Le clan des Tokugawa unifie le pays et fonde Edo

Au 16e siècle, le Japon a un paysage social et politique qu’il est facile de comprendre. Il y a d’un côté des paysans, de l’autre côté des seigneurs de la guerre, les Daimyo, contrôlant des zones plus ou moins grandes, chacun étant en concurrence avec l’autre afin de prendre le dessus.

Toute la fin du 15e siècle et l’ensemble du 16e siècle connurent ainsi des affrontements sans fin, la période étant historiquement appelée par la suite Sengoku, soit « ère des provinces en guerre ».

Le Daimio Mōri Motonari à la fin du 16e siècle

Il y a bien alors un Tennō, un empereur, dont la famille est régnante depuis plus d’un millénaire, mais son rôle est tout à fait secondaire par rapport aux incessants affrontements des factions guerrières, alors que parfois un chef militaire prenait le dessus dans l’empire, jouant le rôle de Shogun, c’est-à-dire de gouverneur militaire.

Le pouvoir finit alors, après des décennies d’affrontements des principales factions s’étant formées, par revenir à deux figures unissant l’une après l’autre une vaste partie du pays : Oda Nobunaga (1534-1582), puis Toyotomi Hideyoshi (1537-1598). On notera qu’en japonais, le prénom est en seconde position.

Tokugawa Ieyasu (1543-1616) prendra leur relais, inaugurant la prédominance du clan des Tokugawa, inaugurant la période dite du shogunat et installant sur la base de petits villages une nouvelle capitale, Edo, qui prendra par la suite à l’ère moderne le nom de Tokyo.

Tokugawa Ieyasu, oeuvre de la fin du 17e siècle ; on remarquera que les disques contiennent le symbole du clan des Tokugawa

Il sera succédé par Tokugawa Hidetada (1605-1623), Tokugawa Iemitsu (1623–1651), Tokugawa Ietsuna (1651–1680), etc., jusqu’en 1867 où le clan est renversé par l’empereur, alors que le capitalisme a commencé à s’élancer et a pris une tournure militariste.

La longue période de la prédominance des Tokugawa est en effet marquée par deux phénomènes contradictoires façonnant toute l’identité nationale du Japon.

D’un côté en effet, le clan des Tokugawa impose un régime particulièrement structuré et organisé. Le pays est entièrement fermé sur lui-même, les échanges avec les Européens passant seulement par un comptoir de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales sur l’île artificielle de Dejima. Ces échanges relèvent d’ailleurs du monopole de l’Etat central, comme les mines.

Le christianisme est interdit et le régime place au premier plan le confucianisme, prônant une société patriarcale entièrement statique, avec un empereur accompagné d’une Cour, les deux étant purement symboliques, le bouddhisme dans sa version japonaise et le shintoïsme (comme culte de l’empereur) devenant de simples religions d’arrière-plan.

La société est concrètement divisée en quatre classes totalement figées : les guerriers (appelés samouraïs), les paysans, les artisans, et enfin les commerçants.

Le château d’Edo au 17e siècle, oeuvre d’époque

Les Daimyo, au nombre de 250, font office des gestionnaires régionaux ; une année sur deux ils sont dans la capitale Edo, et lorsqu’ils n’y sont pas leurs familles doivent y rester, en quelque sorte comme otages.

Chaque Daimyo ne peut d’ailleurs posséder qu’un seul château fortifié. Basiquement, ce château était entouré d’un fossé, puis des résidences des samouraïs, puis d’un cercle de temples et de mausolées, puis enfin d’un cercle de résidences d’artisans et de marchands avant un nouveau fossé.

Le château de Hirosaki du clan Tsugaru, construit en 1611

Il existe cependant de grandes différences entre ces Daimyo. Le clan Tokugawa disposait d’un territoire produisant chaque année quatre millions de kokus de riz (un koku équivalant à cinq boisseaux), avec au moins 17 000.

Les vingt clans les plus importants derrière disposaient d’entre 100 000 et un million de kokus, avec chacun au moins 10 000 guerriers. Les soixante clans les plus faibles disposaient seulement de 10 00 kokus, avec un peu moins de 380 guerriers.

Et en cas de mérite ou de contrariétés (sauf dans les cas de liquidation avec toute sa famille), chaque Daimyo se voyait remettre un autre territoire ; durant toute la période Tokugawa, ce fut le cas de 14 grands clans, 195 clans intermédiaires, 238 petits clans, ce qui implique le déplacement de deux millions de personnes (550 000 guerriers et leurs familles et serviteurs).

Attirail des guerriers dans une représentation européenne de la fin du 19e siècle

Cette question des guerriers est essentielle alors. Ceux-ci, désormais sans réelles activités et n’exploitant plus directement les paysans, se doivent de servir entièrement leurs Daimyo, qui restent en place comme gouverneurs militaires et qui les rémunèrent.

Ce n’est pas tout : les guerriers doivent suivre une règle stricte, de type patriarcal complet, qui sera appelé le bushido, avec notamment le suicide rituel à la mort de leur maître. Les guerriers sont ainsi d’un côté une élite placée au-dessus des paysans, des artisans et des marchands, mais leur situation sociale varie énormément, leurs positions étant extrêmement hiérarchisées.

En un sens, la situation des paysans est pratiquement plus aisée : ceux-ci ne sont pas soumis au militarisme patriarcal et possèdent même leurs terres ; ils peuvent faire ce qu’ils veulent du moment qu’ils paient les taxes, directement en riz, et qu’ils ne possèdent aucune arme. Cela est relatif naturellement, car tout dépend juridiquement et militairement du Daimyo.

Représentation esthétisée du samouraï du 16e siècle Kojima Yatarô en armure par Utagawa Kuniyoshi au début du 19e siècle

C’est un régime féodal de type encadré, comme à la fin du moyen-âge européen, à ceci près que la structure militaire massive reste prédominante, ce qui rapproche ici de la civilisation islamique, avec ses villes-forteresses fondées sur un esprit de garnison. On a le militarisme de la civilisation islamique mais non urbain, c’est l’agriculture qui est au centre, comme en Europe.

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1er mai 2022 – Vive les masses populaires, guerre à la guerre impérialiste!

C’est avec enthousiasme qu’en ce premier mai 2022, nous saluons le prolétariat international et les avant-gardes communistes qui, armés du Marxisme-Léninisme-Maoïsme, ouvrent la voie à la révolution mondiale, qui mettra un terme à l’exploitation et à l’oppression sur l’ensemble de la planète, faisant triompher les masses populaires.

Nous réaffirmons notre confiance en le triomphe du nouveau sur l’ancien, en la nécessité d’un changement révolutionnaire à l’échelle mondiale, alors que les contradictions inter-impérialistes se développent dans le monde, diffusant la mort, le nationalisme, la haine, l’inquiétude, la peur, le pessimisme, le déni de la réalité, le nihilisme.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie il y a plus de deux mois, dont le fondement est l’affrontement entre d’un côté l’OTAN avec à sa tête la superpuissance impérialiste américaine, de l’autre la Russie avec la Chine à l’arrière-plan, correspond à une situation historique où la fuite en avant de chaque pays pour tenter de s’arracher à son propre marasme, au cul-de-sac historique dans lequel il se trouve, prend une forme toujours plus aiguë.

C’est pourquoi on assiste depuis la guerre en Ukraine à une escalade politique, économique, militaire, avec un empilement d’envois de matériel militaire, d’initiatives diplomatiques militaristes, de propagande psychologique, d’opérations de déstabilisation.

Il ne s’agit nullement d’une simple concurrence prenant une mauvaise tournure, de frictions « géopolitiques » : il s’agit d’une compétition relevant d’une lutte à mort. L’arrière-plan de la guerre en Ukraine est la bataille pour le repartage du monde.

La pandémie commencée en 2020 a en effet ralenti le capitalisme, or le capitalisme ne peut par définition pas être ralenti : il repose sur une accumulation de capital toujours plus rapide, toujours plus étendue. Il s’agit donc de rattraper le temps perdu – par la guerre impérialiste.

C’est pourquoi nous parlons d’une situation de crise générale du capitalisme, la seconde après celle ayant émergé avec la première guerre mondiale et la révolution d’Octobre 1917 en Russie.

La pandémie a mis fin à toute une période de croissance capitaliste à grande échelle, commencée en 1989 avec l’effondrement du bloc du social-impérialisme soviétique et l’intégration de la Chine devenue capitaliste dans le marché mondial.

Et la guerre en Ukraine correspond à une situation bloquée, où chaque pays se positionne pour tenter d’arracher sa part de butin dans le repartage du monde. Tel est bien le sens des initiatives des bourgeoisies de la Belgique et de la France, qui relèvent d’un bloc, celui de l’OTAN, dirigée par la superpuissance impérialiste américaine, qui affronte un autre bloc, celui de la Russie et de la Chine.

Aussi, conformément aux enseignements du Marxisme-Léninisme-Maoïsme, nous affirmons à ce titre que dans ces deux pays l’ennemi est dans son propre pays, et qu’ainsi, le mot d’ordre général à l’échelle mondiale est « Guerre à la guerre impérialiste ! », celui plus spécifiquement lié à cette situation est « Guerre à l’OTAN ! ».

Dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux, comme l’Ukraine, le mot d’ordre reste « Guerre à la guerre impérialiste ! », mais ces pays forment eux-mêmes le butin du repartage du monde. Ils doivent lutter pour leur indépendance nationale, réfutant tous les impérialismes.

Tous les pays semi-féodaux semi-coloniaux connaissent d’ailleurs des troubles internes en raison des pressions impérialistes sur eux, comme le Bangladesh, où le capitalisme bureaucratique s’est développé, mais pour mieux s’enliser ensuite.

Nous tenons à souligner que l’heure est dramatique et il faut avoir conscience de l’immense décalage entre sa propre vie personnelle et ce qui se passe à l’échelle générale. Le rythme des événements est très différent, l’envergure n’est pas la même, ce qui fait qu’on ne cerne pas facilement l’actualité mondiale, les tendances générales, les exigences historiques.

Pour cette raison, il faut disposer d’un vrai recul, de type scientifique, et c’est ce que Karl Marx et Friedrich Engels nous ont fourni avec le matérialisme dialectique et son application dans le domaine de l’histoire, le matérialisme historique.

Sans le matérialisme dialectique comme vision du monde, il n’est pas possible de disposer d’une analyse suffisante du cours des choses, des événements historiques, du sens même de l’Histoire.

C’est pour cela que nous affirmons la nécessité d’un Parti qui l’arbore, le défend et l’applique. Sans le matérialisme dialectique, sans le Parti, les masses populaires n’ont pas de point d’orientation, n’ont pas d’ancrage historique, n’ont pas de Direction pour donner à leur mouvement les choix stratégiques et tactiques pour vaincre.

Seul le Parti peut faire en sorte que les masses, se mobilisant dans leur assimilation et pratique du matérialisme dialectique, triomphent des forces réactionnaires, qui malgré leur apparence de puissance, sont condamnées historiquement. Mao Zedong avait exprimé la substance de cette lecture historique du cours des choses de manière tout à fait juste :

« Maintenant, l’impérialisme américain est assez puissant, mais en réalité il ne l’est pas. Il est très faible politiquement parce qu’il est séparé de la masse du peuple et est détesté par tout le monde et par le peuple américain aussi.

D’apparence, il est très puissant, mais en réalité, il n’y a rien à craindre, c’est un tigre de papier. En apparence un tigre, il est fait de papier, incapable de résister au vent et à la pluie. Je crois que les États-Unis ne sont rien qu’un tigre de papier.

L’histoire dans son ensemble, l’histoire de la société de classes, pendant des milliers d’années, a prouvé ce point : le fort doit céder au faible. Cela vaut aussi pour les Etats-Unis d’Amérique.

La paix régnera quand l’impérialisme aura été éliminé. Le jour viendra où les tigres de papier seront écrasés. Mais ils ne disparaîtront pas de leur propre gré, ils ont besoin d’être battus par le vent et la pluie. »

Nous avons besoin du vent et de la pluie, c’est-à-dire de la révolution avec les masses formant un océan armé constituant un nouvel État, pour mettre en place une nouvelle société, pour réaliser le Socialisme et aller au Communisme à l’échelle mondiale.

Tactiquement, les forces réactionnaires s’agitent et sont dangereuses, assassines, toutefois les masses constituent une ressource inépuisable pour la révolution, si on comprend la nature prolongée du processus révolutionnaire, son parcours sinueux.

Il appartient aux communistes, armés du Marxisme-Léninisme-Maoïsme, formant l’avant-garde des masses populaires, d’être à la hauteur des défis immenses de l’époque, qui porte en elle des changements révolutionnaires comme il n’en a jamais été vu, comme Mao Zedong l’annonçait dans les années 1960, parlant des « cinquante à cent années » où se produit un bouleversement mondial comme jamais vu encore.

Vive le 1er Mai, journée internationale du prolétariat ! Vive les masses populaires !
Guerre à la guerre impérialiste !
Guerre populaire jusqu’au Communisme !

1er mai 2022
Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste de Belgique
Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)

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First of May 2022 – Long live the popular masses, war on the imperialist war!

It is with enthusiasm that on this first of May 2022, we salute the international proletariat and the communist vanguards who, armed with Marxism-Leninism-Maoism, are opening the way to the world revolution, which will put an end to the exploitation and oppression throughout the planet, making the popular masses triumph.

We reaffirm our belief in the triumph of the new over the old, in the need for revolutionary change on a global scale, as inter-imperialist contradictions grow in the world, spreading death, nationalism, hate, anxiety, fear, pessimism, denial of reality, nihilism.

The invasion of Ukraine by Russia more than two months ago, which basis is the confrontation between NATO led by the American imperialist superpower on the one hand, Russia with China in the background on the other, corresponds to a historical situation where the rush forward of each country to try to tear itself away from its own slump, from the historical cul-de-sac in which it finds itself, takes on an increasingly acute.

This is why we have been witnessing since the war in Ukraine a political, economic and military escalation, with a pile of shipments of military equipment, of militarist diplomatic initiatives, ofpsychological propaganda, ofdestabilization operations. This is not just rivalry going wrong, or « geopolitical » friction: this is a competition in a life-and-death struggle. The background of the war in Ukraine is the battle for the repartition of the world.

The pandemic that began in 2020 has indeed slowed down capitalism, and capitalism by definition cannot be slowed down: it relies on an ever faster, ever wider accumulation of capital.

It is therefore a question of catching up the lost time – by imperialist war. This is why we speak of a situation of general crisis of capitalism, the second after the one that emerged with the First World War and the October 1917 revolution in Russia. The pandemic ended an entire period of large-scale capitalist growth, which began in 1989 with the collapse of the Soviet social-imperialist bloc and the integration of China into the world market that had become capitalist.

And the war in Ukraine corresponds to a blocked situation, where each country positions itself to try to snatch its share of the loot in the redistribution of the world. This is indeed the meaning of the initiatives of the bourgeoisies of Belgium and France, which are part of a bloc, that of NATO, led by the American imperialist superpower, which confronts another bloc, that of Russia and China.

So, in accordance with the teachings of Marxism-Leninism-Maoism, we affirm as such that in these two countries, the enemy is in its own country, and that thus, the general watchword on a world scale is « War to imperialist war !”, the one more specifically related to this situation is « War on NATO! ».

In semi-feudal semi-colonial countries, like Ukraine, the watchword remains « War on imperialist war! », but these countries are themselves the loot of the redistribution of the world. They must fight for their national independence, refuting all imperialisms.

All the semi-feudal semi-colonial countries also experience internal unrest due to imperialist pressures on them, such as Bangladesh, where bureaucratic capitalism developed, but only to get more bogged down.

We would like to emphasize that this is a dramatic time and one must be aware of the immense gap between one’s own personal life and what is happening on a general scale. The pace of events is very different, the scope is not the same, which means that it is not easy to identify world news, general trends, historical requirements.

For this reason, it is necessary to have a real hindsight, of a scientific type, and this is what Karl Marx and Friedrich Engels have provided us with dialectical materialism and its application in the field of history, historical materialism. Without dialectical materialism as a vision of the world, it is not possible to have a sufficient analysis of the course of things, of historical events, of the very meaning of History.

This is why we affirm the need for a Party that upholds it, defends it and applies it. Without dialectical materialism, without the Party, the popular masses have no point of orientation, no historical roots, no leadership to give their movement the strategic and tactical choices to win.

Only the Party can ensure that the masses, mobilizing themselves in their assimilation and practice of dialectical materialism, triumph over reactionary forces, which despite their appearance of power, are historically doomed. Mao Zedong expressed the substance of this historical reading of the course of events fully correctly :

“Now U.S. imperialism is quite powerful, but in reality it isn’t. It is very weak politically because it is divorced from the masses of the people and is disliked by everybody and by the American people too. In appearance it is very powerful but in reality it is nothing to be afraid of, it is a paper tiger. Outwardly a tiger, it is made of paper, unable to withstand the wind and the rain. I believe the United States is nothing but a paper tiger.

History as a whole, the history of class society for thousands of years, has proved this point: the strong must give way to the weak. This holds true for the Americas as well.

Only when imperialism is eliminated can peace prevail. The day will come when the paper tigers will be wiped out.

But they won’t become extinct of their own accord, they need to be battered by the wind and the rain.”

We need wind and rain, that is, revolution with the masses forming an armed ocean constituting a new state, to set up a new society, to achieve Socialism and go to Communism at the global scale. Tactically, the reactionary forces are restless and dangerous, murderous, yet the masses constitute an inexhaustible resource for the revolution, if one understands the protracted nature of the revolutionary process, its winding course.

It is up to the communists, armed with Marxism-Leninism-Maoism, forming the vanguard of the popular masses, to be up to the immense challenges of the time, which brings with it revolutionary changes like none before. never been seen, as Mao Zedong announced in the 1960s, speaking of the « fifty to one hundred years » of world upheaval like never before seen.

Long live May Day, International Day of the Proletariat! Long live the popular masses!
War to the imperialist war!
People’s War to Communism!

First of May 2022
Marxist Leninist Maoist Center of Belgium
Communist Party of France (Marxist-Leninist-Maoist)

Le matérialisme dialectique et le centralisme démocratique

Que vive et se renforce notre puissante patrie – l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques!

Le matérialisme dialectique peut se définir comme la conception des deux points : il existe un face à face interne dans chaque phénomène, ou plus exactement chaque phénomène consiste en une opposition dialectique.

Ce mouvement contradictoire implique le mouvement ininterrompu de la matière et rend chaque définition, chaque catégorisation, relative par rapport au caractère absolu du mouvement – le matérialisme dialectique insiste concrètement sur la transformation.

Ainsi, si l’on prend la contradiction entre l’unité et la dispersion, dans leur mouvement contradictoire ces deux notions ne se font pas face de manière figée, mais s’interpénètrent l’une l’autre, allant jusqu’à se transformer l’une en l’autre.

C’est là ce qui est essentiel pour saisir le principe de centralisme démocratique utilisé par les communistes sur le plan de l’organisation.

La démocratie s’oppose au centralisme, en ce qu’elle implique la dispersion, la division, le foisonnement, la multiplication des points de vue, des idées, des remarques, des affirmations et des négations, etc.

Le centralisme s’oppose à la démocratie en ce qu’il implique l’unité, l’unification, le rassemblement, la simplification, la limitation des des points de vue, des idées, des remarques, des affirmations et des négations, etc.

En ce sens, l’opposition entre centralisme et démocratie relève de la contradiction entre le général et le particulier, chacun de ces deux aspects étant porté par d’un côté l’unité, de l’autre la dispersion.

Dans la démocratie, chacun exprime son point de vue particulier ; dans le centralisme, le point de vue particulier de chacun s’efface devant une unification répondant à une unité nécessaire.

C’est pour cela que, historiquement, c’est le mouvement ouvrier qui produit le centralisme démocratique.

Ce principe est en effet né comme forme historique dans la social-démocratie, principalement allemande et autrichienne, à la fin du 19e siècle. Le souci de l’unité des principes et d’action y est très largement souligné, ainsi qu’une division du travail très détaillée dans les organisations du Parti, à rebours du droit de tendances internes et de leurs représentations obligatoires dans l’organisation qu’on trouve chez les socialistes français.

C’est que le développement du mouvement ouvrier y a été massif et exigeant ; un grand sens de l’organisation et de la discipline y a été souligné, et ce d’autant plus que le terreau des traditions nationales le facilitait.

Cependant, au début du 20e siècle, les social-démocraties allemande et autrichienne, parvenant à devenir des mouvement de masse de grande ampleur, se sont adaptées, voire intégrés à leur environnement politique pourtant réactionnaire et elles ont basculé dans une valorisation abstraite de la démocratie comme forme, jusqu’à rejeter concrètement la dictature du prolétariat en la transformant en un « élargissement » de la démocratie, en un prolongement systématique de la révolution bourgeoise.

Autrement dit, dans la contradiction entre l’unité et la dispersion, les social-démocraties allemande et autrichienne ont mis l’accent sur la dispersion, considérant l’unité comme une fonction secondaire. Ils ont perdu de vue la contradiction et séparé les concepts d’unité et de dispersion.

C’est l’un des principaux aspects du révisionnisme combattu par Lénine et aboutissant à la scission entre socialistes et communistes à la suite de la révolution russe. Les socialistes étaient unilatéraux et, alors qu’ils faisaient eux-mêmes, de manière unilatérale, de la démocratie l’aspect principal, accusaient les communistes de faire unilatéralement du centralisme l’aspect principal.

Les communistes, en réalité, avaient saisi la dialectique entre unité et dispersion. Et cette différence de conception avait déjà connu un prélude au début du 20e siècle en Russie, avec la scission entre la majorité des sociaux-démocrates de Russie, les « bolcheviks » (« majoritaires »), et une minorité, les « mencheviks » (« minoritaires »).

Lénine avait en effet exigé une centralisation plus accentuée du Parti, celui-ci devant avoir des contours parfaitement définis, ce que les mencheviks refusaient. Selon eux, il n’était pas besoin que les membres du Parti relèvent d’une organisation du Parti ou obéissent aux directives du Parti. Chaque membre du Parti devait avoir la marge de manœuvre qu’il désirait.

On a ici l’aspect essentiel de la question de la démocratie et du centralisme. Le principe de démocratie réfute en effet par définition un cadre déterminé, puisqu’il se focalise sur le multiple, la dispersion, le foisonnement. Le centralisme, au contraire, se focalise uniquement sur un cadre délimitatif, car il réfute la dispersion.

La difficulté de la démocratie, c’est qu’elle n’implique pas un cadre ; la difficulté du centralisme, c’est qu’il chercher à borner les choses.

Cela signifie que si on applique la démocratie, mais qu’on réfute tout cadre, alors la démocratie devient le libéralisme et le relativisme, puisqu’il n’en ressort rien. Il faut centraliser pour que la démocratie soit productive à un niveau concret et ne soit pas une simple démarche coupée de toute prise de décision réelle.

Inversement, le centralisme sans la démocratie aboutit à l’unilatéralisme, à l’absence de la richesse inépuisable du peuple qu’exprime la démocratie.

En ce sens, la solution de Lénine pourrait être ici plutôt appelée la démocratie centralisée et non le centralisme démocratique, car il y a d’abord la démocratie, et ensuite la centralisation de cette démocratie.

Cependant, une démocratie centralisée est en fait une démocratie populaire, qui sous-tend une action ininterrompue ou quasi ininterrompue des masses, avec toutefois par moments des révolutions culturelles exprimant un saut qualitatif. Le principe de centralisme démocratique est plus spécifiquement communiste, dans la mesure où l’aspect principal porte sur la centralisation, en tant qu’aspect pratique, qu’aspect politique, dans un contexte de choix stratégique.

La démocratie au sens strict est ainsi, dans l’organisation communiste, secondaire par rapport au centralisme, bien qu’en même temps, le centralisme exprime de manière la plus approfondie qui soit la démocratie.

Les membres du Parti se réunissent lors d’un congrès, où la démocratie est complète dans les discussions aboutissant à des prises de décisions. Ces décisions sont alors portées par une direction élue par les membres jusqu’au prochain congrès.

Entre les congrès, l’aspect centralisateur prédomine, ce qui aboutit à ce que les membres en désaccord avec les choix effectués doivent entièrement se soumettre à ceux-ci, que la direction prend l’ensemble des décisions, que dans le Parti les organisations sont hiérarchisées et que l’instance supérieure prime toujours dans ses décisions.

Mais cela n’a pas une forme bureaucratique. Le matérialisme dialectique considère que tout est en mouvement et qu’ainsi, à chaque congrès, il s’exprime nécessairement une lutte de deux lignes, entre le nouveau et l’ancien, faisant qu’il ne s’agit pas de prendre des décisions en général, ce qui n’arrive jamais, mais toujours des décisions en particulier.

Il n’est pour cette raison nullement possible de pratiquer abstraitement le centralisme démocratique, en-dehors de la question des lignes politiques. Le centralisme démocratique n’est pas une méthode, il n’existe que porté par les communistes dans une réalité historique, portant un caractère politique.

Il n’y a pas de centralisme démocratique flottant au-dessus de la réalité comme « technique » d’organisation. Le centralisme démocratique exprime une réalité concrète, en mouvement, confiant au mouvement dialectique interne une nature productive authentique.

C’est cela que Rosa Luxembourg n’a par exemple pas compris, confondant la démocratie populaire assumant la dictature du prolétariat et le centralisme démocratique portant, politiquement, l’affirmation communiste de la dictature du prolétariat. D’où sa critique ultra-démocratique de la révolution russe, qui ne comprend pas que sans l’affirmation communiste, la démocratie populaire ne trouve pas de cadre où non pas simplement s’exprimer, mais également se poser historiquement comme centre de pouvoir.

Elle dit ainsi :

« Précisément les tâches gigantesques auxquelles les bolcheviks se sont attelés avec courage et résolution nécessitaient l’éducation politique des masses la plus intense et une accumulation d’expérience qui n’est pas possible sans liberté politique.

La liberté seulement pour les partisans du gouvernement, pour les membres d’un parti, aussi nombreux soient-ils, ce n’est pas la liberté. La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. Non pas par fanatisme de la « justice », mais parce que tout ce qu’il y a d’instructif, de salutaire et de purifiant dans la liberté politique tient à cela et perd de son efficacité quand la »liberté » devient un privilège (…).

En étouffant la vie politique dans tout le pays, il est fatal que la vie dans les soviets eux-mêmes soit de plus en plus paralysée. Sans élections générales, sans liberté illimitée de la presse et de réunion, sans lutte libre entre les opinions, la vie se meurt dans toutes les institutions publiques, elle devient une vie apparente, où la bureaucratie reste le seul élément actif.

C’est une loi à laquelle nul ne peut se soustraire.

La vie publique entre peu à peu en sommeil.

Quelques douzaines de chefs d’une énergie inlassable et d’un idéalisme sans borne dirigent le gouvernement, et, parmi eux, ceux qui gouvernent en réalité, ce sont une douzaine de têtes éminentes, tandis qu’une élite de la classe ouvrière est convoquée de temps à autre à des réunions, pour applaudir aux discours des chefs, voter à l’unanimité les résolutions qu’on lui présente, au fond par conséquent un gouvernement de coterie – une dictature, il est vrai, non celle du prolétariat, mais celle d’une poignée de politiciens, c’est-à-dire une dictature au sens bourgeois, au sens de la domination jacobine (le recul des congrès des soviets de trois mois à six mois !).

Et il y a plus : un tel état de choses doit provoquer nécessairement un ensauvagement de la vie publique : attentats, fusillades d’otages, etc. »

Il faut en réalité comprendre que le centralisme ne s’oppose pas à la démocratie, mais permet sa réalisation, à condition de comprendre que centralisme et démocratie sont deux aspects de la même contradiction.

Si on rate la nature concrète de cette contradiction, alors on bascule dans l’un ou dans l’autre, de manière unilatérale.

Le matérialisme dialectique et les concepts dans leur rapport à l’absolu et au relatif

La pensée s’appuie sur des concepts afin d’appréhender les phénomènes, cependant le matérialisme dialectique souligne que la réalité est en mouvement permanent, en transformation ininterrompue.

Non seulement le cerveau ne fait que saisir des phénomènes extérieurs à lui-même, mais qui plus est il le fait à la fois en retard et de manière partielle. Ce qu’il appréhende est déjà du passé et même ce qu’il saisit n’est pas le phénomène dans son ensemble infiniment complexe avec ses inter-relations, mais une partie, même si significative, de son existence matérielle.

Karl Marx souligne cette dimension dans Le capital. Décrivant l’émergence et le développement du mode de production capitaliste dans son mouvement interne, il précise bien que les différents aspects qu’il présente le sont ceteris paribus, forme raccourcie de ceteris paribus sic stantibus, soit toutes choses étant égales par ailleurs.

Ce dont parle Karl Marx, c’est du mode de production capitaliste dans sa substance, et il sait très bien que, dans les faits, chaque aspect est travaillé par des tendances et des contre-tendances. Ce qu’il aborde dans Le capital est neutralisé, ces tendances et contre-tendances en sont exclues.

Karl Marx est très clair à ce sujet:

« Pour concevoir ces formes à l’état pur, il faut d’abord faire abstraction de toutes les circonstances qui n’ont rien à voir avec le changement de forme et la constitution de forme comme tels.

C’est pourquoi on admet ici non seulement que les marchandises se vendent à leur valeur, mais encore qu’il en va ainsi toutes choses restant égales d’ailleurs.

On fait donc abstraction aussi des variations de valeur qui peuvent intervenir pendant le procès cyclique. »

« Prenons tout d’abord la reproduction simple du capital productif, en supposant comme au chapitre premier que toutes choses restent égales d’ailleurs et que les marchandises sont achetées et vendues à leur valeur.

Toute la plus-value va, dans cette hypothèse, à la consommation personnelle du capitaliste. »

Ce n’est pas tout : non seulement, les aspects expliqués forment des aspects présentés sous un jour substantiel, neutralisé, mais ces aspects ne peuvent jamais se présenter ainsi dans les faits. Il n’existe pas de catégorie pure ou de concept pur qui aurait un sens réel.

Lénine, en 1919, trois ans après avoir écrit L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, précisait bien que :

« Il n’y a jamais eu d’impérialisme pur, sans base capitaliste, il n’y en a jamais eu, il n’y en a nulle part et il n’y en aura jamais. »

Pour cette raison, le matérialisme dialectique place comme aspect principal la dignité du réel. Tout point de vue conceptuel, aussi juste soit-il, est en décalage avec la réalité s’il ne saisit pas de l’intérieur la transformation de celle-ci, sur un mode pratique.

L’humanité fait partie du mouvement général de la matière et pour être en adéquation avec ce mouvement, pour saisir correctement cette transformation, il faut en être partie prenante.

Lénine souligne cela dans Matérialisme et empirio-criticisme en soulignant que l’aspect incomplet de la connaissance ne rend pas celle-ci relative. Bien au contraire, c’est une vérité, mais elle peut être puissamment développée, en la pénétrant davantage en en comprenant davantage les inter-relations avec l’ensemble de la matière.

« Le point de vue de la vie, de la pratique, doit être le point de vue premier, fondamental de la théorie de la connaissance. Écartant de son chemin les élucubrations interminables de la scolastique professorale, il mène infailliblement au matérialisme.

Il ne faut certes pas oublier que le critère de la pratique ne peut, au fond, jamais confirmer ou réfuter complètement une représentation humaine, quelle qu’elle soit.
Ce critère est de même assez « vague » pour ne pas permettre aux connaissances de l’homme à se changer en un « absolu » ; d’autre part, il est assez déterminé pour permettre une lutte implacable contre toutes les variétés de l’idéalisme et de l’agnosticisme.

Si ce que confirme notre pratique est une vérité objective unique, finale, il en découle que la seule voie conduisant à cette vérité est celle de la science fondée sur la conception matérialiste.

Ainsi Bogdanov veut bien reconnaître dans la théorie de la circulation monétaire de Marx une vérité objective, mais uniquement « pour notre époque », et il considère comme du « dogmatisme » d’attribuer à cette théorie un caractère de vérité « objective suprahistorique » (Empiriomonisme, livre III, p. VII). C’est de nouveau une confusion.

Aucune circonstance ultérieure ne pourra modifier la conformité de cette théorie avec la pratique pour la simple raison qui fait de cette vérité : Napoléon est mort le 5 mai 1821, une vérité éternelle.

Mais comme le critère de la pratique – c’est-à-dire le cours du développement de tous les pays capitalistes pendant ces dernières décades, – démontre la vérité objective de toute la théorie économique et sociale de Marx en général, et non de telle ou telle de ses parties ou de ses formules, etc., il est clair que parler ici du « dogmatisme » des marxistes, c’est faire une concession impardonnable à l’économie bourgeoise.

La seule conclusion à tirer de l’opinion partagée par les marxistes, que la théorie de Marx est une vérité objective, est celle-ci : en suivant le chemin tracé par la théorie de Marx, nous nous rapprocherons de plus en plus de la vérité objective (sans toutefois l’épuiser jamais) ; quelque autre chemin que nous suivions, nous ne pourrons arriver qu’au mensonge et à la confusion. »

C’est ce qui amenait Lénine, dans Les trois sources et les trois parties constitutives du marxisme, à affirmer que :

« La doctrine de Marx est toute-puissante, parce qu’elle est juste. »

On voit ici qu’il existe une dialectique entre l’absolu et le relatif.

Affirmer que Napoléon est mort le 5 mai 1821 est une vérité éternelle, c’est-à-dire absolue. Elle ne peut pas être remise en cause. En même temps, c’est une vérité relative sur le plan scientifique, car d’innombrables aspects de la mort de Napoléon ne sont pas connus, tel le temps qu’il faisait à ce moment-là, ce qui se passait à Athènes au même moment, à quoi il pensait à son dernier moment de conscience, les causes précises et approfondies de son décès, etc.

Le matérialisme dialectique dit ainsi que toute connaissance est un reflet de la réalité, que la réalité fournit aux idées et aux sensations des images de la réalité qui sont en décalage avec la réalité, car une personne ne peut pas synthétiser à elle-seule l’ensemble de la réalité, et que la réalité est en mouvement ininterrompu qui plus est, ce qui implique un retard dans le reflet.

Cependant, il est possible de formuler la chose de manière lisible en saisissant ce qui suit. Au sens strict, la seule loi absolue est celle de la contradiction. Or, par définition, cette loi s’applique à elle-même. C’est pourquoi il est juste, désormais, de considérer le développement inégal comme un aspect fondamental de la loi de la contradiction.

Imaginons qu’on se place sur le plan de la géométrie et qu’on place deux droites parallèles allant à l’infini, et qu’on s’arrête à cela. En apparence, on peut conceptuellement considérer que ces deux droites sont en opposition, à la manière du Yin et du Yang dans la philosophie antique chinoise.

Or, deux droites parallèles allant à l’infini, comme le Yin et le Yang, sont des équivalents et cela est impossible suivant la loi du développement inégal.

La loi de la contradiction implique que, parmi les multiples aspects, il y ait un aspect principal, suivant la loi du développement inégal.

Mais c’est également vrai pour l’aspect principal, dans la tension entre les deux pôles. Deux pôles qui seraient équivalents, qui s’équivaudraient s’annuleraient comme dans le Yin et le Yang. Il faut une différence dans l’expression de ces deux pôles.

Il faut ici reprendre ce qu’a enseigné Mao Zedong :

« Sans contraste, pas de différenciation. Sans différenciation et sans lutte, pas de développement. »

Et inverser dialectiquement, ce qui donne :

« Sans développement, pas de différenciation et pas de lutte. Sans différenciation, pas de contraste. »

C’est cela, la base de la théorie de la connaissance du matérialisme dialectique. Aucune connaissance ne serait possible s’il n’y avait pas de développement, car c’est par le développement que se pose la différenciation et la lutte, donc le contraste. Aucune connaissance ne serait possible dans un monde éteint.

C’est cela qui explique qu’il faille être partie prenante de la différenciation, de la lutte, pour saisir le développement d’un côté, le contraste de l’autre. L’opposition dialectique entre le développement et le contraste est le noyau dialectique des sciences dans les différents domaines.

Les sciences, dans les différents domaines, montrent les contrastes, mais s’opposent au développement en cours ; il faut alors replonger dans la réalité pour rattraper le développement et rétablir le contraste.

Le contraste, défini au moyen de concepts, est ainsi relatif, le développement seul étant absolu, mais en même temps le contraste défini par des concepts porte l’absolu (car il définit conceptuellement le développement à une étape donnée), car le développement porte le relatif (car on parle ici du développement à une étape donnée).

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sur le matérialisme dialectique

La guerre en Ukraine ouvre la boîte de Pandore des conflits militaires impérialistes directs – la guerre populaire mondiale est la réponse historique

L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 indique que nous sommes entrés dans une nouvelle période, celle où les conflits militaires de haute intensité se présentent aux yeux des impérialistes comme un moyen réalisable d’atteindre ses objectifs. C’est là un saut qualitatif mondial dans le rapport entre les pays, entre les États ; cela correspond à un niveau de conflictualité nouveau sur le plan des contradictions inter-impérialistes.

Nous soulignons ici que nous avons prévu depuis une année un tel saut, que nous en avons analysé en amont de très nombreux aspects, parce que nous avons saisi que la pandémie ouvrait en 2020 la seconde crise générale du capitalisme. S’il est important de le dire, c’est parce que tout positionnement est par définition toujours politique et que, désormais, il l’est d’autant plus. Dans cette nouvelle situation, toute prise de position ou non-prise de position n’est pas seulement lourde de sens, mais également empreinte d’une signification majeure, dans la mesure où elle converge avec telle ou telle tendance historique.

Autrement dit, le caractère foncièrement apolitique des pays capitalistes développés, comme la Belgique et la France, est en contradiction avec le fait que ces pays se voient arrimer à un phénomène historique qui est la tendance à la guerre. Nous ne parlons pas seulement ici d’interventions militaires, comme les pays impérialistes en ont mené de manière ininterrompue depuis trente ans, mais d’une démarche de mobilisation militariste engageant l’ensemble des aspects d’un pays entier.

Dans un tel contexte où les États se structurent littéralement pour la guerre, dire certaines choses et pas d’autres, ne rien dire, faire certaines choses ou ne rien faire… s’intègrent forcément à une orientation politique, en raison d’une époque qui a changé et est désormais marquée par des conflits de haute intensité comme possibilités et même comme nécessités afin de trouver une « sortie de crise ». Il n’est pas d’apolitisme qui tienne – auparavant, c’était déjà fictif, mais dans une époque de tendance à la guerre, cela devient entièrement artificiel.

Si nous faisons de cet aspect concret l’aspect principal de notre déclaration, c’est en raison du primat de la pratique, car la dignité du réel prime toujours. La guerre impérialiste ne tombe pas du ciel, pas plus qu’il n’y a des partisans de la guerre impérialistes qui tomberaient du ciel pour prendre le pouvoir d’État et réorienter subitement, du jour au lendemain, un pays vers la mobilisation nationaliste générale. C’est dans la réalité que se produit la tendance à la guerre, c’est de la réalité que procède la tendance à la guerre, sur la base d’innombrables contradictions produites par le mode de production en capitaliste en crise.

C’est parce qu’un pays est dos au mur, qu’il a besoin d’une sortie de crise coûte que coûte, que la guerre se produit, sur une base impérialiste car relevant de ce qui forme une grande bataille pour le repartage du monde. C’est le sens de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, cette dernière étant confrontée à une crise propre à son régime oligarchique dans le cadre général imposé par la pandémie. L’impérialisme oligarchique russe ne pouvait plus tenir le rythme capitaliste et il a été obligé de chercher à modifier la situation, par le conflit de haute intensité, franchissant le pas en raison d’une nécessité historique qui lui était propre.

On ne peut pas comprendre l’invasion russe si on s’imagine qu’elle a comme base le désir d’un individu cherchant à récréer un empire dont il deviendrait le tsar ; tomber à ce niveau d’analyse où le président russe Vladimir Poutine serait un tyran est totalement hors sol. L’invasion russe procède de contradictions internes, propres au régime russe, avec notamment la contradiction entre les intérêts du complexe militaro-industriel et ceux de l’oligarchie, dans le cadre d’un capitalisme frappé au niveau général par la crise générale.

Si les oligarques étaient en mesure d’accompagner individuellement cette crise de par leur mode de vie individuel décadent et parasitaire dans les hautes sphères bourgeoises internationales, en tant que classe l’oligarchie russe est intrinsèquement lié au complexe militaro-industriel dans le cadre national capitaliste russe, et cet aspect est devenu principal avec la crise générale ouverte en 2020, car la Russie risquait de basculer dans un déclassement significatif.

Si la question de l’OTAN a été sans cesse primordiale dans l’argumentation russe, avec une réelle inquiétude devant la menace de ce bloc militaire à ses frontières, il y a fondamentalement la pression économique énorme exercée par le bloc capitaliste occidental avec la superpuissance impérialiste américaine et les pays de l’Union européenne. Ce bloc a réussi, momentanément, à bloquer les effets immédiats de la crise générale, en multipliant des crédits à très grande échelle. La Russie, de par sa nature économique à la fois bureaucratique et productrice de matières premières, n’était pas en mesure d’accompagner cette initiative capitaliste à grande échelle.

Cependant, l’analyse détaillée des contradictions internes à la Russie reste une tâche à mener et ce n’est pas l’aspect principal ici. En effet, ce qui prime avant tout, c’est que la guerre en Ukraine ouvre la boîte de Pandore des conflits militaires impérialistes directs. Il s’agit là d’un profond renversement, qui a une nature concrète concernant tous les aspects de la vie quotidienne dans les pays impérialistes.

Il faut en effet malheureusement constater que le conflit militaire en Ukraine marque l’émergence de la guerre conventionnelle au 21e siècle. Une fois qu’une telle guerre ouverte a été menée, une autre peut être menée bien plus facilement, du fait de la banalisation de ce phénomène dans les esprits, surtout si c’est présenté comme une fatalité aux yeux des opinions publiques travaillées au corps par les grandes bourgeoisies de chaque pays.

Le militarisme de chaque État va se voir encore plus accentué, encore plus « justifié ». La tendance à la guerre va se systématiser avec encore plus d’agressivité, exigeant une soumission chauvine toujours plus grande et même une mobilisation « patriotique » en ce sens.

Les institutions – de l’École aux syndicats, des services publics aux partis politiques – vont inlassablement contribuer à renforcer cette tendance, à l’inscrire dans le temps, à galvaniser dans le sens du nationalisme.

La question fondamentale qu’il y a ici, c’est de savoir dans quelle mesure il y a une capacité réelle de la part des pays capitalistes avancés à mettre en place une armée de masse, au-delà de l’armée professionnelle en place, et de savoir comment le rapport entre les deux peut se faire.

Le capitalisme est ici déchiré entre sa nature de société de consommation de masse, avec des consommateurs totalement individualisés, différenciés au point de multiplier les marchés différents, et un besoin d’organiser de manière militaire de quoi assurer l’expansion aux dépens des autres puissances, avec des soldats façonnés de manière uniforme, obéissant au doigt et à l’œil.

Il y a ici un aspect très important à prendre en compte, qui tient finalement même à la capacité du régime politique en place à se maintenir.

La crise générale du capitalisme est un défi et les régimes doivent, pour l’assumer, se réimpulser. Sans cela, ils ne sont pas capables d’être au niveau du nouveau contexte. Cela implique un renouvellement du personnel politique, une reconfiguration idéologique avec notamment une modification des partis politiques en place.

C’est un phénomène complexe et contradictoire. Le régime veut se renforcer en se renouvelant, mais en se renouvelant il déchire le tissu social existant au préalable, ce qui laisse des espaces pour l’émergence d’une opposition politique, idéologique, culturelle, sociale.

La marche à la guerre du capitalisme n’est pas une voie tranquille, elle ne peut pas se faire sans conflits tant avec les habitudes prises dans le libéralisme qu’avec des masses toujours plus pressurisées pour payer la facture de la crise et de la militarisation.

Il y a ici un espace nouveau qui doit être compris par les communistes, et pour le comprendre il ne faut pas s’attendre à ce que le niveau de conscience atteigne un réel niveau de manière spontanée.

D’abord, parce que ce n’est jamais le cas, ensuite parce que la question de la rupture est encore plus essentielle dans une société capitaliste qui, même affaiblie dans ses fondements, permet encore un très haut degré de corruption.

On le voit bien avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, qui a soulevé le cœur des masses, mais un temps bref seulement, la vie quotidienne capitaliste reprenant quasi immédiatement le dessus.

Nous attirons l’attention sur cette question de l’évaluation du processus de la marche à la guerre, qui est essentielle pour permettre de se placer politiquement de manière adéquate ; les erreurs à ce niveau sont fatales, car en élevant à chaque fois le niveau d’un cran, le capitalisme rend les choses plus difficiles, centralisant le régime et le militarisant.

Ce qui, dialectiquement, implique de calibrer de manière adéquate les propositions politiques communistes. Le grand risque est ici le gauchisme. Plus le capitalisme se centralise, plus il devient fort, mais en même temps il rend toujours plus étroit sa base et par là-même il se fragilise.

Si la situation implique ainsi toujours plus de radicalité, le programme communiste vise pourtant dialectiquement, à court et moyen terme, toujours moins un État socialiste en tant que tel, pour se tourner vers la proposition d’un nouvel État démocratique et populaire, sur une base d’opposition au nationalisme et au militarisme, c’est-à-dire en fin de compte anti-monopoliste.

La question qui se pose avec l’irruption de la guerre comme actualité, ce n’est pas moins que celle de la nature de l’État et de ses orientations. Les impérialistes précipitent les masses dans la guerre au moyen de leurs États, aussi les communistes doivent-ils faire en sorte que les masses génèrent un nouvel État prenant une option entièrement différente.

Ces masses doivent être unies et de par la centralisation des régimes se tournant vers la guerre, il faut un programme répondant dialectiquement à cette centralisation. Il y a donc besoin de la mise en place d’un nouveau régime, démocratique et populaire, privant le pouvoir de la haute bourgeoisie et ses vassaux, en nationalisant les principaux secteurs de l’économie, en formant une armée nouvelle, de type démocratique et populaire, en brisant les idéologies nationaliste et militariste.

Le caractère démocratique et populaire de cet État – et non pas socialiste et ouvrier – tient au fait que la tendance à la guerre va de pair avec une immense décomposition sociale et que, par là-même, seul le front le plus large est en mesure de faire face à un régime précipitant toujours plus le pays dans son ensemble dans le militarisme, le nationalisme, l’aventurisme militaire.

C’est la grande leçon des années 1920 et 1930, avec la systématisation de l’action antifasciste, du Front populaire, comme proposition démocratique anti-monopoliste.

Dans un contexte de fuite en avant d’une société déboussolée, de fascisation, de nationalisme exacerbé, de militarisme se généralisant… la proposition stratégique communiste est sur la défensive, par définition.

La réalité politique, sociale, culturelle, idéologique… ne laisse aucune place aux fantasmes ultra-gauchistes, faux qui plus est car, à une époque de décadence, l’affirmation démocratique et populaire tend par elle-même, par nature, au socialisme, et ce dans un processus ininterrompu, et mondial.

La bataille pour le repartage du monde a en effet un caractère planétaire historique. Au-delà des contingences, des particularités nationales, il ne faut pas perdre de vue que, historiquement, le pendant de la guerre impérialiste, c’est la guerre populaire mondiale.

Cela, les impérialistes s’en doutent bien et c’est aussi leur inquiétude, en plus de leur obsession de repartage du monde. Comme l’a enseigné Gonzalo, le dirigeant du Parti Communiste du Pérou dans la seconde moitié des années 1980 :

« Le Président Mao nous disait : il faut se préparer et se préparer dès maintenant contre une guerre impérialiste et principalement contre une guerre atomique.

Comment allons-nous leur répondre ? Évidemment, seulement avec la guerre populaire, il n’y a pas d’autre forme, voilà le principal.

Les démasquer fait partie d’une campagne de propagande qui montre au monde leurs sinistres et macabres plans d’énorme génocide, mais jamais cela n’arrête une guerre.

Staline l’a dit clairement : ces campagnes n’arrêtent jamais une guerre.

Alors la seule chose à faire, si nous voulons empêcher une guerre, c’est de développer la révolution.

Comme l’enseigne le Président Mao : soit la révolution empêche la guerre mondiale, soit cette dernière attise la révolution. »

Il faut stopper les assassins avant qu’ils ne passent à l’action et, si jamais ceux-ci commencent leurs basses œuvres, il faut les combattre dans chaque pays, sans converger avec eux. Cette perspective impose des tâches spécifiques dans chaque pays, mais relève du cadre général de l’internationalisme prolétarien, avec comme perspective la République Socialiste Mondiale.

Ce qui signifie : opposer à la guerre impérialiste mondiale la guerre populaire mondiale.

Mars 2022

Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste de Belgique

Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)

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La crise ukrainienne relève de la guerre impérialiste – rejoignez la bannière du marxisme-léninisme-maoïsme !

Nous voulons ici avertir que les événements en Ukraine portent une charge qualitative entièrement nouvelle, au sens où il ne s’agit pas simplement d’une tension avec des traits bien spécifiques liée à une situation particulière et à un moment particulier. Il ne s’agit pas, en tant que tel, d’un affrontement de deux pays issus de l’URSS, la Russie et l’Ukraine, sur la base de questions d’orientation politiques et économiques extérieure et intérieure.

Il s’agit en effet d’une réalité ayant un caractère nouveau et une dimension générale, reflétant une période historique bien déterminée, car l’heure est à l’accentuation militaire des contradictions inter-impérialistes. La Russie agit ici comme un challenger bousculant l’ordre capitaliste mondial afin de forcer violemment au repartage du monde, afin de parvenir à la mise en place d’un nouvel empire russe.

Il ne s’agit pas de troubles ayant une portée militaire – mais bien d’un effondrement de la « paix » capitaliste.

Nous affirmons cela, parce que notre position communiste marxiste-léniniste-maoïste nous permet de caractériser la crise capitaliste et ce qu’elle implique.

Nous avons compris que le capitalisme était devenu fondamentalement instable avec l’irruption de la pandémie. Dialectiquement, le maintien de son apparente stabilité, au moyen de la multiplication des crédits, se paie par un basculement dans la bataille pour le repartage du monde. La paix intérieure du capitalisme a comme prix la guerre extérieure. Aussi avons-nous justement souligné, depuis pratiquement une année, que la crise ukrainienne allait devenir majeure – une analyse correcte qui est une preuve de la validité de notre analyse du mode de production capitaliste connaissant un processus d’effondrement général.

Il faut ici bien souligner sur ce plan que le monde est totalement sous le choc que la Russie se soit permise d’aligner la majeure partie de ses troupes autour de l’Ukraine et de reconnaître officiellement, le 21 février 2022, les républiques séparatistes de l’Est de l’Ukraine. Les médias, les analystes, les experts, les diplomates… sont tous débordés par cette réalité nouvelle, dont la dimension militaire est ouverte.

Fondamentalement, ce n’est pas que ce soit une initiative militaire unilatérale qui marque les capitalistes, mais qu’il s’agisse là d’un phénomène contribuant massivement au caractère instable des rapports internationaux, une frontière considérée comme infranchissable depuis l’effondrement du bloc social-impérialiste soviétique en 1989 et l’utilisation de la Chine sociale-fasciste dans le dispositif productif international.

Pour employer un terme aux contours trop flous mais parlant, c’est la mondialisation qui se voit ébranlée de manière fondamentale par la crise ukrainienne. L’unification internationale par le marché capitaliste se voit confrontée à une contre-tendance interne : les contradictions inter-impérialistes, et ces dernières prennent de plus en plus le dessus.

Nous le répétons : la stabilité intérieure du capitalisme a provoqué une instabilité extérieure. Le cadre international, pacifié depuis 1989, s’effondre littéralement. La Russie bousculant l’ordre européen au sujet de l’Ukraine reflète, comme exemple et comme point le plus avancé en ce domaine, l’aventurisme impérialiste se systématisant dans le monde.

Le capitalisme impérialiste (de la superpuissance impérialiste américaine, de la Chine, du Japon, de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de la Russie…) et le capitalisme bureaucratique semi-féodal semi-colonial expansionniste (de la Turquie, de l’Iran, du Brésil, de l’Inde…) assument toujours plus de rompre avec la stabilité internationale auparavant reconnue et acceptée comme prioritaire, ou du moins comme constituant le cadre général où agir.

Et comment procèdent les capitalismes en crise, s’alignant sur l’aventurisme ? En faisant en sorte de diviser pour régner. Les haines nationalistes, les passions guerrières, les volontés hégémoniques, les intérêts matériels, les traditions religieuses… Absolument toutes les nuances et différences entre les peuples, entre les gens eux-mêmes, sont utilisées par les grandes puissances pour provoquer la division, pour fomenter des troubles, pour fomenter des mouvements de « révolte » sur une base irrationnelle, des tendances aux séparatismes… afin que cela serve d’appui aux opérations rentrant dans le cadre des visées impériales.

La division entre les peuples russe et ukrainien est artificielle, elle est produite par le jeu des grandes puissances

Ce qui se déroule en Ukraine est exemplaire de cette opération impérialiste de « diviser pour régner ». Les peuples russes et ukrainiens, qui se connaissent si bien depuis des siècles et qui sont si proches culturellement malgré leurs différences nationales, se voient projeter l’un contre l’autre.

Les choses sont montées en épingle de manière disproportionnée, avec un énorme matraquage idéologique, des opérations psychologiques de grande envergure, une propagande exacerbée réécrivant l’Histoire selon les besoins impérialistes.

Deux grandes puissances sont ici responsables de l’horrible situation de l’Ukraine.

La superpuissance impérialiste américaine, hégémonique dans le monde, utilise l’OTAN comme vecteur afin de placer le continent européen sous son contrôle, élargissant pour cela son dispositif à l’Europe de l’Est. L’Ukraine est le dernier pays manquant encore avant la Russie, d’où les milliards déversés par la CIA afin de pousser à une « révolte » pro-occidentale, qui se réalisa en 2014 avec le coup d’État de l’Euromaidan dont une composante importante consista en les mouvements d’extrême-droite Svoboda et Pravdy Sektor.

L’impérialisme russe tente de reformer, non pas tant la superpuissance social-impérialiste soviétique des années 1960-1980, que l’empire russe d’avant Octobre 1917. L’intégration-désintégration de l’Ukraine est ainsi à l’ordre du jour pour la Russie d’aujourd’hui comme à l’époque des Tsars où la nation ukrainienne était niée, la langue ukrainienne interdite, la culture ukrainienne martyrisée, les Ukrainiens considérés comme des « petits-russes » de moindre valeur.

La thèse de la seconde crise générale du capitalisme
est confirmée

Les événements en Ukraine ne sont pas compréhensibles à partir d’un prisme « géopolitique », de considérations économiques, d’analyses militaires. Il va de soi qu’il y a des aspects militaires, politiques, économiques… dans tout cela. Mais ce n’est pas la substance des choses.

Le véritable déclencheur des événements, ce qui a ouvert la boîte de Pandore, c’est la seconde crise générale du capitalisme, déclenchée par la pandémie. Le capitalisme procède en effet par expansion, tout en se heurtant à un moment donné à une limite. Il se confronte alors à un obstacle infranchissable empêchant la continuité de l’accumulation de capital et de travail.

Il doit tout faire pour forcer la continuation de l’expansion. C’est alors la tendance à la guerre qui s’exprime, jusqu’à la guerre impérialiste.

La première crise générale du capitalisme s’est produite dans les années 1910, avec le déclenchement de la guerre mondiale et la révolution russe d’Octobre 1917. L’accumulation capitaliste était alors littéralement torpillée, les sociétés se déchirant politiquement, culturellement, socialement.

Le capitalisme n’avait alors pas encore atteint le degré de maturité permettant une société de consommation, l’encadrement complet des comportements et des mentalités au moyen des institutions (dont les syndicats font partie), d’un travail salariat perpétuellement rationalisé.

La contradiction entre le travail intellectuel et le travail manuel était explosive dans un tel cadre, et le fascisme comme mobilisation de masse pour dévier les protestations et empêcher l’affirmation du besoin de communisme se systématisa, précipitant les pays dans la seconde guerre mondiale.

La seconde crise générale du capitalisme s’est produite au début de l’année 2020, avec l’irruption d’une maladie issue du terrible écocide provoquée par le capitalisme à l’échelle mondiale. La destruction de la Nature a pris une immense proportion, allant jusqu’à une crise dans le cadre de la contradiction entre les villes et les campagnes, aboutissant au dérèglement des rapports entre les espèces et les maladies.

Le capitalisme a pris de plein fouet l’irruption de la pandémie, toute sa production a été bouleversée, ainsi que le rythme fondamental du 24 heures sur 24 de la vie quotidienne avec sa consommation forcenée. La machinerie capitaliste s’est enrayée.

C’est précisément la compréhension de cette seconde crise qui nous a permis, dès le milieu de l’année 2021, d’affirmer que la crise ukrainienne relevait d’une dimension nouvelle, d’une confrontation militaire à une nouvelle échelle, de la guerre impérialiste pour le repartage du monde.

La crise ukrainienne a comme arrière-plan la contradiction entre la superpuissance impérialiste américaine et son challenger chinois

La bataille pour le repartage du monde est concrètement la grande actualité des pays du monde, que ceux-ci soient des pays capitalistes développés (comme la Belgique, la France…) ou des pays semi-féodaux semi-coloniaux (comme la Turquie, le Brésil ou le Mali). Il faut trouver un moyen d’arriver à l’expansion, à tout prix, sinon le régime s’effondre comme un château de cartes de par la pression de la crise.

La situation en Ukraine doit d’autant moins être comprise de manière « géopolitique » que ce qui se joue à l’arrière-plan, c’est la mise en place de la troisième guerre mondiale impérialiste entre la superpuissance impérialiste américaine et son challenger chinois.

Le capitalisme a réussi à se relancer grâce à une expansion aux dépens d’une partie importante des territoires auparavant sous la dépendance du social-impérialisme soviétique, ainsi qu’avec l’utilisation de la Chine comme atelier du monde, puis comme usine du monde.

La fin de cette expansion commencée en 1989 s’est exprimée en 2020 avec la pandémie et elle apporte au monde une nouvelle grande puissance, la Chine, qui vise à l’hégémonie mondiale en remplacement de la superpuissance impérialiste américaine.

La Chine, un pays social-fasciste depuis la restauration du capitalisme en 1976, a profité de l’expansion capitaliste mondiale en exploitant massivement la classe ouvrière chinoise et en s’appuyant sur un régime terroriste. Profitant de sa taille et de sa population, l’impérialisme chinois vise à s’affirmer sur la scène mondiale, aux dépens de la superpuissance impérialiste américaine.

Le conflit entre l’impérialisme russe et l’Ukraine est ainsi, sur le plan de la tendance historique, également un conflit entre la Russie et la superpuissance impérialiste américaine, et revient même à un affrontement entre la Chine et la superpuissance impérialiste américaine.

Le moteur principal de la guerre impérialiste au niveau mondial est l’affrontement sino-américain, qui joue à tous les niveaux, dans tous les affrontements militaires.

L’OTAN est un appareil militaire à visée externe et interne

La Belgique est pays impérialiste de faible importance, la France est un pays impérialiste d’importance significative. Cependant, la Belgique accueille le siège de l’OTAN à Bruxelles et porte en ce sens une très lourde responsabilité, celle d’assurer une stabilité permanente afin de légitimer l’OTAN.

L’OTAN a été en effet le bras armé accompagnant le développement du capitalisme occidental dans les années 1960-1980, ce qui veut dire que ce n’a pas été simplement une structure militaire se définissant par rapport au bloc de l’Est dirigé par le social-impérialisme soviétique. L’OTAN a également été tout un appareil d’affirmation symbolique, de pression psychologique, d’échanges d’informations des services secrets et d’opérations militaires, dans le sens de la contre-insurrection.

L’OTAN est un appareil exerçant une pression pour uniformiser la défense des intérêts économiques et politiques du capitalisme occidental ; il ne faut jamais oublier l’importance que l’OTAN accorde pour chacun de ses membres, aux formes institutionnelles, aux prises de position diplomatiques, à l’organisation des rapports sociaux.

C’est d’ailleurs pour cela que l’Ukraine n’a pas encore pu adhérer à l’OTAN et qu’elle connaît d’intenses modifications internes afin justement d’être en mesure de répondre aux exigences du capitalisme occidental.

D’où les difficultés également de la France, pays exemplaire du capitalisme occidental mais cherchant à disposer souvent d’une indépendance stratégique, dans ses rapports avec l’OTAN.

Cet aspect de la question de la guerre impérialiste est essentiel, car qui dit guerre dit appareil militaire, et on ne peut pas comprendre les modalités de la guerre sans voir comment celle-ci se développe, comment elle se met en place, comment elle cherche à se dérouler.

La Russie est un pays impérialiste

Même si en Belgique et en France l’OTAN reste l’aspect principal de la tendance à la guerre, il ne faut absolument pas pour autant attribuer une valeur positive, à caractère « anti-impérialiste », à la Russie. Ce pays, dont les visées expansionnistes sont indubitables, n’a eu de cesse de développer un immense appareil idéologique pour se présenter sous un jour favorable, comme simple « victime » de l’OTAN.

Des médias comme RT et Sputnik, des agitateurs permanents sur les réseaux sociaux, des hommes politiques soudoyés, et même des organisations d’extrême-gauche ou d’ultra-gauche en mal de légitimité… présentent la Russie comme un pays pacifique, contribuant au progrès mondial dans tous les domaines, jouant le rôle de principal obstacle à la mondialisation capitaliste.

La Russie porterait, malgré sa nature, des traits « soviétiques », un respect des codes de l’honneur, des principes communautaires « socialistes », permettrait la mise en place d’un monde « multipolaire », ne serait pas gangrené par un capitalisme déchaîné, etc.

Tout cela relève de la propagande impérialiste, aussi ne saurait-on sous-estimer le rôle néfaste joué par la Russie dans sa tentative se présenter comme devant être naturellement soutenue si on s’oppose à un capitalisme qui serait « occidental », par opposition à une « Eurasie » qui porterait une identité « socialiste ».

On doit ici considérer qu’il y a une contradiction inter-impérialiste et s’il y a bien toujours un aspect principal, il ne faut jamais perdre de vue le principe de l’autonomie prolétarienne, du maintien des principes idéologiques communistes, de l’auto-suffisance sur le plan de l’organisation.

Il faut avoir dans l’idée qu’on est dans la même configuration qu’avant 1914 et il ne s’agit pas de prendre parti pour un impérialisme contre un autre.

Nous en sommes revenus à la situation d’avant 1914

Il est nécessaire de constater qu’un piège impérialiste s’est refermé sur l’Ukraine, la superpuissance américaine et l’impérialisme russe transformant ce malheureux pays en cible pour leur propre expansionnisme. La première veut élargir sa zone d’influence et de contrôle, en faisant de l’Ukraine son satellite, alors que la Russie aimerait justement que celle-ci intègre son champ de domination « impériale ».

Cela nous ramène à la situation mondiale avant 1914, avec la compétition entre puissances pour se développer aux dépens d’autres pays, au moyen de coups de pression, d’interventions militaires.

La crise militaire en Ukraine le monte bien : les interventions militaires sont désormais considérées comme le facteur décisif, comme l’expression politique la plus nette, la plus tranchante, la plus à même de permettre l’expansion.

La seconde crise générale du capitalisme a apporté un saut qualitatif, où la tendance à la guerre l’emporte sur les autres tendances, de manière ouverte ou indirecte, franche ou insidieuse. Et les capitalistes profitent de toutes les améliorations techniques et technologiques, du caractère plus développé des forces productives.

Le caractère nouveau de la guerre moderne

Nous voulons souligner le fait que, malheureusement, les larges masses n’ont pas une compréhension juste de ce qu’est la guerre moderne. Elles ne saisissent pas ce qu’est un État, donc elles ne voient pas ce qu’est le pouvoir dans son rapport aux classes. Qui plus est, et c’est là essentiel, elles ne voient pas les immenses modifications que connaît la guerre dans ses formes concrètes depuis trente ans.

L’irruption des nouvelles technologies a largement modifié la gestion des conflits, avec une capacité de connaissance en temps réel désormais des acteurs sur place et une distribution immédiate des décisions à ces mêmes acteurs sur le champ de bataille.

Ce saut qualitatif dans la gestion des actions a contribué à un renforcement quantitatif de par une interaction démultipliée des troupes militaires elles-mêmes. C’est le sens de la professionnalisation des armées : la guerre moderne exige un haut niveau de technicité, tant pour maîtriser les innombrables types d’armes que pour être en mesure de gérer ou participer à des opérations désormais coordonnées de manière très approfondie.

La guerre moderne possède en ce sens de très nombreux aspects, qui ne sont pas tant nouveaux que faisant l’acquisition d’une autre magnitude et se combinant bien davantage. Que ce soit par l’espionnage, le sabotage, la guerre psychologique, les piratages informatiques, les opérations consistant en des « coups » bien déterminés… la guerre moderne a obtenu un caractère « hybride » comme le formulent les experts militaires bourgeois.

Les armées modernes intègrent même directement dans leurs activités tant la surveillance que l’utilisation des réseaux sociaux pour leurs opérations. Il y a cette anecdote de Facebook fermant des comptes se prétendant maliens mais en fait liés aux armées française et russe en décembre 2020, cependant dans les faits chaque armée assume entièrement cette dimension d’opération psychologique, de manipulation.

On peut dire que, avec les technologies actuelles, il y a une combinaison encore plus avancée des services secrets avec l’armée et inversement, ce qui renforce la signification des décisions prises au plus haut niveau au sein d’un appareil d’État toujours plus centralisé.

Jamais les États n’ont ainsi été autant coupés du peuple – mais, en même temps, jamais ils n’ont été autant capable de réactivité et de prises d’initiative d’écrasement rapide.

Il n’est pas de retour en arrière possible

Comme l’a affirmé Staline à la suite de Lénine, « pour supprimer l’inévitabilité des guerres, il faut détruire l’impérialisme ». Toute autre conception est une convergence avec le mode de production capitaliste et il faut souligner ici la menace que représentent les courants bourgeois « socialistes » prétendant réorganiser le capitalisme, le réguler, lui mettre des barrières, le refaçonner, lui imposer des règles, etc.

Il y a deux ennemis et non pas un : il faut combattre ceux qui veulent la guerre impérialiste, au nom du nationalisme, de l’expansionnisme, et il faut aussi combattre ceux qui mentent en prétendant pouvoir faire changer le capitalisme.

Aussi vaines que soient ces prétentions à « améliorer » ou « modifier » le capitalisme, elles désorientent, elles font perdre du temps, elles empêchent de voir la gravité de la situation historique.

Le capitalisme aboutit immanquablement à la guerre impérialiste et il n’est pas de retour en arrière possible une fois un tel processus enclenché. Seul le démantèlement des monopoles peut briser les forces menant à la guerre, et quel sens aurait un retour au capitalisme qui remettrait en branle le processus menant à des monopoles ?

Les réformistes répondront ici qu’un « capitalisme organisé » est possible : c’est un mensonge qui masque les intérêts du capitalisme cherchant à sauver son existence. Il y aura aussi les romantiques économiques qui proposeront un retour en arrière à une forme primitive de capitalisme, avec l’artisanat, voire le troc. C’est là incompatible avec les exigences de notre époque.

Les exigences de notre époque

La guerre qu’amène le capitalisme est aussi, dialectiquement, une contre-réponse à la paix planétaire qui est historiquement possible.

Nous avons besoin d’une société mondiale unifiée, d’une humanité unifiant et centralisant toutes ses forces, afin d’élever le niveau de vie des masses mondiales et d’en même temps protéger la planète, en adoptant un mode de vie qui soit naturel et non plus décidé artificiellement par les capitalistes pour développer la consommation.

La guerre imposée par le capitalisme est également un moyen de propager la concurrence, la compétition, le cynisme, l’égoïsme… Alors que sont à l’ordre du jour la compassion, l’empathie, le Socialisme. Au lieu d’avoir une humanité pacifiée et cultivée, se tournant vers la Nature et en particulier les animaux, ayant la tête dans les étoiles pour envisager la colonisation spatiale, le capitalisme cherche à défigurer le monde à coups de divisions, de sectarisme, de particularismes.

C’est là un aspect essentiel. Le capitalisme propage les divisions qui se conjuguent pour former une légitimité au crime à grande échelle. Il faut que les communistes soient en mesure de faire face à une telle entreprise, et cela implique d’être capable d’avoir une lecture approfondie de ce qu’est la société socialiste, le besoin de communisme.

Toute réduction à de l’économisme, à des considérations sans profondeur, sans âme, sans reconnaissance de la dignité du réel… amène la défaite face aux mobilisations provoquées par le capitalisme, qui profitent tant de moyens matériels élevés que d’un irrationalisme particulièrement prononcé.

Il faut impérativement avoir conscience de cette dimension !

Vive la nation ukrainienne, victime du complot militariste réalisé par la superpuissance américaine et l’impérialisme russe !

Guerre à guerre impérialiste, guerre à l’OTAN !

Guerre populaire jusqu’au Communisme !

Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste de Belgique

Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)

Février 2022

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La dissolution de l’Internationale Communiste

Le chaos provoqué par le début de la guerre en 1939 et l’entière désorganisation du Parti Communiste Français porta de fait un coup fatal à l’Internationale Communiste. Sa seule fonction était désormais d’évaluer les rapports de force de la guerre inter-impérialiste, même si bien entendu les réseaux clandestins étaient maintenus. Cependant, l’aspect principal qui était la direction de manière formelle des Partis Communistes du monde entier avait en quelques sorte disparue en soi.

Cela ne tombait pas du ciel. Si à sa fondation l’Internationale Communiste se pose littéralement comme Parti Communiste mondial dirigeant les sections selon les interprétations de la situation de la révolution mondiale, cela s’est transformé en gestion directe des Partis Communistes agissant dans leur propre cadre national.

C’était comme si ce processus s’était porté à son paroxysme et rendait caduc l’orientation prise à la base. L’article au sujet du premier mai 1940 dans la presse de l’Internationale Communiste consiste pour cette raison surtout en une sorte de pur bilan de la situation caractérisée par la terreur fasciste et la guerre impérialiste, aux communistes appartenant… l’avenir. L’appel du premier mai 1940 en tant que tel ne dit pas autre chose, soulignant également le rôle de la social-démocratie dans son aide à la légitimité des régimes impérialistes britannique et français.

Il en alla de même pour le premier mai 1941, alors que la guerre impérialiste s’installait clairement de manière durable et avait comme prolongement direct, en juin 1941, l’attaque de l’Union Soviétique par l’Allemagne nazie épaulée des armées finlandaise, hongroise, italienne, roumaine et slovaque.

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste se déplaça alors temporairement de Moscou à Oufa (à un peu plus de mille kilomètres à l’Est de Moscou) et Kouïbychev (à un peu plus de deux mille cinq-cents kilomètres à l’Est de Moscou).

Il était alors clair que l’Internationale Communiste se retrouvait dans une position intenable, et cela d’autant plus qu’avec l’évolution de la guerre, l’URSS se retrouvait allié à des pays capitalistes voyant d’un très mauvais œil cette structure et n’hésitant pas à dénoncer les Partis Communistes comme le simple appendice de l’URSS.

Alors qu’elle n’était pratiquement plus en fonction, l’Internationale Communiste vit son Comité Exécutif se réunir les 13 et 17 mai 1943, aboutissant à l’envoi le 20 mai d’une missive aux Partis Communistes quant à une éventuelle dissolution. C’était là en soi également une marque de faiblesse puisqu’il était impossible d’organiser un congrès.

La thèse principale de la missive est que :

« Bien avant la guerre, il devint de plus en plus clair que, dans la mesure où la situation intérieure aussi bien qu’internationale des différents pays devenait plus compliquée, la solution des problèmes du mouvement ouvrier de chaque pays particulier par l’intermédiaire de quelque centre international rencontrerait des obstacles insurmontables.

Les profondes différences dans les voies historiques de développement de chaque pays du monde, le caractère divers et même la contradiction dans leurs ordres sociaux, la différence dans le niveau et dans le rythme de leur développement social et politique et enfin la différence dans le degré de conscience et l’organisation des travailleurs ont également conditionné les divers problèmes auxquels est confrontée la classe ouvrière de chaque pays en particulier.

L’ensemble du cours des événements depuis un quart de siècle, ainsi que les expériences accumulées de l’Internationale communiste, ont prouvé de manière convaincante que la forme d’organisation pour l’unification des ouvriers choisie par le premier Congrès de l’Internationale communiste, qui correspondait aux besoins de la période initiale de renaissance du mouvement ouvrier, avait fait son temps à proportion de la croissance de ce mouvement et de la complexité croissante des problèmes dans chaque pays, et que cette forme devenait même un obstacle au renforcement ultérieur des partis ouvriers nationaux. »

Le 7e congrès avait d’ailleurs déjà constaté qu’il fallait porter toute son attention aux conditions particulières de chaque pays. Et cette différenciation de la situation des pays était d’autant plus vrai, dit la missive, qu’il y a des pays qui font partie du bloc de l’Allemagne nazie et d’autres du bloc qui lui est opposée : les tâches ne sauraient donc être les mêmes.

La fin de la missive se conclut d’ailleurs par l’appel suivant :

« Le Présidium du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste demande à tous les adhérents de l’Internationale communiste de concentrer leurs forces sur un soutien total et une participation active à la guerre de libération des peuples et des États de la coalition anti-hitlérienne afin de hâter la destruction de l’ennemi mortel des travailleurs – le fascisme et ses alliés et vassaux. »

Le présidium était alors composé du bulgare Georgi Dimitrov, de l’Italien Ercoli (soit Palmiro Togliatti), de l’Allemand Wilhelm Florin, du Tchécoslovaque Klement Gottwald, du Soviétique Andreï Jdanov, du Bulgare Vasil Kolarov, de l’Autrichien Johann Koplenig, du Finlandais Otto Kuusinen, du Soviétique Dmitri Manouïlski, du Français André Marty, de l’Allemand Wilhelm Pieck et du Français Maurice Thorez.

Étaient également présents à Moscou l’Italien Vincenzo Bianco, l’Espagnole Dolores Ibárruri, la Finlandaise Inkeri Lehtinen, la Roumaine Ana Pauker, le Hongrois Mátyás Rákosi.

La missive fut publiée dans la presse de l’Internationale Communiste le 22 mai, puis dans la Pravda dans la foulée. Les réponses des Partis Communistes furent en faveur de la dissolution et le 8 juin 1943 le Comité Exécutif annonça qu’il se considérait comme dissous à partir du 10 juin.

Le Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) mit alors immédiatement en place une « information internationale » auprès du Comité Central, s’occupant notamment des émissions radiophoniques nationales illégales, des relations avec les Partis Communistes à l’étranger, des éditions en langues étrangères, nombre d’établissements de l’Internationale Communiste se convertissant en « instituts » lui étant également soumis.

On trouvait à sa tête Alexandre Chtcherbakov, une très importante figure du Parti.

L’URSS modifia alors également son hymne en conséquence. En lieu et place de l’Internationale depuis sa fondation, une nouvelle chanson, produite pour l’occasion et victorieuse dans le cadre d’un grand concours pour cela, fut mise en place (commençant par Soïouz nerouchymyï respoublik svobodnykh…, L’Union indestructible des républiques libres… aux paroles supprimées en 1955 et modifiées en 1977).

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l’Internationale Communiste des Brigades Internationales à la dissolution

Le choix soviétique du traité de non-agression et l’Internationale Communiste

Au début de l’année 1939, l’Internationale Communiste est une observatrice avisée du « repartage du monde ». Elle suit également attentivement la répression telle qu’elle se développe en Allemagne nazie, ainsi que les velléités expansionnistes de celle-ci, constatant que c’est un puissant moteur pour répandre le fascisme en Europe.

Elle aimerait réactiver l’antifascisme, en ayant comme modèle la république espagnole et elle a ainsi clairement en vue un effondrement interne du fascisme italien et du national-socialisme allemand, sans pour autant se faire véritablement d’illusions à ce sujet.

De fait, il n’y a pas de perspective optimiste en ce qui concerne le développement de la révolution mondiale, alors qu’inversement un énorme accent est porté sur les victoires du socialisme en URSS, avec comme symboles tant le Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik) que les purges des éléments antisoviétiques à la fin des années 1930, ainsi que la mise en place du troisième plan quinquennal en 1938.

Le Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik)

Autrement dit, d’un côté l’Internationale Communiste a vu ses sections se ratatiner ou disparaître, même s’il y a dans le monde davantage de Partis Communistes qui se mettent en place, alors que de l’autre l’URSS a réussi sa construction.

L’URSS se retrouvait donc temporairement seule dans ce contexte. Elle n’avait alors finalement plus le choix. Entre son existence à court terme dans un contexte de guerre et l’appui unilatéral à une Internationale Communiste pratiquement hors de fonction ou du moins d’impact concret, elle choisit le premier aspect.

Pour se faire, elle organisa un mouvement stratégique pour empêcher d’être la cible unilatérale de l’Allemagne nazie appuyée par les autres forces impérialistes et pour ce faire elle choisit d’aboutir à un traité de non-agression avec l’Allemagne nazie en août 1939.

Cela permettait de mettre hors d’état de nuire le régime polonais fasciste et les régimes réactionnaires ou fascistes baltes, de récupérer les parties biélorusse et ukrainienne colonisées par la Pologne, et surtout de gagner du temps pour la mise en place de l’armement, en rejetant la guerre vers la France et le Royaume-Uni.

La démarche fut marquée de succès, puisque début septembre 1939 ces derniers déclarent la guerre à l’Allemagne nazie à la suite de l’invasion allemande de la Pologne fasciste. L’Internationale Communiste constatait qu’il y avait une bataille pour le repartage du monde entre les puissances ayant profité de la situation mise en place en 1918 – le Royaume-Uni, la France et les États-Unis – et celles qui ne disposaient que des « restes » : l’Allemagne, l’Italie et le Japon.

Dans l’article de sa presse annonçant le début de la guerre –« Les criminels de guerre »– on lit en octobre 1939 :

« Les impérialistes ont essayé de s’entendre aux dépens de l’Union Soviétique et d’écraser ensemble le socialisme triomphant sur un sixième de la planète.

Ce n’est qu’après qu’ait été mis en échec la tentative de provoquer une guerre entre l’Allemagne et l’Union Soviétique – telle la tentative de l’impérialisme britannique – que les voleurs impérialistes sont tombés les uns sur les autres, afin d’assurer leur propre butin et de s’approprier celui des autres.

Cette guerre est exclusivement menée par toutes les puissances impérialistes afin de savoir quel groupe de puissances impérialistes doit disposer des meilleures sources de profits de la planète, aussi est-il de signification totalement subordonnée de savoir qui est militairement « l’assaillant » et qui est « en défense ».

Tous attaquent celui qui leur dispute le butin, tous défendent leur butin, leur « droit sacré » d’opprimer et de piller les autres peuples. »

En novembre 1939, l’appel du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste pour le 22e anniversaire de la révolution d’Octobre 1917 souligne que :

« Par la mise en place du pacte de non-agression avec l’Allemagne, l’Union Soviétique a brisé les plans sournois des provocateurs de la guerre anti-soviétique.

Par ce traité, elle place ses peuples loin du sanglant champ de bataille et réduisait l’arène de l’incendie guerrier européen. Et lorsque l’État polonais, cette véritable prison des peuples, s’effondra, l’Union Soviétique a tendu la main aux peuples frères de l’Ukraine occidental et de la Biélorussie occidentale. »

La démarche était totalement cohérente. Elle était cependant lourde de conséquences pour plusieurs Partis Communistes, notamment ceux de France et de Royaume-Uni.

Le Parti Communiste Français, faible idéologiquement et sur le plan de l’organisation, fut secoué par une onde de choc due à l’incompréhension du choix soviétique, alors que parallèlement l’État procéda à sa dissolution et à une vague de plusieurs milliers d’arrestations.

25 des 74 parlementaires quittèrent le Parti, les autres étant arrêtés et condamnés pour avoir « exercé une activité ayant directement ou indirectement pour objet de propager des mots d’ordre émanant de la IIIe Internationale ».

La moitié du Comité Central est arrêté, les principaux cadres se réfugient en Belgique et Maurice Thorez en URSS ; 2 800 élus sont déchus de leurs mandats, 317 municipalités sont dissoutes ainsi que 620 syndicats de base de la CGT (qui exclut tous ceux refusant de dénoncer le pacte).

Quant à la base du Parti désormais interdit, elle est entièrement désorganisée par la mobilisation militaire de tous les hommes de moins de quarante ans.

La situation interne fut également délicate au sein du Parti Communiste de Belgique, du Parti Communiste de Grande-Bretagne et du Parti Communiste des États-Unis. Ce dernier, subissant la répression, demanda même en novembre 1940 à quitter de manière formelle l’Internationale Communiste, afin d’éviter un écrasement par la machine juridique américaine, ce qui fut accepté.

La confusion régnante était également relative à la question du rapport à la guerre : fallait-il soutenir son propre pays contre les régimes fascistes ou bien voir une guerre inter-impérialiste comme l’affirmait l’Internationale Communiste qui en raison de la situation n’était plus en mesure de reprendre ces partis suffisamment en main ?

L’offensive de l’Allemagne nazie contre l’URSS résoudra cette question, mais à ce moment-là ce fut une vraie problématique encore.

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l’Internationale Communiste des Brigades Internationales à la dissolution

L’Internationale Communiste à la fin des années 1930

L’investissement en faveur de l’antifascisme en Espagne devint l’aspect principal de l’orientation de l’Internationale Communiste, avec la considération qu’un succès en Espagne ferait pencher la balance du bon côté, d’autant plus que l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste soutiennent militairement le coup d’État franquiste. C’était là pour le court terme : pour le long terme, l’Internationale Communiste portait une attention extrême au développement du Parti Communiste de Chine de Mao Zedong.

L’appel du premier mai 1937 de l’Internationale Communiste s’appuie donc avant tout sur la lutte antifasciste espagnole, qui représente littéralement toute l’époque. Cependant, il n’y a pas de réussite dans la tentative de parvenir à un accord avec les socialistes regroupés dans l’Internationale ouvrière socialiste pour une mobilisation envers l’Espagne.

L’aile gauche de l’Internationale ouvrière socialiste consistant en la social-démocratie autrichienne avait été brisée par l’austro-fascisme en 1934 (même si le dirigeant de ses milices, Julius Deutsch, a été actif comme général dans l’armée populaire de la république espagnole), la SFIO française était pacifiste et sur une ligne de non-intervention en Espagne y compris dans le cadre du Front populaire au gouvernement, le Labour britannique était sur une position droitière tout comme le Parti Ouvrier Belge.

L’Espagne antifasciste

Qui plus est, le Parti Communiste d’Allemagne n’arrivait toujours pas à s’aligner sur la perspective du Front populaire, alors que la social-démocratie allemande y était opposée tout en étant entièrement impuissante sur le terrain.

La grande catastrophe se produisit alors en juillet 1937, avec l’invasion japonaise de la Chine. Cela avait comme conséquence directe de rendre plus compliquée et prolongée la révolution chinoise. C’était d’autant plus vrai que l’Internationale Communiste ne comprenait pas réellement la démarche de Mao Zedong qui dirigeait alors le Parti Communiste de Chine dans une lutte armée populaire victorieuse, sous la forme d’une guerre du peuple.

Mao Zedong en 1938, écrivant De la guerre prolongée

Toute cette mauvaise perspective apparente fut accentuée par le constat de l’échec de l’Internationale syndicale rouge. L’anéantissement concret de la section allemande faisait qu’il ne restait réellement que les syndicats soviétiques et ceux de Tchécoslovaquie, car la CGT Unitaire française avait fusionné avec la CGT dans le prolongement du Front populaire. C’était là une réussite au niveau français, mais un coup mortel au niveau international puisque la CGT réunifiée restait dans le cadre de la Fédération syndicale internationale, dite Internationale d’Amsterdam.

Il fut alors procédé en décembre 1937 à la dissolution de l’Internationale syndicale rouge, afin de gagner une possibilité de faire intégrer les syndicats soviétiques à la Fédération syndicale internationale.

Entre-temps, Léon Blum avait démissionné en juin 1937 du gouvernement du Front populaire qui passa dans les mains du radical Camille Chautemps. C’était le reflet de l’absence de perspective possible, même si Léon Blum revint de manière éphémère en mars-avril 1938 pour vite céder la place au radical Edouard Daladier.

Il était à ce moment-là clair que la République espagnole était dans une situation extrêmement difficile – la guerre civile sera définitivement terminée par la défaite en avril 1939 – et que les tendances nationalistes et militaristes l’emportaient. L’Internationale Communiste fut même obligée de procéder à la dissolution du Parti Communiste de Pologne en août 1938 pour avoir littéralement capitulé devant le régime fasciste polonais mis en place par Józef Piłsudski, mort en 1935.

Si l’on ajoute à cela que l’Allemagne nazie avait envahi et annexé l’Autriche en mars-avril 1938, et que la France et le Royaume-Uni avait signé en septembre 1938 les accords de Munich laissant l’Allemagne nazie démanteler la Tchécoslovaquie libérale-démocratique et annexé les Sudètes, alors il était clair que la seconde partie des années 1930 formait une terrible séquence pour l’URSS se retrouvant littéralement seule en Europe.

Staline, le dirigeant de l’URSS

La Tchécoslovaquie, un pays capitaliste développé (pour la partie tchèque), disposait d’une solide armée et une opposition franco-soviéto-britannique à l’Allemagne nazie aurait été marquée de succès. Il était clair que cette perspective était désormais entièrement close, que dans le cadre de la bataille pour le repartage du monde, la France et le Royaume-Uni comptait laisser l’Allemagne nazie partir à l’offensive anti-soviétique afin de tirer leur propre épingle du jeu impérialiste.

Le 5 novembre 1938, à l’occasion de l’anniversaire de la révolution d’Octobre, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste affirma ainsi clairement que la seconde guerre mondiale a en fait déjà commencé.

« Au moment où les peuples de la République soviétique achèvent la construction d’une société socialiste sans classes et avancent plein de confiance vers le communisme, le monde capitaliste est en proie à une fièvre guerrière inquiétante.

La deuxième guerre impérialiste, une guerre de brigands pour une nouvelle répartition de la planète, a en fait déjà commencé.

Elle fait déjà rage dans divers coins du globe.

En Espagne et en Chine, les bouchers fascistes font leur abominable travail.

Plus de cinq cents millions d’êtres humains ont été précipités dans l’abîme de la destruction sanglante. La guerre menace de s’étendre à de nouveaux territoires et d’impliquer de nouveaux peuples. »

Et le moteur de cette guerre, ce sont les États fascistes à l’œuvre pour le repartage du monde.

L’article du milieu de l’année 1939« Il y a vingt-cinq ans – et aujourd’hui » publié dans la presse de l’Internationale Communiste exprime sans ambages la situation terrible alors :

« Il y a vingt-cinq ans, l’humanité faisait face au plus grand crime de l’histoire de l’humanité. Déchaîné par une bande de capitalistes avides de pouvoir et d’argent, la guerre impérialiste mondiale s’est précipitée sur les peuples (…).

Dans les jours et les années où les dirigeants sociaux-démocrates, côte à côte avec la bourgeoisie réactionnaire, ont étouffé la révolution prolétarienne dans ses débuts, a été rendu libre la voie pour la deuxième guerre impérialiste mondiale.

La guerre mondiale était terminée, mais l’impérialisme était resté. Cet impérialisme a pris dans les pays où il est apparu de manière trop juste une forme particulièrement agressive.

Il a donné naissance dans ces pays à des bandes de meurtriers fascistes, avec l’aide de qui la démocratie a été détruite et le peuple forcé à forger sans mot dire les armes d’une nouvelle guerre.

L’impérialisme allemand, italien et japonais s’est donné comme but non seulement de forcer un repartage violent du monde, mais également de mettre une fin à toute liberté dans le monde et de mener un petit regroupement de capitalistes à la domination barbare décomplexée sur toute la planète.

La lutte des impérialistes allemands, italiens et japonais pour la domination du monde est en même temps une campagne de destruction contre tous les droits démocratiques fondés sur la liberté de tous les peuples, aussi limités et réduits que soient ces droits.

L’agression des États fascistes a donné libre cours à la seconde guerre impérialiste. Cette guerre aurait déjà commencé plus tôt et serait passé à un monstrueux massacre mondial s’il n’y avait pas dans le monde une gigantesque force de pays qui n’existait pas en 1914 : l’Union Soviétique socialiste. »

Restait pour l’URSS à voir comment se sortir d’une situation où elle devenait la cible numéro 1 à la suite des accords de Munich où la France et le Royaume-Uni laissaient l’Allemagne nazie s’étendre à l’Est de l’Europe.

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La mise en place des Brigades Internationales

L’Internationale Communiste avait connu une histoire mouvementée jusqu’à son septième congrès en 1935. À sa fondation en 1919, il était espéré un large développement de la Révolution socialiste mondiale à relativement court terme. Cela fut encore la conception prédominante au début des années 1920, avec des soulèvements armés dans plusieurs pays, avant qu’il soit procédé à un ajustement par l’étude pointue de la situation du capitalisme connaissant sa première crise générale.

Le premier congrès de l’Internationale Communiste

Cela passa par l’organisation de la bolchevisation des Partis Communistes sous l’égide du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, qui souligna l’importance de la rationalisation en cours dans les économies capitalistes occidentales, ainsi que la généralisation de la tendance à la guerre.

L’écrasement du Parti Communiste d’Allemagne par le national-socialisme fut le point culminant de cette double réaction capitaliste à la crise et l’Internationale Communiste, avec à sa tête le Bulgare Georgi Dimitrov, affirma alors la nécessité de généraliser des Fronts affirmant la démocratie à travers l’unité ouvrière, pour former un bloc antifasciste dans le contexte de l’offensive capitaliste.

Le septième congrès de l’Internationale Communiste en 1935 fut la grande affirmation de ce positionnement politique, qui connut dans la foulée deux exemples majeurs : le Front populaire en Espagne et le Front populaire en France.

Le premier congrès de l’Internationale Communiste

Il y a ainsi, en 1936, trois actualités majeures pour l’Internationale Communiste : faire en sorte de rectifier le Parti Communiste d’Allemagne pour l’aligner sur le principe du Front populaire, accompagner le Parti Communiste Français alors qu’il y a un gouvernement de Front populaire (auquel il ne participe pas), épauler le jeune et faible Parti Communiste d’Espagne dans le contexte du Front populaire faisant face à un coup d’État fasciste dirigé par le général Franco.

La question espagnole va ici être à l’origine d’un mouvement extrêmement connu, les Brigades Internationales, qui furent fondées le 3 août 1936 par l’Internationale Communiste.

C’est qu’il y avait une grande opportunité pour les mettre en place. Lors du coup d’État de Franco, il devait y avoir des Olympiades populaires, organisées en opposition aux Jeux Olympiques à Berlin. Nombre de sportifs, tout comme des révolutionnaires ayant émigré en Espagne fuyant des régimes fascistes, rejoignirent la défense antifasciste armée de la République au sein de « centuries » mises en place par les communistes.

Il y eut ainsi la Centuria Thälmann (fondée par des Allemands) et la Centuria Giustizia e Libertà (fondée par des Italiens), la Centuria Dąbrowski (fondée par des Polonais), la Centuria Commune de Paris (fondée par des Français), comme milices armées du Partit Socialista Unificat de Catalunya liée à l’Internationale Communiste.

À partir du 18 septembre 1936, l’appel à rejoindre l’Espagne antifasciste fut systématisée par l’Internationale Communiste, avec Paris comme base de recrutement, les Brigades Internationales se mettant en place le 9 octobre 1936. La République espagnole leur laissa les nombres 11 à 15 au sein de l’armée populaire.

Voici la liste des bataillons, qui ont regroupé plus de 30 000 volontaires au total.

NomPrincipaux pays d’origine des membresDate de mise en placeNuméro de la Brigade d’appartenance
Edgar André (du nom de l’ouvrier portuaire communiste allemand torturé à mort par les nazis en 1936)Allemagne, Autriche, pays balkaniques, Belgique (Flandres), pays scandinaves28 octobre 1936XI
Commune de ParisBelgique, Canada, États-Unis, France, Royaume-Uni22 octobre 1936XI puis XIV
Garibaldi (du nom du dirigeant de l’unification italienne)Italie, Suisse29 octobre 1936XII
Dombrowski (du nom du dirigeant polonais insurgé contre la Russie qui mourra sur les barricades de la Commune de Paris de 1871)Bulgarie, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Ukraine19 octobre 1936XI puis XII puis XIII
Thälmann (du nom du secrétaire général du Parti Communiste d’Allemagne emprisonné par les nazis)Autriche, Allemagne, Hongrie, pays balkaniques, pays scandinaves, Royaume-Uni10 novembre 1936XII puis XI
André Marty (du nom du dirigeant français de la mutinerie de la Mer Noire)Belgique, France10 novembre 1936XII
Louise Michel (de la révolutionnaire française)Belgique, France2 décembre 1936XIII puis XI
Tchapaïev (du nom d’une figure de la révolution russe)
Allemagne, Autriche, pays balkaniques, Pologne18 novembre 1936XIII
dit des neuf nationalitésAllemagne, Autriche, pays balkaniques, Pologne15 décembre 1936XIV
Henri Vuillemin (du nom d’un ouvrier communiste français assassiné par la police en 1934)France30 novembre 1936XIII
Vaillant-Couturier (du nom d’un dirigeant du Parti Communiste Français)Belgique, Bulgarie, France, pays scandinaves, Tchécoslovaquie2 décembre 1936XIV
Mickiewicz (du nom du poète national polonais)
Pologne4 octobre 1937XIII
La Marseillaise (puis Ralph-Fox, du nom du commissaire politique du bataillon tombé le 3 janvier 1937)France, Royaume-Uni10 décembre 1936XIV
Henri Barbusse (du nom de l’écrivain communiste)Francenovembre 1936XIV
Pierre Brachet (du nom d’un volontaire belge tombé le 9 novembre 1936)Belgique, France1er octobre 1937XIV
6 février (pour la révolte antifasciste parisienne du 6 février 1934)Belgique, Chine, France, Grèce, Hongrie1er février 1937XIV
Saklatvala (du nom du député anglais travailliste puis communiste Shapurji Saklatvala)Australie, États-Unis, Royaume-Uni, Irlande28 décembre 1936XIV
Lincoln (du nom du président américain)Canada, États-Unis8 janvier 1937XIV
Dimitrov (du nom du dirigeant de l’Internationale Communiste)Allemagne, Autriche, Bulgarie, Grèce, Hongrie, Italie Pologne, Roumanie, pays balkaniques, Tchécoslovaquie31 janvier 1937XV
n°19Allemagne, Autriche, Cuba, France, Mexique, Royaume-Uni15 février 1937XV
WashingtonCanada, États-Unisfévrier 1937XV
Mackenzie-Papineau (des figures de l’indépendance canadienne William Lyon Mackenzie et Louis-Joseph Papineau)


Canada, États-Unismai 1937XV
Galindo
Espagne14 mars 1937Armée populaire de la République 
Masaryk (du nom d’une figure politique tchécoslovaque)Pologne, Tchécoslovaquie30 décembre 1937« brigada de las 40 naciones »
Rákosi (du nom du dirigeant communiste hongrois alors emprisonné)
Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie12 avril 1937Armée populaire de la République 
Hans Beimler (du nom du commissaire politique du bataillon Thälmann tombé le 1 décembre 1936)Autriche, pays scandinaves, Suissemars 1937XI
12 février (date du coup d’État austro-fasciste et de la réponse ouvrière armée)Allemagne, Autriche, pays scandinavesjuin 1937XI
Djure Djakovic (du nom d’un dirigeant yougoslavie assassiné)Yougoslaviejuin 1937« brigada de las 40 naciones »
Deda Blagoiev (du nom d’une figure communiste bulgare historique)Bulgariejuin 1937« brigada de las 40 naciones »
Palafox (du nom du général José de Palafox y Melci ayant combattu Napoléon)
France, Hongrie, Pologne4 août 1937XIII

Les Brigades Internationales eurent un formidable retentissement et furent exemplaires de la contribution de l’Internationale Communiste au Front antifasciste international.

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l’Internationale Communiste des Brigades Internationales à la dissolution

L’expression nécessairement juridique de la crise générale de la France à la veille de 1789

Il ne faut pas se tourner vers les Lumières, vers Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Denis Diderot (1713-1784), ou Voltaire (1694-1778) par exemple. Ceux-ci comptent naturellement mais à l’arrière-plan, car la France est façonné historiquement autour de la question de l’État, des évolutions techniques et du rapport à la loi. C’est ce que le poète Joachim Du Bellay (1522-1560) résumait déjà parfaitement à son époque avec son fameux « France, mère des arts, des armes et des lois ».

Pour reprendre la formule, l’évolution des « arts » (au sens d’artisanat, technique) était apportée par la bourgeoisie, les armes relevaient de l’État, restait alors la question des lois.

Il faut ici se tourner vers l’ouvrage historiquement majeur du XVIIIe siècle sur le plan révolutionnaire : De l’esprit des lois, de Montesquieu, paru en 1745 à Genève en Suisse. Ce très long ouvrage en plusieurs volumes (grosso modo un peu moins de six cent pages au total) pose une thèse essentielle dans les livres XXX et XXXI.

Le livre XXX s’intitule « Théorie des lois féodales chez les Francs dans le rapport qu’elles ont avec l’établissement de la Monarchie » et le livre XXXI « Théorie des lois féodales chez les Francs dans le rapport qu’elles ont avec les révolutions de leur Monarchie ».

Cela n’a pas été souligné (voire même remarqué) par les commentateurs bourgeois, mais cette question « franque » était déjà au cœur de la grande polémique entre les protestants et la monarchie au XVIesiècle. Les protestants remettaient alors en cause le roi comme étant devenu un tyran ayant modifié dans un mauvais sens les normes juridiques historiques instaurés à l’époque des Francs envahissant la Gaule romaine.

Montesquieu procède avec la même approche justificatrice par l’Histoire et d’ailleurs les livres XXX et XXXI concluent l’ouvrage en composant le tome quatre. L’idée est la suivante : les fiefs étaient initialement remis à des figures utiles à l’État, en devenant acquis perpétuellement à quelqu’un et à ses descendants cela aboutit à une dégénération des propriétaires et à un affaiblissement de l’État.

Et, selon Montesquieu, on est dans le même cas de figure au XVIIIe siècle qu’à l’époque de Hugues Capet : l’État s’est trop dilué. Il dit ainsi :

« L’hérédité des fiefs, & l’établissement général des arrière-fiefs, éteignirent le gouvernement politique, & formèrent le gouvernement féodal.

Au lieu de cette multitude innombrable de vassaux que les rois avoient eus, ils n’en eurent plus que quelques-uns, dont les autres dépendirent.

Les rois n’eurent presque plus d’autorité directe : un pouvoir qui devoit passer par tant d’autres pouvoirs, & par de si grands pouvoirs, s’arrêta ou se perdit avant d’arriver à son terme. De si grands vassaux n’obéirent plus ; & ils se servirent même de leurs arrière-vassaux pour ne plus obéir.

Les rois, privés de leurs domaines, réduits aux villes de Rheims & de Laon, restèrent à leur merci. L’arbre étendit trop loin ses branches, & la tête se sécha.

Le royaume se trouva sans domaine, comme est aujourd’hui l’empire. On donna la couronne à un des plus puissants vassaux. »

D’où la thèse mise en avant en découlant forcément et mise en avant, en 1776, par Pierre-François Boncerf dans « Les inconvéniens des droits feodaux ou Réponse d’un Avocat au Parlement de Paris, à plusieurs Vassaux des Seigneuries de… de… etc. ».

C’est un ouvrage capital, dont l’argumentation est la suivante : les aristocrates sont issus d’une systématisation de fiefs relevant initialement du mérite chez les Francs. C’est la même idée que chez Montesquieu.

Boncerf résumé cela ainsi :

« Les Rois de la seconde Race songèrent à faire revivre l’ancienne institution des Francs, qui, divisés par centaine, avaient un chef choisi par les soldats ; cette institution militaire avait fini avec les conquêtes : il fut ordonné que tout homme libre s’attacherait un chef, à un soldat plus âgé que lui, senior, qu’il se lierait par le nœud de la recommandation et qu’il le suivrait à la guerre.

Ce nouveau lien fut d’abord purement personnel, mais il dégénéra insensiblement, et la subordination, devint dépendance et servitude

L’héritier du chef crut avoir un droit à son titre comme à ses biens, il compta le vassal parmi les biens de la succession, et bientôt le vasselage fut regardé comme un rapport entre les possessions et non plus entre les personnes.

Les Comtes et les Ducs s’emparèrent des terres domaniales y attachèrent les droits qui n’étaient attachés qu’à leurs Offices, la puissance publique s’affaiblit, et son action fut interceptée.

Le faible chercha l’appui du plus fort, et acheta, par la perte de sa propriété, le droit d’usurper celle des autres : ainsi se forma cette chaîne de protecteurs et de protégés, d’oppresseurs et d’opprimés de tyrans et d’esclaves qui inondèrent la France. »

Boncerf dit alors que la situation est désormais intenable, alors que, qui plus est, les aristocrates eux-mêmes sont confrontés à une situation nouvelle.

Ils développent en effet leurs richesses, mais c’est un tel chaos juridique que même pour eux les questions de l’héritage et de gestion de leurs possessions sont compliquées en raison de l’inextricable division administrative-judiciaire du pays et de l’importance de l’Église catholique romaine cherchant à renforcer ses propres positions.

Il leur faut, pour récolter ce qui leur revient de droit, un très nombreux personnel (collecteur, sergent, comptable, etc.), alors qu’en plus il y a des tergiversations perpétuelles sur « le droit, la quantité ou la manière de payer », avec des procès, d’autres seigneurs ayant des exigences, etc.

Partant de là, il vaut mieux pour les aristocrates que, tout en gardant leur statut, ils reconnaissent le droit de propriété :

« Ce n’est qu’une affaire de calcul, ils [les Seigneurs] sont las d’aliéner les droits de leurs Fiefs et la plupart le feront volontairement, s’ils y trouvent comme je vais le démontrer, le moyen de tripler, et même de quadrupler leurs revenus, sans rien perdre des droits honorifiques. »

Il faut donc abolir les fiefs en dédommageant les aristocrates, ce qui est dans leur intérêt personnel par ailleurs, et en maintenant leur statut. On devine naturellement que Boncerf et Montesquieu reflètent l’idéologie monarchiste constitutionnelle à l’anglaise.

Boncerf souligne d’ailleurs que c’est l’intérêt de la monarchie absolue elle-même, puisqu’elle se veut un État toujours plus en mesure de se renforcer.

« La prospérité des États est en raison de la liberté des personnes, des choses et des actions.

Ces trois genres de liberté rejettent l’esclavage des personnes, les différentes servitudes établies sur les fonds par le Droit féodal et les obstacles qu’apportent au commerce les privilèges de vente et de fabrications, et ensuite les péages douanes et prohibitions.

Nous ne dirons rien de fa liberté du commerce, qui est celle des actions. Le Ministre éclairé qui le protège lui assurera tous les avantages qui pourront le faire prospérer.

L’esclavage des personnes fit régner avec lui l’ignorance ; il bannit les arts, rendit la nature sauvage, et plongea la France dans le chaos d’où elle n’a commencé à sortir qu’à l’époque des affranchissements.

Les affranchissements ont créé les villes, les citoyens, les arts les lettres et Ies bonnes lois.

Les succès des premiers en déterminèrent d’autres imités par les seigneurs et bientôt libre et François [Français] furent synonymes (…).

Les droits féodaux, pour de médiocres produits, présentent mille embarras et difficultés, tant au Seigneur qu’au vassal (…).

L’opération serait très-simple ; le Roi permettrait à tous ses vassaux de racheter toutes rentes, devoirs et servitudes féodales (…).

Au moyen de ce rachat, tous les héritages relevant du Domaine, seraient et demeureraient à jamais francs et libres comme les personnes même des François et seraient possédés optimo jure [avec tous les droits] (…).

Ainsi tomberait la myriade des Lois féodales, labyrinthe multiplié comme les Coutumes et leurs droits (…).

La conservation des institutions Féodales n’est utile, ni à l’ordre public, ni au Roi, ni à l’État ni aux particuliers (…).

La Féodalité contrarie la production des richesses naturelles, elle n’est point analogue aux mœurs et aux intérêts actuels de la Nation ; ni la vieille opinion qui protège la Féodalité, ni son antiquité ne peuvent empêcher les bons effets des affranchissements volontaires. »

Boncerf pensait que ce point de vue reflétait, somme toute, celui de la monarchie absolue cherchant à se renforcer, quitte à céder davantage à la bourgeoisie. C’était une erreur fatale, dans la mesure où la monarchie absolue était une superstructure de la féodalité.

En conséquence, le Parlement de Paris entièrement aux mains de la monarchie absolue depuis son écrasement condamna l’ouvrage de Boncerf à « être lacérée et brûlée au pied du grand Escalier du Palais, par l’Exécuteur de la Haute-Justice ».

Le régime refusait de faire disparaître la noblesse juridiquement : toute réforme dans le sens d’une monarchie constitutionnelle, avec une monarchie d’un côté, une noblesse extirpée du féodalisme et une bourgeoisie conquérante de l’autre, s’avérait impossible.

Le régime s’arc-boute une dernière fois

Le 30 mars 1776, le régime annonce par une décision du parlement qu’il a compris que son refus de réforme annoncé par l’écrasement de l’ouvrage de Boncerf exigeait de s’arc-bouter sur lui-même.

Cela montre qu’à la veille de 1789, seule la voie révolutionnaire est possible pour que la bourgeoisie puisse devenir plus ample.

Sur le plan juridique comme idéologique, le régime signe là son arrêt de mort.

« Ce jour, toutes les chambres assemblées, la Cour considérant qu’il importe à la tranquillité publique de maintenir de plus en plus les principes anciens et immuables qui doivent servir de règle à la conduite des Peuples, et quelques esprits inquiets ont paru vouloir altérer en essayant de répandre des opinions systématiques et des spéculations dangereuses :

Considérant en outre que de la licence à laquelle se sont livrés ces esprits inquiets il est déjà résulté en divers lieux des commencements de trouble également contraires à l’autorité du Roi, au bien de l’État aux droits de propriété des Seigneurs, et aux véritables intérêts du Peuple ;

Considérant enfin qu’il est de son devoir et conforme aux intentions du Roi, de maintenir l’ordre public, fondé sur la Justice et, sur les Loix et auquel la Monarchie doit, depuis tant de siècles, sa prospérité, sa gloire et sa tranquillité : Ouïs les Gens du Roi.

La dite Cour a ordonné et ordonne à tous les Sujets du Roi, Censitaires, Vassaux et Justiciables des Seigneurs particuliers de continuer, comme par le passé, à s’acquitter, soit envers ledit Seigneur Roi, soit envers leurs Seigneurs particuliers, des droits et devoirs dont ils sont tenus à leur égard, selon les Ordonnances du Royaume,

Déclarations et Lettres-Patentes du Roi, duement vérifiées, registrées et publiées en la Cour, Coutumes générales et locales, reçues et autorisées, titres particuliers et possessions valables des Seigueurs.

Fait très expresses inhibitions et défenses d’exciter, soit par des propos, soit par des écrits indiscrets, à aucune innovation contraire auxdits droits et usages légitimes et approuvés, sous peine, contre les contrevenans, d’être poursuivis extraordinairement comme réfractaires aux Loix, perturbateurs du repos public, et de punition exemplaire :

Enjoint à tous les Juges du ressort d’y tenir la main chacun en droit soi ; ordonne qu’à cet effet le présent Arrêt sera, à la poursuite et diligence du Procureur Général du Roi, incessamment envoyé à tous les Bailliages et Sénéchaussées du ressort, même aux Justices seigneuriales ressortissantes immédiatement en la Cour, à l’effet d’y être lu, publié, registré et exécuté selon sa forme et teneur ; enjoint aux Substituts du Procureur-Général du Roi, et aux Procureurs-Fiscaux d’y faire procéder sans délai, et d’en certifier la Cour ce mois :

que le présent Arrêté sera imprimé, publié et affiché en cette Ville de Paris, et par-tout où besoin sera.

Fait en Parlement, toutes les Chambres assemblées, le trente Mars mil sept cent soixante-seize. »

L’expression nécessairement administrative de la crise générale de la France à la veille de 1789

Ce panorama général d’une monarchie absolue centralisant les décisions dans un cadre féodal avec une bourgeoisie entreprenante témoigne d’une certaine efficacité historique. Comme on l’a vu sur le plan quantitatif, la France a environ 22 millions d’habitants en 1715, et environ 29 millions en 1789. C’est un accroissement quantitatif qui reflète un saut qualitatif sur le plan matériel.

Mais un tel développement exige un accompagnement de la part du régime qui n’est pas mis en place. L’espace pour les nouveaux arrivants est cependant comprimé par un régime empêchant des modifications de fond.

En 1789, les mendiants forment ainsi autour du vingtième de la population du pays et même le sixième de la population parisienne. C’était une source très puissante d’instabilité et c’était surtout la preuve que le régime ne disposait plus d’une capacité de synthèse historique, que des pans entiers de la société lui échappaient.

Or, de par la centralisation française, cette réalité était littéralement catastrophique. Au XVIe siècle, Paris était le bastion de la réaction catholique face à la montée du protestantisme mais au XVIIIe siècle la ville a totalement changé.

Vue du feu prit à la Salle de l’Opéra de Paris le 6 avril 1763

Pairs était en fait la pointe d’une tendance : celle à l’unification du marché, par la centralisation des règles, à l’unité des lois, parce que la bourgeoisie la plus développée, la plus éduquée, y vivait et y tenait ses salons.

La bourgeoisie prenait d’assaut le pouvoir au niveau intellectuel et culturel, tout en accumulant des forces dans tout le pays, en se focalisant sur le verrou qu’était une capitale omnipotente. Ces forces sont vives car actives intellectuellement : bien loin de ressembler à la société du Moyen-Âge, la France du XVIIIe siècle dispose de savants, de médecins, de professeurs, de techniciens.

Cela est vrai même si en 1789 il n’existe que 340 collèges universitaires avec 50 000 élèves, dont les parents sont en majorité des bourgeois. Une partie de la population sait lire et développe ses pensées, exprimées à travers des journaux : il y en a 50 en 1750, 250 en 1789, avec 44 villes qui disposent d’un périodique.

Mais Paris était également le lieu du pouvoir, Versailles apparaissant toujours plus comme son satellite et non plus l’inverse comme auparavant. Et c’est donc là que devait s’exprimer la contradiction, de manière explosive.

Le cirque du Palais-Royal mis en place en 1787

La révolution française est d’abord une double expression parisienne : celle des misérables, d’une part, celle de la bourgeoisie entendant une réforme juridique, d’autre part. Cela implique une modification de la souveraineté, qui relève alors du roi et de lui seulement, ainsi qu’un recul des prérogatives de la noblesse.

En effet, seul le roi décide des lois, c’est lui qui désigne tous les hauts magistrats, qui décide de la paix et de la guerre, qui lève des impôts, qui bat la monnaie. La position royale relève d’ailleurs du « droit divin », selon une conception qui s’est imposée au XVIIe siècle et qui marque d’ailleurs la primauté du roi sur le pape lui-même au plan de la théorie.

Les seul contre-poids relatifs, sont la noblesse et moins directement, l’Église catholique romaine.

Il existe toutefois un contre-pouvoir absolu, bien qu’en théorie il soit précisément son contraire, un simple lieu d’enregistrement : le Parlement, relevant d’une institution mise en place au XIIIe siècle par Louis IX.

Initialement, il s’agit d’une cour de justice avec des réunions présidés par le roi, mais de par le développement des activités à travers le pays, le Parlement s’est prolongé puis subdivisé.

Les Parlements établis servent alors de caisse de résonance juridique aux décisions royales ; on les trouve à Paris (1250), Toulouse (1443), Bordeaux (1451), Grenoble (1453), Dijon (1477), Vannes (1485), Rouen (1499), Aix-en-Provence (1501), Lyon (1523), Pau (1620), Metz (1633), Tournai (1668), Besançon (1676), Nancy (1768).

Or, en jouant le rôle de chambre d’enregistrement des décisions royales, les Parlements ont une importance juridique formelle essentielle. Elles ont ainsi commencé à être trop pointilleuse et sourcilleuse sur les décisions prises, contestant éventuellement leurs formulations ou leur validité juridique, grippant ainsi la machine étatique.

Le roi pouvait naturellement forcer le passage des lois après un processus d’échange, et Louis XIV priva même les parlements de pouvoir effectuer des remontrances avant l’enregistrement des lois.

Après sa mort, Louis XV rétablit toutefois les remontrances des parlements, pour finalement les supprimer de nouveau lors de la grande crise de 1766, avec comme point culminant un discours dit de la « Flagellation » tenu par le roi le 3 mars :

« Ce qui s’est passé dans mes parlements de Pau et de Rennes ne regarde pas les autres parlements ; j’en ai usé à l’égard de ces deux cours comme il importait à mon autorité, et je n’en dois compte à personne (…).

Je ne souffrirai pas qu’il se forme dans mon royaume une association qui ferait dégénérer en une confédération de résistance le lien naturel des mêmes devoirs et des obligations communes, ni qu’il s’introduise dans la Monarchie un corps imaginaire qui ne pourrait qu’en troubler l’harmonie ;

– la magistrature ne forme point un corps, ni un ordre séparé des trois ordres du Royaume ;

– les magistrats sont mes officiers chargés de m’acquitter du devoir vraiment royal de rendre la justice à mes sujets, fonction qui les attache à ma personne et qui les rendra toujours recommandables à mes yeux.

Comme s’il était permis d’oublier que c’est en ma personne seule que réside la puissance souveraine dont le caractère propre est l’esprit de conseil, de justice et de raison.

Que c’est de moi seul que les Cours tiennent leur existence et leur autorité. Que la plénitude de cette autorité qu’elles n’exercent qu’en mon nom, demeure toujours en moi et que l’usage n’en peut jamais être tourné contre moi.

Que c’est à moi seul qu’appartient le pouvoir législatif sans dépendance et sans partage. Que c’est par ma seule autorité que les officiers de mes cours procèdent, non à la formation, mais à l’enregistrement, à la publication, à l’exécution de la loi, et qu’il leur est permis de me remontrer ce qui est du devoir de bons et utiles conseillers.

Que l’ordre public tout entier émane de moi et que les droits et les intérêts de la Nation, dont on ose faire un corps séparé du Monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’en mes mains. »

Les Parlements furent alors mis de côté et en 1771 il y eut la tentative de réaliser le coup de grâce par le garde des sceaux René-Nicolas de Maupeou.

Pierre Lacour, René-Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou (1714-1792), chancelier de France, seconde moitié du 18e siècle

Le Parlement de Paris concernait la moitié du royaume et la tendance montante consistait de la part des parlementaires à prôner un Parlement à l’échelle de tout le pays : il fut subdivisé par la monarchie absolue, ses parlementaires arrêtés et exilés, leurs charges confisquées, finalement rachetées par la monarchie absolue qui s’occupa de désigner leurs remplaçants.

Les places de parlementaires (par ailleurs rémunérés par les justiciables) étaient en effet une fonction administrative héréditaire, qui s’achetaient (on parle notamment en l’espèce de la vénalité des offices).

Mais moins de dix ans plus tard, en 1774, Louis XVI fut obligé de rétablir la possibilité des Parlements de mener des remontrances. On attribue à René-Nicolas de Maupeou le mot suivant :

« J’ai fait gagner au Roi un procès qui durait depuis trois cents ans. Il veut le reperdre ; il en est le maître. »

Cela n’était toutefois qu’une péripétie marquante se déroulant à l’intérieur du régime. La bourgeoisie plaçait son offensive sur une autre terrain, non pas administratif, mais juridique.

Les Lumières comme tendance à la rationalisation de la France à la veille de 1789

Les intellectuels bourgeois du XVIIIe siècle prennent le contre-pied de l’éparpillement, de la dispersion, du morcellement. Leurs œuvres visent à la rationalisation – d’où ce principe des « Lumières » faisant face à l’obscurantisme, d’une connaissance centralisée face à des préjugés et des idées arriérées à caractère diffus.

Ces Lumières forment un phénomène dont voici le double aspect.

D’un côté, elles sont un produit nécessaire du progrès scientifique et technique, représentant un développement quantitatif. Le symbole significatif de cela, c’est L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, arts et métiers.

Frontispice de l’Encyclopédie

Cette œuvre magistrale, qui contient 74 000 articles en 28 volumes publiés entre 1751 et 1772, ne consiste nullement simplement en des définitions, mais en une liste d’ordre technico-pratique des connaissances de l’époque, au moyen d’illustrations, et une mise en perspective par des auteurs assumant un point de vue rationaliste, affirmé sur différents thèmes politiques, économiques et sociaux.

Le Discours préliminaire de l’Encyclopédie, rédigé par Jean le Rond d’Alembert, est sans équivoque sur cette visée universaliste et rationaliste, ainsi que sur la démarche matérialiste.

« L’Ouvrage dont nous donnons aujourd’hui le premier volume, a deux objets : comme Encyclopédie, il doit exposer autant qu’il est possible, l’ordre & l’enchaînement des connaissances humaines : comme Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts & des Métiers, il doit contenir sur chaque Science & sur chaque Art, soit libéral, soit mécanique, les principes généraux qui en sont la base, & les détails les plus essentiels, qui en font le corps & la substance (…).

Rien n’est plus incontestable que l’existence de nos sensations ; ainsi, pour prouver qu’elles sont le principe de toutes nos connaissances, il suffit de démontrer qu’elles peuvent l’être : car en bonne Philosophie, toute déduction qui a pour base des faits ou des vérités reconnues, est préférable à ce qui n’est appuyé que sur des hypothèses, même ingénieuses (…).

Le mépris qu’on a pour les Arts mécaniques semble avoir influé jusqu’à un certain point sur leurs inventeurs mêmes. Les noms de ces bienfaiteurs du genre humain sont presque tous inconnus, tandis que l’histoire de ses destructeurs, c’est-à-dire, des conquérants, n’est ignorée de personne. Cependant c’est peut-être chez les Artisans qu’il faut aller chercher les preuves les plus admirables de la sagacité de l’esprit, de sa patience & de ses ressources. »

Le XVIIIe siècle est en effet marqué par des découvertes, des progrès techniques notables, une généralisation du savoir scientifique à travers les livres. Le XVIIIe siècle, c’est ainsi l’eau de Javel, la mayonnaise, l’aréomètre, l’électromètre, l’utilisation du charbon, l’opération de la cataracte par ablation du cristallin, la machine à vapeur, le bidet, la mécanisation du textile, etc…

Les scientifiques et inventeurs ne sont plus isolés, travaillant de manière artisanale, comme pendant l’Humanisme du XVIe siècle : ils sont désormais en contact les uns avec les autres, ils se lient aisément à des entrepreneurs, des clubs scientifiques se forment pour suivre le cours des choses dans différents domaines en tant que « sociétés savantes ». Les capacités se rassemblent, se concentrent et peuvent donc s’élancer de manière prolongée dans le cadre d’entreprise collective.

Une planche de l’Encyclopédie

De l’autre, les Lumières sont un produit qualitatif du développement de la bourgeoisie en quête de la mise en place d’un marché capitaliste unifié au moins au niveau du pays, portant de ce fait en soi la dimension nationale, ainsi que le matérialisme.

Des ouvrages comme De l’esprit des lois de Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu (1748) et Le contrat social de Jean-Jacques Rousseau (1762), reflètent cette quête d’un ordre social légitime, car national-étatique, en conformité avec la réalité possible et nécessaire du peuple français d’alors.

Mais plus encore, Denis Diderot provoque un choc idéologique en 1749 avec la publication de sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, qui le conduit au donjon de Vincennes en raison des thèses matérialistes résolument conséquentes qui y sont diffusées. Denis Diderot était en effet à la pointe du matérialisme d’alors, avec Julien Offray de La Mettrie (1709-1751), Claude-Adrien Helvétius (1715-1771), Paul Thiry, baron d’Holbac (1723-1789).

Une planche de l’Encyclopédie

Voltaire diffuse un Dictionnaire philosophique portatif et connaît un très grand succès pour son Candide, ou l’Optimisme (1759), dans lequel il propose un matérialisme relativiste ; il est également un fervent activiste en faveur des inculpés victimes de la pression religieuse (l’affaire Calas, le chevalier de la Barre…), lui-même prenant comme mot d’ordre « Écrasez l’Infâme » pour désigner les valeurs réactionnaires.

Cependant, le mouvement des Lumières n’est pas unifié et il est même puissamment contradictoire. Il s’oppose aux valeurs du régime, mais connaît une tendance à prôner un « despotisme éclairé », s’adressant parfois directement à l’élite de France et d’Europe.

Il est anti-religieux mais on trouve des athées et des déistes, qui croient en un « grand architecte ». Ce dernier aspect est d’ailleurs très révélateur, car il se développe une « franc-maçonnerie » au sein de la bourgeoisie, de manière clandestine dans sa forme en raison de l’interdiction de former des associations.

Cette franc-maçonnerie entend modifier le régime de l’intérieur, connaissant même d’importants appuis au sein des monarchies européennes ; elle appelle à l’unification sans conflits des tenants du « progrès », se résumant aux avancées intellectuelles rationalistes, censées de lui-même modifier la situation générale.

Une planche de l’Encyclopédie

Les Lumières sont ainsi un courant d’idées et un mouvement d’opinions, mais récusant la politique et espérant de fait que le processus historique français débouche sur une monarchie parlementaire comparable à celle du Royaume-Uni en Grande-Bretagne.

Née au sein de la féodalité avec les débuts du marché capitaliste, la bourgeoisie espère d’abord simplement prolonger son élan et le pousser le plus possible. Les conditions historiques sont toutefois particulièrement différenciées et déséquilibrées dans le cadre propre à la France d’alors, et amènent une exigence révolutionnaire, exprimée par un certains nombres de nécessités.

La France à la veille de 1789 : le capitalisme bureaucratique

L’État français, sous la forme de la monarchie absolue, cherche à maintenir sa mainmise sur le pays en prolongeant la combinaison d’une certaine alliance entre lui et la bourgeoisie, avec la noblesse. C’est là tout un parcours historique.

La France commence ainsi à exister en tant que telle avec Louis XI, roi de France de 1461 à 1483, pour prendre tout son sens avec François Ier, roi de France de 1515 à 1547, et se réaliser dans les faits avec Henri IV, roi de France de de 1589 à 1610.

Cependant, la bourgeoisie du XVIIIe siècle est bien plus développée que celle du XVIIe siècle et a fortiori celle du XVIe siècle. Le capitalisme fait ici son œuvre.

La monarchie absolue multiplie ainsi les initiatives et s’appuie d’ailleurs sur une réelle continuité.

C’est ainsi Louis XI qui impulse l’industrie de la soie à Lyon puis à Tours ; c’est François Ier qui met en place le port du Havre et qui, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, interdit « toutes confréries de gens de métier et artisans ».

Veste en soie brodée, 1745-1750,

C’est Charles IX qui en 1572 interdit l’exportation de la laine, du lin, du chanvre… ainsi que les importations de draps, de toiles, de velours, de taffetas, de tapisseries ; c’est Henri III qui publia un édit en décembre 1581 réglementant les métiers et les techniques de fabrication (renouvelé en 1597).

C’est Louis XIV qui met en place la Compagnie française des Indes orientales ; tout au long du XVIIIe siècle les industries sont réglementés dans leurs activités productives, comme la verrerie en 1735, la papeterie en 1739, etc.

Sous l’impulsion de l’Écossais John Law (1671-1729) devenu surintendant général des Finances en 1720, les billets de banque et une sorte de système boursier, mais cela fut un échec retentissant avec une large faillite.

L’abbé Joseph Marie Terray, contrôleur général des finances, est d’ailleurs obligé d’organiser de lui-même une banqueroute pour chercher à équilibrer les comptes d’un État aux comptes en permanence déséquilibrées et toujours proche de la faillite.

Alexandre Roslin, Joseph-Marie Terray (1715-1778), abbé de Molesme, ministre, 1774,

Cette question financière est essentielle et d’ailleurs c’est pour cette raison que se met en place en 1776 la Caisse d’escompte, une institution de crédit ; il faut ici souligner le rôle d’Anne Robert Jacques Turgot, contrôleur général des finances du roi Louis XVI, auteur de Réflexions sur la formation et la distribution des richesses (1766), qui chercha à équilibrer les comptes de l’État, de manière bien plus stricte.

On notera ce constat justement dans son ouvrage :

« § LXII. — Subdivision de la classe stipendiée industrieuse, en entrepreneurs capitalistes et simples ouvriers.

Toute la classe occupée à fournir aux différents besoins de la société l’immense variété des ouvrages de l’industrie se trouve donc, pour ainsi dire, subdivisée en deux ordres : le premier, celui des entrepreneurs manufacturiers, maîtres fabricants, tous possesseurs de gros capitaux, qu’ils font valoir en faisant travailler par le moyen de leurs avances ; et le second qui est composé de simples artisans, lesquels n’ont d’autre bien que leurs bras, qui n’avancent que leur travail journalier et n’ont de profit que leurs salaires. »

La monarchie absolue a justement autorisé en 1763 le transport libre des grains d’une province à l’autre, puis même, l’année suivante, à l’étranger ; cela répond à une exigence du libéralisme dont la grande figure fut le marquis Vincent de Gournay, intendant du commerce de 1750 à 1758, à qui est attribuée la formule « Laisser-faire, laisser passer ».

La libéralisation totale du commerce des grains suivra en 1774, provoquant une immense spéculation aboutissant à des famines.

Il faut ici mentionner dans cette même perspective l’économiste libéral François Véron Duverger de Forbonnais, auteur en 1754 des Éléments du commerce, et bien entendu le mouvement des physiocrates, déjà évoqué, dans la seconde partie du XVIIIe siècle.

Toute la période voit ainsi s’élancer de vastes entreprises commerciales avec l’appui de l’État : un traité de commerce est mis en place avec les États-Unis et avec la Grande-Bretagne juste avant 1789, la Traite des esclaves se développe, avec notamment les ports de Nantes et Bordeaux.

La monarchie absolue tente aussi des grands projets d’aménagements, à l’image du canal du Midi (initialement « canal royal de Languedoc ») ouvert en 1685, mais sans forcément de succès. Le projet de réaliser un canal entre la Loire et la Seine échoue ainsi, tout comme celui du Rhône au Rhin alors que, de toutes façons, les fleuves sont bloqués par des moulins, des pêcheries, un nombre incalculable de péages (rien qu’une centaine sur la Loire en 1567, 49 entre Lyon et la mer, 45 entre Lyon et Arles, etc.).

Il faut par exemple un peu moins d’une vingtaine de jours pour faire Paris-Rouen par la Seine !

Plan de l’écluse ronde d’Agde réalisé par Pierre-Paul Riquet du canal royal de Languedoc

La situation des transports est d’ailleurs lamentable en général : il y a au XVIe siècle 25 000 kilomètres de routes, mais elles sont au 3/4 juste des vastes chemins déblayés. Il faut ainsi deux jours à pied pour aller de Paris à Orléans, mais quatre jours en charrette.

En 1738, l’État décide bien de construire des milliers de kilomètres de route mais, incapables d’organiser une main d’œuvre, oblige les paysans locaux à les réaliser au nom de la corvée, ne payant que l’encadrement et le matériel.

Qui plus est, les principaux axes sont Paris-Strasbourg, Paris-Lyon-Marseille, Paris-Brest, Paris-Toulouse, Paris-Lille : la centralisation implique un tracé qui la reflète, même s’il y a donc amélioration : le trajet Paris-Lyon par route passe de 10 à 5 jours du XVIIe au XVIIIe siècle.

Et il n’y a donc pas de moyen d’échapper à ces axes principaux, de traverser le pays : une lettre envoyée de Lyon pour Bordeaux passe nécessairement par Paris et met huit jours à arriver.

Il faut comprendre dans toute cette perspective du capitalisme bureaucratique la mise en place de l’école des ingénieurs des ponts et chaussées dès 1747, pour paver la voie à un développement par en haut.

Jacques Gabriel (1667-1742), premier architecte du Roi, premier ingénieur des ponts et chaussées

Et, poursuivant la démarche étatique de type administratif-bureaucratique propre à la vision féodale du monde, il y a dans cette même perspective la mise en place au XVIIe et au XVIIIe siècles de manufactures royales, disposant de monopoles ou de libéralités dans les réglementations.

On a la manufacture royale des cires, la compagnie royale des mines et fonderies du Languedoc, la manufacture d’armes de Charleville, la manufacture des Armes Blanches d’Alsace, la manufacture des tabacs du Havre, la manufacture royale du Château du Parc, la manufacture des Gobelins, la manufacture de la Savonnerie, la manufacture de toile de Jouy, la manufacture de draps des Saptes, la manufacture de bas de soie, la manufacture royale des glaces de miroirs, les manufactures de glaces et verres de Saint-Quirin, Cirey et Monthermé, la manufacture royale d’armes de Saint-Étienne, la manufacture de Sèvres, etc.

Ma manufacture des Armes Blanches d’Alsace en 1831

Dans cette même perspective « volontariste » et centralisée, il est décidé en 1744 que c’est l’État qui accorderait le droit d’exploiter les mines, ouvrant la voie à de grandes compagnies.

Au XVIIIe siècle, on a ainsi un capitalisme authentique en France, qui accompagne un capitalisme bureaucratique, construit par en haut, avec qui plus est un système bureaucratique de maîtres et de compagnons qui à la fois parasite le travail et bloque son évolution en maintenant un esprit d’atelier avec très peu de personnel, juste quelques personnes.

Les Lumières sont l’émergence de l’appel à un déblocage historique.