Camarades et Frères ouvriers,
Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste réuni à
Moscou, au cœur de la Révolution russe, salue en les Travailleurs
Industriels du Monde (I. W. W.) le prolétariat
révolutionnaire d’Amérique.
Le Capitalisme, ruiné par la guerre mondiale, incapable de
contenir plus longtemps les forces immenses qu’il a créées, est à
son déclin.
L’heure de la classe ouvrière sonne. La révolution sociale est
commencée et son premier combat d’avant-garde s’est livré en
Russie.
L’histoire ne nous a pas demandé si nous le voulions ou non, si
nous étions prêts ou non. L’occasion s’offre à nous. Saisissons-la
et le monde appartiendra aux travailleurs ; laissons-la passer
et des générations entières s’éteindront avant qu’elle se
représente.
Il n’est plus temps de parler « d’édifier la société
nouvelle dans les cadres de l’ancienne ». La vieille société
brise son enveloppe. Il appartient aux travailleurs d’établir la
dictature du prolétariat qui, seule, peut édifier la société
nouvelle.
Un article publié par votre organe officiel One Big Union Monthly
demandait : « Pourquoi devons-nous suivre les
bolcheviks ? » L’auteur estimait que la révolution
bolchevik n’avait « donné au peuple russe qu’un droit de
vote ».
Ceci est naturellement faux. La révolution bolchevik a dépossédé
les capitalistes des manufactures, des minoteries, des mines, des
terres, des institutions financières et a tout transmis à la classe
ouvrière.
Nous comprenons et nous partageons votre dégoût des principes et
de la tactique des politiciens « jaunes » qui ont
discrédité dans le monde entier le terme même de « socialisme ».
Notre but est le même que le vôtre : une communauté sans
État, sans gouvernement, sans classes dans laquelle les travailleurs
administreront la production et la répartition dans l’intérêt de
tous.
Nous vous adressons ce message, camarades ouvriers de
l’Association Internationale des Travailleurs du Monde (I. W. W.)
comme un témoignage de reconnaissance pour la part héroïque que
vous prenez depuis si longtemps à la lutte des classes que vous avez
fait naître dans votre pays, et afin de bien vous faire connaître
nos principes communistes et notre programme.
Nous vous invitons, vous, révolutionnaires, à vous rallier à
l’Internationale Communiste, née à l’aurore de la révolution
sociale universelle.
Nous vous invitons à prendre la place à laquelle votre courage
et votre expérience révolutionnaire vous donnent droit, au premier
rang de l’Armée rouge prolétarienne combattant sous la bannière du
communisme.
La classe capitaliste américaine se révèle sous ses véritables
couleurs.
La cherté croissante de la vie, le chômage de plus en plus
grave, la répression impitoyable de tous les efforts faits par les
ouvriers pour améliorer leur condition, la déportation et
l’emprisonnement des « bolcheviks », les lois contre les
grèves, contre le « syndicalisme criminel », contre le
« drapeau rouge », contre toute propagande en faveur du
« renversement par la violence du gouvernement et les atteintes
à la propriété », — toutes ces lois et ces mesures ne
peuvent avoir aux yeux du travailleur conscient qu’une signification.
L’esclavage industriel est aussi vieux que le capitalisme ;
et les travailleurs ont connu avant lui d’autres formes d’esclavage.
Mais à présent les capitalistes du monde, — Américains aussi
bien que Français, Italiens, Anglais, Allemands, etc. —
nourrissent le dessein de réduire définitivement les travailleurs à
une servitude absolue et sans issue.
Il n’y a pas d’autre alternative : ou cette servitude, ou la
dictature de la classe ouvrière. Et les travailleurs doivent choisir
maintenant.
Le capitalisme fait des efforts désespérés pour reconstruire
son édifice ébranlé. Les travailleurs doivent, par un coup de
force, s’emparer de l’Etat et reconstruire la société selon leurs
intérêts.
Avant la Guerre de Sécession, les esclaves nègres étaient, dans
les États du Sud, attachés au sol. Les capitalistes industriels du
Nord auxquels il fallait, pour fournir de main-d’œuvre leurs
manufactures, une population flottante, proclamèrent l’esclavage,
une offense à l’humanité, et l’abolirent par force. Or, les
capitalistes industriels tentent aujourd’hui d’attacher les
travailleurs à leurs manufactures.
Pendant la guerre, et dans tous les pays, les ouvriers perdirent
pratiquement leur droit de grève et même relui d’interrompre le
travail. Rappelez-vous les lois qui sévirent dans votre propre
pays : travaille ou combats !
Et depuis que la guerre s’est terminée, que voyons-nous ? Le
coût de la vie s’est accru de plus en plus, tandis que les
capitalistes s’efforçaient de diminuer les salaires. Et, quand les
ouvriers sont acculés par la faim à la grève, toutes les forces de
l’État sont mobilisées contre eux pour les contraindre à reprendre
le travail. Quand les cheminots cessèrent le travail en Californie,
on les menaça de faire intervenir contre eux les troupes fédérales.
Quand la Fraternelle des mécaniciens cheminots exigea une
augmentation de salaires ou la nationalisation des chemins de fer, le
président des États-Unis la menaça de toutes les rigueurs de la
répression par les armes. Quand les mineurs américains quittèrent
leurs puits, des milliers de soldats occupèrent les mines et la cour
Fédérale adopta contre la grève les mesures les plus cyniques,
défendant aux leaders d’ordonner la cessation du travail et
interdisant le versement de secours aux grévistes.
L’Attorney-Général des États-Unis finit par déclarer
officiellement que le gouvernement ne tolérerait pas de grèves dans
les industries « nécessaires à la communauté ».
Le juge Garry, qui se trouve à la tête du trust de l’acier, peut
répondre par un refus au Président de la République qui lui
demande de bien vouloir négocier avec un comité d’ouvriers. Mais
quand les travailleurs de l’acier se mettent en grève, revendiquant
un salaire qui leur permette de vivre et le droit élémentaire de se
syndiquer, ils sont traités de bolcheviks et fusillés dans les ruée
par les cosaques pennsylvaniens.
Et vous, camarades I. W. W., vous qui gardez les
souvenirs amers d’Everett, de Tulsa, de Wheatland, de Centralia, où
vos camarades furent massacrés ; vous dont des milliers de
frères sont dans des geôles, vous qui accomplissez néanmoins le
plus dur labeur dans les champs, dans les docks, dans les forêts,
vous devez distinguer nettement le procédé grâce auquel les
capitalistes tentent en se servant de leur arme éprouvée, l’Etat,
d’instituer une société d’esclaves.
Le cri des capitalistes : « Produire plus !
Produire encore ! » retentit de toutes parts. En d’autres
termes, les travailleurs ont à fournir plus de travail pour un
moindre salaire, afin que leur sueur et leur sang monnayés servent à
payer les dettes de guerre du monde capitaliste dévasté.
Pour qu’il en soit ainsi, les travailleurs doivent être privés
du droit de quitter le travail ; ils doivent être empêchés de
s’organiser afin d’arracher des concessions aux patrons ou de
profiter de la concurrence entre ceux-ci. Le mouvement ouvrier doit
être arrêté et brisé à tout prix.
Pour sauver le vieux système d’exploitation, les capitalistes
doivent s’unir et enchaîner le travailleur à la machine.
Les capitalistes y réussiront-ils ?
Ils y réussiront à moins que les travailleurs ne déclarent la
guerre au système capitaliste tout entier, ne renversent les
gouvernements capitalistes et ne les remplacent par le gouvernement
de la classe ouvrière qui doit détruire la propriété privée
capitaliste et instituer la propriété commune de toutes les
richesses.
C’est ce que les travailleurs russes ont fait et c’est la seule
façon pour les ouvriers des autres pays de se libérer du servage
industriel et d’organiser le monde, en sorte que le travailleur
bénéficie du produit intégral de son travail et que nul ne puisse
monnayer le travail d’autrui.
Mais si les travailleurs des autres pays ne s’insurgent pas contre
leurs propres capitalistes, la révolution russe ne pourra tenir. Les
capitalistes du monde entier, comprenant le danger que leur fait
courir l’exemple de la Russie des Soviets, se sont coalisés pour la
tuer. Les Alliés, oubliant à l’instant leur haine de l’Allemagne,
ont invité les capitalistes allemands à se joindre à eux dans
l’intérêt commun.
Et les travailleurs des autres pays commencent à comprendre. En
Italie, en Allemagne, en France, en Angleterre, le flot de la
révolution monte. En Amérique même les membres si conservateurs de
l’American Federation of Labor se rendent compte que les grèves pour
des augmentations de salaire et pour de meilleures conditions
d’existence sont en réalité dépourvues de signification, le coût
de la vie subissant une hausse constante. Ils ont proposé toutes
sortes de remèdes à cette situation, réformes du « Plan
Plumb », nationalisation des mines, etc. Ils ont fondé un
soi-disant Parti du Travail (Labor Party) qui se donne pour but de
réaliser la propriété municipale ou gouvernementale de
l’industrie, un mécanisme électoral plus démocratique, etc.
Mais ces réformes, si même elles étaient accomplies, ne
pourraient résoudre le problème. Tant que subsistera le système
capitaliste, des hommes monnayeront le travail d’autrui. Toutes les
réformes du système actuel ne font que leurrer le travailleur en
lui faisant croire qu’il est un peu moins volé qu’auparavant.
La révolution sociale a commencé et sa première bataille se
poursuit en Russie. Elle ne laisse pas aux travailleurs le temps
d’expérimenter des réformes. Les capitalistes ont déjà détruit
la république hongroise des Soviets. S’ils réussissent à juguler
et briser le mouvement ouvrier dans les autres pays l’esclavage
industriel sera fondé.
Avant qu’il soit trop tard, les travailleurs conscients doivent se
préparer à repousser l’assaut du capitalisme, et à prendre à leur
tour l’offensive pour le vaincre et l’extirper du monde.
La guerre et ses conséquences ont révélé avec une netteté
saisissante les fonctions réelles de l’Etat capitaliste — de ses
législations, de ses tribunaux, de ses polices, de ses armées, de
sa bureaucratie.
L’État sert à défendre et affermir le pouvoir capitaliste et à
brimer les travailleurs. Tout ceci est particulièrement vrai aux
États-Unis, dont la constitution fut conçue par des négociants,
des spéculateurs et des propriétaires fonciers dans le dessein de
protéger leurs intérêts de classe contre la majorité du peuple.
Quant à présent, le gouvernement des États-Unis n’est
évidemment qu’une arme des capitalistes contre les travailleurs.
Les I. W. W. doivent le comprendre mieux que quiconque,
pour avoir été rageusement persécutés par le gouvernement, pour
avoir vu leurs leaders emprisonnés, leurs journaux supprimés, leurs
membres déportés ou emprisonnés sous des inculpations forgées de
toutes pièces, leurs cautions refusées, leurs prisonniers torturés,
mis au secret, leurs locaux fermés, leur propagande réduite dans
certains États à devenir clandestine.
Les travailleurs voient cela. Le peuple élit les gouverneurs, les
maires, les juges, les sheriffs ; mais en temps de grève, le
gouverneur convoque la milice pour défendre les renards ; le
maire ordonne à la police d’assommer et d’arrêter les militants
dans les rues ; le juge les inculpe « d’avoir troublé
l’ordre », les qualifie « émeutiers » et les
emprisonne, et le sheriff salarie des malandrins qu’il délègue en
qualité de briseurs de grève…
La société capitaliste tout entière présente aux travailleurs
un front unique.
Le prêtre lui dit de se résigner ; la presse le maudit et
le traite de « bolchevik » ; la police l’arrête ;
le tribunal le condamne ; le sheriff le fait saisir pour dettes,
et l’asile des pauvres accueille sa femme et ses enfants.
Pour détruire le capitalisme, les prolétaires doivent tout
d’abord arracher aux capitalistes le pouvoir politique. Ils ne
doivent pas se borner à s’en emparer ; ils doivent abolir
entièrement le vieil état capitaliste.
Car l’expérience des révolutions a montré que les travailleurs
ne peuvent pas s’emparer de l’État et s’en servir — comme les
socialistes jaunes le soutiennent. L’État capitaliste est édifié
pour servir le capitalisme ; il ne peut rien faire d’autre.
En lieu et place de l’État capitaliste, les travailleurs doivent
édifier leur propre état, la dictature du prolétariat.
De nombreux membres de l’I. W. W. refusent d’en
convenir. Ils sont adversaires de « tout État, de façon
générale ». Ils se proposent de renverser l’État capitaliste
et d’instituer immédiatement le Communisme industriel (Industrial
Cornmonwealth).
Les Communistes sont aussi les ennemis de l’État. Ils veulent
aussi l’abolir et substituer au gouvernement des hommes
l’administration des choses.
Malheureusement la chose ne peut être faite sur-le-champ. La
destruction de l’État capitaliste ne signifie pas que le capitalisme
disparaît automatiquement et immédiatement. Les capitalistes ont
d’autres armes qu’il faut leur arracher ; ils sont encore
défendus par des légions de bons employés, d’administrateurs, de
directeurs, d’habiles hommes d’affaires qui saboteront l’industrie —
et qu’il faut persuader ou contraindre à servir la classe ouvrière ;
ils ont des officiers qui peuvent trahir la révolution, des prêtres
qui peuvent dresser contre elle les vieilles superstitions, des
professeurs et des orateurs qui peuvent la déformer aux yeux des
ignorants, des gredins que l’on peut stipendier pour la discréditer,
des journaux qui peuvent tromper le peuple par de continuels
mensonges, des socialistes jaunes et de soi-disant travaillistes qui
préfèrent la démocratie capitaliste à la révolution. Leurs
efforts doivent être sévèrement réprimés.
Jeter bas l’édifice de l’État capitaliste, briser la résistance
de la classe capitaliste et la désarmer, confisquer ses propriétés
et les transmettre à la communauté des travailleurs — ces tâches
nécessitent un gouvernement, un Etat, la dictature du prolétariat
au moyen de laquelle les prolétaires peuvent d’une main de fer,
briser la classe ennemie.
C’est ce qui se passe actuellement en Russie.
Mais la dictature du prolétariat n’est que temporaire.
Communistes nous voulons aussi l’abolition de l’Etat. L’Etat ne peut
durer qu’autant que se prolonge la guerre des classes. La fonction de
la dictature du prolétariat est d’abolir la classe capitaliste en
tant que classe ; en fait de supprimer toutes distinctions de
classes. Ce but atteint, la dictature du prolétariat, l’État
disparaîtra automatiquement — cédant la place à une
administration industrielle, vraisemblablement analogue au Bureau
Exécutif Général de l’I. W. W.
Dans un récent article, Mary Marcy écrit que sans reconnaître
théoriquement la nécessité de la dictature du prolétariat, les
I. W. W. seront contraints de l’admettre en fait en temps
de révolution, afin de vaincre la contre-révolution.
Voilà qui est vrai. Mais si l’I. W. W. se refuse à
reconnaître par avance la nécessité de l’Etat ouvrier, la
confusion et la faiblesse risquent de sévir dans ses rangs aux
heures où la fermeté et la rapidité d’action lui seront
impérieusement nécessaires.
Quelle sera la forme de l’État Ouvrier ?
Nous avons sous les yeux l’exemple de la République des Soviets
russes dont il est peut-être utile d’indiquer ici la structure trop
souvent déformée à l’étranger par des informations
contradictoires.
L’unité de gouvernement est le Soviet local ou Conseil des
députés ouvriers, soldats rouges et paysans.
Dans les villes, le Soviet est élu comme suit : chaque
fabrique élit un délégué pour tant d’ouvriers et chaque syndicat
local en élit un certain nombre d’autres. Ces délégués sont élus
sur des listes de partis politiques ou à titre individuel, au gré
des ouvriers.
Les députés de l’armée rouge sont élus par leurs unités.
Dans les campagnes, chaque village a son Soviet qui envoie des
délégués aux Soviets des villes qui élit à son tour le Soviet du
District. Ceux-ci forment de la même manière le Soviet de la
province.
Quiconque exploite le travail d’autrui ne peut voter.
Tous les six mois, les Soviets des villes et des provinces élisent
des délégués qu’ils mandatent au Congrès Panrusse des Soviets qui
est, dans le pays, l’autorité suprême. Le Congrès décide pour six
mois des principales mesures politiques et choisit les deux cents
membres du Comité Exécutif Central, chargés d’appliquer les
mesures édictées par le Congrès. Le Congrès élit aussi un
Cabinet — celui des Commissaires du Peuple.
Les mandats de ces derniers sont révocables à tout moment par le
Comité Exécutif Central. Les membres des Soviets peuvent de même
être rappelés par leurs commettants.
Ces Soviets ne sont pas seulement des organes législatifs mais
aussi des organes exécutifs. Contrairement au Congrès américain
ils ne se bornent pas à confectionner des lois que le Président est
ensuite chargé de promulguer et d’appliquer ; et il n’y a pas
de cour suprême chargée de décider si la mesure adoptée est ou
non « constitutionnelle ».
Dans l’intervalle entre les réunions du Congrès Panrusse des
Soviets le pouvoir suprême appartient en Russie au Comité Exécutif
Central. Ce comité se réunit au moins tous les deux mois et dans
l’intervalle la direction des affaires est remise au Conseil des
Commissaires du Peuple, tandis que les membres du Comité Exécutif
Central travaillent dans leurs régions respectives.
Les travailleurs sont en Russie organisés en syndicats, tous les
ouvriers d’une industrie appartenant à leur syndicat. Ainsi, les
charpentiers et les peintres travaillant dans une usine métallurgique
font partie du Syndicat des Ouvriers Métallurgistes. Chaque usine
constitue un syndicat local et son Comité de fabrique (Shop
Committee) élu par les travailleurs a le rôle d’un Comité
Exécutif.
Le Comité Exécutif Central Panrusse des Syndicats Fédérés est
élu par le Congrès annuel des Syndicats. Un Comité spécial élu
par ce même congrès établit le barème des salaires.
A peu d’exceptions près la plupart des grandes usines russes ont
été nationalisées et sont en ce moment propriété de la
communauté ouvrière. La tâche des syndicats n’est donc plus de
combattre le capitalisme mais bien de diriger l’industrie.
Le Commissariat du Travail du gouvernement des Soviets travaille
en plein accord avec les Syndicats. Il n’est d’ailleurs élu par le
Congrès des Soviets qu’avec l’approbation des Syndicats.
Un Conseil Supérieur de l’Économie populaire élu a la charge de
diriger la vie économique du pays. Il est divisé en sections,
telles que celles des métaux, de l’industrie chimique, etc., chacune
ayant à sa tête des techniciens et des ouvriers désignés par le
Conseil Supérieur avec l’approbation des Syndicats.
La production est, dans chaque usine, dirigée par un Comité de
trois membres : un représentant du Comité de Fabrique, un
représentant du Comité Exécutif Central des Syndicats et un
représentant du Conseil Supérieur de l’Économie populaire.
Les Syndicats forment ainsi une branche du gouvernement et ce
gouvernement est le plus hautement centralisé qu’il y ait.
C’est aussi le gouvernement le plus démocratique que l’histoire
connaisse. Car tous les organes du gouvernement sont en contact
permanent avec les masses ouvrières et sous leur influence directe.
Les soviets locaux jouissent, en outre, dans la Russie entière,
d’une complète autonomie qui leur permet de diriger comme ils
l’entendent les affaires locales à la condition de se conformer à
la politique nationale du Congrès des Soviets. D’ailleurs, le
gouvernement des Soviets, ne représentant que les ouvriers, ne peut
pas ne pas agir dans leur intérêt.
De nombreux membres de l’I. W. W. sont adversaires de la
centralisation parce qu’ils n’admettent pas qu’elle puisse être
démocratique. Mais où il est question de grandes masses,
enregistrer les volontés individuelles n’est plus possible ; la
volonté des majorités peut seule être notée et la Russie des
Soviets est administrée dans l’intérêt commun de la classe
ouvrière.
La propriété privée de la classe capitaliste, pour devenir
propriété sociale des travailleurs, ne peut pas être remise à des
individus ou à des groupes d’individus ; elle doit devenir la
propriété de la communauté entière et une autorité centralisée
est nécessaire pour accomplir cette transformation.
Les industries qui fournissent aux besoins de la population
entière ne concernent pas seulement les ouvriers qu’elles occupent
mais intéressent la communauté entière et doivent être
administrées au bénéfice de tous. L’industrie moderne est, au
reste, si complexe, ses branches sont tellement interdépendantes
qu’il faut, pour obtenir avec le maximum d’économie le rendement le
plus fort, qu’elle soit soumise, selon un plan d’ensemble, à une
direction unique.
La révolution doit être défendue contre les assauts formidables
des forces coalisées du capitalisme mondial. De grandes armées
doivent être levées, entraînées, équipées, dirigées. Ceci veut
dire : centralisation. La Russie des Soviets a pendant deux ans
soutenu seule les attaques répétées du monde capitaliste. Eût-il
été possible e former une armée rouge forte de plus de deux
millions d’hommes sans une autorité centrale directrice ?
La classe capitaliste a une organisation fortement centralisée
qui lui permet de jeter toutes ses forces contre les groupements
divisés et dispersés de la classe ouvrière. La lutte des classes
est une guerre. Pour renverser le capitalisme les travailleurs
doivent constituer une armée pourvue d’un état-major, — mais d’un
état-major élu et contrôlé par les ouvriers.
En temps de grève tout travailleur sait qu’il faut un comité de
grève — un organe centralisé chargé de diriger l’action et dont
les ordres doivent être obéis — élu et contrôlé par la masse
ouvrière. La Russie des Soviets est en grève, face à face avec le
monde capitaliste tout entier. La révolution est une grève générale
contre le système capitaliste. La dictature du prolétariat est le
comité de grève de la révolution sociale.
Les révolutions prolétariennes qui approchent en ce moment en
Amérique et dans d’autres pays susciteront probablement de nouvelles
formes d’organisation. Les bolcheviks ne prétendent pas avoir dit le
dernier mot de la révolution sociale. Mais l’expérience de deux
années de gouvernement ouvrier en Russie est naturellement de la
plus haute importance et doit être étudiée de près par les
travailleurs des autres pays.
Le mot politique agit sur nombre de membres de l’I. W. W.
comme la vue d’un drapeau rouge agit sur le taureau — ou sur le
capitaliste. Politique signifie pour eux « politicien »
et, d’habitude, évoque à leurs yeux l’image du socialiste jaune qui
brigue leurs suffrages dans l’espoir d’obtenir un confortable
fauteuil où il lui sera possible d’oublier confortablement
l’existence même des travailleurs.
Nos camarades ouvriers « anti-politiciens » sont
opposés aux communistes qui, à leur avis, constituent un parti
politique et qui, en effet, prennent part dans certains cas aux
luttes politiques.
C’est user du mot politique dans un sens bien trop étroit. L’un
des principes sur lesquels s’est fondée l’association des I. W. W.
est exprimé dans ces mots de Karl Marx : « Toute lutte
des classes est une lutte politique ». C’est dire que toute
lutte des travailleurs contre les capitalistes est une lutte pour le
pouvoir politique — pour celui de l’Etat.
Et c’est dans ce sens que les communistes se servent du mot
« politique ».
Les socialistes jaunes s’imaginent pouvoir conquérir
progressivement le pouvoir politique en se servant du mécanisme même
de l’État capitaliste pour obtenir des réformes, et quand ils
auront obtenu la majorité au Congrès, dans les assemblées
législatives, quand ils auront élu le président, le maire et le
sheriff, ils croient pouvoir se servir de l’appareil législatif de
l’État bourgeois pour abolir pacifiquement le capitalisme et
instituer de même la communauté du travail.
Ceci les induit à prêcher diverses réformes du système
capitaliste, à ouvrir leurs rangs aux petits capitalistes, aux
aventuriers politiques de toutes espèces et finalement à conclure
des marchés et à faire des concessions variées.
Les I. W. W. ne l’admettent pas plus que les
communistes.
Communistes, nous ne croyons pas qu’on puisse s’emparer du pouvoir
gouvernemental au moyen du mécanisme de l’État capitaliste. L’État
étant l’arme particulière de la classe capitaliste, son mécanisme
est naturellement conçu de manière à défendre et affermir le
pouvoir du capitalisme. Le contrôle capitaliste de toutes les
institutions qui font l’opinion publique — presse, écoles,
églises, tribunes — le contrôle capitaliste de l’attitude
politique des ouvriers par le contrôle de leurs moyens d’existence,
rendant extrêmement improbable la possibilité pour les travailleurs
d’élire jamais « légalement » sous le régime
capitaliste démocratique, un gouvernement dévoué à leurs
intérêts.
Et, à l’heure actuelle, tandis que la classe capitaliste du monde
entier poursuit avec l’acharnement du désespoir sa campagne de
répression contre les organisations du prolétariat conscient dans
le monde entier, celle hypothèse est tout bonnement inadmissible.
Mais si même il était possible aux travailleurs de conquérir
par le moyen du mécanisme politique l’État capitaliste, ce dernier
ne pourrait pas servir à fonder la communauté industrielle. La
source réelle du pouvoir capitaliste est dans la propriété et le
contrôle capitaliste des moyens de production. L’État capitaliste
n’existe que pour étendre et défendre cette propriété, ce
contrôle. Il ne peut donc pas servir à les abolir.
Jusqu’ici les I. W. W. et les communistes sont d’accord.
L’État capitaliste doit être attaqué par l’action directe. Cette
action, dans la signification correcte des termes est aussi
politique, car elle a un but politique — la conquête du pouvoir
gouvernemental.
Les I. W. W. se proposent d’atteindre ce but par la
grève générale. Les communistes vont plus loin. L’histoire indique
assez que la grève générale n’est pas suffisante. Les capitalistes
ont des armes et l’expérience des gardes blanches en Russie, en
Finlande, en Allemagne prouve qu’ils ont suffisamment d’expérience
et d’entraînement pour se servir de leurs armes contre les
travailleurs. Ils ont en outre des stocks d’aliments qui leur
permettent de tenir plus longtemps que les travailleurs toujours
talonnés par le besoin.
Les communistes, eux aussi, comptent sur la grève générale,
mais ils pensent qu’elle doit se transformer en insurrection armée.
La grève générale et l’insurrection sont des formes de l’action
politique.
S’il en est ainsi, si les communistes ne pensent pas pouvoir
s’emparer de l’État par le bulletin de vote, pourquoi les partis
communistes participent-ils aux élections et présentent-ils leurs
candidats ?
La question de savoir si les communistes participeront ou non aux
élections est secondaire. Certaines organisations communistes y
participent ; d’autres non. Mais les premières ne le font que
dans un but de propagande. Les campagnes politiques donnent aux
révolutionnaires l’opportunité de parler à la classe ouvrière, de
leur montrer le caractère de classe de l’État et quel est l’intérêt
véritable des travailleurs. Elles leur permettent de souligner la
futilité des réformes, de démontrer les intérêts réels qui
dominent les partis politiques capitalistes et socialistes jaunes et
de souligner pourquoi il faut renverser le système capitaliste tout
entier.
Les communistes élus au Congrès ou dans les assemblées
législatives ont pour tâche de faire de la propagande ; de
montrer sans cesse la nature réelle de l’État capitaliste, de
s’opposer aux actes du gouvernement capitaliste et de révéler leur
caractère de classe ; de montrer la futilité des réformes et
des mesures capitalistes. Au sein des assemblées législatives, du
haut des tribunes de la nation, les communistes peuvent stigmatiser
les brutalités capitalistes et appeler les travailleurs à la
révolte.
Karl Liebknecht a montré ce qu’un communiste peut faire au
Parlement. Ses discours au Reichstag retentirent dans le monde
entier.
D’autres, en Russie, en Suède (Höglund) et dans d’autres pays,
ont fait la même chose.
L’objection la plus commune à l’envoi de militants dans les
assemblées législatives capitalistes, c’est que quelle que soit
leur valeur révolutionnaire, ils seront invariablement corrompus par
leur entourage et amenés à trahir les travailleurs.
Cette croyance est le produit d’une longue expérience, faite
surtout avec les politiciens et les beaux parleurs socialistes. Mais,
communistes, nous affirmons qu’un parti vraiment révolutionnaire
n’élira que de vrais révolutionnaires et saura les garder sous son
contrôle.
De nombreux membres de l’I. W. W. sont les adversaires
acharnés de l’emploi des assemblées législatives ou de toutes
autres institutions gouvernementales dans un but de propagande. Mais
l’organisation des I. W. W., souventes fois, n’a pas
dédaigné ces moyens. Lors de la grève de Lawrence en 1912, les
I. W. W. se servirent même du sénateur socialiste Victor
Berger qui porta à la tribune de la Chambre des Représentants les
revendications des grévistes et des I. W. W. William D.
Haywood, Vincent St John et bien d’autres leaders des I. W. W.
témoignèrent volontiers devant la Commission Industrielle du
gouvernement des Etats-Unis, profitant de cette occasion pour
diffuser les idées de leur organisation. Mais l’exemple le plus
frappant de l’usage du mécanisme politique de l’Etat dans un but de
propagande nous fut donné en 1918 quand la Cour Fédérale de
Chicago où l’on jugeait cent leaders de l’I. W. W. devint
pour trois mois un véritable meeting de propagande ouvrière.
Tels sont les cas d’usage du mécanisme politique de l’État
capitaliste dans un but de propagande parmi les masses. Ces méthodes
doivent être employées selon les circonstances — de même que
l’action parlementaire. L’usage de nulle arme ne doit être
absolument condamné.
La tache particulière des I. W. W. est de préparer les
travailleurs à s’emparer de l’industrie et à la diriger. La
fonction spéciale du parti politique communiste est de préparer les
travailleurs à la conquête du pouvoir politique et à, l’exercice
de la dictature du prolétariat. Tout travailleur doit être à la
fois membre du syndicat révolutionnaire de son industrie et du parti
politique qui combat pour le communisme.
Le but des I. W. W. est de « bâtir une société
nouvelle au sein de l’ancienne ». Ce qui veut dire :
organiser si complètement les travailleurs que le système
capitaliste finisse, à un moment donné, par être brisé et par
faire place à la Communauté Industrielle déjà pleinement
développée.
Un acte semblable exige l’organisation et la discipline de la
majorité des travailleurs. On pouvait, avant la guerre, croire
possible l’accomplissement de cette tâche, bien que malgré leur
activité de quatorze ans les I. W. W. n’aient pu organiser
qu’une minime fraction des travailleurs américains.
A présent ce dessein n’est qu’utopique. Le capitalisme est à son
déclin, la révolution est à nos portes et l’histoire n’attendra
pas que la majorité des travailleurs soit organisée — 100 %
— d’après le plan des I. W. W. ou de toute autre
organisation. Nous n’avons plus la perspective d’un long
développement industriel normal qui, seul, eût permis la
réalisation d’un semblable dessein. La guerre a jeté les peuples du
monde dans un immense cataclysme et ils doivent songer à l’action
immédiate et non à l’élaboration de savants projets dont
l’accomplissement exigerait des années.
La nouvelle société ne sera pas bâtie, comme nous le pensions
naguère, au sein de l’ancienne. Nous ne pouvons l’attendre. La
révolution sociale est là. Quand les travailleurs auront renversé
le capitalisme, quand ils auront écrasé toutes les tentatives
faites pour le rétablir, ils pourront à loisir, au sein de leur
état soviétiste, bâtir librement la nouvelle société.
En présence de la révolution sociale, quelle est la grande tâche
immédiate des Travailleurs Industriels du Monde (I. W. W.) ?
Constituant en Amérique la plus importante organisation
syndicaliste révolutionnaire, il leur appartient de prendre
l’initiative de fournir une base unique à l’unification de tous les
syndicats d’un caractère nettement révolutionnaire, de tous les
travailleurs qui acceptent le principe de la lutte des classes. Tels
sont la Grande Union Unique (One Big Union), la W. I. I. U.
et certains syndicats dissidents de l’American Federation of Labor.
Le moment n’est pas aux petites querelles de noms ou de menues
questions d’organisation. La tâche essentielle c’est de grouper tous
les travailleurs capables d’une action révolutionnaire de masses en
temps de crise.
Révolutionnaires, ils ne peuvent repousser les invitations des
communistes américains désireux de conclure un accord avec eux en
vue d’une action révolutionnaire commune. Le parti politique et
l’organisation économique doivent marcher d’un même pas vers le
tout commun — vers l’abolition du capitalisme par la dictature du
prolétariat et par les Soviets, vers la disparition des classes et
de l’État.
L’Internationale Communiste tend aux I. W. W. une main
fraternelle.
Le président du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste,
G. ZINOVIEV.
Janvier 1920.
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