’est pas évident et c’est un danger « de gauche ».

    Mais il est moins dangereux que le danger « de droite » visant à aplatir les gens, à les réduire pour ainsi dire à néant.

    Les porteurs de rupture sont la chose la plus précieuse, car ils forment le matériau humain servant de vecteur à l’expression de la révolution. Ils portent en effet la conflictualité, le refus complet d’accepter l’ordre dominant.

    Au sens strict, ils expriment le besoin de communisme et véhiculent l’antagonisme. Voilà pourquoi ces porteurs doivent être préservés, doivent voir leur niveau s’élever, doivent se façonner selon les besoins de l’époque.

    Staline a résumé cette nature particulière en disant que les communistes sont taillés dans une roche à part ; Gonzalo insiste pareillement sur l’esprit communiste particulier, constitué d’une passion inextinguible, d’une volonté ferme et résolue, avec un esprit clair et audacieux, expression de la révolution.

    Gonzalo, auteur du document de mars 1980 du Parti Communiste du Pérou intitulé Commençons à démolir les murs et à déployer l’aurore, dit ici encore :

    « Nous sommes communistes, grandis dans un temple à part, faits d’une roche à part ; nous sommes des communistes prêts à tout et nous savons ce que nous avons à affronter.

    Nous l’avons déjà affronté, nous l’affronterons encore demain. Le futur, fils du présent, sera plus dur, mais le passé nous a déjà trempé et au présent nous nous forgeons.

    Trempons nos âmes dans la révolution, ce sont les seules flammes capables de nous forger. Nous avons besoin d’un optimisme élevé, qui a une raison d’être : nous sommes ceux qui conduisent ceux qui façonnent l’avenir, nous sommes des guides, l’état major du triomphe invincible de la classe, pour cette raison nous sommes optimistes.

    Nous possédons l’enthousiasme, parce que nous nourrit l’idéologie de la classe : la marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong. Nous vivons la vie de la classe, nous participons de sa geste héroïque, le sang de notre peuple nous remplit d’ardeur et bout dans nos cœurs.

    Nous sommes ce sang puissant et palpitant, prenons ce fer et cet acier inflexible qu’est la classe et fusionnons-le avec la lumière immarcescible [= qui ne peut se flétrir] du marxisme-léninisme-pensée Mao Zedong.

    L’enthousiasme, c’est participer de la force des dieux, c’est pour cela que nous débordons d’enthousiasme, parce que nous participons des divinités du monde actuel : la masse, la classe, le marxisme, la révolution.

    Pour cette raison, notre enthousiasme est inépuisable, pour cette raison, nous sommes forts, optimistes, notre âme est vigoureuse et nous débordons d’enthousiasme.

    Et qu’avons-nous vu ici? Des dirigeants, des militants orphelins d’optimisme, ayant perdu l’ébullition enthousiaste, des âmes éteintes, des volontés déchues, des passions en fuite. Inacceptable.

    Nous en connaissons l’origine : ce qui les soutient, ce n’est pas le marxisme, la classe ni la masse, c’est l’individualisme corrosif; c’est la pourriture réactionnaire qui les fait s’effrayer, c’est d’avoir été moulé dans les cloaques du vieil ordre, c’est l’expression d’un monde qui se meurt, ce sont les gaz mortels qui s’échappent des barrages de la réaction ; à cause de cela, leurs énergies s’affaiblissent, leur cœur tremble, la pensée les abandonne, leurs nerfs se détruisent, leur action se trouble. »

    Pense-t-on une seule seconde que les communistes tels qu’ils sont définis ici se « recrutent » ? Absolument pas, ils sont le produit de l’histoire, ils se forgent collectivement dans le Parti, ils correspondent à un certain état d’esprit qu’un dirigeant synthétise dans chaque pays.

    C’est d’ailleurs pour cela que l’État ouest-allemand avait fait en sorte de liquider en prison Ulrike Meinhof en 1976, Andreas Baader, Jan-Carl Raspe et Gudrun Ensslin en 1977. C’était le matériau humain que l’impérialisme voulait supprimer.

    Car le capitalisme sent que même s’il supprime tout espace d’antagonisme, il est des porteurs de rébellion, qui trouvent les failles de par leur rupture subjective, qui choisissent de s’engager pour lever le drapeau de la révolution.

    Le Parti consiste en ces porteurs ; il est leur maison, ce sont eux qui le forme et c’est lui qui les forge. Avoir une lecture formelle en cette question, c’est littéralement massacrer ce qu’est le Parti dans sa substance même, et cela d’autant plus de par le poids croissant de la subjectivité dans les métropoles impérialistes.

  • Le Coran comme romantisme de la Mecque

    De par le fait que l’Islam se pose comme un phénomène historiquement urbain, on se doute que le Coran véhicule des éléments en ce sens.

    L’Islam présente le Coran comme la parole de Dieu, une parole aussi éternelle que lui. Le Coran serait incréé et d’ailleurs son texte insiste sur cette dimension.

    L’œuvre consiste grosso modo en un auto-justificatif de son existence, en une justification de Mahomet comme prophète, en un appel à suivre les préceptes du Coran et de Mahomet sans quoi on subira une vie après la mort dans les flammes de l’enfer.

    La dimension monothéiste ressort particulièrement dans un tel cadre, puisque cette affirmation juridico-religieuse a comme objectif de dépasser les dieux locaux des clans et tribus. Le verset suivant reflète assez l’état d’esprit du Coran :

    « Qui a fait la terre un lit pour vous, et le ciel un toit, Qui a fait que l’eau descende des nuages, et par cela a produit des fruits pour votre subsistance. Ne donnez pas d’égaux à Allâh sciemment. »

    L’Alcoran de Mahomet traduit d’arabe en français par le Sieur du Ryer, 17e siècle

    Or, si historiquement l’Islam oppose les commerçants et marchands aux clans et aux tribus, cela signifie qu’on a affaire à une contradiction entre la ville – avec ses règles, ses mœurs policés – et les campagnes – avec leur dispersion, leur séparation, ses bédouins et ses nomades aux pratiques troubles.

    Mahomet ne pouvait évidemment pas lire les choses ainsi. Pour lui, matériellement, il y avait la Mecque et ceux qui de manière dispersée formaient des éléments centrifuges, cependant il lisait cela de manière déformée, à travers un discours religieux qu’il est lui-même censé avoir obtenu de Dieu.

    La situation se posait pour lui comme l’opposition du un et du multiple – et c’est très exactement ce qu’on a dans le Coran, avec un dieu unique et des êtres humains dispersés devant revenir à lui.

    Le Coran ne cesse d’insister sur le caractère unique de Dieu – cette unicité divine est le grand leitmotiv musulman, c’est le tawhid, l’unicité complète, avec impossibilité d’associer quoi que ce soit à Dieu.

    Et, en même temps, le Coran ne cesse en parallèle de dénoncer des êtres humains comme multiples, dispersés, troubles, inconséquents, etc.

    C’est là le reflet direct du rapport entre la Mecque « civilisée » et les bédouins « barbares ».

    Le verset suivant du Coran témoigne de cette vision particulièrement négative des êtres humains, qu’on retrouve dans tout le Coran, avec toutefois donc un « centre » indiquant comment se comporter :

    « En vérité, Nous avons proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes Al Amânah (le Dépôt). Ils ont refusé de le porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé ; il est vraiment foncièrement injuste et ignorant.» 

    Il est ici alors une chose très marquante, précisément. Le Coran ne demande jamais d’adhérer à un message nouveau, mais toujours de s’amender pour obéir à un message passé.

    Comment est-ce possible ? Pourquoi appeler à revenir à la vraie religion, si l’Islam était quelque chose de pourtant nouveau ?

    La raison est la suivante : Mahomet est un réformateur qui prolonge les efforts de reconnaissance de la Mecque comme lieu sacré et central, ce qui va de pair avec l’exigence d’un droit reconnaissant cette primauté.

    Ce faisant, il pose la Mecque comme le lieu historique des Arabes et les Arabes doivent assumer leur passé pour se donner un avenir. Cela implique qu’il ne faut pas établir quelque chose de nouveau, mais systématiser le rôle de la Mecque.

    Le Coran se pose en concurrence au judaïsme et au christianisme, prétendant ne pas affirmer un message nouveau mais le rétablir, exactement comme Mahomet dit aux Arabes qu’ils doivent se fonder sur ce que le passé leur a apporté : la Mecque comme centralité.

    On a chez Mahomet une unité systématisée : une seule ville, la Mecque, un seul Dieu, Allah, et forcément un seul prophète, lui-même.

    Et tout comme Mahomet cherche à rappeler à l’ordre les Arabes par rapport à l’importance de la Mecque dans la péninsule arabique, le Coran rappelle sans cesse à l’ordre les musulmans… comme s’ils existaient déjà, alors que c’est justement le Coran et Mahomet qui inaugurent cette religion !

    Une page du Coran, 11e siècle

    D’où, naturellement cette absurdité, clairement païenne qui est l’intégration dans l’Islam de la pierre noire de la Kaaba et même des rituels passés où l’on en fait le tour.

    Rien que cette intégration dans le dispositif religieux islamique montre la continuité de la Mecque comme point de départ et d’arrivée de la vie sociale et religieuse dans la péninsule arabique, l’Islam étant la vision déformée, fantasmagorique, religieuse, de cette centralité urbaine.

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