Enquête sur les maos en France: Georges E. (1971)

[Cette enquête date de 1971, juste après l’auto-dissolution de la Gauche Prolétarienne. Les membres de la GP voulaient s’éparpiller dans les masses pour contribuer à la naissance du Parti. L’enquête consiste en des interviews des membres de l’ex-GP, sur leur parcours, leur interprétation de la ligne de masse, sur comment fonctionnent les structures, etc.]

GEORGES. – Mon père était militaire et j’ai été ballotté un peu partout, à Bordeaux, à Tours, à Madagascar.

A quinze ans, j’étais à Alger, pendant la guerre d’Algérie.

J’ai passé mes bachots et j’ai commencé à faire une préparation pour les études d’ingénieur, une licence de mathématiques.

C’est là que j’ai commencé à m’intéresser à la politique.

En 1967, je faisais partie de l’U.J.C.M.L.

A l’époque on pensait que si l’on voulait comprendre quelque chose à la réalité ouvrière, il fallait y aller, plonger dedans.

Je le pense toujours.

D’ailleurs le président Mao l’a dit : on ne comprend pas la classe ouvrière, si on ne l’approche que du bout des doigts.

Mes parents font partie de la classe ouvrière mais j’ai aussi un héritage intellectuel petit-bourgeois.

Je n’en fais pas des complexes mais je ne peux pas le nier : les gars qui ont commencé à travailler à quatorze ans ont une autre expérience que moi qui ai poursuivi mes études.

Si je suis allé travailler avec les ouvriers, ce n’est pas parce que je me considérais comme un petit-bourgeois taré, c’est parce que je veux transformer la société et que, pour ça, il faut aller du côté des masses.

Les masses, ce sont les ouvriers et les paysans. Je suis passé de leur côté. Voilà, c’est tout pour mon histoire personnelle.

Que peut-on comprendre du monde si l’on n’a pas vu chaque partie du monde?

Le prolétariat, la classe ouvrière est une partie fondamentale du monde.

Que peut-on comprendre si l’on ne comprend pas les motivations des ouvriers, leur système de pensée, leur idéologie?

Si l’on ne saisit pas ça, on ne voit pas clair, on n’avance pas ou d’une façon très confuse.

Je n’ai pas pris la décision de travailler en usine d’une manière théorique. Ça a été une décision collective avec les camarades de l’U.J.C.M.L.

A ce moment-là notre occupation principale consistait à étudier les œuvres du président Mao qui dit et qui répète qu’il faut penser à la majorité.

Or, la majorité, c’est le peuple.

On ne peut penser à la Révolution sans connaître l’avis du peuple.

Alors, cet été-là, on s’est lancés dans des enquêtes sur la vie à la campagne.

On est allés vivre avec les paysans.

On a intitulé ça : Enquêtes à la campagne.

Il y a d’ailleurs un article du président Mao qui s’appelle : Enquêtes à la campagne!

Ça arrive encore à de jeunes étudiants de partir au hasard découvrir la province.

Seulement, nous, nous avons fait ça en 1967, c’est-à-dire avant Mai 68, et c’était véritablement la jungle!

En plus, on avait choisi, comme par hasard, un véritable  » os  » : une région où les paysans sont particulière ment âgés et où, dans le passé, ils n’avaient pas manifesté une grande combativité.

Un pays de textiles, replié sur lui-même, avec une très forte population de paysans-ouvriers : les Vosges, une région difficile.

A la fin de l’été, on a pensé qu’il fallait que quelqu’un du groupe reste sur place, à continuer l’enquête, et je me suis proposé.

Je croyais qu’il suffisait d’être proche des ouvriers, et je me suis engagé comme pion dans une sorte d’école professionnelle où on forme des ouvriers du bâtiment,
des maçons.

Au bout d’un mois, je me suis aperçu que je ne
comprenais rien et que je ne comprendrais jamais rien à la
réalité ouvrière de cette région – peut-être aurait-ce été différent dans une autre région – si je n’entrais pas à l’usine.

Tant que je me contenterais de rester au bistrot ou à la porte
de l’usine, je ne comprendrais rien.

Il fallait que j’aille à l’intérieur de l’usine, avec les ouvriers.

Les ouvriers savent toujours parfaitement qui on est.

Si on tente de cacher quelque chose, c’est uniquement pour des raisons de police, ça n’est jamais par méfiance vis-à-vis des ouvriers.

Il est idiot de cacher qui on est aux ouvriers.

Ça les intéresse, au contraire. Voir un intellectuel à l’usine, pour eux ça fait problème et ils posent toutes sortes de questions :  » Pourquoi est-ce que tu viens là?

Qu’est-ce qui t’a pris?

Moi, si je pouvais gagner deux cent mille francs par mois, je ne serais pas là! « 

Ils peuvent dire bien des choses, ce qui est sûr c’est que ça ne les laisse pas indifférents que quelqu’un vienne travailler à l’usine volontairement.

Ça leur paraissait très étonnant.

Moins maintenant, parce que ça devient plus fréquent : le nombre des intellectuels appartenant ou non à l’organisation maoïste qui vont à l’usine (et il ne faut pas sous-estimer le nombre de ceux qui ne sont d’aucune organisation) va croissant.

L’  » établissement « , cela devient une pratique. Elle existe d’ailleurs depuis longtemps : j’ai trouvé de vieux établis qui sont venus travailler à l’usine il y a maintenant quinze ans!

Des intellectuels qui avaient quitté la société pour aller se réfugier dans un travail en usine, et qui y sont restés.

Ça n’avait rien à voir avec la misanthropie!

J’en ai connu un : un artiste peintre, très célèbre.

Il a deux toiles au musée d’Art moderne de New York.

Ça fait quinze ans qu’il travaille en usine, comme établi, et c’est un grand peintre.

Depuis 68, par exemple, il a complètement changé de genre.

Il a abandonné la peinture qu’il faisait avant, une peinture vachement abstraite.

Il prenait une radiographie et il en faisait un tableau.

Une radiographie de bras, du dos, il la colorait et ça devenait une peinture.

Ce type-là, il n’y a aucune raison de dire que c’est un misanthrope, il est très aimé des ouvriers, il n’est pas du tout isolé dans son usine, an contraire!

Déjà, avant Mai 68, il avait retiré ses tableaux des galeries du quartier de Saint-Germain.

Il disait :  » J’ai retiré mes tableaux parce que ce sont de vieux cons qui les regardent, des bourgeois, et moi ce qui m’intéresse ce sont les gens du peuple. Je veux que ce soient eux qui voient ma peinture. « 

En fait, il n’avait pas trouvé le moyen de se lier aux travailleurs sur la question de la peinture.

Ce n’est d’ailleurs pas un problème facile à résoudre. Personne ne venait chez lui, voir ses toiles.

Alors, à partir de 68, il a reposé le problème : il a cessé de faire cette peinture abstraite qui, au fond, était un héritage bourgeois, une chose à laquelle n’adhèrent pas les ouvriers. Je ne dis pas que c’est réactionnaire, je dis simplement que les ouvriers n’y adhèrent pas.

Je me rappelle une de ses toiles, une radiographie de buste et de cou sur laquelle il avait travaillé, on pouvait y voir ce qu’on voulait, le panier de crabes!

Ça pouvait peut-être dire quelque chose aux intellectuels, mais pas aux ouvriers!

En 68, il a complètement rejeté ce genre de peinture.

Il a traversé une période de crise aiguë, il commençait ses tableaux d’une façon, puis les changeait en cours de route; c’était lui, en fait, qui se transformait de l’intérieur, qui franchissait une étape.

Il s’est mis à faire des tableaux sur les barricades.

Avant 68, il avait commencé une toile sur Hiroshima : on voyait des corps mous, angoissés.

Après 68, le même tableau s’est transformé, c’est devenu un tableau sur les barricades avec des tas de drapeaux, des drapeaux rouges.

Puis il a trouvé que les drapeaux rouges étaient un peu stéréotypés, et c’est devenu une masse rouge…

Enfin c’est un gars qui se creuse le cigare pour arriver à produire quelque chose!

Il a fait aussi des dessins pour La Cause du peuple, des dessins qui étaient bien.

Le dessin c’est plus facile à manœuvrer que la peinture…

A l’usine, je faisais un travail de manœuvre.

J’ai été marqueur, ça veut dire que tous les deux cents mètres, par exemple, il faut couper le tissu.

Ça pèse lourd, près de quarante kilos à trimbaler!

Et les femmes qui travaillent aux métiers à tisser; il faut voir ça! L’espace entre les métiers est réduit, à peine trente centimètres.

C’est exprès, pour gagner de l’espace, parce que le patron veut mettre le plus de métiers possible dans son usine pour gagner le plus d’argent possible… il n’y a aucune fille qui ait le bassin étroit comme ça!

Alors, forcément, pour passer, elles sont obligées de se mettre de travers, de marcher en crabes.

Elles font des kilomètres et des kilomètres de biais dans la journée pour rattacher les fils, et elles finissent par marcher tout le temps comme ça.

Les gars, dans la rue, les reconnaissent; ils disent :  » Celle-là, c’est une tisserande. « 

Elles ne savent plus marcher autrement qu’en sautillant!

Je suis resté six mois.

C’était dur.

Je ne savais pas bien comment m’y prendre.

J’avais lu des bouquins de Mao, et c’était tout.

Un bouquin de Mao, ça n’est jamais qu’un bouquin et je me suis retrouvé comme ça, tout seul, dans la pampa!

Et en plein hiver! Il a bien fallu que je me débrouille.

Je gagnais 45 000 francs par mois et j’en lâchais dix mille pour ma piaule.

Il y a eu de la neige pendant trois mois et il a fait – 20°.

J’étais enchanté d’aller à l’usine parce qu’à l’usine il faisait + 25° avec une proportion d’humidité correspondante.

C’est nécessaire, sinon le fil casse!

Alors, comme c’est le fric du patron qui s’en va, quand le fil casse, n’aie pas peur, question humidité et question température, c’est toujours impeccable!

Pour les salaires, c’est une autre affaire, mais pour la température et l’humidité ça va toujours!

Je débarquais avec l’idée de faire la révolution!

Mais il fallait trouver ce qu’il fallait faire jusqu’à ce jour-là!

Il fallait tout trouver.

Il y a eu une collection de gars, comme moi, qui se sont établis à cette époque avec l’idée de tout transformer.

On a bien vu qu’il fallait commencer par un bout.

On a commencé par faire des tracts. Et ça n’est pas rien. Des tracts sur les conditions de travail, sur les licenciements.

Il y avait beaucoup de licenciements dans la région.

Ensuite, on a introduit la question des salaires.

Il y avait des gosses qui gagnaient 17 000 francs par mois!

Oui, je pensais qu’il suffisait de faire des tracts sur ces questions-là pour que les gens comprennent qu’il faut faire la révolution.

D’ailleurs, si moi j’ai pu faire quelque chose, dans les Vosges, c’est parce que j’ai étudié le petit livre rouge.

Je le lisais seul et je le lisais entre camarades.

Je le lisais partout, quand j’avais un moment, chez moi, à l’usine.

Quand j’avais perdu le nord, quand je ne savais plus quoi faire…

J’ai étudié d’une façon particulièrement assidue trois chapitres du petit livre rouge.

Celui qui s’appelle ce La ligne de masse « , un autre qui s’appelle  » Méthodes de pensée et de travail « , et un autre qui s’appelle  » L’étude « .

J’avais étudié aussi le chapitre qui s’appelle  » Les communistes « .

Il n’est pas question d’appliquer directement la pensée d’un leader politique chinois à la réalité d’une usine française. Il est question de comprendre!

Ainsi lorsque le président Mao dit dans  » La ligne de masse  » : « II faut tenir compte de la majorité, il ne faut pas progresser d’une manière aventureuse, mais au contraire, il faut toujours refléter l’avis de la masse populaire « , c’est quelque chose qu’il est extrêmement important de comprendre.

Si on le lit chez soi cela peut paraître dépourvu de signification, ou bien un truisme.

Mais quand on veut transformer la société ça prend du poids, parce que c’est le bilan de l’expérience chinoise.

Chinoise peut-être, mais une expérience.

On finit par savoir par cœur le petit livre rouge, mais ça n’a qu’un intérêt limité.

Ce qui compte c’est d’apprendre la méthode que donne Mao pour comprendre la réalité.

Il s’agit de la réalité chinoise mais les deux chapitres « L’étude » et  » Méthodes de pensée et de travail  » ne s’appliquent pas qu’à la Chine, ils ont une valeur générale, on peut en tirer une méthode générale de connaissance de la réalité sociale.

Tout à fait scientifique mais dure à mettre en pratique parce qu’une grande série de facteurs sont en jeu.

Les ouvriers français peuvent lire et comprendre Mao très naturellement, je peux en témoigner.

J’ai été licencié parce que je  » faisais de l’agitation « .

Je me suis fait dénoncer par la C.G.T.

Ils m’ont dénoncé en faisant circuler des tracts sur la voie publique où ils m’accusaient d’avoir des rapports avec des individus nuisibles.

Je suis descendu à Paris le 4 mai 1968, ce qui fait que je me suis retrouvé sans travail jusqu’à fin mai…

Je me suis engagé aux P. et T. le 10 juillet où j’ai travaillé pendant seize mois.

C’était un travail de débardeur qui consistait à charger et décharger des camions.

Je travaillais dix heures la nuit, de huit heures du soir à six heures du matin. J’ai été licencié l’année dernière, après la grève des P. et T.

Le programme général de la révolution, la prise du pouvoir, passe par son programme instantané.

Quand, dans l’immédiat, on séquestre un patron, on fait faire un pas gigantesque à la révolution.

On n’a pas besoin de crier tout le temps à la révolution!

Le maoïsme est une pratique.

Si la propagande peut apporter quelques avantages, elle apporte aussi beaucoup d’inconvénients. Il faut se méfier des formules stéréotypées, du bourrage de crâne…

La question du pourrissement du pouvoir du peuple dans les pays de l’Est est une question qui préoccupe beaucoup : est-il possible au peuple de prendre le pouvoir et de le garder?

Les ouvriers savent qu’ils peuvent prendre le pouvoir. Ils ont entendu parler de 89, de la Commune, d’Octobre 17, ils savent.

Mais la question qui se pose, c’est :  » Une fois que les ouvriers ont pris le pouvoir, est-ce qu’ils peuvent le garder? « 

Je me souviens d’en avoir parlé pendant une grève où les mecs étaient sur le tas et ne travaillaient pas.

Non, je n’ai pas donné la Chine en exemple.

Le point de vue que j’avais adopté était : 1° la Chine, on s’en fout; 2° on en tient quand même compte, mais seulement comme d’une expérience qui a réussi et dont l’étude peut nous apporter un enseignement.

On ne tient compte de la Chine que pour l’étu-dier sur un plan scientifique.

Marx a dit :  » L’ouvrier est le personnage le plus conscient de la planète. « 

Qu’est-ce que ça veut dire?

Prenons l’exemple de la Révolution culturelle, du problème que Mao a voulu résoudre par la Révolution culturelle.

L’ouvrier l’a constamment dans la tête : c’est le problème des intellectuels.

L’ouvrier sait très bien qu’il y a des ingénieurs et qu’ils sont utiles.

Il dit :  » Le pouvoir, nous savons que nous pouvons le prendre, d’accord, mais une fois que nous aurons le pouvoir nous aurons besoin des ingénieurs, nous ne pouvons pas nous en passer! « 

Le problème de la transformation des ingénieurs, l’ouvrier l’a constamment dans la tête!

Ce qu’il cherche, en fait, c’est la solution de la contradiction entre travail manuel et travail intellectuel.

Bien sûr, il ne le formule pas comme ça, il ne le formule pas comme un intellectuel. Il sait simplement qu’il y a là quelque chose qui l’angoisse.

J’ai vu vingt mecs, les yeux et les oreilles grands ouverts pendant que je leur exposais comment on pouvait envisager de résoudre cette contradiction du travail manuel et du travail intellectuel.

Et ça n’est pas quelque chose de simple.

Comment peut-on résoudre cette contradiction?

Cela demande des explications compliquées…

Le président Mao dit :  » Le peuple, c’est la force motrice de l’histoire universelle « , eh bien, j’ai appris, moi, par l’expérience, qu’il disait vrai.

Avant que j’en aie fait l’expérience, je disais :  » Oui, c’est vrai parce que le président Mao l’a dit! « 

Maintenant, je dis :  » Ceci est vrai.

D’ailleurs le président Mao l’a dit. »

Dans une usine, en Chine, il n’y a pas de contremaîtres, les ouvriers se baladent comme ils veulent, ils travaillent, ils produisent, et ils produisent à une cadence supérieure aux nôtres en faisant moins d’efforts.

Pourquoi?

Parce qu’ils produisent intelligemment et en améliorant le système.

Comme ils possèdent à la fois le pouvoir de production et la connaissance (et sans cesse ils accumulent de la connaissance, ils font en permanence des stages de perfectionnement), ils améliorent constamment la production.

Non, je n’ai pas été en Chine, mais ça ne fait rien, le mécanisme n’est pas difficile à comprendre : la base de la société bourgeoise c’est l’opposition entre travail manuel et travail intellectuel, le travail manuel étant la propriété exclusive du prolétariat, ouvriers et paysans.

Le travail intellectuel, la propriété exclusive de la bourgeoisie, grande et petite.

La petite-bourgeoisie est une classe qui n’a pas d’existence en tant que telle, c’est une classe que la grande bourgeoisie a créée parce que, numériquement, elle n’était pas suffisante.

Donc, pour faire quoi que ce soit, inventer une machine, transformer un processus de production, construire une maison, il faut le faire à travers cette contradiction : d’un côté il y a des gens qui pensent, de l’autre des gens qui agissent.

Ceux qui agissent n’ont pas la pensée et ceux qui pensent n’ont pas l’action.

Un minimum de réflexion montre que c’est absurde et que ça ne peut pas bien fonctionner : ceux qui agissent le font d’une manière incohérente, puisqu’ils n’ont pas la pensée – et ceux qui pensent, pensent d’une façon incohérente, puisqu’ils n’ont pas la pratique!

Ils pensent sur la base d’une pratique abstraite : la pratique des autres.

Mais la pratique des autres, hein, ça n’est pas très utilisable!
Prenons un exemple concret : les machines-outils.

Compare une machine-outil fabriquée en France ou aux Etats-Unis à une machine-outil fabriquée en Chine.

La machine chinoise a un tiers de pièces en moins!

Un tiers de pièces en moins pour une machine à rectifier les surfaces ou une fraiseuse…

Je le sais à travers ce que je peux savoir des machines!

Bien sûr je n’ai pas été compter les pièces.

Mais peu importe que ce soit un tiers ou quatre cinquièmes! Ce qui compte c’est la base objective : en Chine les machines sont produites par les ouvriers, et les ouvriers participent à la conception des machines.

Un ouvrier qui depuis quinze ans travaille sur une machine à fraiser et la répare lui-même a une connaissance physique de sa machine, il la connaît dans l’épaisseur!

Il a une connaissance de la résistance de ses matériaux qui n’est pas numérique, qui est matérielle; il sait à quel degré d’effort telle ou telle pièce pète.

Il sait que telle pièce ne sert à rien, que tel système de pièces peut être réduit en une seule pièce.

Il sait cela non pas sur la base d’une réflexion théorique en bureau, mais parce que depuis quinze ans il fait marcher sa machine.

Si, en même temps, il possède la connaissance scientifique et technique, celle d’un ingénieur, il va pouvoir construire une machine infiniment mieux adaptée que celle qu’on fabrique en France ou aux États-Unis.

En Chine, il n’y a pas d’ingénieurs.

Il n’y a plus non plus d’ouvriers tels qu’ils sont conçus jusqu’à présent; ce qui apparaît, c’est un nouvel homme : l’ouvrier-ingénieur.

Un ouvrier chinois n’a rien à voir avec un ouvrier français.

L’ouvrier français se cantonne dans la production, – l’ouvrier chinois, lui, s’empare de la production et de la réflexion sur la production, c’est-à-dire de la connaissance.

Il dirige et produit en même temps, il dirige sa propre production.

Si demain nous prenons le pouvoir, il est évident que les ouvriers ne pourront pas diriger les usines Renault. Il faut les ingénieurs.

Dans l’état actuel, l’ouvrier n’a pas les connaissances techniques nécessaires.

Il faut donc transformer l’ensemble du processus : la gestion des usines et les ouvriers eux-mêmes.

Le régime capitaliste est basé sur le gaspillage, la gabegie.

On pourrait trouver en France des milliers d’exemples concrets.

Dès que tu veux faire quelque chose quelque part, tu tombes là-dessus : le gâchis!

Tu tombes sur la bureaucratie, – la bureaucratie qui s’occupe de transmettre la pensée des individus qui pensent aux ouvriers qui produisent.

La pensée se fait dans un coin, comme celle du bon Dieu, et un système de transmission compliqué, la bureaucratie, transmet cette pensée aux ouvriers crétins qui produisent et ne pensent pas!

Qui n’ont pas le droit de penser, et qui n’ont pas le droit à la connaissance! C’est absurde! Ça ne vaut rien!.

Ça n’aboutit
qu’à des saloperies!

Dans certaines usines, aux Etats-Unis, il y a des boîtes à idées.

Si les ouvriers ont une idée qui permettrait d’améliorer telle machine ou tel processus de production, ils n’ont qu’à l’écrire, et glisser leur idée, avec leur nom, dans la boîte à idées.

Si leur idée est retenue, ils recevront une prime.

Mais ça ne marche pas parce que ça repose sur une récompense en argent :  » Ayez des idées, on vous les achètera. « 

Or, tu ne peux pas améliorer fondamentalement quelque chose que tu n’as pas envie d’améliorer!

Quand tu es dans un système oppressif et que tu as le contremaître aux fesses, que tu te sens encerclé, coincé partout, même dans ton logement, tu n’as pas envie d’améliorer cette société dans le sens du patron, dans l’intérêt du patron!

Même si tu ne le penses pas vraiment, tu es contre.

C’est une réaction de base : tu n’as même pas besoin de réfléchir, instinctivement tu ne fais rien.

Ce qui fait que dans les boîtes à idées américaines, il n’y a rien! Pour que les ouvriers aient des idées, il faut qu’ils se transforment, et pour qu’ils se transforment, il faut que le système de gestion se transforme en même temps, c’est-à-dire qu’on passe d’un système de gestion capitaliste à un système de gestion socialiste avancé.

Je dis bien : avancé, parce qu’il y a des régimes socialistes non avancés qui continuent d’opposer le travail manuel et le travail intellectuel, qui continuent d’avoir des ingénieurs qui pensent, opposés aux ouvriers qui ne pensent pas.

Sous des formes différentes, tout le monde a envie que ça change!

Un copain est instituteur, il a fait une sorte de sondage : il a fait faire aux gosses une dissertation sur le sujet:  » Imaginez la société dans vingt ans, après la révolution. « 

Ce qu’il a obtenu est fantastique : ça nage dans l’utopie mais c’est plein d’idées.

Évidemment, il y en a qui disent : dans vingt ans tout le monde se baladera en hélicoptère et il n’y aura plus de vélos!

Ils lisent les bandes dessinées et ce genre de choses, et c’est sans intérêt.

Mais du point de vue social, c’est-à-dire du point de vue du rapport entre les hommes, ce qu’ils disent est plein d’enseignement : tous, d’une façon ou ‘une autre, écrivent : « Dans vingt ans les hommes s’aimeront et il n’y aura plus de patrons. « 

Tous ont conscience de vivre dans une société d’oppression.

Ils n’emploient pas forcément le mot  » patron  » mais ils trouvent une manière de le dire et de souhaiter que cela n’existe plus!

Oui, les ouvriers veulent que ça change, et cela commence par les gosses.

On ne peut pas être opprimés et ne pas vouloir que ça change.

A moins d’être insensibles et les gens insensibles, ça n’existe pas!

Des formes d’oppression plus ou moins pesantes?

Ça veut dire quoi? Que certains ont un frigidaire, une bagnole?

Nous aussi on est pour l’aspirateur, la moquette, la machine à laver!

Ce n’est pas ça qui empêche de sentir l’oppression. Ce qui peut freiner les gens, c’est autre chose : la peur de la révolution.

La révolution c’est du domaine de l’idéologie pure, et un type qui entend parler de la révolution par Le Figaro, c’est normal qu’il en ait peur!

Du point de vue de l’organisation révolutionnaire maoïste, il y a d’abord les étapes de la connaissance et les étapes de la transformation de la société.

Pour nous, l’  » établissement  » n’a jamais été une mesure de purification, c’est une mesure politique.

Si on envoie les intellectuels s’établir, ça n’est pas pour qu’ils se transforment, c’est pour connaître la réalité, parce qu’on en est à l’étape de la connaissance et qu’on a besoin d’avoir le contact avec les masses.

Que les intellectuels qu’on envoie à l’usine en reviennent changés, c’est une excellente chose, nous en sommes enchantés!

Ils ont un autre comportement dans la société. Ils ont moins les défauts des intellectuels.

Ce sont des gens qui deviennent stables, en qui on peut avoir confiance.

Un vieil établi, non pas un établi de quinze jours ou de six mois, mais un établi de plusieurs années est un individu sur qui on peut compter.

Parce qu’il faut bien voir que lorsqu’on sort,d’une confortable vie bourgeoise ou petite-bourgeoise et que l’on se retrouve à l’usine, au début, cela tire sur la colonne vertébrale!

Il y a aussi des gens que cela casse.

On sait qu’on peut compter sur eux pour certaines choses, mais on sait qu’ils ne sont pas solides.

S’ils ne résistent pas à l’exploitation du patron, il est évident qu’ils ne résisteront pas à la répression, ni aux tempêtes infiniment plus violentes qui peuvent s’abattre sur eux un peu plus tard.

L’exploitation du patron est une chose tangible.

On la ressent à chaque minute!

C’est bien simple, dès qu’on travaille il y a une cadence et, quel que soit le travail qu’on fait, il faut la suivre tout le temps.

Rien que ça, c’est l’exploitation.

Quand on est crevés et qu’il faut continuer à soulever des trucs trop lourd c’est l’exploitation.

Et en plus on a le petit chef sur le dos!

Le  » petit chef « , c’est celui qui brime les autres.

Ça peut aussi bien être le père de famille.

En plus de l’exploitation par les cadences, de l’exploitation par le petit chef, il y a l’exploitation idéologique : on vous traîne dans la boue.

Et si on veut en sortir, il y a une autre forme d’exploitation, c’est la faim. Je ne dis pas que celui qui ne résiste pas à l’établissement n’est pas un maoïste : chacun sa tâche.

Dans la guerre du Vietnam, tout le monde participe.

Mais on ne demande pas aux vieilles femmes de quatre-vingt-dix ans de porter le fusil mitrailleur, à la femme enceinte de lancer des grenades et aux hommes de vingt-cinq ans de raccommoder des uniformes…

Chacun sa tâche.

Nous en sommes en France, à l’étape idéologique.

Ça veut dire que jusqu’en 1968, grosso modo, les masses étaient sous la domination de l’idéologie de la capitulation, soutenue par les syndicats.

Cela correspondait aussi à une situation économique.

Depuis 1968, il y a une idéologie nouvelle : celle de la résistance qui est en train de balayer l’idéologie de la capitulation.

Cela veut dire casser la gueule aux petits chefs, les séquestrations, les sabotages, les combats de rue.

On ne cède plus, voilà.

Cette révolution idéologique passe par des époques, des phases : en 1970, il y a eu une vague considérable de séquestrations.

Avec la forme qu’elle prend à l’heure actuelle, la séquestration est une forme nouvelle de lutte : ça devient une arme.

C’est en 1936 qu’on a inventé la grève avec occupation d’usine.

A ce moment-là aussi, on inventait une arme nouvelle dans la lutte contre le patronat.

Cette arme, en fait, les syndicats lui ont enlevé toute son efficacité et en plus la bourgeoisie a élaboré un système de lois qui vient s’ajouter à la pression des syndicats et rend cette arme inutilisable.

Dans beaucoup d’usines, à Nantes-Batignolles, par exemple, les ouvriers méprisent cette sorte de grève qui, pour eux, revient à une sorte de capitulation.

Maintenant, la nouvelle arme, c’est la séquestration. Le peuple français est un peuple très expérimenté révolutionnairement.

Il a un héritage révolutionnaire considérable.

Cela se voit à des inventions de masse comme celles-là.

Nous, les maoïstes, nous sommes les seuls à avoir participé à des séquestrations; sur les trente qui ont eu lieu, nous avons participé à deux, du moins l’année dernière.

Cette année on a progressé.

Mais ce sont les masses qui ont inventé la séquestration.

Sans les masses, nous les maoïstes, on n’est rien.

Si on fait du bon travail, si on est astucieux, intelligents, si on lit attentivement les œuvres du président Mao, on peut arriver à suivre les masses, à les comprendre et à réajuster notre tir.

Mais c’est difficile : les masses progressent par bonds.

Chez Renault, tout a progressé par bonds.

Si on a un bon système de travail, si on colle bien à la réalité des masses, après chaque bond on peut arriver à réajuster son système de travail.

Mais, d’une façon générale, les masses sont en avant de nous, elles nous dépassent, elles vont plus vite que nous.

Si on marche bien, tout ce qu’on peut espérer c’est de ne pas trop se laisser distancer et parfois les rattraper pour un temps.

Constituer un parti?

La première citation du petit livre rouge est :  » Le noyau dirigeant de notre cause, c’est le parti communiste chinois. « 

De même que la bourgeoisie a un quartier général, de même il faut que le prolétariat ait un quartier général.

Ce quartier général, c’est le prolétariat qui le construit.

Si nous sommes quelque chose, nous sommes l’émanation du prolétariat.

Ou du moins, nous avons à le devenir, parce qu’au départ on ne l’est pas.

Il faut donc détruire ce que nous sommes, pour le remplacer.

Il est courant de dire :  » Marcellin a détruit la Gauche Prolétarienne. « 

Mais non, Marcellin, c’est nous qui avons détruit la Gauche Prolétarienne!

C’est une organisation glorieuse, mais qui avait fait son temps. Notre tâche c’est de détruire la Gauche Prolétarienne, ou ce qui l’a remplacée, et de construire le parti.

Le parti c’est l’émanation du prolétariat et la Gauche Prolétarienne, c’était une première tentative pour y parvenir.

Pour parvenir à construire le parti.

Nous ne tenons pas à être une élite, une avant-garde.

Au mot  » avant-garde « , nous préférons d’ailleurs la formule de  » poisson dans l’eau « .

Avant-garde, ça coupe – nous, nous voulons souder, unir.

Et pour cela il faut partir de la réalité.

La réalité c’est que les masses populaires, les ouvriers, les paysans, les intellectuels se divisent en trois catégories : un petit groupe d’éléments avancés, une grande masse d’éléments moyens, des éléments arriérés.

Notre tâche c’est d’organiser les éléments avancés, qui constituent le parti.

Mais les éléments avancés aujourd’hui ce n’est pas ceux de demain, cela bouge, cela varie.

Les éléments dits arriérés, nous tâchons de les gagner, de les amener à nous parce cpie, en général, lorsqu’il s’agit d’ouvriers, ce ne sont pas des fascistes, mais seulement des gens qui ne comprennent pas.

Quand il s’agit réellement de fascistes, généralement des intellectuels, il s’agit à ce moment-là de les chasser, de les isoler, les rendre impuissants, incapables de faire du mal, incapables de nuire à la cause du peuple.

Si on n’a pas encore constitué un parti, ça n’est pas parce qu’on est contre le parti, c’est parce qu’on considère que le temps n’est pas encore venu de le construire.

Le parti, pour moi, c’est la capacité d’élaborer une politique révolutionnaire conséquente, c’est-à-dire de lier le particulier au général, le programme immédiat au programme à long terme, et de mobiliser réellement les masses.

Un parti n’est jamais qu’une minorité.

Mais la différence entre notre parti et les autres partis, c’est que notre objectif permanent n’est pas seulement la construction du parti, c’est sa destruction.

Nous construisons le parti pour le détruire.

Ceux qui montent, qui font le parti, ce sont les éléments prolétariens les plus indifférents à eux-mêmes et les plus liés à la cause du peuple et à ses intérêts.

Ensuite, ils détruiront le parti, à terme.

Le parti, on n’en veut pas.

Notre objectif final, c’est sa destruction radicale.

Nous héritons d’une situation instituée par la bourgeoisie : l’opposition entre travail manuel et travail intellectuel.

Le peuple doit s’emparer non seulement du pouvoir mais aussi de la connaissance.

On ne s’empare pas de la connaissance du jour au lendemain, c’est regrettable, mais un décret ne suffit pas.

Il faut une très longue période pendant laquelle le pouvoir du peuple n’est pas assuré.

C’est ce qui s’est passé en Russie après Octobre 17 : le peuple avait le pouvoir mais pas la connaissance.

Et ce qui a fini par devenir dominant, à la longue, c’est l’aspect bourgeois de cette révolution prolétarienne.

Staline ne connaissait pas le danger, ou s’il le connaissait, il ne le maîtrisait pas et c’est pourquoi son parti est devenu un parti révisionniste.

Mao Tsé-toung, aujourd’hui, connaît le danger, parce qu’il y a eu, avant la leur, l’expérience soviétique.

En France, le P.C.F. a dégénéré.

Au début c’était un parti révolutionnaire. Il l’a été pendant la Résistance. Il défendait réellement les intérêts du peuple et il était reconnu en tant que tel par le peuple.

Maintenant c’est objectivement un allié de la bourgeoisie.

Pour atteindre le peuple, les discours ne servent à rien.

Il n’y a que la pratique qui compte.

Les actions.

Les ouvriers se transforment sur la base de leur pratique et non sur la base des discours qu’on leur fait, maoïstes ou autres.

Ce quinereflète pas leur pratique ne sert à rien. La preuve, les journaux bourgeois.

Regardez au contraire l’action de La Cause du peuple.

Qu’est-ce que c’était La Cause du peuple?

Un petit journal de quatre ou huit pages, mal fait, mal écrit, où il n’y a que quelques articles intéressants.

Mettez-le sur la balance avec de l’autre côté la masse de la propagande bourgeoise, par la radio, par la T.V., tout.

Eh bien c’est La Cause du peuple, mal foutue, interdite, sans fric, avec ses photos de travers, qui pénètre.

Pourquoi? Parce qu’il y en a un qui dit la vérité de la pratique ouvrière, et les autres pas.

Il y a un proverbe fasciste qui dit : Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose.

Mais les fascistes sont des ânes bâtés, et ce qu’ils disent n’est pas vrai, la calomnie ça ne fonctionne pas.

Le mot d’ordre révolutionnaire, c’est : Calomniez, calomniez, il n’en restera rien.

En Mai 68, pour la dernière fois, la masse des ouvriers a encore fait confiance aux syndicats et s’est mise en grève.

Pour moi, c’a été le sommet de l’action syndicale et sa mort. Toutes les couches du peuples ont tiré la leçon, elles ont tiré la leçon après un paroxysme.

On ne peut pas aller plus loin, elles le savent.

Après Mai 68, c’est une nouvelle époque qui s’ouvre dans l’histoire du syndicat. Une nouvelle époque à partir de laquelle les syndicats apparaissent comme des organes réactionnaires.

Je parle de la direction, je ne parle pas du syndicaliste de la base, du pauvre mec qui peut encore y croire ou pas, qui peut ne pas avoir compris, être en retard, alors que les larges masses, elles, ont compris.

Il y a une différence entre les larges masses et les individus.

Ça n’est pas parce que les larges masses ont compris que l’ensemble des individus qui composent les masses ont tous compris.

C’est dans les actions de masse qu’on sent la masse, ce n’est pas dans les actions des individus, ou dans les déclarations des individus.

Je la sens dans les séquestrations, je la sens dans le milieu paysan, chez les intellectuels, à l’usine.

Je sens qu’ils pensent :  » Maintenant, les gars, c’est fini!

Plus rien ne passe!

Chaque fois qu’il y a quelque chose, paf! on réagit, on résiste, on ne cède pas. « 

Je le sais, bien que je ne sois pas à l’usine pour l’instant.

A l’usine, ça n’est pas le travail qui est horrible, c’est l’oppression. Le régime des petits chefs.

En ce moment [à La Cause du Peuple], je le dis sincèrement, je suis plus épuisé que lorsque je travaille à l’usine ou dans le bâtiment.

A l’usine, bon, quand j’ai fini je rentre chez moi, vers les cinq ou six heures, j’ai un coup de pompe d’une demi-heure, parce que j’ai trimbalé des briques toute la journée, mais après je suis en pleine forme, je récupère, je sais où je vais, je suis gai.

Tandis qu’en ce moment, je suis malheureux, j’ai 10 de tension.

Le travail que je fais, il faut bien le faire, c’est indispensable, mais je trouve que ce n’est pas supportable de vivre comme ça dans une équipe intellectuelle.

Le seul truc intéressant, c’est le reportage, foutre le camp en province, mais je suis lié par le travail qu’on m’a donné.

Je n’aime pas être à Paris, coupé des masses.

Même une demi-journée avec des ouvriers, manger avec eux, c’est quelque chose! Il y a trois manières de se lier aux niasses, dit Mao, y aller à cheval et regarder du haut de son cheval, descendre de son cheval et cueillir des pâquerettes et puis il y en a une troisième qui s’appelle ce s’établir « !

Après une journée de travail en usine, il est facile d’avoir la force de sortir et de faire encore du travail politique.

Quand tu vis toute la journée avec une espèce de bouledogue, de chien hargneux, et que tu te retrouves le soir avec des gens avec qui tu aimes vivre et discuter, tu as toutes les forces!

Ils te donnent leur chemise, les gars!

Ils se l’enlèvent du dos pour te la donner!

A une époque où on n’avait pas de quoi bouffer, chaque fois qu’on allait chez les gens, ils ne posaient pas de question, ils ne disaient rien, mais ils savaient qu’il fallait qu’on mange!

Ils en avaient besoin, de leur nourriture, mais ils nous obligeaient à manger.

Entre les maoïstes et les travailleurs, il n’y a pas de liens privilégiés.

Si un jour un individu travaille pour les masses et le lendemain il change, eh bien, il n’est plus avec nous.

C’est tout.

C’est en ce sens-là qu’il n’y a pas d’amitié.

Les choses et les individus se transforment : un jour, on peut être révolutionnaire et un autre jour avoir cessé de l’être.

On ne reçoit pas sa carte de révolutionnaire une fois pour toutes comme on reçoit son C.A.P. de maçon!

C’est du J.-J.S.-S. [Jean-Jacques Servan Schreiber] de dire que la lutte des classes est finie!

Sur la base de quels faits, la lutte des classes aurait-elle disparu? Si tu vois ces gens-là demande-le-leur :  » La lutte de classes existait hier, elle n’existe plus aujourd’hui, sur la base de quoi? »

De l’intérêt national?

Ça c’est la propagande de la bourgeoisie depuis qu’elle existe mais il y a toujours eu exploitation des ouvriers par les patrons et la lutte des classes n’existera plus que le jour où les patrons auront cessé d’exploiter les ouvriers!

Si ça n’est pas par l’exploitation, comment la bourgeoisie explique-t-elle les événements de Mai, Ferodo, Batignolles, les révoltes des paysans ou des viticulteurs?

Dans les usines, la lutte des classes on la traite concrètement, pas d’un point de vue théorique. On lutte concrètement contre l’0ppression.

Si les patrons veulent exploiter, il faut bien qu’ils oppriment parce que personne ne se laisse exploiter volontairement.

S’il n’y avait pas d’oppression, les ouvriers se révolteraient contre l’exploitation et briseraient tout.

C’est l’oppression qui maintient l’exploitation.

Mais oppression = révolte.

C’est un mécanisme permanent. Ce n’est pas contre le travail que se révolte l’ouvrier.

Le travail est libérateur.

Ce qui n’est pas libérateur, c’est l’oppression.

12 février 1971

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Enquête sur les maos en France: Geneviève (1971)

[Cette enquête date de 1971, juste après l’auto-dissolution de la Gauche Prolétarienne. Les membres de la GP voulaient s’éparpiller dans les masses pour contribuer à la naissance du Parti. L’enquête consiste en des interviews des membres de l’ex-GP, sur leur parcours, leur interprétation de la ligne de masse, sur comment fonctionnent les structures, etc.]

GENEVIEVE. – Je faisais partie d’une famille dévote. Surtout ma mère.

Certaine croyance m’est restée.

Quand j’étais petite, il y a eu comme un petit miracle. J’avais des verrues partout sur le visage, sur les mains, aux aisselles.

Ma mère m’a dit :  » Va dans une église que tu ne connais pas et mets de l’eau bénite sur tes verrues. « 

Je l’ai fait et quatre jours après mes verrues avaient disparu, sauf aux aisselles où j’avais oublié de mettre de l’eau bénite.

C’est bête mais c’est une cbose qui m’a marquée.

A ce moment-là, je voulais aller travailler dans une léproserie.

J’ai toujours voulu aller avec les plus malheureux mais je n’ai jamais voulu être religieuse. Maintenant, je ne vais plus à l’église.

A dix-huit ans, j’ai dit :  » Ça va bien les singeries. Je peux prier toute seule si je veux. « 

II y avait un défilé de curés chez nous mais je résistais.

Aujourd’hui, il m’arrive de prier comme ça :  » Mon Dieu, si vous existez, faites quelque chose. « 

J’ai fait baptiser mes enfants.

Ma fille a voulu faire sa communion.

Je l’ai laissée faire.

Les enfants choisiront, comprendront d’eux-mêmes.

Je veux les laisser faire.

J’envisageais la léproserie quand j’étais petite.

J’envisageais beaucoup de choses mais tout s’est passé le contraire de ce que j’imaginais, alors je n’imagine plus rien.

Oui, les curés me poussaient à aller à la messe mais je trouvais que ce que je vivais, c’était déjà une messe : c’était déjà la révolution avec ma mère.

Mon père est mort quand j’avais onze ans. Il était méchant mais j’étais sa préférée; lui, il était plutôt pour le communisme mais il ne faisait rien.

Il était très coléreux.

Ça nous rendait nerveux, mon frère et moi, et on avait des tics.

Pour nous guérir, mon père nous plantait devant la cuisinière, et le premier qui avait son tic, qui remuait l’œil ou l’épaule, recevait un coup de martinet. C’était un gros martinet à onze lanières. Il me semble qu’il aurait plutôt dû faire le contraire pour nous guérir.

Puis mon père, ma mère qui était trop petite pour nous attraper avec le martinet, a mis un manche à balai au bout.

A la maison, ce n’était pas la richesse mais on ne manquait de rien.

Jusqu’à la mort de mon père, j’ai eu une enfance heureuse. Après j’ai été chez les sœurs en semi-apprentissage.

Je travaillais et je préparais mon C.A.P. de dactylo mais je n’ai jamais voulu faire ce métier-là.

J’avais l’horreur des bureaux et des gens qui sont dedans.

Moi, je voulais être ouvrière, aller en usine.

Ma mère était déçue mais elle n’a rien dit : elle pensait que c’était quand même mieux que la léproserie !

J’avais un oncle qui faisait partie du conseil municipal dans une ville voisine.

Je trouvais que ce que faisait mon oncle était très beau : il s’occupait de la maison des jeunes, il s’occupait des cas sociaux, etc.

Il ne le racontait pas lui-même, il était trop modeste, mais on parlait de lui et quand je le voyais, une fois par an, vraiment je l’aimais.

Je ne pensais pas que je pourrais en faire autant.

Jusqu’à l’année dernière, j’ai voté Pompidou.

On était U.D.R. dans la famille. Je ne réfléchissais pas. Je faisais comme ma mère.

J’aimais le général de Gaulle parce que ma mère l’estimait. Maintenant, en sachant ce que je sais, je l’estime beaucoup moins.

A dix-huit ans, je suis sortie de chez les sœurs.

Ça ne se faisait pas dans ma famille, ce n’était pas respectable d’aller vivre dans un foyer. Alors j’ai tenu autant que j’ai pu chez ma mère.

J’ai épousé un gars que j’ai rencontré à l’usine, un gars que je connaissais à peine.

J’étais de ces filles qui pensaient qu’il ne faut rien faire avant le mariage.

Je ne savais rien, je n’avais jamais couché avec personne.

J’avais des principes que je trouve complètement idiots aujourd’hui. J

e ne mettrai pas des principes pareils dans la tête de mes enfants, ou si je le fais je mérite d’être pendue.

Évidemment, quand le gars et moi, on s’est connu dans le mariage, ça n’a pas marché.

Les filles maintenant ont raison d’essayer.

D’ailleurs, je pense que vivre ensemble, c’est mieux que le mariage, mais changer tout le temps ce n’est pas bon non plus si ça devient une routine.

Pour celles qui sont godiches comme moi, qu’elles essaient au moins avec leur fiancé.

Moi, je n’ai jamais réussi ma vie. Je n’ai pas honte de le dire.

Après mon divorce, j’ai connu un gars avec lequel je suis restée.

Celui-là vraiment, c’était mon idéal d’homme.

On s’accordait pour tout.

Je suis tombée enceinte et il a été tué dans un accident.

Ce gars-là, je ne l’oublierai jamais.

Je suis restée seule pendant deux ans avec mes trois enfants, et puis j’ai connu un jeune, un Espagnol qui voulait faire sa vie avec moi.

Mais il était trop jeune et j’avais déjà trois enfants.

Il a insisté.

Il revenait tout le temps.

Un jour, j’avais le cafard, je lui ai dit oui, mais je n’ai jamais voulu qu’il reste chez moi. Je n’aurais pas pu le garder tout le temps.

Je crois que j’aurai encore de la misère à ce qu’un homme reste chez moi.

L’Espagnol vient toujours me voir.

J’ai eu deux enfants avec lui.

Il s’est marié.

Sa femme le sait.

Il lui a dit :  » Cette femme-là ne veut pas de moi mais j’irai toujours la voir.  » Elle a accepté.

Elle aussi, elle voulait quitter sa famille.

Je n’ai pas voulu qu’il reconnaisse les enfants. Il ne me donne rien pour eux.

Ces enfants sont vraiment à moi, même s’ils l’appellent « Papa ».

Personne ne peut me les prendre tandis que les deux grands doivent aller chez leur père deux fois par mois, et je me demande toujours pourquoi.

Maintenant, je commence parfois, de nouveau, à avoir besoin d’affection.

Depuis que j’ai entamé la lutte, j’aimerais une compagnie à qui raconter tout ça.

L’Espagnol, quand je le vois, c’est le père de mes gosses, c’est tout, mais je ne peux pas lui parler, c’est un être égoïste et c’est ça qui ne me plaît pas.

Oui, c’est vrai, je ne sais pas ce qui se passe, j’ai de nouveau envie d’avoir quelqu’un avec moi.

Pas physiquement. Je suis une femme qui peut avoir des sentiments mais quand ça ne me dit rien, ça ne me dit rien.

Ça peut se faire une fois par an, tant pis.

Je suis plutôt difficile.

Mon docteur me dit que je suis plus maternelle que femme. Il a peut-être raison.

J’adore mes enfants et sans préférence pour l’un ou l’autre. On a trop souffert des préférences dans ma famille.

Ma sœur était détestée de mon père.

Elle lui ressemble pourtant.

Elle ne me donnerait pas un centime et pourtant elle est riche : elle fait les marchés en Normandie. D’ailleurs, je ne lui demanderai jamais rien. Pas si bête!

J’ai fait une erreur avec ma fille. Je l’ai trop prise pour une adulte.

Je lui ai raconté toutes mes peines, elle a tout partagé.

Maintenant, elle a onze ans et elle a déjà tout sur les épaules.

L’autre jour, je suis partie faire une action. Elle a pensé que je pourrais aller en prison.

Elle m’a dit :  » T’en fais pas, Maman, avec les petits, je me démerderai « , et c’est vrai, elle s’en occupe aussi bien que moi, même quand ils sont malades.

C’est elle qui les porte à la crèche quand moi je pars pour l’usine à quatre heures du matin.

Je fais un horaire de cinq heures-treize heures.

Je me lève à trois heures et je prépare un peu la maison avant de partir.

Ma fille porte les plus grands à l’école avant de s’y porter elle-même.

Ma fille est bonne pour les études mais elle a trop de choses à faire.

Je voudrais l’aider pour qu’elle arrive à être institutrice puisque c’est ce qu’elle souhaite.

Elle entre en sixième, cette année, mais, elle est trop mûre, cette petite, elle n’a jamais vécu son enfance. Ça me rend triste.

Mes enfants c’est tout pour moi.

Je n’ai pas voulu les deux derniers. J’ai pris la pilule mais il suffit d’oublier un jour pour que ça ne marche plus et c’est ce qui s’est passé.

Et puis, ça m’avait fait grossir de trente-cinq kilos et j’ai été obligée de m’arrêter. Lui, il est tellement égoïste qu’on ne peut pas lui demander de faire attention.

Je donne tout ce que j’ai aux enfants.

Si les voisines ne m’avaient pas habillée de force pour la communion, vraiment je n’aurais rien acheté pour moi.

Quand je travaille, je gagne bien. Enfin, pour la région.

Environ 800 francs par mois.

Mais avec les maternités, je ne travaille pas tout le temps. La préfecture me donne 280 francs.

J’ai les allocations et ma pension alimentaire de mon ex-mari. Il me donne 150 francs par mois pour ses deux gosses.

Avec ça, je suis encore presque la plus riche de la courrée. C’est moi qui donne ce que j’ai quand j’en ai.

On est aussi aidé pour la pharmacie. Ça ne me plaît pas de vivre comme ça.

Je n’aime pas la mendicité.

Parfois je suis obligée de m’arrêter de travailler parce que c’est trop dur pour ma fille.

Elle dépérit.

Alors je m’arrête pour sa santé, à elle.

Cette année, elle devra mettre les bouchées doubles à l’école.

Tout le monde va lui donner un coup de main. J’ai une amie institutrice qui va l’aider.

Moi aussi, je voudrais bien donner un coup de main, mais j’ai tout oublié. L’histoire ça ne m’intéresse pas.

C’est le présent qui m’intéresse.

Avant, j’habitais dans un H.L.M. J’avais déjà créé là une association de locataires qui marchait bien mais j’ai connu les femmes des courrées en allant porter mes enfants à l’école.

Elles me disaient :  » Comment fais-tu pour que tes gosses soient si propres? « 

On parlait et elles expliquaient :  » C’est parce que toi, dans ton H.L.M., t’as une salle de bains. « 

Je ne pouvais pas leur expliquer qu’on peut aussi bien laver les gosses dans une bassine, si moi, je ne les lavais pas dans une bassine.

Alors, j’ai demandé à mon propriétaire de me mettre dans une courrée.

Je voulais partager leurs conditions pour qu’elles ne puissent pas me dire que je n’avais pas le même point de vue parce que j’habitais un H.L.M.

Pour leur démontrer que les gens des courrées peuvent avoir leur fierté, il fallait que j’habite avec eux.

C’était un peu une folie parce qu’avec l’allocation logement, je payais 40 francs par mois de loyer dans le H.L.M. et dans la courrée, ça me revient à 110 francs par mois.

Mais j’étais consciente de ce que je faisais.

En créant cette association de locataires dans le H.L.M. pour faire face aux problèmes d’augmentations de loyers, de charges, etc., j’avais pris conscience que je pouvais apporter quelque chose aux gens.

Sans faire partie de quoi que ce soit, j’ai toujours aimé m’occuper des gens.

e pense qu’on peut toujours faire quelque chose. Dans le H.L.M., j’ai fait quelque chose mais à partir du moment où on pouvait me remplacer, continuer sans moi, je pouvais m’en aller.

J’ai donc déménagé dans la courrée et je ne partirai pas de là tant que toutes les femmes de la courrée n’auront pas été relogées.

On est quatorze familles.

C’est la plus grande courrée et la plus belle.

Avec un jardin derrière où. on a mis un bac de sable pour les enfants. Je suis devenue administrateur à l’A.P.F. (Association populaire familiale).

On a demandé un water par famille avec une baraque pour le charbon.

Donc, devant chez nous, maintenant, on a tout ça. Dans les autres courrées, il y a un seul water, un trou pour tout le monde.

Généralement, il y a deux maisons d’un côté, deux maisons de l’autre.

Au milieu de vieux pavés et pour arriver de la rue, on passe par un long couloir noir, si étroit que l’on touche les murs si on est un peu gros.

C’est le genre taudis, quoi!

Chez moi aussi, c’est le genre taudis mais on a la chance d’arranger.

Beaucoup d’ouvriers ne peuvent pas arranger. Quand ils emménagent, ils disent :  » Bon, il y a ça à faire, et ça et ça.  » Et dix ans après, c’est toujours pareil. J’habite ma courrée depuis deux ans et demi.

Au début, j’ai été mal accueillie.

Les gens croyaient que je venais là parce que j’avais été expulsée du H.L.M.

Ils ne pouvaient pas comprendre que c’était volontaire.

Je ne pouvais pas leur dire que je venais pour leur prouver quelque chose.

Je leur disais que je venais parce que j’étais plus à l’aise avec eux.

Ils ont fini par le digérer.
J’ai compris qu’ils m’avaient adoptée quand j’ai eu mes malaises cardiaques. J’étais bobineuse et je suis tombée en syncope, pour la première fois devant ma machine.

A l’usine, ils ont fait venir mon docteur, ils m’ont raccompagnée chez moi, et là toute la courrée est venue pour m’aider.

Chacun faisant pour moi un petit travail, ou s’occupant d’un de mes gosses.

Dans la courrée, on ne s’aide pas financièrement parce qu’on ne peut pas.

La semaine dernière, j’ai prêté cinquante francs et ça y est, je n’en ai plus.

J’ai tort, je devrais penser à mes gosses. D’ailleurs, ma fille, elle se fâche; elle ne peut plus supporter ça.

C’est la cause de nos bagarres. J

e ne voudrais pas qu’elle reste comme elle est maintenant : pas prêteuse.

Elle est arrivée à ce point-là : elle ne veut pas donner.

Elle dit :  » On a assez de misère. Toi, tu ne dois pas donner. « 

La misère a commencé avec mon mari. Lui, il ne voyait que la voiture. On devait tout payer pour sa mère.

Moi, je n’avais jamais rien. Pourtant on travaillait tous les deux.

L’histoire de Yamina ry’a pas arrangé les choses avec ma fille. Ça a commencé au mois de mars cette année.

Quinze jours avant, j’avais été faire un rapport pour l’A.P.F. On nous demandait un prix excessif pour l’eau, plus une augmentation de loyer de 40 à 70 francs, inacceptable.

On a décidé d’écrire à Vivien, le ministre du Logement, qui est, une fois, descendu dans une courrée voisine.

Notre propriétaire, c’est le P.A.C. (Propagande et Action Contre le Taudis).

On lui a envoyé notre pétition, ainsi qu’au préfet.

C’est en faisant la pétition que j’ai connu Yamina et que je lui ai dit ma qualité de responsable vis-à-vis de l’A.P.F., en tant que femme seule, chef de famille.

Quinze jours après, elle s’amène chez moi avec sa convocation de la police pour procédure d’expulsion.

J’appelle la responsable au-dessus de moi à l’A.P.F., Anne-Marie, qui est mon amie et on se dit :  » II faut faire quelque chose. « 

Oui, mais quoi?

On pense qu’il existe le Secours Rouge pour des affaires comme ça.

J’avais connu le Secours Rouge, un mois avant, quand on avait occupé l’O.R.C.U.S.O.M., la grosse tête de tous les H.L.M. et autres habitations.

L’O.R.C.U.S.O.M. voulait démolir les courrées même quand il y avait des gens, des vieux dedans.

L’O.R.C.U.S.O.M. soutenait aux journalistes que les gens étaient relogés mais ce n’était pas vrai.

Donc, on a montré des preuves flagrantes.

Et même une femme a dû être conduite à l’hôpital parce qu’on donnait des coups de pioche dans ses murs, autour d’elle, et qu’elle croyait devenir folle.

Une fois aussi, on s’est mis devant les pelles des ouvriers pour interrompre les travaux.

On ne voulait plus que ça continue. C’était trop dégueulasse.

Quand on a occupé, il y avait une fille du Secours Rouge qui était restée avec nous.

On n’avait pas occupé longtemps parce que le soir même, on avait gagné sur toute la ligne.

Tous les gens des courrées étaient descendus pour occuper.

Il y avait même des vieux de quatre-vingt-dix ans.

Pour Yamina on se dit :  » L’A.P.F. ne marchera pas.

On sait. On connaît les faiblesses de notre organisation.

On va faire appel au Secours Rouge. « 

C’est ce qu’on a fait, et on a commencé la mobilisation pour Yamina, c’est-à-dire qu’on restait nuit et jour chez elle pour empêcher qu’on vienne la chercher.

On a été appelés au conseil de discipline de l’A.P.F. On a fait un meeting dans la courrée.

Il y a eu onze cars de flics et quatre cars de C.R.S. avec leurs petits tamis sur la figure et leurs matraques.

Tout le quartier était cerné.

Aucun Algérien n’avait le droit d’entrer.

Après, on a planqué Yamina. On croyait qu’on allait venir la chercher.

Elle avait huit jours pour quitter la France.

C’est là que j’ai commencé à comprendre, à ouvrir les yeux. Ça a été brusque, comme si je me réveillais brusquement, le jour où Yamina est venue, où on est allés aux flics avec elle.

On était cinq à l’accompagner pour répondre à sa convocation.

Quatre personnes et un homme qui lui servait d’interprète.

Elle comprend le français mais elle faisait comme si elle ne comprenait pas.

On lui a signifié son expulsion mais nous on lui a dit de ne pas signer le procès-verbal.

A la façon dont les flics insistaient, à voir comme ils lui parlaient, j’ai été vraiment troublée.

Avant, pour moi, la police, c’était sacré. Je disais :  » Quand ils arrêtent quelqu’un, c’est parce qu’il l’a mérité. « 

Or, j’ai vu leurs façons avec Yamina, et même la façon avec nous :  » De quoi vous vous mêlez, saloperies.

Si vous vous mettez à défendre les bicots, c’est que vous vous sentez bicots aussi. « 

Et pourquoi voulait-on expulser Yamina?

Parce que son mari était mort dans une crise d’ivresse. Il était tombé par terre, comme ça lui arrivait tout le temps puisqu’il buvait beaucoup.

Yamina l’a laissé dormir par terre comme d’habitude mais, ce soir-là, il était tombé mort.

Yamina a été accusée de non-assistance à personne en danger et expulsée pour ça.

La courrée était indignée et le comité de défense s’est fait tout de suite.

Quand on occupait chez Yamina, un autre Algérien nous a fait parvenir son nom et son adresse sur un papier, mais on n’a pas compris qu’il demandait de l’aide, qu’il était aussi expulsé. Il n’avait pas su nous l’écrire.

On croyait au contraire que c’était un gars content qui voulait nous encourager comme ça, en nous donnant son nom.

Quand on a compris, il avait déjà signé son procès-verbal.

On l’a quand même caché.

Mais un jour, un journaliste qui était avec nous, un type très bien, celui-là, qui a même eu des ennuis pour ce qu’il avait écrit, est venu nous dire qu’il avait parlé avec les flics et qu’ils avaient assuré qu’ils ne prendraient pas Abd el-Kader.

On l’a cru.

On a arrêté la mobilisation, et le lendemain quatre cars de flics sont venus le chercher à six heures du matin.

Quand on l’a su, deux cents personnes, les immigrés en tête, se sont immédiatement remobilisées sur la grande place et voulaient attaquer le commissariat.

Mais, comme on n’était pas assez de Français pour protéger les immigrés, ils auraient été expulsés sur-le-champ, on a décidé de ne pas le faire.

C’aurait été une connerie d’attaquer dans ces conditions-là mais il aurait fallu faire un ce sit-in  » ou quelque chose comme ça. Là, on a été pris au dépourvu. Après, il y a eu l’histoire d’Ahmed. Son contremaître lui a planté un coupe-papier dans la main.

Il a été hospitalisé après avoir été tabassé par trois contremaîtres.

On l’a mis en prison.

A son procès, on était venus en masse. Le contremaître s’est sauvé tellement il avait peur qu’on le tue. Quand Yamina est passée devant la commission, puisqu’on avait obtenu que le tribunal juge l’affaire, on était tous venus et, sans mentir, il y avait bien quarante cars de C.R.S. devant le palais de justice.

A l’intérieur, c’était bourré de flics aussi.

D’ailleurs, ils ont arrêté une paire de gars ce jour-là : deux maos qu’ils ont piqués en plein tribunal sous prétexte d’enquête judiciaire et auxquels ils ont fait la grosse tête.

Ils les ont relâchés le lendemain.
C’était une mobilisation jour et nuit chez moi.

Les immigrés et les militants s’installaient chez moi sans me demander, pour dormir et tout.

Je ne pouvais plus supporter d’avoir tout ce monde chez moi.

J’avais aussi les flics, des inspecteurs en civil, qui passaient deux fois par jour.

On avait aussi caché des tracts chez moi sans me le dire.

Je devais fouiller, surveiller dans tous les coins parce qu’une perquisition, c’est vite fait et je risquais gros.

Je ne crois pas que ce soient les maos qui ont fait cette erreur-là mais je n’en pouvais plus.

J’ai craqué. J

e suis partie avec mes gosses, sous la tente au bord de la mer.

C’est un médecin du Secours Rouge qui nous a emmenés en auto.

On a tenu cinq jours avec trente francs, en mangeant des tartines.

C’était bon.
Je me suis aperçue que j’avais vraiment changé, cette année, au moment des élections municipales.

Là, pour la première fois de ma vie, j’ai vraiment pris les bulletins.

Je les ai regardés avec attention pour voir ce que chacun pouvait rapporter et je me suis dit :  » Ce qui se rapproche le plus de mes idées, c’est le P.S.U. « 

Pour la première fois, je n’ai pas voté U.D.R., j’ai voté P.S.U.

Et puis j’ai fait un retour en arrière, je me suis dit :  » Si j’ai dû tellement lutter pour une simple association de locataires, pour Yamina, pour la justice quoi, ça prouve qu’il n’y a pas de justice « , et je devenais consciente que ce que j’avais fait, ce n’était plus avec des idées de droite.

Je me découvrais. Involontairement j’avais lutté pour quelque
chose qui était de la gauche alors que je croyais que j’étais de la droite.

C’est insensé, je pouvais plus me dire que j’étais gaulliste, quand j’ai découvert ça, j’ai découvert un but.

Tout devenait plus facile.

Quand je pense à ce que j’ai dû faire rigoler quand je disais que j’étais gaulliste.

Je ne savais vraiment pas que lorsqu’on lutte contre une injustice, on lutte contre le gouvernement.

Faut vraiment que je sois bête.

Je n’ai jamais aimé la classe bourgeoise. Franchement, je ne l’aime pas mais, avant, je pensais :  » II faut des riches, il faut des pauvres. « 

Parfois, je disais une phrase :  » Si on était tous pareils, ça n’arriverait pas « , mais je ne souhaitais même pas qu’on soit tous sur un pied d’égalité.

Je ne prenais pas vraiment conscience.

Maintenant que j’ai tourné ce film [voire note à la fin], je suis encore plus forte dans mon changement. J

e veux que tout change autour de moi.

Même ma maison, je la vois autrement.

Dans la cuisine, dès que je suis rentrée, j’ai changé le papier.

Avant, j’aimais le papier très romantique, des rosés, etc.

Ce que j’ai choisi, cette fois, je jure que jamais je ne l’aurais choisi.

C’est très voyant, très à la mode, avec le plafond très voyant!

On dirait que je parle comme une gamine mais c’est très important.

Je me suis découverte et j’ai la volonté que tout autour de moi, ça se sente.

Avant, c’était désastreux, je ne savais pas que je pouvais apporter quelque chose.

Je le faisais sans savoir. J’étais généreuse de nature, bon, allez-y.

Maintenant, je sais que si je n’apporte rien aux gens, je dois arrêter et trouver autre chose. J

e suis consciente que j’ai une lutte à mener et ça me rend très heureuse. Je regrette seulement de l’avoir découvert si tard.

Je ne vais pas lutter pour trente-six choses.

Je vais continuer à lutter pour les femmes de ma courrée.

Je vais garder mes responsabilités à l’A.P.F.

Il y a beaucoup de choses à changer dans une association pour que la base s’exprime en face des grosses têtes car il y a toujours des grosses têtes.

Il faut arriver à supprimer tout ça, à faire entrer de plus en plus de femmes et d’hommes de la base pour assommer les grosses têtes.

Je continue aussi à m’occuper des immigrés mais je ne vais pas, par exemple, m’occuper des jeunes. Je dois choisir mes responsabilités.

Déjà, il y a assez de gens qui recommencent à dénier chez moi.

C’est ce que je supporte le plus mal. Je n’ai pas de mari. Mes enfants voient leur père occasionnellement et je dois sauvegarder un peu de famille.

Je veux que tout change mais ça aussi doit changer.

Je ne veux plus être la mère de tout le monde.

e préfère faire une action efficace à long terme que de recevoir jusqu’à cinquante personnes par jour, au milieu de mes enfants.

Mon dernier a dix mois.

Je ne veux pas me retrouver en taule pour rien, parce que je n’aurais pas raisonné.
Je fais une différence entre le Secours Rouge et les maos.

J’aime beaucoup les maos mais je n’aime pas le nom de maos.

Je trouve idiot qu’on se serve de ce nom-là.

Mao est très bien, c’est vrai, mais sa révolution vaut pour les Chinois.

Laissons Mao aux Chinois.

Il y a bien quelqu’un chez nous avec un nom de chez nous pour faire notre révolution à nous.

On doit inventer pour les Français.

On n’est pas des Chinois.

Les gens de ma courrée n’acceptent pas les maos parce que, pour eux, c’est chinois; pourtant si ce que l’on m’a expliqué du maoïsme est juste, nous sommes tous maos.

Nous sommes tous en révolte et en lutte contre l’égoïsme.

Le maoïsme, c’est largement ouvert.

Il y a des maos qui font des erreurs.

Simone, la fille qui luttait avec nous pour les immigrés, s’est imaginé que le comité de défense des femmes de la courrée n’aurait pas d’idées, que c’était un comité composé de femmes sans instruction.

Elle a voulu être un peu meneuse.

Je crois que ce n’est pas une bonne mao parce qu’elle ne mène pas une vie normale.

Elle ne travaille pas en usine, elle n’a rien à s’occuper ou à nettoyer; elle dort chez l’un, chez l’autre.

Donc elle a des idées très fausses et elle ne connaissait pas les femmes de la courrée.

Elle ne savait pas qu’on avait déjà lutté ensemble avec l’A.P.F., que justement on avait des idées.

Elle voulait nous conduire un peu n’importe comment et n’importe où; même dans les manifestations, elle disait n’importe quoi.

Et les femmes n’acceptaient pas.

Les décisions devaient être prises par le comité de défense et non par Simone qui aurait dû s’effacer.

Si on l’avait écoutée, on aurait foncé dans le commissariat pour Abd el-Kader.

Elle ne voyait pas que c’était le massacre pour tous les immigrés.

On ne lui reproche pas tellement de vouloir donner des ordres mais de donner des ordres faux.

Dans la courrée, elle est encore acceptée comme fille mais comme mao, non.

On dit :  » Si les maos, c’est comme Simone on n’en veut pas. « 

Les femmes de la courrée ont sept, cinq, huit enfants. C’est énorme.

Si on n’avait pas su s’y prendre, on serait toutes en taule, ça c’est sûr. On ne peut pas beaucoup se permettre d’aller en taule.

S’il faut y aller, on ira, mais on veut pouvoir juger si ça vaut le coup.

Les autres maos ne sont d’ailleurs pas d’accord avec Simone mais elle n’a rien compris, elle recommence les mêmes erreurs.

Ici, le maoïsme n’a pas bien pris parce que, justement, on n’a pas assez respecté les idées des gens.

On n’a pas été assez ouvert.

On m’a dit que le maoïsme c’était le parti communiste en mieux, que c’était lutter pour la justice mais en tapant plus fort que les organisations.

Le parti communiste français c’est s’écraser la tête l’un de l’autre, ça ne me plaît pas mais si on veut faire un parti communiste chinois, on n’y arrivera pas non plus.

Parfois, les maos font du bon boulot.

Mais quelle idée de s’appeler mao, vraiment ça m’énerve ce mot-là.

Je suis mao puisque je lutte pour la justice, mais dans l’état actuel je ne veux pas qu’on me prenne pour une militante maoïste.

Je ne suis même pas militante du tout.

Pour être militant, il faut avoir à faire quelque chose, avoir prouvé la solidité de sa personne.

Or, je ne suis pas solide et je n’ai pas fait grand-chose. Pas encore.

Je suis au début.

Je me découvre.

Est-ce que dans un an je serai pareille? Même pour moi, je dois me prouver des choses.

J’y tiens beaucoup.

Quand j’ai participé au film, on m’a fait venir en tant qu’ouvrière, pas en tant que militante.

On m’a payée et je suis venue pour l’argent.

Je ne voulais pas faire ce film, et après avoir lu le premier scénario je n’en sentais toujours pas le besoin.

C’est vraiment le fric qui m’a poussée.

Maintenant, même si on ne m’avait pas payée, je l’aurais fait gratuitement.

C’est là, que j’ai fini de me découvrir, parce que c’est après le film que j’ai senti le besoin de tout changer. J’ai connu des gens que je ne connaissais pas.

Je pensais qu’un metteur en scène, c’était quelqu’un qu’on n’approche pas, vraiment le bourgeois.

Quand j’ai vu Marin, je suis tombée des nues.

Même par son amitié, il m’a apporté un changement dans ce que je croyais du monde.

Je voyais que les intellectuels pouvaient aller avec le peuple. Peut-être que les intellectuels écriront pour la révolution.

Je ne sais pas si ce sera autre chose que l’appel du 18 Juin; il y en a un qui fait l’appel, mais c’est le peuple qui se mouille.

Je ne crois pas que les intellectuels seront en tête de la révolution, ni qu’ils feront le gros boulot, mais je ne les méprise pas, on en a besoin.

J’ai aussi beaucoup appris des ouvrières d’Elbeuf. Il y en avait une de soixante-neuf ans.

Je ne sais pas si elle a conscience de ce qu’elle fait mais j’aurais voulu que ma mère lui ressemble.

C’est une femme qui a fait cinquante ans d’usine, qui a fait les grèves de 36 et tout, et qui n’est pas découragée, qui veut toujours lutter, qui peut parler de tout avec les jeunes.

Sur le film, beaucoup de filles ont pris conscience en même temps.

Elles n’étaient pas les mêmes au début et à la fin du film.

Maintenant, s’il arrive quelque chose dans leur usine, on sent qu’elles seront les premières à débrayer, alors qu’avant elles auraient traîné ou même refusé.

Ginette, celle qui joue la déléguée syndicale dans le film, n’avait jamais connu de grève.

Maintenant, je crois qu’elle est prête à séquestrer un patron.

J’ai trouvé plus qu’une famille, j’ai vu des gens qui évoluaient comme moi, en même temps que moi. Ça m’a donné confiance.

Je n’étais pas seule avec des idées folles. Si j’étais timbrée, on était, au moins, beaucoup de timbrés, dans le même mouvement.

Je ne veux pas m’inscrire à un parti politique parce que ça prend trop de temps et que je n’en ai pas beaucoup. La semaine prochaine, je reprends mon travail à l’usine et je continue ma lutte.

J’aimerais en savoir plus sur le maoïsme mais je ne veux pas lire du chinois.

Je n’ai d’ailleurs pas le temps.

De plus en plus, je demanderai des explications.

Je finirai bien par en savoir davantage.

Des fois, j’ai l’air bête.

Je ne suis pas au courant.

L’air bête ce n’est rien, c’est l’ignorance.

Tant que mes enfants ne seront pas plus grands, je ne ferai pas plus que ce que je fais.

Si je dois aller en prison, je perdrais mes gosses, mais j’ai pris mes responsabilités.

Ma fille pleure.

On en a parlé toutes les deux.

Elle sait que j’ai déjà pris des coups de matraque et que j’ai eu une crise cardiaque chez les flics.

Ça m’était arrivé parce que les gens du Secours Rouge étaient coincés par les flics, que j’ai voulu aller les prévenir à bicyclette mais ils se sont fait tabasser.

Quand j’ai vu ça, le cœur m’a manqué et je me suis retrouvée tabassée aussi.

Il n’y avait pas de docteur, je croyais que j’allais crever dans le commissariat, alors les flics ont eu peur et ont appelé les bonnes sœurs qui ont exigé que l’on me ramène chez moi.

On m’a reconvoquée, interrogée pendant trois heures.

On m’a posé plein de questions sur les cocktails Molotov.

Je leur ai dit que j’étais contre les cocktails Molotov.

C’est vrai d’ailleurs, c’est idiot.

Comme un cocktail avait été lancé sur le commissariat, ils voulaient savoir si ce n’était pas le comité de défense qui l’avait lancé.

J’ai dit :  » Enfin, est-ce que vous imaginez des mères de familles nombreuses, en train de lancer des cocktails? « 

J’étais prête à dire que je n’étais pas pour les cocktails mais pour les vraies bombes, mais je ne l’ai quand même pas dit.

Ils ne m’insultaient pas. Ils insultaient les maos, et moi, bonne fille, je disais :  » Mais, qu’est-ce que c’est les maos? « 

Ils répondaient :  » Ce sont ceux qui veulent mettre les petits Chinois en France. « 

Ils ne riaient pas. Ils étaient en colère mais c’est bête parce qu’à cause de ce nom de mao, beaucoup de Français parlent comme les flics.

Ils me demandaient si je connaissais celui-là ou celui-ci, en me montrant des photos, mais j’avais pris mes cinq gosses avec moi et tout le comité de défense m’attendait dehors.

Quand ils ont vu toutes les mères et tous les gosses qui restaient dehors, ils ont décidé de me renvoyer. Ils m’ont même ramenée en 4 L.

Après, les inspecteurs sont revenus. Il y en a même un qui est venu, tout seul, l’après-midi.

Un beau garçon qui avait, soi-disant, oublié sa serviette.

Quand il a vu que j’étais seule, il a fermé la porte d’entrée et il m’a demandé si je voulais pas marcher avec lui, que je lui plaisais, etc.

Les renseignements, il les voulait sur l’oreiller.

Génial, ce mec-là. J’ai bien ri mais je ne lui ai pas fait voir que j’avais compris son système.

Même en vacances, sous la tente, j’ai vu que j’étais surveillée, même par les gendarmes.

Je me demande ce qu’ils vont dire, les flics, quand ils vont savoir que j’ai tourné ce film.

Qu’est-ce qui m’attend? Le plus dur, pour moi, ce serait mes gosses.

Vraiment, sans eux, ça me serait égal d’aller en taule, je me lancerais dans la lutte comme une enragée.

Non pas comme une enragée, comme quelqu’un qui réfléchit.

Mais pour l’instant mon dernier ne marche pas encore.

Je dois continuer avec le comité des mères de famille.

Ça met déjà bien les flics en colère, mais les curés sont très bons avec nous.

Si la définition qu’on m’a donnée est juste, si tous ceux qui se rebellent sont des maos, alors les curés, chez nous, ce sont aussi des maos.

Je verrai bien un jour si ça veut dire plus que ça.

30 août 1971.

[En juin et juillet 1971, Geneviève a tourné dans un film dirigé par Marin Karmitz, Jacques Kebadian et Patrice Cabova,  » Coup pour coup « .

Ce film, l’histoire d’une grève de femmes dans une usine de textiles, a été conçu et joué par une cinquantaine d’ouvrières, recrutées au bureau de chômage d’Elbeuf et dans diverses usines de France.]

=>Retour au dossier sur la Gauche Prolétarienne

Enquête sur les maos en France: Fernand (1971)

[Cette enquête date de 1971, juste après l’auto-dissolution de la Gauche Prolétarienne. Les membres de la GP voulaient s’éparpiller dans les masses pour contribuer à la naissance du Parti. L’enquête consiste en des interviews des membres de l’ex-GP, sur leur parcours, leur interprétation de la ligne de masse, sur comment fonctionnent les structures, etc.]

FERNAND. – Je suis né ici, dans cette pièce où nous sommes. Mon père et mon grand-père étaient là avant moi, mais eux, à ce que j’en sais, ils ne se faisaient pas de mauvais sang.

Ils n’étaient pas endettés.

Au contraire, mes parents avaient même de l’argent placé.

Ils avaient même de l’argent dans la théière.

Ils vivaient avec moitié moins de capital.

Ils avaient moins de matériel.

Un vieux tracteur, et ça allait. Avant la guerre ce n’était pas comme maintenant, la concentration capitaliste n’était pas aussi poussée. Cette année, je vais faire mille quintaux de céréales.

Eux, ils en faisaient une centaine et ils gagnaient plus.

On vendait tout facilement.

On vendait n’importe quel produit.

Enfin, pas tellement, je me rappelle en 38, ils avaient deux ans de blé dans le grenier.

Ils n’arrivaient pas à le vendre, mais comme ils n’étaient pas endettés ça allait quand même…

Aujourd’hui ceux qui peuvent ne pas emprunter, ils ne sont pas malheureux.

Mais il faut pouvoir payer toutes les charges fixes, toutes ces dépenses qu’on ne peut pas supprimer.

La protection sociale, j’en ai pour trois cents billets.

Qu’est-ce qu’on peut y faire? Le progrès c’est le progrès!

On consomme plus de services qu’avant, et le médecin et le vétérinaire, avant, ils ne vivaient pas mieux que nous.

Le médecin de Saint-M., je le connaissais bien.

Toute sa vie il a eu une traction, et puis à la fin de sa vie il a acheté une petite baraque avec trois, quatre hectares. Tandis que le médecin, aujourd’hui, il a deux voitures, un bateau à voiles et tout le bazar.

Alors quand il va chez l’ouvrier agricole, pour une angine, c’est 2 700 balles!

Il y a maintenant des gens qui gagnent trop d’argent et d’autres pas assez.

Le vétérinaire, c’est la même chose.

Il n’achetait pas des prés, des maisons.

Celui qui s’est installé ici, au moment de la guerre d’Algérie, il a déjà acheté cinq maisons.

L’année dernière, je n’ai pas eu une seule vache malade et je lui devais 250 000 francs.

Cette année, pour six mois, je lui dois déjà 370 000 francs et je n’ai pas eu de vrai pépin.

J’ai 47 ou 50 bêtes, veaux, vaches, tout compris.

La ferme a 53 hectares. Je fais 26 hectares en céréales, le reste en prés. Mon père faisait 10 hectares en céréales, ça lui suffisait.

Pour la viande, il n’y avait pas de coopérative, maintenant il y en a une mais le prix de la viande n’est jamais garanti.

Cette année, c’est trente centimes de moins que l’année dernière.

C’est un marché difficile, la viande. Tout le monde est en difficulté.

Ceux qui administrent les S.I.C.A.V. essayent d’éponger leur déficit.

C’est nous qui faisons les frais. Peut-être que le bifteck monte chez le boucher, mais ici on a vendu trente centimes de moins. Le blé au contraire a augmenté.

Il est à cinquante balles.

Mais, c’est un risque de ne plus faire de viande.

S’il pleut toute l’année et qu’on ne ramasse pas beaucoup de céréales…

Et puis, pour le Crédit agricole, les vaches c’est une garantie.

On peut emprunter sur les vaches, sinon ils ne dorment pas tranquilles.

Quand j’ai pris la place de mon père, je n’avais rien.

Son vieux tracteur, deux juments, ça faisait peut-être cinq cent mille balles. Maintenant, qu’est-ce que j’ai? Sept enfants et des dettes.

Et encore mon loyer n’est pas cher : 850 000 par an, mais aussi ce n’est pas une bonne ferme.

La terre est moins bonne qu’ailleurs. Le propriétaire vient de temps en temps.

J’avais fait un séchoir à maïs. Il me l’a fait enlever.

Sous prétexte que ça gênait dans le paysage, même s’il n’est pas là.

J’ai labouré des prés, je n’avais pas le droit. On n’a le droit de rien. Peut-être qu’à la fin de ma vie, j’aurais payé l’emprunt au Crédit agricole, alors les vaches seront à moi.

Ici les paysans ne quittent pas la terre autant que dans d’autres régions, parce que les superficies sont plus grandes.

Les fermes en dessous de vingt hectares sont rares.

On est au-dessus de la moyenne nationale question superficie. Mes enfants,m’aident mais on n’oserait pas leur demander de rester à la ferme.

Ce serait comme vouloir les jeter dans un goufre, dans un précipice.

Mais que mon fils qui veut être comptable aille compter des billets dans une banque ou qu’il conduise un tracteur, pour moi, c’est pareil.

Non, j’aime encore mieux garder la terre que d’être enfermé dans une banque.

Enfin, si ça lui plaît, il peut y aller, je m’en fiche, moi, j’irai pas.

J’ai été en classe jusqu’à douze ans. Mes enfants peuvent bien y aller jusqu’à dix-huit ans, c’est un attrape-nigaud, ça ne leur sert à rien. Ils n’apprennent rien de plus.

Ça leur sert juste à les dégoûter de travailler la terre.

Comme malheureusement tout le monde ne sera pas intellectuel en sortant du lycée, lorsqu’il faudra que les gens prennent un manche, ils trouveront ça mauvais.

Moi ça ne m’a guère gêné de m’arrêter à douze ans. J’avais des complexes, au début quand j’étais dans les organisations syndicales, mais après je n’en avais plus parce que je voyais que j’en savais autant que les autres. Il y a des trucs que j’ai pas appris mais ça ne me gêne pas beaucoup.

Mon père ne faisait pas de politique.

Mon grand-père, lui, était d’extrême-droite.

Il était militariste, raciste, antisémite, tout quoi!

Moi, la politique, ça m’a toujours intéressé.

A la guerre d’Espagne, j’avais une dizaine d’années.

J’allais chercher le journal pour mon grand-père et pour un voisin.

Tous les deux ne prenaient pas le même journal et je voyais que sur les deux journaux ce n’était pas pareil : sur le journal de mon grand-père, on parlait des  » rouges « .

Sur l’autre journal, des  » républicains « .

Je trouvais que c’était bizarre.

On ne peut pas dire que mon père soit de gauche. Il ne s’est jamais mouillé.

Il serait plutôt du genre anarchiste. Il ne pense pas que le communisme puisse s’installer.

Ça arriverait, il serait peut-être content mais ça ne l’empêche pas de dormir!

Après la guerre, je lisais tous les journaux qui me tombaient sous la main et je trouvais qu’il y en avait qui déconnaient moins que d’autres.

J’ai adhéré au M.R.P. en 1951.

J’allais aux meetings de Maurice Schumann quand il venait par ici.

Ça nie plaisait : l’alliance avec le parti communiste et avec les catholiques, c’était l’idéal.

Je trouvais que le tripartisme était un progrès puisqu’au lieu de s’engueuler on voulait la paix.

Comme j’allais à la messe, ça m’arrangeait, je me disais que c’était un peu plus intelligent qu’avant.

J’ai quitté le M.R.P. parce qu’une expérience pour moi,
elle réussit ou elle échoue.

Si elle échoue, il faut tirer des conclusions.

Le M.R.P. a échoué parce qu’il n’a pas pu empêcher de Gaulle de reprendre le pouvoir.

Jusqu’à la construction européenne, on ne pouvait pas encore parler d’échec mais après, si.

Quand le M.R.P. s’est dissous pour être récupéré par Lecanuet, alors là, je n’étais plus d’accord. D’ailleurs, je n’ai pas quitté le M.R.P., c’est lui qui m’a quitté. Il n’existait plus.

A ce moment-là, j’étais au C.N.J.A. [Centre National des Jeunes Agriculteurs], à la fédération des exploitants. Au C.N.J.A., les trois quarts des types étaient M.R.P. et le quatrième quart était de droite.

J’y suis resté de 56 à 63 environ. Ce n’était pas comme aujourd’hui.

Quand Debatisse a pris le pouvoir, il représentait la gauche.

Nous étions la gauche. En 57, il a eu à peine 50 % des voix, et c’est seulement en 58 que nous avons été vraiment majoritaires et que nous avons liquidé les autres.

Debatisse a été tranquille, pour se battre sur le contrôle des sols, l’organisation des marchés, des trucs qui ne veulent plus rien dire aujourd’hui.

Puis il s’est rallié au régime, il croyait à Debré, à sa loi d’orientation.

Moi j’avais peine à y croire.

Je n’étais d’ailleurs pas objectif; j’étais d’avance antigaulliste alors que lui n’avait pas de préjugé.

Je ne pouvais pas digérer la prise de pouvoir en 58.

De Gaulle ne devait pas prendre le pouvoir comme ça.

C’est inacceptable.

D’ailleurs, je n’ai jamais accepté qu’on dise autant de mal de la IVe.

Les paysans devraient se souvenir que la IVe République, par rapport à avant 44, c’était vraiment une libération.

44 c’était aussi important que 36, d’après ce qu’on en sait, parce que 36, je ne m’en souviens pas.

Au lieu que ce soient les seigneurs qui commandent, pendant un petit temps, ce n’était quand même plus eux.

Ça a duré trois, quatre ans seulement, mais ça n’empêche pas qu’en 58, il fallait continuer à défendre la IVe République.

J’étais contre de Gaulle parce qu’il n’a pas cessé de faire la guerre à la République.

Ça aurait été n’importe quel autre citoyen, il se serait retrouvé en taule tout de suite.

Républicain, moi, maintenant c’est autre chose. Je ne le suis peut-être plus de la même façon.

Je ne sais pas mais la République populaire de Chine, ça fait longtemps que pour moi c’est un modèle de démocratie.

J’étais vice-président du C.N.J.A.

En 64, j’ai été élu président de la F.N.S.E.A. [Fédération Nationale des SYndicats d’Exploitants Agricoles] de la Nièvre, pour la section des fermiers et métayers.

Entre C.N.J.A. et F.N.S.E.A., la différence est seulement une question d’âge : il y a les vieux et les moins vieux.

Le C.N.J.A. a toujours paru progressiste parce qu’il n’y a pas de vieux : après trente-cinq ans on est éliminé.

Mais il n’y a pas non plus de révolutionnaires parce que dès qu’il se crée une majorité sur des conceptions vraiment nouvelles, ça dégage : tous les deux ans, il y a un groupe qui s’en va.

Alors il se refait une opposition parce que la même structure reproduit toujours le même phénomène.

Les dirigeants du C.N.J.A. sont liés au régime.

Le C.N.J.A. c’est une institution et c’est pour ça que je ne me suis jamais fait d’illusions sur les possibilités d’action.

A la F.N.S.E.A., il n’y aura jamais non plus de majorité progressiste.

Les sections les plus riches, celles qui ont le plus de moyens financiers, arrivent à se défendre mieux grâce aux associations de producteurs, voyant cela, les petits exploitants pauvres laissent tomber, ne payent même pas leur cotisation et perdent ainsi tout espoir d’être majoritaires.

Dans l’Ouest c’est différent mais exceptionnel.

Les petits paysans sont nombreux et ils ont l’impression qu’ils peuvent encore peser sur la F.N.S.E.A. même s’ils ont peu de résultats.

Seulement ils vont bien s’apercevoir un jour que ça ne les mène nulle part.

Enfin, j’espère qu’ils s’en apercevront.
Si au lieu d’avoir un seul syndicat, on en avait deux, ce serait déjà mieux.

Il y aurait les ce gros  » dans leur propre syndicat et les  » petits  » dans le leur.

Je ne m’explique pas pourquoi ça ne s’est jamais fait. Il y a eu des essais mais ça n’a jamais marché. Les paysans ont souvent peur.

C’est leur principal réflexe.

Dans les régions où il y a des petits propriétaires, comme en Bretagne, ils se sentent quand même plus libres qu’ici où il y a 60 % de fermiers et de métayers.

Dire qu’un fermier a peur du propriétaire c’est pas le mot, mais si on est anarchiste ou communiste, on aura plus de mal à trouver une ferme que si on va à la messe.

Ça pèse sur le comportement des paysans.

Ils sont toujours dans la crainte, même si ce n’est pas justifié. Le plus simple des réflexes c’est :  » On est bien plus tranquille si on ne s’occupe de rien. « 

Voilà ce qu’on entend partout.

Dans les réunions on entend :  » Faut se défendre. Faut agir « , mais quand on demande un secrétaire pour le syndicat, il n’y en a point.

Personne ne veut se mouiller. J

e n’y crois d’ailleurs plus guère aux syndicats.

Et puis, je viens d’être révoqué comme président. Je ne sais pas pourquoi.

Pour indiscipline peut-être.

Je leur ai écrit une lettre.

On a manifesté une fois avec le Secours Rouge.

C’est peut-être bien la raison de ma révocation.

Je ne sais pas. Pourtant ce n’est pas défendu.

J’ai aussi écrit un article dans Le Journal du Centre pour dire pourquoi je refusais de manifester le 17 octobre.

Oui, c’était sans doute un acte d’indiscipline mais j’aurais dû être sanctionné à ce moment-là, pas maintenant.

J’avais écrit dans le journal que le syndicat se mettait à réagir quatre mois après la dévaluation alors que tout le dégât était fait, et que cette Journée nationale du 17 octobre ou rien, c’était pareil.

C’était le dernier article qu’on m’a passé dans le journal.

On a aussi fondé un groupuscule, l’A.P.T.N., l’Association des Paysans et Travailleurs de la Nièvre, mais on n’a pas dit que c’était dirigé contre le syndicalisme.

Ce n’est pas un syndicat, ce n’est pas rival de la F.N.S.E.A. Il y a une assemblée dimanche.

On a un bulletin.

On est environ une cinquantaine.

Là tout est permis.

Selon ce que décide la majorité, on peut aller jusqu’où on veut.

On peut inventer des méthodes nouvelles.

Les coopératives d’utilisation de matériel qui n’ont jamais marché sont vues sur une trop petite échelle.

Nous on voit plus grand. On voit une vraie entraide.

C’est comme ça qu’on a bien reçu l’idée des  » longues marches  » qui correspondait à un objectif qu’on se proposait : il y a toujours eu des étudiants qui venaient travailler à la campagne pendant les vacances mais nous, ce qu’on voulait à partir de ça, c’est faire venir des politiques de manière à ce que les paysans réfléchissent aux problèmes politiques.

Dans les statuts de notre association, il est dit que nous devons multiplier les rapports entre les paysans, les ouvriers, les étudiants et intellectuels.

Pourtant à l’assemblée de dimanche, on n’a pas invité les intellectuels.

Il ne faut pas qu’on puisse dire que les intellectuels ont poussé dans tel ou tel sens.

Les paysans ont toujours eu des complexes et les ouvriers aussi. Ils ont peur qu’on dise :  » Les mecs de l’A.P.T.N. ne peuvent pas se diriger tout seuls. « 

II ne faut pas qu’on puisse dire :  » Les gauchistes de l’A.P.T.N. ce ne sont pas des paysans, ce sont des instituteurs.  » C’est sans doute pour ça que l’instituteur qui était notre trésorier ne peut plus rester.

Il dit que l’A.P.T.N. doit être exclusivement tenue par des paysans.

Moi, je n’y peux rien si tout le monde se méfie les uns des autres.

C’est difficile de mettre le monde ensemble.

Pour les  » longues marches  » d’étudiants, je me suis engueulé avec le P.S.U. qui voulait grouper les étudiants, les envoyer tous en Bretagne.

Pourquoi pas ailleurs?

Nous, on s’est dit, si on peut faire autrement sans s’occuper du P.S.U., on le fera. C’est comme ça que j’ai mis l’annonce dans le journal.

Je demandais aux paysans qui voulaient recevoir des étudiants de se faire connaître, sous la seule condition qu’ils ne soient pas hostiles aux idées de Mai 68.

Ça suffisait pour marquer l’idée politique.

On a fait ça tout seuls puisque tout le monde pense que la Nièvre est un désert politique. On a bien Mitterrand!

On ne peut pas dire qu’il ne s’active pas, Mitterrand, mais ses activités ne nous intéressent guère.

Moi je suis marxiste parce que le marxisme est une explication correcte de l’histoire.

Oui, je pense que je suis communiste, mais il faut être drôlement gonflé pour dire des trucs pareils.

Enfin, j’ai toujours eu de la sympathie pour le marxisme même quand j’étais catholique.

Quand j’étais responsable à la J.A.C. [Jeunesse Agricole Chrétienne], on faisait des cercles d’études sur le capitalisme, sur le marxisme, etc.

J’ai été exclu deux fois justement parce qu’au lieu de respecter le programme de l’année, on faisait les réunions avec des bouquins qu’on achetait nous-mêmes.

Ça n’allait pourtant pas très loin dans le genre :

Economie et humanisme, mais c’était déjà trop.

Ce qui m’a le plus marqué, c’est bête, c’est Jean-Jacques Rousseau.

Je l’ai lu, j’avais quatorze, quinze ans. Je lisais très vite.

J’ai toujours lu très vite.

Quand j’ai quitté l’école l’instituteur m’a dit :  » Je te laisse partir parce que tes parents ont besoin de toi, mais tu viendras le dimanche, je te passerai des livres. « 

Alors chaque dimanche, j’allais chercher un plein sac de bouquins.

N’importe quoi, tout ce qu’il y avait dans ses rayons; le dimanche suivant je lui rapportais, j’avais fini.

Des fois, j’avais fini le vendredi, c’était pas pour m’instruire, j’aimais Victor Hugo, Alexandre Dumas, des conneries comme ça.

Victor Hugo, ça, ça me passionnait.

C’était de l’histoire.

Et puis un jour, je suis tombé sur Rousseau.

J’en avais entendu parler mais je croyais que c’était difficile à lire, mais après j’ai vu que c’était facile et puis c’était intéressant.

J’ai commencé par Le Discours sur l’origine de l’inégalité.

Ça tombait bien, je m’en souviendrai longtemps.

Après j’ai lu l’Emile pendant mon service militaire.

Là, j’ai pris tout mon temps et je l’ai annoté tout du long. Je ne le sais pas par cœur mais presque.

Pour moi, c’est un machin capital.

Ce que je trouvais le plus beau dans Rousseau, en dehors des idées, c’était le style.

Pour écrire comme ça, c’est pas des blagues…

Son style fait peut-être vieux aujourd’hui, mais pas tant que ça. Il faut voir comme les arguments sont balancés.

De temps en temps j’en relis encore des passages, mais j’ai de moins en moins le temps.

La doctrine de la J.A.C. c’est la doctrine de l’Église, tout le monde la connaît, ça m’était égal.

Mais sur la structure, alors là, je n’étais pas d’accord.

Ce n’était pas démocratique.

Par exemple, les responsables étaient désignés.

C’était marrant.

La première fois, le curé nous convoque, on était déjà triés d’avance, et l’aumônier fédéral nous demande s’il y a des volontaires pour être secrétaire.

J’ai levé la main.

Le curé me dit :  » Tu écris bien trop mal « , mais l’aumônier fédéral a dit :  » Ça ne fait rien « , et j’ai été secrétaire.

Après on a demandé qui voulait être responsable des gamins, on les appelait les  » Pré-J.A.C. « ; comme personne n’en voulait, j’ai encore levé la main et je me suis retrouvé au bout d’un moment avec tout sur le dos alors que le précédent responsable en titre ne faisait rien.

Un jour que le curé était malade, on en a profité pour faire des élections.

On a tous démissionné et puis on a voté à bulletins secrets.

Quand le curé s’est relevé, quelle tête!

Le président qu’il avait mis c’était un gros exploitant, eh bien il n’était pas élu. Alors le curé, qu’est-ce qu’il a fait?

C’est simple. Il a interdit la J.A.C. dans sa paroisse.

A ce moment-là, je fréquentais celle qui est ma femme et le curé m’a fait venir et m’a dit que ce n’était pas une fille pour moi.

De quoi il se mêlait?

Chacun ses goûts. C’est comme ça que je me suis séparé des catholiques.

D’ailleurs le curé trouvait que j’avais trop d’influence sur les autres.

Les gens commençaient à réfléchir.

J’étais la bête noire du curé, et parce que j’étais catholique je n’avais pas la confiance du maître d’école. Il était temps que ça finisse.

Maintenant si je ne vais plus à la messe c’est parce que je n’en vois pas l’utilité.

J’en ai marre des catholiques.

J’ai travaillé avec eux jusqu’en 69.

Je ne veux plus les voir, et les catholiques organisés c’est encore pire que les autres. Moins je les vois, mieux je me porte.

J’en ai encore parmi mes copains. D. va à la messe, J. aussi. On ne se parle jamais de ça. Ils croient que je plaisante mais c’est sérieux, je n’ai plus confiance.

Les catholiques veulent toujours nous avoir.

Ils veulent nous récupérer, c’est le plus sûr.

Quand on cause, ils disent :  » Vous êtes maoïstes mais nous aussi, on l’est bien un petit peu.

Peut-être qu’on peut travailler ensemble. « 

Mais ils ont toujours l’idée que les autres sont dans l’erreur et eux dans la vérité et qu’avec le temps et la patience, ils sortiront les autres de la connerie.

C’est toujours un cadeau qu’ils vous font.

Merci bien, je ne travaille pas sur ces bases-là.

Je ne suis pas devenu maoïste.

La pensée de Mao Tsé-toung est une étape de la pensée marxiste, comme la pensée de Lénine à une étape précédente.

C’est tout.

Après il y aura peut-être autre chose.

C’est un phénomène qu’on ne peut pas négliger.

Un communiste qui ne veut pas réfléchir sur la Révolution culturelle, c’est un con.

Je n’ai jamais été au P.C. mais j’ai toujours été intéressé par eux.

Je serais entré au P.C. en 68 bien que je n’en avais guère envie parce que tous les gars du P.S.U. de Nevers, c’était des catholiques!

Je me suis retrouvé quand même au P.S.U. parce que c’était avec le P.S.U. qu’on a pu le mieux travailler en 68 pour rejoindre le mouvement de Mai, avec notre petit syndicat où on était archiminoritaires.

On voulait faire la liaison étudiants-ouvriers-paysans.

Le jour de l’assemblée générale de notre syndicat, on a voulu quêter pour les grévistes.

J’ai mis mille balles dans le tronc.

Un autre copain aussi.

Quand on a ouvert le tronc il n’y avait toujours que nos deux mille balles.

Dans une salle de cent cinquante personnes!

Comme j’étais encore président j’ai organisé des collectes de lapins, légumes, pomme de terre pour les grévistes, mais je n’avais pas l’autorisation de la Fédération.

Je le faisais à titre individuel et pour avoir des contacts, des échanges; eh bien, je n’avais que les mecs du P.S.U.

Alors ma foi, à la fin de l’année, j’ai quitté la S.F.I.O., où on ne faisait absolument rien et je suis allé au P.S.U. où il y avait Bernard Lambert qui avait l’air de vouloir s’occuper des questions paysannes, mais je n’ai pas été satisfait par le P.S.U. Il n’y avait pas d’organisation.

C’est l’anarchie complète.

Chacun fait ce qu’il veut.

Le parti ne nous aide pas. Lambert nous aide en paroles de temps en temps et c’est d’ailleurs plus de sa faute que de la faute du parti.

Il était à la direction politique nationale. Il n’y allait jamais.

Le Secours Rouge, c’est trop nouveau. Qu’est-ce qu’on peut en dire?

C’est peut-être une base de regroupement mais on ne peut pas uniquement travailler contre la répression.

Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas assez de répression pour nous occuper, mais ça ne suffit certainement pas pour satisfaire les ambitions du Secours Rouge qui voulait tenter plus que ça.
Je ne me dis pas maoïste.

Je n’en sais rien. Peut-être je le suis. Il y a de grandes chances.

Depuis le refus de la coexistence pacifique, depuis la première divergence avec l’U.R.S.S., j’étais d’accord avec la position chinoise.

En 65 je m’étais abonné à L’Humanité nouvelle que j’avais trouvée par hasard.

J’ai lu La Guerre révolutionnaire de Mao Tsé-toung et un recueil de textes chinois, mais je lis surtout les journaux; La Cause du peuple, c’est vite lu, il n’y a pas de théorie dedans.

Ça m’intéresse j’ai vite fait de l’oublier, c’est comme un quotidien.

Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas sérieusement maoïstes.

Ils se disent maoïstes mais ils sont anarchistes ou à la mode.

Dès qu’on refuse la société actuelle, sous les prétextes les plus divers, on se figure qu’on est maoïste alors que ce n’est pas ça.

Une société communiste c’est bien plus contraignant qu’une société capitaliste.

C’est plus facile à supporter qu’une société capitaliste, parce que c’est plus juste, mais pour l’instant c’est pas le cirque : il ne faut pas compter là-dessus pour faire tout ce qu’on voudra.

Moi, c’est ce que je souhaite parce que le capitalisme, c’est aussi le désordre.

On exploite mal les richesses.

Personne n’en profite. Il y a des gens qui crèvent à côté de richesses inexploitées.

Il y a des parties de la France inondées de constructions et d’autres désertiques.

Toutes ces conneries-là, c’est le désordre, et pour moi, le communisme c’est l’ordre.

Pour changer ce système, il n’y a pas de voie légale. Ce régime s’est installé par la force, il ne s’en ira que par la force.

Même au P.S.U. je ne crois pas que personne pense autrement.

J’espère qu’il y aura un jour un parti d’extrême-gauche, et qu’il n’y en aura qu’un.

Ce ne devrait pas être trop illusoire.

Il faudra pousser le P.C. à marcher car c’est quand même lui qui a la clef.

Une grève générale, ça pourrait déjà être la révolution si c’est bien fait.

Si le P.C. n’en arrive pas à cette épreuve de force-là, on pourra bien avoir 50 000 ou 100 000 adhérents au nouveau parti d’extrême-gauche, on ne pourra pas grand-chose.

Ce que je crois, c’est que le P.C. pourra pas continuer comme il est.

Le P.C. a une base de classe ouvrière qui n’a pas confiance en nous.

Pour les ouvriers du P.C., les gauchistes peuvent bien être des braves mecs, mais c’est eux les chefs. Il faut bien se mettre ça dans la tête.

L’ouvrier moyen, il n’espère pas casser le P.C., il espère que le P.C. va redevenir ce qu’il était, c’est tout.

Là où ça ne va pas, c’est qu’il espère souvent que le P.C. va changer tout seul, par un miracle, par l’opération du Saint-Esprit.

Je me suis toujours demandé pourquoi je n’y étais pas au P.C., mais pour l’instant il y a trop de divergences entre mes idées et celles du P.C.

On ne s’entendrait pas.

Mais ça m’embête bien. Je préférerais pouvoir y entrer.

Mais je sais bien que ça ne durerait pas longtemps.

Quand je vais à leurs réunions, on ne fait que s’engueuler. Ils ne veulent pas réfléchir. Qu’est-ce que je pourrais faire là-dedans?

En Chine, à ce que j’en sais, le parti n’est pas tout.

En U.R.S.S., le parti c’est tout.

On ne remet jamais en cause les décisions du parti.

En Chine, les masses peuvent s’exprimer, si ce qu’on dit est vrai.

Et puis il y a eu la Révolution culturelle et il a dû en rester quelque chose.

Le camarade Mao Tsé-toung explique bien comment on réexamine tout, comment on fait la critique, l’autocritique quand une action a été menée.

Mais nous, dans les groupements gauchistes, on le fait avant d’agir.

Même à l’A.P.T.N. à force de réviser, de discuter, on évite d’entreprendre.

On sait bien depuis les dernières déclarations de Mansholt que les deux tiers des paysans ne sont pas  » condamnés « , ça c’est un lieu commun répété depuis vingt ans, mais qu’ils sont  » hors circuit « .

On paye des impôts, on travaille comme des cons et on sait bien qu’on a droit à aucun progrès.

Rien que la prise de conscience de ça devrait suffire à renverser la F.N.S.E.A. mais tout le monde continue à parler, discuter au lieu d’agir.

Si je travaille avec les maoïstes c’est parce qu’ils sont les plus avancés, qu’ils essayent des actions.

A l’A.P.T.N. on groupe les paysans qui viennent mais on ne fera jamais rien si les types ne transforment pas davantage leur mentalité.

Par exemple, D. il n’est pas maoïste.

Eh bien, tant qu’il ne le sera pas un peu, on n’aboutira à rien.

Les paysans doivent comprendre qu’ils ne feront pas tout seuls la révolution, qu’ils ne doivent pas rester isolés. On ne peut rien attendre d’une action menée uniquement par la paysannerie.

Dans un pays à économie entièrement agricole, peut-être, mais chez nous, c’est impossible.

Il faut se rattacher aux mouvements des villes, comme disait le camarade Trotsky : « Le paysan a le choix entre les différents partis des villes. « 

C’est peut-être dommage mais c’est comme ça. La majorité des paysans veut encore posséder la terre.

Tant qu’on en est là, on n’est pas bien avancé. Le coup des viticulteurs ça ne prouve pas encore une force révolutionnaire.

C’est le Midi rouge comme on dit, avec la tradition de lutte, mais ça c’est déjà passé; ce n’est pas d’aujourd’hui.

Le gouvernement sait lâcher quelques miettes dès que ça bouge.

C’est bien calculé pour endormir.

Au printemps, ils ont augmenté le lait et le blé de quelques centimes, et ça a suffi pour tout désamorcer.

A Bruxelles, je n’y étais pas.

Mais je me méfie.

La principale organisation belge, celle qui a probablement organisé la manifestation, je connais ses dirigeants.

Ce sont des fascistes. Je sais bien que les organisateurs ont été hués par les manifestants.

Je ne peux rien dire puisque je n’y étais pas.

Des actions contre les cumulards il n’y en a jamais eu, chez
nous.

Ça se fait en Bretagne mais je me demande s’il faut s’attaquer aux marchands de bestiaux.

Pour moi, un gros exploitant est plus dangereux qu’un marchand de bestiaux parce qu’il est beaucoup plus soutenu.

Ici un marchand de bestiaux va à la commission des cumuls pour avoir l’autorisation de cumuler, il a huit chances sur dix pour qu’on lui refuse, tandis qu’un gros exploitant il a toutes les chances qu’on lui accorde.

Vous trouverez ici vingt paysans pour manifester contre un boucher, mais vous n’en trouverez point pour manifester contre un gros exploitant.

Si on porte la lutte des classes dans la paysannerie, les paysans  » tiquent  » tout de suite. Je ne sais pas si on peut voir l’attaque contre les cumulards comme une poussée révolutionnaire.

De toute façon, on n’a même pas de contact d’une région à l’autre pour expliquer les expériences des uns et des autres.

Personne ne prend la tête de rien.

Le pire c’est de rester sans bouger.

C’est pourquoi nous avons formé l’A.P.T.N.

Faut être incorrigible pour essayer encore des trucs, mais chaque fois que je veux aller à la pêche il y a un gars qui vient me trouver et qui me dit : ce Tu ne trouves pas qu’on devrait encore essayer ça?  » et je me laisse faire une fois de plus.

Si j’ai mis des panneaux sur les routes, c’est parce que l’opinion publique est encore sensible.

On avait écrit  » Paysans, victimes du Crédit agricole « , ce Le paysan ne prend jamais de vacances « , etc.

C’est toujours la même idée : que les paysans ne restent pas seuls.

L’annonce dans le journal pour faire venir les étudiants, c’est encore la même idée.

L’année prochaine, si je suis encore là, on pourra en accueillir beaucoup plus que cette année.

Je vais peut-être changer de ferme.

Il pleut dans celle-ci et le propriétaire ne veut rien arranger.

J’ai mis une bâche plastique sur le toit mais il pleut toujours, alors j’ai repéré une autre ferme mais le propriétaire est social-démocrate, et comme il sait ce que je pense de la social-démocratie, s’il me la loue, c’est qu’il ne sera pas rancunier!

J’ai témoigné au procès d’Alain Geismar parce qu’il y avait pas mal de gens qui le faisaient. J’avais autant de raisons de le faire que les autres.

Témoigner pour Geismar c’est témoigner pour tous les maoïstes.

J’ai parlé du paysan qui s’était pendu et d’un autre qui était saisi.

Depuis ce temps-là il en est arrivé bien d’autres, comme cet ouvrier agricole qui s’était laissé prendre par un marchand ambulant qui lui avait vendu une ménagère d’argent.

Sa femme savait à peine écrire.

Elle a signé les traites sans comprendre et, après, comme ils n’ont pas pu payer, on lui a saisi sa télé et son buffet.

L’ouvrier agricole travaillait chez le maire qui est socialiste mais le maire n’a même pas levé le petit doigt pour empêcher la saisie.

J’ai dit que je témoignais pour que toutes conneries-là, on puisse les empêcher.

Il va sortir quand maintenant Geismar? Faudra arroser ça !

28 septembre 1971

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Enquête sur les maos en France: Dédé (1971)

[Cette enquête date de 1971, juste après l’auto-dissolution de la Gauche Prolétarienne. Les membres de la GP voulaient s’éparpiller dans les masses pour contribuer à la naissance du Parti. L’enquête consiste en des interviews des membres de l’ex-GP, sur leur parcours, leur interprétation de la ligne de masse, sur comment fonctionnent les structures, etc.]

DEDE. – Tout le monde dans l’usine sait que je suis maoïste.

Dans l’autobus 179, Meudon-la-Forêt, je parle politique avec les gars.

S’ils étaient opposés à moi, il y a longtemps qu’ils m’auraient cassé la gueule.

Alors que c’est l’inverse.

Même, quand l’autobus est complet, les gars cherchent à parler politique avec moi.

Je suis paysan d’origine.

Je viens de la ferme.

J’ai été pris pour le S.T.O. pendant la guerre et je suis entré à Renault en 1943.

J’ai quarante-six ans.

Quand je suis entré, il n’y avait pas de chef d’équipe.

Juste un régleur.

J’étais un bon travailleur.

Je me tapais des bonnes journées, mais j’arrivais toujours à la bourre et je collectionnais les avertissements.

Quand on cassait la croûte, le chef de département ne voulait pas nous voir assis : fallait se lever devant Monsieur.

On faisait des grèves tout le temps.

Au moins une fois par mois.

Des petites grèves qui ne duraient pas, mais chaque fois que l’on faisait grève on avait une victoire et on ne s’arrêtait que lorsqu’on avait la victoire.

On marquait sur la pendule ce qu’on avait gagné.

Le patron était pris en sandwich entre les ouvriers et les gouvernements qui changeaient tout le temps.

On changeait de gouvernement comme on change de sabot, quand il est usé.

Le patron n’avait pas tellement de pouvoir.

On se mettait en grève au clairon.

Il y avait un ancien qui montait sur une table et, quand on entendait son clairon, le département débrayait et les autres suivaient.

J’aimais bien ça. Il y avait de l’ambiance.

Quand la direction a vu que les grèves se répétaient, elle a installé les grilles dans les couloirs pour empêcher qu’on aille facilement d’un département à l’autre.

En 1954, on a occupé.

Chacun, sa petite partie de belote. C’était occupé plus massivement que maintenant.

Et les flics sont venus. Ce n’étaient pas des C.R.S.

A l’époque on ne connaissait pas ça.

C’était plutôt la mode du coup de crosse.

Les mecs sont montés sur les toits et ont balancé des caisses de boulons sur les flics.

Les flics ne sont pas restés dans l’usine. Même ils se sont taillés.

C’était un bon début.

Les syndicats étaient d’accord avec nous. Ils étaient encore révolutionnaires.

Même les permanents planqués derrière le bureau étaient encore avec nous.

De 50 à 54, c’était violent.

Les gars avaient la possibilité de se battre avec les syndicats qui ne disaient pas non.

Même quand on a cassé les grands bureaux, ils ne nous ont pas empêchés. Ça avait commencé par une manifestation.

A ce moment-là, C.G.T. et C.F.D.T. faisaient automatiquement marcher les travailleurs. On s’est retrouvés à un carrefour. On gueulait : ce Nos salaires, nos salaires.  » Et il y a eu un coup d’énervement. On a pris un caillou, et pof, après tout le monde y allait. Les carreaux dégringolaient. Quand je suis entré dans le bureau, c’était déjà tout cassé.

J’ai failli me faire encadrer par le tableau de Lefaucheux [ancien directeur de la régie Renault], qu’un gars balançait par la fenêtre.

Après, il n’y a pas eu de sanction.

La direction a demandé :  » Qui a fait ça? « 

La C.G.T. a dit :  » C’est pas nous. « 

La C.F.D.T. a dit :  » C’est pas nous. « 

En fait, ils étaient déjà dépassés. Maintenant, pour s’en sortir, ils disent : ce C’est les gauchistes « , mais, les gauchistes, à ce moment-là, ça n’existait pas.
J’ai été dix-huit ans militant C.G.T., et quatre ans délégué C.G.T., mais quand il y avait des réunions j’y allais et j’étais toujours seul. J’attendais.

Personne ne venait. La plupart des gens sont syndiqués mais, en eux-mêmes, ils ne le sont pas.

Ils prennent le timbre parce que la C.G.T. c’est connu partout et ça fait une force qui en impose, mais ça ne repose sur rien du tout.

Les ouvriers sont impressionnés mais ils ne sont pas soutenus.

Quand j’étais délégué, j’étais acharné pour défendre les travailleurs.

Même quand j’étais malade, j’allais encore à l’atelier si ma présence était nécessaire aux gars.

Je l’ai dans le sang la défense des travailleurs.

Pour la C.G.T., je défendais même trop bien.

Une fois, Ghana, le délégué à la sécurité, maintenant il est délégué du personnel, m’a dit :  » Ça suffit comme ça. Ferme ta gueule. « 

Moi, je voulais faire des tracts.

Avec un copain, au 38, on formait une bonne petite équipe. On se promenait avec le cahier de revendications parmi les gars.

Ça ne se fait plus maintenant. On notait tout ce qui n’allait pas.

On en rajoutait même. On remettait même les revendications du mois d’avant, s’il le fallait. Mais la C.G.T. n’aimait pas nos méthodes.

On prenait un chemin, la C.G.T., un autre, on n’avait pas les mêmes conceptions.

Mon camarade et moi, nous avons été éliminés.

Lui, il est allé à la C.F.D.T.

Moi, j’étais écœuré. Je me suis dit : ce C’est fini, les syndicats et les partis de la gauche, je vais me promener. « 

C’est vrai, Mai 68, c’était comme si on m’avait arraché le cœur.

Quand tu nais communiste, tu penses que la doctrine du P.C. doit rester comme on te l’a inculquée.

Ce n’est pas de ta faute, tu es né comme ça.

Quand nous sommes partis en camion avec les garg de Renault, vers la fin du mois de mai, nous étions tous manifestants pour la même cause.

Avant de monter en camion, on me donne un tract.

Je vais pour le prendre, et il y a un gars qui me l’arrache.

Je ne peux pas dire ce qu’il y avait sur le tract puisque je n’ai pas eu le temps de le lire, mais qu’on me l’arrache comme ça, parce que c’était un étudiant qui me le donnait, ça m’a frappé.

Je me suis dit :  » Puisque c’est comme ça, je n’y vais pas. « 

Et je ne suis pas monté dans les camions.

Autre chose : il y avait un docteur et une infirmière qui étaient venus nous parler aux grilles.

Je n’ai pas compris qu’on nous enferme, qu’on nous oblige à parler derrière des barreaux, comme si on était des lions.

La C.G.T. se plaint qu’il y a des gauchistes, mais c’est elle qui les forme et, quand on est sorti de la C.G.T., on peut dire qu’on a été à bonne école.

La C.G.T. n’ose plus tenir les mêmes discours.

Avant, elle faisait attention à proposer quelque chose qui permette l’accord.

Elle parlait d’union et elle faisait semblant de vouloir des trucs très durs.

Maintenant, si elle faisait semblant d’être dure, les ouvriers fonceraient, alors, au contraire, elle n’arrête pas de dire : « Attention les gars. Attention, vous allez à l’aventure. « 

Maintenant, la C.G.T. sait bien qu’elle ne peut pas parler d’union, alors au contraire elle est obligée d’attaquer une partie des masses, d’accentuer la division.

Elle attaque, même nommément :  » Un tel je sais ce qu’il va dire « , pour lui faucher l’herbe sous le pied.

L’union, la C.G.T. n’en veut plus parce qu’elle sait qu’elle se ferait sur la base dure, que ce serait vraiment l’offensive.

Après Mai 68, on a eu le droit de faire un ou deux meetings dans les ateliers puis tout nous a été retiré.

Je savais que le maoïsme existait.

C’était vague. Il y avait deux gars qui se disaient maoïstes.

Un électricien et un O.S., mais quand ils ont vu que ça prenait de l’ampleur, ils se sont barrés.

C’est pour ça que je dis :  » qu’ils se disaient maoïstes « .

Je n’en sais pas plus.

Mon fils qui travaille au 12 comme contrôleur m’a apporté La Cause du peuple.

J’ai trouvé ça formidable.

Je ne voulais plus militer mais je me suis mis à faire lire la C.D.P. C’est comme ça qu’on m’a baptisé le  » mao « , et puis parce que je refusais les tracts que distribuaient mes anciens camarades.

Je savais bien qu’il y avait des résistants dans l’usine mais je ne pouvais rien faire parce que j’étais tout seul dans mon sens.

Petit à petit, on s’est connus avec ceux qui distribuaient la C.D.P.

Je vénérais la Chine, c’est bien le mot  » vénérer « , parce que voilà des gens malheureux pendant des siècles qui arrivent à écraser le capitalisme.

C’est ce qu’on veut tous : écraser le capitalisme.

Donc nous sommes sur la même ligne.

Mais c’est surtout quand on a commencé à casser la gueule de Ghana sur la machine à café, que j’ai marché avec eux.

Moi, j’y vais échelon par échelon.

Ça ne suffit pas la propagande sur la Chine.

Ça semble drôle mais je ne trouve jamais personne qui ne soit pas d’accord quand on fait des tracts.

Tout le monde est d’accord que les chefs sont des ordures.

Mais il y a des différences entre : être d’accord, faire soi-même le tract ou casser soi-même la gueule aux chefs.

Pour l’instant, les gars ont peur que le maoïsme, ça les entraîne trop loin.

Il y a aussi la répression à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine mais c’est comme le feu, le jour où il éclate, tout le monde arrive comme les pompiers.

Ce jour-là, on les aura tous autour de nous.

Dans le temps, on avait l’impression que les ouvriers étaient plus combatifs parce que les syndicats ne s’opposaient pas aux ouvriers.

Ça marchait ensemble.

Maintenant, c’est de la mélasse, les syndicats retiennent les ouvriers; ils les empêchent de se battre.

Pourtant la révolte est la même.

Peut-être même plus grande. On ne peut pas savoir.

Il faut que la révolte s’exprime; là, on découvrira jusqu’où elle peut aller.

3 septembre 1971.

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Gauche prolétarienne: Dans l’île, la vraie forteresse ouvrière (1971)

[La Cause Du Peuple n°39, 1er mai 1971.]

Voici tous les éléments qui permettent d’affirmer que grâce à une préparation active, à un travail des militants C.G.T. le 21 a été un grand succès !

Ce grand succès ne peut cependant nous faire oublier que TROIS grands départements de l’usine n’ont participé que d’une façon minime à ce mouvement : ce sont les départements 12, 74 et 38.

Il y a certes des raisons objectives que notre syndicat va analyser mais qui sont là pour nous rappeler que la détermination des revendications par les travailleurs et l’unité de toutes les catégories doivent toujours être à la base de toute action. (CGT Syndicat Renault.)

Pour l’analyse, on peut aider la CGT. Ce qui se passe, c’est que le 12, le 74 et le 38 sont les départements les plus combatifs et que le 22 janvier et dans les mobilisations d’atelier, ils ont vu la CGT à l’oeuvre.

En plus, dans ces coins-là, il y a eu l’affaire Robert, le G.O.A.F. du 38, et des mouvements où les ouvriers ont réellement eu l’initiative comme le 22 dans l’Ile et les débrayages contre les chefs du 38.

La vérité, c’est que dans ces coins-là où travaillent 2/3 des gars de l’usine, on ne veut plus de la CGT et on commence à lutter nous-mêmes. Alors, leurs grèves bidons, ça nous a fait rigoler.

VIVE LES LUTTES EFFICACES

Le 21 avril, les syndicats nous res-sortent leur arsenal de grèves de 4 heures et de manifestations dans les rues désertes de Boulogne. Au moment où on voit tous les jours des séquestrations de patrons et des manifestations violentes de petits paysans et de petits commerçants et artisans, ils nous ressortent leur calme et leur dignité, et des revendications vieilles de trente ans.

LEUR CIRQUE, ON LE CONNAIT

Pendant que ces messieurs discutent avec les caïds du patronat, ils nous font débrayer et nous font, défiler dans le calme et la dignité pour pouvoir dire : « Vous voyez, ils sont forts mais ils sont tranquilles, si vous voulez qu’on puisse les retenir, donnez-nous des petites miettes. »

Quant à leurs revendications, c’est assez triste.

LA RETRAITE A 60 ANS, évidemment, c’est normal de demander la retraite à 60 ans ; ce qui est moins normal, c’est qu’en mai 68, alors que toute la France était en grève, les syndicats l’on abandonnée à Grenelle pour nous faire reprendre le travail avec des augmentations de salaires aussitôt rattrapées par le coût de la vie.

LES 40 HEURES, ça aussi c’est normal, surtout qu’à Renault, ça supprimerait immédiatement le travail du samedi.

Seulement les 40 heures, on les avait obtenues après un mouvement de masse en 36 et c’est Thorez et Frachon qui nous les ont fait perdre en 43 en nous disant : « Retroussez vos manches pour sauver le patronat français ».

Bien sûr en mai 68, ça aussi ça a été oublié.

ILS SE FOUTENT DE NOTRE GUEULE, avec leurs revendications qu’ils laissent tomber à chaque mouvement de masse comme en mai 68 pour les ressortir et nous faire courir après avec les grèves de 4 heures.

En plus, dans chaque atelier, ils parlent des revendications locales pour nous faire débrayer 4 heures alors qu’aux négociations ils ne vont pas en parler et que ça sert plutôt à briser les mouvements locaux durs.

Comme le 22 janvier, quand toute l’Ile voulait lutter, d’abord ils cassent le mouvement et ils nous proposent une grève de 4 heures après.

LEURS GREVES BIDONS, ÇA NE SERT QU’A NOUS DIVISER.

Pas mal de gars vont débrayer soit pour pas bosser, soit parce qu’ils disent : « Faut faire quelque chose. »

D’autres ne vont pas débrayer parce qu’ils ne veulent pas perdre de pognon pour une grève qui ne servira à rien.

Ça nous divise alors que tout le monde veut lutter.

CE QU’IL FAUT, C’EST DES LUTTES EFFICACES

En ce moment, partout, des nouvelles formes de lutte apparaissent ; les séquestrations des patrons, la lessive des bureaux comme dans les mines ou à Batignolles.

A Renault, on a essayé aussi ; les luttes contre les chefs, pour faire plier leur terrorisme dans les ateliers.

Les grèves d’ateliers, quand on a cogné Robert au 5* ou cassé le bureau de Mangan au 38 !

Dans les grèves d’atelier on peut faire céder le patron sur les revendications précises ou bien dans les grands mouvements comme le 22, où on s’est unis nous-mêmes dans l’Ile, où on a occupé le bureau de Vacher et où on a défilé à 2000, faisant courir la maîtrise.

Et pas des grèves où on défile encadrés par une armée de ‘délégués et où on peut juste fermer notre gueule.

LE JEU SYNDICAL C’EST UN JEU OU ON EST TOUJOURS PERDANT. LES GREVES BIDONS ÇA AMUSE LE PATRON. ÇA VIDE LES STOCKS.

CONTINUONS DANS LA VOIE DU 22 JANVIER.

Les maos de Renault.

Ce que l’on a vu pour cette grève, c’est qu’il fallait pouvoir unir tout le monde autour des départements qui ne débrayeraient pas. Eviter une coupure dans les masses.

C’est pourquoi on a eu une politique souple, expliquant ce qu’est une grève-bidon, pourquoi ça divise, mais sans donner de mot d’ordre.

Les résultats de la grève : 100 débrayages dans une équipe et 200 dans l’autre pour toute l’Ile Seguin et 50 en tout au 38. Dans l’Ile, les gars ont hué les délégués qui venaient les faire débrayer et n’ont pas arrêté de discuter toute la journée.

A l’heure actuelle, l’idée principale qui court chez les ouvriers c’est : « Voilà 2 grèves-bidons qu’on ne fait, pas, va falloir qu’on fasse quelque chose de sérieux. » Les gars ont refusé par 2 fois dans l’Ile de débrayer avec la CGT et ils attendent un nouveau 22 janvier, en mieux, en plus large.

Quant à ceux qui ont débrayé avec la CGT les 2 fois, c’est-à-dire les professionnels et les bureaux, ils commencent à en avoir marre de se traîner à des meetings ou à des manifs traîne-savates, en sachant très bien que si l’Ile ne suit pas, c’est parce qu’elle veut aller plus loin.

Le tract des Maos, il a été bien reçu partout, mais les gars attendent la suite.

Ce qui peut faire partir un large mouvement de masse, c’est la colère, c’est une provocation patronale, qui suscitera une forte réaction comme le 22, ça c’est un fait acquis. Mais ce que l’on doit faire quand même c’est les préparer ; introduire en étant partout à l’écoute des mobilisations locales, toutes les idées nouvelles pour le déroulement des mouvements (séquestrations, etc.).

Dans cet axe nous avons déjà des acquis.

Au 12-61.

Un système de médailles, que l’on prenait à l’entrée et rendait à la sortie remplaçait le pointage. En plus un ouvrier avait pris un avertissement pour être parti, en avance.

Un camarade a fait de l’agitation sur le thème « on n’est pas des chiens pour se promener avec des médailles ».

L’atelier a débrayé 2 heures et ensuite ils ont fait un tract et des affichettes contre le chef.

Voyant le tract et les affiches, la direction a tout lâché, sans attendre un nouveau débrayage.

En plus l’important, c’est d’élargir notre intervention, de laisser de moins en moins de secteurs de l’usine à la C.G.T. Surtout que partout maintenant les gars savent que les gauchistes ont saboté la grève de la C.G.T. et qu’il faut montrer que nous représentons une nouvelle voie pour la lutte.

Par exemple, aux Forges-Fonderies, la C.G.T. avait demandé un mouvement contre le déménagement.

En effet, les Forges-Fonderies qui est un département où les conditions de travail sont très pénibles et où les gars avaient acquis des avantages de salaires par des luttes sectorielles, vont être déménagées en province.

Ça veut dire pour les gars, avoir bossé comme un dingue, avoir lutté, pour se retrouver muté et payé au bout d’un moment comme un O.S. nouvellement embauché.

Au départ, la C.G.T. a entraîné pas mal de monde pour des grévettes et même une diffusion au marché de Boulogne.

Ce que l’on a vu c’est que si on les laissait faire, d’abord ils saboteraient le mouvement et en plus sous prétexte que c’est un fief C.G.T., ils se serviraient de ça pour une propagande sur C.G.T. = lutte, etc., pour reprendre l’offensive.

Il fallait donc intervenir et pour cela utiliser nos points forts.

Nous avions des anciens des fonderies mutés dans l’Ile qui pouvaient raconter ce qu’ils étaient devenus, qui ont lutté aussi contre un déménagement et des contacts avec des militants du PC des Fonderies qui ont des sympathies gauchistes.

Avec tout ça, nous avons pu faire un tract dont la diffusion à la porte et à l’intérieur a donné lieu à des prises de bec avec la C.G.T.

L’aspect intéressant, c’est le style du tract, collant aux idées des plus larges masses, assez syndicalistes, avec seulement des critiques précises sur la stratégie syndicale, et les engueulades où nous sommes apparus comme les vrais démocrates sur lesquels s’acharnaient 2 ou 3 brutes seulement soutenues par le silence des autres cégétistes.

Pour le moment, ce style de travail a porté ses fruits. 

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Gauche prolétarienne: Un chant qui monte de la terre (1970)

[Juin 1970 – Dominique GRANGE.]

« Il n’existe pas dans la réalité d’art pour l’art, ni d’art au-dessus des classes, ni d’art qui se développe en dehors de la politique ou indépendamment d’elle.

La littérature et l’art prolétarien font partie de l’ensemble de la cause révolutionnaire du prolétariat…» « Interventions aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan » (Mai 1942), (Œuvres choisies de Mao Tsé-Toung, tome III)

Mai 68 : la tempête révolutionnaire souffle sur la France

Dix millions de travailleurs sont en grève.

Les usines sont occupées, la contestation gagne toutes les couches du peuple, ouvriers, paysans, étudiants, intellectuels, artistes…

Pour nous, jeunes comédiens chanteurs, se mettre en grève, ça ne veut pas dire grand-chose, ça ne peut guère gêner que quelques bourgeois qui constituent en majorité le public des théâtres, des cabarets et même des différents centres dits « de culture populaire. »…

Par contre nous pouvons transformer notre grève en une grève «active», c’est-à-dire nous mettre au service des travailleurs en lutte.

Alors, guitare sous le bras, on va d’usine en usine, on chante dans les ateliers, les cantines, sur des caisses, dans des tris postaux.

Ça nous plus rien à voir avec du « spectacle ».

Ça nous semble même frivole, de chanter ce que nous chantons car pour la première fois, nous nous sentons partie prenante dans la lutte que mènent les travailleurs.

Avec eux, on discute, de la révolte, de la liaison avec les intellectuels révolutionnaires, ensemble on parle de la vie, de l’avenir, du pain et des rosés…

On prend conscience de la force du mouvement populaire qui occupe les usines et la rue. Au nombre de flics qui occupent ces rues, on mesure la peur de l’ennemi, la bourgeoisie capitaliste.

Après mai : ni échec, ni défaite : une semence

« Tout point de vue qui surestime la force de l’ennemi et sous-estime la force du peuple est faux. » (Mao Tsé Toung, Tome IV)

Après Mai, l’ennemi quelque temps déséquilibré, s’est ressaisi : affaiblie politiquement, la bourgeoisie utilise des armes qui révèlent cette faiblesse, l’appareil de répression, les négociations bidons, les élections, l’intoxication.

Le gigantesque mouvement de masse de mai-juin est brisé, en apparence seulement, avec la complicité des traîtres du P.C.F. et des directions syndicales.

Les grévistes reprennent le travail, contraints, écoeurés par la trahison des soi-disants « défenseurs de la classe ouvrière », devenus de fait les gardes-chiourmes de l’ordre, de la légalité, de l’oppression patronale.

Pourtant, ce que les ennemis du peuple n’avaient pas prévu, c’est que mai-juin 68 a ouvert la voie de la révolte et dé la résistance.

Rien n’est plus comme avant

Alors il y a des choses qu’on ne peut plus faire.

Pour moi, chanter comme avant, faire un métier qui subit la loi bourgeoise du « succès » commercial et du profit, c’était devenu intolérable.

On était en juillet, les gens partaient en vacances, bien sûr, était encore présente la question comment continuer, comment expliquer Mai à tous ceux qui n’avaient pas été au coeur de la tempête mais qui avaient commencé d’espérer ?

Alors, avec deux copains, on prend les premiers cinés-tracts, des journaux, des témoignages sur la répression, on emprunte une voiture et un projecteur, et on quitte Paris.

On s’en va dans les campages, dans le Gard et le Vaucluse, on projette les films, on explique, on informe.

Ça se passe dans des petits villages ; des petits paysans viennent avec leur famille, expliquent comment ils ont vu Mai, ce qu’ils pensaient des grèves, parlent de leurs luttes, de leurs difficultés et le plus souvent de leur misère.

L’exemple d’une jeune Garde Rouge

Septembre 68 : à nouveau Paris, la rentrée-Une question : comment continuer Mai ?

Comment s’organiser et avec qui ?

Quand on n’est pas étudiant et que dans le désarroi général, on a du mal à entrevoir la voie prolétarienne ?

Je cherche, je vais à la Sorbonne, il y a des meetings, des étudiants qui parlent, il faut discerner, comprendre, tirer des leçons de _mai-juin.

Un jour il y a un meeting sur la Chine, pour la première fois j’entends parler d’une manière vivante, de la Révolution culturelle, du maoïsme comme expression de la révolte des masses, de la lutte idéologique.

J’achète quelques livres de Mao, des revues, «Pékin-Information».

Et là il se passe quelque chose : je trouve un article écrit par une jeune garde rouge, qui raconte comment elle a quitté son métier de comédienne pour se mettre au service du peuple, le jour où elle a compris que tant que la révolution ne serait pas faite, elle ne pourrait rien changer dans le domaine artistique, et que continuer, cela ne pouvait que servir l’idéologie dominante.

Par cet exemple, je comprends que la seule issue, c’est de se battre aux côtés du peuple, dans le camp du peuple jusqu’à la victoire totale sur les forces réactionnaires.

Dès lors, ça devient facile de dénoncer un contrat de disques, facile de refuser galas, émissions, interviews…

Des gens me disent : « Tu es folle, puisque tu as compris, tu peux changer des choses dans le « métier », chanter des chansons subversives à la télé, etc. ».

Mais suivre ces conseils, ce serait suivre la voie réformiste, la voie qui accepte la coexistence pacifique, entre l’idéologie bourgeoise et l’idéologie prolétarienne.

Pour un artiste révolutionnaire, pour un artiste qui devient maoïste et qui est capable de le mettre en pratique, servir le peuple de tout coeur, ça veut dire abandonner toute idée de renommée personnelle ou de gain matériel.

Ça veut dire aller se battre dans le camp du peuple : partager le travail à l’usine, trouver une issue collective à la révolte, aider à s’organiser, vivre de là même vie simple et lutter durement pour démasquer les traîtres qui, dans leurs rangs entretiennent la collaboration de classes.

Alors quand on se bat, quand on a fait sienne la cause du peuple, l’envie de chanter vous reprend, mais ce sont des chants de lutte qui montent des usines, des H.L.M., des bidonvilles, de la rue, de la sueur et du sang de ceux qui souffrent.

« Nous sommes les nouveaux partisans »

Le terrorisme des patrons se fait plus intolérable que jamais.

Une nouvelle poussée prolétarienne part des usines, car là où il y a oppression, il y a résistance.

Contre les ennemis qui font de l’or avec notre sang, une seule attitude possible : la riposte.

Contre les assassins qui ont la justice pourrie de leur côté, une seule chose à faire : faire vengeance nous-mêmes et le plus durement possible. C’est pourquoi nous disons : « Patrons, c’est la guerre ».

Mais comme leurs flics sont installés à tous les coins de nos rues, comme ils occupent militairement nos villes, nous menons contre eux des combats de partisans, contre eux et contre tous les kollabos et autres flics syndicaux qui cherchent à nous diviser, à nous empêcher d’anéantir les patrons et leur état.

Vous occupez, nous résistons !

Voilà qui annonce aux assassins les lendemains où le sang appelle le sang.

CAMARADES, QUE DANS LES USINES, CONTRE LES ASSASSINS AUX MAINS BLANCHES, SE LÈVENT LES NOUVEAUX PARTISANS!  

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Gauche prolétarienne: Les œillets de la vengeance (1970)

[Juin 1970 – Bulletin La Cause du Mineur.]

Le 4 septembre 1940, le gaz envahit les galeries de la fosse du puits Daomey.

Plusieurs sont asphyxiés : deux morts, deux jeunes.

Pas de drapeaux, des fleurs rouges. Un amoncellement qui noie les cercueils.

Les oeillets de la vengeance sont entourés de 40 jeunes qui se relaient autour du char funèbre, derrière les mineurs de Dourges en grève.

Au cimetière, deux flics voyant que Brûlé, héros de la résistance, s’apprête à parler, osent l’interpeller :

– il est interdit de prendre la parole !

– je parlerai quand même.

– ne faites pas de scandale !

– des scandales, il y en a deux ici, dit-il, en montrant la tombe des mineurs; et c’est la compagnie qui est responsable.

Balayant les deux poulets, Michel Brûlé vient de montrer la voie de la résistance.

Les oeillets rouges de la vengeance, comme premier acte de la résistance des mineurs, vont faire «clore une moisson de courage.

Mieux vaut mourir en luttant que de crever doucement à genoux.

Le 21 février, appelant à la grève les mineurs du puits Daomey, Michel Brûlé est dénoncé par un chef porion, arrêté par les Allemands.

Mais les oeillets de la vengeance sont encore dans la mémoire des mineurs, ses camarades.

La grève gagne ; tout l’appareil policier est aux abois.

Les mineurs n’acceptent pas, sans opposer de résistance, que leur frère si .courageux soit en prison.

Le 25 février, son dénonciateur trouve une grosse corde avec un noeud coulant, clouée sur sa porte.

Fin 1943, une rafale de mitraillette l’abattra.

Les opérations des premiers partisans

Le 1er mai 1941, les drapeaux rouges flottent sur les puits de mine.

La veille, le parc à bois a brûlé à la fosse Mulot, à Hénin-Liétard..

Septembre 1940 : trois charettes de blé, conduites par des Allemands, prennent feu entre Hénin-Liétard et Drocourt.

A Lambersart, une attaque directe contre les Allemands est dirigée par Ferrari, Denys, Pav-lowski – un Italien, un Polonais, un Français.

La lutte unit et unira toujours les immigrés aux français.

L’internationalisme prolétarien, pour les travailleurs, n’a pas besoin de longs textes ou de discours : c’est, tout simplement, être des frères de combat.

A Pont-à-Vendin, au pied d’un pylône, le jeune Baldiga gît, électrocuté.

Mais, au-dessus, flotte le drapeau rouge, rouge du sang des travailleurs.

Les opérations de partisans préparent la riposte des mineurs. Les mineurs, sous des centaines de mètres de terre, en causent, se réjouissent, attendent d’y participer.

Le chemin se dessine.

100 000 mineurs s’attaquent au régime nazi, aux pétainistes, à la police et à tous les larbins des houillères.

… La grève, envisagée depuis fin 40 par les cadres de la résistance populaire, incarnée par René Camphin, Julien Hapiot, Deloison, a demandé un gros travail de préparation.

Les hommes de fer ont formé des centaines d’autres cadres dans la lutte.

Des Michel Brûlé, il en est sorti en masse ! Pour faire débrayer les puits, c’étaient des jeunes gars, parfois de moins de 16 ans, qui apportaient l’espoir de la lutte à leurs frères mineurs, face à toute une armée de nazis, face à une armée de flics verts de peur.

Des dizaines de kilomètres à pied avec les poches bourrées de tracts dont un seul valait la déportation.

Les petits actes de sabotage, pour répondre aux assassinats à l’exploitation.

Dans leur magnifique lutte, les mineurs avaient leurs compagnes, leurs mères, leurs soeurs avec eux.

2 000 femmes de mineurs, à Fouquières-les-Lens, tenant leurs enfants par la main, n’acceptent pas, non plus, de crever lentement ; leurs « tiots » sont élevés ainsi, dans la lutte.

Plutôt mourir que vivre sans lutter !

Cortège de révoltées qu’admirent les mineurs.

Force insoupçonnable pour la réaction. Face aux mitraillettes, les femmes de mineurs ont relevé les oeillets rouges de la vengeance. Cette fleur qu’elles portent en elles, c’est le sang de leur mari.

Les ingénieurs, sur leur passage, se terrent dans leurs belles maisons. Les cris de haine fusent : « Vendus ! Sales traîtres ! Buveurs de sang.

Devant la brutalité des nazis, de la police, elles se serrent les coudes, ne laissent prendre aucun otage, lacèrent les affiches qui sommaient les mineurs de reprendre le travail.

Face aux flics : le drapeau noir de la misère

Deux drapeaux furent brodés, à Haillicourt, par les femmes des mineurs ; l’un rouge, avec la faucille et le marteau, qui sera accroché aux fils téléphoniques ; l’autre, noir, avec des mots-d’ordre : « Assez de misère ! Assez de

famine ! ». Ce drapeau de la misère, elles le feront^ connaître en manifestant, elles le feront connaître à un détachement nazi et à un groupe de gendarmes, appelé par un garde des houillères, traître et servile. Par la suite, un garde, à Bruayen Artois, a reçu deux balles dans le ventre pour avoir molesté une femme de mineur.

.. Noëlle Burny, figure légendaire de ces femmes, de ces filles de mineurs, la direction, les inspecteurs du travail, pour briser la grève, lui promirent de satisfaire ses revendications, à condition qu’elle fasse la « jaune », qu’elle se rende au travail. Même si elle ne travaillait pas, elle serait payée.

La réponse fut cinglante : « La grève continue, les mineurs ne lâchent pas, nous non plus ! ».

Plutôt la prison que reculer.

La prison ouvrit ses portes.

Mais les oeillets de la vengeance n’auront pas été trahis.

Mineur, ta race est bonne et forte.

Avec elle, tu peux tout entrevoir.

La répression frappe

Des centaines d’arrestations de femmes, de jeunes.

Rien n’y fait.

La grève continue, des militants entrent en prison. D’autres sortent de l’ombre. Rien ne peut arrêter cette machine humaine qui préfère mourir, entrer en tôle, être déportée que de céder dans le combat.

387 867 journées de travail perdues pour la machine de guerre allemande, perdues pour le capital.

Pourtant, la reprise ne se fit pas de bon cœur. Devant un ingénieur qui énumérait les avantages acquis : « Vous avez eu ce que vous demandiez. Que-voulez-vous de plus ? ».

«DES FUSILS! C’EST DES FUSILS QU’IL NOUS FAUT!».

Ces fusils, ils les auront par la suite.

Bien auparavant, ils voleront leur dynamite.

Ils la remontent, entre deux tartines. Les stocks se feront, diminueront, regrossiront.

Des fusils, cela se gagne.

Les oeillets de la vengeance avaient été compris des « gueules noires » : après la reprise, le sabotage se fit encore plus.

Chaque mineur y participe, pas tous avec les mains, mais tous avec le coeur.

Une étiquette remplacée sur ce qui permet de transporter les bois de soutènement, aiguille ceux-ci dans une mauvaise direction.

Des bois de 1,80 m se retrouveront dans une « taille » (lieu de travail et d’exploitation du charbon) de 80 cm de hauteur.

Avec quel plaisir le mineur raccourcissait ces bois !

Les partisans, en haut, y mettent le feu : « moi, j’en gaspille la moitié. Je suis un résistant ! ».

L’autre mineur qui voyait des bois de 1 mètre pour boiser une hauteur de 1,80 m de haut rigolait tout son saoul.

« Porion (contremaître), il me faut de la colle pour rassembler les deux, je ne peux plus travailler »…

Les sucres étaient pris aux enfants, mais il en faut si peu pour arrêter un moteur, le sacrifice ne paraissait pas énorme.

Les mariages dans les descenderies permettant de faire rencontrer les berlines montantes et descendantes amenaient souvent un accouchement prématuré.

« Une descenderie » inutilisable, éboulement, oh combien attendu celui-là !

Les vannes d’air étaient toujours à moitié ouvertes, l’air comprimé manquait : « Porion, souffle dans le raccord, je peux plus faire de charbon ! ».

Des centaines d’autres exploits furent accomplis.

Quand les mineurs veulent quelque chose, ils l’ont.

Croix gammée, bourgeois exploiteurs, rien n’a su les arrêter.

Et si demain, les œillets rouges de la vengeance refleurissent, tremblez, exploiteurs !           

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Gauche Prolétarienne: Je témoignerais dans la rue (1970)

[Editorial en première page de la Cause du Peuple, n°29, 14 octobre 1970.]

« Je témoignerais dans la rue ».

Défiant la loi Marcellin qui prétend interdire les manifestations, liquider la « Cause du Peuple », mettre fin à la liberté de contester, Alain Geismar montre le chemin de l’honneur.

Depuis les barricades de 68 il dit à l’ouvrier :

Pour te défendre il faut attaquer.

Pour prendre le temps de vivre,

-brise les cadences,

-mate les chefs,

-sabote la production du patron;

-à mauvaise paie, mauvais travail,

-frappe les assasins.

Pour le droit au travail,

-un député, ça peut se lyncher,

-comme un patron, ça peut se séquestrer.

« Organisez-vous » sans attendre le consentement des hommes cravatés qui usent leur pointe bic dans les bureaux du patron.

Union et Résistance !

Pour la liberté d’expression. Pour le droit de vivre. Dans l’usine et dans la rue, à notre tour nous témoignerons les 20, 21, 22 octobre.

Procès Geismar = procès du Peuple

Patrons et ministres, vous pouvez rugir, lacérer, condamner, retirer droits civiques, droits familiaux, vos barrages ne résisteront pas.

Vous avez semé la haine. Le 20 octobre, vous récolterez.

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Gauche Prolétarienne: C’est Pompidou qui paie ! (1970)

[La Cause Du Peuple n° 17, 21 février 1970.]

1 h 30 de boulot contre un carnet de métro, c’est ce qu’on veut nous faire payer maintenant pour venir engraisser Dreyfus et ses larbins.

Le métro avant et après 9 h de boulot, il faut se le taper.

Pour trouver à l’usine l’odeur des machines pas vidangées, les accidents de travail, les cadences, on est obligé de passer un temps fou, debout, serrés, sans pouvoir respirer, bousculés à chaque station.

Pour en repartir, même tabac, sauf qu’on est épuisé par le boulot. Alors il y a toujours un ou deux copains qui tombent dans les pommes.

Cette fois-ci, essayer de nous faire payer plus cher le droit d’aller engraisser le patron, ça ne passe pas !

Dès le milieu de la semaine : un tract, « Esclaves à Renault, bétail dans le métro, assez ! », passe dans les chaînes, les ateliers. Les mots d’ordre couvrent la station de métro.

Déjà, on occupe les premières, quelques groupes passent sans payer.

Pas de pétition, pas de pleurnicherie, une seule voie : la résistance par l’action directe !

LUNDI : on sort ensemble des ateliers, on se regroupe porte Zola ; là, on retrouve les copains, et les étudiants qui viennent donner un coup de main et on part, drapeau rouge en tête.

Meetings, prises de parole : les ouvriers de l’équipe se regroupent ; aux guichets, on passe, avec un signe de « complicité » des poinçonneuses : « Vous avez raison ! ».

Sur les quais, on attend les autres, les ouvriers viennent prendre des paquets de tracts et les diffusent. Rendez-vous à demain.

LES FLICS HORS DU METRO, IL EST A NOUS!

Après le coup de lundi, les flics croyaient que la résistance à la hausse, c’était le fait d’un « petit groupe de gauchistes » : il suffisait de piquer les « meneurs » et tout rentrerait dans l’ordre.

Malheureusement pour eux, les ouvriers de Renault ne sont pas des moutons !

Les liquidateurs de « L’Humanité Rouge » avaient, dès lundi soir, appliqué cette théorie des « masses moutonnières » : on ameute clan-des-ti-ne-ment 300 étudiants, on les regroupe à a sortie du soir et on les fait cavaler en gueulant: « Vive le marxisme-léninisme ! ». Mais quand on se fout de leur gueule, les ouvriers s’en rendent compte : pas un ne suivra ce ramassis qui part avant la sortie… et a lâché même les quelques gars qui les ont aperçus.

Le lendemain, dans les ateliers, on juge sans appel ce genre de démonstration : « Ces étudiants, ils radinent et ils se barrent sans qu’on, puisse dire notre mot, ils prennent le métro en payant ; et si les poulets arrivent, on se retrouve tout seuls ! ».

MARDI et MERCREDI, pour l’équipe du matin, c’est à 400 qu’on sort de Renault, drapeau rouge en tête, aux cris de : « Résistance populaire à la hausse!».

Et ce n’est plus une rame, mais 3 à 4 qui partent sans payer !

MERCREDI SOIR, une manifestation part de la porte, avec une trentaine de liquides ; arrivés au métro, ils tombent sur 50 flics : la débandade des liquides provoque d’abord la panique parmi les ouvriers ; puis, avec les maoïstes de l’usine et du quartier, ils descendent dans le métro : ce n’est plus le même folklore ; aux guichets, les flics se retrouvent devant un rang serré de manches de pioches. Trois flics téméraires s’avancent : trois de moins !

C’est le signal de la débandade, le temps de faire demi-tour, 3 ou 4 autres en prennent plein la gueule, les autres se grimpent dessus dans les escaliers, pour sortir le plus vite possible et se réfugier dans le fourgon.

Dans le métro, c’est l’enthousiasme. On se lance les képis et les matraques, on entonne l’Internationale. Le chef de train attend que tout le monde soit monté dans les wagons : « OUVRIERS RENAULT-METRO TOUS UNIS! »

JEUDI, à 14 h, pour l’équipe du matin, les flics ont compris qu’ils ne vont pas avoir à « disperser un groupuscule » ; c’est les ouvriers qu’ils doivent essayer d’empêcher de passer sans payer. Aussi, changement de tactique, ils essayent l’intimidation : 3 cars de gardes mobiles passent, dans un concert de sirènes : elles sont couvertes par les cris : « Les flics à la chaîne ! ».

Ce jour-là, on est 500 à descendre !

Au guichet, on tombe sur 8 flics de la RATP, ceux que les travailleurs du métro appellent « La maffia » : des gros malabars aux tronches de bourreaux avinés. Rigolade générale : leur sort est déjà réglé. Ils tentent de cogner, ils sont laminés à coups de poings, de pieds, de manches.

Résultat : 8 gorilles à l’hosto !

Les ouvriers protestent : « on avait rien dans les mains !

Demain, on sort par ateliers et on trouvera de quoi s’armer dans la boîte !».

Vive l’action directe. Le métro est à nous !

L’action directe a payé I Les flics qu’ils nous envoient, on les écrasera chaque fois que nous les frapperons là où nous sommes forts, là où ils ne s’y attendent pas.

Harcelons-les !

CONSTITUONS L’AUTO – DEFENSE CONTRE LA HAUSSE, PAR GROUPES D’ATELIERS ET DE DEPARTEMENTS!

Les flics se sont cavales face à notre détermination : ils n’oseront plus se pointer s’ils nous savent organisés !

Ils ont voulu nous intimider en arrêtant 4 camarades. ILS SE FOUTENT LE DOIGT DANS L’OEIL! et on le leur enfoncera dedans jusqu’au coude !

FLICS, VOUS ALLEZ DE NOUVEAU PAYER !

Les flics en uniformes ont reçu leur raclée. Les poulets déguisés en ouvriers aussi.

Il ne manquait plus que la racaille P »C »F-CGT.

VENDREDI, la police syndicale va tenter de reprendre la rue.

« S’appuyant sur la hausse des transports, dont il est responsable, le Pouvoir aux abois, lance ce qui lui reste de ses troupes gauchistes, pour tenter d’organiser des provocations que les policiers attendent avec impatience.

Des tracts intitulés : Gauche prolétarienne, maoïstes, etc… débitant de la prose à caractère fasciste, sont distribués depuis quelques Jours.

Ces soi-disant révolutionnaires, en fait émules des chemises noires d’Hitler de 1933, saccagent tout sur leur passage, dégradent les voitures du métro, barbouillent les immeubles de leurs inscriptions obscènes, essayant ainsi de discréditer la classe ouvrière. »

C.G.T. – 5-2-1970

Tout l’arsenal y est : les pontes s’époumonent au micro pour essayer de regrouper les ouvriers de l’équipe du matin, pour les empêcher de se rendre au métro avec les maoïstes.

On ne leur jette même pas un regard.

Alors, ils envoient les gros bras qui suivent la manifestation en gueulant « le fascisme ne passera pas ! ». Ils suivent, mais de loin… Finalement devant le métro, ils restent seuls sur un trottoir à se faire insulter par tous les ouvriers, regroupés en face.

Ils se barrent vite fait.

Ce tract du P »C »F donne le ton :

« Hier, 8 travailleurs de la RATP ont été blessé à coups de manche de pioche à leur poste de travail, station de métro BILLANCOURT par une trentaine de bandits arborant des drapeaux rouges.

C’est la plus grave d’une série d’agressions à laquelle ils se livrent depuis lundi.

Pour y parvenir, ils se mêlent à la foule des travailleurs en équipe qui prend le métro à cette station et qui sont tous en colère d’avoir dû payer 16,66 % plus cher leur carte de métro.

CHASSER LES PROVOCATEURS FASCISTES, NE PAS PERMETTRE L’AGRESSION CONTRE LES TRAVAILLEURS C’EST RENDRE NOTRE LUTTE PLUS EFFICACE.

Sans la protection des troupes du commissaire de BOULOGNE, le calme, la sécurité régnerait d’autant plus que tout le monde sait où trouver ces bandits.

Car aucun doute ne peut subsister aujourd’hui : déguisés en « ouvriers » comme au 49 ou dans l’Ile, ou déguisés en « étudiants » comme aux portes de l’usine, il s’agit bien de bandits, auxiliaires de la police. »

ON NE SE LAISSERA PAS PLUS FAIRE POUR LA CANTINE QUE POUR LE METRO

Déjà, ils avaient tenté d’empêcher une diffusion de tracts à la cantine du 49. Ils se sont faits jeter par tous les travailleurs, immigrés en tête.

Il faut dire qu’ils tombaient mal : empêcher la distribution d’un tract contre la hausse des transports le jour où les nouveaux bourgeois du Comité d’Entreprise annoncent l’augmentation des prix de la cantine !

Mais il y en a marre de ces mecs qui brisent toutes les luttes des ouvriers, qui refusent de l’aide aux travailleurs immigrés qui vivent dans des conditions dégueulasses, alors qu’ils se font construire un Comité Central de 1 milliard d’anciens francs.

Y EN A MARRE D’ENGRAISSER LES PONTES DU COMITE D’ENTREPRISE !, de fournir la nourriture de la fête de l’Huma avec le fric de nos repas.

Et les serveuses, elles en ont marre de travailler dans des conditions dégueulasses sans pouvoir se défendre contre leurs nouveaux exploiteurs.

LES HAUSSES DES NOUVEAUX BOURGEOIS ÇA NE PASSERA PAS PLUS QUE LA HAUSSE DES BOURGEOIS, et les flics des nouveaux bourgeois on les traitera comme les flics des bourgeois !

Si c’est trop cher, on ira bouffer à la gamelle dans leur cantine.

ET LEURS PRIX ON VA LES REAJUSTER NOUS-MEMES. On connaît le prix véritable de la salade et du bifteack, on va pas payer plus cher que dans certains restaurants ! C’EST TOUS ENSEMBLE QU’ON DECIDERA DES PRIX!

ON NE SE LAISSERA PAS PLUS FAIRE POUR LA CANTINE QUE POUR LE METRO!

L’ACTION DIRECTE PAIE. LES FLICS ET LA POLICE SYNDICALE NE NOUS ARRETERONT PAS!

La Gauche Prolétarienne R.N.U.R.

La police syndicale va combiner 2 méthodes :

— briser la lutte directe contre la hausse en intervenant militairement contre les maoïstes ;

— récupérer la révolte en démobilisant par des grèves bidons.

A la cantine, dans l’Ile Seguin, viennent maintenant des mecs en costars, cravates, pontes du C.E., gros bras, racaille hystérique… dès que nous commençons la diffusion, ils nous tombent dessus.

Des ouvriers immigrés apportent leur gamelle à la cantine, ne commandant qu’un morceau de pain. Un grand nombre de jeunes ouvriers ne paient que la moitié ou le quart de ce qu’ils mangent : la résistance s’organise.

Leur seconde offensive, c’est les grevettes bidons. Les délégués organisent des réunions par ateliers sur le thème : « Ça peut plus durer ! La grève tournante c’est la mieux, on ne perd rien et on fait perdre beaucoup au patron ». Mon oeil, les bagnoles, on les stocke à Flins en ce moment ; une heure de grève, ça ne coûte pas un sou à Dreyfus !

Pour nous, c’est une heure en moins, plus les primes qui sautent.

Nulle part ce n’est l’enthousiasme, mais dans certains ateliers le débrayage se fait à 60, 70 %.

Les ouvriers se regroupent, se baladent sur les chaînes, certains débrayent et viennent grossir le cortège.

Dans d’autres, les ouvriers refusent net. En mécanique, les gars regardent goguenards les délégués passer en criant : « Augmentez nos salaires ! ».

Ils réclament 4 %. * 4 % », c’est accepter la hausse ! Ce n’est même pas la moitié de l’augmentation réelle des prix ». « D’un côté la cantine est augmentée, de l’autre on demande une augmentation pour la payer ! ». « L’augmentation en pourcentage, c’est faire la grève pour les chefs ! Pas d’augmentation hiérarchisée ! »

Dans l’île, les jeunes maoïstes interviennent tout de même. On se retrouve en tête de la manifestation, gueulant « Vie chère, vie d’esclave, assez ! » « Résistance populaire à la hausse !» « A bas les cadences infernales ! ».

Les ouvriers reprenant les mots d’ordre avec nous, les délégués doivent couper la manif en deux. On se retrouve une centaine d’ouvriers, maos en tête, brandissant la Cause du Peuple. Un bruit va courir plus tard : « Il y a eu deux manifs, celle de la C.G.T. et celle des maos ». C’est un peu de la rigolade, mais ça donne un titre de tract C.G.T. qui fera bien rire : « La lutte pour nos revendications ne sera pas dévoyée. »

Les provocations de la police syndicale, attaques individuelles, dénonciations, les tentatives de démobilisation, c’est le signe de notre victoire durant une semaine.

Aujourd’hui on continue à passer sans payer dans le métro ; la hausse, on la brisera ! Et si on tente de nous en empêcher en envoyant flics ou syndicats… tant pis pour eux! 

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Gauche Prolétarienne: Avec les héros de la résistance basque, avec l’Espagne de la liberté (1970)

[19 décembre 1970.]

Le peuple basque s’est levé avant l’aube, alors que depuis trente ans la nuit était sur l’Espagne.

Aucune torture, aucune souffrance, n’a pu arracher de son cerveau le désir de l’indépendance et de la liberté.

Les brutes aux uniformes gris et aux casques allemands n’ont pas non plus découvert les fusils et la dynamite enterrés.

Et voilà cinq ans, aux mains de quelques patriotes dont l’organisation E.T.A. se nomme L I B E R T É , les armes ont commencé leur oeuvre de vengeance.

La haine d’un peuple était un guide sûr, et elle a mené les partisans jusqu’au führer SS Meliton Manzanas – chef de la police du Guipuzcoa – abattu de plusieurs coups de revolver le 2 août 1968, car c’est ce que voulait la justice.

Le sang des bourreaux doit payer le sang des martyrs, tel est le prix de l’indépendance; c’est l’idée que les peuples aujourd’hui reconnaissent comme leur.

Dans l’appel de la Résistance venue des maquis du Pays basque, les mineurs catalans, les ouvriers madrilènes, toute l’Espagne de la liberté a reconnu sa propre voix.

Depuis, les rues de Burgos, de Barcelone, de Madrid ont retrouvé les rumeurs de leurs émeutes.

AMNISTIE! LIBERTÉ ! même durant la guerre contre les généraux félons, jamais l’Espagne ne s’était vue si unie : sur les barricades, dans les usines occupées que cerne la guardia civil, ils se reconnaissent : l’ouvrier et l’intellectuel, le mineur des Asturies et le métallo de Guipuzcoa – eux que durant trente ans Franco avait parfois pu dresser l’un contre l’autre…

Ecoutez ce que disent à Burgos nos camarades IZKO, URIARTE, ONAINDIA, GOROSTIDI, LARENA, DORRONSORO: « Je ne suis pas séparatiste, je suis nationaliste, et révolutionnaire internationaliste. »

« Je suis prisonnier de guerre, et je profite de cette occasion pour clamer l’oppression dont souffre le peuple basque! »

« Nous sommes les guérilleros basques! Pour libérer Euzkadi, notre sang est prêt! »

Vive la classe ouvrière espagnole.
Vive le Pays basque libre.

Ecoutez : le cri est le même, qui monte des barricades de Belfast avec la clameur des fusils irlandais. A Milan, à Berne, à Paris, les peuples de l’Europe ont compris l’appel de Burgos, ils ont répondu dans la rue.          

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Gauche Prolétarienne: Turin 1969, de la grève de guérilla au soulèvement

[Juillet 1969, supplément au numéro 13 de la Cause du Peuple, qui va avec trois autres documents de l’organisation italeinne Lotta Continua: Lettre des ouvriers de la Fiat à leurs camarades du Sud, Nichelino, Lotta Continua.]

QUE VOULONS-NOUS? TOUT !

Vive la lutte de nos frères italiens.

Pendant des années, à la Fiat, le pouvoir d’Agnelli le patron semblait invincible.

Comme partout en Italie et dans toute l’Europe, à la Fiat on croyait au miracle.

On produisait en paix; de temps en temps avec les syndicats , on s’arrangeait pour lâcher quelques miettes; la guerre, c’était pour les « sous-développés ».

Mais les esclaves qui vivent dans les bagnes du grand capitalisme moderne ont parfaitement entendu et compris l’appel aux armes qui monte du Vietnam, de Chine.

Depuis plusieurs mois, en France depuis mai 1968, ils ont à leur tour lancé le mot d’ordre qui cristallise leurs aspirations: « PATRONS, C’EST LA GUERRE ! « 

Oui, c’est la guerre. Pour les travailleurs français, l’expérience de lutte des ouvriers de la Fiat est des plus importantes.

Tout simplement parce que les problè -mes que nous nous posons ici en France, là-bas aussi on se les pose. Et parfois les solutions qui sont apportées là-bas peuvent nous servir directement ici.

De même que mai 1968 a été capital pour les ouvriers révolutionnaires italiens, le soulèvement de Turin est pour nous une expérience dont nous devons tirer les leçons.

C’est pourquoi nous publions les textes qui suivent.

Il s’agit d’une série de tracts ou de petites brochures qui suivent de très près le déroulement des luttes.

C’est la forme la plus directe qui soit pour réfléchir sur cette expérience et tirer des règles.

QUE VOULONS-NOUS ? TOUT!

Il faut bien voir la différence entre les luttes de la Fiat et les luttes prolétariennes en France depuis mai 68 (Flins, Sochaux,S.N. C. F…), et les luttes « traditionnelles » menées par les syndicats.

Pour les syndicalistes, la lutte, c’est un moyen de pression qui doit conduire à des négociations avec le patron, et quand la pression est très forte comme en mai 68 en France, ou actuellement enIta-lie, on essaie de faire plus: de pousser au gouvernement des ministres communistes.

Les luttes prolétariennes ac-tuelles en France comme en Italie visent un tout autre but. En clair, elles visent le pouvoir, elles visent à détruire le pouvoir des exploiteurs.

Ce que nous voulons, ce n’est pas quelques aménagements de détail qui enjoliveraient l’exploitation, ce que nous voulons, c’est TOUT.

Un autre travail, une autre vie, une autre société débarassée des profiteurs et de leurs collaborateurs en tout genre, à l’intérieur comme à l’extérieur des usines.

Le travail et la vie d’esclaves qui servent à engraisser une petite poignée de crapules bourgeoises, nous les refusons de fond en comble: nous refusons l’actuelle hiérarchie dans les usines, la pyramide de chefs bons à rien, sinon à matraquer les ouvriers; nous refusons les cadences meurtrières, l’ambiance infernale de l’atelier, nous refusons la misère: que ce soit les salaires de famine, les logements infects, les taudis et les bidonvilles.

Et on est misérable même si on n’est pas payé au SMIG ou si on n’est pas chômeur: avec les prix qui montent, les prix de la nourriture, des transports, du logement.

Et il y a tout le reste, ce qu’on appelle le « temps libre », celui qui n’est pas employé directement par le patron.

Ce temps libre, une fois qu’on a retiré le temps de l’usine, le temps des transports, il est bien mince: même celui-là est bouffé par la bourgeoisie; les « loisirs » et la’fculture » sont des industries qui non seulement servent à fabriquer du profit, mais aussi à nous conditionner et à nous abrutir pour nous enlever de la tête toute idée de révolte.

Cette occupation de la vie de l’ouvrier, de toute sa vie par la bourgeoisie qu’il faut détruire. C’est le sens de la révolte actuelle.

Nous voulons tout: de meilleurs salaires, un logement, mais aussi que le pouvoir des chefs, flics du patron soit renversé, mais aussi qu’on ne soit pas transportés, dans les métros et les trains, comme des bêtes, qu’on ne soit pas abrutis par le bourrage de crâne de la télé et des journaux au service de la bourgeoisie; nous voulons le bien-être mais surtout la liberté.

Nous ne sommes pas des chiens. Pour le montrer, et pour conquérir la liberté, il faut le pouvoir. « Tout le pouvoir aux ouvriers », disaient les ouvriers de la Fiat dans leurs manifestations à l’intérieur de l’usine. Que voulons-nous? Tout. Et d’abord, parce que sans lui on n’a rien, le pouvoir.

NOUS SOMMES TOUS DES DELEGUES

Ce que nous voulons, ce n’est pas ce que veulent les syndicalistes, les bureaucrates, les porte-serviettes de la nouvelle bande d’arrivistes, des nouveaux bourgeois qui sont à la direction des syndicats.

Notre guerre contre les patrons, c’est aussi une guerre contre ces syndicalistes.

Nous leur disons:

« Dans le passé, nous avons subi vos trahisons comme nous avons dû subir l’exploitation et l’humiliation. Mais aujourd’hui, ça suffit.

Nous n’hésiterons pas à vous rentrer dedans; si vous attaquez,nous contr’attaquerons.

A Argenteuil, avec les masses du bidonville que vous escroquiez misérablement, nous vous avons donné une sérieuse leçon; nous continuerons le temps qu’il faudra.

Chaque fois que vous vous interposerez entre le patron et nous pour réprimer notre révolte, nous passerons sur votre cadavre ».

Et on aura raison, car c’est la loi du développement de notre révolte.

En France, ces arrivistes n’hésitent pas à s’entendre avec les flics ou les patrons pour vendre les ouvriers révolutionnaires; ils n’hésitent pas, tellement ils ont eu la trouille en mai 68, à employer la violence fasciste contre les révolutionnaires prolétariens, ils suivent en cela les leçons de leurs maîtres: les nouveaux tsars russes.

Ces patrons « rouges » qui, après la révolution de 1917, et après Lénine, ont peu à peu repris le pouvoir.

Eux non plus n’hésitent pas à employer la violence fasciste pour mater le peuple: ils envoient leurs chars à Prague pour réinstaurer l’ordre.

En Italie, ces arrivistes semblent plus doux, plus intelligents, mais au fond, ils sont pareils: lors du soulèvement du 3 juillet à Turin, ils n’ont pas hésité à attaquer les ouvriers révolutionnaires, aies traiter de « voyous », d' »éléments étrangers à la classe ouvrière ».

Ça nous rappelle quelque chose?

Et comment se comportent-ils dans les ateliers ?

Leur objectif, ce n’est pas de renforcer le pouvoir des ouvriers et d’unir leurs forces contre le patron, mais bien de renforcer leur propre pouvoir.

A la Fiat, les ouvriers luttent contre les cadences infernales, en brisant ces cadences, en réduisant la production.

Eux, ils négocient l’institution d’un système de délégués de chaîne qui doivent contrôler les cadences.

Les ouvriers se battent pour une forte augmentation non hiérarchisée des salaires; eux, ils négocient quelques miettes, et de toute façon des augmentations hiérarchisées.

 » CAMARADES: A QUOI SERVENT CES DELEGUES ?

Disons-le clairement une fois pour toutes:

Ils servent à vérifier que les cadences fixées « par la direction sont bien respectées.

-En cas d’abus de la part des chefs et des gardiens, le délégué, au lieu d’organiser un débrayage avec ses camarades, doir courir au bureau des délégués dans lequel il transmet, par la filière bureaucratique, sa protestation à la direction.

Dans ces conditions, les délégués deviennent obligatoirement les sergents du patron.

Leur rôle, c’est d’arrêter les ouvriers quand ils vont commencer la lutte, en leur faisant croire que tout se règle dans le bureau du patron.

Mais ce piège répugnant que nous tendent le patron et les syndicats ne peut marcher que si nous renonçons à la lutte pour nous jeter dans les bras des délégués et des bureaucrates syndicaux.

CAMARADES: NOUS NE DEVONS COMPTER QUE SUR NOS PROPRES FORCES!

Ripostons à l’augmentation des cadences en débrayant ou en réduisant la production; mais cela ne suffit pas, puisque notre meilleure défense, c’est l’attaque.

ORGANISONS-NOUS ATELIER PAR ATELIER POUR REPRENDRE LA LUTTE SUR TOUS LES  » POINTS DE LA CONDITION OUVRIERE!

LE SALAIRE, L’HORAIRE, L’EGALITE AVEC LES EMPLOYES »

(Extrait de la première brochure sur « Turin 1969, la grève de guérilla)

En France, c’est pareil.

Quand les ouvriers de la Redoute à Tourcoing brisent les cadences infernales, les syndicalistes les découragent en négociant des augmentations de salaires.

Dans le secteur nationalisé comme dans le secteur privé, la lutte pour maintenir la hiérarchie des salaires avec quelques aménagements de détail est un véritable principe pour les syndicalistes révisionnistes.

Il ne faut pas nier qu’il puisse y avoir de nombreux délégués honnêtes; nous le savons, et très souvent c’est avec eux que nous luttons.

Mais il est clair qu’entre le syndicalisme et la manière dont nous luttons, il y a un monde.

Ce sont deux voies. La voie des syndicalistes, la vie l’a montré n’est pas bonne pour nous; cette voie nous remet invariablement dans le système bourgeois.

Alors que faire? Se passer des syndicats? S’organiser à notre façon? C’est possible.

Suivons les camarades de la Fiat:

 » Une organisation, cela signifie beau coup de choses:

Ça veut dire savoir coordonner les luttes entre les ateliers de façon à provoquer une baisse de production maximum avec une perte de salaire minimum.

Ça veut dire savoir clairement les objectifs qubn veut atteindre, de façon à pouvoir rejeter les propositions-bidons avec lesquelles le patron essaie de ne lâcher que quelques miettes, et seulement à quelques ouvriers.

Ça veut dire savoir riposter aux manoeuvres des syndicats pour saboter notre lutte ».

(Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

A chaque débrayage,dans les cantines, dans les vestiaires, les ouvriers utilisent les « temps libres » pour discuter des objectifs et des formes de lutte; c’est comme cela qu’il faut s’organiser dans l’atelier.

De cette façon,tous les ouvriers « sont des délégués ».

Le patron vient s’expliquer devant tous les ouvriers de l’atelier; alors, ce sont eux qui ont la parole, ce sont eux leurs propres délégués.

C’est cela « l’autonomie ouvrière », il faut conquérir cette autonomie si l’on veut lutter pour que ça change.

Ecoutons les camarades de la Fiat:

 » Notre objectif, ce n’est pas les 50 lires, même si elles nous arrangent bien; notre objectif, c’est d’organiser les ouvriers de façon permanente; ainsi on pourra battre le patron n’importe quand.

On se fout de la démocratie: ça fait 25 ans que la démocratie, on ne sait pas ce que c’est, et qu’on se fout de nous.

Il faut que nous nous organisions. « 

(Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

Et il faut bien voir que nous avons tout le temps besoin de cette organisation et de cette autonomie:

 » NOUS DEVONS NOUS ORGANISER DE FAÇON  » STABLE: nous ne pouvons plus nous dire: « il suffit  » de commencer, et puis les syndicats se chargeront  » du reste. »

(Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

Regardons ce qui s’est passé tout récemment en France:

Les ouvriers révolutionnaires, à la SNCF, aux PTT, à la RATP, ont commencé; et puis les syndicats se sont chargés du reste, car ils se sont chargés de trahir, en laissantpou-rir la grève puis en négociant par dessus la tête des ouvriers.

En France comme en Italie, la grande question qui se pose à travaers toutes les luttes, c’est bien celle-là: Comment arracher l’autonomie?

Comment s’organiser à notre façon, en rejetant le syndicalisme?

SI NOUS AVONS FAIT GREVE HIER, MAIS QU’AUJOURD’HUI LE CHEF N’A RIEN PERDU DE SON POUVOIR, RIEN N’A CHANGE!

Nous voulons le pouvoir. De cela, nous sommes parfaitement convaincus. Il faut que cette idée devienne à travers les luttes une force matérielle pour des millions de travailleurs. Quelles luttes?

Des luttes qui renforcent l’autonomie ouvrière. Le sens de ces luttes est donné par les camarades de la Fiat:

« Si nous sommes organisés et unis, nous pissons quand nous voulons, nous mangeons quand nous vouIons, nous travaillons quand nous voulons et comme nous voulons. »

(Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

C’est assez clair, mais il faut être plus précis. Alors :

 » Nous avons démontré que quelques lires d’augmentation ce n’est pas le principal, mais qu’il faut lutter et nous organiser pour dire NON
– aux cadences
– à l’organisation du travail
– au pouvoir du patron. »

(Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

C’est logique: nous voulons détruire le pouvoir des patrons, donc dès maintenant et sans cesse nous devons attaquer le pouvoir des patrons et de leurs valets les chef-flics.

Nous voulons que cesse le travail d’esclave, donc dès maintenant et sans cesse nous devons lutter pour briser les cadences infernales, nous devons lutter contre toute l’actuelle organisation du travail qui fait de nous des bêtes, seulement bonnes à produire toujours plus.

Nous devons avoir des objectifs clairs,  » sinon nous courons le risque d’être achetés par le patron qui nous divisera en distribuant quelques sous et quelques catégories supérieures à une minorité d’entre nous ».

(Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

Ce sont les syndicalistes professionnels qui noircissent des pages et des pages de tracts avec des chiffres et des pourcentages compliqués.

Exactement comme les patrons nous donnent des feuilles de paie absolument incompréhensibles. T

out cela passe par dessus nos têtes; et c’est fait pour cela: les patrons peuvent nous voler sans qu’on s’ en rende compte et les syndicalistes peuvent raconter n’im -porte quoi sur les succès qu’ils ont obtenus dans les bureaux du patron sans qu’on puisse vérifier.

Nous voulons donc des objectifs clairs qui visent à:

– affaiblir le patron, son pouvoir.
– renforcer, unir les ouvriers.

Nous soutenons tout ce qui combat le pouvoir des patrons.

Nous combattons tout ce qui soutient la division entre ouvriers.

Nous exigeons, exactement comme les ouvriers de la Fiat et ceux de l’Italie entière: de fortes augmentations de salaire NON HIERARCHISEES.

Les luttes du printemps dernier à la Sollac comme les luttes à Renault-Le Mans et à Flins contestaient le système hiérarchisé actuel de rémunération: nous ne voulons plus que pour un même travail, il y ait des paies différentes.

Il nous faut briser le système de division entre ouvriers: les feuilles de paie à la tête du client, les différences soi- disant scientifiques entre postes de travail.

Tout cela ne sert qu’à renforcer la division parmi les ouvriers, l’égoisme.

Et qui cela sert-il? le patron. Ce système sert à renforcer l’autorité patronale.

Nous sommes aussi, comme les ouvriers de la Fiat , contre le système des primes de production et autres , qui visent à enchaîner l’ouvrier à son travail d’esclave, et à semer la division.

Nous voulons l’intégration des primes au salaire.

Bref: NON aux divisions entre ouvriers que le patron organise lui-même: classes, augmentations suivariFle mérite, favoritisme; fayotage.

NON AUX CADENCES INFERNALES.

Les cadences, ça ne se négocie pas, ça se refuse, ça se brise.

L’an dernier à Sochaux et depuis un peu partout, à la Redoute, aux PTT Austerlitz, à Renault-Flins, dans l’alimentation: cette méthode de lutte se généralise. Les ouvriers brisent les cadences, ils organisent la réduction de la production.

HALTE AUX ASSASSINATS D’OUVRIERS!

Les assassinats d’ouvriers dans les mines (silicose et « accidents »), dans la sidérurgie, dans le bâtiment.

Les maladies comme les accidents qui résultent de la « nocivité » du travail, ce n’est pas une fatalité.

Le fait de ne pas avoir de repos digne de ce nom, comme à la SNCF ou à la RATP, ce n’est pas non plus inévitable.

C’est la conséquence d’un système qui se fout de la vie et de la santé de l’ouvrier, pourvu qu’il puisse continuer à trimer pour rapporter des profits au patron.

Contre cette organisation du travail criminelle, mais que pourtant les tribunaux bourgeois si prompts à condamner les jeunes en révolte ne condamnent pas, ON A RAISON DE SE REVOLTER.

Et en France, la révolte pénètre profondément, comme le montre la rentrée ouvrière de 1969.

La lutte contre le chômage, les heures supplémentaires se développera quand le plan de redressement du capital, mis sur pied par le gouvernement à la solde des profiteurs, se traduira dans la pratique par une montée du chômage goulue par le patronat pour essayer de casser la combativité ouvrière.

En Italie, les luttes actuelles se développent sur ce front.

Quel que soit l’aspect de la condition ouvrière contre lequel on se révolte:

 » Si nous avons fait grève hier, mais qu’aujourd’hui le chef n’a rien perdu de son pouvoir, rien n’a changé ».

(Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

La question fondamentale, c’est la question du pouvoir.

Conquérir le pouvoir et libérer le peuple, c’est armer les ouvriers et tout le peuple pour vaincre les forces armêea des exploiteurs.

Mais tant qu’on n’a pas le fusil, doit-on s’ abstenir d’attaquer le pouvoir des patrons?

Absolument pas.

Précisément pour que les ouvriers et tout le peuple s’ arment progressivement en vue d’anéantir les forces armées du capital, il faut dès maintenant attaquer le pouvoir des patrons.

Lutter contre le despotisme capitaliste à l’intérieur de l’usine et aussi à l’extérieur, c’est précisément préparer les esprits à l’armement révolutionnaire en vue de vaincre définitivement le régime des patrons.

De toute façon, comment peut-on briser les cadences?

Comment peut-on lutter de manière autonome et révolutionnaire aujourd’hui en faisant payer très cher au patron son exploitation et son oppression, si on n’est pas décidé à s’attaquer à son pouvoir dans l’usine?

Peut-on briser les cadences sans lutter contre les chefs-flics?

C’est impossible.

Voilà pour quoi nous disons:

« Si nous avons fait grève hier, mais qu’aujourd’hui le chef n’a rien perdu de son pouvoir, rien n’a changé ».

A l’égard des chefs-flics, notre politique est claire:

 » Pour un oeil les deux yeux, pour une dent toute la gueule.' »

Notre politique; c’est de rabattre la grande gueule de ces crapules, de porter un coup au prestige du patron en le ridiculisant, en frappant ses valets.

Notre politique, et nous ne nous en cachons pas, parce que c’est conforme aux aspirations des travailleurs, c’est la terreur rouge à l’égard des salauds qui sont responsables des pires exactions contre les ouvriers.

En juin 1969, nous avons donné une raclée à cette canaille, cadres-flics et contremaîtres; c’était à Flins.

Depuis, cette méthode de lutte se généralise.

Aujourd’hui, on séquestre les patrons et les chefs-flics, et ON A RAISON DE SEQUESTRER LES PATRONS.

A la Fiat actuellement, cette méthode de lutte commencée à être prise en mains: la Palazzina d’Agnelli [bâtiment de la direction de Fiat à Mirafiori-Turin, Agnelli étant le patron et propriétaire] connaîtra le sort du cercle-hôtel de Sochaux en juin 68 [Foyer des cadres de Peugeot, pillé par les ouvriers].

La terreur dans les rangs de l’ennemi, l’espoir dans le coeur des ouvriers et de toutes les petites gens exploitées par les bourgeois, c’est le fond de notre politique.

C’est la politique conforme aux intérêts des ouvriers, de toutes nationalités.

DE LA GREVE DE GUERILLA AU SOULEVEMENT

Il faut des objectifs clairs.

Comment lutter?

Les ouvriers de la Fiat ont inventé une forme de lutte tout à fait appropriée: la grève de guérilla.

Le principe de cette forme de lutte, c’est:

Perte maximum pour le patron, minimum pour les ouvriers.

 » La grève dans l’atelier est importante, parce que le patron n’est jamais sûr qu’entre une lutte et l’autre la production va continuer tranquillement, ou même augmenter pour récupérer la perte, comme c’était le cas pour les grèves où on restait en dehors de l’usine.

La grève dans l’atelier renforce et unit les ouvriers parce qu’on utilise le temps de grève pour s’éclaircir les idées et organiser la poursuite de la lutte.

La grève dans l’atelier bloque la production, non seulement là où on lutte, mais dans toute l’usine.

Elle coûte plus cher au patron qu’aux ouvriers.

Elle permet même aux ouvriers des ateliers suivants, qui sont arrêtés pour manque de travail, de discuter pour préparer à leur tour le combat. »

(Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

Cette méthode, que tous les tracts présentés dans les brochures illustrent, est très efficace, et à leur tour, les ouvriers français l’expérimentent actuellement, à Renault , à Saulnier-Duval de Nantes, etc…

C’est la forme de lutte qui permet, au moindre coût pour les ouvriers, de renforcer leur combativité, d’édifier une organisation autonome dans les ateliers.

Elle permet de passer à un stade supérieur: l’offensive généralisée, l’occupation de masse avec séquestration des principaux flics, patrons en tête, le soulèvement des ouvriers forts de leur unité conquise dans l’usine qui sortent de l’usine pour élargir leur combat.

Comme le 3 juillet, les ouvriers de la Fiat et les étudiants révolutionnaires ont élargi leur combat par leur soulèvement dans plusieurs quartiers de Turin.

[Ce jour-là, plus de 100.000 manifestants, ouvriers, étudiants, habitants des quartiers, ont tenu tête pendant plus de
24 heures à la police]

Les luttes engagées au même moment dans Turin contre la ville-usine les prix exorbitants des loyers et les expulsions se sont confondues avec le combat d’usine.


DE L’USINE A LA VILLE-USINE

En France aussi, à Nancy, à Ivry, à Argenteuil,à Flins, on s’élance à l’assaut des villes de classe.

La lutte pour des logements décents , des logements pour tous à des prix a-bordables, a commencé aussi.

Elle se fondra à la lutte d’usine, l’élargira.

Dès lors, on assistera à un soulèvement formidable qui fera trembler patrons, flics, journalistes et tous les vendus, syndicalistes révisionnistes en tête.

Tout nous conduits vers ces soulèvements : les luttes d’usine, les luttes sur le loyer, sur les transports (déjà, à la gare de Lyon, à la gare Saint-Lazate, la révolte est née), les luttes pour détruire l’école de classe.

Toutes ces luttes se fondront comme un fleuve en marche.

En particulier, l’unité des ouvriers avec les étudiants et les lycéens se renforce.

En Italie comme en France:

 » Les étudiants et les ouvriers luttent ensemble parce qu’ils savent que le patron qui exploite les ouvriers dans l’usine, qui leur fait mener une vie de chien, c’est aussi celui qui fait de l’école une caserne où seront formés les imbéciles et les fidèles serviteurs du patron dans l’usine et à l’extérieur. »

(Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

Tous les tracts de cette brochure ont été faits en commun avec les étudiants.

Tous les jours, à toutes les portes de la Fiat,des étudiants discutent avec les ouvriers.

Puis ils font des meetings ou bien des assemblées dans les Universités.

Dans la rue, ils se battent côte à côte; et aujourd’hui les ouvriers rentrent dans les lycées et les universités pour s’unir aux étudiants et lycéens, pour les encourager à la lutte.

Cette unité-là, nous la voulons, nous y tenons parce qu’elle est indispensable pour la continuation1 du combat.

Les étudiants français sauront se mettre à l’école de leurs camarades italiens: en particulier, ils apprendront ce style de travail continuions les joursàla porte de l’usine), qui a fait défaut après mai en France.

VIVE LE COMBAT DE NOS FRÈRES ITALIENS !

QUE DANS CHAQUE ATELIER, L’EXEMPLE DE TURIN DEVIENNE UNE PUISSANTE FORCE MATÉRIELLE !

TOUT LE POUVOIR AUX TRAVAILLEURS !

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Gauche Prolétarienne: Sur la question de la ligne de démarcation en matière syndicale (1969)

[Supplément au Bulletin intérieur n°11 de la Gauche Prolétarienne.]     

Après notre détour par la ligne « syndicaliste prolétarien » nous nous sommes rendus à l’évidence: il ne suffit pas d’avoir des formes d’action nouvelles et dures pour se démarquer des revisos-réformistes quand on garde le même esprit syndicaliste, ou la même revendication isolée prise dans le programme de la CGT.

On ne réussit qu’à prendre quelques jours d’avance, et l’appareil syndical a tôt fait de tout récupérer en fin de compte.

Notre problème, depuis que des camarades ont essayé de constituer des programmes  » revendicatifs  » reste le même : la ligne de démarcation doit être radicale et elle ne l’est toujours pas; le vieil esprit syndicaliste traîne toujours dans tous ces programmes de lutte, et pourtant nous devons avancer et nous soucier des conditions de vie et de travail immédiates des plus larges couches ouvrières.

Nous croyons, camarades, qu’il faut non seulement révolutionnariser nos esprits, mais aussi notre langage : car qu’on le veuille ou non : revendications, syndicats et toutes ces listes de revendications sentent la litanie réformiste.

En effet ce sont les révisionnistes qui ont banalisé, abruti ces mots d’ordre à force de les répéter sans contenu, de même qu’ils avaient autrefois dénaturé le nom de « social-démocrate ».

Pour des militants travailleurs l’éternelle liste de revendications au bout de chaque tract, de chaque affiche, est devenue comme un attribut de la CGT, au même titre que son sigle.

Au lieu de faire progresser la conscience des masses ces listes constamment rabattues amusent le populo et font vivre le syndicat.

Quand aux luttes passées et à leurs victoires elles constituent le bagage juridique du syndicat : pour être un bon délégué ou permanent il faut avoir son bagage juridique : telle est devenue la soi-disant tradition de lutte syndicale : une tradition législative ou légalo-bourgeoise.

A tous les coups, le réflexe syndicaliste préfère l’argument juridique à la lutte :  » j’ai quinze ans de travail dans la boîte, donc j’ai droit à la prime d’ancienneté « .

Il faut détruire l’esprit syndicaliste, il ne s’agit pas de faire « mieux  » que la CGT, de  » demander  » par exemple 5% d’augmentation de plus qu’elle, car pour les travailleurs cela ne fait qu’une organisation de plus qui  » demande « . Il s’agit de contester les salaires pas de demander au patron.
En effet ce n’est pas la liste des revendications passives qui mobilisera les travailleurs.

A Olibet Bordeaux, comment des camarades ouvriers ont-ils brisé des cadences insupportables?

En cassant délibérément pour 300 000 AF de biscuits.

Ces camarades n’ont rien mendié mais l’accélération des cadences a cessé.

Ça c’est la lutte qui s’oppose aux  » revendications  » synonymes de  » discussion « . Car c’est la parlotte qui aurait permis au patron de détourner le problème, en augmentant les salaires ou en donnant comme à Dassault une prime de technicité tout en conservant le même rythme.

La  » revendication  » est le frein légal entre le patron et les ouvriers, elle mène à la participation et a pour but d’empêcher de poser les problèmes à fond, d’aller à la racine du mal.

Voici ce qu’on peut entendre par exemple de la bouche même d’un magouilleur expérimenté, ancien journaliste et théoricien du PCF :  » On ne peut pas toujours mettre à la fin de chaque article qu’on veut renverser le Capital, qu’on est pour la révolution. « 

C’est en effet lassant pour la bourgeoisie et pour ceux qui n’y croient plus : telle est la démarche d’esprit qui conduit tout droit au révisionnisme : le but est trop loin alors au lieu de nous en approcher, enlisons-nous dans le présent et l’immédiat.

Quand ce sont des revendications qui ne veulent pas en être (comme on en trouve souvent et c’est inévitable dans nos tracts) : ça donne des ambiguïtés, des détours ( » si le pouvoir était aux travailleurs « ) qui ne sont pas clairs.

Le syndicat actuellement c’est comme les Conseils d’UER, purement et simplement de la participation.

Les camarades qui commencent à lutter contre la hiérarchie des salaires sont souvent tombés dans ce piège : le problème est-il entre augmentation, diminution ou modification?

Alors qu’on laisse en premier accepter l’idée que la hiérarchie est nécessaire, alors qu’on ne conteste ni son principe ni sa grille elle-même (pourtant on ne peut plus arbitraire).

Se battre sur le terrain de la bourgeoisie ou sur celui du prolétariat? Adopter la conception de la vie bourgeoise ou la conception de la vie prolétarienne? Préférer le syndicalisme-participation-intégration à la lutte pour la révolution?

Car le syndicalisme est bien une variante du révisionnisme :  » le mouvement syndical est tout, le but révolutionnaire n’est rien « .

Le terrain juridique est le terrain du savoir et des formes de lutte bourgeoises.

Quand un délégué syndical ou tout autre l’adopte il devient le spécialiste prélevé par le Capital à sa classe; pour le contrôler il faut devenir comme lui : un parvenu de l’aristocratie ouvrière.

D’ailleurs dans la majorité des cas, personne ne le contrôle car personne ne comprend plus rien à ses calculs.

A Labaz près de Bordeaux on a fait venir un permanent PCF-CGT pour faire reprendre le travail en période de paix électorale.

Son grand art a été de camoufler une défaite par des chiffres, de confondre ce que tous auraient obtenu sans faire grève et ce qu’on leur accordait.

Autre exemple il y a deux ans à Dassault : plus la lutte durait moins les ouvriers comprenaient pourquoi ils se battaient. Partie sur la parité des pourcentages avec Paris la lutte a débouché sur des pourcentages d’augmentation.

Pourtant les méthodes de lutte étaient dures, mais quand les ouvriers n’ont pas la direction politique de leur grève, quand leur objectif concret leur est incompréhensible ils perdent pied. En fait seuls 200 inconditionnels restaient à la fin du mouvement déterminés à se battre pour se battre.

Ce qui est sûr maintenant c’est qu’on doit faire preuve d’imagination, inventer des nouvelles formes de lutte en s’appuyant sans réserve sur l’initiative des masses, mais surtout accepter un langage nouveau pour exprimer les aspirations des masses.

Il faut détruire l’esprit syndicaliste et le jargon syndical et le remplacer par un esprit dynamique, révolutionnaire et nouveau.

C’est par ce changement radical que nous construirons sur le cadavre syndicaliste, un programme de contestation révolutionnaire.

Nous proposons que dans cette direction tous les camarades rivalisent.

A BAS LE SYNDICALISME-PARTICIPATION
A BAS LES REVENDICATIONS BIDONS

Pour une nouvelle forme de contestation !
Dans un esprit révolutionnaire militant !

Vive le Maoïsme

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Plate-forme du Comité Palestine (1969)

[10 février 1969.]

– I) Les comités Palestine sont créés dans le but de soutenir la lutte révolutionnaire du peuple palestinien contre le sionisme et l’impérialisme avec à sa tête l’impérialisme américain et d’appuyer activement le mouvement de libération de la Palestine.

– II) Les C.P. rejettent toute solution négociée qui ne tiendrait pas compte des droits nationaux du peuple palestinien sur la Palestine tout entière.

Par conséquent, les C.P. rejettent la résolution du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967.

– III) Les C.P. soutiennent la guerre populaire qui est le seul moyen pour le peuple palestinien de récupérer ses droits historiques et légitimes.

Cette lutte s’inscrit dans le cadre de la lutte mondiale contre l’impérialisme et ses alliés objectifs, les oligarchies intérieures.

– IV) Les C.P. soutiennent toute lutte du mouvement de libération palestinien contre tout régime, arabe ou non, réactionnaire ou pseudo progressiste, qui voudrait soit éliminer, soit récupérer le mouvement de lutte palestinienne.

– V) Les C.P. soutiennent le mouvement de libération palestinien dans sa volonté de détruire l’Etat d’Israël en tant qu’Etat aux structures théocratiques, racistes, colonialistes, capitalistes et fascistes, et de construire une Palestine laïque démocratique et socialiste.

Les C.P. soutiennent donc, comme l’a déjà fait le mouvement de libération palestinien, tous les groupes et militants, dont les militants juifs qui à l’intérieur d’Israël ou ailleurs, combattent pour les mêmes objectifs que les Palestiniens arabes.

– VI) Les C.P. luttent contre le sionisme et le racisme antijuif qui sont à l’origine de la création de l’Etat d’Israël et contre l’exploitation raciste (antijuive ou anti-arabe) du problème palestinien par les groupes fascistes et néofascistes.

– VII) Les C.P. considèrent que la lutte révolutionnaire du peuple palestinien est partie intégrante de la révolution mondiale, qu’elle peut jouer un rôle important dans la prise de conscience anti-impérialiste en Europe et en France et qu’elle se trouve à l’avant-garde de la lutte révolutionnaire des pays arabes et du Proche-Orient.

– VIII) Les C.P. forment une coordination. Cette coordination est composée de deux délégués de chaque comité Palestine. Des militants sont mandatés par l’assemblée pour certains travaux, ces militants sont révocables à tout moment.

Vive la lutte révolutionnaire du peuple palestinien !

Comité Palestine  

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Gauche Prolétarienne: La J.C.R. en mai-juin 1968

[Extrait des Cahiers de la Gauche Prolétarienne, n°1, avril 1969]

On doit se demander la raison des profondes affinités qui lient depuis pas mal de temps une fraction des trotskystes et le P.S.U.

Ces affinités ont conduit à Charléty.

[Allusion au meeting du 27 mai à Charléty appelé par le P.S.U., la CFDT, l’UNEF, le SNES Sup, et la JCR. Mendès-France était présent à la tribune]

Et comme il ne semble pas qu’il y ait eu la moindre autocritique sur ce point, comme sur bien d’autres, on est en droit de se poser et de poser des questions.

Rappelons les faits essentiels ; l’ex-J.C.R. dans la première semaine de mai constitue le bras séculier de l’U.N.E,F. ; dans les semaines qui suivent, elle se concentre dans les facultés et les coordinations naissantes ; dans la semaine décisive 24-31, elle se retrouve avec le P.S.U. lors des manifestations du 24 puis au stade Charléty.

Enfin, à partir de ce moment, vu la  » contre-offensive gaulliste « , elle décide que le temps du reflux étant arrivé, sa tâche est d’organiser î’avant-garde et surtout comme l’agitation des masses se perpétuait, il fallait protéger cette avant-garde naissante des tentations de l’aventurisme, du jusqu’au-boutisme.

Les partisans de  » la résistance prolétarienne  » se virent ainsi gratifiés de l’étiquette de  » jusqu’au-boutiste « .

C’était l’époque où l’on évoquait les grandes ombres du passé; on rappelait que le mouvement ouvrier avait mis des années après  » le massacre de la Commune  » pour se remettre de son affaiblissement.

D’où venaient ces idées ?

Moins des manuels et des souvenirs que du P.C. révisionniste.

La suite allait le démontrer amplement ; le thème de la Commune,  » solo funèbre  » pour la classe ouvrière est le thème de prédilection de Waldeck Rochet.

Comme on le voit d’après ces faits, la question s’impose : pour quelle raison cette proximité politique de l’ex-J.C.R. et du P.S.U. ?

La pensée avant-gardiste

Son expression la plus fulgurante est celle de la  » répétition « , 1968 est la répétition générale de la révolution socialiste française.

Bien, mais là où l’effet devient franchement burlesque, c’est lorsqu’on analyse le contenu de cette répétition.

En gros, si en 68, cela n’a pas marché, c’est parce qu’il n’y avait pas d’avant-garde ; s’il n’y avait pas d’avant-garde, c’est qu’au moment décisif, des militants d’avant-garde n’ont pas eu les moyens de faire pénétrer dans les masses la ligne d’avant-garde qui est celle du  » contrôle ouvrier « , la ligne de la  » transition révolutionnaire « .

Cela  » répète  » le programme de transition de Trotsky écrit en 1938. Ce n’est pas tout, ce programme est une répétition du programme de Lénine en 1917.

Et comme chacun sait, 17 a été précédé de la répétition du 1905. La lutte des classes est un théâtre où on joue toujours la même pièce.

Une telle pensée d’avant-garde qui aurait maintenu, répété, la première pièce d’avant-garde jouée sur la scène, la révolution bolchevique : voilà ce qui a manqué en 68.

Lisons le jeu de l’ex-J.C.R. pendant la tempête révolutionnaire à la lumière de cette pensée.

L’ex-J.C.R. est l’avant-garde puisque cette pensée est la sienne, mais en 68 cette avant-garde n’était pas en mesure de fonctionner comme avant-garde,

Deux conséquences : elle réagissait aux modifications du rapport de forces comme si elle le dominait politiquement ; elle se mettait à la place d’une avant-garde qu’elle n’était pas en fait mais qu’elle aurait pu être.

Ainsi, la semaine du 24 au 31 est-elle décisive : le pouvoir était vacant, pourquoi ? tout simplement parce que si à la place du P.C. F. -C. G. T. il y avait eu l’avant-garde cela se serait passé autrement : le pouvoir aurait été à prendre (et on l’aurait pris)…

De même puisque le P.C. F. ne réagissait pas à la contre- offensive du pouvoir le 31, puisque à partir de ce moment le pouvoir n’était plus à prendre, l’objectif ne pouvait être que de protéger l’avant-garde (celle qui… à la place du P.C. F. eût changé la face de l’histoire).

On voit la conséquence pratique : cette identification imaginaire aboutit à suivre le rapport de forces tel qu’il est tranché par le P.C. F.

On est l’ombre révolutionnaire du P.C.F., l’ombre portée.

La résistance prolétarienne est inadmissible dans cet ordre d’idées.

En effet son objectif est précisément de dérégler le jeu gaullisme-P.C.F.

Son objectif, c’est que la force ouvrière réprimée idéologiquement par le révisionnisme s’exprime avec l’aide des étudiants révolutionnaires.

Cette expression-là c’est l’aurore d’un parti prolétarien.

Un parti qui naisse de la lutte révolutionnaire des masses (ouvriers et étudiants révolutionnaires) contre les ennemis, la contre-révoultion : le pouvoir et son complice révisionniste.

Deux voies : ou l’on se proclame (en pensée ou en paroles) une avant-garde et cela amène à une pratique politique  » paradoxale « .

Ou l’on édifie une avant-garde, le noyau dirigeant de la cause du peuple.

Et alors on part de la réalité. Ce qui veut dire, entre autres, qu’on part du fait que les masses ne nous reconnaissent pas encore comme avant-garde.

Transformer cette réalité c’est montrer dans les faits en quoi l’on a fait avancer l’histoire.

Le rêvolutionnarisme petit-bourgeois

On a vu comment une pensée avant-gardiste se donne en pensée ce qui est à créer dans la matière. On a vu qu’une telle pensée implique le suivisme.

En effet cette avant-garde imaginaire est contrainte de partir de la réalité que ceux qui sont à la place qu’elle désire (la direction de la classe ouvrière) produisent. En d’autres termes, elle suit (en critiquant).

Ce qui reste à analyser c’est le fait suivant : quelle est dans ce cas précis la position réelle adoptée par cette avant-garde en paroles ?

Si elle n’est pas à l’avant, alors où est-elle ? Les faits montrent que l’ex-J.C.R. s’est trouvée à la  » gauche  » du P.S.U. Pourquoi cette position ?

Pour répondre à cette question il ne suffit pas de dire que « dirigeant  » le même mouvement (le mouvement étudiant) ce n’est pas un hasard qu’ils se soient retrouvés bons compagnons; d’autres groupements politiques avaient une influence de masse dans le mouvement des étudiants révolutionnaires qui n’ont pas pris cette orientation putschiste (ex-22 mars, ex-U.J.C.M.L.).

Il faut donc que ce rapprochement ait non seulement été facilité par une référence sociale commune (le mouvement étudiant), mais par une politique convergente. C’est ce qu’il faut déterminer.

La convergence idéologique était perceptible, bien avant mai: les thèses de Mandel, ie penseur de l’ex-J.C.R,, l’adaptateur du programme de transition de Trotsky aux conditions de notre époque, ont rencontré et partiellement fusionné avec les thèses du socialisme petit-bourgeois : les thèses du  » réformisme révolutionnaire « .

La ligne du  » contrôle ouvrier  » est devenue la ligne des  » réformes de structures anticapitalistes « .

La ligne du  » contre-pouvoir  » a été amalgamée avec celle du  » double pouvoir « , Le contre-pouvoir pour les réformistes révolutionnaires c’est la ligne qui consiste à opposer à une politique une autre politique, à un pouvoir de décision un contre-pou voir de décision ; par exemple, opposer au pouvoir patronal le pouvoir syndical ; au plan, un contre-plan; au modèle de civilisation, un autre modèle de civilisation.

On voit évidemment que cette ligne part des formes du despotisme impérialiste (extension du despotisme ; phénomènes nouveaux de distribution du pouvoir) et lui oppose une ligne d’action  » réformiste  » : en effet au lieu de déterminer une politique qui s’oppose radicalement à la structure actuelle du despotisme, on propose une politique qui, épousant les formes du despotisme telles qu’elles apparaissent, n’est rien d’autre que le renouvellement de la tactique classique du réformisme : le  » grignotage  » imaginaire du pouvoir, le refus réel de sa destruction en raison du refus de poser concrètement la question du fusil qui est le pilier du despotisme impérialiste.

Apparemment dans le cas trotskyste, c’est radicalement différent : puisque le thème de l’insurrection armée est invoqué. Mais ce n’est qu’une apparence.

Considérons le programme de transition de Trotsky, base de référence.

II semble qu’il répète en tous points le programme bolchevique de 1917.

Mais il y a un hic : le thème du contrôle ouvrier en 17 est subordonné à un contexte concret où il prend tout son sens.

Dégagé de ce contexte, il perd tout son sens. Quel est ce contexte ?

L’existence de Soviets, d’un pouvoir rouge inventé par les masses.

Quelle est l’essence de ce pouvoir ? C’est un pouvoir révolutionnaire parce qu’il combine grâce à l’action dirigeante des bolcheviks les deux conditions essentielles : l’appui des masses et le fusil.

C’est un pouvoir parce que sa base est une base de masse et que son pilier, l’embryon de l’armée, est constitué.

En d’autres termes pour se retrouver dans une situation du type 1917 il faudrait non seulement avoir sa  » ligne de contrôle ouvrier  » (ça n’a jamais été une ligne pour Lénine, tout au plus un élément secondaire de la ligne) mais surtout il faudrait avoir réglé la question de l’armement unifié des classes révolutionnaires (et pas seulement du prolétariat) des classes révolutionnaires, de la majorité réelle du peuple.

(La majorité réelle qui n’a, bien entendu, rien à voir avec une quel-majonte électorale, c’est la majorité des masses populaires actives inquement que les révolutionnaires bolcheviks ont pour tâche de mobi-user consciemment).

Une paille comme on voit !

En 1917, le Soviet était une forme inédite d’armement unifié des classes révolutionnaires.

On connaît le secret de l’affaire : la guerre inter-impérïaliste avait aboli la distance villes-campagnes (problème fondamental de la révolution mise), cette même guerre avait donné le fusil au paysan : c’était le soldat.

La question principale de la révolution est celle du pouvoir, c’est-à-dire avant la dictature du prolétariat celle de la guerre révolutionnaire : ce n’est pas, et pour cause, la question du contrôle ouvrier (ou de l’autogestion).

Quand on prétend avoir répété le grand soir en sortant de mai 68 avec la ligne du contrôle ouvrier, qu’est-ce que l’on fait d’autre qu’oublier le fusil, même si par ailleurs on bavarde sur l’insurrection armée et les piquets de grève qui en sont les premiers détachements.

Croit-on que c’est en un mois qu’on invente la solution de ce problème ?

Autant dire qu’on ne le considère pas comme un problème.

Dans le contexte de mai 68 où la violence ne fut jamais politico-militaire mais toujours politico-idéologique (en effet, elle visait moins à anéantir l’ennemi qu’à éveiller les forces de l’ami), on comprend que cet oubli de fusil redevienne actuel.

Les continuateurs de Trotsky et les partisans de la voie pacifique extraparlementaire (P.S.U.) se retrouvent sur le même terrain. On comprend les émouvantes communions de Charléty.

On voit comment base sociale (révolte idéologique anti-autoritaire à caractère petit-bourgeois) et idéologique (amalgame de la ligne de transition trotskyste et la ligne de transition réformiste révolutionnaire) se conjoignent pour donner Charléty.

Tout cela est cimenté par la position vis-à-vis du révisionnisme intitulé « bureaucratie stalinienne ».

De même que la ligne du P.S.U. suppose l’unité de la gauche et que la tactique du P.S.U. c’est de faire pression sur la gauche pour  » renouveler  » le socialisme ; la tactique des trotskystes est de faire pression sur la bureaucratie stalinienne, parti ouvrier mais affligé d’une tare (il a rejeté la ligne du contrôle ouvrier).

Voilà comment à Charléty la pression du réformisme révolutionnaire s’est conjointe avec la pression de la ligne du contrôle ouvrier ; double pression qui devait accabler le révisionnisme.

Les faits : loin d’être accablé, le révisionnisme est sorti renforcé de Charléty, II y a ainsi d’étranges avant-gardes.

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