Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Histoire du Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France

    Le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France (PCMLF) n’est pas née d’une rupture idéologique majeure au sein du Parti Communiste français avec le révisionnisme ayant triomphé en URSS en 1956, mais d’individus ayant été sensibles à la démarche de critique chinoise du révisionnisme.

    Le rôle des « amitiés franco-chinoises »

    Pour cette raison, c’est au sein de « l’Association des Amitiés franco-chinoises », fondée comme organe proche par le Parti Communiste français en 1954 suite au triomphe de la révolution chinoise en 1949, qu’on va retrouver les éléments fondateurs du PCMLF.

    On a ainsi le journaliste communiste Régis Bergeron, qui écrivit dans L’Humanité et Les Lettres françaises, et qui fut enseignant de littérature française à l’Université de Pékin et conseiller pour les publications en français des éditions de Pékin, de juillet 1959 à 1961.

    On a ensuite Paul et Marcel Coste, Christian Maillet et Jacques Jurquet, membres du Comité de Marseille de l’Association des Amitiés franco-chinoises.

    La publication de leur Bulletin du Cercle d’étude et de documentation, qui aura sept numéros, leur vaudra en avril 1964 l’exclusion par le Parti Communiste français, par ailleurs décidé à supprimer tout lien avec la Chine populaire.

    La critique du Parti Communiste français qui est faite ici est tardive ; en fait, ce sont les forces n’ayant pas accepté la « déstalinisation » qui parviennent à s’unir, alors qu’auparavant elles étaient éparpillées.

    Elles ne représentent d’ailleurs strictement rien culturellement dans le Parti Communiste français, qui avec Thorez avait déjà une ligne ambiguë, pré-révisionniste, mais en apparence « dure. »

    La véritable dynamique, en arrière-plan, est la question algérienne. Ainsi, Jacques Jurquet, qui va se profiler comme le dirigeant du mouvement, a directement soutenu le FLN.

    Début d’unification des marxistes-léninistes issus du PCF

    La critique chinoise permet la cristallisation de ce qui était ressenti ; l’initiative partie de Marseille permet quant à elle la cristallisation organique.

    Après l’exclusion est en effet fondée, en septembre 1964, la Fédération des cercles marxistes-léninistes de France, à partir des sympathisants de l’équipe marseillaise, avec des groupes à Marseille, Aix-en-Provence, Bordeaux, Grenoble, Perpignan et Saint-Savournin.

    Si on est ici que dans le Sud de la France, à la fin de l’année 1964 un groupe parisien, la cellule Drapeau Rouge, issue de l’Union des Étudiants Communistes, s’ajoutera à la liste.

    Les responsables de cette nouvelle Fédération voyagent alors en Chine populaire en août 1964 et le même mois est lancé le bulletin Pour la défense du marxisme-léninisme, qui cède la place au mensuel L’Humanité nouvelle en février 1965, qui devient lui-même hebdomadaire à partir d’octobre 1966.

    C’est dans cet organe, en décembre 1965, qu’est publié l’appel Pour la fidélité à l’idéal communiste, reflétant le fait que la critique du révisionnisme consiste non pas tant en une critique idéologique, qu’en le rejet de la direction du Parti Communiste français pour son soutien à François Mitterrand et pour son absence de combativité face à l’impérialisme américain et au gaullisme.

    C’est, en fin de compte, le refus de la remise en cause du « vieux » PCF et la simple considération que le nouveau PCF a simplement abandonné sa propre identité. Ainsi, lors du 23 mars 1966, les marxistes-léninistes de la Fédération tentent de prolonger une manifestation pour le Nord-Vietnam, affrontant alors le service d’ordre du PCF.

    Nouvelle organisation

    Dans le prolongement de la cristallisation de la critique, est fondée une nouvelle organisation, faisant faire un saut à la Fédération, grâce à l’appui idéologique de la Chine populaire et de l’Albanie, qui la reconnaissent et la soutiennent financièrement.

    Elle laisse la place, lors de son second congrès à Paris, rue de Lancry, les 25-26 juin 1966, au Mouvement communiste français marxiste-léniniste.

    Quelques mois plus tôt, il avait été appelé en septembre à refuser tant de Gaulle que Mitterrand aux élections présidentielles, et à mettre un bulletin avec l’inscription « Je vote communiste. »

    En fait, de par la prise de position face à la direction du PCF, les marxistes-léninistes qui en sont issus acceptent alors la critique chinoise du révisionnisme et considèrent que le PCF a adopté la ligne du révisionnisme moderne qui a triomphé avec Khrouchtchev en URSS.

    Cependant, cela ne va pas plus loin ; les marxistes-léninistes sont « pro-chinois », comme d’ailleurs en fin de compte pro-albanais, car ces pays sont dirigés par des organisations ayant réfuté la direction du PCF.

    En août 1966, une délégation va ainsi de nouveau en Chine populaire, et en novembre il y a un représentant officiel au Ve Congrès du Parti du Travail en Albanie.

    C’est cependant simplement une reconnaissance de principe dans le refus de la ligne du PCF, pas une affirmation idéologique au sens strict. Il n’y a pas d’affirmation du matérialisme dialectique ou de critique développée de Thorez, du social-chauvinisme, etc.

    Il n’y a pas de contenu méthodique dans la critique du PCF, pas plus qu’il n’y a un quelconque suivi des positions chinoises ou albanaises au sens strict. Il s’agit de soutenir les régimes chinois et albanais parallèlement à la revendication du « retour » du PCF à avant le tournant ouvertement institutionnel du milieu des années 1950.

    Premières affirmations

    Le prestige de la Chine populaire et la propagande menée font que le mouvement commence à grandir. En octobre des activistes de l’Union des Étudiants Communistes appellent à rejoindre le Mouvement communiste français marxiste-léniniste, en novembre c’est le bulletin L’Opposition artistique qui saut le pas, alors qu’il y également l’arrivée d’un très haut responsable du PCF, Gilbert Mury.

    Ancien résistant, secrétaire général du Centre d’étude et de recherche marxiste (CERM), professeur de l’école centrale du PCF, membre des comités de rédaction de Economie et politique et des Cahiers du communisme, Gilbert Mury a participé au meeting d’octobre 1966 pour fêter le 17e anniversaire de la révolution chinoise, alors qu’en arrière-plan se développe la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

    Il est alors exclu et devient la principale figure intellectuelle des marxistes-léninistes, en étant cependant un électron libre. Le 5 janvier 1967 il accorda ainsi une interview au Figaro littéraire sur les Gardes rouges et la Révolution culturelle, qui sera condamnée, car effectuée sans l’accord du Bureau politique de sa propre organisation.

    Par la suite, Gilbert Mury soutiendra la cause palestinienne, puis une scission du PCMLF, tout en entamant des discussions avec des catholiques ; il va surtout devenir un des principaux porte-paroles de l’Albanie, dont il salue le processus de « révolutionnarisation » qu’il assimile à la révolution culturelle chinoise.

    Mury, au défi de toute cohérence, maintiendra par la suite le soutien tant à l’Albanie qu’à la Chine populaire. Cependant, ce qui compte ici est Gilbert Mury comme figure dirigeante du PCF et la reconnaissance à la fois chinoise et albanaise.

    Aussi le comité central du Mouvement communiste français marxiste-léniniste annonce-t-il, en avril 1967, la convocation du congrès constitutif du nouveau Parti.

    Secondes affirmations

    Le PCF n’apprécie pas du tout, bien évidemment, le fait que l’on veuille prendre sa place, car c’est au sens strict la ligne des marxistes-léninistes du Mouvement, qui considère en fait surtout la direction du PCF comme usurpatrice.

    Le PCF organisa alors l’attaque ultra-violente, par des centaines de ses membres « outillés », du congrès de solidarité avec le Vietnam, le 5 mai 1967 à la salle de la Mutualité à Paris, récoltant par la suite même une protestation officielle du FNL du Vietnam.

    C’est le point culminant d’une politique d’agressions systématiques par des commandos du PCF, de toutes les activités ouvertes du PCMLF (diffusion de propagande, meetings, etc.).

    Ce n’est pas tout : du côté étudiant s’est formée une organisation, qui quant à elle, fait explicitement référence à l’expérience chinoise, puis à la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. Pour l’Union de la Jeunesse Communiste Marxiste-Léniniste (UJCML), les marxistes-léninistes issus du PCF ne font que vouloir aller dans le passé, ils n’assument pas les nouveaux enseignements de Mao Zedong.

    C’est Gilbert Mury qui se charge de répondre à l’UJCML, dans un rapport le 26 juin 1967, intitulé « Arborer le drapeau rouge pour lutter contre le drapeau rouge – Qu’est-ce que l’Union des Jeunesses communistes ? », et à la mi-juillet, le Comité Central met un terme à tout rapport avec le Bureau Politique de l’UJCML.

    Il faut alors faire vite, tant par rapport au PCF qu’à l’UJCML. En août 1967, ce sont alors 50 personnes qui partent en Chine populaire sous l’égide de l’Association des amitiés franco-chinoises (AAFC), puis une délégation officielle des plus hauts responsables du Mouvement avec Jacques Jurquet, Raymond Casas, Régis Bergeron et Alain Casta. Un peu plus tôt, Jacques Jurquet, Raymond Casas, Gilbert Mury et Claude Combe s’étaient rendus en Albanie.

    La fondation du PCMLF

    La position des marxistes-léninistes du mouvement est simple : il faut refonder le PCF et éjecter l’ancien. La bataille n’est pas comprise en termes idéologiques, comme une lutte de deux lignes ou contre la culture largement social-démocrate en fin de compte du PCF.

    Tout apparaît seulement comme une question de légitimité, qui aurait été perdue par la direction du PCF, qu’il faut par conséquent éjecter. L’UJCML apparaît comme un simple trouble-fête étudiant, et il y ainsi une méconnaissance formidable de la force du PCF, de son appareil et de son organisation, et une attention portée seulement sur la direction.

    Les 30 et 31 décembre 1967, à Puyricard dans les Bouches-du-Rhône qui sont le lieu fort du Mouvement, a alors lieu le Congrès constitutif du Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France, avec 104 délégués du Mouvement communiste français marxiste-léniniste, pour plusieurs centaines de membres de représentés.

    Le PCF envoie quelques hommes armés, et à peu de choses près l’affrontement armé tournait au drame. Cela ne fit que renforcer le prestige de la nouvelle organisation.

    Arrive alors mai 1968, qui va bouleverser le jeune PCMLF.

    Désorienté à travers mai 1968

    Le PCMLF est un PCF bis : il a une vision légaliste de son travail et de son organisation, son activité consiste surtout à diffuser sa presse, à se faire connaître comme « Parti de la classe ouvrière ».

    Lorsque mai 1968 arrive, il n’a pas de moteur idéologique à faire valoir et il passe relativement inaperçu, tout en développant sa propagande. Mais le choc arrive avec l’interdiction générale des organisations d’extrême-gauche le 12 juin 1968.

    Pour le PCMLF qui entendait faire sa propagande pour ainsi dire tranquillement et « manger » le PCF, c’est une catastrophe. Rien n’a, de plus, été prévu pour cette situation. La police connaît les noms et adresses de la trentaine de membres du comité central. Le PCMLF est alors à un tournant.

    Après l’interdiction, en effet, la plupart des organisations d’extrême-gauche sont restées légales devant la répression en fait seulement apparente : il leur a fallu simplement changer de nom. La simple petite modification – changement d’un mot dans l’énoncé – a été accepté par l’Etat, qui n’a procédé à aucune poursuite.

    Reste à savoir si le PCMLF faisait de même, ou non.

    Le PCMLF « illégal » et le putsch de Jurquet

    Le problème du PCMLF est qu’il avait été fondé, non pas sur une base idéologique, mais comme pendant « authentique » du PCF.

    Cela signifie qu’un changement de nom ramènerait le PCMLF au rang d’organisation gauchiste comme les autres, ce qui n’était pas concevable, puisque la perspective était non pas la construction ou l’affirmation idéologique, mais la « capture » du PCF.

    La conséquence fut alors un bricolage élaboré par Jurquet. Déjà, Jurquet fit sauter toute légalité dans le PCMLF en brisant le comité central, niant sa réalité au profit d’une « direction centrale clandestine (DCC) fondamentalement illégale, car décidée par en haut sans accord du Parti, et ce au nom de la situation « exceptionnelle. »

    Cette DCC était composée de trois personnes : un secrétaire national, un secrétaire à l’agitation et la propagande et un secrétaire à l’organisation ; c’était un putsch permettant à Jurquet d’asseoir sa position et de maintenir la fiction d’un PCMLF « maintenu » comme véritable PCF.

    De fait, l’organisation en « triangle » – cellules de trois membres reliés par un seul membre à un autre triangle – du PCMLF illégal était une fiction, car le PCMLF ne menait strictement rien d’illégal.

    C’était une simple fiction idéologique, afin de préserver le titre de PCMLF et sa fonction soi-disant historique de remplacer le PCF. Car, de toutes manières, le PCMLF réapparut de manière « légale », mais prétendument masqué.

    L’Humanité rouge

    Le PCMLF mit du temps à pouvoir réaliser son plan, alors qu’après mai 1968, l’extrême-gauche était hyperactive. Déjà apparut dans le sud-est de la France le titre La Provence rouge, publiant 32 numéros de septembre 1968 à avril 1969.

    D’autres journaux plus épisodiques apparurent parallèlement régionalement : Le Front uni dans le Rhône-Alpes, La Touraine rougeCombat ouvrier (pour le Nord-Pas-de-Calais), Le Maine rougeLa Jeune garde (Versailles).

    Puis, enfin, le 20 février 1969 fut publié le premier numéro de L’Humanité rouge, faisant du même coup disparaître les publications régionales.

    Le journal ne faisait pas mention du PCMLF, mais il en défendait les positions ; théoriquement il était publié par des comités de défense du journal, cependant bien entendu en pratique il était porté par le PCMLF.

    Le PCMLF était ainsi illégal, mais maintenait une position abstraitement illégale; l’Etat d’ailleurs ne fit que quelques poursuites, pour la forme.

    En pratique, son organisation était clandestine, comme Cahier rouge, son organe théorique, ainsi que L’Humanité nouvelle, maintenue comme organe et qui publiera clandestinement 67 numéros jusqu’en 1977, mais le PCMLF ne menait aucune action illégale, sa clandestinité était « imposée » par en haut et n’avait aucun fonction politique ou pratique.

    De fait, par la façade légale portée par le PCMLF censé être illégal, il est plus juste de parler de démarche semi-légale. 

    Activités de L’Humanité rouge

    La diffusion de cette nouvelle presse allait de pair avec une propagande tout à fait classique à l’extrême-gauche, passant notamment par les meetings à la salle de la Mutualité, à Paris.

    Il y eut ainsi en septembre 1969 un meeting en l’honneur du dirigeant vietnamien Ho Chi Minh (par ailleurs semi-révisionniste) venant de mourir, en novembre un meeting à l’occasion du 25e anniversaire de la révolution albanaise, ou encore, toujours en novembre et à Paris, 2 500 personnes manifestant de manière éclair en soutien à la victoire du FNL au Vietnam, 1500 personnes manifestant en soutien aux militants paysans réprimés dans l’ouest de la France.

    Cependant, la contradiction était intenable, et amena l’implosion de la direction du PCMLF.

    La lettre au président de la République

    Dès le 14 mai 1969, c’est Jurquet lui-même, en tant que secrétaire général du PCMLF, en tant que dirigeant historique de l’organisation, qui envoya une lettre au président de la République, alors Alain Poher en raison de l’intérim à la suite de la démission de de Gaulle, pour demander la légalisation du PCMLF.

    On peut y lire, dans une prose édifiante de légalisme et d’opportunisme :

    « À ce sujet je suis en mesure de mettre le gouvernement au défi de révéler que mon Parti ou quelque militant issu de ses rangs ont pu justifier l’intervention de la justice tant en ce qui concerne la sécurité intérieure que la sécurité extérieure de la France.

    L’organe central du PCMLF n’a subi aucune saisie. Les nombreuses interpellations et perquisitions opérées à l’encontre des locaux et des militants du PCMLF le lendemain de son interdiction n’ont pas permis une seule inculpation de nature à être maintenue par décision du pouvoir judiciaire. »

    Cette demande est très parlant de l’esprit du PCMLF, tout à fait dans le prolongement de l’idéologie légaliste et institutionnelle du PCF, et elle est d’autant plus parlant que de nombreuses autres organisations d’extrême-gauche, au même moment, menaient des actions de manière ininterrompue.

    Fractions critiques à l’intérieur et à l’extérieur

    A l’intérieur du PCMLF, l’opposition à la DCC grandisait aussi. Le Travailleur apparut comme fraction opposée à la position illégale, amenant en février 1970 un contre-putsch anti-Jurquet au nom du « Bureau Politique (majoritaire). »

    La fraction Le Travailleur, se considérant comme le PCMLF authentique, comprenait des militants historiques : l’ancien résistant et membre du PCF Raymond Casas (qui fut notamment agressé par des membres du PCF, à coups de tranchet), mais également Gilbert Mury.

    L’Etat français en profita pour mener des perquisitions dans une trentaine de villes ; la désorganisation était très grande.

    A l’extérieur du PCMLF, il y avait également une autre fraction, faisant une critique idéologique régulière. Il s’agit de membres du MCF (ml) ayant refusé la fondation du PCMLF, qui s’unirent également avec des activistes de l’UJCML dans « Ligne rouge », avec la critique du PCMLF comme base de leur identité.

    « Ligne rouge » devint « Prolétaire – Ligne Rouge » et disparut en 1975. « Ligne Rouge » reprochait au PCMLF sa ligne de « Front uni antimonopoliste » et de « démocratie populaire fondée sur la dictature du prolétariat », considérée comme révisionniste.

    Jurquet se vit obliger de réagir.

    Nouveau putsch au sein du PCMLF

    Afin de contrer le putsch mené par le « Bureau Politique (majoritaire) » contre son propre putsch au nom de la « DCC », Jurquet élargit celle-ci et organisa en son sein, en juin 1970, un Comité exécutif central.

    Cette sorte de nouvelle direction était un nouveau putsch en soi ; Jurquet composa ce comité de jeunes issus de l’UJCML qui avaient rejoint le PCMLF après mai 1968 et l’effondrement de leur organisation.

    Jurquet entendait s’appuyer sur les « jeunes » contre les « historiques. » L’affaire se retourna contre lui, car les jeunes assumèrent la démarche jusqu’au bout, et entendirent se débarrasser des « historiques » et de la ligne opportuniste menée jusque-là, celle du « Front uni anti-monopoliste » et de la « démocratie populaire. »

    Les « jeunes » organisèrent des commissions jeunesse et nationale ouvrière, ainsi qu’un service d’ordre véritable ; en novembre 1970 ils organisèrent à Paris une « conférence nationale de rectification », se présentant comme la véritable direction du PCMLF.

    Ils publièrent un « organe central du PCMLF » clandestin appelé de nouveau « L’Humanité nouvelle » afin de souligner la continuité, et surtout en 1971 un nouveau périodique devenant rapidement un hebdomadaire, Front Rouge, appelant la base à abandonner L’Humanité rouge et à ne pas lui payer les dettes.

    En 1974, Front Rouge devint le Parti Communiste Révolutionnaire (marxiste-léniniste).

    La fuite en avant

    Avec Front Rouge, le PCMLF a perdu des pans entiers de son organisation, notamment en région parisienne, à Grenoble, à Limoges, dans le Nord, en Bretagne, en Normandie, en Mayenne, etc. A cela s’ajoute la scission plus tôt du « Travailleur », se revendiquant également comme PCMLF.

    Qui plus est, en mai 1971, mourra dans un accident de voiture François Marty, le numéro 2 du PCMLF, ancien responsable d’un bataillon de Francs-Tireurs Partisans lors de la Résistance.

    Le PCMLF de Jurquet n’a alors plus qu’une centaine de membres, et tenta alors de maintenir son cap, profitant de la reconnaissance chinoise, envoyant en Chine populaire une délégation officielle, en 1970, pour les 50 ans du Parti Communiste.

    Il commença une offensive idéologique contre le « gauchisme moderne », c’est-à-dire les activités révolutionnaires issues de mai 1968, et notamment la Gauche Prolétarienne, ; à partir d’avril 1973 publie le trimestriel Prolétariat, « Revue théorique et politique marxiste, léniniste et de la pensée-Maotsétoung ».

    Mais surtout, pour justifier sa propre situation totalement bloquée, il lance le thème de la « fascisation. »

    L’Humanité rouge appela ainsi, dès le numéro 1, à la constitution d’un « Front uni contre les monopoles de l’impérialisme, qui pourra se reconvertir, si les événements l’imposent, en Front antifasciste. »

    Tentant alors de s’imposer sur la scène de l’extrême-gauche, le PCMLF pratique alors la fuite en avant, en organisant avec les trotskystes de la Ligue Communiste l’attaque du meeting parisien des fascistes d’Ordre nouveau, le 21 juin 1973.

    La Ligue Communiste est dissoute par l’Etat, et s’approprie tout le prestige de l’opération, jusqu’à aujourd’hui ; même le PCF envoie un représentant dans un meeting pour protester contre la dissolution, qui ne dure pas puisqu’est fondée dans la foulée la Ligue Communiste Révolutionnaire.

    Le PCMLF a essayé de faire de la politique, et a échoué.

    La seconde fuite en avant et le basculement patriotique

    Le PCMLF se retrouve dans une situation instable, il n’a plus de ligne réelle. En 1973, il soutient ainsi la naissance du Parti des travailleurs de Guadeloupe (PTG), mais perd son comité de Nancy, qui va publier (clandestinement) Sentinelle rouge et légalement, en 1974, Etoile rouge.

    Le PCMLF tente alors une seconde fuite en avant. Il avait fondé en janvier 1973 le Mouvement national de soutien aux peuples d’Indochine (MNSPI), puis en avril le Centre d’information sur les luttes anti-impérialistes (CILA).

    Mais il est totalement lié aux positions de Deng Xiaoping en Chine, et il soutient son interprétation de la théorie des trois mondes. Le PCMLF se met alors à soutenir l’armée française et la politique étrangère de la France, tout comme les pays du troisième monde, considérés comme des Etats nationaux (et non comme semi-coloniaux semi-féodaux, notion maoïste élémentaire mais n’apparaissant jamais en France).

    Le PCMLF explique ainsi que « Les accords entre l’Iran et la France en témoignent : l’Iran s’oppose aux deux supergrands », ou encore que « l’anti-militarisme est au service du révisionnisme ».

    La ligne se prolonge jusqu’à publier à partir d’avril 1975 « Combat pour l’indépendance », alors que le MNSPI se transforme en « Mouvement pour l’indépendance et la liberté ».

    Le point culminant est l’organisation d’un meeting à Paris avec des gaullistes, des royalistes et le fasciste Patrice Gélinet (qui en fut l’organisateur), sur le thème « France – tiers-monde : solidarité ». Le PCMLF organise même le service d’ordre à l’extérieur ; plus tard, un meeting devait même être organisé avec des membres de la majorité présidentielle.

    Jurquet avait, bien entendu, fait avaliser cette ligne lors d’un second congrès fantôme du PCMLF, en mars 1975 ; il fallait alors soi-disant soutenir la France et l’Union européenne contre les superpuissances.

    Un succès apparent seulement

    Le PCMLF, au moyen de sa ligne patriotique et du soutien chinois – de la fraction dengiste – a réussi à devenir un petit pôle de référence. Il y a ainsi 10 000 personnes lors du meeting du 25e anniversaire de la révolution chinoise.

    Durant l’année 1973, les sections du PCMLF – Le Travailleur réintègrent une à une le PCMLF.

    En février 1974, l’ex-tendance « Gauche révolutionnaire » du Parti Socialiste Unifié tient son premier congrès et la majorité décide de rejoindre le PCMLF ; un partie de la minorité fera de même par la suite.

    En avril 1975, Prolétaire – Ligne Rouge se dissout et la minorité rejoint le PCMLF ; des groupes locaux rejoignent également le PCMLF : à Bayonne, à Lille, à Lyon avec le Regroupement communiste révolutionnaire marxiste-léniniste, de Servir le Peuple de la vallée de la Fensch, des Jeunesses progressistes de Bretagne.

    En mai sort La Jeune Garde Rouge, organe des Jeunesses communistes marxistes-léninistes de France (JCMLF) qui ont leur premier congrès en juin 1975 ; en avril de l’année précédente avait commencé la publication du mensuel puis bimensuel La Faucille, « journal paysan des communistes marxistes-léninistes de France ».

    Le PCMLF multiplie sa presse : Riposte, de la section du pays basque, La Torche, du site pétrochimique de Lavéra, Le Rail Rouge, bulletin de liaison des cheminots de Marseille-Avignon, Vivre et Lutter à Vitrolles, bulletin local de la région marseillaise, Classe contre classe, bulletin du comité d’Aveyron, Le Dossier, Sécurité sociale, cellule Eugène Pottier de Limoges, PCML-Limoges, L’Etincelle, bulletin CEN-Saclay, L’onde nouvelle, cellule André Marty de Thomson-Bagneux, Communisme EDF, service centraux Messine-Murat; La Dépêche rouge, PTT Paris, Répondre, Comité de Paris, CamaradeBulletin de NancyServir le peuple, vallée de la Fensch (Est), ainsi que Unité et SolidaritéChronique viticoleLes élus et le peupleLe travailleur gardois, différents bulletins du Languedoc-Roussillon, La lettre du PCML du NordPCML-Allones, etc.

    Enfin, le 1er mai 1975, L’Humanité rouge devient un quotidien. Un mois plus tard, lors d’une manifestation de soutien aux employés du Parisien libéré en grève, le PCMLF force l’entrée du cortège et engage l’affrontement violent avec la CGT.

    En apparence, le PCMLF est structuré et sa ligne est solide ; en réalité, elle ne représente qu’un appendice de la ligne de Deng Xiao Ping.

    La fracture

    Déjà, la ligne social-patriotique de soutien à la France, car elle appartiendrait au « second monde » qui devrait s’allier au « troisième monde » contre les superpuissances, ne passe plus.

    Mais il y a pire. Au lieu que cela soit une critique maoïste de la position de Deng Xiao Ping sur la théorie des trois mondes qui se développe, c’est la critique albanaise qui se développe, assimilant Mao et Deng, ce que fait d’ailleurs le PCMLF, mais en trouvant cela bien.

    En août 1975, le comité du PCMLF à Strasbourg commence la rébellion, sur une ligne albanaise ; en juin 1976, il appelle ouvertement au renversement de la direction, puis forme en septembre de la même année l’Organisation pour la reconstruction du parti communiste de France (ORPCF).

    Il formera en mars 1979 le Parti communiste des ouvriers de France (PCOF), directement lié et financé par l’Albanie d’Enver Hoxha.

    En juillet 1977, le PCMLF est alors obligé de reculer et d’abandonner le social-patriotisme « internationaliste ». Et en août 1978, il redevient même légal, sous le nom de PCML, en abandonnant le « F », c’est-à-dire en faisant ce que toute l’extrême-gauche interdite avait fait au lendemain de l’interdiction de juin 1968 : simplement changer de nom.

    Que faire ?

    Devenu légal, le PCML n’a plus d’orientation. En fait, il n’en a jamais eu. Issu de militants en désaccord avec le tournant révisionniste ouvert de la direction du PCF, le PCMLF s’est tourné vers la Chine populaire qui prônait la ligne rouge.

    Mais le PCMLF n’avait que faire de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne et de ses apports ; au sens strict, le PCMLF a toujours été dengiste.

    Preuve de cela, la position de Jacques Jurquet qu’on retrouve dans un document intitulé Printemps révolutionnaire de 1968, réédité par la suite avec d’autres textes en 1976, sous le titre de Arracher la classe ouvrière au révisionnisme.

    De manière parlante, les passages faisant référence de manière positive à la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP) ou à la pensée de Mao Zedong ont été censurés.

    Voici une liste d’exemples, avec a) représentant la version de 1968, et b) celle de 1976.

    a) « La Chine bénéficie d’un régime socialiste protégé par la dictature du prolétariat et par la pensée invincible de son guide et libérateur, le président Mao Tsé-toung »

    b) « La Chine bénéficie d’un régime socialiste protégé par la dictature du prolétariat »

    a) « Pour ceux qui connaissent, soit par la lecture d’articles et de reportages, soit par l’expérience vécue lors de voyages en Chine, le déroulement et les péripéties de la grande révolution culturelle prolétarienne, apparaît sans hésitation un lien entre la grande tempête révolutionnaire estudiantine en France et l’exemple chinois »

    b) « Pour ceux qui connaissent, soit par la lecture d’articles et de reportages, soit par l’expérience vécue lors de voyages en Chine, le déroulement et les péripéties de la grande révolution culturelle prolétarienne, apparaît une similitude certaine entre la grande tempête révolutionnaire estudiantine en France et l’exemple chinois » ;

    a) « Un fait est assuré cependant: la volonté révolutionnaire des masses étudiantes françaises trouve sa source dans l’exemple chinois »

    b) « Un fait est assuré cependant: la volonté révolutionnaire des masses étudiantes françaises s’est apparenté à l’exemple chinois » ;

    a) « Cet homme, c’est le militant communiste de l’époque de la pensée de Mao Tsé-toung !  »

    b) « Cet homme, c’est le militant communiste !  »

    a) « Ainsi notre peuple, notre pays sont-ils entrés dans « l’ère de la pensée triomphante de Mao Tsé-toung. » Un homme nouveau est en train de naître, un homme véritablement communiste, parce que l’influence de la grande révolution culturelle prolétarienne chinoise a débordé les frontières géographiques de la Chine et se répand de façon bénéfique dans le monde entier.

    La révolutionnarisation de l’homme substituera l’altruisme, le dévouement au bien public, à l’égoïsme, le sens de l’intérêt collectif à l’individualisme, elle préparera cette société supérieure qui n’a rien à voir avec les stimulants matériels, mais tout ce qu’il y a de meilleur dans chaque individu, le Communisme.

    Mais pour aider concrètement à la marche en avant du peuple français vers ces sommets révolutionnaires, où flottent les drapeaux rouges de la révolution politique, de la révolution économique et de la révolution culturelle, il est indispensable qu’il dispose d’un Parti communiste authentique, qui fonde son action révolutionnaire et prolétarienne sur les principes du marxisme-léninisme et la pensée de Mao Tsé-toung. »

    b) [Passage entièrement enlevé par Jurquet.]

    Vers la disparition

    Il ne reste plus au PCML qu’à fusionner avec le PCR (ml), issu de Front Rouge en 1974.

    En juillet 1979, tout un protocole est établi pour l’unification des deux organisations, qui ont auparavant fait une liste commune aux législatives de 1978, sous le sigle incompréhensible de « Union ouvrière et paysanne pour la démocratie prolétarienne » (UOPDP).

    Présente dans 115 circonscriptions, la liste obtient 28 000 voix, soit entre 0,8 et 2 % localement.

    Prolétariat et Front Rouge doivent fusionner, et Le quotidien du peuple devenir le quotidien commun, alors que L’Humanité rouge, soutenue par la Chine, n’avait de toute façon plus qu’un tirage à 1500 exemplaires.

    Mais c’est l’échec, le nouveau quotidien ne tient que pour 69 numéros, et le PCML ne sait plus quoi faire ; il n’a aucune dynamique, à part la dimension simplement pro-chinoise… A ceci près que les dengistes désormais au pouvoir en Chine n’ont plus besoin du PCML, ni de qui que ce soit ayant eu à faire avec l’époque de Mao Zedong.

    En avril 1980, L’Humanité rouge réapparaît alors comme hebdomadaire ; il est arrêté en juin 1982 et remplacé à partir d’août et septembre par le mensuel Travailleurs et par une feuille d’intervention, PCML-Flash.

    Du PCML au PAC

    En 1981, le PCML tente de présenter un candidat à la présidentielle, sans réussite ; il appelle alors à voter Mitterrand au second tour. Le PCML se voit même proposer de devenir une tendance du Parti Socialiste et il participe officiellement au congrès socialiste de Valence.

    Le PCML tente de se maintenir, coûte que coûte, en se « réformant » : au quatrième congrès, qui se tient la même année, Jacques Jurquet cède la place à un secrétariat collectif. Mais il n’a aucune dynamique, et en 1982 une partie rejoint le PCF, alors que Jurquet est débarqué au 5e congrès en 1983, le PCMLF devenant le « Parti pour une alternative communiste » en 1985.

    De manière très intéressante, voici comment Jurquet résume le PCMLF et tente de le défendre face à la ligne amenant la naissance du PAC :

    « Le Parti communiste marxiste-léniniste de France est né des contradictions internes au sein du Parti communiste français sur deux points essentiels :

    — les luttes anticolonialistes, notamment pendant la guerre d’ALGERIE;
    — l’unité sans principe dans la pratique de l’unité avec le Parti socialiste.

    Le PCMLF est né également des contradictions intervenues au niveau international entre le Parti communiste d’Union soviétique suivi par le Parti communiste français, et d’autres Partis communistes comme le Parti communiste chinois et le Parti du Travail d’Albanie.

    Depuis maintenant des années, ces contradictions n’ont plus le caractère principal qu’elles avaient à cette époque, et ce ne sont plus 100 militants communistes issus du Parti communiste français qui constituent la base activiste et idéologique du Parti communiste marxiste-léniniste. Ce Parti s’est transformé dans son contenu global comme dans son recrutement. Ses références idéologiques et politiques se sont modifiées au fil des années. »

    C’est tout à fait juste : le PCMLF n’est pas né d’une rupture idéologique, mais simplement du refus du tournant opportuniste ouvert du PCF, exprimé par la course derrière Mitterrand, et de la question anti-coloniale, où le PCF était considéré comme timoré.

    C’est à partir de là qu’il s’est tourné vers Mao Zedong, et que finalement il a seulement trouvé Deng Xiaoping.

    Cela n’ayant aucun sens, le PCMLF a été un appendice dengiste en France, avant de redevenir réformiste ; en 1988, le PAC a ainsi soutenu la liste du candidat « communiste » dissident Juquin, pour disparaître à la fin de la même année.

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    Nouvelle Cause du Peuple, NAPAP, Action Directe

  • La peinture des ambulants russes: après 1917

    Lorsque la révolution bolchevik eut lieu, les « modernistes » menèrent une vigoureuse offensive : leurs cadres prirent le contrôle des institutions artistiques. Bogdanov théorisa la séparation des champs d’action : le Parti Communiste devait s’occuper de la politique, les syndicats de l’économie, et l’art relevait d’une sorte d’avant-garde intellectuelle, s’occupant du proletkult, la « culture prolétarienne ».

    Le concept fut entièrement rejeté par les bolcheviks, ainsi que ses variantes futuristes russes que furent le constructivisme de Alexandre Rodtchenko et le suprématisme de Kasimir Malevitch.

    Vladimir Makovsky, Un adieu sous la couronne, 1894

    Sous l’impulsion de Maxime Gorki et Staline, le réalisme socialiste fut formulé comme conception de l’art du point de vue du matérialisme dialectique. Bien évidemment, les ambulants représentaient un patrimoine inestimable.

    Vladimir Makovsky, N’y va pas ! [à la taverne], 1892

    Vladimir Bontch-Brouïevitch (1873-1955), qui fut notamment le secrétaire de Lénine, le directeur du musée moscovite dédié à la littérature, puis du musée de l’histoire de la religion et de l’athéisme, raconte ce que pouvaient représenter les itinérants avant la révolution, pour les activistes révolutionnaires :

    « Personne n’a encore décrit les émotions vécues et les serments prononcés là-bas, dans la Galerie Trétiakov, alors que nous contemplions des tableaux comme Ivan le Terrible et son fils Ivan ou le Matin de l’exécution des Streltsis, ou bien cette toile où l’on voit un révolutionnaire, membre de la société La Volonté du Peuple qui refuse fièrement la bénédiction du prêtre avant d’être exécuté.

    Nous contemplions la Mésalliance et y voyions humiliation et l’asservissement séculaire de la femme.

    Nous nous arrêtions longuement devant le Krach de la banque et devant la Procession… Puis nous regardions les prisonniers politiques, ceux dont le sort était le nôtre : Sur le chemin du bagne.

    Nous pouvions parfaitement comprendre des toiles comme les Haleurs de la Volga et mille autres tableaux et dessins représentant la vie des ouvriers, des paysans, des soldats, de la bourgeoisie et du clergé. »

    En 1936 eut lieu ainsi une grande rétrospective Ilya Répine, avec 1000 œuvres de lui, à Moscou, puis Léningrad et Kiev. En 1937, pour les cent ans de la naissance de Ivan Kramskoy et les cinquante ans de sa mort, ce peintre fut mis en avant, notamment pour ses réflexions théoriques, et bien entendu une exposition.

    Vladimir Makovsky, Non coupable, 1882

    La même année eut lieu une rétrospective des œuvres de Vassili Sourikov, se déroulant par ailleurs peu avant une exposition commémorant les 125 ans de la victoire russe sur Napoléon. Au sujet de Vassili Sourikov, le président de l’URSS Mikhaïl Kalinine explique qu’il s’agissait là d’un « héritage culturel de la plus grande importance qui pourrait être le plus utile en ces jours effrayants de menace fasciste ».

    En 1938 eut lieu une rétrospective des œuvres d’Isaac Levitan, montrant que les itinérants savaient également peindre les campagnes russes. Du côté de Vladimir Stassov, ses écrits furent édités progressivement, notamment en 1952 avec des œuvres choisies en trois volumes, de respectivement 736, 775 et 888 pages, ainsi que des ouvrages contenant ses articles de presse et sa correspondance.

    Voici comment Andreï Jdanov, parlant de la musique, fait référence à la peinture :

    « Autre exemple : il n’y a pas si longtemps, a été organisée une Académie des Beaux-Arts. La peinture, c’est votre sœur, une des muses.

    En peinture, comme vous le savez, les influences bourgeoises furent fortes à un moment donné; elles se manifestaient sans discontinuer sous le drapeau le plus « à gauche », se collaient les étiquettes de futurisme, de cubisme, de modernisme ; « on renversait » « l’académisme pourri », on préconisait l’innovation.

    Cette innovation s’exprimait dans des histoires de fous : on dessinait par exemple une femme à une tête sur quarante jambes, un œil regardant par ici et l’autre au diable.

    Comment tout cela s’est-il terminé ? Par un krach complet de « la nouvelle tendance ».

    Le Parti a pleinement rendu son importance à l’héritage classique de Repine, de Briullov, de Verechtchaguine, de Vasnetsov, de Sourikov.

    Avons-nous bien fait de maintenir les trésors de la peinture classique et de mettre en déroute les liquidateurs de la peinture ?

    Est-ce que la survivance de telles « écoles » n’aurait pas signifié la liquidation de la peinture ? Hé quoi, en défendant la tradition classique en peinture, le Comité central s’est-il conduit en «conservateur», s’est-il trouvé sous l’influence du « traditionalisme », de l’ « épigonisme », etc., etc… ? Tout cela ne tient pas debout. »

    Le réalisme socialiste, à l’opposé du modernisme qui affirme qu’il faut régulièrement faire table rase, a fort logiquement assumé la peinture des ambulants, en tant qu’expression de la culture démocratique du peuple. Les ambulants ne sont pas simplement des artistes qui se seraient tournés vers le peuple : ils sont issus du peuple, ils sont liés à lui, ils expriment sa culture, sa manière de voir et de sentir les choses.

    La culture est comme un cours d’eau qui se développe. La valorisation des itinérants par le réalisme socialiste est un excellent exemple de continuité de la culture à travers des sauts qualitatifs, à travers toujours la même substance : le noyau populaire et démocratique.

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  • La peinture des ambulants russes et le rapport tourmenté aux institutions

    Le triomphe de Ilya Répine au sein même des institutions d’une autocratie qu’il rejetait – confiant même son atelier pour des réunions secrètes de ses proches qui étaient bolcheviks – témoigne des contradictions de la monarchie, avec ici l’affrontement entre les forces féodales traditionnelles et la monarchie absolue.

    Constantin Savitsky, Moine, 1897

    De fait, le tsar Alexandre III, qui avait commencé son règne en 1881, ne pouvait que constater l’essor de la bourgeoisie et il décida qu’il fallait à tout prix en cesser avec le conflit avec les peintres ambulants. Aussi choisit-il de les reconnaître en tant que tel, s’ils intègrent l’académie, en quelque sorte comme courant artistique.

    A cet effet, le directeur de l’académie Petr Iseev fut démissionné en 1889 pour malversations et remplacé par le comte Ivan Tolstoï (1858-1916), qui intégra dans la commission gouvernementale les peintres Ilya Répine, Vassili Polenov, Arkhip Kuindzhi, Constantin Savitsky et Grigori Miassoïédov, afin de faire de nouveaux statuts.

    Vladimir Makovski, Dimanche rouge, 1905

    Furent nommés professeurs à l’académie, dans la foulée, Ilya Répine, V. Makovsky, Ivan Chichkine et Arkhip Kuindzhi, et 12 autres ambulants rejoignirent l’assemblée de l’académie, composée de 80 personnes.

    On retrouve alors des ambulants comme enseignants à l’académire, c’est-à-dire l’Ecole de Peinture, Sculpture et Architecture de Moscou, notamment Victor Vasnétsov, Ivan Kramskoy, Alexeï Savrassov, Ilya Répine, Vassili Polénov, Vladimir Makovski, Arkhip Kuindzhi, Nikolaï Kisséliov, Ivan Chichkine, Constantin Savitsky, Abram Arkhipov, Sergueï Malioutine, Vassili Bakchéïev.

    C’était là un moyen pour la monarchie de renforcer sa tentative d’aller à la monarchie absolue, en saluant l’apparition d’un « art russe ». C’était aussi un moyen de contrer l’accumulation d’œuvres d’art, à la fin du XIXe siècle, par l’entrepreneur Pavel Tretiakov.

    Celui-ci dépensa des sommes faramineuses pour se procurer des œuvres d’art, notamment les peintures des ambulants ; le nombre de ses acquisitions équivalait ce qu’on trouvait dans les musées russes et sa galerie était visitée par des dizaines de milliers de personnes.

    En 1892, il la confia à la ville de Moscou, on y trouvait alors, du côté russe, 1287 tableaux, 518 œuvres graphiques, 15 sculptures et des collections d’icônes, ainsi que 75 tableaux d’Europe de l’ouest.

    Vladimir Makovski, La famille du peintre, 1893

    On notera également le rôle de Savva Morozov (1862-1905), industriel ayant un grand succès économique et figure éminente de la bourgeoisie, qui fut proche de l’actrice Maria Andreïeva et de l’écrivain Maxime Gorki, mécène dans le domaine de l’art, mais également fournissant des fonds au parti bolchévik.

    On a ici un tournant historique, un moment clef dans le rapport conflictuel entre féodalisme, monarchie absolue et démocratie.

    Au moyen de l’académie, le tsar remettait en avant la force de la monarchie absolue face à la vigueur de la bourgeoisie, dont Tretiakov était un éminent représentant ; les ambulants n’étaient plus dénoncés, mais salués comme les meilleurs représentants de l’art russe.

    Cela se déroula bien entendu au grand dam de Vladimir Stassov qui y voyait bien sûr une trahison complète des valeurs de démocratie et d’affirmation du folklore. A ses yeux, les ambulants ayant accepté de participer à l’académie devenaient d’« humbles académiciens » et des « courtiers ». C’était une trahison des principes mêmes au coeur des ambulants, leur tradition.

    Le peintre ambulant Nikolaï Yarochenko rejeta pareillement la position de ceux qui participèrent à l’académie et il devint le porte-parole de l’association des ambulants, qui se maintint.

    Voici quelques unes de ses œuvres qui témoignent de son engagement, avec L’étudiante, L’étudiant, chacun de ces deux tableaux présentant la figure révolutionnaire typique de l’époque, et enfin Le prisonnier.

    L’étudiante
    L’étudiant
    Le prisonnier.

    La balance repassa de l’autre côté, après la révolution de 1905 et la vague de répression qui s’ensuivit. Vladimir Makovsky, après avoir vu le massacre du 9 janvier, peignit Dispersion de la manifestation dans son atelier au-dessus de son appartement de dix pièces, à l’académie. La contradiction était patente et il ne montra d’ailleurs la peinture qu’à ses intimes.

    Dispersion de la manifestation

    De fait, lorsque la grande duchesse Maria Pavlovna prit la tête de l’académie, en 1909, elle adopta une démarche autocratique, au service de la fraction féodale. Le passage de la Russie à la monarchie absolue apparaissait comme impossible, et ce fut la triomphe de la révolution bolchevik.

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  • La peinture des ambulants russes : Ilya Répine, le maître

    C’est Vladimir Stassov qui a découvert Ilya Répine, et ce peintre est considéré comme la grande figure des peintres ambulants. Né en 1844 dans la province de Kharkov dans la famille d’un militaire, il devint étudiant de l’académie de 1864 à 1871, rejoignant les expositions itinérantes à partir de 1874, pour rejoindre en 1878 la Société des Expositions itinérantes. Il devint ensuite professeur à l’académie, de 1894 à 1907.

    Voici son autoportrait, et le portrait qu’il a réalisé de sa femme, Vera, ainsi qu’un autre portrait où on la voit se reposer.

    Ilya Répine a peint des œuvres qui ont profondément marqué la Russie, faisant de lui une figure incontournable, dès son vivant. Celle la plus célèbre est sans doute l’une de ses premières, Les haleurs de la Volga (1870-1873). Les haleurs tiraient alors les bateaux, les faisant remonter les cours d’eaux, à contre-courant.

    Le réalisme est impeccable, notamment dans sa présentation de la dimension typique, du caractère des personnages. La dénonciation allégorique du régime est évidente, et si on fait attention on voit que c’est le plus jeune, à l’habit plus clair, qui semble protester, annonçant la révolte. On a surtout une image du peuple travailleurs en pleine lumière, avec une force physique présentée comme inébranlable.

    Les haleurs de la Volga

    Vladimir Stassov dira de Ilya Répine et de cette peinture :

    « Avec une audance sans précédent parmi nous, Ilya Répine a abandonné toutes les précédentes conceptions de l’idéal dans l’art, et a plongé sa tête dans le coeur même de la vie populaire, des intérêts populaires, et de la réalité oppressive pour le peuple… Personne en Russie n’avait jusqu’ici osé prendre un tel thème. »

    Une autre œuvre extrêmement célèbre est La procession dans la province de Koursk (1880-1883). Ici encore, on a une œuvre magistrale, avec un sens du détail qui ne nuit pas au typique, et qui présente clairement la situation des masses soumises au tsar. C’est d’autant plus frappant qu’on est pourtant après l’abolition du servage.

    Dans une atmosphère poussiéreuse, les masses semblent pieuses et unies, alors que les individus qui se dégagent frappent, harcèlent la foule, afin de l’empêcher d’approcher les icônes. Le peuple veut les prier pour demander de l’aide, mais elles sont fermement dans les mains des paysans riches.

    La procession dans la province de Koursk

    Bien entendu, Ilya Répine a également réalisé des portraits de genre plus classiques également. Voici A sa patrie. Le héros de la dernière guerre (1878), L’envoi d’une recrue (1879), Une fête en soirée (1889), Un juif priant (1875), Le vendeur des œuvres des étudiants à l’académie (1875).

    A sa patrie. Le héros de la dernière guerre
    L’envoi d’une recrue
    Une fête en soirée
     Un juif priant
    Le vendeur des œuvres des étudiants à l’académie

    Ilya Répine aborda également des thèmes historiques et l’oeuvre la plus célèbre en ce domaine est certainement Les zaporogues écrivent une lettre au sultan de Turquie (1880-1891). Les Zaporogues étaient des cosaques d’Ukraine qui au XVIIe siècle avaient battu les forces turques ; ils répondirent par une lettre d’insulte au sultan exigeant tout de même qu’ils se soumettent.

    Gogol retrace le mode de vie des cosaques zaporogues dans Taras Boulba, qui présente la situation ukrainienne alors. Dans une lettre à Vladimir Stassov, Ilya Répine écrivit en parlant des Zaporogues :

    « Tout ce que Gogol a écrit sur eux est vrai ! Un sacré peuple ! Personne dans le monde entier n’a ressenti aussi profondément la liberté, l’égalité et la fraternité. »

    Au-delà de l’aspect historique, il y a donc bien sûr l’allusion à la rébellion contre l’État central.

     Les zaporogues écrivent une lettre au sultan de Turquie

    On notera que le cosaque riant en habit rouge a également comme modèle le journaliste Vladimir GuIlyarovski, qui descendait des cosaques zaporogues, avait lui-même travaillé comme haleur sur la Volga ou encore dans usine de plomb toxique, afin de faire carrière dans la presse en portant une attention particulière à côté sur la vie des quartiers pauvres de Moscou.

    Il aida à ce titre Maxime Gorki à se documenter pour sa fameuse œuvre Les bas-fonds ; après 1917, il participa à la vie intellectuelle socialiste concernant notamment l’histoire de la vie des moscovites.

    Une œuvre extrêmement forte, encore une fois historique, est Ivan le terrible et son fils Ivan, le 16 novembre 1581 (1885). Cela montre Ivan le terrible suite à une crise de rage où il a tué son propre fils. Encore une fois, l’allusion politique sur la toute puissance meurtrière est évidente.

    Ivan le terrible et son fils Ivan, le 16 novembre 1581

    Dans un même esprit, voici le Portrait de la régente Sophie (1879), Sofia Alexeïena, qui avait tenté de comploter contre Pierre Ier, au moyen des unités streltsy. Pierre Ier en avait fait pendre aux fenêtres du couvent de Novodievitchi où elle avait été recluse, à la toute fin du XVIIe siècle et on peut donc voir un cadavre à la fenêtre. Encore une fois la brutalité du régime est ici exposée.

    Portrait de la régente Sophie

    Ce qui est d’autant plus troublant, quand on y regarde de près, est que Ilya Répine ait pu également faire de nombreux portraits du tsar et se voir entièrement reconnu. Les haleurs de la Volga fut acheté 3 000 roubles par le fils du tsar, le grand-duc Vladimir Alexandrovitch et exposé plusieurs fois en Europe, permettant à Ilya Répine de vivre de son art. Le tableau Les zaporogues écrivent une lettre au sultan de Turquie a même été acheté par le tsar Alexandre III pour 35 000 roubles, la somme la plus importante jamais déboursée alors pour une œuvre d’un peintre russe.

    En fait, après que Vladimir Stassov ait souligné sa valeur, Ilya Répine a tout de suite été compris comme un grand peintre et l’académie a tout fait pour qu’il s’intègre parfaitement, qu’il puisse voyager à l’étranger, afin de tenter de l’insérer dans leur démarche. Ce fut à lui qu’on confia en 1892 la réorganisation de l’académie ; figure tout à fait reconnue, il fut même titulaire de la légion d’honneur française en 1901.

    Peintre considéré comme le plus grand en Russie alors, il réalisa par exemple de manière on ne peut plus officielle en 1903 un tableau de 4 mètres sur 8,7 mètres intitulé la Session protocolaire du Conseil d’État pour marquer son centenaire le 7 mai 1901.

    Session protocolaire du Conseil d’État pour marquer son centenaire le 7 mai 1901

    Ilya Répine, toutefois, resta fidèle aux itinérants et à leur approche ; voici un exemple avec une peinture sur La manifestation du 17 octobre 1905, qui suivit la capitulation du tsar et sa déclaration d’un manifeste annonçant une constitution.

    La manifestation du 17 octobre 1905

    La contradiction est évidente : d’un côté Ilya Répine est une figure reconnue parfaitement insérée dans les institutions, de l’autre il est partie prenant de la transformation progressiste de la société. Il s’agit en fait d’un révolutionnaire démocrate, pouvant être associé au régime dans la mesure où celui-ci tend à une monarchie absolue s’opposant au féodalisme, mais s’opposant à lui quand il s’oppose à la bourgeoisie et aux réformes démocratiques.

    Ilya Répine a d’ailleurs peint des tableaux tout à fait clair dans leur expression, dans l’esprit des ambulants. Voici un tableau fameux, On ne l’attendait pas (1884-1888), montrant quelqu’un revenant de déportation, affaibli.

    Quel sera l’accueil qui lui sera fait, après tant d’années? Les portraits des grands démocrates Taras Chevtchenko et Nikolaï Nekrassov, qu’on voit sur le mur, annonce la tendance : il sera la bienvenue !

    On ne l’attendait pas

    Dans un même esprit, voici La réunion clandestine (1883), Le refus de la confession avant l’exécution (1879-1885), dont la fin du titre est souvent oublié et pourtant change tout, ainsi que deux versions de L’arrestation du propagandiste (1880-1892).

    La réunion clandestine
    Le refus de la confession avant l’exécution
    L’arrestation du propagandiste
    L’arrestation du propagandiste

    Voici également un tableau de 1883, qui présente La réunion de commémoration annuelle près du mur des fédérés au cimetière du Père Lachaise à Paris. On a là un tableau dont la dimension révolutionnaire est évidente, mais on peut déjà noter que dans la structure de l’oeuvre, il y a une très forte influence de l’impressionnisme.

    Cette influence, que Ilya Répine assumera grandement pour une partie de ses œuvres, était évidemment la hantise de quelqu’un comme Vladimir Stassov. A la place du réalisme, il y a une tentative d’élaboration subjectiviste avec des jeux sur les lumières et les couleurs.

    La réunion de commémoration annuelle près du mur des fédérés au cimetière du Père Lachaise

    L’enterrement rouge, peinture de 1916, est ainsi engagée politiquement, mais sa forme a tout à fait basculé dans l’impressionnisme.

    L’enterrement rouge

    La dimension impressionniste est également tout à fait frappante pour Léon Tolstoï labourant un champ, tableau de 1887, ou pour le portrait du savant Dmitri Mendeleïev, en 1885.

    Léon Tolstoï labourant un champ
    Dmitri Mendeleïev

    Paradoxalement voici deux œuvres à prétention religieuse mais dont l’approche réaliste transcende clairement la religion, pour arriver à la compassion. Il s’agit de Saint Nicolas sauvant trois innocents de la mort (1888) et de Nicolas de Myre empêchant la mort de trois innocents (1890).

    Saint Nicolas sauvant trois innocents de la mort
    Nicolas de Myre empêchant la mort de trois innocents

    Ilya Répine a découvert l’impressionnisme à Paris. Cela ne se ressent pratiquement pas pour le magistral Un café parisien (1875) et ses détails typiques, ses caractères exemplaires, en faisant une oeuvre terriblement sous-estimée de par sa dimension réaliste d’une immense force (notamment au niveau des lumières de l’époque), mais c’est déjà relativement apparent pour Un vendeur de nouveautés à Paris (1873).

    n café parisien 
    Un vendeur de nouveautés à Paris

    De manière plus pertinente, on a une inspiration dans les contes et légendes russes, comme ici de manière très réussie avec le majestueux Sadko (1876).

    Sadko

    Ilya Répine vivait dans ses « pénates », à une quarantaine de kilomètres de Saint-Pétersbourg, dans une maison sans aucun serviteur où il invitait de nombreuses personnes, qui découvrait cependant à leur arrivée une pancarte avec inscrite dessus « Débrouillez-vous ! ».

    Chaque mercredi était prétexte à un rendez-vous de discussions. Voici une esquisse datant de 1905 montrant l’illustre Maxime Gorki lisant, dans les pénates, des extraits de sa pièce Les enfants du soleil. Suit une photographie à l’extérieur des pénates avec Maxime Gorki, Vladimir Stassov et Ilya Répine.

    Ilya Répine avait peint Alexandre Kerensky, chef de file de la révolution de février 1917. Il remit le portrait, clairement impressionniste, non réaliste, avec des esquisses sur la révolution de 1905, au Musée Central de la Révolution, en 1926, année d’une visite d’une délégation soviétique. Sa maison se trouvait alors en zone finlandaise. L’année précédente, une exposition de ses œuvres avait eu lieu à Léningrad.

    Alexandre Kerensky

    L’œuvre d’Ilya Répine, malgré une ouverture à l’impressionnisme qui nuisit à la continuité de son élan – alors que lui-même rejetait l’impressionnisme -, reste magistrale. On a ici un réalisme ancré dans la dignité du réel, écrasant tant le conservatisme académique que les modernistes dédacents. Au grand dam d’un peintre idéaliste comme Mikhaïl Vroubel (1856-1910), qui dénonça ainsi l’époque et Ilya Répine :

     « Au style grossier des années soixante succéda un mouvement nationaliste intellectuel qui estimait un tableau pour la simplicité de son idée, sa valeur d’affiche et l’anonymat de sa technique. Même le grand talent de Ilya Répine s’éteignit dans cette atmosphère inanimée ; son manque d’intensité artistique imprima à son œuvre un caractère informe. »

    L’idéalisme rejette par définition le matérialisme, et la perspective de Ilya Répine est matérialiste, un matérialisme vécu au plus profond de son existence :

    « De toutes mes misérables forces je tâche d’incarner mes idées dans la vérité; la vie qui m’entoure m’émeut trop, me travaille sans répit, m’appelle à mon chevalet ; la réalité est trop cruelle pour y broder la conscience tranquille des motifs insolites. »

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  • La peinture des ambulants russes et l’importance de Vladimir Stassov

    A la suite des ambulants développant leur réalisme, il exista un autre courant rejetant l’académisme, qu’on peut qualifier de « moderniste ». Porté par Serge de Diaghilev (1872-1929), célèbre pour ses « ballets russes » parisiens, et Alexandre Benois (1870-1960), le modernisme avait comme organe de presse Mir iskousstva (Le monde de l’art) et défendait l’ouverture culturelle aux pays où le capitalisme s’était élancé et l’acceptation des nouvelles formes.

    La menace que cela faisait peser sur les ambulants fut parfaitement compris par Vladimir Stassov (1824-1906). Critique d’art ayant joué un rôle très important pour les ambulants, devenant en quelque sorte leur porte-parole en théorisant leur démarche, il mena une fervente bataille contre les modernistes, contre leur démarche consistant, pour reprendre ses formules, en du « trash décadent » et « une orgie de débauche ».

    Vladimir Stassov par Ilya Répine

    Vladimir Stassov voulait à la fois sortir du conservatisme féodal, de l’arriération et de l’isolement culturel, mais en même temps cela ne devait pas, selon lui, passer par l’acquisition des principes développés ailleurs qu’en Russie. On a ici une démarche de rejet tant du conservatisme que du cosmopolitisme, qu’on retrouvera précisément dans le réalisme socialiste.

    A la bourgeoisie « moderniste » reprenant les concepts directement depuis les pays capitalistes, Vladimir Stassov opposait les principes de démocratie, d’art comme production du peuple. Vladimir Stassov défendait la conception nationale bourgeoise démocratique, contre le conservatisme féodal et le décadentisme bourgeois. Il était un partisan de ce qu’on appelle le « folklore », dans toute sa richesse en tant que production du peuple.

    Vladimir Stassov par Ilya Répine

    Cette position n’est évidemment compréhensible que par le matérialisme dialectique ; les commentateurs bourgeois n’ont jamais compris Vladimir Stassov, qui serait passé d’une position libérale à un chauvinisme conservateur. Il y a en réalité une profonde continuité, consistant en la défense d’un art national, présentant la réalité du peuple, puisant dans sa tradition.

    Vladimir Stassov par Ilya Répine

    Il est d’ailleurs significatif qu’il écrivait dans les pages dédiés à l’art de la Gazette des nouvelles et du marché boursier, journal des entrepreneurs russes, publié depuis Saint-Pétersbourg. Vladimir Stassov représentait bien la bourgeoisie, mais dans sa dimension réellement démocratique face au féodalisme.

    Vladimir Stassov n’a d’ailleurs pas que défendu les ambulants, faisant connaître de très nombreux d’entre eux, comme fit connaître,  comme Perov, Chichkine, Vasnetsov  ; il a été le conseiller du groupe des cinq, cercle de compositeurs partisans de se fonder sur les traditions populaires, et auquel ont appartenu Mili Balakirev (1837-1910), Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Alexandre Borodine (1833-1887), Modeste Moussorgski (1839-1881) et César Cui (1835-1918).

    Vladimir Stassov par Ilya Répine

    Vladimir Stassov les mit en valeur et les accompagna, les poussant à se professionnaliser, eux qui étaient bien plus jeunes : en 1862, il avait 38 ans, alors que Balakirev avait 25 ans, Cui 27 ans, Moussorgski 23 ans, Rimsky-Korsakov 18 ans, Borodine 28 ans.

    A l’inverse, Piotr Tchaïkovski, qui était la grande figure musicale alors, n’était considéré par Vladimir Stassov que comme un « compositeur hautement talentueux », à qui il manquait cependant la « sincérité de la créativité » ; il lui reprochait de ne pas être lié aux éléments nationaux et de tendre à ne pas coller à la production historique : « De la tête aux pieds il fut cosmopolite et éclectique ».

    Lui-même avait fondé de son côté une École libre de musique, qui en 1863 avait déjà inscrit 700 étudiants. On a ici une dimension culturelle absolument profonde ; on a ici l’esprit matérialiste qui défend la conception de l’art comme étant issu du peuple et forcément d’expression réaliste. Aux yeux de Vladimir Stassov :

    « L’essence de l’art n’est pas le talent seul. Il y a quelque chose qu’on ne peut pas oublier, qui ne peuvent remplacer ni le talent, ni la maîtrise, pas non plus la virtuosité. Il y a quelque chose sans quoi tout est mort et sans valeur. C’est le sentiment sain et direct, l’idée, une appréciation de la vie. »

    Vladimir Stassov a été une machine intellectuelle et culturelle au service de cette perspective ; il n’a cessé de batailler, avec de multiples écrits, des articles comme des monographies sur des artistes, mais fournissant également aux artistes des thèmes, de la documentation historique.

    De la même manière, en l’honneur des artistes disparus, Vladimir Stassov organisa des concerts, de expositions, la construction de monuments. C’est lui qui fit en sorte qu’Ilya Répine puisse peindre le compositeur Modeste Moussorgski (1839-1881), juste avant sa mort.

    Vladimir Stassov se considérait comme ayant compris la portée historique des artistes et il notait que, même s’il pouvait faire des erreurs, le fait est qu’apparemment personne à part lui ne racontait la vie des artistes, leurs œuvres, leurs significations historiques. Il constate ainsi :

    « Je me rappelle que dans ma vie il y a eu cent tentatives faites par l’un ou l’autre pour me faire cesser d’écrire sur un tel ou un tel qui était important pour moi. On me disait : c’est trop prématuré, tu devrais attendre, alors que d’autres argumentaient : ce n’est pas à toi mais à quelqu’un d’autre d’écrire.

    Mais je n’ai jamais accepté cela et je pense que j’avais raison quand j’écrivais. Je me souviens comment [le grand critique d’art et mécène historique] Tretiakov m’a réprimandé pour avoir écrit une biographie de Kramskoï après sa mort… Mais depuis 1887 douze années complètes ont passé… et personne, vraiment personne n’a écrit une seule ligne sur Kramskoï, pas une mot ou une lettre !! »

    Vladimir Stassov considérait que l’art allait de pair avec la civilisation, avec la démocratie, avec la réalité ; les artistes, s’ils étaient authentiques, étaient forcément liés à cela, sans quoi ce n’était plus des artistes. Vladimir Stassov fit notamment cet appel :

    « Laissons les artistes seuls depuis le départ. Ne les altérons pas dans leurs sentiments ou leurs pensées, et chacun d’entre eux sera inévitablement national. C’est le plus naturel et le plus simple. Chacun est né avec cela. Ne dérangeons pas une fleur ou un arbre, ne les faisons pas pencher dans une quelconque direction particulière et ils se tourneront d’eux-mêmes vers le soleil – d’où vient leur vie. »

    Il est intéressant de voir le point de vue de Vladimir Stassov lorsqu’il critiqua le sculpteur Mark Antokolski (1843-1902), issu d’une famille juive pauvre. Vladimir Stassov avait célébré ses premières œuvres, mais dénonça son opportunisme :

    « Je regrette de voir qu’il ne peut plus, jamais plus, y avoir d’accord entre nous !!! Selon moi, tu as changé de voie et la raison pour cela, ce sont les pays étrangers… Tu as cessé d’être le porte-parole des masses plongées dans l’ignorance, des plèbes, de la démocratie… et des individus de la « vie quotidienne ». Maintenant tu es derrière les « aristocrates » de l’humanité  (le Christ, Socrate, Spinoza, Moïse, etc.).

    Maintenant, tu n’as plus besoin que de grands noms « historiques » ! Comme si toute l’histoire s’incarnait en eux ! Complètement faux ! Le tailleur juif, L’Inquisition [intervenant contre des Juifs célébrant clandestinement la Pâques] et Controverse sur le Talmud ne sont pas moins historiques, mais, probablement, pour moi, en tout cas, même davantage. »

    Cela n’empêche pas Vladimir Stassov de continuer à écrire sur ce sculpteur, d’insister pour qu’après sa mort il soit enterré à Saint-Pétersbourg, d’organiser ses funérailles, d’écrire sa nécrologie, d’organiser une conférence commémorative, de publier sa correspondance et ses articles.

    Vladimir Stassov par Ilya Répine

    Par la suite chef du département d’Art de la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg, Vladimir Stassov sera également particulièrement proche du peintre ambulant Ilya Répine, qu’il contribua grandement à faire connaître et qui réalisa plusieurs portraits de lui.

    Ilya Répine respecta Vladimir Stassov de la manière la plus absolue, la plus complète, faisant toujours référence à son rôle. Pourtant, Vladimir Stassov fit également des critiques à Ilya Répine, pour sa tendance à s’institutionnaliser et à perdre le lien avec la dignité du réel.

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  • La peinture des ambulants russes et le rôle de Vassili Perov

    Il serait erroné de penser que l’académie et l’association formaient deux blocs absolument distincts, en confrontation unilatérale. En effet, le régime russe était autocratique, mais la monarchie absolue tentait de trouver un chemin. Cela fait qu’au sein de l’académie, il existait une contradiction entre les forces rigoureusement féodales et conservatrices, et celles partisanes de la monarchie absolue et donc de la modernisation.

    L’une des figures clefs qui témoigne de ce conflit est le peintre Vassili Perov (1834-1882). Rentré à l’académie en 1853, il va avoir une carrière pratiquement exemplaire au sein de celle-ci, tout en étant indubitablement un titan du réalisme.

    Il obtient ainsi une médaille d’argent dès 1856, pour l’esquisse d’une tête de garçon ; il obtient la même récompense en 1858 pour le tableau L’Arrivée du chef de la stanitza pour l’enquête, dont le réalisme et l’engagement en faveur du peuple est indubitable.

    Par la suite, il obtient deux médailles d’or en 1860, pour La Scène sur la tombe, Le Fils du sacristain promu au premier grade de la Table des rangs, et une nouvelle en 1861 pour le tableau Le Sermon dans le village. Voici les œuvres, qui sont caractéristiques du réalisme russe. Le premier tableau décrit la misère du peuple et comment la religion n’est véritablement qu’une vaine tentative de consolation.

    Le second montre la vanité, en l’occurrence d’avancer au premier rang d’un vaste système pratiquement de castes. Le troisième montre les différences de classe dans l’église, avec les pauvres qui sont pieux, alors que le riche s’endort et que sa femme écoute ce que lui raconte celui qu’on devine être son amant.

    La Scène sur la tombe
    Le Fils du sacristain promu au premier grade de la Table des rang
    Le Sermon dans le village

    Ces œuvres sont évidemment agressives pour le régime, et pourtant Vassili Perov a pu faire carrière à l’académie. Ses autres œuvres sont dans la même perspective ; voici Repas au monastère, de 1876 ; qui présente de manière particulièrement offensive l’honteuse démarche des prêtres orthodoxes et des classes dominantes.

    Les humbles, les pauvres, sont ici présentés comme l’aspect principal d’une société injuste, de type aristocratique-féodale.

    Repas au monastère

    La procession de Pâques (1861) est également un tableau fameux de Perov, avec une présentation exemplaire et typique du peuple. Encore une fois, la religion est présentée comme un refuge, avec une incapacité de celle-ci d’être à la hauteur, montrant son caractère vain.

    La procession de Pâques

    Deux autres œuvres témoignent directement de l’incroyable maîtrise réaliste de Vassili Perov. Le réalisme, ce n’est pas qu’un portrait : c’est un portrait typique.

    Dans le tableau suivant, Troïka (1866), il est vrai que Vassili Perov force le trait de l’expression, mais c’est justement pour souligner la dimension typique. L’opposition entre les enfants, accompagné du chien fidèle, avec les adultes à l’arrière-plan souffrant, disparaissant pratiquement dans le brouillard, est d’un contraste saisissant.

    Troïka

    On retrouve le chien fidèle et agressif car protecteur dans Le dernier adieu, terrible tableau de 1865, où le cheval ploie sous la difficulté, autant que l’adulte – une femme – alors qu’un enfant s’agrippe à un cercueil – celui du mari-, le second enfant apparaissant comme malade.

    C’est là un portrait qui dépasse ce qu’on voit, le particulier, pour atteindre le général. C’est toute une société qu’on lit dans ce tableau.

     Le dernier adieu

    Vassili Perov a une capacité certaine à présenter les situations typiques, dans toute leur densité, leur profondeur, tout en ajoutant un élément de noire ironie, un petit détachement qui permet de contribuer à l’esprit de dénonciation d’un certain type de situation. C’est particulièrement frappant avec La nouvelle gouvernante, tableau de 1866.

    La nouvelle gouvernante

    Vassili Perov n’a pas hésite à présenter des situations typiques de la vie du peuple. Il prend des situations précises, qu’il présente dans toute leur dignité, la dignité du réel. Voici La queue au réservoir et La dernière taverne à la porte de la ville.

     La queue au réservoir
    La dernière taverne à la porte de la ville.

    Dans certains cas, Vassili Perov souligne davantage le caractère jovial du peuple, plutôt que son activité lui-même. On présente ici le peuple plus pour ce qu’il est que pour ce qu’il fait. Voici Sur la voie ferréeLes chasseurs se reposent, ainsi que L’oiseleur. On y retrouve une forme de bonhomie, une certaine vision des rapports intimes, tout un style populaire.

    Sur la voie ferrée
     Les chasseurs se reposent
    L’oiseleur

    Il est d’autant plus frappant que Vassili Perov ait pu faire un parcours dans l’académie, alors qu’il se situait aux premières loges du réalisme. Voici son portrait du dramaturge réaliste russe Alexandre Ostrovski, qui est pas moins que le fondateur du théâtre national dans son pays.

    Suivent le portrait du très célèbre écrivain Fiodor Dostoïevski, et celui de Vladimir Dahl, qui a compilé 30 000 proverbes et dictons russes dans son Dictionnaire raisonné du russe vivant.

    Alexandre Ostrovski
    Fiodor Dostoïevski
    Vladimir Dahl

    L’État finança même en 1862 un voyage à Vassili Perov, dans différentes villes allemandes et à Paris.

    Voici des tableaux présentant un aspect de Paris. Il est à noter ici que c’est Vassili Perov lui-même qui demande à rentrer plus tôt en Russie :

    « Le manque de connaissance du caractère et de la vie morale du peuple me rend impossible le fait de terminer une quelconque de mes œuvres. »

    Malgré son positionnement, Vassili Perov enseigna même à l’académie de 1871 à à sa mort 1882, alors que dans la seconde moitié des années 1860 il avait rejoint l’association des itinérants. Il servit donc d’agent catalyseur au sein même de l’académie, pavant la voie au triomphe général des peintes itinérants (ou ambulantes). Le réalisme, en tant que vecteur du progrès, avançait culturellement et idéologiquement, s’affrontant avec le féodalisme.

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  • La peinture des ambulants russes, représentations typiques et collectives

    La bataille pour le réalisme n’existe pas qu’entre les courants ; les peintres eux-mêmes oscillent entre deux choix. Victor Vasnétsov (1848-1926), par exemple, fit de la peinture de genre, comme Le Départ de la maison, en 1876, ou encore La préférence, en 1879, avant de basculer ouvertement dans une peinture épique se fondant sur les contes et légendes.

    Toute autre fut la démarche de Nikolaï Kassatkine (1859-1930), qui fut fidèle à l’esprit des ambulants et rejoignit ensuite la cause soviétique, étant par ailleurs nommé Artiste du peuple. Lors de ses études à l’académie, il fut un disciple de Vassili Perov, rejoignant en 1890 les expositions itinérantes. Par la suite il enseigna à l’académie et fut profondément marqué par la révolution de 1905.

    Voici Les orphelins, Ramassage du charbon par les pauvres à la décharge de la mine, de 1894, Qui ? de 1897, Dans une famille ouvrière de 1890 et Dans le couloir du jugement du district, 1897.

    Voici également L’ouvrier combattant, de 1905.

    Certaines œuvres de Vassili Sourikov (1848-1916) sont très connus, ce peintre ayant réussi le premier à représenter le peuple dans une fresque historique, en lui accordant le premier rôle.

    Vassili Sourikov appartint aux ambulants à partir de 1881, après avoir étudié à l’académie de 1869 à 1875 ; réussit à placer une grande intensité dans ses œuvres, la dimension conflictuelle ressort de manière saisissante. Ses tableaux arrivent à représenter de manière typique le mouvement collectif, à travers un grand esprit de synthèse. Il faut absolument voir ces œuvres en grande taille pour saisir la force de leur détail, pour avoir une vue d’ensemble correct.

    Voici La Prise de la forteresse de neige, de 1891. La scène présente une bataille de neige lors de l’équivalent orthodoxe du mardi-gras : une forteresse de neige est bâtie, une équipe la défend et une autre doit la prendre.

    Voici deux tableaux où la critique de l’autocratie est patente. 

    La Boyarine Morozova (1887) représente Feodosia Morozova, adepte du mouvement des vieux-croyants refusant les changements dans la religion orthodoxe effectué par l’État central au XVIIe siècle, alors qu’elle est arrêtée.

    On la voit lever la main en faisant l’ancien signe, avec les deux doigts et non trois comme nouvellement instaurés ; on remarquera que, dans l’abattement général, seul l’ascète, à droite, répond par le même signe, alors qu’à ses côtés une jeune femme baisse la tête et une vieille mendiante donne tout son respect.

    C’est là la conscience du peuple, qui respecte et ose s’exprimer, face à la terreur.

    Le Matin de l’exécution des Streltsy présente la situation de ces troupes à la suite de l’échec de leur révolte de 1698 contre l’État central. On voit ces soldats, avec leur famille éplorée, avant l’exécution. Leur fierté est ostensible, tout autant que la dimension terriblement pathétique et collective, en plein centre de Moscou.

    Le tableau suivant est intitulé La Conquête de la Sibérie par Ermak et date de 1895. Il présente l’affrontement avec les tatares pour l’élargissement historique de la Russie à l’est.

    Voici également un tableau de 1899, intitulé La Marche de Souvorov à travers les Alpes et dont la dimension épique se combine avec l’humour. On y voit, de manière stylisée, la traversée des Alpes par l’armée russe en 1799, dans le cadre des batailles napoléoniennes.

    Vassili Sourikov est un excellent exemple de peintre ambulant reconnaissant toute son importance à la question historique et voici un dernier exemple très pertinent, puisque datant de 1906, l’année suivant la révolution de 1905. Stepan Razine présente ce dirigeant cosaque qui organisa une grande révolte contre l’autocratie, au XVIIe siècle, manquant de faire s’effondrer le régime et devenant un personnage de folklore.

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  • La peinture des ambulants russes: reconnaissance sociale, contraste social

    Grigori Miassoïédov (1834-1911) étudia de 1853 à 1862 à l’académie, puis joua un rôle éminent au sein des ambulants, en tant qu’animateur et organisateur. Ses peintures concernant la paysannerie font de lui un véritable maître du genre.

    Voici un tableau de 1872 intitulé Le Zemstvo déjeune.

    Il s’agit de membres d’un organe administratif  paysan, où l’autogestion sert bien sûr de relais aux classes dominantes. Celles-ci sont symbolisées sur ce tableau par l’intermédiaire d’une personne faisant la vaisselle, que l’on voit par la fenêtre, alors que les paysans n’ont pas d’endroit pour manger, à part la rue elle-même. Le contraste de classe est ici présenté non pas de manière abstraite, mais dans un portrait allant au typique.

    Le Zemstvo déjeune

    La Lecture du manifeste du 19 février 1861, tableau de 1873, montre des paysans – souvent illettrés – en train de lire le document d’abolition du servage, promu par Alexandre II.

    Ce dernier avait compris que la Russie féodale – 60 millions d’habitants alors dont 50 millions de paysans – courait à la défaite, comme en témoignait la défaite en Crimée de son père Nicolas Ier. L’abolition du servage fut une tentative de modernisation, dans le cadre d’une élaboration d’une monarchie absolue.

     Lecture du manifeste du 19 février 1861

    Les Faucheurs, tableau de 1887, s’inscrivent dans ce cadre de la reconnaissance démocratique de la paysannerie, contre les classes dominantes. Le travail en lui-même se voit reconnu une valeur, dans l’esprit de la bourgeoisie, mais là ce sont les masses elles-mêmes qui sont valorisées.

    Faucheurs

    Le Sentier dans un champ de seigle, de 1881, témoigne qu’au travail s’ajoute toujours chez les ambulants la reconnaissance de la nature, non pas simplement comme paysage (comme en France), mais bien comme cadre de la vie nationale, comme pays.

    Le Sentier dans un champ de seigle

    Voici une œuvre très intéressante également, où Grigori Miassoïédov montre le rapport des paysans aux propriétaires, avec Les jeunes mariés chez le propriétaire terrien, de 1861.

    Les jeunes mariés chez le propriétaire terrien

    En fait, avec les ambulants, tous les aspects de la vie pouvaient être représenter, du moment qu’ils étaient ancrés dans le réel, avec une dimension typique et dans le respect de la dignité de ce qui est représenté. Nikolaï Bogdanov-Belski (1868-1945), qui passa par l’académie puis participa aux expositions itinérantes, avant de rejoindre la Société des ambulants en 1895, s’intéressa notamment particulièrement à l’école.

    Voici Calcul mental à l’école populaire de S. A. Ratchinski et Dimanche de lecture dans une école rurale, deux tableaux de 1895, suivis de Au seuil de la classe de 1897.

    Calcul mental à l’école populaire de S. A. Ratchinski
     Dimanche de lecture dans une école rurale
    Au seuil de la classe

    Venant d’une famille de paysans, Abram Arkhipov (1862-1930) étudia à l’académie de 1877 à 1883, puis en 1886-1887, étudiant aux Beaux-Arts entretemps. Il participe à partir de 1889 aux expositions itinérantes et rejoignit les ambulants en 1891, devenant en 1894 enseignant à l’académie.

    Son niveau fut indubitablement très grand et il fut l’un des tout premiers peintres à recevoir de la Russie socialiste le titre d’Artiste du peuple ; lui-même continua d’enseigner dans les structures soviétiques moscovites, l’Ateliers supérieurs d’art et de techniques de Moscou (Vkhoutemas), puis l’Association des artistes de la Russie révolutionnaire (AkhRR).

    Voici Sur l’Oka, de 1889, Après le dégel en attendant le bateau et Radonitsa avant la liturgie, de 1892.

    Sur l’Oka
    Après le dégel en attendant le bateau
    Radonitsa avant la liturgie

    Voici également de lui, Les blanchisseuses, de 1890.

    Les blanchisseuses

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  • La peinture des ambulants russes et la société des expositions itinérantes

    L’artel avait réussi à promouvoir une indépendance des artistes réalistes par rapport à l’autocratie.

    Le terme le plus exact serait ici celui d’autonomie ; l’artel avait d’ailleurs comme pratique de mener des réunions tous les jeudis, pour échanger sur la situation sociale, les questions artistiques.

    Il est significatif d’ailleurs que l’artel refusait ce qui apparaissait comme décadent – comme le jeu de cartes – pour privilégier des jeux candides, comme le colin maillard. Les artistes étaient tournés vers le peuple, vers sa réalité, et à ce titre l’artel participa à une exposition à Nijni Novgorod, dans sa volonté de diffuser sa manière de voir les choses.

    Constantin Makovski, Baiser rituel

    Une conception aussi puissante ne pouvait qu’avancer, malgré les détours. Aussi, une nouvelle association d’entraide apparut, en 1870, fondée par Ivan Kramskoï, avec Grigori Miassoïédov, Vassili Pérov et Nikolaï Gay.

    L’idée était brillante : les expositions collectives qui se tinrent chaque année à Saint-Pétersbourg et Moscou, à partir de 1871, étaient réitérées dans les autres villes importantes : Kiev et Kharkov tout d’abord, puis ensuite des villes comme Tula, Saratov, Yaroslav, Poltava, Koursk, Kichinev, Odessa, Astrakhan, Kazan, Elizavetgrad, Vilna, Varsovie. Les œuvres peintres devaient l’être spécifiquement pour une exposition.

    Constantin Makovski, Noce dans une famille boyarde, 1883

    Dans cette logique les peintres assumèrent comme identité le terme « itinérants », en russe « pérédvijniki », qu’on traduit également par « ambulants ». La société des expositions itinérantes exista alors de 1870 à 1923, réalisant 48 expositions itinérantes au total.

    Le succès fut énorme. A l’opposé de l’artel, né d’un coup de force des quatorze à l’académie, cette fois les peintres étaient connus, leur conception limpide, leur initiative parfaitement lisible. L’organisation était beaucoup plus rodée : on ne pouvait rejoindre l’association qu’à l’issue d’un vote une fois l’an, avec présentation d’une œuvre.

    Constantin Makovski, [Le marchand Kuzma] Minin sur la place de Nizhny Novgorod, appelant les gens à faire un don [afin de former des milices patriotiques], 1896

    Le mouvement semblait même tellement irrésistible que l’académie dut tenter de converger avec la société des expositions itinérantes, avec les ambulants. La première exposition de la société eut ainsi lieu à l’académie elle-même, avec 46 tableaux. Ce n’était qu’une petite concession, les expositions de l’académie présentant 300-400 œuvres.

    Hors de question par contre pour l’académie d’accepter que les itinérants (ou ambulants) choisissent leurs propres œuvres et les présentent en toute indépendance à l’exposition universelle de Londres de 1873 ou à l’exposition panrusse art-industrie de 1880 à Moscou.

    Lors de cette dernière exposition, l’académie fit exprès de disperser les 100 œuvres des itinérants parmi 428 exemples d’art officiel, avec es thèmes religieux, classiques, méditerranéens. Les responsables d’entreprises de Moscou répondirent alors en publiant à leurs frais un catalogue des œuvres itinérantes, y compris avec des œuvres polémiques, notamment d’esprit anti-clérical.

    Constantin Makovski, Sous la couronne [du mariage]

    L’académie fit même en sorte par la suite, en 1885, de concurrencer les expositions itinérantes, avec des expositions concurrentes organisées par ses soins, à des tarifs moins élevés que ceux de l’association. L’impact culturel des itinérants sur les provinces restait toutefois très important, de par l’esprit du progrès qu’ils exprimaient.

    A Kiev, Mykola Murashko fonda ainsi une école de dessins dans l’esprit des itinérants et l’exposition itinérante jouait un rôle essentiel dans la formation de ses étudiants. L’école profita du soutien financier de la famille Tereschenko, qui était richissime de par son monopole du sucre (400 000 hectares possédées, 1/5 des travailleurs ukrainiens à leur service, un Tereschenko fut par la suite le ministre des finances du gouvernement Kerensky juste avant octobre 1917). Elle donna également sa collection pour l’ouverture du musée de Kiev, avec de très nombreux tableaux des itinérants.

    On a ainsi un conflit clair entre la monarchie absolue exigeant d’intégrer les itinérants et la bourgeoisie soutenant leur démarche. La pression augmenta encore lorsque le grand-duc Vladimir Alexandrovitch, président de l’Académie impériale des Arts, exerça également de vigoureuses pressions sur des membres individuels de l’association des itinérants.

    Constantin Makovski, Les augures de la période de Noël, 1905

    Finalement, l’académie mit fin aux expositions itinérantes dans ses locaux, interdit ses étudiants d’avoir des liens avec l’association, alors que la ville de Saint-Pétersbourg fit toute une série de sabotages administratifs pour les empêcher de construire un bâtiment qui leur serait dédié.

    Une répression fut effectuée sur les expressions favorables aux itinérants : la revue Nouveaux Temps dut cesser la publication de l’essai de Kramskoï, « La destinée de l’art russe » ; la revue illustrée L’abeille fut censurée dans son soutien aux itinérants, puis interdite, son éditeur Adrian Prakhov licencié de son poste d’assistant en histoire de l’art à l’académie.

    Une société des expositions artistiques, fondée en 1875, fut également fondée par l’académie comme sas pour retourner les itinérants et les intégrer. Quant à la maison impériale, bien sûr, elle cessa l’achat d’œuvres auprès des itinérants. Comme elle payait 1500 roubles pour une copie et 10-15000 roubles pour un tableau original, ce fut un coup rude : l’entrepreneur et mécène Pavel Tretiakov payait de son côté dans les années 1870 un tableau 1000-2000 roubles, soit plus du double du prix d’un tableau lors des années 1860.

    La ligne de démarcation semblait nette entre l’académie et l’association des expositions itinérantes.

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  • La première vague de la peinture des ambulants russes

    Ce que Pavel Fedotov n’avait pas pu faire ouvertement, la modification de la situation permit à ses successeurs de le faire. Les institutions officielles avaient permis à partir de 1859 la peinture de la vie quotidienne, avec toutefois au maximum l’obtention d’une médaille d’argent.

    Pourtant, dès 1860, Vassili Perov obtient une petite médaille d’or pour sa représentation d’un Fils d’un petit clerc, où on se moque de la fascination pour le premier uniforme, témoignant de l’obtention du premier grade du service civil. 

    L’année d’après, ce fut la grande médaille d’or qui fut obtenue, ainsi qu’une bourse pour étudier à l’étranger, pour un Sermon de village. On y voit que la dignité revient aux seuls paysans, alors que l’homme riche dort et que sa femme écoute les ragots ou se fait charmer. Ces deux tableaux marquent l’affirmation du réalisme.

    Fils d’un petit clerc
    Sermon de village

    Ce sont là d’éminents tableaux faisant des portraits de caractère et c’était l’ouverture de toute une série. Désormais, les médailles d’or étaient remises aux peintres tant pour des choix bibliques que pour ceux de la vie quotidienne, et ce malgré les statuts officiels. C’était une victoire et un passage en force du progrès.

    Voici le tableau ayant valu la petite médaille d’or de 1861, Le Repos à la moisson d’Alexandre Morozov (1835-1904). Suivent d’autres tableaux de lui : La Sortie d’une église de province datant de l’année suivante et lui valant l’acceptation comme académicien, ainsi que L’École gratuite de village.

    Le Repos à la moisson
    La Sortie d’une église de province
     L’École gratuite de village

    Il faut ici souligner le rôle d’Ivan Nikolaïevitch Kramskoï, qui a joué le rôle moteur dans la révolte des quatorze puis dans l’artel qui fut créé, collectif d’artistes. De 1863 à 1868, il enseigna à l’école de dessin de la Société d’encouragement des artistes et chercha à tout prix à ce que les artistes réalistes ne se fassent pas happer par le régime.

    Nikolaïevitch Kramskoï avait affirmé en 1863 qu’il ne fallait jamais chercher un autre que celui d’artiste, et lorsqu’en 1869 l’académie le nomma académicien, il écrivit une lettre pour que ce soit annulé, ce qui ne fut pas fait. C’était là une contradiction évidente dans sa nouvelle situation, d’autant plus douloureuse pour lui, qui fut à la tête de la révolte des quatorze, qu’il y avait alors déjà sept peintres de l’artel qui avaient déjà soumis des peintures à l’académie et obtenu le titre d’académicien.

    Ses tableaux les plus connus furent Le garde-forestier (1874), portrait d’un travailleur, chose révolutionnaire ; on a également Le Christ au désert (1872), avec un Christ non pas glorieux dans l’esprit de l’autocratie russe, mais dans la pauvreté et le doute (il s’agit du fameux moment de la tentation effectuée par le diable), ainsi que le Portrait de Mina Moisséïëv (1882).

    Le garde-forestier 
    Le Christ au désert
    Portrait de Mina Moisséïëv

    Il faut noter également ses portraits, notamment L’inconnue, de 1883, qui est une œuvre frappant de par sa profondeur, sa densité, ou encore Inconsolable chagrin, de 1884.

    L’inconnue
    Inconsolable chagrin

    Voici Le vieil homme à la béquille.

    Le vieil homme à la béquille

    Enfin il y a lieu de porter son attention sur ses portraits : celui de Léon Tolstoï en 1873, de Nékrassov composant les derniers chants en 1877, de l’illustre auteur national ukrainien Taras Chevtchenko et du peintre Litovtchenko en 1878.

    Léon Tolstoï
    Nékrassov
    Taras Chevtchenko
    Litovtchenko

    Nikolaïevitch Kramskoï fut un combattant inlassable en faveur du réalisme et de l’autonomie des artistes face au régime ; le peintre Ilya Répine lui dira ainsi :

    « Tu es vite devenu le dirigeant du groupe de jeunes, les plus doués et les plus instruits, de l’Académie des Beaux-Arts. Avec une énergie gigantesque tu as fondé l’une après l’autre deux associations artistiques, tu renversas irrévocablement les sommités classiques vétustes et fis respecter et aimer la création artistique de notre pays. Citoyen et peintre, tu as bien mérité un monument national ! »

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  • La peinture des ambulants russes, de Karl Brioullov à Pavel Fedotov

    Le choix de la peinture dite de genre fut effectué par les peintres eux-mêmes et pourtant, cela put s’insérer dans la société où le tsar décidait de tout. Comment cela a-t-il pu se passer ?

    En fait, le tsar avait compris que le développement de son pouvoir nécessitait la reconnaissance de la modernisation, exactement comme avec la monarchie absolue au XVIIe siècle en France. Cela fait qu’au milieu des années 1850, c’est une seconde vague des peintres démocratiques qui intervient en fait, après l’échec de la première qui était par contre née contre le régime.

    En 1825 avait eu lieu en effet une tentative de coup d’État, à l’occasion de l’intronisation du nouveau tsar, Nicolas Ier. A l’initiative notamment du colonel républicain Pavel Pestel (1793-1825), les « décabristes » (c’est-à-dire les « décembristes ») tentaient d’arracher par la force une constitution et l’abolition du servage.

    Leur échec fut suivi d’une intense répression et l’autocratie se maintint par la suite, avec une brutalité extrême. L’opposition fut difficile, et on trouve notamment le « cercle » organisé par Mikhaïl Petrachevski (1821-1866), dont les membres furent souvent arrêtés, victimes de simulacres d’exécution, déportés aux travaux forcés, etc.

    Le membre le plus connu du cercle fut l’écrivain Fiodor Dostoïevski et le peintre Pavel Fedotov (1815 – 1852) en était proche, mais sa marge de manœuvre était nulle. Aussi, son approche démocratique – passant par le réalisme – devait se placer au service du régime, tout en profitant d’une petite touche désinvolte et d’un sens très marqué pour la moquerie.

    Pavel Fedotov, auo-portrait

    Il était en cela influencé par le fabuliste Ivan Krylov (1769-1844), qui était en quelque sorte le La Fontaine russe. Ivan Krylov avait d’ailleurs encouragé Pavel Fedotov à quitter l’armée – il venait d’un milieu extrêmement pauvre, son père était un lieutenant à la retraite qui l’avait poussé à s’engager.

    Pavel Fedotov demanda cependant, avant de se lancer, l’avis de Karl Brioullov, le premier peintre russe à disposer d’une renommée internationale. Karl Brioullov était parti en Italie, où il avait obtenu un succès retentissant avec Le Dernier Jour de Pompéi, peint au début des années 1830 et faisant 6,5 mètres sur 4,5. Son retour en Russie fut alors triomphal.

    Voici deux autres peintures de Karl Brioullov marquée par le mouvement, la vivacité, la tendance au portrait d’une situation et de leurs caractères : Le siège de Pskov par Étienne Báthory, ainsi que La Fontaine de Bahchisaraja.

    Le siège de Pskov par Étienne Báthory
    La Fontaine de Bahchisaraja

    Karl Brioullov était en pratique le premier peintre russe à rompre avec l’esprit précédent qui ne faisait que tenter de former un néo-classicisme sans contenu, simplement formel. Sans aller jusqu’à la représentation de la réalité, il promeut un style plus personnel, d’esprit romantique.

    Voici le Portrait de la comtesse Ioulia Samoilova avec sa fille Amazilia Paccini,  La cavalière (avec Amazilia et sa soeur Giovannina), Cavaliers, Olga Fersen sur un âne, Portrait de Prince Mikhail Obolensky.

    Portrait de la comtesse Ioulia Samoilova avec sa fille Amazilia Paccini
    La cavalière (avec Amazilia et sa soeur Giovannina)
    Cavaliers
    Olga Fersen sur un âne
    Portrait de Prince Mikhail Obolensky

    Karl Brioullov a donc encouragé Pavel Fedotov, dont il admirait le travail. Pavel Fedotov n’abandonna l’armée que par la suite pourtant, car cela signifiait une vie dans la misère la plus totale, en attendant une reconnaissance éventuelle.

    Celle-ci se produisit, en fin de compte, notamment avec Fiançailles d’un major, qui présente la demande en mariage d’un major endetté. Le mariage est présenté comme une cérémonie au caractère faux, car calculé. L’esprit moqueur se retrouve également avec La fiancée difficile, où les parents écoutent et… espèrent.

     Fiançailles d’un major
    La fiancée difficile

    Voici deux autres oeuvres typiques de la démarche de Pavel Fedotov. Le Petit-déjeuner d’un aristocrate nous montre la vanité de l’aristocrate interrompu en catastrophe dans son train-train quotidien, alors que Fraîchement médaillé montre la matinée d’un bureaucrate ayant reçu sa première médaille, affirmant son orgueil ridicule.

    Enfin, Une jeune veuve présente la situation dramatique d’une jeune femme enceinte ayant perdu son mari et donc étant désocialisé dans la Russie tsariste et son organisation féodale pratiquement en castes.

    Petit-déjeuner d’un aristocrate
    Fraîchement médaillé 
    Une jeune veuve

    Pavel Fedotov ne vécut cependant pas à la bonne époque. La répression était générale ; il n’y avait pas de place pour la représentation du réel. La revue Sovremennik (Le contemporain) à laquelle il était lié fut interdite, lui-même sombrera dans la folie et mourra à 37 ans.

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  • La peinture des ambulants russes et la «révolte des quatorze»

    Repartons en arrière et voyons comment se déroula la rupture avec l’académisme qui se déroule donc vers les années 1860.

    En fait, cet académisme exigeait les thèmes que le régime comptait mettre en avant. Il s’agit de ceux se fondant sur le style pseudo-classique, célébrant le conservatisme, l’approche formelle de la vie, superficielle de la réalité, quand cette dernière n’était simplement niée.

    L’académisme célébrait donc les scènes de la Bible, la vie des « saints », des thèmes historiques de l’antiquité gréco-romaine, des sujets mythologiques.

    Cette tendance avait été décidé par Nicolas Ier, qui a régné de 1825 à 1855. Il avait prit, de ce fait, le parti-pris opposé de Catherine II de Russie. C’est effectivement celle-ci qui était à l’origine de l’académie impériale des arts ; lorsqu’elle promulgua ses statuts en 1764, elle prit comme modèle l’académie des Beaux-arts fondé en France par Colbert pour Louis XIV.

    L’idée était de promouvoir des artistes contribuant à l’esprit nouveau, c’est-à-dire aux attentes de la monarchie absolue dans sa critique partielle du féodalisme.

    A ce titre, les artistes ne pouvaient pas être appelées par l’armée ni par quelque organisme d’État qui soit et même s’ils venaient de classes sociales défavorisées, ils avaient accès aux salons littéraires, à une formation du meilleur niveau, bref tout pour rejoindre une intelligentsia contribuant à faire progresser la Russie.

    Avec Nicolas Ier, cette ligne indéniablement libérale dans les arts, consistant en un soutien d’État aux artistes, se modifia radicalement, les contrôles administratifs devenant la norme et les tableaux devant obéir aux critères esthétiques de l’autocratie tsariste.

    Nicolas Ier prit cela très au sérieux : il nommait lui-même les professeurs, portait son attention sur l’évolution des étudiants. En visite à Rome, en 1839, il fit même une inspection pour surveiller les peintres boursiers présents dans cette ville.

    Nicolas Ier doubla également pratiquement la taille des statuts de l’académie, en ajoutant deux amendements.

    Exposition dans les salles de l’Académie impériale des arts

    Il y avait auparavant deux rangs qui existaient jusque-là – peintre au niveau du 14e rang civil (le plus bas) pouvant travailler librement en tant que tel dans l’empire et académicien au niveau du 10e rang. Nicolas Ier remplaça ce double niveau par toute une hiérarchie de rangs et de titres, le tout supervisé par l’administration, avec des périodes de probation, des examens, etc.

    Ce classement permettait à Nicolas Ier de casser l’unité des artistes et de les placer devant des possibilités de carrière, exigeant d’eux une mentalité absolument soumise, puisque le risque était de ne pas se voir reconnu du tout comme peintre, ou bien de ne plus progresser dans l’échelle des rangs.

    La tête de l’administration de l’académie passa d’ailleurs désormais entièrement dans les rangs de la famille royale, ainsi que du ministère de l’éducation à celui de la maison impériale, accentuant la pression. Sur le plan de l’encadrement, c’était désormais la discipline militaire qui devait être suivie, avec une surveillance, des baraquements pour logement, la menace d’être envoyé dans l’armée pour 25 ans, etc.

    Nicolas Ier

    Enfin, les concours pour la médaille d’or prenaient un tournant très éloigné de toute approche artistique. Une fois le thème donné, les peintres étaient surveillés pendant les vingt-quatre heures où ils devaient faire une esquisse, qu’ils n’avaient plus le droit de modifier pendant l’année de sa réalisation.

    Quant aux écoles d’art qui étaient privées, elles voyaient leurs artistes systématiquement mis de côté, avec un monopole de l’académie sur les titres et les médailles, et le refus systématique d’ouvrir des annexes dans les autres grandes villes.

    Un enseignement au sein de l’Académie impériale des arts

    Seules deux grandes écoles prévalaient, à Moscou et Saint-Pétersbourg, le ministère de la maison royale encadrant la vie de celles-ci, celle de Saint-Pétersbourg ayant la prévalence absolue, celle de Moscou ne fournissant que le niveau plus bas de diplôme et de reconnaissance.

    La société pour la promotion des artistes de Saint-Pétersbourg fut pareillement « nationalisé » par le tsar, devenant une « société impériale » sous son contrôle. L’État mettait la main-mise sur la vie des artistes et leur existence financière ; en 1860, il n’y a à Saint-Pétersbourg que trois ateliers privés d’artistes.

    La mort de Nicolas Ier se produisit dans une atmosphère d’opposition révolutionnaire grandissante et les jeunes peintres grondaient contre l’académisme de l’autocratie. Cela aboutit au premier choc, avec la « révolte des quatorze », en 1863.

    Cette révolte, dirigée par le peintre Ivan Kramskoï (1837-1887), accompagné de douze autres peintres et d’un sculpteur, consista à exiger que le Conseil de l’Académie abandonne son exigence, pour son concours, de ne peindre que des thèmes de l’antiquité ou de l’histoire, notamment biblique.

    Ivan Kramskoï

    Les demandes restèrent sans réponse et les peintres rejetèrent le choix de l’académie tiré de la mythologie scandinave, consistant en un banquet au Valhalla en présence d’Odin avec ses deux corbeaux, avec en arrière-plan des nuages et des loups.

    La réponse fut simple : les quatorze peintres furent privés de diplôme, leur atelier supprimé, toute aide matérielle empêchée, leurs activités surveillées par la police. En réaction, ils organisèrent un atelier des peintres, discutant et peignant ensemble, composant une sorte de petite association professionnelle : l’artel des artistes.

    Les 14 peintres formant l’artel des artistes, avec de gauche à droite Johann Gottlieb Wenig, Firs Jouravliov, Alexandre Morozov, Kirill Lemokh, Ivan Kramskoï, Alexandre Litovtchenko, Constantin Makovski, Nikolaï Dmitriev-Orenbourgski, Nikolaï Petrovitch Petrov, Vassili Kreïtan, Mikhaïl Peskov, Nikolaï Choustov, Alexeï Korzoukhine, Alexandre Grigoriev

    Cinq peintres s’installent alors ensemble, avec chacun une chambre et un lit, se partageant trois ateliers d’artistes, les autres du groupe des quatorze habitant das leurs propres logements. Le peintre Ilya Répine raconte à ce sujet :

    « Après avoir beaucoup hésité, ils sont arrivés à la conclusion, qu’il fallait s’organiser et avec les autorisations officielles créer un artel d’artistes.

    C’est-à-dire une sorte de coopérative artistique avec atelier et bureau, prenant ses commandes dans la rue, avec un panneau publicitaire et des statuts en bonne et due forme, approuvés par tous.

    Ils ont choisi un grand appartement du côté de la ligne XVII sur l’ile Vassilievski, et s’y sont installés ensemble. »

    Il y eut des succès, des commandes, et même des titres donnés par l’académie à certains, mais ce processus collectif se heurtait aux tendances individualistes de ces artistes portant les exigences bourgeoises de reconnaissance individuelle.

    En théorie, il y avait ainsi une caisse commune, chacun devant donner 10% de ses ventes de tableaux, 25 % si la peinture a été faite collectivement. L’individualisme des artistes prima cependant rapidement et ceux qui réussissent s’en vont, alors que d’autres tentent leur chance individuellement. Ilya Répine raconte ainsi :

    « Dans l’Artel, ce fut le début des malentendus. Cela commence par une dispute de famille entre les épouses de deux associés et cela se termine quand les deux associés quittent l’Artel. Un des membres demande une faveur spéciale à l’Académie pour obtenir un voyage à l’étranger au frais de l’Etat.

    Kramskoï estime que c’est une violation des principes de l’Artel : ne pas chercher à flatter l’Académie pour obtenir des faveurs au profit d’un seul comme cela avait été décidé à la création de celle-ci, lors de la révolte des quatorze. Ne pas non plus se laisser appâter par la vente de ses talents.

    Kramskoï demande alors, par écrit, à ses amis de s’exprimer sur ce qu’ils pensent du comportement d’un des leurs. Ils répondent évasivement ou se taisent. Suite à cela Kramskoï sortit de l’Artel des artistes. Après sa sortie l’Artel perd sa raison d’être et disparaît. »

    Toutefois, malgré cette défaite, la révolte des quatorze a été un réel affrontement avec l’autocratie. Il va alors se dérouler une convergence entre ces peintres réalistes et le successeur de Nicolas Ier, qui choisit l’option d’aller vers la monarchie absolue.

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  • La peinture des ambulants russes: un premier tournant avec trois œuvres significatives et magistrales

    Pour comprendre la dynamique des ambulants, il faut saisir la situation des arts et des lettres dans le cadre historique de l’époque.

    Lors de la première moitié du XIXe siècle, les peintres étaient considérés en Russie comme un simple outil idéologique de l’autocratie, qui passait des commandes et surveillait toutes les activités artistiques ; il y avait très peu de connaissances de la peinture dans les autres pays, et les artistes venaient des couches inférieures de la société, étant dévalorisés et à la merci dans un système de castes.

    Il n’existait que deux lieux pour l’existence sociale des peintres, qui étaient sinon à la merci du régime, notamment du service militaire et des impôts s’ils venaient de la paysannerie et de la petite-bourgeoisie : l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg et l’Institut moscovite pour la peinture.

    C’est là qu’on va assister à un tournant. Trois ans après la mort du tsar Nicolas Ier en 1855, est exposé à l’académie l’œuvre de Vassili Perov L’Arrivée du chef de la stanitza pour l’enquête. 

    C’est une œuvre magistrale, un portait réaliste de pleine dignité, exposant la vérité de l’arbitraire, des conditions de vie face à l’autocratie et sa machinerie répressive. C’est un reflet réaliste où les moindres détails exposent la vie telle qu’elle est alors, non seulement en particulier avec une situation précise, mais en général.

    L’Arrivée du chef de la stanitza pour l’enquête

    Une telle œuvre était un coup de semonce ; c’était un assaut des forces du progrès contre la réaction. La bataille pour la reconnaissance de la réalité et de son caractère s’étendait jusqu’à la repésentation synthétisée du monde.

    L’œuvre marquante, celle du tournant, fut alors celle connue en français sous le titre de Union mal assortie, ou encore Le Mariage arrangé, ou Mésalliance, réalisée par Vassili Poukirev (1832-1890). Ce dernier obtint même en 1862 le titre de professeur de peinture pour cette œuvre, au sein du sénat académique qui avait commencé à remettre des médailles également pour les peintures de genre.

    On a ici une œuvre qui est l’équivalent, dans son contenu, des œuvres de Molière, à ceci près que dans notre pays, les arts et les lettres ont exposé leur contenu culturel démocratique par le contenu psychologique ; en Russie, c’est sur la typisation des caractères que l’accent a été mis. On a ici un véritable chef d’œuvre.

    Union mal assortie

    La portée de cette œuvre ne saurait être sous-estimée, dans le contexte terrible de la Russie d’alors. Il s’agit d’une critique offensive d’un mariage arrangé, avec un vieil homme dignitaire de la croix de l’ordre de Saint-Vladimir se mariant à une jeune femme clairement souffrante de cela, mariage se réalisant avec l’appui direct du clergé complice. Le contenu est ouvertement anti-féodal, la charge politique est immense, sa dimension culturelle évidente.

    L’affirmation de cette œuvre se place à un moment clef : elle suit immédiatement la décision par le tsar Alexandre II d’abolir le servage, en 1861. On a ici, comme avec Molière et la monarchie absolue, une tendance progressiste qui s’affirme dans la société russe.

    Une seconde œuvre significative de la même période fut La Cène de Nikolaï Gay (1831-1894). En apparence, il s’agit d’une image religieuse, mais le modèle de Jésus est ni plus ni moins qu’Alexandre Herzen (1812–1870), le chef de file des partisans de la modernité en Russie alors, dont l’activité joua justement un rôle pour l’abolition du servage de 1861.

    Alexandre Herzen était en exil à Londres, suite à la répression du père d’Alexandre II, Nicolas I, un autocrate ayant menée une répression féodale impitoyable ; Nikolaï Gay travailla en s’appuyant sur une photographie de Herzen, on reconnaît ici le parcours du réalisme et de ses exigences.

    Le fait est que, à l’occasion de l’exposition de ce tableau en 1863, le tsar Alexandre II nomma Nikolaï Gay professeur de peintre à l’académie impérial. Là encore, l’œuvre – depuis sa réalisation jusqu’à sa reconnaissance sociale – est ouvertement politique et progressiste. 

    La Cène

    Tant l’Union mal assortie que La Cène témoigne d’une nouvelle époque, où la monarchie tente de réaliser le cheminement vers le pouvoir absolu, et profite des artistes nés du développement de l’État russe, qui ne venaient pas des classes dominantes d’une société ultra-hiérarchisée et totalement rigide.

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  • Introduction à la peinture des ambulants russes

    En France, on apprécie historiquement beaucoup la littérature russe de la seconde moitié du XIXe siècle, les fameux Fiodor Dostoïevski, Anton Tchekhov, Nicolas Gogol, Ivan Tourgueniev, Léon Tolstoï.

    Il est fort étrange, à ce titre, que n’aient pas été connus les peintres dits ambulants ou itinérants, parce qu’ils organisaient des expositions à travers la Russie. Leurs tableaux sont un équivalent direct de cette littérature si appréciée ; leur niveau culturel est extrêmement élevé, leur intensité interpelle nécessairement quiconque s’intéresse à l’art et à la peinture en particulier.

    On pourrait faire un parallèle, par ailleurs, avec la musique : si Piotr Tchaïkovsky est célèbre, pourquoi donc Modeste Moussorgski et Nikolaï Rimski-Korsakov passent-ils tant à l’arrière-plan ? Pourquoi en est-il de même avec leurs prédécesseurs, Alexandre Dargomyjski et Mikhaïl Glinka ?

    Alexandre Makovski, Je m’ennuie avec toi, 1897

    Au-delà des différences culturelles et de la distance géographique entre la Russie et la France, il y a surtout le fait que la Russie a été en retard dans le développement du capitalisme, et que la bourgeoisie française ne s’intéressait déjà plus à ce qu’elle avait pourtant elle-même déjà porté.

    Le réalisme de la peinture des ambulants était d’une telle profondeur que cela ne pouvait que rentrer en confrontation avec une bourgeoisie française basculant dans la célébration du symbolisme et du décadentisme, rentrant de plain-pied dans la Belle Époque, dans la gestion nationaliste du pays et coloniale de l’empire.

    L’état d’esprit n’était déjà plus le même entre la bourgeoisie française, triomphante, et la bourgeoisie russe, faible, bataillant contre une féodalité encore omniprésente.

    Constantin Savitsky, Le départ à la guerre, 1888

    Il est, avec un tel arrière-plan, absolument parlant que, tout au long du XXe siècle, il n’y a pas eu en France de « découverte » de la peinture des ambulants, alors que régulièrement sont célébrés les Malevitch et les Rodtchenko, sans parler des Picasso ou de Warhol.

    On peut se demander alors pourquoi le Parti Communiste français n’a rien fait pour faire connaître les ambulants. La raison, ici aussi, est simple : il n’a jamais assumé le réalisme socialiste ; ses théoriciens ont toujours été proches des « modernistes » comme Pablo Picasso. Au début des années 1950, l’ensemble des peintres modernistes était proche du Parti Communiste français, et cela satisfaisait absolument ce dernier.

    Il y a ici une véritable faillite idéologique, qui tient à une seule chose : l’incompréhension du rôle progressiste du calvinisme. C’est le protestantisme qui a fait émerger la peinture flamande, son réalisme si fort, si expressif. En France, des artistes comme le graveur Abraham Bosse ou les peintres Le Nain témoignent de cette vigueur réaliste protestante, de cette tendance au réalisme.

    Constantin Makovski,
    Fédor II et sa mère Maria assassinés par les agents du faux Dimitri,
    1862

    La tragédie elle-même, portée par Jean Racine à son point le plus éclatant, n’est rien d’autre qu’un réalisme psychologique soutenu par la monarchie absolue comme sorte de calvinisme de remplacement.

    L’incompréhension du réalisme russe témoigne, en pratique, de l’incompréhension du cheminement du réalisme français. En France, le réalisme s’est exprimé avec une orientation portant principalement sur la finesse psychologique, sur l’attitude typique. Le réalisme russe s’est, quant à lui, avec verve et franchise, portée davantage sur les situations, dans ce qu’elles ont de typique.

    Cela montre que chaque pays apporte sa pierre à l’édifice du matérialisme dialectique en tant qu’idéologie mondiale du prolétariat, idéologie synthétisant les apports de chaque culture démocratique nationale dans le domaine des arts et des lettres.

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  • PCMLM : les 80 ans du 6 février 1934

    Le PCMLM [devenu le PCF(mlm)] salue la mémoire des masses antifascistes qui se sont levées à la suite du 6 février 1934 ! Il y a 80 ans, l’extrême-droite tentait le coup de force à la suite d’une manifestation devant l’Assemblée nationale, à Paris.

    Cette manifestation visait à soutenir Jean Chiappe, qui venait d’être mis de côté sous la pression des masses populaires : Chiappe était le préfet de police de Paris et menait depuis 1927 une brutale répression contre les rassemblements communistes.

    Cette manifestation rentrait dans le contexte de la crise générale du capitalisme, où la bourgeoisie traditionnelle au pouvoir s’effondrait, laissant libre cours à une corruption massive, comme en témoignait alors l’affaire Stavisky (une affaire de fraude fiscale gigantesque ayant abouti au suicide douteux de Serge Staviski et dans lequel un très grand nombre d’hommes politiques étaient mouillés).

    L’antiparlementarisme fasciste profitait de cette décadence du personnel politique traditionnel, notamment social-démocrate. Cette manifestation était portée par une extrême-droite encadrée et armée, profitant même d’auto-mitrailleuses et d’avions ; une partie significative de l’armée et de la police était largement acquise à ses idées.

    Nombreuses furent les organisations manifestant le 6 février 1934 : les Croix de feu, l’Action française et ses « camelots du roi », Jeunesses patriotes, Solidarité française, etc.

    Cette manifestation a culminé dans une tentative de coup de force, de prise d’assaut de l’Assemblée nationale, qui a échoué mais a été marquée par plus de 1500 personnes blessées, les fascistes étant partis à l’assaut, parfois même directement armés.

    Mais ce n’est pas la police qui a empêché le fascisme de prendre le pouvoir – c’est au contraire le Parti Communiste qui a triomphé dans cette bataille. C’est un fait que la bourgeoisie, aidée en cela des révisionnistes ayant trahi le communisme, fait tout pour cacher.

    Dès le 6 février, les communistes avaient organisé des contre-manifestations particulièrement par le biais de l’Association républicaine des anciens combattants dont les militants se sont opposés à plusieurs reprises aux fascistes – notamment sur le pont Solférino menant à l’Assemblée nationale. Le lendemain tous les faubourgs de Paris étant en alerte.

    Alors que le Parti Socialiste renonçait à manifester le 8 février en raison de l’interdiction, le Parti Communiste organisait une grande manifestation illégale le 9 février. Pendant cinq heures, les communistes se sont affrontés à la police, dans une dynamique antifasciste qui fit que les travailleurs socialistes les rejoignirent. Dix révolutionnaires ont laissé la vie dans cet affrontement.

    Le 12 février, à l’appel des communistes, tant le syndicat CGTU (alors proche du Parti Communiste) que la CGT (alors proche des socialistes) menèrent la grève générale, 4,5 millions de personnes cessant le travail. La manifestation dans tout le pays rassembla un million de personnes ; 200 000 personnes se rassemblèrent également à Paris pour honorer, le 17 février, les révolutionnaires tombés le 9 février.

    Voilà ce qui a empêché le fascisme : une mobilisation populaire à la base, guidée par une idéologie radicale prête à se confronter avec le système capitaliste, une idéologie authentiquement révolutionnaire : le matérialisme dialectique !

    Le Parti Communiste, en tant que Section Française de l’Internationale Communiste (SFIC), a pris le commandement de la bataille antifasciste, il s’est lancé héroïquement dans la bataille, pesant de tout son poids idéologique, politique et culturel. Les masses ont compris alors la direction exigée par le PC-SFIC, et ce dernier les a conduit à la victoire.

    Le PCMLM affirme : tel est le chemin nécessaire, tel est le chemin inévitable face au coup de force qui se profile à l’horizon en France, 80 ans après.

    Seule une initiative forte d’action antifasciste, fondée sur des comités populaires solidement implantés localement et généralisés dans tout le pays, peut exercer la pression suffisante pour faire temporairement reculer le fascisme.

    Seule une action antifasciste authentiquement progressiste, unifiant les progressistes, peut former un noyau dur sur un territoire donné, pour organiser la confrontation avec le fascisme et ses tentatives de prendre le contrôle de la société.

    Il y a 80 ans, la juste initiative du PC-SFIC ouvrait la voir à un grand progrès des masses, à leur unification sur une base progressiste, bien que par la suite la direction opportuniste du PC-SFIC, Maurice Thorez en tête, ait saboté les principes du Front populaire pour se mettre à la remorque de la social-démocratie puis du régime bourgeois « démocratique » lui-même.

    Le PCMLM affirme en ce sens que le Front populaire a été une initiative tout à fait juste, que seule son application a été, dans un second temps, opportuniste.

    Face au trotskysme et à l’anarchisme qui historiquement rejettent l’antifascisme comme front, face aux anarchistes opportunistes qui prétendent assumer l’antifascisme uniquement pour le mettre à la remorque de la social-démocratie, le PCMLM affirme le caractère inévitable de la bataille antifasciste et de l’unification des progressistes sur ce terrain, seule voie pour une confrontation authentique avec le fascisme.

    Honneur aux antifascistes tombés lors de la bataille de février 1934 !

    Que vive l’exemple du Parti Communiste – Section Française de l’Internationale Communiste comme avant-garde de la révolution socialiste assumant la bataille antifasciste !

    Face aux nouveaux 6 février 1934 qui se profilent, face aux coups de force et aux coups d’État, vive la juste résistance des masses populaires !

    Parti Communiste Marxiste Léniniste Maoïste [France]
    Février 2014

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