L’importance de Paul Boccara dans le PCF

Paul Boccara ne dépassa pas le rang de cadre de prestige et d’analyste incontournable ; même s’il forma les cadres, il ne parvint jamais à la direction. C’est que finalement personne n’était dupe de son rôle de machine à écrire du PCF.

Ce que dit Pierre Laurent, en tant que dirigeant du PCF au moment de la mort de Paul Boccara, dans la seconde partie des années 2010, est très significatif. Fils d’un dirigeant du PCF, Pierre Laurent a en effet été formé par le boccarisme en tant que tel :

« Paul a marqué des générations de militants, et j’en fais partie. Nous planchions alors dans les écoles de formation du Parti tout à la fois sur Marx, sur Lénine et sur les analyses de Paul sur le capitalisme monopoliste d’État. »

Pierre Laurent le présenta également « théoricien, penseur » ; il salua ses travaux sur le capitalisme monopoliste d’État, la « théorie de la crise suraccumulation-dévalorisation du capital », les « nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale des entreprises, alternatifs à ceux de la rentabilité financière ».

Et il le présent a aussi comme décisif pour la stratégie du PCF du milieu des années 2010 :

« Il a été le créateur du projet de « sécurité d’emploi et/ou de formation » aujourd’hui porté par le PCF. »

Seulement, à lire cela, on voit mal pourquoi il ne serait pas devenu le dirigeant du PCF, puisqu’il a théorisé sa conception, formulé sa ligne politique, effectué ses analyses, etc. On voit bien qu’au-delà des salutations, il y a simplement la reconnaissance faite à un intellectuel.

Paul Boccara était de fait une figure incontournable du PCF, particulièrement présent dans sa vie interne, jusqu’au folklore : avec la délégation du Val-de-Marne, il entonnait des chansons révolutionnaires à la fin des congrès. Son but était simplement d’apparaître comme le plus grand disciple de Karl Marx.

Il avait au moins réussi cela aux dépens de Roger Garaudy et Louis Althusser, dont il parle par ailleurs en 1961, dans une série d’articles intitulée Quelques hypothèses sur le développement du « Capital ».

Roger Garaudy, philosophe officiel du PCF, affirmait qu’il était nécessaire de réduire le marxisme à un humanisme révolutionnaire, et qui pour cette raison se fera progressivement mettre hors-jeu.

Louis Althusser proposait quant à lui une version structuraliste du marxisme, affirmant avec ses disciples dans la série d’ouvrages Lire le capital qu’il fallait lire celui-ci philosophiquement, sans rapport avec l’histoire, la politique ou l’économie. Lui aussi sera mis de côté par le PCF.

Seule la perspective de Paul Boccara pouvait satisfaire le PCF, proposant à l’aristocratie ouvrière une idéologie clef en main, avec une participation aux institutions et une souplesse idéologique totale.

C’est d’ailleurs lui qui fit en sorte d’établir le dispositif justifiant de supprimer tout référence à Lénine, tout en ayant une certaine lecture de Karl Marx qui justifierait la différence avec les socialistes.

Dans Pour une révolution dans la révolution théorique marxiste, écrit en 1990, il expose cela de la manière suivante :

« Dans les conditions de la crise du capitalisme monopoliste d’État actuel dans les pays dits développés ou dits en voie de développement, comme dans celles de la crise des tentatives de construction d’un socialisme de rattrapage étatiste dans des pays en règle générale arriérés, plus que jamais il s’agit de renouer, par delà toutes les graves réductions et déformations ultérieures, avec le processus essentiellement inachevé de la révolution théorique initiée par Marx (…).

Confondre la pensée de Jaurès avec celle de Blum perpétue un grave détournement d’héritage, masquant l’effort de dépassement rassembleur de Jaurès jusqu’à l’extrême-gauche « syndicaliste révolutionnaire » mais s’opposant à l’extrême-droite socialiste comme les « ministérialistes » (pour la participation à des gouvernements bourgeois radicaux.

Cependant les efforts de synthèse intellectuelle liés à la sincère passion révolutionnaire de Jaurès, si suggestifs soient-ils, sont encore beaucoup trop éclectiques et trop peu profonds par rapport à l’ampleur et à la rigueur théorique de l’œuvre de Marx elle-même inachevée et donc également par rapport à ses potentialités de développement radicalement nouveaux.

Mais aussi, j’ai déjà eu l’occasion depuis une trentaine d’années de montrer, précisément à travers des essais d’avancée positive, les graves insuffisances, par rapport aux potentialités des hypothèses de Marx, de la pensée de Lénine.

Ces insuffisances concernent notamment l’analyse des transformations technologiques ou économiques du capitalisme et du capitalisme monopoliste d’État, ou encore l’analyse des formes de l’État bourgeois et de l’évolution de Marx tendant à s’émanciper des idées de dictature du prolétariat d’origine babouviste ou blanquiste, etc.

Mais aujourd’hui les réductions et les déformations de Marx par les analyses de Lénine liées à l’arriération russe de l’époque, malgré des tentatives suggestives d’analyses nouvelles, sont encore plus des entraves pour des élaborations créatrices, étant donné notamment leur contribution théorique à la construction d’un socialisme étatiste, même dans des formes se voulant plus ouvertes et pragmatiques.

Elles sont aussi des entraves face à toute la richesse de la pensée et de la recherche théorique sociales ultérieures à Marx et ne partant pas de lui, si unilatérales et discutables soient-elles. »

Lénine est également présenté comme suit :

« Au-delà de son sens de la rupture révolutionnaire contre tout attentisme social-démocrate, ses insuffisances objectives et subjectives seront particulièrement graves du point de vue non d’une rupture révolutionnaire, mais d’une construction proprement socialiste. »

Paul Boccara fit ainsi passer le PCF d’un « marxisme-léninisme » révisionniste au post-marxisme.

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Paul Boccara : «Anthroponomie» et civilisation

Le concept d’anthroponomie est employé pour la première fois par Paul Boccara en 1969, mais c’est surtout après 1990 qu’il va l’utiliser en remplacement du programme communiste.

Ce terme apparaît à la suite du manifeste de Champigny, en décembre 1968, où le PCF souligne l’importance des formes para-étatiques pour mobiliser les masses. Il y a là une idée de « reconquête » de l’État, d’où d’ailleurs les références historiques toujours plus nombreuses du PCF à un 1789 fantasmé.

L’anthroponomie apparaît comme le pendant théorique et culturelle de cette pseudo conquête ; cela désigne chez Paul Boccara toutes les activités non économiques. La sphère de l’activité non économique devrait prendre toujours plus le dessus ; c’est ni plus ni moins qu’une sorte de théorie du temps libre, une version ultra édulcorée du communisme.

Il faut avoir en tête ici que chez Paul Boccara, il est possible d’intégrer dans une « planification démocratique » même le secteur capitaliste privé, et que plus il y a « démocratie », plus il y a de l’espace pour l’anthroponomie.

Et cette démarche réformiste est valable pour tout et n’importe quoi : la Communauté Européenne, l’ONU, le FMI, etc. Tout est récupérable… si on le gère différemment, si on le tourne mieux.

En 2010, Paul Boccara affirma par exemple ouvertement qu’il n’était nul besoin de s’opposer à l’euro, qui pourrait être un moyen « pour le financement du progrès social et de la coopération en Europe ». Il suffirait que soit formé un « fonds européen de développement social, écologique et solidaire », prêtant à taux zéro ou presque pour ce qui serait socialement utile.

Cette dimension « sociale », « écologique », « solidaire », etc., c’est cette « anthroponomie », une sorte de sphère regroupant tout ce qui relève de la « régénération humaine », formulation sans contenu autre qu’idéaliste qui est devenu au fur et à mesure le mot d’ordre général de Paul Boccara et du boccarisme.

Voici ce que cela donne, en 2010, dans Pour des avancées des théories hétérodoxes ou critiques :

« Il convient d’insister sur le fait que l’on ne peut réussir à maîtriser et à commencer à dépasser les marchés sans l’avancée de nouveaux pouvoirs et d’une nouvelle culture pour animer les nouvelles institutions.

Plus largement il s’agit, en liaison avec l’économie, de transformations au-delà d’elle dans tous les domaines anthroponomiques [concept de Paul Boccara, désignant « les aspects non économiques de la vie humaine »] de la société et de toute la civilisation.

En ce qui concerne une nouvelle gouvernance mondiale, on pourrait chercher à construire des institutions de démocratie participative internationale, au-delà du Conseil économique et social de l’ONU actuel, et d’une expansion considérable des grandes agences de l’ONU.

Pour une nouvelle civilisation, il ne suffit pas de nouveaux pouvoirs, il faut que puisse se développer une autre culture et un nouvel humanisme. Cela se rapporterait à des valeurs de partages jusqu’à chacun.

Ce serait des partages des ressources, des pouvoirs, des informations et des rôles, tout particulièrement des rôles de création, pour une civilisation d’intercréativité. »

Paul Boccara ne parvint jamais à formuler autre chose qu’un charabia idéaliste au sujet de la civilisation et de la régénération humaine, et ce malgré un intense travail pour théoriser quelque chose. Voici ce qu’il disait déjà en 1986 :

« L’ensemble de mon travail sur les interventions des travailleurs dans les gestions se relie non seulement à mes recherches économiques antérieures mais à des recherches nouvelles, dans le cadre de mon projet dit anthroponomique de type transdisciplinaire, en coopération avec des sociologues, des spécialistes du psychisme, de la langue, etc.

Ainsi, au-delà des approches en cours liées aux recherches en gestion, sur les problèmes d’organisation, de pouvoir, ou encore de psychologie des groupes d’individus, je prétends introduire des concepts différents comme ceux des identités contradictoires et relationnelles de chaque travailleur, des crises d’identité de ces travailleurs. »

Il était évident que Paul Boccara ne pouvait parvenir à quelque chose, puisqu’il s’agit ici d’un révisionnisme résolu, cherchant à définir le communisme en des termes idéalistes, de le réduire au partage, la solidarité, etc.

Il parviendra cependant à former les cadres du PCF dans cette perspective.

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La coopération économique selon Paul Boccara

Si l’on ne comprend pas le déplacement idéologique léger fait par Paul Boccara dans sa conception, on ne comprend pas pourquoi le PCF est parvenu à se maintenir durant les années 1990, 2000, 2010.

En maintenant les exigences sociales, ainsi que la logique de participation au gouvernement, mais en mettant surtout l’accent sur la participation aux institutions depuis les organismes existants, il a maintenu en place tout l’appareil du PCF.

Cette participation aux organismes institutionnels était auparavant présenté comme un moyen pour aller dans le sens de la démocratisation. Désormais, c’était considéré comme une fin en soi. Le PCF se considérait comme une démocratie en soi, comme porteur de la démocratie sociale.

Cette fiction maintenait la grande unité de la base, alors que l’appareil du PCF profitant de toutes façons de vastes corruptions, notamment au niveau municipal ou par l’intermédiaire des structures syndicales, avait tout intérêt à ce que rien ne bouge.

La CGT elle-même, largement impliqué dans les comités d’entreprise avec ses contre-projets, et avec des responsables largement corrompus socialement, avait les mêmes intérêts.

Paul Boccara put donc appeler à des choses absolument non communistes comme une « coopération et compétition coordonnée » entre les entreprises, ou bien demander à ce que les collectivités territoriales épaulent les demandes des petites entreprises auprès des banques. Cela ne choquait désormais plus personne.

L’ennemi était désormais seulement la finance – auparavant la lutte contre la finance était censée permettre le démarrage d’une lutte contre tout le capitalisme – et tout était permis du moment que la finance était présentée comme l’ennemi.

Voici comment Paul Boccara, dans Les interventions dans les régions : un moyen de dépasser les contradictions de la politique du gouvernement de gauche sur l’emploi et la finance, formule cette fiction idéologique anti « finance » :

« La question de la mobilisation du crédit, des banques et des institutions financières reste, pour l’essentiel, tabou, non seulement pour le gouvernement ou les médias, mais aussi pour le mouvement social, y compris les communistes.

Or dans la réalité, une mobilisation novatrice du crédit et des banques pourrait être cruciale (…).

On peut même dire que toute la crise systémique consiste dans le recul du crédit pour la production, qui était devenu trop inflationniste, en faveur de la croissance du marché financier et de la déflation relative du crédit pour la production – et encore plus pour l’emploi – sous la pression des capitaux à vocation multinationale.

Au contraire pour contribuer à un recul fondamental du marché financier et à la sortie de la crise, il faudrait un nouveau type de crédit peu inflationniste et relançant efficacement, de façon moderne, la production, l’emploi, la formation, la recherche, les coopérations. »

Le PCF est, à partir de 1989, ouvertement pour l’amélioration de l’économie capitaliste, formulé comme son encadrement pour échapper à la logique financière. La base ayant été éduquée dans le fait que seule la finance formait l’obstacle au progrès – et cette idée était déjà présente à l’époque de Maurice Thorez, avant même Paul Boccara – ne pouvait qu’accepter cela.

Pour tout de même disposer d’une sorte de projet, Paul Boccara dut inventer une nouvelle conception, celle d’un « communisme » qui consisterait en une logique de communautarisation sociale.

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Paul Boccara et la mixité économique

L’échec du PCF lors de la participation au gouvernement et l’effondrement du bloc de l’est en 1989 amena une adaptation théorique. Paul Boccara, toujours en place, quoi qu’il arrive, maintint la ligne générale mais en accentuant le trait de l’autogestion.

L’échec du bloc de l’est, ainsi que du gouvernement de 1981 malgré les nationalisations, tiendraient au caractère « étatiste » de la perspective tracée. Dans ce cadre, la référence à Lénine fut abandonnée.

Le secteur public se vit également attribuer désormais une valeur foncièrement positive. Si auparavant, l’État était analysé comme un serviteur des monopoles, désormais sa nature neutre est assumée. Le secteur public fut présenté comme pouvant avoir, indifféremment, une gestion pro-bénéfices ou une gestion sociale.

C’est de là que vint la théorie de la mixité qui devrait s’installer dans l’économie, avec un large secteur public à vocation « sociale ». Ce serait une mixité « marché / partage ».

Évidemment, cela fut justifié par une prétendue nouvelle phase de la crise du capitalisme monopoliste d’État, une nouvelle « forme ».

En avril 1990, Paul Boccara explique dans une interview à Économie et Politique que :

« Le copilotage État / privé n’est plus le même aujourd’hui dans la crise que celui du CME classique. L’enjeu est donc bien celui d’une nouvelle économie mixte. Mais laquelle ? (…)

La question d’une nouvelle économie mixte à prédominance publique et sociale pour aller de l’avant est posée très fortement (…).

Notre conception n’a rien à voir avec la tradition étatiste d’une unification. Quel est aujourd’hui le rôle de l’État ? Il intervient pour favoriser le capital, mais aussi pour le corriger, y compris sous la pression des luttes, les effets de cette action.

Il joue donc des deux côtés. Il faut casser cette conception où c’est toujours l’État qui décide l’essentiel dans le secteur public, soit pour soutenir le privé, soit pour « corriger ».

L’enjeu du changement révolutionnaire n’est pas dans la correction par un État plus démocratique et prétendument « égalisateur ». L’intervention de l’État devrait pouvoir consister désormais davantage à lâcher des pouvoirs décentralisés et à aider à leur mise en œuvre. »

On est encore résolument dans le vargisme, mais le programme n’est plus une démocratie avancée, avec une certaine centralisation, mais une sorte de participation des masses à l’économie à partir des organismes « démocratiques » existants, ainsi que par un appui d’une banque publique ayant une « bonne » orientation.

On reste dans le principe suivant lequel il faut de nouveaux critères de gestion dans les entreprises, aux dépens de la dimension financière, des dividendes, mais cette fois il est parlé, comme ici en 1999, de : « mixité conflictuelle, viable et évolutive avec la rentabilité des capitaux »

Voici comment cette perspective est résumée par Paul Boccara, en 1994 :

« Proposer une mixité tout à fait nouvelle, à prédominance publique et sociale, (avec prépondérance de critères d’efficacité sociale sur les critères de rentabilité capitaliste), cela veut dire

1) que le secteur public, industriel et du crédit, puisse inciter des entreprises privées à faire telle chose et non pas telle autre ce qui implique des incitations économiques fortes, et convergentes sur divers plans, liées à de nouveaux critères d’efficacité sociale des fonds, notamment au niveau de la fiscalité du crédit ;

2) et aussi que les travailleurs, les populations, les élus puissent intervenir à partir de critères de cohérence nouveaux, surtout les fonds de l’entreprise pour des choix concrets sociaux et efficace.

Il faut voir l’ampleur du changement, la créativité culturelle et politique nécessaire. Il faut tenir les deux bouts dans la durée et en ayant confiance dans notre peuple.

D’abord, il faut des changements de très grande ampleur, d’une très grande cohérence, systémique, c’est-à-dire qui change le système, même si c’est pour une mixité nouvelle. C’est un autre système mixte. »

C’est somme toute la ligne du Parti socialiste des années 1980.

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Paul Boccara et l’autogestion pour la base de masse

La proposition stratégique du « traité » sur le capitalisme monopoliste d’État sous-tend que la bourgeoise alliée à l’aristocratie ouvrière gagnerait beaucoup : il y aurait la paix sociale grâce au PCF et à la CGT, les autres fractions de la bourgeoisie seraient mises de côté, il y aurait l’alliance avec l’URSS, qui est militairement dans les années 1980 résolument prédominante, engloutissant son économie dans un complexe militaro-industriel hypertrophié.

Cela impliquait donc la capacité pour le PCF à montrer qu’il était capable de mobiliser les masses pour ce projet, qu’il avait un moyen tactique voire stratégique de stabiliser un éventuel un nouveau régime.

L’acquisition de cette base de masse est ce que Paul Boccara appelle « la voie autogestionnaire de la révolution en France ».

L’alliance avec le Parti socialiste pour l’arrivée au gouvernement et pour qu’il y ait des nationalisations n’était qu’un aspect de la question pour le PCF ; le second aspect était la mobilisation pour un basculement.

En clair, la France devait dans cette logique connaître une économie avec d’un côté une bourgeoisie industrielle, capitaliste, et de l’autre côté un secteur public Etat de type bureaucratique – corporatiste pro-soviétique.

En 1976, Paul Boccara résuma de la manière suivante ce programme lors d’un colloque sur l’inflation à Stockholm rassemblant les partis occidentaux liés à l’URSS, au nom de la délégation française, en conclusion de son exposé :

« Les mesures de politique immédiate, tout en étant proposées dans le cadre de la domination monopoliste d’État, doivent nécessairement déjà mettre en cause le gâchis des profits et de l’accumulation monopoliste ainsi que leur financement pour lutter contre les effets de la crise.

Dans les conditions de la France, le Programme commun de la gauche de transformation démocratique très profonde, par la nationalisation antimonopoliste et la démocratisation de l’État, doit permettre de commencer à sortir de la crise.

C’est la marche au socialisme comme progression sur toute la ligne de la démocratie, sur le terrain politique comme sur le terrain économique, qui permettra à la France de sortir définitivement de la crise du capitalisme.

La gravité de la crise du système monétaire et de l’inflation accélérée actuelle, comme les efforts sans précédents de régulation autoritaire des revenus de tous les travailleurs, montrent avec les autres manifestations de la crise du système, que le changement de société constitue bien la perspective des luttes de classe et de masse démocratique dans notre pays. »

Il va de soi également que la capacité ou non de mobiliser était essentiel pour le processus de basculement. D’où la tentative, une fois au gouvernement, de pousser au maximum dans le sens d’une mobilisation pour un « basculement ».

Voici comment Paul Boccara, en 1982, alors que le PCF est au gouvernement depuis l’accession de François Mitterrand à la présidence l’année précédente, appelle au socialisme autogestionnaire, à aller dans le sens de ce basculement :

« Dans les conditions politiques actuelles, l’intervention des travailleurs dans la gestion des entreprises peut être d’une importance décisive.

En effet, les efforts du gouvernement de gauche et de la nouvelle majorité se heurtent aux gâchis des moyens et des hommes des gestions actuelles dominées par les critères capitalistes.

Si l’on ne menait pas une lutte suffisamment efficace contre ces gâchis, alors par exemple tous les efforts financiers du gouvernement, au nom de l’emploi, pourraient ressembler aux efforts des Danaïdes de la légende qui n’arrivaient jamais à remplir leur tonneau crevé.

Inversement, si l’on arrivait à développer une intervention des travailleurs commençant à changer, dans une mesure appréciable, les gestions des entreprises, dans les nationalisées en premier lieu mais aussi partiellement dans les autres, alors, à travers des luttes de classe d’un contenu nouveau, on pourrait commencer à sortir concrètement, ici et là puis dans tout le pays, du chômage et des autres maux de la crise.

En même temps, on commencerait à construire, au fond, à travers des luttes acharnées, économiques, politiques et idéologiques, le socialisme à la française, un socialisme autogestionnaire. »

L’élan économique ne satisfaisant pas François Mitterrand, qui ne voyait pas non plus de vraie mobilisation de la base populaire sous l’impulsion du PCF, les ministres communistes quittèrent finalement rapidement le gouvernement. L’échec était patent et le PCF était qui plus est devenu bien inférieur électoralement au PS.

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Paul Boccara et l’alliance avec le Parti socialiste

Le principal partenaire potentiel du Parti Communiste français fut bien entendu le Parti socialiste. A cela s’ajoutent les républicains de gauche, c’est-à-dire le centre-gauche, les radicaux de gauche, etc.

Dans les années 1970, le PS venait de se réunifier, sous l’égide de François Mitterrand ; il restait toutefois divisé en de multiples courants. Il n’y avait donc pas la force de frappe militante et organisationnelle du PCF, d’ailleurs encore plus fort électoralement.

Le PS va réussir à renverser la tendance, même si sur le plan militant, il y aura une forme de parité. Lorsque le PCF et le PS proposèrent un programme commun de gouvernement le 27 juin 1972, chacun espérait utiliser l’autre ; c’est en fin de compte le PS qui l’emportera.

Au sujet de ce programme commun, Paul Boccara dit la chose suivante lors d’une intervention au XXe congrès du PCF, qui se tint à Saint-Ouen du 13 au 17 décembre 1972 ; intitulée La nouvelle logique économique du programme commun nouvelles conditions de production et développement des hommes, il y est dit :

« Quel est le caractère fondamental du Programme commun ?

C’est qu’il apporte, comme l’a montré dans le rapport du Comité central Georges Marchais, la solution à la crise du capitalisme monopoliste d’État.

Il s’agit de la solution, à la fois véritable et immédiatement possible, dans les conditions de la France (…).

On ne peut sortir de la crise par un replâtrage du système actuel, mais par les transformations démocratiques profondes, antimonopolistes, organisées par le Programme commun.

Cependant, cette solution à la crise du système rompant avec le capitalisme monopoliste d’État et immédiatement disponible, ne constitue pas encore le socialisme.

L’application du Programme commun ouvrira, disons-nous, la voie au socialisme, en instaurant une phase de transition vers un socialisme développé dans les conditions spécifiques de la France (…).

Issue des travaux du Parti sur la « régulation économique » démocratique, développée dès 1971 par notre Parti dans la bataille pour Changer de cap, l’idée de cette nouvelle logique économique est désormais revendiquée par le Programme commun.

Elle peut et doit devenir une arme puissante dans la bataille politique pour faire triompher le Programme commun et, demain, pour l’appliquer.

Si nous ouvrons le Programme commun, nous lisons à la page 139 : « Le gouvernement maintiendra les équilibres financiers en s’appuyant sur une nouvelle logique de croissance ». (…)

Les monopoles dominants des secteurs-clés de l’industrie étant nationalisés, l’économie nationale pourra connaître, dans ces secteurs décisifs, une restructuration et une gestion démocratiques dans le cadre du plan.

Cela permettra la suppression des gaspillages capitalistes les plus importants, de grandes économies de dimension, le progrès systématique de l’automation, de nouvelles conditions de travail et d’emploi.

Cela permettra une croissance importante de la production, avec une augmentation sensible de la part de valeur du produit qui, au lieu d’être accumulée, reviendra aux travailleurs, aux équipements et aux consommations collectives.

Le secteur privé important subsistant sera encadré par le secteur public nouveau industriel, bancaire et de consommation par les fournitures, les débouchés, les crédits.

Malgré le maintien d’une certaine accumulation et d’un certain profit privés, il devra respecter les orientations de la planification nationale et admettre notamment un accroissement de la part de valeur du produit revenant aux travailleurs et aux consommations collectives. »

Le programme commun connut une actualisation en 1977, puis de nouveaux accords de gouvernement fut fait après 1981, alors qu’il y avait des ministres du PCF.

Cependant, il ne faudrait pas penser que les nationalisations consistaient une fin en soi pour le PCF ; celui-ci exigeait un processus d’implication des masses, justement parce que sa démarche était qu’il y ait un basculement pro-soviétique. C’est le sens du thème récurrent de l’autogestion.

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Paul Boccara et le principe de participation au gouvernement

Le PCF, avec son « traité », était en mesure de faire un projet de gouvernement, dans une perspective pro-soviétique ouverte. La comparaison avec le Parti Communiste italien est ici très utile.

Dès son huitième congrès les 27-29 septembre 1956, le Parti Communiste italien alla dans le sens d’une participation ouverte aux institutions et de soutien au régime. Cela allait provoquer une très profonde crise idéologique et un vaste mouvement anti-révisionniste en Italie.

Les Brigades Rouges sont nées dans la classe ouvrière notamment en réponse à cette tendance d’implication dans le régime ; l’enlèvement d’Aldo Moro, afin de frapper le « compromis historique » entre démocrates-chrétiens et le Parti Communiste italien, apparaît non pas tant comme un choix stratégique que le produit inévitable d’une certaine mise en perspective.

Une preuve de cela est que les Brigades Rouges, jusqu’à 1982 et leur choix d’une identité bien déterminée, ne cherchèrent nullement à concurrencer le Parti Communiste italien en termes d’organisation partidaire, de structure politique organisée, etc. C’était finalement davantage le basculement du Parti Communiste italien du « bon côté » qui était visé.

Le Parti Communiste français eut de son côté une perspective totalement différente. Il n’avait jamais assumé de ligne révolutionnaire, tout en maintenant une imagerie « dure » et un réformisme intransigeant ; c’est toute l’ambiguïté de la ligne de Maurice Thorez d’une sorte de « Parti syndicaliste ».

En Italie, donc, Palmiro Togliatti affirmait ouvertement qu’il était possible d’utiliser le parlement bourgeois pour réaliser socialisme, qu’un régime multi-partis était possible ; le Parti Communiste français, lui, disait uniquement qu’il était possible d’utiliser le parlement bourgeois pour arriver au point où il doit y avoir le grand changement pour instaurer le socialisme, pour « arracher » l’appareil d’État à la bourgeoisie, comme le formula son idéologue Roger Garaudy.

De très nombreux intellectuels du Parti Communiste français ou gravitant autour émergèrent par ailleurs entièrement sur le terrain de l’étude de l’État comme terrain « neutre » dont il faudrait saisir les particularités (Louis Althusser avec sa thèse des structures, Nikos Poulantzas avec son analyse de l’appareil d’Etat, avec alors en général une très grande attirance pour les thèses intellectualo-culturelles d’Antonio Gramsci, etc.).

Le Parti Communiste français se posait alors comme un continuateur intransigeant de l’affirmation de la lutte de classes, opposé à la fois à Staline et au révisionnisme « italien ».

Le Parti Communiste français s’alignant entièrement sur la ligne soviétique Varga – Khrouchtchev écrasa par ailleurs peu avant avant mai 1968 les nombreux partisans des thèses « italiennes » au sein de l’Union des Étudiants Communistes (l’autre fraction oppositionnelle, « pro-chinoise », consistant en ce qui allait par la suite donner l’UJCML, guidée par Robert Linhart).

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Paul Boccara et le «Traité marxiste d’économie politique»

La section économique du comité central du Parti Communiste français publia en 1971, en deux tomes de 450 pages,un Traité marxiste d’économie politique – Le capitalisme monopoliste d’État.

Il s’agit en fait d’un condensé des conceptions déjà élaborées à travers de nombreux articles dans la revue Économie et politique. L’ouvrage est censé être collectif et on trouve en introduction une longue liste de rédacteurs, avec une insistance sur leur rôle au sein des institutions françaises.

On a ainsi plusieurs professeurs agrégés et universitaires en tous genres dans les domaines économiques, mathématique ou sociologique. Sont également mis en avant la formation ou le rôle de certains au CNRS, à l’ENA ou encore à Polytechnique. Un inspecteur général et un ancien ingénieur d’État sont également cités comme rédacteurs.

C’est un moyen pour les auteurs de se présenter comme légitimes à gérer l’État, puisque le connaissant de l’intérieur. Pour cette raison, Paul Boccara fut symboliquement mis de côté du comité de rédaction final, même si en réalité il relut et corrigea la version finale de l’ouvrage.

Celui-ci est, de fait, entièrement vargiste-boccariste. Le capitalisme y est présenté comme organisé, avec une production marquée par une forme de planification, sous la supervision de l’État. On lit ainsi, dans les premières pages :

« Il n’est pas question d’analyser ici, en détail, les divers aspects du capitalisme monopoliste d’État.

Nous n’en présenterons, dans ce premier chapitre, que les traits spécifiques, ceux qui marquent fondamentalement l’originalité du capitalisme monopoliste d’État comme phase particulière et ultime de l’impérialisme.

Si le financement public en est la caractéristique essentielle, l’existence d’un secteur public diversifié, d’une planification d’État, l’organisation même de la production, manifeste l’emprise du capitalisme monopoliste d’État sur toute la vie économique de la société. »

Le « traité » fournit, clef en main, les principes techniques de la théorie du capitalisme monopoliste d’État, visant très clairement les économistes et les techniciens des organismes économiques.

Son plan indique très bien l’idée qu’il y a derrière : montrer que pour le passage à une sorte de forme sociale pro-soviétique, il n’y aurait somme toute pas grand-chose à faire. Le découpage des parties et les chapitres font aboutir à cette vision des choses.

Le tome 1 regroupe cinq chapitres. Le premier est général et divisé en quatre parties :

I Les développements contradictoires du capitalisme
II Le financement public, caractéristique dominante du capitalisme monopoliste d’État
III Les principales manifestations du capitalisme monopoliste d’État
IV Le développement contemporain des antagonismes capitalistes

Le chapitre deux est consacré aux forces productives et aux rapports de production, divisé en quatre parties :

I Rapports de productions et développement des forces productives
II Le développement actuel de la science et de la technique
III Forces productives et rapports de production dans le mouvement historique
IV Perspectives. La démocratie avancée et le socialisme

Le chapitre trois est consacré aux classes sociales et se divisent là encore en quatre parties :

I Classes et conscience de classe
II Deux classes fondamentales : la classe ouvrière, la bourgeoisie
III Croissance des couches intermédiaires salariées
IV Polarisation des rapports sociaux

Le chapitre quatre est consacré à l’exploitation et se divise en six parties :

I Les formes de l’exploitation dans le capitalisme monopoliste d’État
II Marché de la force de travail et politique monopoliste de l’emploi
III La pression des monopoles d’État sur les salaires
IV Intensité et durée du travail
V L’insatisfaction grandissante des besoins sous le capitalisme monopoliste d’État
VI Contradictions de l’exploitation sous le capitalisme monopoliste d’État

Le cinquième est dernier chapitre est consacré à l’inflation et divisé en trois parties :

I Expérience quotidienne de l’inflation
II La monnaie et la production capitaliste
III L’inflation

Le tome 2 propose les six chapitres suivant, avec d’abord celui consacré aux monopoles et capital financier, divisé en quatre parties :

I Les monopoles industriels
II Le capital financier
III Les contradictions de l’accumulation monopolistes
Conclusion

Le chapitre sept est consacré aux traits actuels du système impérialiste et divisé en cinq parties :

I Le caractère transnational croissant de l’accumulation du capital
II l’internationalisme monopoliste de la production
III Néo-colonialisme et mouvement de libération nationale
IV L’intégration impérialiste
Conclusion

Le chapitre huit évoque l’État et le financement des monopoles, en six parties :

I Caractéristiques générales du financement public dans le capitalisme monopoliste d’État
II Drainage et affectation des fonds publics
III Le budget de l’État
IV La monnaie, le crédit et l’inflation
V les « intermédiaires financiers »
VI L’approfondissement par l’État des contradictions du mode de production capitaliste

Le chapitre neuf est intitulé La planification du capitalisme monopoliste d’État, et divisé en cinq parties :

I La planification dans le capitalisme monopoliste d’État
II Formes d’élaboration du plan et domaines de la politique économique
III Technique de planification
IV Evolution de la planification et de la politique du capital monopoliste en France
V Planification monopoliste d’État : résumé des analyses précédentes

Enfin, le chapitre dix est consacré aux nationalisations et se divise en parties :

I Nationalisations et capitalisme monopoliste d’État
II Les nationalisations démocratiques, élément décisif du progrès économique et social
III La gestion démocratique, facteur décisif du progrès économique et social
IV Nationalisations démocratiques et socialisme

Une dernière partie, sorte de post-face, est intitulé Démocratie et socialisme.

C’est une conclusion logique, car après avoir montré que l’État était déjà fortement présent dans l’économie et jouant soi-disant un rôle pratiquement directeur, il n’y avait plus qu’à indiquer qu’il suffirait de faire en sorte que l’État s’oriente dans une autre perspective, tout en restant lui-même.

C’est ni plus ni moins que le projet d’alliance de l’aristocratie ouvrière avec une partie de la bourgeoisie, pour contrebalancer les forces bourgeoises dominantes dans l’État.

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Paul Boccara, la démocratie avancée et la satellisation pro-soviétique

Il est évident que ce catastrophisme, adossé à un appel à participer massivement aux institutions, combinait les intérêts de l’aristocratie ouvrière et du social-impérialisme soviétique.

Il saute aux yeux que le programme « frontiste » proposé par le PCF – tout le monde sauf une petite poignée taxée d’oligarchie financière – était ni plus ni moins qu’une proposition stratégique à une partie de la bourgeoisie française – celle ne convergeant pas avec les intérêts américains – de s’allier au social-impérialisme soviétique.

Ce plan était pourtant incohérent puisque le gaullisme, représentant la bourgeoisie la plus agressive, monopoliste, était justement en opposition aux États-Unis, à l’opposé de la bourgeoisie commerciale ou industrielle, qui appréciait tout à fait le plan d’unité économique européenne sous protection américaine.

Quoiqu’il en soit, le PCF se posait, avec la CGT, comme vecteur et garant d’une stabilité sociale en cas de retournement pro-soviétique, qui pourrait d’ailleurs passer par une certaine neutralité bienveillante au départ.

L’article de 1987, Un krach dans la crise, est clair pour qui a saisi cet arrière-plan :

« Dans l’immédiat et en France, on peut proposer de lutter directement contre la croissance financière et en faveur de la croissance de l’emploi efficace, d’un nouveau type de croissance de la production réelle.

Dans chaque entreprise, les travailleurs peuvent immédiatement exiger de réduire l’accumulation financière, en faisant des propositions d’augmentation de la production réelle et de l’emploi efficace avec de nouvelles coopérations.

Les taux d’intérêt doivent être relevées pour les opérations financières, mais abaissés pour la croissance de l’emploi efficace. On doit aussi taxer les opérations financières et les exportations de capitaux, rétablir le contrôle des changes (…).

La France, pays capitaliste développé et moyen particulièrement menacé en Europe, peut sur cette base prendre l’initiative de rapprochement nouveaux avec les pays du Tiers-Monde et les pays socialistes en liaison avec d’autres relations de rééquilibrage pour la croissance réelle de tous dans la Communauté Européenne. »

L’idée est que la France a tout à perdre de la puissance américaine et de l’importance de l’économie allemande ; elle a inversement des intérêts dans le tiers-monde qu’elle doit préserver, sans en avoir véritablement les moyens.

Un soutien du social-impérialisme soviétique apparaîtrait alors comme idéal, surtout si les États-Unis venaient à connaître une crise économique importante.

Pour encadrer parfaitement cette proposition stratégique, le PCF publia un traité d’économie politique résumant toute cette conception.

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Paul Boccara et le catastrophisme

Le pseudo antidogmatisme n’était pas le seul vecteur des marges de manœuvre pour l’opportunisme ; le catastrophisme en fut un également. D’un côté, ce catastrophisme était le prolongement nécessaire de la conception de la crise selon Eugen Varga. Rien que là on voit bien que Paul Boccara est un vargiste.

De l’autre, ce catastrophisme permettait de justifier tout et n’importe quoi, cela donnait une impression d’actualité, ce qui était très important par rapport à la vague révolutionnaire d’alors dont la Chine populaire était le noyau dur.

Pendant cinquante ans, donc, Paul Boccara a expliqué que la « tendance » indiquait l’effondrement du capitalisme. Tout en utilisant moult précautions oratoires – tout comme Eugen Varga à partir du milieu des années 1920 – Paul Boccara expliquait de manière régulière que la crise était sans précédent, que c’était un tournant, le changement de régime était à portée de main, car les gens auraient pris conscience, etc.

Dans un article d’Économie et Politique en décembre 1969, au sujet de la crise du capitalisme monopoliste d’État et de son rapport avec les luttes des travailleurs, Paul Boccara parle ainsi d’un capitalisme ébranlé, de mécanismes devenus inopérants, etc.

Dans L’Humanité des 28 janvier et 4 février 1972, Paul Boccara publia un article en deux parties, Suraccumulation et programme d’union populaire ; il s’y présente comme très optimiste quant à l’effondrement du capitalisme :

« Depuis quelques temps on parle, à juste titre, de la crise de la société française. Malgré sa base économique, cette crise de la société française capitaliste n’est pas une crise conjoncturelle de surproduction.

S’il y a désormais une tendance fondamentale et durable aux difficultés de l’activité économique, le mouvement des hauts et des bas de la conjoncture persiste. En dépit de ces hauts et bas relatifs de l’activité économique, la crise continue pourtant à s’approfondir.

C’est le système même de l’intervention économique massive de l’État et de la mobilisation des moyens publics au bénéfice des monopoles capitalistes – le capitalisme monopoliste d’État – qui est atteint aujourd’hui dans ses fondements.

Dans les conditions présentes, la crise du capitalisme monopoliste d’État se révèle à l’échelle internationale avec le dérèglement du système monétaire capitalistes.

Elle se révèle aussi avec la tendance générale, depuis 1967-1969, à une croissance plus ou mois ralentie de la production accompagnée d’un chômage nettement plus important et plus durables.

Elle se manifeste encore par la montée des luttes sociales dans tout le monde capitaliste. Cette crise de structure atteint tout spécialement notre pays. Elle se manifeste dans tous les domaines de la vie sociale : économique, politique, idéologique, etc. »

Paul Boccara maintiendra ce genre de posture pendant les années 1980, comme par exemple en 1988, dans Vers une nouvelle phase de la crise, où il dit :

« L’ébranlement marqué par le krach boursier de l’automne 1987 n’est pas terminé. Au-delà de la turbulence consécutive des changes entre les monnaies, il va conduire à une nouvelle récession de la croissance, probablement vers la fin de 1988 ou bien en 1989.

Mais déjà la question se pose, par-delà même cette nouvelle aggravation conjoncturelle de la situation économique, de l’entrée dans une nouvelle phase de la crise de structure qui s’annoncerait dès aujourd’hui. »

Il ne s’interrompit jamais dans sa démarche, et personne au PCF ne lui en fit la critique. En 1993, dans Emploi efficace et mixité « marché / partage » pour une tout autre politique économique, il expliqua que :

« Les élections législatives de mars 1993 pourraient favoriser les débuts d’un débat crucial sur une nouvelle politique économique. Elles surviennent, en effet, dans la conjoncture de récession mondiale allongée de la fin de 1989 à 1993, marquant le passage à une nouvelle étape de la longue phase de difficultés de la crise systémique en cours. »

En 1994, il affirma que :

« La situation exige de façon urgente une grande initiative comme celle que nous avons prise [la proposition d’un pacte unitaire à toute la gauche, aux associations, etc.].

Il y a une maturation de la crise, des difficultés mais aussi de la prise de conscience de la nocivité des politiques menées, qui constitue un appel, une demande considérablement. »

En 1997, on lit dans l’article Au cœur des défis de notre mutation Des propositions immédiates et de dépassement révolutionnaire :

« La crise systémique en cours à l’échelle mondiale, avec l’exaspération de la domination des marchés financiers et du chômage perdurable, est vraiment d’une profondeur sans précédent.

Elle commence à exiger des débuts de dépassement du capitalisme lui-même, dans une mixité institutionnelle radicale. »

En 1998, dans Face à la crise mondiale de la domination des marchés financiers, cela donne par exemple :

« Il ne s’agit pas d’une péripétie, ni même d’un simple krach, mais d’une crise financière mondiale, d’une gravité sans précédent, qui dure et s’amplifie depuis mai 1997.

Tout ne va pas s’effondrer brutalement, à un moment donné.

Mais on assiste, à l’échelle mondiale, à des ébranlements en série, des coups de boutoirs, ainsi qu’un renforcement considérable des facteurs et des difficultés du chômage, du ralentissement voire des reculs de croissance et des dépenses publiques, de l’exaspération des antagonismes entre États.

C’est très probablement la crise du système de domination exacerbée des marchés financiers qui a commencé, bien sûr par un processus qui peut durer longtemps avec certains hauts et bas (…).

Les ambivalences du branchage de la croissance sur la révolution informationnelle parasitée par la domination des capitaux financiers, vont dans le même sens d’alimentation des profits nouveaux pour la croissance financière, d’aggravation et de durée sans précédent du chômage massif et de la précarité, mais aussi de la possibilité du début de dépassement de la domination des capitaux avec des transformations plus radicales. »

Ou bien encore, la même année dans Contradictions et inefficience des premiers infléchissements :

« Une fois les États-Unis puis, à un moindre degré, les pays de l’Union Européenne, sérieusement touchés et très inquiétés par la crise financière mondiale à la fin du mois de septembre, les dirigeants des États dominants et des institutions financières ont commencé à admettre sa gravité sans pareil. »

Voici ce que dit Paul Boccara en juillet 2000, dans l’article Refondation de précarisation ou de sécurisation ? :

« La bataille sociale et politique sur l’UNEDIC et l’Assurance- chômage avec le Medef, qui s’est engagée au printemps 2000, est de la plus haute importance.

Elle se situe à un moment crucial de la crise systémique et des défis de son issue. Il y a d’importantes créations d’emplois, avec la maturation des nouvelles technologies de la révolution informationnelle.

Et il y a aussi non seulement leur précarisation accrue et le maintien d’un chômage massif mais encore la précarité de cette croissance elle-même, poussée par les marchés financiers gonflés, tandis que le ralentissement aurait commencé aux Etats-Unis.

Ce double aspect : potentiel de croissance nouvelle, d’une part, son caractère refoulé et contrarié, y compris le risque de relance du chômage, d’autre part, peut donner beaucoup de hardiesse aux revendications des travailleurs et des populations. »

Ou bien encore, à la toute fin des années 2000, en soulignant l’importance des élections régionales, dans Pour des avancées fondamentales sur les services publics et communs depuis le plan local et régional :

« Face à la radicalité de la crise du capitalisme, nous avons besoin d’une expansion extraordinaire des services publics. Or, leur défense et leur progression seraient possibles depuis le plan local et régional. Et cela pourrait contribuer à une autre construction au plan national et au plan européen. Et même par là au mondial. D’où la grande portée des élections régionales sur cette question cruciale des services publics, au carrefour de toutes les solutions à la crise systémique. »

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Paul Boccara : «antidogmatique»

Tout au long de sa vie, et de manière encore plus accentuée après 1989, Paul Boccara souligna qu’il ne fallait pas être dogmatique, que le marxisme demandait des analyses toujours nouvelles, car rien ne serait fixé sur le plan des concepts, etc.

Cette thématique fut régulièrement mise en avant, au détour des analyses, dans une vraie optique d’éducation « anti-stalinienne », évidemment.

En janvier 1966, Paul Boccara prononça par exemple deux conférences dans le cadre de « l’Université nouvelle », au sujet de l’ouvrage de Karl Marx Le capital. Après avoir présenté la situation historique et les conceptions de Karl Marx sous un certain angle, Paul Boccara en arriva alors au point où il affirma :

« Certains peuvent penser que ces précisions érudites n’ont pas une grande importance pour avoir une juste idée d’ensemble du Capital.

Mais songez que longtemps, sous l’influence du dogmatisme [c’est-à-dire le marxisme-léninisme défini par Staline], on a tendu à croire que « Le Capital » contenait toute la théorie du capitalisme, au moins pour l’époque de Marx. Alors qu’au contraire Marx, en décidant d’écrire « Le Capital », veut élaborer une œuvre volontairement relative et à dépasser.

Cependant n’exagérons pas, ce « Capital en général », qui contient déjà la quintessence de la théorie du capitalisme, va voir son contenu enrichi avant devenir l’ouvrage que nous connaissons avec des emprunts importants faits aux autres parties sans doute et notamment aux livres 2 et 3 de la « Contribution » prévus sur la propriété foncière et sur le travail salarié (…).

Le « Capital » est doublement daté et limité, en tant qu’ouvrage d’une époque historique bornée par la vie de Marx, daté et limité en tant que moment d’une recherche interrompue par la mort de Marx.

Certes, toute œuvre est datée et relative. Mais le caractère profondément scientifique du « Capital » résulte du fait qu’il se sait et se veut daté, limité, relatif (…).

Il faut souligner ce caractère antidogmatique du « Capital » qui se veut un moment de la recherche et non une somme définitive, comme on l’a cru parfois.

Loin de barrer la route à la recherche ultérieure, il appelle explicitement à le dépasser. »

Le propos est démagogique et sous couvert de science ne vise qu’une seule chose : nier que Karl Marx aurait affirmé des lois – chez Paul Boccara, Karl Marx n’est qu’un indicateur de tendances.

On a avec cette approche un style véritablement révisionniste – même si Paul Boccara n’a jamais connu que le révisionnisme, n’ayant même pas lui-même à modifier ses propres considérations.

Sa carrière commença directement avec cette approche « antidogmatique », avec ce bricolage intellectuel sur différentes thèses de Karl Marx, masquées au départ derrière de multiples résumés théoriques ou historiques de certains points marxistes.

Voici ce qu’il dit en 1961, dans Quelques hypothèses sur le développement du « Capital » :

« On est frappé par les ressemblances de forme évidentes entre le stade manufacturier et le stade monopoliste suprême du capitalisme.

Concurrence niée et modifiée par les monopoles, importance décisive du commerce extérieur et colonial, du rôle économique de l’État (législation ouvrière, politique douanière, finances).

Évidemment, ce sont des ressemblances formelles abstraites qui recouvrent des réalités extrêmement différentes.

Mais n’y a-t-il pas quelque chose de plus profond derrière ces analogies, et indépendamment de la nécessité générale d’utiliser l’État, étant donné l’antagonisme entre le mode de production et les conditions générales dans lesquelles il fonctionne, à une époque de transition? »

Ce rapport d’analogie – l’analogie étant par définition opposé à l’esprit de synthèse comme approche des phénomènes – en dit long sur l’éclectisme de Paul Boccara, qui n’en expliquait pas moins en long et en large au début de sa carrière qu’il fallait le matérialisme dialectique, etc.

Le passage suivant, du même document de 1961, témoigne pourtant clairement de son refus du déterminisme, du matérialisme dialectique dans sa substance :

« Le lien indispensable entre nécessité sociale et liberté historique fait que cette nécessité exclut le fatalisme.

Non seulement l’action des hommes permet à la nécessité de changer de forme, mais surtout la complexité du déterminisme historique permet véritablement aux hommes de faire leur histoire.

De même, plus l’intelligence de la nécessité progresse et plus croît la possibilité de liberté réelle.

Ainsi le passage nécessaire d’un mode de production à un autre n’est pas fatal.

La classe déclinante, profitant de conditions favorables, peut, au prix de grandes souffrances pour les masses et de tentatives de régression, prolonger son agonie et faire pourrir le plus longtemps possible le mode où elle domine.

Mais aussi le passage, devenu inéluctable, peut ne pas se faire, car les sociétés sont mortelles et ainsi la Rome antique disparaît en tant que telle de la scène de l’histoire.

Il faudrait étudier la particularité des conditions concrètes (géographie, influence historique extérieure, etc.) qui rendent compte des réalités phénoménales, si différentes suivant les pays, exprimant le même mouvement économique essentiel et permettant une action subjective différente. »

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Paul Boccara et la conférence internationale de Choisy-le-Roi

Les implications politiques de la conception de Paul Boccara étaient très importantes. Aussi, sa mise en place rentre-t-elle toujours dans contexte, un cadre, toujours très encadré.

Un moment-clef de l’affirmation du dispositif idéologique boccariste fut la conférence internationale sur le capitalisme monopoliste d’État de Choisy-le-Roi, qui se tint du 26 au 29 mai 1966.

Paul Boccara intervint au début de celle-ci, témoignant de sa propre importance dans la mise en avant du concept, avec donc la reconnaissance ouverte de l’URSS. L’intervention qu’il fit est liée à cela, puisqu’il s’agit d’un petit rapport mettant en lien la question du capitalisme monopoliste d’État avec celle du programme politique.

C’est qu’il faut bien voir à l’arrière-plan qu’on a ici du vargisme. L’URSS apprécie le vargisme, et ses variantes comme le boccarisme, à partir du moment où cela satisfait ses exigences en tant que puissance social-impérialiste.

Paul Boccara dut donc dès le départ montrer patte blanche et montrer en quoi il y avait convergence entre les analyses du capitalisme monopoliste d’État et un programme politique en adéquation avec les intérêts soviétiques.

Il fit donc référence à Eugen Varga, montrant que c’est chez lui que le concept de « capitalisme monopoliste d’Etat » a été mis en place, et cela dès les années 1930. Il ne pouvait pas faire autrement que de le préciser, les participants sachant bien cela.

Il ne reparlera plus cependant d’Eugen Varga, à part de manière extrêmement anecdotique, comme dans son article Aperçu sur la question du capitalisme monopoliste d’État, dans la revue Économie et politique (janvier-mai 1966), où il était dit qu’Eugen Varga n’avait pas examiné assez profondément les possibilités d’une utilisation « démocratique » du processus propre au capitalisme monopoliste d’État pour la « victoire » de la classe ouvrière.

Lors de la conférence, la mention d’Eugen Varga suivait bien entendu une référence à Lénine, présenté comme celui qui aurait vu le même processus, au moyen d’une déformation de son propos dans par ailleurs seulement deux citations.

Paul Boccara dénonça ensuite Staline, comme de rigueur, pour affirmer dans la foulée qu’il n’y avait actuellement pas encore de théorie marxiste du capitalisme monopoliste d’État. Il dit ainsi :

« Peut-on dire qu’il y ait actuellement une théorie marxiste admise du capitalisme monopoliste d’État ? Non.

Si certaines formules sont généralement admises, elles ne constituent pas une théorie, mais des délimitations de la question, des premières tentatives de généralisation de phénomènes connus, qui n’expliquent pas rigoureusement leur nécessité, qui ne fournissent pas les lois nécessaires de leur apparition et de leur développement, de leurs mouvements divers.

Il serait grave de se méprendre sur la portée de ces formules dont la grande utilité est incontestable mais provisoire et relative.

Cette utilité ne saurait masquer la nécessité impérieuse de l’élaboration d’une théorie scientifique du capitalisme monopoliste d’État. »

C’était là parfaitement en phase avec les besoins de l’URSS : pas de dogmatisme et donc une grande marge de manœuvre pour l’opportunisme, et des partis à l’extérieur de l’URSS comme appendices jouant en sa faveur.

Paul Boccara s’empressa par ailleurs d’ajouter qu’il existait trois définitions valables du capitalisme monopoliste d’État.

Il mentionna comme sources de celle-ci le manuel [soviétique] d’économie politique de 1955 (soit après la liquidation des positions de Staline), la Nouvelle revue internationale [des « partis communistes et ouvriers » inféodés à l’URSS] d’octobre 1958 (soit une fois que les positions de Staline furent liquidées à l’international), ainsi que la « conférence des 81 Partis communistes et ouvriers » de 1960 (soit après la rupture sino-soviétique et donc une fois l’anti-révisionnisme rejeté).

De manière subtile, Paul Boccara en profita pour préciser qu’il ne fallait pas parler de fusion de l’appareil d’État et des monopoles, car cela serait « anti-dialectique », les deux pôles continuant à exister.

C’est que Paul Boccara avait une tâche : justifier la possibilité de la conquête institutionnelle du pouvoir. Une fusion – conception non marxiste par ailleurs – obligerait à détruire l’État.

Or, on a ici une convergence entre l’aristocratie ouvrière, organisée dans le PCF et la CGT, et l’URSS. Les deux veulent peser sur l’État français ; leurs intérêts convergeaient ouvertement.

Et pour bien asseoir cette alliance d’intérêts, Paul Boccara alla même plus loin : il affirma que Lénine n’avait pas donné une définition parfaitement claire de l’impérialisme. C’était là ouvertement du révisionnisme, mais cela ne posa aucun problème.

Il est à noter par ailleurs que du côté des forces anti-révisionnistes françaises, cet aspect ne fut pas analysé non plus, ou dénoncé. Il ne fut sans doute tout simplement pas vu.

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Paul Boccara et le progrès technique

Dans la revue Issues, en 1984, Paul Boccara publia un long article, Nouvelles élaborations sur des critères de gestion pour une issue à la crise. En voici un extrait important, présentant à la fois la démagogie « productiviste » de Paul Boccara, et montrant bien également comment est sous-jacent une conception prenant en compte la technologie, les débuts de l’informatisation.

Considérant le capitalisme comme bloqué, Paul Boccara considérait en conséquence que tout progrès technique allait forcément dans le bon sens, car pour être vraiment réalisé il exigeait une soi-disant modernisation démocratique, impliquant les ouvriers, avec de nouveaux critères, etc.

Le passage suivant est flagrant. On y voit tout à fait des propositions pour aider le capitalisme !

Pourtant Paul Boccara présente cela comme une perspective révolutionnaire, car le capitalisme aurait fait son temps et ne pourrait plus rien assumer !

« Si nous avons pu parler de début de révolution « informationnelle » en la distinguant de la révolution « industrielle » – c’est pour mettre en avant en liaison avec le remplacement matériel des fonctions du cerveau et avec l’informatique, l’importance grandissante et cruciale de toutes les fonctions d’information, y compris au niveau des matériels, et notamment du travail intellectuel, de service, et plus largement d’information spécifique des hommes eux-mêmes (…).

Ces transformations technologiques exigeraient et rendraient possibles, mais pas du tout automatique, le renversement de l’interversion capitaliste du subjectif et de l’objectif : les hommes traités comme des choses et dominés activement par les moyens matériels représentés par leurs monopoleurs.

Par exemple, le contrôle central peut être poussé vers son maximum avec une déconcentration favorisant une centralisation plus efficace car non encombrée, à l’opposé d’une décentralisation développant l’autonomie effective des unités de production.

Mais cela pourrait faire progresser de la sorte à la fois, les déséconomies ou gâchis anti-économiques du monopole à grande échelle et de l’uniformité extrême des impulsions fondamentales des décisions, et, et en même temps, les techniques matérielles et humaines d’un processus véritable de décentralisation.

Ce dernier pourrait commencer à développer les adaptations créatrices de collectifs de travail autonomes sans les déséconomies d’échelle de l’isolement. Il ne s’agit pas d’élever une critique négative et une protestation générale contre la domination du capital.

Il s’agit de mettre en cause de façon concrète la domination des règles et critères de gestion capitalistes par des propositions constructives opérationnelles de portée révolutionnaire.

Ces propositions peuvent viser à faire le lien entre les divers points d’appuis concrets, offerts par le développement nouveau des contradictions sociales en liaison avec l’essor des nouvelles technologies, et une régulation d’ensemble radicalement nouvelle et viable.

Ainsi on pourrait construire dans la réalité phénoménale, à partir des luttes des différentes catégories de travailleurs pour la maîtrise de leur travail, des rapports d’intervention dans la gestion, tendant à court-circuiter leurs exploiteurs et dominateurs communs.

Un des enjeux centraux de cette lutte consiste dans la suppression graduelle des barrières dans le travail et dans la formation entre les différentes catégories de travailleurs (…).

Des ressources financières sont sans cesse retirées de la production pour accroître le potentiel de domination financière en achetant des devises, des titres privés et des titres publics (actions, obligations, etc).

Ces ressources financières sot prélevées notamment pour acheter des entreprises existantes à l’opposé de dépenses de création et de productions nouvelles.

Au contraire, de nouveaux critères de gestion peuvent favoriser l’économie des moyens financiers et matériels ainsi que les débouchés d’une croissance de la production nouvelle, favorable aux dépenses pour les hommes.

Ils peuvent ainsi pousser à des coopérations entre les entreprises, économes en moyens financiers, et à des adaptations techniques en croissance des équipements existants et des effectifs employés (remise en formation etc) à l’opposé des casses matérielles et humaines.

Ces nouvelles coopérations au plan régional, national, international, permettraient d’économiser sur le financement des dépenses de contrôle visant le rachat partiel ou intégral d’entreprises avec rachat de parts de marché accompagné d’une certaine casse des moyens matériels et humains.

Mais elles autoriseraient aussi les économies d’échelle des dépenses de recherche et de formation en commun, tout en favorisant l’autonomie créatrice des unités de production et les débouchés réciproques pour une croissance plus importante et nouvelle de production.

On chercherait graduellement à faire que les hommes dans la mesure où ils travaillent soient ou employés ou en formation, à l’échelle des entreprises, des régions, de la société avec une sorte de protection sociale de la formation et de l’emploi. »

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Paul Boccara et les nationalisations

Les nouveaux critères ne sont qu’un aspect de la lutte pour la défense des intérêts de l’aristocratie ouvrière. Afin de peser de manière plus forte dans la bataille, Paul Boccara théorisa également la nécessité des nationalisations et de la formation d’un secteur bancaire public.

Cela était bien entendu présenter comme un moyen d’avancer vers le socialisme. Toutefois, très concrètement, cela allait dans le sens du renforcement de l’aristocratie ouvrière, car qui pouvait prendre en main ces nationalisations si ce n’est justement le PCF et la CGT ?

La preuve de cela, s’il en était besoin, c’est que les nationalisations n’étaient nullement considérées comme séparées des entreprises du privé.

Les nationalisations étaient considérées comme devant aller dans le sens d’une amélioration du secteur privé, justement en lien avec cette question des nouveaux critères.

Voici comment la chose est présentée en 1982, dans l’article De nouveaux critères pour l’intervention des travailleurs dans la gestion :

« Des relations nouvelles secteur public – secteur privé peuvent favoriser non pas le pillage du secteur public, ou encore un comportement de type privé des entreprises nationalisées, mais des socialisations et des décloisonnements hardis, permettant des économies d’échelle et des plans audacieux d’innovations concertées.

Cela peut concerner notamment les centres de recherche, la formation des travailleurs, la conjonction des plans de développement des équipements, des produits des marchés.

Ces concertations peuvent s’appuyer sur les contrats passés par les entreprises nationalisées et privées, entre elles, et aussi avec les collectivités publiques et le plan démocratique à l’échelle nationale ou à l’échelle régionale dans le cadre d’une véritable décentralisation, comme en vue de nouvelles relations et coopérations internationales. »

Ce qu’on voit ici dans l’optique de Paul Boccara, c’est qu’il n’y a pas de conflit entre le capitalisme et les nationalisations, mais entre d’un côté les entreprises et les nationalisations, de l’autre le capital financier !

La perspective du PCF et de Paul Boccara, pour ne pas dire leur obsession tout au long des années 1980, est la production pour la production, considérée comme en soi dépassant le capitalisme !

D’où le fait d’accuser les entreprises de gaspiller leur propre capital, de sous-utiliser leurs équipements, de ne pas réaliser des productions de qualité, de ne pas être à la hauteur sur le plan de la recherche et du développement, de ne pas améliorer les qualifications de ses employés, etc.

Et cela est vrai également pour les entreprises nationalisées. Puisqu’il s’agissait en fait de renforcer l’aristocratie ouvrière, il était nécessaire pour Paul Boccara de toujours prôner une meilleure gestion.

Un exemple de cela fut l’ouvrage Intervenir dans les gestions avec de nouveaux critères, publié en 1985, avec comme contenu des analyses critiques des directions de Renault, CIT Alcatel, Normed, etc.

Cela donne par exemple le point de vue suivant :

« La direction néglige le fait que le coût énorme de « non-qualité » qu’elle a pu chiffrer à 6 % du chiffre d’affaires en 1984 (retouches, dépenses de garanties, non-fidélité et baisse des parts de marché, etc) est précisément en bonne partie lié à la recherche prioritaire du rendement véhicule homme.

En outre, les gâchis de coûts et d’investissements fixes matériels sont aussi liés, e partie, à un accent insuffisamment mis sur la meilleure utilisation des matériels, et les économies du temps de non-utilisation des machines.

Cela se relie, entre autres, aux types d’analyse et de calcul de productivité par établissement et atelier, ramenant tous les coûts au coût de l’heure-travail (salaires horaires majorés des coûts de consommations intermédiaires et de coûts fixes).

Ces gâchis semblent liés tout particulièrement aux répercussions des réductions des effectifs et des insuffisances de dépenses de formation, à l’opposé, notamment, des exigences de la maintenance des matériels nouveaux. D’où l’importance de la sous-utilisation des équipements.

Enfin et surtout, il faut souligner que les gâchis financiers liés à la politique d’exportation des capitaux aux États-Unis sont toujours systématiquement niés et aggravés. »

La production serait forcément, en soi, mieux géré par le PCF ; on ne trouve aucun questionnement de la forme de la production, de sa nature, de son sens, de son but, de son rapport à la classe ouvrière, de la propriété des moyens de productions, du pouvoir, de l’orientation générale de la société, etc.

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Paul Boccara et la production nationale

Paul Boccara n’a cessé de mettre en avant, et le PCF avec lui, que seule la classe ouvrière peut sauver l’existence d’une production industrielle. Si ce n’était pas effectué, le capital financier engloutirait tout (ce qui est naturellement une abstraction théorique complète, niant l’existence du profit, de la production pour le profit, etc.).

C’est cela qui explique – même si cette théorie ne vise en fait en réalité qu’à justifier le social-chauvinisme de l’aristocratie ouvrière – le discours nationaliste du PCF sur la production nationale.

L’utilisation systématique des couleurs tricolores, les références à la nation, au pays, etc., tout cela relève de cette idéologie où la production industrielle nationale ferait face à la prédation d’un capitalisme financier issu de la surproduction absolue de capital.

Le PCF et la CGT seraient les seuls gestionnaires potentiellement à la hauteur ; voici ce que Paul Boccara dit en 1982, dans la revue Économie et Politique, dans l’article Luttes pour la production nationale et utilisation de critères nouveaux :

« Les luttes de la classe ouvrière et de toutes les catégories de travailleurs pour développer la production nationale et l’emploi en quantité et en qualité sont à l’ordre du jour.

Afin d’engager ces luttes de façon efficace avec des résultats tangibles et durables l’utilisation de nouveaux critères de gestion devrait permettre de s’attaquer graduellement, de façon constructive et cohérente aux pratiques profondément enracinées qui ont conduit aux déficits extérieurs records actuels et qui persistent en faisant obstacle à un nouveau type de croissance. »

Les économistes du PCF organisèrent donc de très nombreux débats, avec des socialistes mais aussi des patrons, pour débattre, discuter des améliorations possibles, proposer des solutions, etc.

En janvier 1974 fut par exemple organisé par les Éditions sociales, liées au PCF, un débat à la Mutualité, à Paris, à l’occasion de la sortie de l’ouvrage de Paul Boccara intitulé Études sur le capitalisme monopoliste d’État, sa crise et son issue.

Furent présents, en plus de l’auteur et outre un public de mille personnes, le rédacteur en chef adjoint du Figaro Michel Bassi, l’éditorialiste d’Europe 1 Jean-François Kahn, ainsi que Roger Priouet, éditorialiste à L’Express et chroniqueur à RTL ; présidèrent deux membres du Comité Central du PCF, Lucie Sève à la tête des Éditions sociales, et Jean Fabre, directeur politique de la revue Économie et Politique.

Autre exemple : en décembre 1982, le PCF organisa un colloque au sujet des nouveaux « critères » de gestion, invitant des dirigeants d’entreprises et de banques, des responsables socialistes dont celui de la commission économique du Parti socialiste, Dominique Strauss-Kahn.

Les années 1980 furent en fait l’apogée d’une telle orientation. Économie et Politique, une revue très technique, très spécialisée, formant les cadres boccaristes (en plus des formations internes au PCF), avait 3 000 abonnés en 1975, 6 000 en 1985, 10 000 en 1990. Le PCF et la CGT sont indissociables du capitalisme industriel des années 1980.

Voici un exemple de la prose de Paul Boccara d’alors à ce sujet, dans Économie et Politique en 1982 :

« Je voudrais soumettre au débat les propositions nouvelles des économistes communistes concernant de nouveaux critères de gestion des entreprises publiques et aussi des entreprises privées pour contribuer à sortir de la crise (…).

Dans la situation politique actuelle en France, l’exigence de nouveaux critères de gestion grandit tout particulièrement.

En effet, les contradictions s’aiguisent entre, d’une part, les intentions et les efforts d’intervention publique nouvelle en faveur de l’emploi, du pouvoir d’achat, des consommations sociales et de la démocratie économique et, d’autre part, la domination des critères de rentabilité financière aux plans national et international sur la gestion des entreprises privées et publiques, et, par elles, sur l’économie et la société globales (…).

La recherche de l’élévation du profit favorise une substitution trop coûteuse des moyens matériels aux travailleurs salariés et le gâchis des moyens matériels. Les moyens matériels peuvent d’ailleurs constituer la base de fortunes privées.

En outre, la crise de productivité et de débouchés pousse à une accumulation financière croissante au détriment de la production et à la recherche des profits de plus en plus financiers.

Inversement les économies en capital permettent d’augmenter la portion de valeur ajoutée disponible pour les salaires et les prélèvements sociaux ou Valeur Ajoutée disponible pour les travailleurs et la société. »

Il y aurait donc d’un côté le capitalisme financier, de l’autre l’emploi et la production nationale. La bataille pour l’emploi et la production nationale serait donc, en soi, une confrontation directe avec la forme la plus agressive de capitalisme, et donc avec le capitalisme lui-même.

Ce qui est du simple réformisme se voit aussi auréolé du statut de quasi transition au socialisme !

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