Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La naissance de l’ultra-gauche lors du cinquième congrès de l’Internationale Communiste

    Le grand souci de la critique de la convergence avec la social-démocratie lors du cinquième congrès de l’Internationale Communiste était qu’elle permettait une affirmation extrêmement brutale d’une ultra-gauche déconnectée et agressive.

    Deux expressions connues, car relevant du marxisme littéraro-intellectuel célébré par la bourgeoisie, furent deux ouvrages publiés en 1923 : Histoire et conscience de classe du Hongrois György Lukács et Marxisme et philosophie de l’Allemand Karl Korsch.

    Ces élucubrations à prétention philosophique n’eurent strictement aucun impact dans le mouvement communiste, tout en ayant un écho dans des milieux intellectuels marginaux. Karl Korsch devint cependant momentanément le responsable de Die Internationale, l’organe théorique du Parti Communiste d’Allemagne.

    Il ne faut toutefois pas chercher de vision du monde réellement développée. L’ultra-gauche s’appuie sur des impressions, des sentiments, des conceptions. L’ultra-gauche se développait comme démarche concrète, non théorique, au sein de l’Internationale Communiste, en particulier en Allemagne en raison de la situation de ce pays qui occupa une partie très importante du congrès, étant véritablement l’axe de toute problématique.

    Des délégués du 5e congrès, avec au milieu en bas Ho Chi minh

    On peut résumer la conception de cette ultra-gauche par le concept de « révolution permanente » élaboré plus tard par Léon Trotsky, qui finira par rassembler d’ailleurs tout ce courant autour de lui.

    Les principale figures étaient toutefois alors, au moment du cinquième congrès, le Russe Arkadi Maslow et surtout l’Allemande Ruth Fischer. Allemande ayant vécu depuis son enfance en Autriche, elle avait été au premier rang dans la fondation du Parti Communiste de l’Autriche allemande, qui aura justement toujours une identité ultra-gauchiste l’amenant à une totale marginalité.

    Active ensuite en Allemagne, elle devient une figure majeure du Parti Communiste de ce pays, apparaissant comme la représentante de la « combativité » à la suite de l’échec du soulèvement de 1923 en raison de la tendance droitière interne. Juste avant le cinquième congrès, elle participa notamment le 27 mai 1924 à l’ouverture de la session parlementaire allemande en interrompant les discours au moyen d’une trompette pour enfants.

    Le délégué allemand Ulmer (en fait Philipp Dengel) résume bien cette approche au cinquième congrès lorsqu’il affirma :

    « Je crois que le cinquième congrès doit dans tous les cas s’ajuster de manière renouvelée et plus approfondie sur la vieille perspective de Lénine comme quoi avec la guerre mondiale nous sommes entrés dans l’époque de la révolution mondiale.

    Il est nécessaire que nous y retournions car les thèses du troisième congrès étaient déjà un affaiblissement de cette perspective (…).

    La délégation allemande est d’avis que nous devons retourner à la perspective du camarade Lénine. Lénine a dit que nous avons à transformer la guerre mondiale en guerre civile. Nous sommes d’avis que la guerre mondiale n’est pas liquidée. »

    Ulmer alla très loin en abattant ainsi ouvertement les cartes du jeu d’ultra-gauche et le lendemain de sa déclaration il prétendit que c’était son point de vue personnel. C’était là révélateur du problème de fond : tant l’ultra-gauche que le courant droitier prétendait rester dans la ligne.

    Il y avait ainsi trois courants principaux lors du cinquième congrès, qui tous se posent dans la continuité de Lénine. D’un côté, il y avait une droite qui cherchait à temporiser, n’y croyant plus vraiment mais se prétendant à la fois continuatrice et réaliste. De l’autre, il y avait une gauche réfutant tout esprit constructif pour chercher à forcer les choses, tout en prétendant que l’actualité exigeait l’insurrection.

    Il y avait enfin un centre refusant une lecture opportuniste du front unique tout en considérant qu’on était dans un creux avant une reprise et réfutant ainsi l’ultra-gauche. En URSS, la principale figure de ce positionnement fut Staline ; en Italie, ce fut Palmiro Togliatti, présent au cinquième congrès, qui eut cette fonction.

    En Allemagne, ce fut Ernst Thälmann, qui avait été une figure majeure de l’insurrection d’octobre 1923 à Hambourg, qui se retrouva seule en raison de la trahison des courants droitiers dans le processus général de soulèvement.

    L’extrême-droite chercha également alors d’ailleurs à mener un contre-soulèvement, c’est le fameux putsch de la brasserie d’Adolf Hitler. Le fascisme était une menace absolue se présentant de manière systématique désormais.

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    de l’Internationale Communiste

  • Le question de la convergence avec la social-démocratie lors du cinquième congrès de l’Internationale Communiste

    À sa fondation, l’Internationale Communiste pensait que la révolution russe permettrait de faire en sorte qu’elle prolonge directement la seconde Internationale, en purgeant celle-ci de ses éléments révisionnistes et opportunistes.

    Or, au cinquième congrès, Zinoviev constate la chose suivante :

    « Camarades, comme dit, pendant cette année, nous avons dû mener notre lutte à 90 % contre les déviations de « droite ».

    J’ai avoué dès le départ que plus on étudie les documents de nos partis frères, plus on voit que les dangers de droite ne sont pas à sous-estimer, qu’ils sont plus grands à ce que quiconque pouvait s’imaginer, et cela pas parce que nos gens sont de mauvaises personnes – les gens sont en règle générale très bien – mais parce qu’il en est ainsi présentement dans cette partie du temps de l’histoire mondiale.

    Nous traversons maintenant une période entre deux vagues de la révolution et il n’en est que naturel qu’émergent dans cette période des dangers de droite.

    Les résidus de la social-démocratie sont dans notre camp plus grands qu’on ne se l’imaginait alors. »

    Il y a ainsi un double problème pour l’Internationale Communiste. Déjà, il y a des traditions erronées qui se sont maintenues. Ensuite, la social-démocratie existe encore. En Allemagne, en France et en Grande-Bretagne, elle possède une base électorale puissante. Et dans tous les cas, elle se place comme favorable à une participation gouvernementale, comme un soutien ouvert au régime en place et en opposition complète aux communistes.

    Zinoviev en conclut que :

    « La social-démocratie est devenue dans toute une série de pays le troisième parti de la bourgeoisie.

    C’est un nouveau fait dans la situation internationale, la clef tactique dans les mains des communistes.

    La théorie selon laquelle le fascisme aurait « vaincu » la social-démocratie était une fausse clef, qui devait conduire à des conséquences opportunistes.

    Si les sociaux-démocrates avaient vraiment combattu les fascistes et avaient été vaincus par eux, il se serait produit de cela un rapprochement entre les sociaux-démocrates et les communistes et non pas l’aggravation de la lutte entre eux.

    Mais comme la social-démocratie n’a en réalité pas lutté contre le fascisme et n’a pas été « vaincue » par lui, alors les communistes doivent suivre une toute autre tactique que ce que voulait Radek.

    Le plus important dans tout cela, c’est que la social-démocratie est devenue une aile du fascisme.

    Le parti socialiste français [en fait la SFIO] n’est-il pas autre chose que l’aile gauche de la bourgeoisie ?

    Aux élections, cela même été pour ainsi dire écrit chez le notaire. Il y a une liste commune des partis bourgeois et du parti socialiste [le Cartel des gauches avec les Radicaux indépendants, les radicaux-socialistes, les républicains-socialistes et la SFIO].

    Toute la différence réside dans le fait que les noms de ceux des partis bourgeois étaient à droite et ceux pour le parti socialiste étaient à gauche. De quel preuve a-t-on encore besoin ? Le parti socialiste français est l’aile gauche de la bourgeoisie française.

    Il joue encore à cache-cache, il ne siège pas encore au gouvernement, mais elle est un facteur co-gouvernemental ; plus le développement continuera, plus cela sera toujours plus net.

    La seconde Internationale est devenue l’aile gauche de la bourgeoisie, le parti co-gouvernemental. Cela exprime non seulement l’esprit social-traître de la social-démocratie, mais également le manque d’assurance de la situation de la bourgeoisie, qui est de là amené à saisir ce moyen. »

    Zinoviev critique ici le positionnement de deux figures importantes alors : le Polonais Karl Radek en Russie depuis 1917 et l’Allemand Heinrich Brandler.

    Et c’est également le moment où Eugen Varga commence à capituler et à imaginer une stabilisation prolongée du mode de production capitaliste, annonçant sa future conception du « capitalisme monopoliste d’Etat ». Sa remise en cause en découle.

    En fait, l’Internationale Communiste s’aperçoit qu’en bataillant lors des précédents congrès contre les gauchistes, pour avoir une perspective constructive (front unique, gouvernement ouvrier), cela a laissé des espaces béants à l’opportunisme dans les rangs communistes ainsi qu’aux prétentions social-démocrates à être au centre du jeu.

    Ce qui n’était qu’une tactique communiste, un esprit de quête d’unité pour mobiliser pour la lutte des classes, a été utilisée conceptuellement pour des convergences avec la social-démocratie. Cette tendance avait littéralement brisé de l’intérieur la tentative de soulèvement général en Allemagne en 1923, aboutissant à un échec complet.

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    de l’Internationale Communiste

  • Le cinquième congrès de l’Internationale Communiste: le premier congrès après Lénine

    Une série très longue de délégués d’entreprises soviétiques vint saluer dès le départ les congressistes du cinquième congrès, qui se tint à Moscou du 17 juin au 8 juillet 1924. C’était une affirmation importante, celle de la continuité. Lénine était mort en janvier et il s’agissait de souligner que l’élan ne cessait pas.

    Le grand communiste bulgare Dimitar Blagoev était également décédé et fut mentionné avec Lénine à l’ouverture du congrès, pour la traditionnelle salutation aux martyrs.

    Un rapport sur le léninisme et sur l’Internationale Communiste fut d’ailleurs lu, juste après la session d’ouverture, sur la place rouge, au niveau du mausolée provisoire pour Lénine, la version définitive étant réalisée en 1930.

    C’est Mikhaïl Kalinine qui s’en chargea, alors qu’après eurent lieu deux courtes interventions, de la part de représentants de l’Allemagne et de l’Inde. On a là un choix symbolique : la révolution mondiale est suspendue à la question allemande et à la question coloniale.

    Des délégués du 5e congrès

    La mise en perspective apparaissait en effet de manière bien différente désormais. Le puissant mouvement ouvrier italien a été écrasé par le fascisme. Le Parti français est important mais rempli de problèmes internes. La répression est brutale dans de nombreux pays, comme en Pologne où la jeunesse communiste de Pologne venait de voir ses membres condamnés à 477 années de travail forcé.

    Qui plus est, les opposants aux communistes dans le mouvement ouvrier, les sociaux-démocrates et les socialistes, maintenaient leurs positions. Tout devait aller très vite ; il était désormais clair que cela ne serait pas le cas. Zinoviev fut obligé de constater que :

    « Camarades ! Pour les premières cinq années de l’Internationale Communiste, nous devons remarquer que le mouvement ne s’est pas développé aussi rapidement que nous l’avons attendu. Rappelons nous de l’époque où Vladimir Illitch, un des esprits les plus brillants, était du point de vue que la victoire de la révolution prolétarienne dans tous les pays était une question de mois.

    Nous nous sommes trompés dans l’évaluation du rythme et là où il fallait compter en années, on a compté en mois. »

    Inversement, les Partis Communistes étaient passés par le baptême du feu et s’étaient maintenus, ils avaient même progressé. Ils étaient présents dans toute une série de pays. Voici la liste des pays ayant une délégation au cinquième congrès, avec le nombre de voix délibératives et de voix consultatives.

    URSS1172
    Allemagne4116
    France2313
    Tchécoslovaquie203
    Italie1712
    Pologne124
    États-Unis101
    Angleterre10/
    Norvège9/
    Suède7/
    Finlande62
    Yougoslavie51
    Roumanie42
    Autriche33
    Bulgarie31
    Espagne31
    Chine31
    Suisse3/
    Lituanie22
    Hollande21
    Estonie21
    Grèce21
    Turquie21
    Lettonie2/
    Canada2/
    Danemark2/
    Inde2/
    Java2/
    Perse2/
    Égypte1/
    Belgique1/
    Portugal1/
    Argentine1/
    Brésil1/
    Mexique1/
    Hongrie/2
    Mongolie/2
    Australie/1
    Irlande/1
    Islande/1
    Différents mandats individuels/7

    Cette liste importante de pays implique toutefois un véritable défi. Au cinquième congrès, les travaux d’Eugen Varga sur le déclin du mode de production capitaliste ont toujours cours.

    Cependant, étant donné que la situation se prolonge, elle s’approfondit en même temps et l’Internationale Communiste s’aperçoit qu’il va falloir étudier de manière toujours plus spécifique les situations de chaque section nationale.

    Or, il est un obstacle essentiel : la social-démocratie. Contre toute attente, celle-ci s’est maintenue.

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  • Les portraits du graveur Abraham Bosse: une vision d’ensemble

    La grande difficulté quand on réalise des portraits, c’est de faire en sorte que le tout forme une synthèse d’un moment bien précis, lié à une situation donnée et à une activité donnée. Ici, c’est le sentiment amoureux qui est exposé, dans toute son inquiétude, avec sa profondeur à la fois pour le sens – la femme regarde au loin, elle attend de la nature une réalité concrète – et pour l’intellect, le livre étant là comme prétexte à réaliser tout son être. On a ici une affirmation hautement civilisée des sentiments, et ici il est expliqué que la défiance et la crainte nuisent à la reconnaissance des sentiments…

    Ici, on a une dame avec un perroquet, mais sans le texte on ne comprend pas l’idée de miroir qui se propose ici. On peut en effet lire une complainte amoureuse :

    Jamais oiseau dans un boccage
    En chantant ne fit tant de bruit
    Qu’en fait celui-cy dans sa cage
    De la façon qu’il est instruit

    Il me cajole il me caresse
    Imitant le langage humain
    Même il m’appelle sa maîtresse
    Et s’en vient manger sur ma main

    Mais ô que je serois heureuse
    SI je pouvois par mon caquet,
    Flatter mon humeur amoureuse,
    Aussi bien que ce Perroquet.

    Cette expression amoureuse ne pourrait exister sans un haut niveau culturel. Abraham Bosse a notamment réalisé un document, dont on voit ici la couverture, présentant des nobles avec leurs vêtements, dans ce qui est finalement un manuel de bonnes manières concernant l’habillement.

    On a là des portraits somme toute classique dans leur forme, à part bien sûr encore et toujours cette dimension de mouvement, une dimension d’instatané, sorte de photographie typique avant l’heure. A chaque fois, on a un gros plan sur un individu, son costume.

    Abraham représente ici un piquier, membre des gardes françaises de l’époque.

    On a ici une allégorie intitulé La fortune de la France.

    Ici, on a pas moins que Le Français et son laquais.

    On a ici deux scènes très intéressantes, qu’il est certainement juste de comparer. On a en effet tout d’abord un bal, et ensuite des femmes à table sans leurs maris. Ce qui est frappant, c’est qu’on a la même tentative de montrer la réalité par un effet de profondeur, permettant de rendre particulièrement vivante la scène. Rien dans le portrait ne prend réellement le dessus, on a véritablement le typique qui est souligné ici.

    Les portraits suivants sont très importants. Ils forment ce qu’on appelle des oeuvres de miséricorde: donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, loger les pèlerins, visiter les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts.

    On retrouve la liste dans l’Évangile selon Matthieu:

    « Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, vous qui êtes bénis de mon Père; prenez possession du royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde.

    Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; j’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi.

    Les justes lui répondront: Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, et t’avons-nous donné à manger; ou avoir soif, et t’avons-nous donné à boire? Quand t’avons-nous vu étranger, et t’avons-nous recueilli; ou nu, et t’avons-nous vêtu?

    Quand t’avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous allés vers toi? Et le roi leur répondra: Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites. »

    Abraham Bosse était protestant, mais a réalisé des oeuvres également pour des ouvrages catholiques, mais il est évident que de toutes manières, il avait déjà une approche en soi tendant au réalisme, et que par conséquent la problématique religieuse s’effaçait déjà devant la portraitisation. Ce qu’on a déjà là, c’est une tentative de retranscrire la réalité de manière typique.

    Voici, pour conclure, l’infirmerie de l’hôpital de la charité de Paris. On retrouve de nouveau la profondeur comme axe servant à la représentation réaliste. Ce qu’on a, encore une fois c’est une vision d’ensemble.

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  • Les portraits du graveur Abraham Bosse: la vie, avec tous ses sens

    Capter la réalité à l’époque d’Abraham Bosse, c’est forcément réussir à saisir la complexité des costumes, les saveurs de l’habillement, qui plus est en mouvement. Voici une œuvre à la fois simpliste et charmante, comme une esquisse d’une réalité typique.

    L’œuvre suivante est plus complexe. Citons ici le critique d’art Antony Valabrègue (1844-1900), qui a réalisé un ouvrage sur les gravures d’Abraham Bosse, publié en 1892. Il n’y a fait qu’entrevoir la dimension formidable de Bosse, mais ses remarques sont parfois très pertinentes. Ici il présente la nature particulière de cette œuvre, et l’emploi du teme antithèse est admirablement bien trouvé pour caractériser la dynamique de l’œuvre:

    « Le 18 novembre 1633, Louis XIII rendit un décret par lequel il fut défendu aux sujets de Sa Majesté de porter « sur leur chemise, coulets, manchettes, coeffes et sur autre linge aucune découpure et broderie de fils d’or et d’argent, passements, dentelle, points coupés, des manufactures tant du dedans que de dehors le royaume ».

    Le Parlement, pour ajouter à l’effet du décret, désigna formellement certains objets, tels que « rabats et bas, mouchoirs et cravates ». Dès que la loi eut été publiée, l’abus du luxe dut disparaître. Ce fut, comme par enchantement, une transformation subite du monde de la cour ; une sorte de changement à vue se produisait de toutes parts.

    Abraham Bosse s’est inspiré de cet édit, pour en tirer une merveilleuse antithèse. Il nous fait voir le courtisan et la dame se conformant aux prescriptions royales et se dépouillant de leurs habits. Le courtisan fait emporter par son laquais les riches vêtements qu’il a quittés, et il apparaît vêtu d’un pourpoint court aux manches fendues, qui n’est rehaussé d’aucune broderie, et que ferme une garniture de boutons. Son haut-de-chausses, simplement taillé, ne porte plus le moindre nœud de rubans. »

    Il est intéressant de comparer cette dernière œuvre à la suivante, montrant un simple valet de chambre. Le commentaire en-dessous, représentant le point de vue du valet de chambre, témoigne de son regard critique sur son maître: il explique que son maître est très content de l’édit, car il est avare. Et justement il va mettre les habits dans un coffre, au dépit du valet qui eut aimé les récupérer…

    Voici une œuvre, d’intérêt plus secondaire, mais témoignant de l’intérêt d’Abraham Bosse à saisir la réalité dans son ensemble, d’une manière typique.

    Si René Descartes se fait l’héraut du compromis entre bourgeoisie et féodalisme, avec son rejet complet des cinq sens accompagné d’un éloge de l’activité pratique, chez Abraham Bosse on trouve, heureusement, la reconnaissance matérialiste de la réalité complexe des sens. A chaque fois, ceux-ci sont présentés dans une situation typique.

    Voici tout d’abord l’ouïe. L’arrière-plan des combats semble participer au tumulte musical; on notera également l’importance accordée au chant, tout à fait significatif de la reconnaissance de l’engagement individuel dans une activité complète assumée en tant que tel (dans l’esprit protestant).

    Voici ici la vue, avec une admirable opposition dialectique entre le reflet égocentrique et l’étude de la vie réelle, avec la personne utilisant une longue-vue en arrière-plan.

    Voici ici l’odorat, avec naturellement l’éloge des jardins. Il est intéressant ici encore une fois de voir la dimension dialectique : il y a une opposition entre le caractère absolument formel, géométrique des jardins à la française, et la personne qui sent une fleur au premier plan, faisant passer les sens au premier plan, à l’opposé du plaisir formel censé être principal dans le jardin à la française.

    Voici le goût ; l’arrière-plan témoigne d’un goût pour le raffiné, avec des figures orientales présentes sur la tapisserie. On admirera d’autant plus que le repas est d’une sobriété dans la forme, dans l’esprit du raffinement, à l’opposé du gueuleton valorisé de manière irrationnelle et formelle.

    Enfin, le chien n’est heureusement pas oublié, il est même au premier plan, dans une pleine reconnaissance de la dignité du réel. Lui aussi éprouve le goût, tout comme nous.

    Enfin, on a le toucher, présentée ici sans vulgarité. Dans l’esprit protestant, on a à la fois d’un côté le lit qui attend le couple, et de l’autre l’église en arrière-plan, qui annonce le mariage. La sensualité se voit reconnue, et conférée une dimension spirituelle. Il y a ici quelque chose de très fort.

    Dans un esprit naturel très proche, voici le cycle des saisons. Le printemps est présenté dans toute sa douceur, avec une promesse d’amour.

    L’été est présenté dans un cadre agréable, à la fois aristocrate mais également voire surtout dans un esprit plaisant : on est à l’aise.

    Inversement, de manière dialectique, l’automne apporte la discorde.

    Quant à l’hiver, il oblige à un esprit collectif, en attendant le retour de la vie.

    Voici une œuvre présentant les quatre saisons de manière générale.

    Pour conclure, voici des présentations des quatre éléments fondamentaux selon de nombreux philosophes grecs de l’antiquité. L’intérêt est moindre, mais on y reconnaît systématiquement la dimension vivante du portrait. Rien n’est figé, on évite toujours le formalisme. La vie est reconnue, avec tous ses sens.

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  • Les portraits du graveur Abraham Bosse: les artistes

    Le XVIIe siècle est l’avènement d’une nouvelle couche sociale qui a commencé à apparaître véritablement au XVIe siècle avec l’humanisme d’un côté, la Renaissance de l’autre: celle des artistes. A la base ce sont des artisans, qui se sont spécialisés et ont atteint un niveau élevé de connaissances et de savoir-faire, et qui ont été intégrés dans l’idéologie dominante. Les arts et les lettres ont ainsi un double aspect, cependant ce qui triomphe à cette époque c’est aussi parfois le réalisme, parce que la bourgeoisie apparaît déjà comme classe rationnelle, exigeant un regard objectif sur le monde.

    La négation de ce regard objectif, même si relatif car propre à une époque donnée (par opposition à la classe ouvrière dont c’est le caractère même), est une erreur à éviter absolument. Il est intéressant de voir ici comment Abrahm Bosse présente cette couche sociale que sont les artistes, quels aspects il en souligne, alors que lui-même en fait partie.

    Voici le sculpteur dans son atelier. Ce qui frappe, c’est qu’on voit de nombreux travaux en arrière-plan, par opposition au modèle présenté au premier plan. Ce qui est ici souligné, c’est l’activité en continu de l’artiste: Abraham Bosse ne défend pas un beau idéal, mais le travail pour progresser.

    On a ici le même cas de figure avec le peintre.

    Ici, on a des acteurs à l’hôtel de Bourgogne. Ce sont des farceurs formant un trio très fameux; on a notamment Gaultier-Garguille (troisième en partant de la gauche), surnom de Hugues Guéru (1573-1633), Gros-Guillaume (3e en partant de la droite), surnom de Robert Guérin (1554-1634), et enfin Turlupin, le second en partant de la gauche, surnom de Henri Legrand (1587-1637). On est là dans des farces très célèbres alors, qui sont réalisées comme prolongement de la commedia dell’arte italienne.

    On a ici un musicien, dont l’expression est saisi sur le vif, dans une tentative d’en retranscrire le typique, avec le luth qui se lamente en raison du mal (d’amour) ressenti par le musicien.

    On a ici la même chose avec un peintre, ici encore avec une affirmation sentimentale:

    C’est à bon droit que ma peinture
    Ne représente que l’amour
    Puisque dans le coeur nuit et jour
    Je ressens sa douce pointure

    L’ œuvre, enfin, qu’on a ici est bien plus élaboré, ce qui est logique puisqu’on voit des graveurs, Abraham Bosse lui-même en étant un et ayant joué un rôle historique dans cette activité. Ce qui compte ici, c’est bien sûr la méticulosité.

    On retrouve une atmosphère studieuse, on reconnaît l’intensité de la concentration des graveurs, tandis qu’en arrière-plan on a des connaisseurs appréciant les œuvres faites.

    On a ici une reconnaissance du travail, exposé dans toute sa dignité. Abraham Bosse est bien un maître du portrait ; c’est une figure nationale française.

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  • Les portraits du graveur Abraham Bosse: sur le vif

    Voici une oeuvre d’une extrême importance, montrant la galerie du palais de justice.

    Cette galerie commerciale avait à l’époque une importance immense, tant pour se procurer l’habillement propre aux classes dominantes, que pour s’y fournir en ouvrages dans les multiples librairies.

    Voici comment le critique d’art Antony Valabrègue décrit cette scène dans la gravure d’Abraham Bosse :

    Une de ces comédies, la Galerie du Palais, jouée en 1634, sans être un des chefs-d’œuvre de l’illustre auteur du Cid, nous offre, dans plusieurs passages, des documents extrêmement précieux sur les mœurs du commencement du XVIIe siècle. Or, par une coïncidence qui peut s’expliquer par le succès même de cette œuvre, Abraham Bosse nous a donné une gravure qui semble compléter la pièce de Corneille. Un parallèle piquant va ainsi nous être offert entre le poète et le graveur.

    Située au milieu de la Cité, à côté du Palais de Justice, la Galerie du Palais, qu’on appelait aussi la Galerie du Palais-Marchand, était en plein dans le grand mouvement de circulation qui avait lieu à cette époque, entre les deux rives de la Seine. Elle était devenue, à partir du règne de Henri IV, comme un centre vivant et animé.

    Tout change vite dans une capitale : Richelieu fit construire le Palais-Cardinal, et la nouvelle galerie, qui fut construite aux abords, et qui devait plus tard, en s’étendant, prendre le nom de Palais-Royal, remplaça, dans la faveur du public, celle du Palais. Quoi qu’il en soit, pour revenir à la Galerie qui nous occupe, elle n’avait, sous Louis XIII, qu’une concurrence à craindre, celle de la place Royale.

    L’historien de Paris, Sauvai, est tellement émerveillé de cette place qu’il déclare que rien de pareil n’existait dans l’ancienne Rome. Il aurait pu en dire autant de la Galerie du Palais, dont l’aspect était fort original. Elle était garnie de boutiques de bois, contiguës les unes aux autres, et dans lesquelles étaient disposés les objets de luxe, les nouvelles modes, les chefs-d’œuvre de l’industrie, dentelles et bijoux. Elle était, en outre, occupée par les libraires, qui y tenaient, eux aussi, leurs nouveautés.

    Messieurs, je fais des livres;
    On les vend au Palais

    avait dit Régnier, dans sa deuxième satire. Ce quartier avait été spécialement dévolu aux libraires, par ordonnance royale. Plusieurs même avaient leur étalage jusque sur les degrés de la Sainte-Chapelle.

    Dans sa gravure, Abraham Bosse représente trois boutiques, lingerie, mercerie et librairie. Un gentilhomme s’est arrêté pour considérer les livres nouveaux; la femme du libraire lui présente la Marianne, la comédie de Desmarets, pendant que le Barbin au petit pied lui murmure avec complaisance l’éloge de l’ouvrage. D’autres livres sont étalés, çà et là, sur le tapis fleurdelisé qui couvre le comptoir du marchand.

    Auprès de la boutique du mercier, un cavalier et une dame examinent des éventails; le marchand saisit une boîte où on lit ces mots : Eventails de Bosse. Un gentilhomme et sa femme passent rapidement devant la troisième boutique, qui paraît abandonnée. La lingère en mauvaise humeur déploie, en effet, inutilement une pièce de linge brodé, et pendant que son mari refait mélancoliquement ses paquets, elle se plaint des chicaneurs qui encombrent la galerie et éloignent les chalands.

    La Galerie du Palais était, comme tout endroit très fréquenté, un lieu de rendez-vous et de rencontres. Nous nous en doutons bien un peu, pendant que nous lisons les vers explicatifs, jetés au bas de la gravure d’Abraham Bosse :

    Tout ce que l’art humain a jamais inventé
    Pour mieux charmer les sens par la galanterie,
    Et tout ce qu’ont d’appas la grâce et la beauté
    Se découvre à nos yeux dans cette galerie.

    Ici, les cavaliers les plus adventureux
    En lisant les romans s’animent à combattre,
    Et de leurs passions les amants langoureux
    Flattent les mouvements par des vers de théâtre.

    Ici, faisant semblant d’admirer devant tous
    Des gants, des éventails, des rubans, des dentelles,
    Les adroits courtisans se donnent rendez-vous,
    Et, pour se faire aimer, galaniisent les belles

    Les personnages que Corneille a mis en scène présentent, chose curieuse, de notables ressemblances avec ceux qui sont reproduits par Abraham Bosse. Laissons de côté l’intrigue de cette pièce, qui n’offre pour nous qu’un intérêt restreint. Après avoir vu passer les galants seigneurs, les dames de qualité qui fréquentent la galerie, nous entendons le dialogue des marchands dans leurs boutiques :

    LA LINGÈRE

    Vous avez fort la presse à ce livre nouveau,
    C’est pour vous faire riche.

    Nous avons, dans l’œuvre d’Abraham Bosse, la gravure, très caractéristique et très remarquable au reste, d’un éventail où l’artiste a rappelé les principaux motifs de sa suite allégorique, les Quatre Ages. Le fécond graveur aurait été bien capable, à l’occasion, de dessiner des modèles pour une industrie de luxe. Il n’oubliait pas de se faire, dans cette composition, une sorte de réclame, comme nous dirions aujourd’hui.  

    Voici ici une scène de la vie à l’intérieur d’une maison, et c’est très important : Abraham Bosse ne représente pas le mariage à l’Eglise ni la vie abstraite ; il souligne toujours les traits de la vie la plus concrète.

    En ce sens, il est, tout à fait dans l’esprit protestant, un portraitiste de la vie intérieure, à la fois à l’intérieur des maisons mais également de la vie intérieure de la psychologie des gens agissant, d’où les portraits d’activités. C’est éminemment du réalisme dans sa substance même.

    Cette scène où un mari bat sa femme reflète bien le côté barbare de la chose, l’absence de raison, la brutalité à la fois futile et source de douleurs.

    Ces deux scènes de l’enfance sont d’une grande finesse de par leur manière d’induire le mouvement dans la mise en perspective d’une scène commune.

    Pour conclure, voici des fumeurs représentés par Araham Bosse, dans une scène qui si elle est traditionnelle, n’en est pas moins une représentation intéressante, surtout en ce qui concerne l’attitude des fumeurs eux-mêmes. Arbaham Bosse sait saisir sur le vif, en conservant la substance, la dignité de la situation concrète.

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  • Les portraits du graveur Abraham Bosse: les métiers

    L’immense qualité d’Abraham Bosse tient, bien entendu, dans sa capacité à refléter de manière typique le peuple travailleur. Le sens du détail, la fidélité à l’esprit de l’action, la complexité synthétique de la représentation, tout cela fait qu’Abraham Bosse est une immense figure de notre peuple.

    Il n’est guère surprenant que le triomphe de la monarchie absolue l’ait fait disparaître, et que la course au capitalisme tendanciellement présente dans les Lumières ait fait qu’on ait pas pu le retrouver, mais comme avec les frères Le Nain, il y a ici un monument de la culture nationale réelle.

    Rien, par exemple, que la manière de se tenir du barbier montre le titanesque savoir-faire d’Abraham Bosse, sa capacité à cerner les multiples aspects de la réalité.

    Ici, nous avons affaire au cordonnier, et les difficultés de ce travail, eu égard à une clientèle exigeante et autoritaire, saute aux yeux.

    Voici deux représentations que l’on doit appeler fameuses : nous avons un maître d’école et une maîtresse d’école, dans le cadre de leurs activités. Toute une époque est ici montrée, et comment ne pas voir une représentation dialectique de par l’opposition du rythme de chaque scène, issue de la non-mixité des cours et de leur différence de contenus?

    Voici d’autres représentations absolument typiques, d’un réalisme éclatant, montrant à la fois le mouvement et la réalité sociale des activités.

    A l’opposé des oeuvres précédentes, Abraham Bosse nous montre ici encore des métiers, mais avec le protagoniste comme pris en photographie alors qu’il est en déplacement. La dimension errante des emplois qui sont présentés ici est parfaitement soulignée.

    Abraham Bosse a apporté un témoignage réaliste d’une qualité extrême: il fait partie des meilleures figures de notre peuple.  

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  • Les portraits du graveur Abraham Bosse: le mariage typique

    Qui dit portrait dit, naturellement, représentation de scènes de la vie courante, dans ce qu’elle a de plus typique. La différence entre le portrait formel et le portrait authentique, c’est que ce dernier capte toute la complexité du réel.

    Le portrait authentique synthétise en tenant bien compte de tous les aspects. En ce sens, la représentation de l’accouchement est ici d’une très grande valeur; elle est une véritable photographie d’un moment, non plus personnel, mais de dimension historique.

    On est précipité dans un moment concret, avec toutes les caractéristiques d’une époque, en pleine reconnaissance de la réalité propre à chaque personne participant ici à l’accouchement ; les objets de l’environnement participent totalement à la représentation.

    L’œuvre suivante présente la visite à l’accouchée, consistant en un moment à la fois convivial et sans prétention, et forcément pour autant chargé d’émotions. Ici, encore une fois, l’aspect dynamique, dialectique de la situation, est parfaitement représenté.

    Qui dit accouchement dit, dans l’ordre naturel des choses, qu’il y a un couple. Voyons les admirables détails de la vie quotidienne tels qu’Abraham Bosse a su nous les représenter.

    La scène suivante représente, de manière typique et également critique, la signature du contrat de mariage. On a ici d’un côté la dimension lourdement juridique, avec l’officier public appelée le tabellion qui rédige le contrat sous la supervision des parents. Est ici souligné la réalité pratique des mariages, où les parents organisent et décident en théorie de tout dans l’esprit du Moyen Âge, mais déjà avec une dimension moderne qui se révèle.

    On a ici les deux personnes devant se marier qui sont présentes sur le côté, indifférentes en pratique à la signature, et formant un couple clairement amoureux. On peut ainsi lire dans le texte sous la gravure :

    – Est-il bien possible, Sylvie,
    Qu’aujourd’huy me donnant ta foi,
    Tu brûles de la même envie
    Que j’ai de n’aimer bien que toi ?
    – Cher Damon, pour qui je soupire,
    Je te jure qu’à l’avenir
    Je veux vivre sous ton empire,
    Et mourir dans ton souvenir.

    Dans l’œuvre suivante, les nouveaux mariés sont accompagnés chez eux, et c’est l’heure où ils vont se retrouver seuls. L’importance accordée au mariage, avec la présence des amis, est ici parfaitement représentée, notamment dans l’aspect contradictoire intimité du couple / participation à la vie sociale.

    La scène suivante nous place ici exactement au lendemain du mariage. L’œuvre représente une coutume, datant du Moyen Âge, consistant à apporter aux nouveaux mariés une soupe de vin sucré. On retrouve ici un caractère festif et populaire, tout en conservant une dimension intimiste, dans le paradoxe d’une venue amicale où deux amis sont de tout de même déguisés et faisant du boucan pour annoncer l’arrivée du petit cortège. 

    Ici, on a les cadeaux de mariage, consistant naturellement en des objets ayant une utilité pratique dans la vie quotidienne. On a un pot à lait, un vase de cuivre, une grande toile ; sous l’œuvre on peut lire une succession de paroles accompagnant les dons.

    Cette toille, large d’une aulne,
    Possible vous agre’era,
    Et si vous la trouvez trop jaune,
    La laissive la blanchira.

    On a également:

    Ma bonne sœur, soyez contente
    De cet excellent pot à laict,
    Et gardez-le bien, s’il vous plaist.
    Puisqu’il vient de feu nostre tante.

    On a enfin:

    Recevez, ma chère voisine,
    Ce beau pot de cuivre tout neuf.
    On y ferait bien cuire un bœuf,
    Tant il est bon pour la cuisine.

    Concluons enfin sur une fête, où est présent un couple. L’ordre dans le désordre, la vie intime dans la vie sociale vivante, voilà encore un aspect dialectique où l’on voit qu’Abraham Bosse a parfaitement saisi la nature du moment, dans toute sa complexité.

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  • Les portraits du graveur Abraham Bosse comme réalisme en action

    Les 1600 gravures d’Abraham Bosse n’ont cessé, depuis leur réalisation au XVIIe siècle, d’être appréciés dans notre pays. La raison en est qu’Abraham Bosse est un portraitiste de très haut niveau, profitant de la vague de réalisme apporté par la bourgeoisie alors.

    Son père est en effet un tailleur protestant venant d’Allemagne, tandis que son apprentissage se fait chez Melchior II Tavernier, originaire d’Anvers. Lui-même était calviniste, et cet esprit pratique se retrouve dans son œuvre Traité des manieres de graver en taille douce sur l’airain par le moyen des eaux fortes et des vernix durs et mols, qui est pas moins que le premier manuel technique de gravure.

    La Bibliothèque Nationale de France, qui lui a consacré une exposition, est de fait obligé de constater que « Ce sont les sujets représentant des scènes des métiers et de la vie quotidienne qui rendent le mieux compte de l’originalité de son talent. »

    Abraham Bosse est un portraitiste, une figure qu’il faut placer dans la lignée de Jean Racine et Honoré de Balzac, des frères Le Nain. Il a d’ailleurs combattu la position du peintre et décorateur Charles Le Brun et du dessinateur et graveur Grégoire Huret, qui revendiquaient la quête d’un « beau idéal » par ailleurs totalement inféodé à la religion catholique et son esthétique baroque.

    La bataille d’Abraham Bosse contre Charles Le Brun et Grégoire Huret fut celle du réalisme contre le formalisme, et il en paiera le prix, le régime privilégiant naturellement Charles Le Brun, Abraham Bosse étant exclu en 1661 de l’Académie royale de peinture et de sculpture fondée en 1651 par Mazarin, qu’il avait rejoint à l’initial.

    Les polémiques furent nombreuses dans ce cas (accusations de plagiat, etc.), et en 1665 Abraham Bosse publia le Traité des pratiques géométrales et perspectives enseignées dans l’Académie royale de la peinture et sculpture ; cependant, il est évident qu’il y a ici un formidable arrière-plan consistant en une bataille idéologique de gigantesque importance, que les commentateurs bourgeois n’ont jamais pu être en mesure de voir.

    Par souci de réalisme, Abraham Bosse ne cessa de perfectionner ses techniques, profitant notamment des travaux et de l’architecte et géomètre Girard Desargues (1591-1661) ; il publia d’ailleurs des ouvrages concernant la technique qui eurent un important retentissement, bien plus que ses oeuvres mises de côté par l’idéologie dominante :

    – La manière universelle de M. des Argues Lyonnois pour poser l’essieu & placer les heures & autres choses aux cadrans au Soleil (1643),

    – La pratique du trait à preuve de M. des Argues Lyonnois pour la coupe des pierres en Architecture (1643),

    – De la manière de graver à l’eaux-forte et au burin (1645),

    – Traité des manières de graver en taille douce sur l’airin par le moyen des eaux-fortes (1645),

    – Manière universelle de M. des Argues pour pratiquer la perspective par petit-pied comme le géométral (1648).

    Le mendiant

    Abraham Bosse est un immense artiste dont la valeur, encore une fois, ne peut être comprise en tant que tel qu’à la lumière du matérialisme dialectique. Son réalisme sera, du point de vue des commentateurs bourgeois, considéré comme efficace mais finalement anecdotique, et ses thèmes seront résumés à du pittoresque.

    En réalité, avec Abraham Bosse, on a une figure titanesque du réalisme, dans ses représentations de la vie quotidienne, du peuple travailleur, de l’esprit propre à une époque.

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  • L’expérimentation animale et l’étape idéaliste-naturaliste de l’idéologie empiriste devenue réactionnaire

    La bourgeoisie triomphante en France, mais devant encore briser la féodalité, porta aux nues deux bouchers qui firent de la vivisection l’alpha et l’oméga de la connaissance en physiologie : François Magendie (1783–1855) et son disciple Claude Bernard (1813-1878).

    Le mot d’ordre de François Magendie – « supposons que rien n’est fait et que tout est à faire » – exprime parfaitement une démarche cynique et sordide au plus haut degré. Il n’y a aucune limite, il faut essayer tout dans toutes les directions pour s’approprier encore plus le monde. François Magendie est le reflet le plus direct d’une bourgeoisie n’ayant qu’une hâte : finir le travail de prise de possession de l’ensemble de la société.

    La vision du monde est vitaliste, farouchement anti-intellectuelle :

    «  Il ne s’agit pas d’avoir des idées, de créer des suppositions. À l’expérience seule appartient le privilège de dire quelque chose. »

    Dans le Précis élémentaire de physiologie, il oppose de la manière suivante les deux approches (et qui correspondent en fait à l’approche religieuse et l’approche empirio-criticiste) :

    « Chaque science naturelle peut exister sous deux formes différentes, 1° la systématique ; 2° la théorique.

    Sous la forme systématique, la science a pour fondement quelques suppositions gratuites, quelques principes établis à priori auxquels on rattache les faits connus, de manière à les expliquer. Un nouveau phénomène est-il découvert ?

    S’il ne s’accorde pas avec le principe fondamental, on modifie celui-ci jusqu’à ce qu’il fournisse une explication qui plaise : si les savants se livrent à des travaux d’expérience, c’est toujours avec l’intention de confirmer le système adopté : tout ce qui pourrait tendre à le renverser est négligé, ou n’est pas aperçu ; on cherche ce qui doit être et non ce qui est ; enfin on suit entièrement la marche synthétique, dans laquelle on descend des hypothèses aux faits, sans s’élever à aucune de ces conséquences générales que l’on doit avoir surtout en vue dans la recherche de la vérité.

    Il est presque impossible qu’en conservant cette forme, une science naturelle fasse des progrès réels.

    La forme théorique que peuvent présenter les sciences naturelles, est entièrement opposée à celle dont nous venons de parler.

    Sous cette forme, les faits, les faits seuls, servent de fondement à la science ; les savants s’attachent à les bien constater, à les multiplier autant qu’il est possible ; ensuite ils étudient les rapports que les phénomènes ont entre eux et les lois auxquelles ils sont assujettis.

    Quand on se livre à des recherches expérimentales, c’est pour augmenter la somme des faits connus, ou pour, découvrir leur liaison réciproque ; en un mot on suit la marche analytique, la seule qui conduise directement au vrai.

    En suivant cette méthode, les sciences s’accroissent, sinon rapidement, du moins sûrement, et l’on peut espérer de les voir approcher de la perfection. »

    « Augmenter la somme des faits connus », c’est exactement le point de vue de son disciple Claude Bernard, qui se fera quitter par sa femme horrifiée, Marie Françoise Bernard, qui donnera naissance au premier mouvement anti-vivisection en France.

    La différence entre François Magendie et Claude Bernard est toutefois que le premier était un forcené sans aucun repère, alors que le second effectuait tout de même un plan de recherche.

    Claude Bernard fut une figure incontournable en France, en tant que membre de l’Institut de France et de l’Académie de médecine, Professeur de médecine au Collège de France, Professeur de physiologie générale au Muséum d’histoire naturelle, etc. Il apporta la vision « naturaliste » nécessaire à la bourgeoisie.

    Il faut ici rappeler que le naturalisme n’est pas du tout le prolongement du réalisme et que, d’ailleurs, les écrivains et peintres naturalistes sombreront souvent dans le décadentisme, preuve de leur caractère réactionnaire dans sa substance même.

    Claude Bernard, dans ses Leçons sur la chaleur animale sur les effets de la chaleur et sur la fièvre, datant de 1876, présente ce qu’est la science de la manière suivante :

    « La médecine, ainsi que toute science, peut être envisagée par ceux qui la cultivent à deux points de vue : ou bien on se contente d’observer les phénomènes, d’en constater les lois, ou bien on se propose de les expliquer et d’en dévoiler le mécanisme à l’aide d’expériences.

    Il y a donc une médecine d’observation, et, si vous me permettez le mot, une médecine d’explication expérimentale. C’est cette dernière que nous revendiquons comme le domaine de cette chaire. »

    On retrouve là le principe de l’empirisme, sauf que Claude Bernard pose un élément en plus : l’observation précède l’expérience.

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    On n’est plus dans la reconnaissance de la dignité du réel, qu’on veut faire parler quitte à le torturer. On est dans une approche qui voit et qui essaie afin de conquérir du terrain. C’est conforme à la vision du monde devenue réactionnaire.

    On a, pour cette raison, une conception isolationniste des phénomènes. Claude Bernard, dans le même ouvrage, est explicite à ce sujet :

    « La conception de Descartes domine la physiologie moderne. « Les êtres vivants sont des mécanismes. »

    La cause immédiate des phénomènes de la vie ne doit pas être poursuivie dans un principe ou dans une force vitale quelconque. Il ne faut pas la chercher dans la psyché de Pythagore, dans l’âme physiologique d’Hippocrate, dans la pneuma d’Athénée, dans l’archée de Paracelse, dans l’anima de Stahl, dans le principe vital de Barthez.

    Ce sont là autant d’êtres imaginaires et insaisissables (…).

    Il ne serait pas exact de dire que nous vivons dans le monde extérieur. En réalité, je ne saurais trop le répéter, nous n’avons pas de contact direct avec lui, nous n’y vivons pas. Notre existence ne s’accomplit pas dans l’air, pas plus que celle du poisson ne s’accomplit dans l’eau ou celle du ver dans le sable.

    L’atmosphère, les eaux, la terre, sont bien les milieux où se meuvent le animaux, mais le milieu cosmique reste sans contact et sans rapports immédiats avec nos éléments doués de vie. La vérité est que nous vivons dans notre sang, dans notre milieu intérieur. »

    Cette démarche est, au sens strict, le contraire exact de la démarche aboutissant à la découverte du principe de Biosphère par Vladimir Vernadsky. Ce dernier était un bourgeois, mais la Russie était profondément en retard et la bourgeoisie portait encore un aspect démocratique – progresssiste. Le principe « isolationniste » ne prédominait ainsi pas encore.

    Chez Claude Bernard, l’approche « isolationniste » va alors aboutir à toutes les expériences possibles et imaginables afin d’avoir une sorte de panorama de données. On a déjà le principe du big data comme méthode explicative.

    Le big data n’est en effet nullement l’observation des données, c’est également des poussées, des expériences pour voir comment il y a des « réactions », ce qui est autant de données en plus, différentes, sources de pseudos explications.

    Avec Claude Bernard, on a ainsi des actions de boucher sur tel ou tel élément, pour voir ce que cela donne avec des modifications légères à chaque fois (un lapin échauffé jusqu’à la mort, un lapin recouvert d’huile échauffé jusqu’à la mort, etc.), afin de compiler le tout et d’avoir un panorama du phénomène. Il faut tout essayer, de manière mécanique : c’est un empirio-criticisme, un empirisme critique, qui refuse toute certitude.

    Claude Bernard procède ainsi, comme il le raconte dans son ouvrage, à l’expérience à la fois absurde et meurtrière suivante :

    « Si l’on place dans une étuve sèche à 60 ou 80 degrés deux lapins, – l’un vivant, l’autre mort mais encore chaud et venant d’être sacrifié par la section du bulbe rachidien, – on constate que les deux lapins s’échauffent inégalement ; l’animal vivant s’échauffe bien plus rapidement que l’animal mort placé dans les mêmes conditions. »

    C’est tout à fait exemplaire de la quête de données pour les données. Ce n’est pas la vérité qui est recherchée, ce sont les données qui permettront de « lire » une prétendue vérité. On l’aura compris, le monde est compris comme statique, fait de briques et il s’agit d’en faire le catalogue de toutes les variantes.

    L’expérimentateur est ainsi avant tout un observateur – alors que Claude Bernard prétendait dépasser l’observation. C’est là la clef montrant l’inanité des prétentions de l’étape idéaliste-naturaliste de l’idéologie empiriste. Voici une illustration des écrits d’observation faits par Claude Bernard, tirés du même ouvrage :

    « Dans l’étuve, nous plaçons un moineau ; la température est d’environ 65 degrés. Au bout d’un instant, nous voyons l’animal ouvrir le bec, manifester une anxiété qui devient de plus en plus vive, respirer tumultueusement ; enfin, après un instant d’agitation, il tombe et meurt. Son séjour dans l’étuve a duré quatre minutes. (…)

    Nous faisons la même expérience sur un lapin : la même série de phénomènes se déroule, avec plus de lenteur il est vrai, car il ne meurt qu’au bout de vingt minutes environ (…).

    Engourdissons par le froid une grenouille sur laquelle le sternum enlevé permet d’apercevoir le cœur à nu. Les battements sont très ralentis ; alors plongeons un des membres postérieurs de l’animal dans l’eau tiède, presque instantanément une accélération se manifeste dans les battements du cœur (…).

    Quand on opère sur des animaux dans l’état ordinaire, qui ne sont ni contenus par le curare, ni anesthésiés par le chloroforme, le premier effet des atteintes de la douleur est toujours de provoquer une sorte de réaction de sensibilité, réaction qui se traduit par une paralysie instantanée des nerfs vaso-moteurs, avec dilatation des vaisseaux périphériques et chaleur ; puis des mouvements violents apparaissent sur le sujet en expérience : l’animal se débat, il résiste, il essaie de s’échapper.

    De là des contractions musculaires qui sont encore une source puissante de calorique. A cette première période d’agitation, à laquelle correspond l’élévation de température du début, succèdent bientôt les effets propres de la douleur ; on voit alors la température s’abaisser d’une façon définitive et descendre au-dessous du niveau naturel. »

    Il y a bien deux étapes idéalistes-naturalistes : une qui fait avec les moyens du bord et l’autre qui systématise l’immédiatisme pour l’accumulation de données individuelles et qui correspond à la vision bourgeoise du monde. Claude Bernard sera le premier scientifique à avoir des funérailles nationales.

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  • L’expérimentation animale et l’étape matérialiste immédiatiste de l’idéologie empiriste progressiste

    Le culte de l’expérience comme valeur en soi, l’empirisme, relève initialement d’un matérialisme qui, à son apparition, a la dignité de se révolter contre la féodalité et ses abstractions religieuses. C’est un matérialisme sensualiste, qui va dans la logique de l’athéisme, de la reconnaissance de la nature.

    Il est souvent expliqué dans la littérature bourgeoise que l’empirisme est une révolte contre la scolastique catholique et contre Aristote, les deux étant assimilés. C’est une erreur complète. La philosophie d’Aristote est matérialiste, elle reconnaît toute sa valeur à l’expérience. Ce contre quoi les empiristes se sont révoltés, c’est contre l’interprétation catholique faite d’Aristote, avec notamment Thomas d’Aquin.

    La religion était un obstacle fondamental à la science, le catholicisme n’utilisait Aristote que pour contrer celui-ci, de l’intérieur pour ainsi dire. Le courant de Thomas d’Aquin n’a par ailleurs jamais représenté qu’un courant du catholicisme, l’autre s’appuyant sur l’idéalisme complet d’Augustin.

    Les avancées humaines, avec l’élévation des forces productives, ont permis de bousculer la religion et ensuite de la dépasser. Le progrès en termes de civilisation a notamment permis le développement de la médecine, une démarche tout à fait concrète.

    La première grande figure est le Flamand André Vésale (1514–1564) qui le premier amène le dépassement de l’œuvre de Galien de Pergame (129-216) par la confrontation au réel, notamment avec la dissection.

    Portrait d’André Vésale dans son ouvrage De humani corporis fabrica, 1543

    La vivisection commence alors à s’employer, notamment avec l’Italien Realdo Colombo (1516–1559), son disciple Hieronymus Fabricius (1533-1619), qui lui-même fut le professeur de l’Anglais William Harvey (1578-1657), auteur d’un important ouvrage sur la circulation sanguine, Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus (Exercice anatomique sur le mouvement du cœur et du sang chez les animaux).

    L’humaniste Francis Bacon (1561–1626) théorise alors l’empirisme : apprendre, c’est faire parler les choses, les faire révéler leur dynamique interne. Dieu a créé le monde – même si ici le Dieu est très proche de celui de Spinoza et est en fait Nature – et on peut se l’approprier en redécouvrant ses propriétés qui parlent pour ainsi dire d’elles-mêmes lorsqu’on travaille sur elles.

    Portrait de Francis Bacon par Paul van Somer, 1617

    On trouve une vision strictement parallèle avec deux philosophes français, pour le coup anti-Nature, René Descartes (1596-1650) et Nicolas Malebranche (1638-1715), qui bien que tournés vers la spiritualité, reconnaissent une organisation figée du monde, tous deux considérant que les animaux sont des automates.

    Pour résumer sommairement, avec la religion on avait une science produisant par déduction en s’appuyant sur des principes abstraits, tandis que désormais on a l’induction : on généralise les observations, on les systématise.

    Toute une série de penseurs se lance alors dans de multiples domaines, notamment à travers ce qu’on appellera le groupe d’Oxford. L’immense chercheur multi-domaines Robert Hooke (1635–1703) découvre notamment ce qu’est une cellule, le philosophe John Locke (1632–1704) résume l’esprit humain à une sorte de mécanique accumulatrice d’expériences, le médecin John Mayow (1641–1679) étudie l’air, tout comme le chimiste Robert Boyle (1627–1691).

    Une Expérience sur un oiseau dans une pompe à air, peinture de Joseph Wright of Derby représentant une expérience se fondant sur le travail de Robert Boyle

    Le médecin Richard Lower (1631–1691) étudie la circulation sanguine dans son rapport avec la physiologie cardiaque, le médecin Thomas Willis (1621–1675) étudie la neuroanatomie, Christopher Wren (1632–1723) se tourne vers l’anatomie, la géométrie, l’astronomie.

    On est ici dans un foisonnement expérimental permis par un contexte radicalement nouveau où la bourgeoisie prône la connaissance, l’activité scientifique, les recherches pour faire avancer les forces productives.

    Christopher Wren

    Le Français Jean Riolan (1577-1657) et l’Irlandais Edmund O’Meara (1614–1681) s’opposèrent à la vivisection, arguant que les conditions faussaient la valeur de l’expérience, mais ils ne faisaient en réalité que chercher à protéger les conceptions anciennes.

    On doit considérer les expériences de cette époque comme l’expression, inévitable, d’un matérialisme immédiatiste, empirique, élémentaire, inductionniste.

    D’ailleurs, le savant britannique Stephen Hales (1677–1761) et le Suisse Albrecht von Haller (1708–1777) – ce dernier découvrant le rôle des nerfs dans la sensibilité – regrettaient leur propre pratique de la vivisection, qu’ils excusaient en raison de la découverte de processus physiologiques inaccessibles sinon.

    La situation devient totalement différente après la révolution française et la grande offensive de la bourgeoisie. La méthode expérimentale va être systématisée sans état d’âme, comme pour chercher à tout prix à prolonger l’élan initial, de manière mécanique.

    Les deux principales figures littéralement criminelles qui apparaissent alors assument entièrement la cruauté. Ils sont d’ailleurs Français, exprimant une bourgeoisie se précipitant à la conquête du pouvoir dans tous les domaines, avec cynisme.

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  • La quête de données de l’expérimentation animale et les animaux transgéniques

    Le mode de production capitaliste ne peut pas se passer de l’expérimentation animale, car la concurrence exige d’avoir un temps d’avance et, étant hostile à une lecture matérialiste (dialectique), tout est une bataille pour les données.

    Il faut faire ici un parallèle strict entre le big data, la quête du plus d’informations possibles par les entreprises, et les expériences les plus diffuses faites sur les animaux.

    Ces expériences touchent les secteurs suivants principalement :

    – la recherche « pure », c’est-à-dire clairement à l’aveugle ;

    – la recherche concernant les maladies humaines, où des analogies sont recherchées (ce qui pose la question de la valeur de l’analogie comme principe scientifique) ;

    – les tests de toxicité ;

    – la recherche pharmaceutique ;

    – la pratique chirurgicale ;

    – la recherche concernant les maladies des animaux d’élevage.

    Destruction d’une grange vide d’un centre de recherche agricole dans le Maryland aux Etats-Unis, 1987

    Les marchandises sont ici concernées en amont et en aval. Un produit mis sur le marché doit être conforme à des règlements sanitaires et chimiques ; inversement, les « découvertes » faites par les expériences permettent d’élargir le spectre productif.

    Il n’y a aucun choix démocratique : les expériences peuvent être faites, donc elles sont faites. C’est le prolongement de la démarche empiriste de la bourgeoisie lorsqu’elle est parvenue à développer la science contre la féodalité, mais un prolongement démultiplié, déformé, halluciné.

    Cette hallucination a amené la « production » d’animaux transgéniques, à partir des années 1970, au moyen de différentes méthodes visant à modifier une partie ciblée de l’ADN. Le terme de « transgénique » apparaît en 1981 alors que commence lentement le processus de systématisation de leur « production ».

    Un mémorandum de l’OMS de 1993 (« Élevage et expédition des souris transgéniques sensibles aux virus humains ») présente les animaux transgéniques de la manière suivante :

    « Généralement, le gène étranger ou transgène est introduit dans I’ADN chromosomique de l’animal transgénique.

    Des croisements sélectifs permettent ensuite d’obtenir des animaux homozygotes et hétérozygotes. Ainsi, si l’animal de laboratoire courant, comme la souris, n’est pas naturellement permissif à l’infection par un virus pathogène en raison de l’absence d’une protéine humaine essentielle (le récepteur cellulaire au virus, par exemple), les lignées animales transgéniques qui expriment le gène humain correspondant à cette protéine peuvent être sensibles à l’infection.

    Grace à cette technique on espère faire progresser le savoir concernant la prévention et le traitement de certaines maladies infectieuses. »

    Ces animaux sont nés pour souffrir, connaître l’expérimentation et mourir. La modification de leur ADN vise en effet à les rendre malades, afin d’intervenir sur eux. Ils sont de la « matière première » à une connaissance reposant sur la boucherie.

    Cette « production » elle-même implique également un massacre général dans la sélection faite des animaux, car seule une toute petite partie des tentatives de transmission de gènes étrangers à l’espèce réussit (entre 5 % et 25% au très grand maximum).

    Ce chiffre se retrouve pour la descendance, où pareillement on aura seulement un quart des animaux transgéniques, au maximum, portant la modification recherchée.

    À cela s’ajoute que ce sont des mères porteuses qui sont employées, étant fécondées artificiellement après la modification génétique du produit d’une reproduction d’animaux normaux. Ce processus est présenté ainsi de manière « neutralisée » dans « Les animaleries pour animaux transgéniques : législation et agrément en France » (Centre de Recherche Pierre Fabre, Service de Zootechnie) :

    « Pour l’obtention d’animaux transgéniques, il existe quatre étapes essentielles quel que soit la technique de transgénèse choisie : l’introduction d’une séquence d’ADN dans un embryon, puis l’implantation de cet embryon dans l’utérus d’une femelle pseudo-gestante, suite à quoi la première génération d’animaux est obtenue (il est alors nécessaire de détecter par diverses méthodes les animaux effectivement transgéniques) et finalement, une lignée transgénique qualifiée de «pure» est obtenue par croisements. »

    Chaque animal transgénique implique une série de meurtres pour arriver à sa « production », à chaque étape, et cela de bout en bout.

    Tout ce processus, outre une série de sélection et d’élimination, implique également des prélèvements tissulaires, cellulaires, etc.

    De plus, les « chercheurs » n’ont aucune idée de l’impact futur des modifications faites, aussi minimes qu’elles soient. Les conséquences indirectes potentielles sont innombrables, mais cela n’est bien entendu pas vu car l’animal est ici lui-même une expérience ciblée. Sa dignité comme réalité totale est niée.

    Le processus est d’ailleurs sans fin, car la « recherche » pour la « recherche » implique de jouer toujours plus les docteurs Frankenstein pour produire de nouveaux animaux transgéniques, l’un des buts étant notamment le développement d’organes artificiels. Les animaux seraient alors le support d’organes « équivalents » à ceux des humains sur lesquels l’expérimentation aura lieu.

    Libération de chats d’un laboratoire au Texas

    Il y a également la quête d’organismes vivants modifiés génétiquement qui pourraient intégrer la production pour l’alimentation humaine, ou encore la formation d’animaux transgéniques servant de « bioréacteurs » produisant des formes chimiques utiles : l’utilisation des animaux est totalement au service du mode de production capitaliste et de sa logique d’accumulation.

    On a pour cette raison la contradiction entre la compétition concurrentielle et la course au monopole, la contradiction entre la dispersion et la centralisation. Il y a en effet une tendance à la normalisation de la production des animaux transgéniques (principalement les souris et les mouches du vinaigre encore appelées drosophiles, mais également les vers nématodes, les poissons zèbres).

    Cette contradiction est explosive au sein de l’expérimentation animale qui, de plus, se fonde sur le principe du tout génétique et de l’invariabilité complète des données génétiques. Et comme le principe d’un monde « mathématisable », statique, composé d’éléments isolés et fixes, se heurte au réel et n’arrive à rien, cela amène une exigence d’encore plus de tests, avec un soutien monopolistique le cas échéant comme avec les animaux transgéniques.

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  • La systématisation industrielle de l’expérimentation animale

    Le procès des médecins nazis par un tribunal militaire américain à Nuremberg en 1947 avait dénoncé la « vivisection humaine », formulant les principes d’une expérimentation humaine présentée comme éclairée, mais justifiant de fait l’expérimentation animale à tous les niveaux.

    Cette expérimentation animale existait dès le 19e siècle, mais elle ne possédait pas une systématisation qui n’apparaîtra qu’avec le 24 heures sur 24 du capitalisme. En effet, chaque marchandise va alors être testée, l’animal devenant lui-même l’expérience.

    Tout est testé, depuis la barre chocolatée Mars jusqu’aux dentifrices, depuis l’encre de l’imprimante jusqu’aux ceintures de sécurité. Tout est testé non seulement une fois la marchandise réalisée, mais également souvent dans la genèse de la marchandise elle-même.

    Et comme il y a de plus en plus de marchandises, il y a de plus en plus d’animaux pour subir les tests.

    Beagles libérés par un raid

    Il faut bien saisir qu’il ne s’agit pas d’un « choix » ni même d’une logique scientifique ici à l’œuvre. On est dans une démarche tout à fait pragmatique. Les possibilités techniques toujours plus grandes permises par le développement des forces productives amène la tendance à ne plus raisonner, mais à essayer pour trouver.

    Plus on a de données, plus on « sait » et donc plus on « sait » mieux que les autres. C’est donc une porte ouverte à la fuite en avant dans l’expérimentation afin de « trouver »… quelque chose qu’on ne cherche pas initialement.

    Ce processus est de nature concrète ; il n’est pas une abstraction, mais connaît des étapes bien marquées. Il faut bien distinguer la période d’avant la systématisation du capitalisme de celle d’après.

    Le tournant se déroule lorsque le développement puissant du capitalisme dans ses pays bastions avait donné naissance à toute une petite industrie artisanale de l’élevage, très profitable, tournée notamment vers la mode, les scientifiques, etc. et portée par des couches populaires parmi les moins éduquées.

    Il y eut alors conjugaison de cette industrie artisanale et la systématisation des expériences. Une date marquante fut 1942, avec la fondation en Grande-Bretagne d’une Conference on the Supply of Experimental Animals (CESA) mise en place par vingt sociétés scientifiques (comme la Société Royale de Médecine, la Société Royale de Médecine tropicale, etc.), afin de « produire » de manière « standardisée » des cochons d’Inde à destination de l’expérimentation.

    Image de l’élevage de cochons d’Inde à destination de l’expérimentation animale à Newchurch en Grande-Bretagne. L’élevage a fermé en 2005 après une campagne de harcèlement de six années.

    Il faut noter que le directeur du comité de la CESA pour renforcer l’expérimentation animale fut le chimiste Alfred Louis Bacharach, devenu surtout nutritionniste. C’était un pianiste émérite et un fervent socialiste, membre de l’Independant Labour Party, travaillant avec le Workin Men’s College du nord de Londres. Il travailla pourtant 36 années pour Glaxo Laboratories et s’inséra totalement dans la vision « expérimentale ».

    De fait, les chiffres sont ici tout à fait édifiants. Il y a en Grande-Bretagne 70 367 expérimentations animales en 1920, 954 691 en 1939 et on dépasse le chiffre de 1,5 million dès 1947. La systématisation du mode de production capitaliste a été la systématisation de l’expérimentation animale.

    On doit considérer qu’à partir des années 1950 et du code de Nuremberg, l’expérimentation animale est une norme. Le discours de refus de l’expérimentation humaine par le tribunal militaire américain ne fut que la validation idéologique de la démarche triomphant dans les pays capitalistes les plus avancés, allant au 24 heures sur 24 du capitalisme.

    On dépasse ainsi en Grande-Bretagne largement les cinq millions d’animaux employés dans les années 1970.

    Le chiffre tombe à 3 millions au milieu des années 1980, notamment en raison de l’immense vague anti-vivisection portée par l’ALF et la BUAV, mais remonte alors que le nombre de marchandises disponibles s’agrandit encore et que les animaux transgéniques sont mis sur le marché à la fin des années 1990. Le chiffre est désormais d’un peu moins de 4 millions d’animaux utilisés chaque année.

    Le site hacké d’un laboratoire d’expérimentation animale en 2015

    On retrouve la même approche dans tous les pays, avec des tendances et des contre-tendances. Il y a davantage ou moins d’animaux selon les opportunités et il n’y a nulle régression du chiffre. Ainsi, le nombre d’animaux employés en France est passé de 1,77 à 1,92 million entre 2014 et 2016, le nombre de primates non-humains passant de 1103 à 3508.

    À l’échelle mondiale, le chiffre tourne autour de 200 millions d’animaux. Environ 11 % de ces animaux (mais 16,7 % en France en 2016) est concerné par les procédures les plus brutales.

    Cela n’empêche pas cette pratique relevant de la torture et du meurtre de chercher à se recouvrir d’un vernis pseudo humaniste littéralement fantasmagorique, tellement les « chercheurs » sont dans le rejet de la dignité du réel.

    Voici ce que peut raconter, très « sérieusement », un directeur de recherche de l’INRA, Louis-Marie Houdebine, spécialiste des animaux transgéniques (la trangenèse animale et ses risques, Courrier de l’INRA n°23) :

    « On oublie trop que avant d’être impliqué dans une expérience ou d’être consommé, l’animal à une vie relativement belle, dans beaucoup de cas, contrairement à une idée reçue. Captif, l’animal n’a en effet ni besoin de chercher sa nourriture, ni de se protéger contre les conditions climatiques et les prédateurs ; il est de plus souvent vacciné contre des maladies mortelles.

    Les animaux de laboratoire comme les animaux d’élevage sont souvent bien traités, ne serait-ce que pour qu’ils puissent remplir convenablement la fonction qu’on attend d’eux. Les animaux, transgéniques ou non, sont du matériel expérimental souvent très coûteux et d’un maniement relativement délicat. Pour ces raisons, les expérimentateurs et les industriels préféreraient la plupart du temps ne pas y avoir recours. »

    Plus loin dans l’article, on lit un argumentaire d’apprenti-sorcier particulièrement fascinant pour son affirmation du principe cartésien de « l’Homme comme maître et possesseur de la nature » :

    « Certains ne peuvent s’empêcher de voir dans les animaux transgéniques des monstres de science-fiction. Il serait bien surprenant qu’il en soit ainsi quand on considère qu’au plus quelques gènes sont ajoutés ou inactivés par la transgenèse.

    Ceci est évidemment bien peu en comparaison des 100 000 gènes que doit contenir le génome d’un mammifère. Il n’est pas inconcevable que la transgenèse conduise un jour à l’obtention d’une nouvelle espèce animale. Qu’est-ce en regard de ce que fait l’évolution depuis le début de la vie sur terre et souvent sans tendresse particulière pour les espèces préexistantes. »

    Cette prétention à contrôler l’évolution, de la rediriger, correspond à la prétention de « l’esprit » à contrôler la « matière ».

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  • L’expérimentation animale: le procès de Nuremberg comme base juridique

    L’expérimentation animale a été définie dans sa forme moderne dans le cadre du fameux procès de Nuremberg où des criminels nazis ont été jugés de 1946 à 1949. En 1946-1947, vingt médecins et trois scientifiques sont passés en procès pour leurs activités sur des êtres humains et à cette occasion, un « code » dit de Nuremberg a été mis en place.

    Cette partie du procès a relevé du seul gouvernement militaire américain.

    Ce code ne concerne pas les animaux directement ; il traite de l’expérimentation sur les êtres humains. Cependant, il valide les expériences sur les humains sur la base préalable d’expériences sur les animaux.

    Extrait d’une vidéo de 1984 montée par l’association PeTA sur la base des enregistrements des chercheurs eux-mêmes de l’université de Pennsylvanie, dérobés par un raid de l’ALF.

    Le piège historique fut le suivant : pour juger les médecins nazis, il faut s’appuyer sur des lois. Ces lois ne peuvent pas être mises en place au moment du procès, car cela ôterait toute validité juridique à la condamnation. On ne peut en effet pas condamner quelqu’un pour des lois non mises en place au moment des crimes. Et comme le droit bourgeois ne reconnaît pas des principes naturels universels, il a été obligé de procéder différemment.

    Il fallait employer des lois préexistantes, qui plus est valables internationalement. Il a donc été pris l’idéologie dominante dans le domaine des expériences et on a protégé les humains… en condamnant au passage les animaux.

    C’est un terrible paradoxe historique : la condamnation des crimes nazis a validé les crimes sur les animaux, par soumission à l’idéologie dominante, par absence d’analyse matérialiste dialectique de ce qu’est l’expérimentation animale.

    Couverture de la revue britannique Arkangel, proche de l’ALF, avec une photo d’un macaque libéré en 1984 par l’Animal Liberation League dans un raid mené contre l’Université Royale des chirurgiens de Grande-Bretagne. Sur son front avait été tatoué « crap » (« merde ») par les « chercheurs ».

    Voici les dix points du code de Nuremberg, points qu’on trouve dans le jugement pénal rendu les 19-20 août 1947 au procès.

    Le texte qui suit ces points s’appuie sur ceux-ci pour dénoncer les médecins nazis ayant mené des expérimentations dans les camps de concentration (« des personnes non qualifiées », des expériences « conduites au hasard » et « sans raison scientifique précise », « dans des conditions matérielles révoltantes », « avec des souffrances et des blessures inutiles », etc.).

    1. Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel. Cela veut dire que la personne concernée doit avoir la capacité légale de consentir ; qu’elle doit être placée en situation d’exercer un libre pouvoir de choix, sans intervention de quelque élément de force, de fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ou d’autres formes sournoises de contrainte ou de coercition ; et qu’elle doit avoir une connaissance et une compréhension suffisantes de ce que cela implique, de façon à lui permettre de prendre une décision éclairée.

    Ce dernier point demande que, avant d’accepter une décision positive par le sujet d’expérience, il lui soit fait connaître : la nature, la durée, et le but de l’expérience ; les méthodes et moyens par lesquels elle sera conduite ; tous les désagréments et risques qui peuvent être raisonnablement envisagés ; et les conséquences pour sa santé ou sa personne, qui pourraient possiblement advenir du fait de sa participation à l’expérience. L’obligation et la responsabilité d’apprécier la qualité du consentement incombent à chaque personne qui prend l’initiative de, dirige ou travaille à l’expérience. Il s’agit d’une obligation et d’une responsabilité personnelles qui ne peuvent pas être déléguées impunément ;

    2. L’expérience doit être telle qu’elle produise des résultats avantageux pour le bien de la société, impossibles à obtenir par d’autres méthodes ou moyens d’étude, et pas aléatoires ou superflus par nature ;

    3. L’expérience doit être construite et fondée de façon telle sur les résultats de l’expérimentation animale et de la connaissance de l’histoire naturelle de la maladie ou autre problème à l’étude, que les résultats attendus justifient la réalisation de l’expérience ;

    4. L’expérience doit être conduite de façon telle que soient évitées toute souffrance et toute atteinte, physiques et mentales, non nécessaires ;

    5 .Aucune expérience ne doit être conduite lorsqu’il y a une raison a priori de croire que la mort ou des blessures invalidantes surviendront ; sauf, peut-être, dans ces expériences où les médecins expérimentateurs servent aussi de sujets ;

    6. Le niveau des risques devant être pris ne doit jamais excéder celui de l’importance humanitaire du problème que doit résoudre l’expérience ;

    7 .Les dispositions doivent être prises et les moyens fournis pour protéger le sujet d’expérience contre les éventualités, même ténues, de blessure, infirmité ou décès ;

    8. Les expériences ne doivent être pratiquées que par des personnes scientifiquement qualifiées. Le plus haut degré de compétence professionnelle doit être exigé tout au long de l’expérience, de tous ceux qui la dirigent ou y participent ;

    9. Dans le déroulement de l’expérience, le sujet humain doit être libre de mettre un terme à l’expérience s’il a atteint l’état physique ou mental où la continuation de l’expérience lui semble impossible ;

    10. Dans le déroulement de l’expérience, le scientifique qui en a la charge doit être prêt à l’interrompre à tout moment, s’il a été conduit à croire — dans l’exercice de la bonne foi, de la compétence du plus haut niveau et du jugement prudent qui sont requis de lui — qu’une continuation de l’expérience pourrait entraîner des blessures, l’invalidité ou la mort pour le sujet d’expérience.

    En cherchant à protéger les humains, en cherchant à leur éviter la souffrance, celle-ci a été déportée sur les animaux. En posant que « l’expérience doit être construite et fondée de façon telle sur les résultats de l’expérimentation animale », les animaux ont dû prendre eux l’ensemble du principe de « l’expérience ».

    Ce n’était pas seulement une faute morale, c’était également une erreur scientifique, car cela validait la vision empiriste du monde : il n’y aurait plus d’univers comme cadre avec des fondements, mais une quête scientifique de tendances générales au moyen de l’expérience.

    C’est l’empirio-criticisme, l’expérimentalisme critique.

    Beagles libérés par l’ALF en 1990 (82 beagles et 26 lapins lors d’un raid contre Interfauna en Grande-Bretagne)

    L’expérimentation comme vision du monde a ici profité d’un souci moral pour le dévier et se poser comme seule démarche scientifiquement correcte.

    Il faut d’ailleurs noter que le texte est attribué au responsable médical du procès, Leo Alexander, un Autrichien s‘étant réfugié aux États-Unis juste avant la guerre en raison de ses origines juives. Or, Leo Alexander était un psychiatre et un neurologue, fervent partisan de deux démarches criminelles censées résoudre les problèmes psychiatriques d’une personne : l’électroconvulsivothérapie c’est-à-dire les électro-chocs pour provoquer l’équivalent d’une crise d’épilepsie, et le coma insulinique.

    Dans les deux cas, l’idée est de débrancher le corps ou l’esprit pour procéder à une sorte de redémarrage, tout comme on rallumerait un ordinateur ayant vu son système planter.

    L’impérialisme américain portait à ce moment-là de manière violente cette idéologie « expérimentale », la CIA mettant alors même en place les projets de « contrôle mental » MK-Ultra et MKNAOMI, avec des expérimentations clandestines sur le LSD, testant sur des gens à leur insu.

    Il faut vraisemblablement attribuer à cette approche l’affaire dite du pain maudit, en août 1951 à Pont-Saint-Esprit dans le Gard, avec une crise de folie de 300 personnes, alors que l’armée américaine était particulièrement active en France.

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