Paul Boccara ne dépassa pas le rang de cadre de prestige et d’analyste incontournable ; même s’il forma les cadres, il ne parvint jamais à la direction. C’est que finalement personne n’était dupe de son rôle de machine à écrire du PCF.
Ce que dit Pierre Laurent, en tant que dirigeant du PCF au moment de la mort de Paul Boccara, dans la seconde partie des années 2010, est très significatif. Fils d’un dirigeant du PCF, Pierre Laurent a en effet été formé par le boccarisme en tant que tel :
« Paul a marqué des générations de militants, et j’en fais partie. Nous planchions alors dans les écoles de formation du Parti tout à la fois sur Marx, sur Lénine et sur les analyses de Paul sur le capitalisme monopoliste d’État. »
Pierre Laurent le présenta également « théoricien, penseur » ; il salua ses travaux sur le capitalisme monopoliste d’État, la « théorie de la crise suraccumulation-dévalorisation du capital », les « nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale des entreprises, alternatifs à ceux de la rentabilité financière ».
Et il le présent a aussi comme décisif pour la stratégie du PCF du milieu des années 2010 :
« Il a été le créateur du projet de « sécurité d’emploi et/ou de formation » aujourd’hui porté par le PCF. »
Seulement, à lire cela, on voit mal pourquoi il ne serait pas devenu le dirigeant du PCF, puisqu’il a théorisé sa conception, formulé sa ligne politique, effectué ses analyses, etc. On voit bien qu’au-delà des salutations, il y a simplement la reconnaissance faite à un intellectuel.
Paul Boccara était de fait une figure incontournable du PCF, particulièrement présent dans sa vie interne, jusqu’au folklore : avec la délégation du Val-de-Marne, il entonnait des chansons révolutionnaires à la fin des congrès. Son but était simplement d’apparaître comme le plus grand disciple de Karl Marx.
Il avait au moins réussi cela aux dépens de Roger Garaudy et Louis Althusser, dont il parle par ailleurs en 1961, dans une série d’articles intitulée Quelques hypothèses sur le développement du « Capital ».
Roger Garaudy, philosophe officiel du PCF, affirmait qu’il était nécessaire de réduire le marxisme à un humanisme révolutionnaire, et qui pour cette raison se fera progressivement mettre hors-jeu.
Louis Althusser proposait quant à lui une version structuraliste du marxisme, affirmant avec ses disciples dans la série d’ouvrages Lire le capital qu’il fallait lire celui-ci philosophiquement, sans rapport avec l’histoire, la politique ou l’économie. Lui aussi sera mis de côté par le PCF.
Seule la perspective de Paul Boccara pouvait satisfaire le PCF, proposant à l’aristocratie ouvrière une idéologie clef en main, avec une participation aux institutions et une souplesse idéologique totale.
C’est d’ailleurs lui qui fit en sorte d’établir le dispositif justifiant de supprimer tout référence à Lénine, tout en ayant une certaine lecture de Karl Marx qui justifierait la différence avec les socialistes.
Dans Pour une révolution dans la révolution théorique marxiste, écrit en 1990, il expose cela de la manière suivante :
« Dans les conditions de la crise du capitalisme monopoliste d’État actuel dans les pays dits développés ou dits en voie de développement, comme dans celles de la crise des tentatives de construction d’un socialisme de rattrapage étatiste dans des pays en règle générale arriérés, plus que jamais il s’agit de renouer, par delà toutes les graves réductions et déformations ultérieures, avec le processus essentiellement inachevé de la révolution théorique initiée par Marx (…).
Confondre la pensée de Jaurès avec celle de Blum perpétue un grave détournement d’héritage, masquant l’effort de dépassement rassembleur de Jaurès jusqu’à l’extrême-gauche « syndicaliste révolutionnaire » mais s’opposant à l’extrême-droite socialiste comme les « ministérialistes » (pour la participation à des gouvernements bourgeois radicaux.
Cependant les efforts de synthèse intellectuelle liés à la sincère passion révolutionnaire de Jaurès, si suggestifs soient-ils, sont encore beaucoup trop éclectiques et trop peu profonds par rapport à l’ampleur et à la rigueur théorique de l’œuvre de Marx elle-même inachevée et donc également par rapport à ses potentialités de développement radicalement nouveaux.
Mais aussi, j’ai déjà eu l’occasion depuis une trentaine d’années de montrer, précisément à travers des essais d’avancée positive, les graves insuffisances, par rapport aux potentialités des hypothèses de Marx, de la pensée de Lénine.
Ces insuffisances concernent notamment l’analyse des transformations technologiques ou économiques du capitalisme et du capitalisme monopoliste d’État, ou encore l’analyse des formes de l’État bourgeois et de l’évolution de Marx tendant à s’émanciper des idées de dictature du prolétariat d’origine babouviste ou blanquiste, etc.
Mais aujourd’hui les réductions et les déformations de Marx par les analyses de Lénine liées à l’arriération russe de l’époque, malgré des tentatives suggestives d’analyses nouvelles, sont encore plus des entraves pour des élaborations créatrices, étant donné notamment leur contribution théorique à la construction d’un socialisme étatiste, même dans des formes se voulant plus ouvertes et pragmatiques.
Elles sont aussi des entraves face à toute la richesse de la pensée et de la recherche théorique sociales ultérieures à Marx et ne partant pas de lui, si unilatérales et discutables soient-elles. »
Lénine est également présenté comme suit :
« Au-delà de son sens de la rupture révolutionnaire contre tout attentisme social-démocrate, ses insuffisances objectives et subjectives seront particulièrement graves du point de vue non d’une rupture révolutionnaire, mais d’une construction proprement socialiste. »
Paul Boccara fit ainsi passer le PCF d’un « marxisme-léninisme » révisionniste au post-marxisme.