Rapport sur l’Offensive du fascisme et les tâches de l’Internationale communiste au 7e congrès de l’Internationale Communiste

Georgi Dimitrov 2 aout 1935

Rapport au 7e congrès mondial de l’Internationale communiste: L’Offensive du fascisme et les tâches de l’Internationale communiste dans la lutte pour l’unité de la classe ouvrière contre le fascisme

I. Le fascisme et la classe ouvrière

Déjà le VIe congrès de l’Internationale communiste avertissait le prolétariat international de la maturation d’une nouvelle offensive fasciste et appelait à la lutte contre elle. Le congrès indiquait que « des tendances fascistes et des germes du mouvement fasciste existent presque partout, sous une forme plus ou moins développée ».

Dans les conditions de la crise économique extrêmement profonde, de l’aggravation marquée de la crise générale du capitalisme, du développement de l’esprit révolutionnaire dans les masses travailleuses, le fascisme est passé à une vaste offensive.

La bourgeoisie dominante cherche de plus en plus le salut dans le fascisme, afin de prendre contre les travailleurs des mesures extraordinaires de spoliation, de préparer une guerre de brigandage impérialiste, une agression contre l’Union soviétique, l’asservissement et le partage de la Chine et sur la base de tout cela de conjurer la révolution.

Les milieux impérialistes tentent de faire retomber tout le poids de la crise sur les épaules des travailleurs. C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.

Ils s’efforcent de résoudre le problème des marchés par l’asservissement des peuples faibles, par l’aggravation du joug colonial et par un nouveau partage du monde au moyen de la guerre. C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.

Ils s’efforcent de devancer la montée des forces de révolution en écrasant le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans et en lançant une agression militaire contre l’Union soviétique, rempart du prolétariat mondial. C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.

Dans une série de pays, notamment en Allemagne, ces milieux impérialistes ont réussi, avant le tournant décisif des masses vers la révolution, à infliger une défaite au prolétariat et à instaurer la dictature fasciste.

Mais ce qui est caractéristique pour la victoire du fascisme, c’est précisément la circonstance que cette victoire, d’une part, atteste la faiblesse du prolétariat, désorganisé et paralysé par la politique social-démocrate scissionniste de collaboration de classe avec la bourgeoisie, et, d’autre part, exprime la faiblesse de la bourgeoisie elle-même, qui est prise de peur devant la réalisation de l’unité de lutte de la classe ouvrière, prise de peur devant la révolution et n’est plus en état de maintenir sa dictature sur les masses par les vieilles méthodes de démocratie bourgeoise et de parlementarisme.

Au sujet de la victoire du fascisme en Allemagne, Staline a dit au XVIIe congrès du Parti communiste de l’URSS[1]:

Il ne faut pas la considérer seulement comme un signe de faiblesse de la classe ouvrière et comme le résultat des trahisons perpétrées contre elle par la social-démocratie qui a frayé la route au fascisme.

Il faut la considérer aussi comme un signe de faiblesse de la bourgeoisie, comme un signe montrant que la bourgeoisie n’est plus en mesure d’exercer le pouvoir par les vieilles méthodes du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise, ce qui l’oblige à recourir dans sa politique intérieure, aux méthodes terroristes de gouvernement; comme un signe attestant qu’elle n’a plus la force de trouver une issue à la situation actuelle sur la base d’une politique extérieure de paix, ce qui l’oblige à recourir à une politique de guerre.

Le caractère de classe du fascisme.

Le fascisme au pouvoir est, comme l’a caractérisé avec raison la XIIIe assemblée plénière du Comité exécutif de l’Internationale communiste, la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier.

La variété la plus réactionnaire du fascisme, c’est le fascisme du type allemand. Il s’intitule impudemment national-socialisme sans avoir rien de commun avec le socialisme. Le fascisme hitlérien, ce n’est pas seulement un nationalisme bourgeois, c’est un chauvinisme bestial.

C’est un système gouvernemental de banditisme politique, un système de provocation et de tortures à l’égard de la classe ouvrière et des éléments révolutionnaires de la paysannerie, de la petite bourgeoisie et des intellectuels. C’est la barbarie médiévale et la sauvagerie. C’est une agression effrénée à l’égard des autres peuples et des autres pays.

Le fascisme allemand apparaît comme la troupe de choc de la contre-révolution internationale, comme le principal fomentateur de la guerre impérialiste, comme l’instigateur de la croisade contre l’Union soviétique, la grande patrie des travailleurs du monde entier.

Le fascisme, ce n’est pas une forme du pouvoir d’Etat qui, prétendument, « se place au-dessus des deux classes, du prolétariat et de la bourgeoisie », ainsi que l’affirmait, par exemple, Otto Bauer. Ce n’est pas « la petite bourgeoisie en révolte qui s’est emparée de la machine d’État », comme le déclarait le socialiste anglais Brailsford. Non.

Le fascisme, ce n’est pas un pouvoir au-dessus des classes, ni le pouvoir de la petite bourgeoisie ou des éléments déclassés du prolétariat sur le capital financier. Le fascisme, c’est le pouvoir du capital financier lui-même.

C’est l’organisation de la répression terroriste contre la classe ouvrière et la partie révolutionnaire de la paysannerie et des intellectuels. Le fascisme en politique extérieure, c’est le chauvinisme sous sa forme la plus grossière, cultivant une haine bestiale contre les autres peuples.

Il est nécessaire de souligner avec une vigueur particulière ce véritable caractère du fascisme parce que le masque de la démagogie sociale a permis au fascisme d’entraîner à sa suite, dans une série de pays, les masses de la petite bourgeoisie désaxée par la crise, et même certaines parties des couches les plus arriérées du prolétariat, qui n’auraient jamais suivi le fascisme si elles avaient compris son caractère de classe réel, sa véritable nature.

Le développement du fascisme et la dictature fasciste elle-même, revêtent dans les différents pays des formes diverses, selon les conditions historiques sociales et économiques, selon les particularités nationales et la situation internationale du pays donné.

Dans certains pays, principalement là où le fascisme n’a pas de large base dans les masses et où la lutte des différents groupements dans le camp de la bourgeoisie fasciste elle-même est assez forte, le fascisme ne se résout pas du premier coup à liquider le Parlement et laisse aux autres partis bourgeois, de même qu’à la social-démocratie, une certaine légalité.

Dans d’autres pays, où la bourgeoisie dominante appréhende la proche explosion de la révolution, le fascisme établit son monopole politique illimité ou bien du premier coup, ou bien en renforçant de plus en plus la terreur et la répression à l’égard de tous les partis et groupements concurrents.

Ce fait n’exclut pas, de la part du fascisme, au moment d’une, aggravation particulière de sa situation, les tentatives d’élargir sa base et, sans changer d’essence de classe, de combiner la dictature terroriste ouverte avec une falsification grossière du parlementarisme.

L’arrivée du fascisme au pouvoir, ce n’est pas la substitution ordinaire d’un gouvernement bourgeois à un autre, mais le remplacement d’une forme étatique de la domination de classe de la bourgeoisie ‑ la démocratie bourgeoise ‑ par une autre forme de cette domination, la dictature terroriste déclarée.

Méconnaître cette distinction serait une faute grave, qui empêcherait le prolétariat révolutionnaire de mobiliser les couches laborieuses les plus étendues de la ville et de la campagne pour la lutte contre la menace de la prise du pouvoir par les fascistes, et d’utiliser les contradictions existant dans le camp de la bourgeoisie elle-même.

Mais c’est une faute non moins grave et non moins dangereuse de sous-estimer l’importance que revêtent, pour l’instauration de la dictature fasciste, les mesures réactionnaires de la bourgeoisie, qui s’aggravent aujourd’hui dans les pays de démocratie bourgeoise, et qui écrasent les libertés démocratiques des travailleurs, falsifient et rognent les droits du Parlement, accentuent la répression contre le mouvement révolutionnaire.

On ne saurait se faire de l’arrivée du fascisme au pouvoir l’idée simpliste et unie qu’un comité quelconque du capital financier déciderait d’instaurer à telle date la dictature fasciste.

En réalité, le fascisme arrive ordinairement au pouvoir dans une lutte réciproque, parfois aiguë, avec les vieux partis bourgeois ou une portion déterminée d’entre eux, dans une lutte qui se mène même à l’intérieur du camp fasciste et qui en arrive parfois à des collisions armées, comme nous l’avons vu en Allemagne, en Autriche, et dans d’autres pays.

Tout cela sans affaiblir cependant l’importance du fait qu’avant l’instauration de la dictature fasciste, les gouvernements bourgeois passent ordinairement par une série d’étapes préparatoires et prennent une série de mesures réactionnaires contribuant à l’avènement direct du fascisme. Quiconque ne lutte pas, au cours de ces étapes préparatoires, contre les mesures réactionnaires de la bourgeoisie et le fascisme grandissant, n’est pas en état d’entraver la victoire du fascisme, mais au contraire la facilite.

Les chefs de la social-démocratie estompaient et cachaient aux masses le vrai caractère de classe du fascisme, ils n’appelaient pas à la lutte contre les mesures réactionnaires de plus en plus fortes de la bourgeoisie.

Ils portent la grande responsabilité historique du fait qu’au moment décisif de l’offensive fasciste, une partie considérable des masses travailleuses, en Allemagne et dans une série d’autres pays fascistes, n’a pas reconnu dans le fascisme le rapace financier sanguinaire, leur pire ennemi, et du fait que ces masses n’ont pas été prêtes à la riposte.

Quelle est donc la source de l’influence du fascisme sur les masses? Le fascisme réussit à attirer les masses parce qu’il en appelle, de façon démagogique, aux plus sensibles de leurs besoins et de leurs aspirations. Le fascisme ne se borne pas à attiser les préjugés profondément enracinés dans les masses; il joue aussi sur les meilleurs sentiments des masses, sur leur sentiment de justice et parfois même sur leurs traditions révolutionnaires.

Pourquoi les fascistes allemands, ces laquais de la grande bourgeoisie et ces ennemis mortels du socialisme, se font-ils passer devant les masses pour des “socialistes” et représentent-ils leur avènement au pouvoir comme une “révolution”? Parce qu’ils visent à exploiter la foi dans la révolution, l’élan vers le socialisme, qui vivent au coeur des grandes masses travailleuses d’Allemagne.

Le fascisme agit dans l’intérêt des ultra-impérialistes, mais il se montre aux masses sous le masque de défenseur de la nation lésée et en appelle au sentiment national blessé, comme, par exemple, le fascisme allemand qui entraîna les masses derrière lui avec le mot d’ordre: « Contre Versailles! ».

Le fascisme vise à l’exploitation la plus effrénée des masses, mais il aborde celles-ci avec une habile démagogie anticapitaliste, en exploitant la haine profonde des travailleurs pour la bourgeoisie rapace, les banques, les trusts et les magnats financiers, et en formulant les mots d’ordre les plus tentants au moment donné pour les masses politiquement frustes.

En Allemagne: « l’intérêt général prime l’intérêt privé »; en Italie: « notre Etat n’est pas un Etat capitaliste, mais corporatif »; au Japon: « pour un Japon sans exploitation »; aux États-Unis: « pour le partage de la richesse », etc.

Le fascisme livre le peuple à la merci des éléments vénaux les plus corrompus, mais se présente devant lui en revendiquant un « pouvoir honnête et incorruptible ».

En spéculant sur la profonde déception des masses à l’égard des gouvernements de démocratie bourgeoise, le fascisme s’indigne hypocritement contre la corruption (par exemple, les affaires Barmat et Sklarek en Allemagne, l’affaire Staviski en France, et une série d’autres).

Le fascisme capte, dans l’intérêt des cercles les plus réactionnaires de la bourgeoisie, les masses déçues qui abandonnent les vieux partis bourgeois. Mais il en impose à ces masses par la violence de ses attaques contre les gouvernements bourgeois, par son attitude intransigeante à l’égard des vieux partis de la bourgeoisie.

Dépassant en cynisme et en hypocrisie toutes les autres variétés de la réaction bourgeoise, le fascisme adapte sa démagogie aux particularités nationales de chaque pays et même aux particularités des différentes couches sociales dans un seul et même pays.

Et les masses de la petite bourgeoisie, voire une partie des ouvriers, poussés au désespoir par la misère, le chômage et la précarité de leur existence, deviennent victimes de la démagogie sociale et chauvine du fascisme.

Le fascisme arrive au pouvoir comme le parti de choc contre le mouvement révolutionnaire du prolétariat, contre les masses populaires en fermentation, mais il présente son avènement au pouvoir comme un mouvement “révolutionnaire” contre la bourgeoisie au nom de “toute la nation” et pour le “salut” de la nation. (Rappelons-nous la “marche” de Mussolini sur Rome, la “marche” de Pilsudski sur Varsovie, la “révolution” nationale-socialiste de Hitler en Allemagne, etc.)

Mais quel que soit le masque dont le fascisme s’affuble sous quelque forme qu’il apparaisse, quelle que soit la voie qu’il emprunte pour arriver au pouvoir:

Le fascisme est l’offensive la plus féroce du Capital contre les masses travailleuses.

Le fascisme, c’est le chauvinisme effréné et la guerre de conquête.

Le fascisme, c’est la réaction forcenée et la contre-révolution.

Le fascisme, c’est le pire ennemi de la classe ouvrière et de tous les travailleurs!

Qu’est-ce que le fascisme vainqueur apporte aux masses?

Le fascisme avait promis aux ouvriers un “juste salaire”, mais, en fait, il leur a apporté un niveau de vie encore plus bas, un niveau de vie misérable. Il avait promis du travail aux chômeurs, mais, en fait, il leur a apporté des tortures de la faim encore plus pénibles, un travail forcé, un travail servile.

En fait, il transforme les ouvriers et les chômeurs en parias de la société capitaliste sans aucun droit; il détruit leurs syndicats; il les prive du droit de faire grève et les empêche d’éditer la presse ouvrière; il les embrigade de force dans les organisations fascistes; il dilapide les fonds de leurs assurances sociales; quant aux fabriques et aux usines, il en fait des casernes où règne l’arbitraire effréné des capitalistes.

Le fascisme avait promis à la jeunesse travailleuse de lui ouvrir largement la voie d’un brillant avenir. En fait, il a apporté les licenciements en masse de la jeunesse des entreprises, les camps de travail et le dressage militaire sans répit pour la guerre de conquête.

Le fascisme avait promis aux employés, aux petits fonctionnaires, aux intellectuels d’assurer leur subsistance, d’abolir la toute puissance des trusts et la spéculation du capital bancaire. En fait, il leur a apporté une incertitude du lendemain et un désespoir plus grands encore; il les soumet à une nouvelle bureaucratie composée de ses partisans les plus dévoués. Il établit une dictature insupportable des trusts; il sème dans des proportions inouïes la corruption, la décomposition.

Le fascisme avait promis à la paysannerie ruinée, tombée dans la misère, de liquider le joug des dettes, d’abolir les fermages et même d’aliéner sans compensation les terres des propriétaires fonciers au profit des paysans sans terre et en train de se ruiner.

En fait, il établit un asservissement inouï de la paysannerie travailleuse aux trusts et à l’appareil d’Etat fasciste, il pousse jusqu’aux dernières limites l’exploitation de la masse fondamentale de la paysannerie par les grands agrariens, les banques et les usuriers.

« L’Allemagne sera une nation paysanne, ou elle ne sera pas », déclarait solennellement Hitler. Eh bien! qu’est-ce que les paysans ont reçu en Allemagne, sous Hitler? Le moratorium, déjà annulé? Ou la loi sur l’héritage de la ferme paysanne qui pousse à évincer des campagnes des millions de fils et de filles de paysans et à en faire des mendiants? Les salariés agricoles sont convertis en demi-serfs, privés même du droit élémentaire de libre déplacement. La paysannerie laborieuse est privée de la possibilité de vendre sur le marché les produits de son exploitation.

Et en Pologne?

Le paysan polonais, écrit le journal polonais Czas, use de procédés et de moyens employés, peut-être, seulement à l’époque du Moyen âge: il fait couver le feu dans son poêle et le prête à son voisin, il divise les allumettes en plusieurs fragments, il prête sa vieille eau de savon, il fait bouillir des tonneaux à harengs pour obtenir de l’eau salée. Ce n’est pas là une fable, mais la situation réelle de la campagne, et chacun peut s’en convaincre.

Or, ce ne sont pas les communistes qui écrivent ces choses, mais un journal réactionnaire polonais!

Encore n’est-ce pas tout, loin de là.

Chaque jour, dans les camps de concentration de l’Allemagne fasciste, dans les sous-sols de la Gestapo, dans les cachots polonais, dans les Sûretés générales bulgare et finlandaise, dans la Glavniatch de Belgrade, dans la Sigouranza roumaine, dans les îles d’Italie, on fait subir aux meilleurs fils de la classe ouvrière, aux paysans révolutionnaires, aux champions d’un radieux avenir de l’humanité, des violences et des brimades si répugnantes qu’elles font pâlir les agissements les plus infâmes de l’Okhrana tsariste.

Le fascisme scélérat d’Allemagne transforme en une bouillie sanglante le corps des maris en présence de leurs femmes; aux mères, il envoie par colis postal les cendres de leurs fils assassinés. La stérilisation est transformée en un instrument de lutte politique.

Dans les salles de tortures, on injecte de force, aux antifascistes prisonniers, des substances toxiques, on leur brise les mains, on leur crève les yeux, on les suspend, on les gorge d’eau, on leur découpe le signe fasciste dans la chair.

J’ai sous les yeux le relevé statistique du SRI. ‑ Secours rouge international, ‑ concernant les hommes assassinés, blessés, arrêtés, estropiés et torturés en Allemagne, Pologne, Italie, Autriche, Bulgarie, Yougoslavie.

Dans la seule Allemagne, depuis l’accession des nationaux-socialistes au pouvoir, il a été tué plus de 4 200 personnes, on en a arrêté 317 800, blessé et soumis à de pénibles tortures 218 600: ouvriers, paysans, employés, intellectuels, antifascistes, communistes, social-démocrates, membres des organisations chrétiennes de l’opposition.

En Autriche, le gouvernement fasciste “chrétien”, depuis les combats de février de l’année dernière, a assassiné 1 900 ouvriers révolutionnaires, en a blessé et mutilé 10 000, arrêté 40 000. Et ce relevé est loin d’être complet!

Il m’est difficile de trouver les mots capables d’exprimer toute l’indignation qui s’empare de nous à l’idée des tourments que les travailleurs subissent aujourd’hui dans les pays fascistes. Les chiffres et les faits que nous citons, ne reflètent même pas la centième partie du tableau véritable de l’exploitation et des tortures de la terreur blanche, dont est pleine la vie quotidienne de la classe ouvrière dans les différents pays capitalistes.

Il n’est point de livres, si nombreux soient-ils, qui puissent donner une idée claire des férocités innombrables exercées par le fascisme sur les travailleurs.

C’est avec une émotion profonde et un sentiment de haine à l’égard des bourreaux fascistes que nous inclinons les drapeaux de l’Internationale communiste devant la mémoire inoubliable de John Scheer, Fiete Schultz, Lütgens[2] en Allemagne; Koloman Wallisch et Münichreiter[3] en Autriche; Sallai[4] et Fúrst[5] en Hongrie; Kofardjiev[6], Lutibrodski[7] et Voïkov[8] en Bulgarie; devant la mémoire des milliers et des milliers d’ouvriers, de paysans, de représentants des intellectuels avancés, communistes, social-démocrates et sans-parti, qui ont donné leur vie dans la lutte contre le fascisme. Nous saluons de cette tribune le chef du prolétariat allemand et président d’honneur de notre congrès, le camarade Thälmann.

Nous saluons les camarades Rakosi, Gramsci, Antikaïnen[9], Ionko, Panov. Nous saluons le leader des socialistes espagnols Caballero[10], jeté en prison par les contre-révolutionnaires, Thomas Mooney qui, depuis dix-huit ans déjà, languit en prison, et les milliers d’autres prisonniers du Capital et du fascisme et nous leur disons: « Frères de lutte, frères d’armes, vous n’êtes pas oubliés. Nous sommes avec vous. Chaque heure de notre vie, chaque goutte de notre sang, nous les donnerons pour vous affranchir et affranchir tous les travailleurs du honteux régime fasciste. » Lénine nous avertissait déjà que la bourgeoisie réussirait peut-être à frapper d’une terreur féroce les travailleurs et à repousser pour un temps plus ou moins bref les forces croissantes de la révolution, mais que, de toute façon, elle ne réussirait pas à échapper à sa perte.

La vie, écrivait Lénine[11]l’emportera. La bourgeoisie a beau se démener, s’exaspérer à en perdre la raison, dépasser toutes les bornes, commettre sottise sur sottise, se venger d’avance des bolchéviks et s’efforcer de massacrer une fois de plus comme aux Indes, en Hongrie, en Allemagne et ailleurs des centaines, des milliers, des centaines de milliers de bolchéviks jeunes et vieux: elle fait en agissant ainsi ce qu’ont toujours fait les classes condamnées par l’histoire.

Les communistes doivent savoir que l’avenir leur appartient, quoi qu’il arrive. C’est pourquoi nous pouvons et nous devons unir dans la grande lutte révolutionnaire l’ardeur la plus passionnée au sang-froid le plus grand et à l’estimation la plus froide des agitations forcenées de la bourgeoisie.

Oui, si nous-mêmes et le prolétariat du monde entier marchons d’un pas ferme dans la voie .que nous indiquent Lénine et Staline, la bourgeoisie périra quoi qu’elle fasse.

La victoire du fascisme est-elle inévitable?

Pourquoi et de quelle façon le fascisme a-t-il pu vaincre?

Le fascisme est le pire ennemi de la classe ouvrière et des travailleurs. Le fascisme est l’ennemi des neuf dixièmes du peuple allemand, des neuf dixièmes du peuple autrichien, des neuf dixièmes des autres peuples des pays fascistes. Comment, de quelle manière, ce pire ennemi a-t-il pu vaincre?

Le fascisme a pu accéder au pouvoir avant tout parce que la classe ouvrière, par suite de la politique de collaboration de classe avec la bourgeoisie que pratiquaient les chefs de la social-démocratie, s’est trouvée scindée, désarmée au point de vue politique et au point de vue de l’organisation, face à l’agression de la bourgeoisie.

Quant aux Partis communistes, ils étaient insuffisamment forts pour soulever les masses, sans et contre la social-démocratie, et les conduire ainsi à la bataille décisive contre le fascisme.

En effet! Que les millions d’ouvriers social-démocrates, qui, aujourd’hui, tout comme leurs frères communistes, éprouvent par eux-mêmes les horreurs de la barbarie fasciste, réfléchissent sérieusement: si, en 1918, au moment où éclata la révolution en Allemagne et en Autriche, le prolétariat autrichien et allemand n’avait pas suivi la direction social-démocrate d’Otto Bauer, de Friedrich Adler et de Renner en Autriche, d’Ebert et de Scheidemann en Allemagne, mais avait suivi la voie des bolchéviks russes, la voie de Lénine et de Staline, le fascisme n’existerait aujourd’hui ni en Autriche, ni en Allemagne, ni en Italie, ni en Hongrie, ni en Pologne, ni dans les Balkans. Ce n’est pas la bourgeoisie, mais la classe ouvrière qui serait depuis longtemps déjà maîtresse de la situation en Europe.

Prenons, par exemple, la social-démocratie autrichienne. La révolution de 1918 l’avait portée à une hauteur considérable. Elle détenait le pouvoir. Elle occupait de fortes positions dans l’armée, dans l’appareil d’Etat. En s’appuyant sur ses positions, elle pouvait tuer dans l’oeuf le fascisme naissant. Mais elle a livré sans résister les positions de la classe ouvrière l’une après l’autre.

Elle a permis à la bourgeoisie de rendre son pouvoir plus fort, d’annuler la Constitution, d’épurer l’appareil d’Etat, l’armée et la police des militants social-démocrates, de retirer l’arsenal aux ouvriers. Elle a permis aux bandits fascistes d’assassiner impunément les ouvriers social-démocrates; elle a accepté les conditions du pacte de Hüttenberg[12] qui ouvrait la porte des entreprises aux éléments fascistes.

En même temps, les chefs de la social-démocratie bourraient le crâne aux ouvriers, à l’aide du programme de Linz qui prévoyait le recours éventuel à la violence armée contre la bourgeoisie et l’instauration de la dictature du prolétariat, en les assurant que le Parti répondrait par l’appel à la grève générale et à la lutte armée si les classes dirigeantes usaient de violence à l’égard de la classe ouvrière. Comme si toute la politique de préparation de l’agression fasciste contre la classe ouvrière n’était pas une succession de violences exercées contre elle, sous le voile des formes constitutionnelles.

Même à la veille des batailles de Février et pendant ces batailles, la direction de la social-démocratie autrichienne a laissé le Schutzbund[13], qui luttait héroïquement, isolé des grandes masses et elle a voué le prolétariat autrichien à la défaite.

La victoire du fascisme était-elle inévitable en Allemagne? Non, la classe ouvrière allemande pouvait la conjurer.

Mais, pour cela, elle aurait dû parvenir à réaliser le front unique prolétarien antifasciste, elle aurait dû obliger les chefs de la social-démocratie à cesser leur campagne contre les communistes et à accepter les propositions répétées du Parti communiste sur l’unité d’action contre le fascisme.

Lors de l’offensive du fascisme et de la liquidation graduelle par la bourgeoisie des libertés démocratiques bourgeoises, elle n’aurait pas dû se contenter des résolutions verbales de la social-démocratie, mais répondre par une véritable lutte de masse, qui eût entravé les plans fascistes de la bourgeoisie allemande.

Elle aurait dû empêcher l’interdiction, par le gouvernement Braun-Severing, de l’Association des combattants rouges, établir entre cette association et la Reichsbanner[14]qui comptait près d’un million de membres, une liaison de combat et obliger Braun et Severing à armer l’une et l’autre pour riposter aux bandes fascistes et les écraser.

Elle aurait dû contraindre les leaders social-démocrates placés à la tête du gouvernement prussien à prendre des mesures de défense contre le fascisme, à arrêter les chefs fascistes, à interdire leur presse, à confisquer leurs ressources matérielles et les ressources des capitalistes qui finançaient le mouvement fasciste, à dissoudre les organisations fascistes, à leur enlever leurs armes, etc.

Puis, elle aurait dû obtenir le rétablissement et l’extension de toutes les formes d’assistance sociale et l’établissement d’un moratoire et de secours de crise pour les paysans, en train de se ruiner sous l’effet des crises, en imposant les banques et les trusts, afin de s’assurer de cette façon le soutien de la paysannerie travailleuse. Cela n’a pas été fait par la faute de la social-démocratie d’Allemagne, et c’est pourquoi le fascisme a su vaincre.

La bourgeoisie et les nobles devaient-ils inévitablement triompher en Espagne, pays où se combinent si avantageusement les forces de l’insurrection prolétarienne et de la guerre paysanne?

Les socialistes espagnols étaient au gouvernement dès les premiers jours de la révolution. Ont-ils établi une liaison de combat entre les organisations ouvrières de toutes les tendances politiques, y compris communistes et anarchistes, ont-ils soudé la classe ouvrière en une organisation syndicale unique? Ont-ils exigé la confiscation de toutes les terres des propriétaires fonciers, de l’Eglise, des couvents au profit des paysans, pour gagner ces derniers à la révolution?

Ont-ils tenté de lutter pour le droit des Catalans et des Basques à disposer d’eux-mêmes, pour l’affranchissement du Maroc? Ont-ils procédé dans l’armée à l’épuration des éléments monarchistes et fascistes, pour préparer son passage du côté des ouvriers et des paysans? Ont-ils dissous la garde civile, exécrée du peuple et bourreau de tous les mouvements populaires? Ont-ils frappé le parti fasciste de Gil Robles, ont-ils porté des coups à l’Eglise catholique pour abattre sa puissance?

Non, ils n’ont rien fait de tout cela. Ils ont repoussé les propositions répétées des communistes sur l’unité d’action contre l’offensive de la réaction bourgeoise-agrarienne et du fascisme. Ils ont voté des lois électorales qui ont permis à la réaction de conquérir la majorité des Cortès, des lois réprimant les mouvements populaires, des lois en vertu desquelles on juge actuellement les héroïques mineurs des Asturies. Ils ont fait fusiller par la garde civile les paysans en lutte pour la terre, etc.

C’est ainsi que la social-démocratie a frayé au fascisme la route du pouvoir et en Allemagne et en Autriche et en Espagne, en désorganisant et en divisant les rangs de la classe ouvrière.

Le fascisme a vaincu aussi parce que le prolétariat s’est trouvé coupé de ses alliés naturels. Le fascisme a vaincu parce qu’il a réussi à entraîner à sa suite les grandes masses de la paysannerie, du fait que la social-démocratie pratiquait au nom de la classe ouvrière une politique en réalité anti-paysanne.

Le paysan avait vu se succéder au pouvoir une série de gouvernements social-démocrates qui, à ses yeux, personnifiaient le pouvoir de la classe ouvrière, mais pas un d’entre eux n’avait résolu le problème de la misère paysanne, pas un d’entre eux n’avait donné la terre à la paysannerie! La social-démocratie d’Allemagne n’avait pas touché aux propriétaires fonciers: elle entravait les grèves des ouvriers agricoles.

Le résultat, c’est que ceux-ci, en Allemagne, bien avant l’accession de Hitler au pouvoir, abandonnèrent les syndicats réformistes et, dans la plupart des cas, passèrent aux Casques d’acier et aux nationaux-socialistes.

Le fascisme a vaincu encore parce qu’il a réussi à pénétrer dans les rangs de la jeunesse, du moment que la social-démocratie détournait la jeunesse ouvrière de la lutte de classe, que le prolétariat révolutionnaire n’avait pas déployé parmi les jeunes le travail éducatif nécessaire et n’avait pas réservé une attention suffisante à la lutte pour ses intérêts et ses aspirations spécifiques. Le fascisme a su saisir le besoin d’activité combative, particulièrement vif chez les jeunes et il a entraîné une partie considérable d’entre eux dans ses détachements de combat.

La nouvelle génération de la jeunesse masculine et féminine n’a pas passé par les horreurs de la guerre. Elle sent peser sur ses épaules tout le fardeau de la crise économique, du chômage et de l’effondrement de la démocratie bourgeoise. Faute de perspectives d’avenir, des couches considérables de jeunes se sont avérées particulièrement sensibles à la démagogie fasciste, qui leur dessinait un avenir tentant lors de la victoire du fascisme.

Dans cet ordre d’idées, nous ne pouvons omettre une série de fautes commises par les Partis communistes, fautes qui ont freiné notre lutte contre le fascisme. Il y avait dans nos rangs une sous-estimation inadmissible du danger fasciste, sous-estimation qui, jusqu’à présent, n’est pas liquidée partout.

Il y avait autrefois dans nos Partis des points de vue du genre de « l’Allemagne n’est pas l’Italie »; autrement dit: le fascisme a pu vaincre en Italie, mais sa victoire est impossible en Allemagne. Ce pays étant un pays hautement développé sous le rapport de l’industrie, hautement cultivé, riche des traditions de quarante années de mouvement ouvrier, où le fascisme est impossible.

Il y avait aussi des points de vue qui existent encore aujourd’hui, du genre de celui-ci: dans les pays de démocratie bourgeoise “classique”, il n’y a pas de terrain pour le fascisme. Ces points de vue ont pu et peuvent contribuer à diminuer la vigilance à l’égard du danger fasciste et entraver la mobilisation du prolétariat dans la lutte contre le fascisme.

On peut citer également de nombreux cas où les communistes ont été pris au dépourvu par le coup d’Etat fasciste.

Souvenez-vous de la Bulgarie, où la direction de notre Parti a pris une position “neutre” et, au fond, opportuniste à l’égard du coup d’État du 9 juin 1923; de la Pologne où, en mai 1926, la direction du Parti communiste, ayant apprécié d’une façon erronée les forces motrices de la révolution polonaise, n’a pas su distinguer le caractère fasciste du coup d’Etat de Pilsudski et s’est traînée à la queue des événements; de la Finlande où notre Parti, se basant sur une idée fausse de la fascisation lente, graduelle, a laissé passer le coup d’Etat fasciste préparé par un groupe dirigeant de la bourgeoisie, coup d’Etat qui a pris le Parti et la classe ouvrière au dépourvu.

Alors le national-socialisme était déjà devenu en Allemagne un mouvement de masse menaçant, il y avait des camarades, pour qui le gouvernement de Brüning était déjà celui de la dictature fasciste, qui déclaraient avec morgue: « Si le “troisième Empire” de Hitler arrive un jour, ce ne sera qu’à un mètre et demi sous terre, avec, au-dessus de lui, le pouvoir ouvrier vainqueur. »

Les communistes d’Allemagne ont longtemps sous-estimé la blessure du sentiment national et l’indignation des masses contre Versailles; ils prenaient une attitude dédaigneuse à l’égard des flottements de la paysannerie et de la petite bourgeoisie; ils tardaient à établir un programme d’émancipation sociale et nationale, et lorsqu’ils l’eurent formulé, ils n’ont pas su l’adapter aux besoins concrets et au niveau des masses: ils n’ont pas même su le populariser largement dans les masses.

Dans plusieurs pays, on substituait à la nécessité de déployer la lutte de masse contre le fascisme des raisonnements stériles sur le caractère du fascisme « en général » et une étroitesse sectaire en ce qui concernait la manière de poser et de résoudre les tâches politiques d’actualité du Parti.

Si nous parlons des causes de la victoire du fascisme, si nous signalons la responsabilité historique de la social-démocratie pour la défaite de la classe ouvrière, si nous notons aussi nos propres erreurs dans la lutte contre le fascisme, ce n’est pas simplement parce que nous voulons fouiller le passé.

Nous ne sommes pas des historiens détachés de la vie, nous sommes des combattants de la classe ouvrière, tenus de répondre à la question qui tourmente des millions d’ouvriers: Peut-on, et par quel moyen, prévenir la victoire du fascisme? Et nous répondons à ces millions d’ouvriers: Oui, il est possible de barrer la route au fascisme. C’est parfaitement possible. Cela dépend de nous-mêmes, des ouvriers, des paysans, de tous les travailleurs!

La possibilité de prévenir la victoire du fascisme dépend avant tout de l’activité combative de la classe ouvrière elle-même, de l’union de ses forces en une armée combative unique luttant contre l’offensive du Capital et du fascisme. Le prolétariat qui aurait réalisé son unité de combat, paralyserait l’action du fascisme sur la paysannerie, la petite-bourgeoisie des villes, la jeunesse et les intellectuels; il saurait en neutraliser une partie et attirer l’autre à ses côtés.

Deuxièmement, cela dépend de l’existence d’un fort parti révolutionnaire, dirigeant de façon juste la lutte des travailleurs contre le fascisme. Un parti qui appelle systématiquement les ouvriers à reculer devant le fascisme et permet à la bourgeoisie fasciste de renforcer ses propositions, un tel parti mènera inévitablement les ouvriers à la défaite.

Troisièmement, cela dépend de la juste politique de la classe ouvrière à l’égard de la paysannerie et des masses petites-bourgeoises de la ville. Ces masses, il faut les prendre telles qu’elles sont, et non pas telles que nous voudrions les voir.

C’est seulement dans le cours de la lutte qu’elles surmonteront leurs doutes et leurs hésitations; c’est seulement si nous prenons une attitude de patience à l’égard de leurs inévitables hésitations et si le prolétariat leur accorde son appui politique qu’elles s’élèveront à un degré supérieur de conscience révolutionnaire et d’activité.

Quatrièmement, cela dépend de la vigilance et de l’action du prolétariat révolutionnaire au bon moment. Ne pas permettre au fascisme de nous prendre au dépourvu, ne pas lui abandonner l’initiative, lui porter des coups décisifs, alors qu’il n’a pas encore su rassembler ses forces, ne pas lui permettre de se consolider, lui riposter à chaque pas là où il se manifeste, ne pas lui permettre de conquérir des positions nouvelles, comme tente de le faire avec succès le prolétariat français.

Voilà les principales conditions pour prévenir le progrès du fascisme et son accession au pouvoir.

Le fascisme est un pouvoir féroce mais précaire.

La dictature fasciste de la bourgeoisie, c’est un pouvoir féroce, mais précaire.

Quelles sont les causes essentielles de la précarité de la dictature fasciste?

Le fascisme qui s’apprêtait à surmonter les divergences et les contradictions du camp de la bourgeoisie, aggrave encore davantage ces contradictions. Le fascisme s’efforce d’établir son monopole politique en détruisant par la violence les autres partis politiques. Mais la présence du système capitaliste, l’existence des classes différentes et l’aggravation des contradictions de classe amènent inévitablement le monopole politique du fascisme à s’ébranler et à éclater.

Ce n’est pas là le pays soviétique, où la dictature du prolétariat se réalise également à l’aide d’un parti sans concurrent, mais où ce monopole politique répond aux intérêts des millions de travailleurs et s’appuie de plus en plus sur l’édification d’une société sans classes.

Dans un pays fasciste, le parti des fascistes ne peut conserver longtemps son monopole, parce qu’il n’est pas en mesure de s’assigner pour tâche l’abolition des classes et des antagonismes de classe. Il anéantit l’existence légale des partis bourgeois, mais une série d’entre eux continuent à exister illégalement: quant au Parti communiste, même dans les conditions de l’illégalité, il va de l’avant, il se trempe et guide la lutte du prolétariat contre la dictature fasciste. De cette façon, le monopole politique du fascisme doit éclater sous les coups des antagonismes de classe.

Une autre cause de la précarité de la dictature fasciste consiste en ceci que le contraste entre la démagogie anticapitaliste du fascisme et la politique d’enrichissement de la bourgeoisie monopoliste par la pire des spoliations, permet de divulguer plus facilement la nature de classe du fascisme et conduit à l’ébranlement et au rétrécissement de sa base de masse.

En outre, la victoire du fascisme provoque la haine profonde et l’indignation des masses, contribue au développement de l’esprit révolutionnaire dans leur sein et donne une puissante impulsion au front unique du prolétariat contre le fascisme.

En faisant une politique de nationalisme économique (autarcie) et en accaparant la plus grande partie du revenu national pour préparer la guerre, le fascisme mine toute l’économie du pays et aggrave la guerre économique entre les Etats capitalistes. Il confère aux conflits qui éclatent au sein de la bourgeoisie le caractère de collisions violentes et fréquemment sanglantes, ce qui sape la stabilité du pouvoir d’Etat fasciste aux yeux du peuple.

Un pouvoir qui assassine ses propres partisans, comme on l’a vu le 30 juin de l’année dernière en Allemagne, un pouvoir fasciste contre lequel une autre partie de la bourgeoisie fasciste lutte les armes à la main (putsch national-socialiste en Autriche, interventions violentes de divers groupes fascistes contre le gouvernement fasciste en Pologne, en Bulgarie, en Finlande et dans d’autres pays), un tel pouvoir ne peut garder longtemps son autorité aux yeux des grandes masses petites-bourgeoises.

La classe ouvrière doit savoir utiliser les contradictions et les conflits dans le camp de la bourgeoisie, mais elle ne doit pas nourrir l’illusion que le fascisme s’épuisera de lui-même. Le fascisme ne s’écroulera pas automatiquement. Seule, l’activité révolutionnaire de la classe ouvrière aidera à utiliser les conflits qui surgissent inévitablement dans le camp de la bourgeoisie, pour miner la dictature fasciste et la renverser.

En liquidant les restes de démocratie bourgeoise, en érigeant la violence déclarée en un système de gouvernement, le fascisme sape les illusions démocratiques et le prestige de la légalité aux yeux des masses travailleuses. Et cela à plus forte raison dans les pays où, comme par exemple en Autriche et en Espagne, les ouvriers ont lutté les armes à la main contre le fascisme.

En Autriche, la lutte héroïque du Schutzbund et des communistes, en dépit de la défaite, a ébranlé dès le début la solidité de la dictature fasciste. En Espagne, la bourgeoisie n’a pas réussi à passer aux travailleurs la muselière fasciste. Les combats armés d’Autriche et d’Espagne ont eu pour résultat que des masses de plus en plus grandes de la classe ouvrière prennent conscience de la nécessité d’une lutte de classe révolutionnaire.

Seuls les philistins monstrueux, des laquais de la bourgeoisie comme le plus ancien théoricien de la IIe Internationale, Karl Kautsky, peuvent reprocher aux ouvriers d’avoir pris, voyez-vous, les armes en Autriche et en Espagne.

Quel aspect aurait aujourd’hui le mouvement ouvrier d’Autriche et d’Espagne, si la classe ouvrière de ces pays s’était inspirée des conseils de trahison des Kautsky? La classe ouvrière éprouverait dans ses rangs une profonde démoralisation.

L’école de la guerre civile, dit Lénine[15]n’est pas vaine pour les peuples. C’est une dure école et son cours complet renferme inévitablement des victoires de la contre-révolution, le déchaînement des réactionnaires en furie, la répression sauvage du pouvoir ancien contre les insurgés, etc.

Mais seuls les pédants invétérés et les esprits momifiés peuvent se lamenter à propos de l’entrée des peuples dans cette pénible école: cette école enseigne aux classes opprimées la conduite de la guerre civile, elle leur enseigne la révolution victorieuse, elle concentre dans la masse des esclaves modernes cette haine que les esclaves abêtis, abrutis, ignorants, recèlent en eux éternellement, et qui aboutit aux admirables prouesses historiques des esclaves parvenus à la conscience de l’opprobre de leur esclavage.

La victoire du fascisme en Allemagne, on le sait, a entraîné une nouvelle vague de l’offensive fasciste qui a abouti en Autriche à la provocation de Dollfuss, en Espagne à de nouvelles offensives de la contre-révolution visant les conquêtes révolutionnaires des masses, en Pologne à la réforme fasciste de la Constitution, et, en France, a stimulé les détachements armés des fascistes à faire une tentative de coup d’Etat en février 1934. Mais cette victoire et la frénésie de la dictature fasciste ont provoqué le réflexe du front unique prolétarien contre le fascisme à l’échelle internationale.

L’incendie du Reichstag, qui fut le signal de l’offensive générale du fascisme contre la classe ouvrière, la mainmise sur les syndicats et les autres organisations ouvrières, et le pillage de ces organisations, les gémissements des antifascistes tourmentés sans répit qui sortent des sous-sols des casernes et des camps de concentration fascistes, montrent aux masses avec la force de l’évidence à quoi a abouti le rôle scissionniste réactionnaire des chefs de la social-démocratie allemande, qui avaient repoussé les propositions communistes de lutte en commun contre le fascisme agressif, et convainquent de la nécessité d’unir toutes les forces de la classe ouvrière pour renverser le fascisme.

La victoire de Hitler a donné aussi une impulsion décisive à la réalisation du front unique de la classe ouvrière contre le fascisme en France. La victoire de Hitler n’a pas seulement éveillé chez les ouvriers la peur de partager le sort des ouvriers allemands; elle n’a pas seulement attisé en eux la haine des bourreaux de leurs frères de classe allemands, mais elle a encore affermi en eux la résolution de ne permettre en aucun cas dans leur pays ce qui est arrivé à la classe ouvrière d’Allemagne.

L’aspiration puissante au front unique dans tous les pays capitalistes montre que les leçons de la défaite ne sont pas perdues. La classe ouvrière commence à agir d’une façon nouvelle.

L’initiative du Parti communiste pour organiser le front unique et l’abnégation sans réserve des communistes, des ouvriers révolutionnaires dans la lutte contre le fascisme ont eu pour conséquence de porter à un degré sans précédent l’autorité de l’Internationale communiste. Dans le même temps, se développe la crise profonde de la IIe Internationale, qui s’est manifestée et accentuée avec un éclat particulier depuis la banqueroute de la social-démocratie allemande.

Les ouvriers social-démocrates peuvent se convaincre avec de plus en plus d’évidence que l’Allemagne fasciste, avec toutes ses horreurs et sa barbarie, c’est, en fin de compte, le résultat de la politique social-démocrate de collaboration de classe avec la bourgeoisie. 

Ces masses se rendent compte de plus en plus nettement que la voie où les chefs de la social-démocratie allemande ont mené le prolétariat, ne doit pas être reprise. Jamais encore il n’y a eu dans le camp de la IIe Internationale un aussi grand désarroi idéologique qu’à l’heure actuelle. La différenciation s’opère à l’intérieur de tous les Partis social-démocrates.

Dans leurs rangs se forment deux camps principaux; à côté du camp des éléments réactionnaires, qui s’efforcent par tous les moyens de maintenir le bloc de la social-démocratie avec la bourgeoisie et repoussent avec rage le front unique avec les communistes, commence à se former un camp d’éléments révolutionnaires, doutant de la justesse de la politique de collaboration de classe avec la bourgeoisie, partisan de la réalisation du front unique avec les communistes et commençant, dans une mesure de plus en plus grande, à passer sur les positions de la lutte de classe révolutionnaire.

Ainsi, le fascisme qui est apparu comme le fruit de la décadence du système capitaliste agit en dernière analyse comme un facteur de décomposition ultérieure de ce système. 

Ainsi, le fascisme qui s’est chargé d’enterrer le marxisme, le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, conduit lui-même, en conséquence de la dialectique de la vie et de la lutte de classe, au développement ultérieur des forces qui doivent creuser sa fosse, la fosse du capitalisme.

II. Le front unique de la classe ouvrière contre le fascisme

Les millions d’ouvriers et de travailleurs des pays capitalistes posent la question de savoir comment empêcher la venue du fascisme au pouvoir et comment renverser le fascisme victorieux.

L’Internationale communiste répond: La première chose qu’il faut faire, par laquelle il est nécessaire de commencer, c’est de réaliser le front unique, d’établir l’unité d’action des ouvriers dans chaque entreprise, dans chaque rayon, dans chaque région, dans chaque pays, dans le monde entier. L’unité d’action du prolétariat à l’échelle nationale et internationale, voilà l’arme puissante qui rend la classe ouvrière capable non seulement de se défendre avec succès mais aussi de passer avec succès à la contre-offensive contre le fascisme, contre l’ennemi de classe.

L’importance du front unique.

N’est-il pas clair que l’action commune des adhérents des partis et organisations des deux Internationales, ‑ de l’Internationale communiste et de la IIe Internationale, ‑ faciliterait la riposte des masses à la poussée fasciste et augmenterait le poids politique de la classe ouvrière?

L’action commune des partis des deux Internationales contre le fascisme ne se bornerait pourtant pas à influencer leurs partisans actuels, les communistes et les social-démocrates; elle influerait puissamment sur les rangs des ouvriers catholiques, anarchistes et inorganisés, même sur ceux qui sont devenus momentanément victimes de la démagogie fasciste.

Bien plus, le puissant front unique du prolétariat exercerait une influence énorme sur toutes les autres couches du peuple travailleur, sur la paysannerie, sur la petite bourgeoisie citadine, sur les intellectuels. Le front unique inspirerait aux couches hésitantes la foi dans la force de la classe ouvrière.

Mais ce n’est pas encore tout. Le prolétariat des pays impérialistes a des alliés possibles non seulement dans la personne des travailleurs de son propre pays, mais aussi dans les nations opprimées des colonies et des semi-colonies. 

Pour autant que le prolétariat est scindé à l’échelle nationale et internationale; pour autant qu’une de ses parties soutient la politique de collaboration avec la bourgeoisie et, en particulier, son régime d’oppression dans les colonies et les semi-colonies, cette circonstance écarte de la classe ouvrière les peuples opprimés des colonies et des semi-colonies et affaiblit le front anti-impérialiste mondial.

Chaque pas fait dans la voie de l’unité d’action, visant au soutien de la lutte émancipatrice des peuples coloniaux par le prolétariat des métropoles impérialistes, signifie la transformation des colonies et des semi-colonies en une des principales réserves du prolétariat mondial.

Si, enfin, nous tenons compte du fait que l’unité d’action internationale du prolétariat s’appuie sur la force sans cesse accrue de l’Etat prolétarien, du pays du socialisme, de l’Union soviétique, nous verrons quelles vastes perspectives ouvre la réalisation de l’unité d’action du prolétariat à l’échelle nationale et internationale.

L’établissement de l’unité d’action de tous les détachements de la classe ouvrière, indépendamment du Parti ou de l’organisation auxquels ils appartiennent, est nécessaire avant même que la majorité de la classe ouvrière s’unisse dans la lutte pour le renversement du capitalisme et la victoire de la révolution prolétarienne.

Est-il possible de réaliser cette unité d’action du prolétariat dans les différents pays et dans le monde entier? Oui, c’est possible. Et tout de suite. L’Internationale communiste ne pose à l’unité d’action aucune condition, à l’exception d’une seule, qui est élémentaire, acceptable pour tous les ouvriers. À savoir: que l’unité d’action soit dirigée contre le fascisme, contre l’offensive du Capital, contre la menace de guerre, contre l’ennemi de classe. Voilà notre condition.

Les principaux arguments des adversaires du front unique.

Que peuvent objecter et qu’objectent les adversaires du front unique?

« Pour les communistes, le mot d’ordre du front unique n’est qu’une manoeuvre », disent les uns. Mais si c’était une manoeuvre, répondrons-nous, pourquoi, précisément, ne démasqueriez-vous pas la “manoeuvre communiste” en participant honnêtement au front unique?

Nous le déclarons ouvertement: nous voulons l’unité d’action de la classe ouvrière pour que le prolétariat devienne plus fort dans sa lutte contre la bourgeoisie, pour qu’en défendant aujourd’hui ses intérêts quotidiens contre le Capital agressif, contre le fascisme, il soit en mesure demain de réaliser les prémisses de son affranchissement définitif.

« Les communistes nous attaquent », disent les autres. Eh bien! écoutez, nous l’avons déjà déclaré maintes fois: nous n’attaquons personne, ni les individus, ni les organisations, ni les partis qui sont pour le front unique de la classe ouvrière contre l’ennemi de classe. Mais, en même temps, nous sommes tenus, ‑ dans l’intérêt du prolétariat et de sa cause, ‑ de critiquer les individus, les organisations et les partis qui entravent l’unité d’action des ouvriers.

« Nous ne pouvons faire le front unique avec les communistes étant donné qu’ils ont un autre programme », disent les troisièmes. Mais n’affirmez-vous pas que votre programme est différent du programme des partis bourgeois? Or, cela ne vous a pas empêchés et ne vous empêche pas d’entrer en coalition avec ces partis.

« Les partis démocratiques bourgeois sont contre le fascisme de meilleurs alliés que les communistes », disent les adversaires du front unique et les défenseurs de la coalition avec la bourgeoisie. Mais que nous dit l’expérience d’Allemagne? Les social-démocrates n’ont-ils pas fait bloc avec ces “meilleurs” alliés? Et quels sont les résultats?

« Si nous établissons le front unique avec les communistes, les petits bourgeois auront peur du “péril rouge” et passeront aux fascistes », entendons-nous dire souvent. Mais le front unique menace-t-il les paysans, les petits commerçants, les artisans, les intellectuels travailleurs?

Non, le front unique menace la grande bourgeoisie, les magnats de la finance, les hobereaux et les autres exploiteurs, dont le règne entraîne la ruine complète de toutes ces couches sociales.

« La social-démocratie est pour la démocratie, tandis que les communistes sont pour la dictature; c’est pourquoi nous ne pouvons établir le front unique avec les communistes », disent certains leaders de la social-démocratie. Mais est-ce qu’actuellement nous vous proposons le front unique pour proclamer la dictature du prolétariat? Vous savez bien que nous ne vous le proposons pas pour l’instant.

« Que les communistes reconnaissent la démocratie, qu’ils prennent sa défense, et alors nous sommes prêts à faire le front unique. » À cela nous répondons: nous sommes partisans de la démocratie soviétique, de la démocratie des travailleurs, de la démocratie la plus conséquente du monde. Mais nous défendons et défendrons pied à pied, dans les pays capitalistes, les libertés démocratiques bourgeoises auxquelles attentent le fascisme et la réaction bourgeoise, parce que cette attitude est dictée par les intérêts de la lutte de classe du prolétariat.

« Mais les petits Partis communistes n’ajouteront rien, par leur participation, au front unique qui se trouve réalisé dans le parti travailliste », disent, par exemple, les chefs travaillistes d’Angleterre. Rappelez-vous cependant: les chefs social-démocrates autrichiens en disaient autant du petit Parti communiste autrichien.

Et qu’est-ce que les événements ont montré? Ce n’est pas la social-démocratie autrichienne avec Otto Bauer et Renner en tête, qui s’est trouvée avoir raison, mais le petit Parti communiste autrichien qui avait signalé en temps opportun le danger fasciste en Autriche et appelait les ouvriers à la lutte. Toute l’expérience du mouvement ouvrier n’a-t-elle pas montré que les communistes, même avec leur petit nombre relatif, sont le moteur de l’activité combative du prolétariat?

En outre, il ne faut pas oublier que les Partis communistes d’Autriche ou d’Angleterre, ce ne sont pas seulement les dizaines de milliers d’ouvriers qui sont pour le Parti, il s’agit de détachements du mouvement communiste mondial, il s’agit de sections de l’Internationale communiste, dont le parti dirigeant est celui du prolétariat qui a déjà vaincu et règne sur un sixième du globe.

« Mais le front unique n’a pas empêché la victoire du fascisme dans la Sarre », telle est l’objection que formulent les adversaires du front unique. Etrange logique que celle de ces messieurs! D’abord, ils font tout pour assurer la victoire du fascisme, et, ensuite, ils ricanent parce que le front unique, qu’ils ont accepté au tout dernier moment, n’a pas entraîné la victoire des ouvriers.

« Si nous constituons le front unique avec les communistes, nous devrons sortir de la coalition, et ce sont les partis réactionnaires et fascistes qui entreront au gouvernement », disent les chefs social-démocrates installés dans les gouvernements des différents pays.

Bien. La social-démocratie allemande faisait-elle partie du gouvernement de coalition? Oui. La social-démocratie autrichienne était-elle au gouvernement? Elle y était aussi. Les socialistes espagnols étaient-ils dans le même gouvernement que la bourgeoisie?

Oui, ils y étaient eux aussi. La participation de la social-démocratie aux gouvernements de coalition bourgeoise a-t-elle empêché dans ces pays le fascisme d’attaquer le prolétariat? Non, elle ne l’en a pas empêché. Donc, il est clair comme le jour que la participation des ministres social-démocrates au gouvernement bourgeois n’est pas une barrière contre le fascisme.

« Les communistes agissent en dictateurs, ils veulent constamment nous commander et nous dicter des ordres. » Non. Nous ne commandons rien et ne dictons rien. Nous apportons simplement nos propositions et nous sommes convaincus que leur application répond aux intérêts du peuple travailleur. Ce n’est pas seulement le droit, mais c’est encore le devoir de tous ceux qui parlent au nom des ouvriers.

Vous craignez la “dictature” des communistes? Présentons en commun, si vous le voulez bien, toutes les propositions aux ouvriers, les vôtres et les nôtres; étudions-les en commun avec tous les ouvriers et choisissons les propositions qui sont les plus utiles à la cause de la classe ouvrière.

Ainsi, tous ces arguments contre le front unique ne résistent pas à la moindre critique. Ce sont plutôt des échappatoires pour les chefs réactionnaires de la social-démocratie, qui préfèrent leur front unique avec la bourgeoisie au front unique du prolétariat.

Non, ces échappatoires ne prendront pas! Le prolétariat international a trop souffert des conséquences de la scission du mouvement ouvrier et il acquiert de plus en plus la conviction que le front unique, l’unité d’action du prolétariat à l’échelle nationale et internationale sont nécessaires et parfaitement possibles.

Le contenu et les formes du front unique.

Quel est et quel doit être le contenu essentiel du front unique à l’étape donnée?

La défense des intérêts économiques et politiques immédiats de la classe ouvrière, la défense de cette classe contre le fascisme doit être le point de départ et constituer le contenu essentiel du front unique dans tous les pays capitalistes.

Nous ne devons pas nous borner simplement à des appels sans lendemain en faveur de la lutte pour la dictature du prolétariat, mais trouver et formuler des mots d’ordre et des formes de lutte découlant des nécessités vitales des masses, du niveau de leur combativité à l’étape donnée du développement.

Nous devons indiquer aux masses ce qu’elles ont à faire aujourd’hui pour se défendre contre le pillage capitaliste et la barbarie fasciste.

Nous devons travailler à établir le plus vaste front unique au moyen d’actions communes des organisations ouvrières de différentes tendances pour défendre les intérêts vitaux des masses travailleuses.

Cela signifie, premièrement, lutter en commun pour faire réellement retomber les effets de la crise sur les épaules des classes dominantes, sur les épaules des capitalistes, des propriétaires, en un mot sur les épaules des riches.

Deuxièmement, lutter en commun contre toutes les formes de l’offensive fasciste, pour la défense des conquêtes et des droits des travailleurs, contre la liquidation des libertés démocratiques bourgeoises. Troisièmement, lutter en commun contre le danger imminent d’une guerre impérialiste, lutter de façon à en entraver la préparation.

Nous devons préparer inlassablement la classe ouvrière à changer rapidement de formes et de méthodes de lutte lorsque la situation change. À mesure que le mouvement se développe et que l’unité de la classe ouvrière se renforce, nous devons aller plus loin, ‑ préparer le passage de la défensive à l’offensive contre le Capital, en nous orientant vers l’organisation de la grève politique de masse. Et la condition absolue d’une telle grève doit être la participation à celle-ci des principaux syndicats de chaque pays donné.

Les communistes, évidemment, ne peuvent pas et ne doivent pas, l’espace d’une seule minute, renoncer à leur travail indépendant en matière d’éducation communiste, d’organisation et de mobilisation des masses.

Toutefois, afin d’ouvrir sûrement aux ouvriers la voie de l’unité d’action, il est nécessaire, en même temps, de travailler à réaliser des accords de brève durée comme aussi de longue durée sur les actions à engager en commun avec les Partis social-démocrates, les syndicats réformistes et les autres organisations de travailleurs contre les ennemis de classe du prolétariat.

Ce faisant, il faudra surtout fixer son attention sur le développement des actions de masse à la base, réalisées par les organisations de base, à l’aide d’accords conclus sur place. En remplissant loyalement les conditions de tous les accords conclus avec eux, nous dénoncerons sans merci tout sabotage de l’action commune par les individus et les organisations participant au front unique.

À toutes les tentatives de faire échec aux accords, ‑ et il est possible que de telles tentatives aient lieu, ‑ nous répondrons en en appelant aux masses, en continuant notre lutte inlassable pour rétablir l’unité d’action violée.

Il va de soi que la réalisation concrète du front unique dans les divers pays se fera différemment, qu’elle prendra différentes formes selon l’état et le caractère des organisations ouvrières, selon leur niveau politique, la situation concrète du pays donné, les changements intervenus dans le mouvement ouvrier international, etc.

Ces formes peuvent être, par exemple: l’action commune et concertée des ouvriers à telle ou telle occasion, pour des motifs concrets, pour des revendications isolées ou sur la base d’une plate-forme générale; l’action concertée dans diverses entreprises ou par branches de production; l’action concertée à l’échelle locale, régionale, nationale ou internationale; l’action concertée en vue d’organiser la lutte économique des ouvriers, de réaliser des actions politiques de masses, d’organiser l’autodéfense commune contre les attaques fascistes; l’action concertée en vue de porter secours aux détenus et à leurs familles; de lutter contre la réaction sociale; l’action concertée pour la défense des intérêts de la jeunesse et des femmes; dans le domaine de la coopération, de la culture, des sports, etc.

Il serait insuffisant de se contenter simplement de conclure un pacte d’action commune et de créer des commissions de contact composées des partis et organisations participant au front unique, c’est-à-dire semblable à ce que nous avons, par exemple, en France. Ce n’est là que le premier pas.

Le pacte est un moyen auxiliaire de réaliser des actions communes, mais, par lui-même, il n’est pas encore le front unique. La commission de contact entre les directions respectives des Partis communiste et socialiste est nécessaire pour faciliter la réalisation d’actions communes, mais, par elle-même, elle est loin d’être suffisante pour déployer réellement le front unique, pour entraîner les plus grandes masses à la lutte contre le fascisme.

Les communistes et tous les ouvriers révolutionnaires doivent travailler à la création d’organismes de classe hors parti du front unique dans les entreprises, parmi les chômeurs, dans les quartiers ouvriers, parmi les petites gens des villes et dans les villages, organismes élus (et, dans les pays de dictature fasciste, choisis parmi les membres les plus autorisés du mouvement de front unique).

Seuls, des organismes de cette sorte pourront englober aussi dans le mouvement de front unique l’énorme masse inorganisée des travailleurs, contribuer au développement de l’initiative des masses dans la lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la réaction, et, sur cette base, à la création du vaste cadre de militants ouvriers du front unique qui est indispensable pour la formation de centaines et de milliers de bolchéviks sans-parti dans les pays capitalistes.

L’action commune des ouvriers organisés, tel est le début, telle est la base. Mais nous ne devons pas perdre de vue le fait que les masses inorganisées constituent la majorité écrasante des ouvriers. C’est ainsi qu’en France, le nombre des ouvriers organisés,‑ communistes, socialistes, membres, des syndicats de différentes tendances ‑ n’atteint au total qu’un million environ, tandis que le nombre total des ouvriers est de 11 millions. 

En Angleterre, les syndicats et les partis de toutes tendances comptent environ 5 millions d’adhérents. Or, le nombre total des ouvriers est évalué à 14 millions. Aux États-Unis d’Amérique, il y a environ 5 millions d’ouvriers organisés, tandis que le nombre total des ouvriers y est de 38 millions. 

Le même rapport se retrouve à peu près dans plusieurs autres pays. En temps “normal”, cette masse reste, dans son ensemble, en dehors de la vie politique. Mais, maintenant, cette masse gigantesque entre de plus en plus en mouvement, elle est entraînée et elle intervient dans la vie et sur l’arène politiques.

La création d’organismes de classe en dehors des partis est la meilleure forme pour réaliser, élargir et consolider le front unique au plus profond des grandes masses. Ces organismes seront aussi le meilleur rempart contre toutes les tentatives des adversaires du front unique de violer l’unité d’action qui s’établit au sein de la classe ouvrière.

Le Front populaire antifasciste.

Dans l’oeuvre de mobilisation des masses travailleuses pour la lutte contre le fascisme, une tâche particulièrement importante consiste à créer un vaste Front populaire antifasciste sur la base du front unique prolétarien. Le succès de toute la lutte du prolétariat est étroitement rattaché à l’établissement d’une alliance de combat avec la paysannerie laborieuse et la masse fondamentale de la petite bourgeoisie urbaine, qui forment la majorité de la population même dans les pays d’industrie développée.

Dans son agitation, le fascisme, désireux de gagner ces masses à ses côtés, tente d’opposer les masses travailleuses de la ville et de la campagne au prolétariat révolutionnaire, de terrifier la petite bourgeoisie avec l’épouvantail du “péril rouge”.

Il nous appartient de retourner la pointe et de montrer aux paysans travailleurs, aux artisans et aux intellectuels travailleurs, d’où vient le danger réel qui les menace: de leur montrer de façon concrète qui fait peser sur le paysan le fardeau des impôts et des taxes; qui lui extorque des intérêts usuraires; qui donc, possédant la meilleure terre et toutes les richesses, chasse le paysan et sa famille de sa parcelle et le voue au chômage et à la misère.

Il faut expliquer concrètement, expliquer avec patience et persévérance, qui ruine les artisans et les petits producteurs par les impôts, les taxes, les baux élevés et une concurrence qu’ils ne peuvent supporter, qui jette à la rue et prive de travail les grandes masses d’intellectuels travailleurs.

Mais cela ne suffit pas.

Le principal, le plus décisif pour établir le Front populaire antifasciste, c’est l’action résolue du prolétariat révolutionnaire pour la défense des revendications de ces couches sociales et, en particulier, de la paysannerie laborieuse, revendications qui sont en concordance avec les intérêts fondamentaux du prolétariat et qu’il importe de coordonner dans le cours de la lutte avec les revendications de la classe ouvrière.

Lors de la création du Front populaire antifasciste, il est d’une grande importance d’aborder de manière juste les organisations et les partis auxquels adhèrent en nombre considérable la paysannerie travailleuse et les masses fondamentales de la petite bourgeoisie urbaine.

Dans les pays capitalistes, la majorité de ces partis et de ces organisations, tant politiques qu’économiques, se trouvent encore sous l’influence de la bourgeoisie et continuent à la suivre. La composition sociale de ces partis et de ces organisations n’est pas homogène. On y trouve des koulaks de taille à côté de paysans sans terre, de grands brasseurs d’affaires à côté de petits boutiquiers, mais la direction y appartient aux premiers, aux agents du grand Capital.

Cela nous oblige à aborder d’une façon différente ces organisations en tenant compte du fait que, bien souvent, la masse des adhérents ne connaît pas la physionomie politique réelle de sa direction. Dans des circonstances déterminées, nous pouvons et nous devons orienter nos efforts pour attirer, en dépit de leur direction bourgeoise, ces partis et ces organisations, ou certaines de leurs parties, aux côtés du Front populaire antifasciste.

Telle est, par exemple, la situation actuelle en France, avec le Parti radical; aux États-Unis, avec diverses organisations paysannes; en Pologne, avec le Stronitstvo Ludové; en Yougoslavie, avec le Parti paysan croate; en Bulgarie, avec l’Union agricole; en Grèce, avec les agrariens, etc. Mais, indépendamment de la question de savoir s’il existe des chances d’attirer de tels partis et de telles organisations aux côtés du Front populaire, notre tactique, dans toutes les conditions, doit être orientée de façon à entraîner les petits paysans, les petits producteurs, les artisans, etc., qui en font partie au Front populaire antifasciste.

Vous voyez donc qu’ici, sur toute la ligne, il faut en finir avec le dédain, l’attitude d’indifférence qui s’observent fréquemment dans notre pratique à l’égard des divers partis et des diverses organisations des paysans, des artisans et des masses petites bourgeoises de la ville.

Les questions cruciales du front unique dans les différents pays.

Dans chaque pays, il existe des questions cruciales qui agitent, à l’étape donnée, les plus grandes masses et autour desquelles doit se déployer la lutte pour l’établissement du front unique. Mettre le doigt sur ces points cruciaux, sur ces questions cruciales, c’est garantir et accélérer l’établissement du front unique,

a) États-Unis d’Amérique

Prenons, par exemple, un pays du monde capitaliste aussi important que les États-Unis d’Amérique. Ici, la crise a mis en mouvement des masses innombrables. Le programme d’assainissement du capitalisme s’est effondré. Des masses énormes commencent à s’écarter des partis bourgeois, et sont aujourd’hui indécises sur la voie à prendre.

Le fascisme américain naissant s’efforce d’orienter la déception et le mécontentement de ces masses vers le sillage de la réaction fasciste. En outre, la particularité du développement du fascisme américain consiste en ceci qu’au stade actuel, il s’affirme principalement sous la forme d’une opposition au fascisme, en tant que courant “non américain” importé de l’étranger.

À la différence du fascisme allemand formulant des mots d’ordre anticonstitutionnels, le fascisme américain tente de se camper dans le rôle de champion de la Constitution et de la “démocratie américaine”. Il ne représente pas encore une force constituant une menace directe. Mais s’il réussit à pénétrer dans les grandes masses déçues par les vieux partis bourgeois, il peut devenir une menace sérieuse dans le plus proche avenir.

Or que signifierait la victoire du fascisme aux États-Unis? Pour les masses travailleuses, elle signifierait, on le conçoit bien, un renforcement effréné du régime d’exploitation et l’écrasement du mouvement ouvrier. Et quelle serait la portée internationale de cette victoire du fascisme?

Les États-Unis, comme on le sait, ce n’est pas la Hongrie, ni la Finlande, ni la Bulgarie ou la Lettonie. La victoire du fascisme aux États-Unis modifierait très notablement toute la situation internationale.

Dans ces conditions, le prolétariat américain peut-il se contenter d’organiser seulement son avant-garde consciente, qui est prête à marcher dans la voie révolutionnaire? Non.

Il est tout à fait évident que l’intérêt du prolétariat américain exige que toutes ses forces se délimitent, sans retard, des partis capitalistes. Il lui est indispensable de trouver les voies et les formes adéquates pour empêcher à temps le fascisme de s’emparer des grandes masses de travailleurs mécontents.

Et, ici, nous devons dire que la création d’un parti de masse des travailleurs, d’un « Parti ouvrier et paysan » pourrait être cette forme adéquate dans les conditions américaines. Un tel parti serait une forme spécifique du Front populaire de masse en Amérique à opposer aux partis des trusts et des banques de même qu’au fascisme grandissant. Un tel parti ne sera, évidemment, ni socialiste, ni communiste. Mais il doit être antifasciste et ne doit pas être un parti anticommuniste.

Le programme de ce parti doit être dirigé contre les banques, les trusts et les monopoles, contre les principaux ennemis du peuple qui spéculent sur ses malheurs.

Un tel parti ne peut répondre à sa destination que s’il défend les revendications quotidiennes de la classe ouvrière, s’il lutte pour une véritable législation sociale, pour l’assurance contre le chômage; s’il lutte pour la terre aux fermiers blancs et noirs, et pour leur libération du fardeau des dettes, s’il s’applique à faire annuler les dettes des paysans; s’il combat pour l’égalité des Nègres, pour la défense des revendications des anciens combattants, pour la défense des intérêts des représentants des professions libérales, des petits commerçants et petits producteurs. Et ainsi de suite.

Il va de soi qu’un tel parti militera pour faire entrer ses représentants dans les municipalités, dans les organismes représentatifs des différents États, ainsi qu’au Congrès et au Sénat.

Nos camarades des États-Unis ont agi de façon juste, en faisant preuve d’initiative pour la création d’un tel parti. Mais ils auront encore à prendre des mesures effectives pour que la création de ce parti devienne l’oeuvre des masses elles-mêmes. Le problème de l’organisation d’un « Parti ouvrier-paysan » et son programme, doit être étudié dans des réunions populaires de masse. Il est nécessaire de déployer un très vaste mouvement autour de la création de ce parti, et d’en prendre la tête.

En aucun cas, il ne faut permettre que l’initiative dans le travail d’organisation du Parti passe aux mains des éléments qui veulent utiliser le mécontentement des masses innombrables déçues par les deux partis bourgeois, démocratique et républicain, pour créer un “troisième” parti aux États-Unis, comme parti anticommuniste, comme parti dirigé contre le mouvement révolutionnaire.

b) Angleterre

En Angleterre, par suite des manifestations de masse des ouvriers anglais, l’organisation fasciste de Mosley a été momentanément refoulée à l’arrière-plan. Mais nous ne devons pas perdre de vue que le “gouvernement national” prend contre la classe ouvrière une série de mesures réactionnaires à l’aide desquelles il se crée en Angleterre aussi, des conditions qui faciliteraient à la bourgeoisie, en cas de besoin, le passage au régime fasciste.

Combattre le danger fasciste en Angleterre à l’étape donnée, c’est lutter avant tout contre le “gouvernement national”: contre ses mesures réactionnaires, contre l’offensive du Capital, pour la défense des revendications des chômeurs, contre la baisse des salaires, pour l’abolition de toutes les lois à l’aide desquelles la bourgeoisie anglaise abaisse le niveau de vie des masses.

Mais la haine croissante de la classe ouvrière contre le “gouvernement national” unit des masses de plus en plus considérables, sous le mot d’ordre de formation, en Angleterre, d’un nouveau gouvernement travailliste. Les communistes peuvent-ils dédaigner cet état d’esprit des grandes masses qui gardent encore leur foi dans un gouvernement travailliste? Non. Nous devons trouver la voie qui conduit à ces masses.

Nous leur disons ouvertement, ainsi que l’a fait le XIIIe congrès du Parti communiste anglais: nous communistes, sommes partisans du pouvoir soviétique, seul pouvoir capable d’affranchir les ouvriers du joug du Capital. Mais vous voulez un gouvernement travailliste? Soit. Nous avons lutté et luttons avec vous, la main dans la main, pour la défaite du “gouvernement national”.

Nous sommes prêts à soutenir votre lutte pour la formation d’un nouveau gouvernement travailliste, encore que les deux gouvernements travaillistes précédents n’aient pas tenu les promesses faites à la classe ouvrière par le Parti travailliste. Nous n’attendons pas de ce gouvernement la réalisation de mesures socialistes. Mais, au nom de millions d’ouvriers, nous exigeons de lui qu’il défende les intérêts économiques et politiques les plus urgents de la classe ouvrière et de tous les travailleurs.

Étudions donc ensemble le programme commun de ces revendications et réalisons l’unité d’action indispensable au prolétariat pour riposter à l’offensive réactionnaire du “gouvernement national”, à l’offensive du Capital et du fascisme, à la préparation d’une nouvelle guerre. Sur cette base, les communistes anglais sont prêts à se présenter en commun avec les organisations du Parti travailliste aux prochaines élections parlementaires contre le “gouvernement national”, ainsi que contre Lloyd George qui tente à sa manière d’entraîner les masses derrière lui contre la cause de la classe ouvrière, dans l’intérêt de la bourgeoisie anglaise.

Cette position des communistes anglais est juste. Elle leur facilitera l’établissement du front unique de lutte avec les millions de travailleurs des syndicats anglais et du Parti travailliste.

Tout en restant constamment dans les premiers rangs du prolétariat en lutte, tout en indiquant aux masses la seule voie juste, ‑ la voie de la lutte pour le renversement révolutionnaire de la domination de la bourgeoisie et l’instauration du pouvoir des Soviets, ‑ les communistes, lorsqu’ils définissent leurs tâches politiques actuelles, ne doivent pas chercher à brûler les étapes nécessaires du mouvement de masse, dans le cours duquel les masses ouvrières se dégagent de leurs illusions par leur propre expérience et passent aux côtés du communisme.

c) France

La France est le pays où, comme on le sait, la classe ouvrière donne à tout le prolétariat international un exemple de la façon dont il faut combattre le fascisme. Le Parti communiste français fournit à toutes les sections de l’Internationale communiste un exemple de la façon dont il faut réaliser la tactique du front unique; les ouvriers socialistes, un exemple de ce que les ouvriers social-démocrates des autres pays capitalistes doivent faire aujourd’hui dans la lutte contre le fascisme.

La manifestation antifasciste, avec un demi-million de participants, qui s’est déroulée le 14 juillet de cette année à Paris et les nombreuses manifestations des autres villes de France, ont eu une portée énorme. Ce n’est plus seulement un mouvement de front unique ouvrier, c’est le début d’un vaste Front populaire contre le fascisme en France.

Ce mouvement de front unique augmente la foi de la classe ouvrière dans ses forces, affermit en elle la conscience de son rôle dirigeant à l’égard de la paysannerie, de la petite bourgeoisie des villes, des intellectuels: il élargit l’influence du Parti communiste dans les masses ouvrières et, partant, rend le prolétariat plus fort dans la lutte contre le fascisme. Il mobilise en temps opportun la vigilance des masses à l’égard du danger fasciste.

Et il servira d’exemple contagieux pour le déploiement de la lutte antifasciste dans les autres pays capitalistes; il exercera une action réconfortante sur les prolétaires d’Allemagne écrasés par la dictature fasciste.

La victoire est grande, en effet, mais elle ne décide pas encore de l’issue de la lutte antifasciste. La majorité écrasante du peuple français est incontestablement contre le fascisme. Mais la bourgeoisie sait, à l’aide de ses forces armées, violenter la volonté des peuples.

Le mouvement fasciste continue à se développer en toute liberté avec le soutien actif du capital monopoliste, de l’appareil d’État de la bourgeoisie, de l’état-major de l’armée française et des dirigeants réactionnaires de l’Église catholique, qui sont le rempart de toute réaction.

La plus forte organisation fasciste, les Croix de feu, dispose aujourd’hui de 300 000 hommes armés, dont le noyau est formé par 60 000 officiers de réserve.

Elle détient de solides positions dans la police, dans la gendarmerie, dans l’armée et l’aviation, dans tout l’appareil d’État. Les dernières élections municipales montrent qu’en France grandissent non seulement les forces révolutionnaires, mais aussi les forces du fascisme.

Si le fascisme réussit à pénétrer profondément dans la paysannerie et à s’assurer le soutien d’une partie de l’armée, l’autre restant neutre, les masses laborieuses de France ne pourront empêcher l’accession des fascistes au pouvoir.

N’oubliez pas que la faiblesse d’organisation du mouvement ouvrier français facilite le succès de l’offensive fasciste. Il n’y a aucune raison, ni pour la classe ouvrière, ni pour tous les antifascistes de France, de se rassurer à la vue des résultats obtenus.

Quelles tâches se posent devant la classe ouvrière de France?

Premièrement, obtenir la réalisation du front unique non seulement dans le domaine politique, mais aussi dans le domaine économique pour organiser la lutte contre l’offensive du Capital, briser par son élan la résistance opposée au front unique par les chefs de la Confédération du travail réformiste.

Deuxièmement, obtenir la réalisation de l’unité syndicale en France: syndicats uniques sur la base de la lutte de classe.

Troisièmement, entraîner dans le mouvement antifasciste les grandes masses paysannes, les masses de la petite bourgeoisie, en réservant à leurs revendications quotidiennes une place spéciale dans le programme du Front populaire antifasciste.

Quatrièmement, consolider au point de vue de l’organisation et élargir encore le mouvement antifasciste existant déjà par la création en masse d’organismes électifs sans-parti du Front populaire antifasciste, étendant leur influence à des masses plus considérables que les partis et que les organisations de travailleurs existant actuellement en France.

Cinquièmement, faire pression pour la dissolution et le désarmement des organisations fascistes, en tant qu’organisations d’individus qui conspirent contre la République et qui sont les agents de Hitler en France.

Sixièmement, faire en sorte que l’appareil d’Etat, l’armée, la police soient épurés des conspirateurs qui préparent un coup d’État fasciste.

Septièmement, développer la lutte contre les dirigeants des cliques réactionnaires de l’Église catholique, un des principaux remparts du fascisme français.

Huitièmement, lier l’armée au mouvement antifasciste en créant, dans son sein, des comités de défense de la République et de la Constitution contre ceux qui veulent se servir de l’armée pour un coup d’État anticonstitutionnel, ne pas permettre aux forces réactionnaires de France de faire échec à l’accord franco-soviétique qui défend la cause de la paix contre l’agression du fascisme allemand.

Et si, en France, le mouvement antifasciste aboutit à la création d’un gouvernement qui applique une lutte véritable, ‑ non pas en paroles, mais en fait, ‑ contre le fascisme français, qui fasse passer dans la réalité le programme de revendications du Front populaire antifasciste, les communistes, tout en restant les ennemis irréconciliables de tout gouvernement bourgeois et les partisans du pouvoir des Soviets, seront prêts, néanmoins, en face du danger fasciste grandissant, à soutenir un tel gouvernement.

Le front unique et les organisations fascistes de masse.

La lutte pour la réalisation du front unique dans les pays où les fascistes sont au pouvoir est, peut-être, le problème le plus important qui s’offre à nous. Là-bas, cette lutte, on le conçoit, se déroule dans des conditions beaucoup plus pénibles que dans les pays à mouvement ouvrier légal.

Et cependant, dans les pays fascistes, toutes les conditions sont réunies pour déployer un véritable Front populaire antifasciste dans la lutte contre la dictature fasciste étant donné que les ouvriers social-démocrates, catholiques et autres, en Allemagne par exemple, peuvent prendre plus directement conscience de la nécessité de mener la lutte en commun avec les communistes contre la dictature fasciste.

Les grandes masses de la petite bourgeoisie et de la paysannerie, qui ont déjà goûté aux fruits amers de la domination fasciste, éprouvent un mécontentement et une déception toujours plus grands, ce qui facilite leur adhésion au Front populaire antifasciste.

Ainsi, la tâche essentielle dans les pays fascistes, particulièrement en Allemagne et en Italie, où le fascisme a su s’assurer une base de masse et a embrigadé de force les ouvriers et les autres travailleurs dans ses organisations, consiste à combiner judicieusement la lutte contre la dictature fasciste de l’extérieur avec le travail de sape exécuté contre elle de l’intérieur, dans les organisations et organismes fascistes de masse.

Il est nécessaire d’étudier, de s’assimiler et d’appliquer, suivant les conditions concrètes de ces pays, les méthodes et moyens particuliers qui contribuent à la désagrégation la plus rapide de la base de masse du fascisme et préparent le renversement de la dictature fasciste. Voilà ce qu’il faut étudier, s’assimiler et appliquer, au lieu de crier simplement: « À bas Hitler! » et « À bas Mussolini! »

Oui, étudier, assimiler et appliquer! C’est là une tâche difficile et compliquée. D’autant plus difficile que notre expérience d’une lutte couronnée de succès contre la dictature fasciste est extrêmement limitée. Nos camarades italiens, par exemple, luttent depuis treize ans environ dans les conditions de la dictature fasciste.

Et, cependant, ils n’ont pas encore réussi à déployer une véritable lutte de masse contre le fascisme; c’est pourquoi, malheureusement, ils n’ont guère pu, sous ce rapport, aider, par une expérience positive, les autres Partis communistes des pays fascistes.

Les communistes allemands et italiens et les communistes des autres pays fascistes, de même que les Jeunesses communistes, ont accompli des prodiges d’héroïsme; ils ont consenti et consentent chaque jour des sacrifices énormes. Nous nous inclinons tous devant cet héroïsme et ces sacrifices.

Mais l’héroïsme seul ne suffit pas. Cet héroïsme, il est nécessaire de le coordonner avec un travail quotidien dans les masses, avec une lutte concrète contre le fascisme, telle qu’elle nous permette d’obtenir ici les résultats les plus tangibles. Dans notre lutte contre la dictature fasciste, il est particulièrement dangereux de prendre nos désirs pour des réalités, il faut partir des faits, de la situation concrète, réelle.

Or, quelle est aujourd’hui la réalité, par exemple, en Allemagne?

Dans les masses grandissent le mécontentement et la déception contre la politique de la dictature fasciste, revêtant même la forme de grèves partielles et d’autres manifestations. Malgré tous ses efforts, le fascisme n’a pas réussi à gagner politiquement la masse fondamentale des ouvriers; il perd et perdra de plus en plus jusqu’à ses anciens partisans.

Néanmoins, nous devons nous rendre compte du fait que les ouvriers, convaincus de la possibilité de renverser la dictature fasciste et prêts dès aujourd’hui à lutter activement pour atteindre ce but, sont encore pour le moment en minorité; c’est nous, les communistes, et la partie révolutionnaire des ouvriers social-démocrates.

Quant à la majorité des travailleurs, elle n’a pas encore pris conscience des possibilités réelles et concrètes, ni des voies qui conduisent au renversement de cette dictature; elle reste encore dans l’expectative. Il faut tenir compte de ce fait lorsque nous fixons nos tâches dans la lutte contre le fascisme en Allemagne et que nous nous disposons à chercher, à étudier et à appliquer les procédés spéciaux propres à ébranler et à renverser la dictature fasciste en Allemagne.

Pour porter un coup sensible à la dictature fasciste, nous devons connaître son point le plus vulnérable. Où se trouve le talon d’Achille de la dictature fasciste? Dans sa base sociale. Cette dernière est extrêmement hétérogène. Elle englobe diverses classes et diverses couches de la société. Le fascisme s’est proclamé l’unique représentant de toutes les classes et couches de la population: du fabricant et de l’ouvrier, du millionnaire et du chômeur, du junker et du petit paysan, du grand capitaliste et de l’artisan.

Il fait semblant de défendre les intérêts de toutes ces couches, les intérêts de la nation. Mais, étant la dictature de la grande bourgeoisie, le fascisme doit inévitablement entrer en conflit avec sa base sociale de masse, d’autant plus que c’est précisément sous la dictature fasciste qu’apparaissent avec le plus de relief les contradictions de classe entre le ramassis des magnats de la finance et la majorité écrasante du peuple.

Amener les masses à la lutte résolue pour le renversement de la dictature fasciste, nous ne le pouvons qu’en entraînant les ouvriers embrigadés de force ou entrés par inconscience dans les organisations fascistes, aux mouvements les plus élémentaires pour la défense de leurs intérêts économiques, politiques et culturels.

C’est précisément pour cette raison que les communistes doivent travailler dans ces organisations comme les meilleurs défenseurs des intérêts quotidiens de la masse des adhérents, en tenant compte du fait que, à mesure que les ouvriers adhérant à ces organisations se mettent de plus en plus souvent a revendiquer leurs droits et à défendre leurs intérêts, ils se heurtent inévitablement à la dictature fasciste.

Sur le terrain de la défense des intérêts quotidiens et, au début, des intérêts les plus élémentaires, des masses travailleuses de la ville et de la campagne, il est relativement plus facile de trouver un langage commun non seulement avec les antifascistes conscients, mais aussi avec ceux des travailleurs qui sont encore partisans du fascisme, et qui, pourtant, déçus et mécontents de sa politique, murmurent et cherchent une occasion d’exprimer leur mécontentement.

En général, nous devons nous rendre compte que toute notre tactique dans les pays de dictature fasciste doit revêtir un caractère tel qu’il n’écarte pas de nous les simples partisans du fascisme, qu’il ne les rejette pas dans ses bras, mais approfondisse l’abîme entre le sommet fasciste et la masse des simples partisans déçus du fascisme, qui sortent des couches travailleuses.

Il n’y a pas de quoi perdre contenance s’il arrive que les gens mobilisés autour de ces intérêts quotidiens se considèrent ou bien comme des indifférents en politique, ou bien même comme des partisans du fascisme.

Ce qui importe pour nous, c’est de les entraîner à un mouvement qui, tout en ne s’affirmant pas ouvertement au début sous des mots d’ordre de lutte contre le fascisme, n’en est pas moins déjà, objectivement, un mouvement antifasciste, puisqu’il oppose ces masses à la dictature fasciste.

L’expérience nous enseigne que c’est un point de vue nuisible et erroné que de croire que dans les pays de dictature fasciste, il est prétendument impossible en général d’agir légalement ou semi-légalement. Insister sur un point de vue de ce genre, c’est tomber dans la passivité, c’est renoncer en général à tout travail de masse réel.

Il est vrai que trouver dans les conditions de la dictature fasciste les formes et les méthodes d’une action légale ou semi-légale, est une tâche difficile, compliquée. Mais, comme dans beaucoup d’autres questions, la voie nous est indiquée par la vie elle-même et par l’initiative des masses elles-mêmes, qui ont déjà fourni une série d’exemples que nous devons généraliser, appliquer d’une façon organisée et judicieuse.

Il est nécessaire de mettre un terme de la façon la plus résolue à la sous-estimation du travail dans les organisations fascistes de masse. En Italie comme en Allemagne et dans plusieurs autres pays fascistes, les communistes ont couvert leur passivité et souvent même leur refus direct, dans la pratique, de travailler au sein des organisations fascistes de masse en opposant le travail dans les entreprises au travail dans les organisations fascistes de masse.

En réalité, cette opposition schématique a justement abouti à ceci que le travail était mené avec une mollesse extrême et parfois même n’était pas mené du tout, ni dans les organisations fascistes de masse ni dans les entreprises.

Or, dans les pays fascistes, il est particulièrement important pour les communistes d’être partout où sont les masses. Le fascisme a supprimé aux ouvriers leurs organisations légales propres. Il leur a imposé les organisations fascistes et c’est là que se trouvent les masses, de force ou, en partie, volontairement.

Ces organisations fascistes de masse peuvent et doivent être notre champ d’action légal ou semi-légal le champ où nous serons en rapport avec les masses. Elles peuvent et doivent devenir pour nous le point de départ légal ou semi-légal de la défense des intérêts quotidiens des masses.

En vue d’utiliser ces possibilités, les communistes doivent travailler à obtenir des postes électifs dans les organisations fascistes de masse dans le but d’assurer la liaison avec la masse, et s’affranchir une fois pour toutes du préjugé d’après lequel un tel genre d’activité ne sied pas à un ouvrier révolutionnaire, est indigne de lui.

En Allemagne, par exemple, il existe un système de « délégués d’usine ». Où donc est-il dit que nous devions laisser aux fascistes le monopole de ces organisations?

Est-ce que nous ne pouvons pas tenter d’unir dans l’entreprise les ouvriers communistes, social-démocrates, catholiques et autres ouvriers antifascistes pour que, au moment du vote sur la liste des « délégués d’usine », ils rayent les agents manifestes du patron et y portent d’autres candidats, jouissant de la confiance des ouvriers? La pratique a déjà prouvé que la chose est possible.

Est-ce que la pratique ne nous dit pas aussi qu’il est possible, en commun avec les ouvriers social-démocrates et les autres ouvriers mécontents, d’exiger des « délégués d’usine » qu’ils défendent réellement les intérêts des ouvriers?

Prenez le Front du travail en Allemagne ou les syndicats fascistes en Italie. N’est-il pas possible d’exiger l’élection, au lieu de la nomination, des fonctionnaires du Front du travail, d’insister pour que les organismes dirigeants des groupes locaux rendent compte de leur activité aux assemblées des membres des organisations, de présenter sur décision du groupe ces revendications au patron, à l' »inspecteur du travail », aux organismes supérieurs du Front du travail?

C’est possible, à condition que les ouvriers révolutionnaires travaillent réellement dans le Front du travail et cherchent à y obtenir des postes.

Des méthodes de travail analogues sont possibles et nécessaires aussi dans les autres organisations fascistes de masse, ‑ dans l’union hitlérienne des jeunesses, dans les organisations sportives, dans l’organisation Kraft durch Freude en Allemagne. Dopo lavoro en Italie, dans les coopératives, etc.

Vous vous souvenez de l’antique légende de la prise de Troie. Troie, pour se mettre à l’abri de l’armée qui l’attaquait, s’était entourée de murailles inabordables. Et l’armée attaquante, après avoir perdu nombre de victimes, ne put remporter la victoire tant qu’elle n’eut pas pénétré, à l’aide du fameux cheval de Troie, à l’intérieur, au coeur même de la place ennemie.

Il me semble que nous, ouvriers révolutionnaires, ne devons pas nous sentir gênés à l’idée d’appliquer la même tactique à l’égard de notre ennemi fasciste, qui recourt pour se défendre contre le peuple au mur vivant de ses égorgeurs.

Quiconque ne comprend pas la nécessité d’appliquer une telle tactique à l’égard du fascisme, quiconque tient cette façon d’agir pour “humiliante”, peut être un excellent camarade, mais permettez-moi de vous dire que c’est un bavard et non un révolutionnaire, et qu’il ne saura pas conduire les masses au renversement de la dictature fasciste.

Le mouvement de masse du front unique, qui prend naissance à l’extérieur et à l’intérieur des organisations fascistes d’Allemagne, d’Italie et des autres pays où le fascisme possède une base de masse ‑ en partant de la défense des besoins les plus élémentaires, en changeant ses formes et ses mots d’ordre de lutte au fur et à mesure de l’extension et de la montée de cette lutte, ‑ sera le bélier qui détruira la forteresse de la dictature fasciste tenue aujourd’hui par beaucoup de gens pour inexpugnable.

Le front unique dans les pays où les social-démocrates sont au gouvernement.

La lutte pour l’établissement du front unique soulève encore un autre problème très important, celui du front unique dans les pays où il y a au pouvoir des gouvernements social-démocrates ou des gouvernements de coalition avec participation socialiste, comme, par exemple, au Danemark, en Norvège, en Suède, en Tchécoslovaquie et en Belgique.

On connaît notre attitude absolument négative à l’égard des gouvernements social-démocrates qui sont des gouvernements de conciliation avec la bourgeoisie.

Néanmoins, nous ne considérons pas la présence d’un gouvernement social-démocrate ou d’une coalition gouvernementale du Parti social-démocrate avec les partis bourgeois comme un obstacle insurmontable à l’établissement du front unique avec les social-démocrates sur des questions déterminées.

Nous estimons que, dans ce cas également, le front unique est parfaitement possible et indispensable pour la défense des intérêts quotidiens du peuple travailleur et dans la lutte contre le fascisme. Il va de soi que dans les pays où les représentants des partis social-démocrates participent au gouvernement, la direction social-démocrate oppose la plus forte résistance au front unique prolétarien.

Cela est tout à fait compréhensible; ne veulent-ils pas montrer à la bourgeoisie que ce sont eux qui, précisément, savent mieux et plus habilement que tous les autres tenir en bride les masses ouvrières mécontentes et les protéger de l’influence du communisme? Cependant, le fait que les ministres social-démocrates ont une attitude négative à l’égard du front unique prolétarien, ne saurait justifier le moins du monde l’état de choses où les communistes ne font rien pour créer le front unique du prolétariat.

Nos camarades des pays Scandinaves suivent souvent la voie du moindre effort, en se bornant à dénoncer dans leur propagande le gouvernement social-démocrate. C’est une faute.

Au Danemark, par exemple, voilà dix ans déjà que les chefs social-démocrates sont installés au gouvernement, et voilà dix ans que, de jour en jour, les communistes répètent que c’est un gouvernement bourgeois, capitaliste. Il faut supposer que cette propagande est connue des ouvriers danois.

Le fait qu’une majorité considérable donne quand même ses suffrages au Parti social-démocrate gouvernemental, ne montre qu’une chose: c’est qu’il ne suffit pas pour les communistes de dénoncer le gouvernement dans leur propagande; cependant, cela ne montre pas que ces centaines de milliers d’ouvriers soient contents de toutes les mesures gouvernementales des ministres social-démocrates.

Non, ils sont mécontents du fait que le gouvernement social-démocrate, par son “accord de crise”, vient en aide aux grands capitalistes et aux propriétaires fonciers, et non pas aux ouvriers et à la paysannerie pauvre; que par son décret de janvier 1933, il ait retiré aux ouvriers le droit de grève; que la direction social-démocrate projette une dangereuse réforme électorale antidémocratique (avec une réduction considérable du nombre des députés).

Je ne me tromperai guère en affirmant que 99 % des ouvriers du Danemark n’approuvent pas de telles démarches politiques de la part des chefs et des ministres social-démocrates.

Les communistes ne peuvent-ils pas appeler les syndicats et les organisations social-démocrates du Danemark à étudier telle ou telle question d’actualité, à formuler leur opinion et à intervenir en commun pour le front unique prolétarien dans le but de faire aboutir les revendications ouvrières?

Au mois d’octobre de l’an dernier, lorsque nos camarades danois firent appel aux syndicats pour engager l’action contre la réduction des secours de chômage et pour les droits démocratiques des syndicats, près de cent organisations syndicales locales ont adhéré au front unique.

En Suède, c’est la troisième fois que le gouvernement social-démocrate se trouve au pouvoir; mais les communistes suédois se sont longtemps refusés, dans la pratique, à appliquer la tactique du front unique. Pourquoi? Étaient-ils donc contre le front unique? Non, évidemment, ils étaient en principe pour le front unique, pour le front unique en général, mais ils n’avaient pas compris à quel propos, dans quelles questions, pour la défense de quelles revendications il serait possible de mettre sur pied avec succès le front unique prolétarien, à quoi et comment s’accrocher.

Quelques mois avant la constitution du gouvernement social-démocrate, le Parti social-démocrate avait formulé, pendant la lutte électorale, une plate-forme renfermant une série de revendications qui auraient justement pu être comprises dans la plate-forme du front unique prolétarien. Par exemple, les mots d’ordre: Contre les droits de douane. Contre la militarisation. 

« En finir avec les atermoiements dans la question des assurances contre le chômage. » « Assurer aux vieillards une pension suffisante pour vivre. » « Ne pas tolérer l’existence d’organisations telles que Munch-Korps » (organisation fasciste). « À bas la législation antisyndicale de classe réclamée par les partis bourgeois. »

Plus d’un million de travailleurs de Suède ont voté en 1932 pour ces revendications formulées par la social-démocratie, et ont salué en 1933 la formation du gouvernement social-démocrate, dans l’espoir que, maintenant, ces revendications allaient être réalisées.

Quoi de plus naturel dans cette situation et quel moyen de répondre à un plus haut degré aux désirs des masses ouvrières, qu’un message du Parti communiste à toutes les organisations social-démocrates et syndicales, avec la proposition d’entreprendre des actions communes en vue de réaliser ces revendications formulées par le parti social-démocrate?

Si, aux fins de réalisation des revendications formulées par les social-démocrates eux-mêmes, on avait réussi à mobiliser réellement les grandes masses, à souder les organisations ouvrières social-démocrates et communistes dans un front unique, il n’est pas douteux que la classe ouvrière de Suède y aurait gagné.

Les ministres social-démocrates de Suède, évidemment, ne s’en seraient pas trop réjouis. Car, dans ce cas, le gouvernement aurait été contraint de satisfaire ne fût-ce que quelques revendications.

En tout cas, il ne se serait pas produit ce qui est arrivé maintenant, à savoir que le gouvernement, au lieu de supprimer les droits de douane, a majoré certaines taxes; au lieu de limiter le militarisme, a augmenté le budget de la Guerre et, au lieu de repousser toute législation dirigée contre les syndicats, a lui-même présenté au Parlement un projet de loi de ce genre.

Il est vrai qu’en rapport avec cette dernière question, le Parti communiste suédois a réalisé une bonne campagne de masse dans le sens du front unique prolétarien, et a obtenu, en fin de compte, que même la fraction social-démocrate du Parlement se sente obligée de voter contre le projet de loi gouvernemental, si bien que celui-ci, pour l’instant, a avorté.

Les communistes norvégiens ont agi de façon juste en appelant lors du Premier Mai les organisations du Parti ouvrier à manifester en commun, et en formulant une série de revendications qui, dans le fond, coïncidaient avec les revendications de la plate-forme électorale du Parti ouvrier norvégien.

Bien que cette démarche en faveur du front unique ait été faiblement préparée et que la direction du Parti ouvrier norvégien y ait été opposée, des manifestations de front unique ont eu lieu dans trente localités.

Les communistes étaient nombreux autrefois à craindre que ce fût une manifestation d’opportunisme de leur part que de s’abstenir d’opposer à n’importe quelle revendication partielle des social-démocrates des revendications à eux, deux fois plus radicales.

C’était là une faute naïve. Si les social-démocrates revendiquent, par exemple, la dissolution des organisations fascistes, point n’est besoin pour nous d’ajouter « et la dissolution de la police d’État » (pour la raison qu’il serait opportun de formuler cette revendication dans une autre situation), mais nous devons dire aux ouvriers social-démocrates: nous sommes prêts à accepter ces revendications de votre Parti comme revendications du front unique prolétarien et à lutter jusqu’au bout pour la réalisation de ce dernier. Engageons la lutte en commun.

En Tchécoslovaquie également, on peut et on doit utiliser, pour établir le front unique de la classe ouvrière, des revendications déterminées, formulées par la social-démocratie tchèque et allemande et les syndicats réformistes.

Lorsque la social-démocratie revendique, par exemple, du travail pour les chômeurs ou l’abolition, ‑ comme elle le demande depuis 1927, ‑ des lois limitant l’autonomie des municipalités, il faut, à la base et dans chaque arrondissement, concrétiser ces revendications et, d’un commun accord avec les organisations social-démocrates, lutter pour obtenir réellement satisfaction.

Ou bien, lorsque les Partis social-démocrates fulminent “en général” contre les agents du fascisme dans l’appareil d’Etat, il convient dans chaque arrondissement de tirer au grand jour les porte-parole du fascisme en chair et en os et d’exiger en commun avec les ouvriers social-démocrates leur renvoi des institutions d’Etat.

En Belgique, les chefs du parti socialiste avec Emile Vandervelde en tête, sont entrés dans le gouvernement de coalition. Ils ont remporté ce “succès” grâce à leur longue et vaste campagne pour deux revendications essentielles: 1. annulation des décrets-lois et 2. réalisation du plan De Man. La première question est très importante. L’ancien gouvernement avait pris, au total, 150 décrets-lois réactionnaires, qui font peser un fardeau extrêmement lourd sur le peuple travailleur. On se proposait de les annuler aussitôt.

Le parti socialiste l’exigeait. Eh bien! Y a-t-il beaucoup de décrets-lois annulés par le nouveau gouvernement? Celui-ci n’en a aboli aucun; il a simplement atténué un peu quelques lois d’exception, afin de payer une sorte de rançon “symbolique” pour les nombreuses promesses faites par les chefs socialistes de Belgique (à l’instar du “dollar symbolique” que certaines puissances européennes proposaient à l’Amérique en paiement des dettes de guerre qu’elles avaient contractées par millions).

En ce qui concerne la réalisation du plan prometteur De Man, les choses ont pris un tour tout à fait inattendu pour les masses social-démocrates: les ministres socialistes ont déclaré qu’il fallait d’abord surmonter la crise économique et n’appliquer que celles des parties du plan De Man qui améliorent la situation des capitalistes industriels et des banques, — et ce n’est qu’après qu’il sera possible d’appliquer les mesures visant à alléger la situation des ouvriers.

Mais combien de temps les ouvriers devront-ils attendre leur part de “prospérité”, que leur promet le plan De Man? Une véritable pluie d’or s’est déjà répandue sur les banquiers belges. 

On a déjà réalisé la dévaluation du franc belge à 28 %; grâce à cette manipulation, les banquiers ont pu s’approprier en guise de trophée quatre milliards et demi de francs, aux frais des salariés et des petits épargnants. Comment donc cela s’accorde-t-il avec le contenu du plan De Man? Car, à en croire le plan à la lettre, il promet de « poursuivre les excès monopolistes et les manoeuvres spéculatrices ».

En vertu du plan De Man, le gouvernement a nommé une commission chargée de contrôler les banques, mais elle est composée de banquiers qui aujourd’hui, joyeux et insouciants, se contrôlent eux-mêmes!

Le plan De Man promet encore d’autres bonnes choses: « réduction du temps de travail« , « normalisation du salaire« , « minimum de salaire« ,  » organisation d’un système universel d’assurances sociales « , « extension des commodités de la vie grâce à de nouvelles constructions d’habitations« , etc. Autant de revendications que nous, communistes, pouvons soutenir.

Nous devons nous adresser aux organisations ouvrières de Belgique et leur dire: les capitalistes ont déjà suffisamment touché, et même beaucoup trop. Exigeons des ministres social-démocrates qu’ils tiennent les promesses qu’ils ont faites aux ouvriers.

Groupons-nous en un front unique pour le succès de la défense de nos intérêts. Ministre Vandervelde, nous soutenons les revendications pour les ouvriers contenues dans votre plate-forme, mais nous le déclarons ouvertement: ces revendications, nous les prenons au sérieux, nous voulons des actes et non des paroles vaines, et c’est pourquoi nous groupons des centaines de milliers d’ouvriers dans la lutte pour qu’elles soient satisfaites!

Ainsi, dans les pays à gouvernement social-démocrate, les communistes, utilisant telles revendications correspondantes qui sont contenues dans les plates-formes des partis social-démocrates eux-mêmes, et les promesses faites lors des élections par les ministres social-démocrates, comme point de départ pour réaliser l’action commune avec les partis et organisations social-démocrates, pourront ensuite plus aisément déployer la campagne pour l’établissement du front unique, cette fois sur la base d’une série d’autres revendications des masses en lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la menace de guerre.

En outre, il ne faut pas perdre de vue que si, d’une façon générale, l’action commune avec les partis et les organisations social-démocrates, exige des communistes qu’ils fassent une critique sérieuse et fondée de la social-démocratie en tant qu’idéologie et pratique de la collaboration de classe avec la bourgeoisie, et qu’ils éclairent fraternellement, inlassablement les ouvriers social-démocrates sur le programme et les mots d’ordre du communisme, cette tâche est particulièrement importante dans la lutte pour le front unique dans les pays où existent justement des gouvernements social-démocrates.

La lutte pour l’unité syndicale.

La réalisation de l’unité syndicale à l’échelle nationale et internationale doit devenir l’étape essentielle dans l’affermissement du front unique.

Comme on le sait, c’est dans les syndicats que la tactique scissionniste des chefs réformistes a été appliquée avec le plus d’acuité. Et cela se conçoit: c’est là que leur politique de collaboration de classe avec la bourgeoisie trouvait son couronnement pratique, directement à l’entreprise, aux dépens des intérêts vitaux des masses ouvrières.

Cela a provoqué, bien entendu, une critique violente et une riposte à cette pratique de la part des ouvriers révolutionnaires guidés par les communistes. Voilà pourquoi c’est dans le domaine syndical que la lutte la plus vigoureuse s’est engagée entre le communisme et le réformisme.

Plus la situation du capitalisme devenait pénible et compliquée, et plus la politique des chefs des syndicats d’Amsterdam devenait réactionnaire, plus agressives leurs mesures à l’égard de tous les éléments d’opposition à l’intérieur des syndicats!

Même l’instauration de la dictature fasciste en Allemagne et l’offensive renforcée du Capital dans tous les pays capitalistes n’ont pas diminué cette agressivité. N’est-ce pas un fait caractéristique que, dans la seule année 1933, en Angleterre, en Hollande, en Belgique, en Suède, des circulaires infâmes aient été lancées avec le but d’exclure des syndicats les communistes et les ouvriers révolutionnaires?

En Angleterre, en 1933, paraît une circulaire interdisant aux sections syndicales locales d’adhérer aux organisations anti-guerrières et autres organisations révolutionnaires. C’était le prélude de la fameuse “circulaire noire” du Conseil général des syndicats qui proclamait hors la loi tout conseil syndical qui admettrait dans son sein des délégués « liés d’une façon ou d’une autre aux organisations communistes ».

Que dire encore de la direction des syndicats allemands usant de moyens de répression inouïs contre les éléments révolutionnaires des syndicats!

Mais notre tactique doit se fonder non pas sur la conduite des différents chefs des syndicats d’Amsterdam, quelques difficultés que cette conduite crée à la lutte de classe, mais, avant tout, sur la question de savoir où se trouvent les masses ouvrières. Et, ici, nous devons le déclarer ouvertement: le travail dans les syndicats est la question la plus brûlante pour tous les Partis communistes. Nous devons obtenir un tournant réel dans le travail syndical, en plaçant au centre le problème de la lutte pour l’unité syndicale.

Il y a déjà dix ans que Staline nous a dit[16]:

En quoi consiste la force de la social-démocratie en Occident?

En ce qu’elle s’appuie sur les syndicats.

En quoi consiste la faiblesse de nos Partis communistes en Occident?

En ce qu’ils ne se sont pas encore soudés, et que certains éléments de ces Partis communistes ne veulent pas se souder aux syndicats.

C’est pourquoi la tâche fondamentale des Partis communistes d’Occident, au moment actuel, consiste à déployer et à mener jusqu’au bout la campagne pour l’unité du mouvement syndical; tous les communistes sans exception doivent adhérer aux syndicats, y engager un travail patient, méthodique, en vue de rassembler la classe ouvrière contre le Capital et de faire en sorte que les Partis communistes puissent s’appuyer sur les syndicats.

Cette directive de Staline a-t-elle été appliquée? Non, elle n’a pas été appliquée.

Méconnaissant l’attraction que les syndicats exercent sur les ouvriers et placés devant les difficultés du travail à mener à l’intérieur des syndicats d’Amsterdam, beaucoup de nos camarades ont décidé de passer outre à cette tâche compliquée.

Ils parlaient invariablement de la crise d’organisation des syndicats d’Amsterdam, de l’abandon précipité des syndicats par les ouvriers, et ils ont perdu de vue qu’après une certaine chute des syndicats au début de la crise économique mondiale, ceux-ci ont ensuite recommencé à grandir.

La particularité du mouvement syndical consistait précisément en ce que l’offensive de la bourgeoisie contre les droits syndicaux, la tentative faite dans plusieurs pays pour unifier les syndicats (Pologne, Hongrie, etc.), la compression des assurances sociales, le vol des salaires, malgré l’absence de résistance de la part des chefs syndicaux réformistes, obligeaient les ouvriers à se grouper encore plus étroitement autour des syndicats, car les ouvriers voulaient et veulent voir dans le syndicat le défenseur combatif de leurs intérêts de classe les plus urgents.

Voilà ce qui explique que la plupart des syndicats d’Amsterdam, ‑ en France, en Tchécoslovaquie, en Belgique, en Suède, en Hollande, en Suisse, etc., ‑ se soient développés numériquement dans ces dernières années. La Fédération américaine du travail a aussi considérablement augmenté le nombre de ses adhérents depuis deux ans.

Si les camarades allemands avaient mieux compris leur tâche syndicale, dont le camarade Thaelmann leur a parlé maintes fois, nous aurions certainement eu dans les syndicats une situation meilleure que celle qui existait en fait au moment de l’avènement de la dictature fasciste.

Vers la fin de 1932, environ dix pour cent seulement des membres du Parti adhéraient aux syndicats libres. Et cela, bien que les communistes, après le VIe congrès de l’Internationale communiste, se fussent placés à la tête de toute une série de grèves.

Dans la presse, nos camarades parlaient de la nécessité de réserver 90 % de nos forces au travail dans les syndicats; mais, en pratique, tout se concentrait autour de l’opposition syndicale révolutionnaire qui visait en fait à remplacer les syndicats. Et après la prise du pouvoir par Hitler? Depuis deux ans, beaucoup de nos camarades ont résisté, avec ténacité et d’une façon systématique au mot d’ordre juste de lutte pour le rétablissement des syndicats libres.

Je pourrais citer des exemples analogues pour presque tous les autres pays capitalistes.

Mais déjà nous avons aussi le premier acquit sérieux dans la lutte pour l’unité du mouvement syndical dans les pays européens. J’ai en vue la petite Autriche, où, sur l’initiative du Parti communiste, une base a été créée pour le mouvement syndical illégal.

Après les batailles de Février, les social-démocrates, avec Otto Bauer en tète, ont lancé le mot d’ordre: « Les syndicats libres ne peuvent être rétablis qu’après la chute du fascisme. » Les communistes se sont mis à travailler au rétablissement des syndicats. 

Chaque phase de ce travail a été un fragment du front unique vivant du prolétariat autrichien. Le succès du rétablissement des syndicats libres illégaux fut une défaite sérieuse du fascisme. Les social-démocrates hésitaient sur le chemin à prendre.

Une partie d’entre eux tentèrent d’engager des pourparlers avec le gouvernement. L’autre partie, voyant nos succès, créa parallèlement ses propres syndicats illégaux. Mais il ne pouvait y avoir qu’un seul chemin: ou bien capituler devant le fascisme ou bien lutter en commun contre le fascisme, dans le sens de l’unité syndicale. Sous la pression des masses, la direction hésitante des syndicats parallèles qui avaient été créés par les anciens chefs syndicaux, a résolu d’accepter l’union.

La base de cette union est la lutte irréconciliable contre l’offensive du Capital et du fascisme et la garantie de la démocratie syndicale. Nous saluons ce fait d’unification syndicale qui est le premier depuis la scission formelle du mouvement syndical après la guerre et qui, pour cette raison, a une importance internationale.

Le front unique en France a donné sans aucun doute une impulsion gigantesque à la réalisation de l’unité syndicale: les dirigeants de la Confédération générale du Travail ont freiné et freinent par tous les moyens la réalisation de l’unité, en opposant à la question fondamentale relative à la politique de classe des syndicats des questions ayant une importance subordonnée et secondaire ou formelle.

Ça a été un succès indubitable de la lutte pour l’unité syndicale que la création de syndicats uniques à l’échelle locale, qui englobent, par exemple, chez les cheminots, près des trois quarts des effectifs des deux syndicats.

Nous nous affirmons résolument pour le rétablissement de l’unité syndicale dans chaque pays et à l’échelle internationale.

Nous sommes pour le syndicat unique dans chaque industrie.

Nous sommes pour l’unification syndicale dans chaque pays.

Nous sommes pour l’unification syndicale internationale par industrie.

Nous sommes pour une Internationale syndicale unique sur la base de la lutte de classe.

Nous sommes pour les syndicats de classe uniques, comme étant l’un des principaux remparts de la classe ouvrière contre l’offensive du Capital et du fascisme. Ceci posé, nous ne mettons qu’une condition à l’unification des organisations syndicales: la lutte contre le Capital; la lutte contre le fascisme et la démocratie à l’intérieur des syndicats.

Le temps presse. Pour nous, le problème de l’unité du mouvement syndical, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale, est un problème de la grande oeuvre d’unification de notre classe dans de puissantes organisations syndicales uniques contre l’ennemi de classe.

Nous saluons le message adressé par l’Internationale syndicale rouge à l’Internationale d’Amsterdam, ‑ à la veille du Premier Mai de cette année, ‑ pour lui proposer d’étudier en commun les conditions, les méthodes et les formes d’unification du mouvement syndical mondial.

Les chefs de l’Internationale d’Amsterdam ont repoussé cette proposition, en prenant pour prétexte cet argument rebattu que l’unité du mouvement syndical n’est possible que dans les rangs de l’Internationale d’Amsterdam, laquelle, soit dit en passant, ne groupe guère que les organisations syndicales d’une partie des pays européens.

Les communistes qui travaillent dans les syndicats, doivent poursuivre sans se lasser la lutte pour l’unité du mouvement syndical.

La tâche des syndicats rouges et de l’Internationale syndicale rouge est de faire tout ce qui dépend d’eux pour que vienne au plus vite l’heure de la réalisation de la lutte commune de tous les syndicats contre l’offensive du Capital et du fascisme, pour réaliser l’unité du mouvement syndical en dépit de l’opposition obstinée des chefs réactionnaires de l’Internationale d’Amsterdam. Les syndicats rouges et l’ISR doivent recevoir en ce sens notre aide pleine et entière.

Nous recommandons, dans les pays où existent de petits syndicats rouges, de travailler à leur affiliation aux grands syndicats réformistes, en revendiquant la liberté de défendre leurs opinions et la réintégration des exclus, et dans les pays où existent parallèlement de grands syndicats rouges et réformistes, de convoquer un congrès d’unification sur la base d’une plate-forme de lutte contre l’offensive du Capital et de la garantie de la démocratie syndicale.

Nous devons déclarer de la façon la plus catégorique que l’ouvrier communiste, l’ouvrier révolutionnaire qui n’adhère pas au syndicat de masse de sa profession, qui ne lutte pas pour transformer le syndicat réformiste en une véritable organisation syndicale de classe, qui ne lutte pas pour l’unité du mouvement syndical sur la base de la lutte de classe, cet ouvrier communiste, cet ouvrier révolutionnaire ne s’acquitte pas de son premier devoir prolétarien.

Le front unique et les jeunes.

J’ai déjà indiqué le rôle qu’a joué pour la victoire du fascisme l’intégration des jeunes aux organisations fascistes. Parlant des jeunes, nous devons le déclarer ouvertement: nous avons dédaigné la tâche qui nous incombait d’entraîner les masses de la jeunesse travailleuse dans la lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la menace de guerre; nous avons dédaigné ces tâches dans plusieurs pays.

Nous avons sous-estimé l’importance énorme de la jeunesse dans la lutte contre le fascisme. Nous n’avons pas toujours tenu compte des intérêts particuliers, économiques, politiques et culturels de la jeunesse. Nous n’avons pas, non plus, prêté l’attention voulue à l’éducation révolutionnaire des jeunes.

Tout cela, le fascisme l’a utilisé fort habilement, en attirant dans certains pays, notamment en Allemagne, d’importants contingents de jeunes sur une voie opposée à celle du prolétariat.

Il faut tenir compte du fait que le fascisme n’attire pas seulement la jeunesse par le romantisme militaire. De-ci delà il donne à manger, il distribue des effets aux membres de ses formations, il donne du travail à tel ou tel, il fonde même des institutions dites culturelles à l’usage de la jeunesse, pour lui faire croire qu’il veut et peut réellement nourrir, habiller, instruire et faire travailler la masse de la jeunesse laborieuse.

Nos Fédérations communistes de jeunes, dans une série de pays capitalistes, sont encore maintenant des organisations éminemment sectaires, détachées des masses. Leur faiblesse fondamentale consiste en ce qu’elles s’efforcent encore de copier les Partis communistes, leurs formes et leurs méthodes de travail, oubliant que la Jeunesse communiste n’est pas le Parti communiste de la jeunesse. 

Elles ne tiennent pas suffisamment compte du fait qu’il s’agit d’une organisation avec ses tâches particulières bien à elle. Ses méthodes et ses formes de travail, d’éducation et de lutte doivent être adaptées au niveau concret et aux aspirations de la jeunesse.

Nos jeunes communistes ont donné des exemples inoubliables d’héroïsme dans la lutte contre les violences fascistes et la réaction bourgeoise. Mais ce qui leur manque encore, c’est la capacité d’arracher concrètement et obstinément les masses de jeunes à l’influence ennemie.

On le voit à la résistance, insurmontée jusqu’à présent, que rencontre le travail à faire dans les organisations fascistes de masse, à la façon pas toujours juste d’aborder la jeunesse socialiste ou les autres jeunes non communistes.

En tout cela, une grande responsabilité incombe aussi, bien entendu, aux Partis communistes, qui doivent guider et soutenir les Jeunesses communistes dans leur travail. Car le problème de la jeunesse n’est pas seulement le problème des Jeunesses communistes. C’est le problème du mouvement communiste tout entier. 

Dans le domaine de la lutte pour la jeunesse, il est nécessaire que les Partis communistes et les organisations de Jeunesses communistes opèrent effectivement un tournant décisif. La tâche principale du mouvement communiste de la jeunesse dans les pays capitalistes est de marcher hardiment à la réalisation du front unique, à l’organisation et l’union de la jeune génération travailleuse.

Les exemples de la France et des Etats-Unis dans ces derniers temps montrent l’influence énorme qu’exercent sur le mouvement révolutionnaire de la jeunesse même les premiers pas qu’on fait dans cette voie. Dans ces pays, il a suffi de procéder à la réalisation du front unique pour enregistrer aussitôt des succès considérables.

Sous ce rapport, notre attention est légitimement retenue dans le domaine du front unique international par l’initiative couronnée de succès du comité parisien de lutte contre la guerre et le fascisme en vue de réaliser la collaboration internationale de toutes les organisations non fascistes de la jeunesse.

Ces démarches heureuses faites depuis quelque temps dans le mouvement du front unique des jeunes montrent aussi que les formes du front unique des jeunes ne doivent pas suivre un modèle stéréotypé; elles ne doivent pas être nécessairement les mêmes que celles qui sont pratiquées par les Partis communistes.

Les Fédérations de Jeunesses communistes doivent tendre par tous les moyens à l’union des forces de toutes les organisations de masse non fascistes de la jeunesse, en allant jusqu’à créer des organisations communes de toute sorte pour la lutte contre le fascisme, contre la privation inouïe de droits dont souffre la jeunesse et contre sa militarisation, pour les droits économiques et culturels de la jeune génération, pour le ralliement au front anti-fasciste de cette jeunesse où qu’elle soit: dans les entreprises, dans les camps de travail forcé, dans les Bourses du travail, dans les casernes et la flotte, dans les écoles ou les diverses organisations sportives, culturelles et autres.

En développant et en renforçant les Jeunesses communistes, nos jeunes communistes doivent travailler à la création d’associations antifascistes entre les Fédérations communistes et socialistes de jeunes sur la plate-forme de la lutte de classe.

Le front unique et les femmes.

Tout autant que dans le cas des jeunes, on a sous-estimé le travail parmi les femmes laborieuses, parmi les ouvrières, les chômeuses, les paysannes et les ménagères.

Et cependant, si le fascisme frustre les jeunes plus que tous les autres, il asservit la femme d’une façon particulièrement impitoyable et cynique, en se jouant des sentiments les plus douloureux de la mère, de la ménagère, de l’ouvrière seule dans la vie, qui vivent dans l’incertitude du lendemain. Le fascisme, jouant le rôle de bienfaiteur, jette de misérables aumônes à la famille affamée, pour chercher à étouffer ainsi l’amertume que provoque, surtout chez les femmes laborieuses, l’esclavage inouï que leur apporte le fascisme.

Il chasse les ouvrières de la production. Il expédie de force les jeunes filles nécessiteuses à la campagne, en les condamnant à devenir des domestiques sans salaire chez les koulaks et les propriétaires fonciers. Tout en promettant à la femme un foyer familial heureux, il la pousse, plus qu’aucun autre régime capitaliste, sur la voie de la prostitution.

Les communistes et, avant tout, nos femmes communistes, ne doivent pas oublier qu’il ne peut y avoir de lutte victorieuse contre le fascisme et contre la guerre sans l’intégration dans cette lutte des grandes masses féminines.

Or, pour arriver à cela, l’agitation seule ne suffit pas. En tenant compte de toute situation concrète, nous devons trouver la possibilité de mobiliser la masse des femmes travailleuses autour de leurs intérêts quotidiens et de leurs revendications, dans la lutte pour les revendications contre la vie chère, pour le relèvement des salaires sur la base du principe « à travail égal salaire égal », contre les licenciements en masse, contre toute manifestation de l’inégalité des femmes et de leur asservissement au fascisme.

Tout en visant à entraîner les femmes travailleuses dans le mouvement révolutionnaire, nous ne devons pas craindre dans ce but, là où il sera nécessaire, de créer aussi des organisations féminines distinctes.

Le préjugé d’après lequel il est nécessaire de liquider dans les pays capitalistes lés organisations féminines placées sous la direction des Partis communistes au nom de la lutte contre le “séparatisme féminin” dans le mouvement ouvrier, ce préjugé a bien souvent causé un grand préjudice.

Il importe de trouver les formes les plus simples, les plus souples, qui permettent d’établir le contact et la lutte commune des organisations féminines anti-guerrières et antifascistes révolutionnaires, social-démocrates et progressistes.

Nous devons coûte que coûte faire en sorte que les ouvrières et les femmes travailleuses luttent coude à coude avec leurs frères de classe dans les rangs du front unique de la classe ouvrière et du Front populaire antifasciste.

Le front unique anti-impérialiste.

Du fait de la situation internationale et intérieure modifiée, le problème du front unique antiimpérialiste acquiert une importance exceptionnelle dans tous les pays coloniaux et semi-coloniaux.

En formant un vaste front unique anti-impérialiste de lutte dans les colonies et les semi-colonies, il est avant tout nécessaire de tenir compte de la variété des conditions où se déroule la lutte antiimpérialiste des masses, du degré variable de maturité du mouvement de libération nationale, du rôle qu’y joue le prolétariat et de l’influence du Parti communiste sur les grandes masses.

La question se pose au Brésil d’une autre façon qu’aux Indes et en Chine, etc.

Au Brésil, le Parti communiste, qui a débuté justement dans le développement du front unique antiimpérialiste en créant l’Alliance de l’émancipation nationale doit consacrer tous ses efforts à élargir encore ce front, en y attirant, en premier lieu, les millions de paysans, en orientant les choses vers la création d’unités de l’armée révolutionnaire populaire dévouées jusqu’au bout à la révolution, et vers l’établissement du pouvoir de l’Alliance de l’émancipation nationale.

Aux Indes, les communistes doivent participer à toutes les actions anti-impérialistes de masse sans en excepter celles qui sont guidées par les nationaux-réformistes, les soutenir et les amplifier.

Tout en gardant leur indépendance en matière politique et d’organisations, ils doivent faire un travail actif à l’intérieur des organisations qui prennent part au congrès national de l’Inde, en contribuant à la cristallisation dans leur sein de l’aile nationale révolutionnaire, en vue de déployer dans la suite le mouvement de libération nationale des peuples de l’Inde contre l’impérialisme britannique.

En Chine, où le mouvement populaire a déjà abouti à la création de régions soviétiques sur une vaste étendue du pays et à l’organisation d’une puissante Armée rouge, l’attaque de brigandage lancée par l’impérialisme japonais et la trahison du gouvernement de Nankin ont mis en péril l’existence nationale du grand peuple chinois.

Seuls les Soviets chinois peuvent intervenir comme centre unificateur dans la lutte contre l’asservissement et le partage de la Chine par les impérialistes, comme centre unificateur destiné à rassembler toutes les forces anti-impérialistes pour la lutte nationale du peuple chinois.

C’est pourquoi nous approuvons l’initiative de notre courageux Parti communiste frère de Chine dans son travail pour réaliser le plus vaste front unique anti-impérialiste contre l’impérialisme japonais et ses agents chinois avec toutes les forces organisées qui existent sur le territoire de la Chine et qui sont prêtes à mener réellement la lutte pour le salut de leur pays et de leur peuple.

Je suis certain d’exprimer le sentiment et la pensée de tout notre congrès en déclarant: nous adressons un salut fraternel ardent, au nom du prolétariat révolutionnaire du monde entier, à tous les Soviets de Chine, au peuple révolutionnaire chinois.

Nous adressons un salut fraternel ardent à l’héroïque Armée rouge de Chine, éprouvée dans des milliers de batailles. Et nous assurons le peuple chinois de notre ferme résolution de soutenir sa lutte pour son affranchissement total de tous les rapaces impérialistes et de leurs agents chinois.

Le gouvernement de front unique.

Nous nous orientons résolument, hardiment vers le front unique de la classe ouvrière, et nous sommes prêts à le mettre en pratique avec tout l’esprit de suite nécessaire.

À la question de savoir si, sur le terrain du front unique, nous, communistes, pour préconisons seulement la lutte pour les revendications partielles, ou si nous sommes prêts à partager les responsabilités même au moment où il s’agira de former un gouvernement sur la base du front unique, nous répondrons, pleinement conscients de nos responsabilités: oui, nous envisageons l’éventualité d’une situation telle que la formation d’un gouvernement de front unique prolétarien ou de Front populaire antifasciste devienne non seulement possible, mais indispensable dans l’intérêt du prolétariat.

Et, dans ce cas, nous interviendrons sans aucune hésitation pour la formation d’un tel gouvernement.

Je ne parle pas ici du gouvernement qui peut être formé après la victoire de la révolution prolétarienne. Evidemment, la possibilité n’est pas exclue que, dans un pays quelconque, aussitôt après le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie, un gouvernement soviétique puisse être formé sur la base d’un bloc gouvernemental du Parti communiste avec tel autre parti (ou son aile gauche) qui participe à la révolution.

On sait qu’après la Révolution d’Octobre, le Parti des bolchéviks russes vainqueur a fait aussi entrer dans la composition du gouvernement soviétique les représentants des socialistes révolutionnaires de gauche. Telle fut la partie du premier gouvernement soviétique constitué après la victoire de la Révolution d’Octobre.

Il ne s’agit pas d’un cas de ce genre, mais de la formation possible d’un gouvernement de front unique à la veille de la victoire de la révolution soviétique et avant cette victoire.

Qu’est-ce que ce gouvernement? Et dans quelle situation peut-il en être question?

C’est avant tout un gouvernement de lutte contre le fascisme et la réaction. Ce doit être un gouvernement qui prend naissance comme fruit du mouvement de front unique et ne limite en aucune manière l’activité du Parti communiste et des organisations de masse de la classe ouvrière, mais, au contraire, prend des mesures résolues contre les magnats contre-révolutionnaires de la finance et leurs agents fascistes.

Au moment propice, en s’appuyant sur le mouvement grandissant de front unique, le Parti communiste du pays donné interviendra pour la formation d’un tel gouvernement sur la base d’une plate-forme antifasciste déterminée.

Dans quelles conditions objectives la formation d’un tel gouvernement sera-t-elle possible? À cette question, on peut répondre sous la forme la plus générale: dans les conditions d’une crise politique, le jour où les classes régnantes ne sont plus en état de maîtriser le puissant essor du mouvement antifasciste de masse.

Mais ce n’est là que la perspective générale sans laquelle il ne sera guère possible en pratique de former un gouvernement de front unique. Seule, la présence de conditions particulières déterminées peut inscrire à l’ordre du jour la question de former ce gouvernement comme une tâche politiquement indispensable. Il me semble qu’en l’occurrence les conditions suivantes méritent la plus grande attention:

Premièrement, que l’appareil d’Etat de la bourgeoisie soit suffisamment désorganisé et paralysé, en sorte que la bourgeoisie ne puisse empêcher la formation d’un gouvernement de lutte contre la réaction et le fascisme.

Deuxièmement, que les grandes masses de travailleurs, et particulièrement les syndicats de masse, se dressent impétueusement contre le fascisme et la réaction, mais sans être encore prêtes à se soulever pour lutter sous la direction du Parti communiste pour la conquête du pouvoir soviétique.

Troisièmement, que la différenciation et l’évolution à gauche dans les rangs de la social-démocratie et des autres partis participant au front unique aient déjà abouti à ce résultat qu’une partie considérable d’entre eux exigent des mesures implacables contre les fascistes et les autres réactionnaires, luttent en commun avec les communistes contre le fascisme et interviennent ouvertement contre les éléments réactionnaires de leur propre Parti hostiles au communisme.

Quand et dans quels pays interviendra en fait une situation de ce genre, avec ces conditions données dans une mesure suffisante, c’est ce qu’on ne saurait dire à l’avance, mais une telle possibilité n’étant exclue dans aucun des pays capitalistes, nous devons en tenir compte, et non seulement nous orienter nous-mêmes vers elle et nous y préparer, mais orienter aussi en conséquence la classe ouvrière.

Si, d’une façon générale, nous mettons aujourd’hui cette question à l’étude, c’est évidemment en rapport avec notre appréciation de la situation et de la perspective de développement immédiat, comme avec le développement réel du mouvement de front unique dans une série de pays dans les derniers temps. Pendant plus de dix années, la situation dans les pays capitalistes a été telle que l’Internationale communiste n’avait pas à examiner des problèmes de ce genre.

Vous vous rappelez, qu’à notre IVe congrès, en 1922 et encore au Ve congrès en 1924, nous avons étudié le mot d’ordre du gouvernement ouvrier ou ouvrier et paysan.

En cela, il s’agissait primitivement, au fond, d’une question presque analogue à celle que nous posons aujourd’hui. Les débats qui s’engagèrent alors dans l’Internationale communiste autour de cette question et surtout, les fautes politiques commises dans ce domaine ont maintenant encore de l’importance pour accentuer notre vigilance contre le danger de dévier à droite ou à gauche” de la ligne bolchévik dans cette question.

C’est pourquoi je signalerai brièvement certaines de ces fautes, afin d’en tirer les enseignements nécessaires pour la politique actuelle de nos Partis.

La première série de fautes résultait précisément du fait que la question du gouvernement ouvrier n’était pas rattachée clairement et fermement à l’existence d’une crise politique. Grâce à cette circonstance, les opportunistes de droite pouvaient interpréter les choses de façon à faire croire qu’il convient de viser à la formation d’un gouvernement ouvrier soutenu par le Parti communiste dans n’importe quelle situation, comme on dit: dans une situation “normale”.

Les ultra-gauches, au contraire, ne reconnaissaient que le gouvernement ouvrier susceptible d’être créé uniquement par le moyen de l’insurrection armée, après le renversement de la bourgeoisie.

L’un et l’autre points de vue étaient faux et c’est pourquoi, afin d’éviter la répétition de pareilles erreurs, nous mettons aujourd’hui si fortement l’accent sur le décompte exact des conditions concrètes particulières de la crise politique et de l’essor du mouvement de masse dans lesquelles la création d’un gouvernement de front unique peut s’avérer possible et politiquement indispensable.

La deuxième série de fautes résultait du fait que la question du gouvernement ouvrier n’était pas liée au développement d’un vaste mouvement combatif de front unique du prolétariat. 

C’est pourquoi les opportunistes de droite avaient la possibilité de déformer la question en la ramenant à une tactique sans principe de blocage avec les Partis social-démocrates sur la base de combinaisons purement parlementaires. Les ultra-gauches, au contraire, criaient: « Aucune coalition avec la social-démocratie contrerévolutionnaire! » en considérant, par essence, tous les social-démocrates comme des contre-révolutionnaires.

L’un et l’autre points de vue étaient faux; et maintenant nous soulignons, d’une part, que nous ne voulons pas le moins du monde d’un “gouvernement ouvrier” qui soit purement et simplement un gouvernement social-démocrate élargi.

Nous préférons même renoncer à la dénomination de “gouvernement ouvrier” et nous parlons d’un gouvernement de front unique, qui, par son caractère politique, est tout à fait différent, différent en principe, de tous les gouvernements social-démocrates qui ont coutume de s’intituler “gouvernement ouvrier”.

Alors que le gouvernement social-démocrate représente une arme de la collaboration de classe avec la bourgeoisie dans l’intérêt de la conservation du régime capitaliste, le gouvernement de front unique est un organisme de collaboration de l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat avec les autres partis antifascistes dans l’intérêt du peuple travailleur tout entier, un gouvernement de lutte contre le fascisme et la réaction. Il est clair que ce sont là deux choses foncièrement différentes.

D’un autre côté, nous soulignons la nécessité de voir la différence qu’il y a entre les deux camps distincts de la social-démocratie. 

Comme je l’ai déjà indiqué, il existe un camp réactionnaire de la social-démocratie, mais, en même temps, il existe et grandit un camp de social-démocrates de gauche (sans guillemets), d’ouvriers en train de devenir révolutionnaires. La différence décisive qu’il y a entre eux réside pratiquement dans leur attitude à l’égard du front unique de la classe ouvrière.

Les social-démocrates réactionnaires sont contre le front unique, ils calomnient le mouvement de front unique, ils le sabotent et le désagrègent, parce qu’il fait échec à leur politique de conciliation avec la bourgeoisie. Les social-démocrates de gauche sont pour le front unique; ils défendent, développent et renforcent le mouvement de front unique.

Ce mouvement de front unique étant un mouvement de combat contre le fascisme et la réaction, constituera une force motrice permanente poussant le gouvernement de front unique à la lutte contre la bourgeoisie réactionnaire.

Plus ce mouvement de masse se développera puissamment, et plus grande sera la force qu’il pourra mettre à la disposition du gouvernement pour combattre les réactionnaires. Mieux ce mouvement de masse sera organisé à la base, plus vaste sera le réseau des organismes de classe hors-parti du front unique dans les entreprises parmi les chômeurs, dans les quartiers ouvriers, parmi les petites gens de la ville et de la campagne, et plus on aura de garantie contre la dégénérescence possible de la politique du gouvernement de front unique.

La troisième série de points de vue erronés qui est apparue dans les débats précédents, concernait précisément la politique pratique du “gouvernement ouvrier”.

Les opportunistes de droite estimaient que le “gouvernement ouvrier” doit se tenir “dans le cadre de la démocratie bourgeoise”; que, par conséquent, il ne doit entreprendre aucune démarche débordant de ce cadre. Les ultra-gauches, au contraire, se refusaient en fait à toute tentative de former un gouvernement de front unique.

En Saxe et en Thuringe, on a pu voir, en 1923, un tableau très édifiant de la pratique opportuniste de droite du “gouvernement ouvrier”. L’entrée des communistes dans le gouvernement de Saxe avec les social-démocrates de gauche (groupe de Zeigner) n’était pas une faute par elle-même; au contraire, la situation révolutionnaire de l’Allemagne justifiait pleinement cette démarche.

Mais, faisant partie du gouvernement, les communistes auraient dû utiliser leurs positions avant tout pour armer le prolétariat. Ils ne l’ont pas fait.

Ils n’ont pas même réquisitionné un seul des appartements des riches, bien que la pénurie de logements chez les ouvriers fût si grande que beaucoup d’entre eux, avec leurs enfants et leur femme, restaient sans abri.

Ils n’ont rien entrepris non plus pour organiser le mouvement révolutionnaire des masses ouvrières. Ils se conduisaient en général comme de vulgaires ministres parlementaires “dans le cadre de la démocratie bourgeoise”. C’était là le fruit, comme on le sait, de la politique opportuniste de Brandler et de ses partisans.

Il en est résulté une telle banqueroute que, maintenant encore, nous nous voyons obligés de nous référer au gouvernement de Saxe comme à un exemple classique de la façon dont les révolutionnaires ne doivent pas se conduire au gouvernement.

Nous exigeons de chaque gouvernement de front unique une tout autre politique. Nous exigeons de lui qu’il réalise des revendications révolutionnaires radicales, déterminées, répondant à la situation. Par exemple, le contrôle de la production, le contrôle des banques, la dissolution de la police, son remplacement par la milice ouvrière armée, etc.

Il y a quinze ans, Lénine nous appelait à concentrer toute notre attention sur la « recherche des formes de transition ou de rapprochement conduisant à la révolution prolétarienne ». 

Le gouvernement de front unique s’avérera peut-être, dans une série de pays, une des principales formes de transition. Les doctrinaires “de gauche” ont toujours passé outre à cette indication de Lénine; tels des propagandistes bornés, ils ne parlaient que du “but”, sans jamais se préoccuper des « formes de transition ».

Quant aux opportunistes de droite, ils tendaient à établir un certain “stade intermédiaire démocratique” entre la dictature de la bourgeoisie et la dictature du prolétariat, pour inculquer aux ouvriers l’illusion d’une paisible promenade parlementaire d’une dictature à une autre. Ce “stade intermédiaire” fictif, ils l’intitulaient aussi “forme transitoire”, et ils se référaient même à Lénine!

Mais il n’était pas difficile de dévoiler cette filouterie; car Lénine parlait d’une forme de transition et de rapprochement conduisant à la “révolution prolétarienne”, c’est-à-dire au renversement de la dictature bourgeoise, et non pas d’on ne sait quelle forme de transition entre la dictature bourgeoise et la dictature prolétarienne.

Pourquoi Lénine attribuait-il une importance aussi considérable à la forme de transition conduisant à la révolution prolétarienne?

Parce qu’il avait en vue la « loi fondamentale de toutes les grandes révolutions« , la loi d’après laquelle la propagande et l’agitation seules ne peuvent remplacer pour les masses leur propre expérience politique, lorsqu’il s’agit de faire ranger véritablement les grandes masses de travailleurs aux côtés de l’avant-garde révolutionnaire, sans quoi la lutte victorieuse pour le pouvoir est impossible.

La faute ordinaire d’acabit gauchiste, c’est l’idée que, dès que surgit une crise politique (ou révolutionnaire), il suffit à la direction communiste de lancer le mot d’ordre de l’insurrection révolutionnaire pour que les grandes masses le suivent. Non, même quand il s’agit d’une crise de ce genre, les masses sont loin d’y être toujours préparées. Nous l’avons vu par l’exemple de l’Espagne.

Aider les masses innombrables à comprendre le plus vite possible, par leur propre expérience, ce qu’il leur faut faire, où trouver l’issue décisive, quel parti mérite leur confiance: voilà pourquoi sont nécessaires entre autres les mots d’ordre transitoires, ainsi que les « formes » particulières « de transition ou de rapprochement conduisant à la révolution prolétarienne ».

Sinon, les grandes masses populaires, soumises à l’influence des illusions et des traditions démocratiques petites-bourgeoises, peuvent, même en présence d’une situation révolutionnaire, hésiter, temporiser et errer sans trouver la voie de la révolution, ‑ pour tomber ensuite sous les coups des bourreaux fascistes.

C’est pourquoi nous envisageons la possibilité de former dans les conditions d’une crise politique, un gouvernement de front unique antifasciste. Dans la mesure où ce gouvernement engagera réellement la lutte contre les ennemis du peuple, accordera la liberté d’action à la classe ouvrière et au Parti communiste, nous, communistes, nous le soutiendrons par tous les moyens et, en soldats de la révolution, nous nous battrons en première ligne. 

Mais nous le disons ouvertement aux masses: ce gouvernement-là ne peut pas apporter le salut définitif. Il n’est pas en mesure de renverser la domination de classe des exploiteurs, et c’est pourquoi il ne peut pas non plus écarter définitivement le danger de la contre-révolution fasciste. En conséquence, il est nécessaire de se préparer pour la révolution socialiste. Le salut ne viendra que du pouvoir soviétique, de lui seul!

En appréciant le développement actuel de la situation mondiale, nous voyons qu’une crise politique mûrit dans tout un ensemble de pays. Et c’est là ce qui détermine la haute actualité et la haute importance de la ferme résolution prise par notre congrès sur la question du gouvernement de front unique.

Si nos Partis savent utiliser, à la manière bolchévik, la possibilité de former un gouvernement de front unique, la lutte autour de sa formation, de même que l’exercice du pouvoir par un tel gouvernement, pour la préparation révolutionnaire des masses, on aura là, également, la meilleure justification politique de notre orientation vers la création d’un gouvernement de front unique.

La lutte idéologique contre le fascisme.

Un des côtés les plus faibles de la lutte antifasciste de nos Partis consiste en ce qu’ils ne réagissent pas suffisamment et en temps opportun à la démagogie du fascisme et continuent jusqu’à présent à considérer avec dédain les questions de la lutte contre l’idéologie fasciste.

Beaucoup de camarades ne croyaient pas qu’une variété de l’idéologie bourgeoise aussi réactionnaire que l’idéologie du fascisme, arrivant dans son absurdité bien souvent jusqu’à la démence, fût, en général, capable de conquérir une influence de masse. Ce fut une grande faute.

La décomposition très avancée du capitalisme pénètre jusqu’au coeur même de son idéologie et de sa culture, et la situation désespérée des grandes masses populaires rend certaines de leurs couches sujettes à la contagion des déchets idéologiques de cette décomposition.

Cette force de contagion idéologique que possède le fascisme nous ne devons en aucun cas la sous-estimer. Nous devons, au contraire, pour notre part, déployer une ample lutte idéologique sur la base d’une argumentation claire, populaire et d’une attitude juste et bien réfléchie à l’égard de la psychologie nationale particulière des masses populaires.

Les fascistes fouillent dans toute l’histoire de chaque peuple pour se présenter comme les héritiers et les continuateurs de tout ce qu’il y a eu de sublime et d’héroïque dans son passé; tout ce qu’il y a eu d’humiliant et d’injurieux pour les sentiments nationaux du peuple, ils s’en servent comme d’une arme contre les ennemis du fascisme.

En Allemagne, on édite des centaines de livres n’ayant qu’un seul but: falsifier à la manière fasciste l’histoire du peuple allemand.

Les historiens nationaux-socialistes frais émoulus s’efforcent de représenter l’histoire de l’Allemagne de façon à faire croire que, en vertu d’on ne sait quelle “continuité historique”, on voit courir tout au long de deux mille années, comme un fil rouge, une ligne de développement qui a abouti à l’apparition sur la scène historique du “sauveur” national, du “Messie” du peuple allemand le “caporal” bien connu d’origine autrichienne!

Dans ces livres, on représente les plus grandes personnalités du peuple allemand, dans le passé, comme fascistes, et les grands mouvements paysans comme les précurseurs directs du mouvement fasciste.

Mussolini s’applique de toutes ses forces à se constituer un capital politique avec la figure héroïque de Garibaldi. Les fascistes français mettent en avant Jeanne d’Arc comme leur héroïne.

Les fascistes américains en appellent aux traditions des guerres américaines de l’indépendance, aux traditions de Washington, de Lincoln. Les fascistes bulgares utilisent le mouvement d’émancipation nationale de 1870‑1880 et ses héros populaires favoris Vassil Levskoï, Stefan Karadj, etc.

Les communistes qui estiment que tout cela n’intéresse pas la cause de la classe ouvrière, qui ne font rien pour éclairer de façon juste, au point de vue historique, dans le véritable sens marxiste, léniniste-marxiste, léniniste-staliniste, les masses travailleuses sur le passé de leur propre peuple, pour rattacher sa lutte actuelle à ses traditions et à son passé révolutionnaire, ces communistes abandonnent volontairement aux falsificateurs fascistes tout ce qu’il y a de précieux dans le passé historique de la nation, pour berner les masses populaires.

Non! nous sommes intéressés dans chaque question importante, non seulement du présent et de l’avenir, mais aussi du passé de notre propre peuple. Car nous, communistes, n’appliquons pas une politique étroite faite des intérêts corporatifs des ouvriers.

Nous ne sommes pas les hommes bornés des trade-unions ou les dirigeants de guildes médiévales d’artisans et de compagnons.

Nous sommes les représentants des intérêts de classe de la classe la plus importante, la plus grande de la société moderne, de la classe ouvrière appelée à affranchir l’humanité des tortures du régime capitaliste, de la classe qui, sur un sixième du globe, a déjà renversé le joug du capitalisme, et est la classe régnante. Nous défendons les intérêts vitaux de toutes les couches travailleuses exploitées, c’est-à-dire de la majorité écrasante du peuple dans n’importe quel pays capitaliste.

Nous, communistes, nous sommes les irréconciliables adversaires de principe du nationalisme bourgeois sous toutes ses formes. Mais nous ne sommes pas les partisans du nihilisme national, et ne devons jamais nous affirmer comme tels. Le problème de l’éducation des ouvriers et de tous les travailleurs dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien est une des tâches fondamentales de tout Parti communiste.

Mais quiconque pense que cela lui permet de cracher, et même l’oblige à cracher sur tous les sentiments nationaux des grandes masses travailleuses, est loin du bolchévisme authentique, il n’a rien compris à la doctrine de Lénine et de Staline dans la question nationale.

Lénine qui a toujours combattu, résolument et avec esprit de suite, le nationalisme bourgeois, nous a donné un exemple de la façon juste dont il convient d’aborder le problème des sentiments nationaux, dans son article: De la fierté nationale des Grands-Russes, écrit en 1914. Voici ce qu’il écrivait[17]:

Le sentiment de fierté nationale nous est-il étranger, à nous, prolétaires grand-russes conscients? Evidemment non.

Nous aimons notre langue et notre patrie; ce à quoi nous travaillons le plus c’est à élever ses masses laborieuses (c’est-à-dire les 9/10 de sa population) à la vie consciente de démocrates et de socialistes. Le plus pénible pour nous, c’est de voir et de sentir quelles violences, quelle oppression et quelles vexations les bourreaux tsaristes, les nobles et les capitalistes font subir à notre belle patrie.

Nous sommes fiers que ces violences aient provoqué des résistances dans notre milieu, dans le milieu des Grand‑Russes; que ce milieu ait produit Radichtchev, les décembristes, les révolutionnaires roturiers de 1870‑1880; que la classe ouvrière grand-russe ait créé en 1905 un puissant parti révolutionnaire de masse…

Nous sommes tout pénétrés d’un sentiment de fierté nationale: la nation grand-russe a créé, elle aussi, une classe révolutionnaire, elle aussi a prouvé qu’elle est capable de fournir à l’humanité de grands exemples de lutte pour la liberté et pour le socialisme, et pas simplement de grands pogroms, des rangées de potences, des cachots, de grandes famines et une grande servilité devant les popes, les tsars, les propriétaires fonciers et les capitalistes.

Nous sommes tout pénétrés d’un sentiment de fierté nationale, et c’est pourquoi nous haïssons tant notre passé d’esclaves… et notre présent d’esclaves, quand ces mêmes propriétaires, secondés par les capitalistes, nous mènent à la guerre pour étrangler la Pologne et l’Ukraine, écraser le mouvement démocratique en Perse et en Chine, renforcer la clique des Romanov, des Bobrinski, des Pourichkévitch, qui déshonorent notre dignité nationale de Grand-Russes.

Voilà ce que Lénine écrivait à propos de la fierté nationale.

Je pense, camarades, ne pas avoir agi incorrectement au procès de Leipzig lorsque, les fascistes ayant tenté de calomnier le peuple bulgare en le traitant de peuple barbare, j’ai pris la défense de l’honneur national des masses travailleuses de ce peuple qui lutte avec abnégation contre les usurpateurs fascistes, ces véritables barbares et sauvages et lorsque j’ai déclaré que je n’ai aucune raison d’avoir honte d’être Bulgare et qu’au contraire je suis fier d’être le fils de l’héroïque classe ouvrière bulgare.

L’internationalisme prolétarien doit, pour ainsi dire, « s’acclimater » dans chaque pays pour prendre profondément racine en terre natale.

Les formes nationales de la lutte prolétarienne de classe et du mouvement ouvrier des différents pays ne contredisent pas l’internationalisme prolétarien; au contraire, c’est justement sous ces formes que l’on peut défendre avec succès les intérêts internationaux du prolétariat eux aussi.

Il va de soi qu’il est nécessaire, toujours et partout, de dénoncer et de prouver concrètement aux masses que, sous prétexte de défendre les intérêts de la nation en général, la bourgeoisie fasciste réalise sa politique égoïste d’oppression et d’exploitation de son propre peuple, de même que sa politique de pillage et d’asservissement des autres peuples. Mais on ne saurait s’en tenir là. 

Il est nécessaire, en même temps, par la lutte même de la classe ouvrière et les interventions des Partis communistes, de montrer que le prolétariat, qui s’insurge contre tout genre d’asservissement et d’oppression nationale, est le véritable et l’unique champion de la liberté nationale et de l’indépendance du peuple.

Les intérêts de la lutte de classe du prolétariat contre les exploiteurs et les oppresseurs à l’intérieur du pays ne contredisent pas les intérêts de l’avenir libre et heureux de la nation.

Au contraire: la révolution socialiste signifiera le salut de la nation et lui ouvrira la voie d’un plus grand essor.

Du fait que la classe ouvrière édifie actuellement ses organisations de classe et fortifie ses positions, qu’elle défend contre le fascisme les droits démocratiques et la liberté, qu’elle lutte pour le renversement du capitalisme, de ce fait même, elle lutte pour cet avenir de la nation.

Le prolétariat révolutionnaire lutte pour la sauvegarde de la culture du peuple, pour la libérer des chaînes du Capital monopoliste en décomposition, du fascisme barbare qui lui fait violence.

Seule, la révolution prolétarienne peut conjurer la mort de la culture, l’élever à un épanouissement supérieur en tant que culture populaire véritable, nationale par sa forme et socialiste par son contenu, ce que nous voyons se réaliser de nos propres yeux sous la direction de Staline dans l’Union des Républiques soviétiques socialistes.

L’internationalisme prolétarien non seulement ne contredit pas cette lutte des travailleurs des différents pays pour la liberté nationale, sociale et culturelle, mais encore il garantit, grâce à la solidarité prolétarienne internationale et à l’unité de combat, le soutien nécessaire pour la victoire dans cette lutte.

C’est seulement en union étroite avec le prolétariat vainqueur de la grande Union soviétique que la classe ouvrière des pays capitalistes peut vaincre. Seulement en luttant la main dans la main avec le prolétariat des pays impérialistes que les peuples coloniaux et les minorités nationales opprimées peuvent obtenir leur affranchissement.

C’est seulement par l’union révolutionnaire de la classe ouvrière des pays impérialistes avec le mouvement d’émancipation nationale des colonies et des pays dépendants que passe le chemin de la victoire de la révolution prolétarienne dans les pays impérialistes, car, selon l’enseignement de Marx, « un peuple qui en opprime d’autres, ne saurait être libre ».

Les communistes appartenant à une nation opprimée, dépendante, ne sauraient se dresser avec succès contre le chauvinisme dans les rangs de leur nation, s’ils ne montrent pas en même temps, dans la pratique du mouvement de masse, qu’ils luttent en fait pour l’affranchissement de leur nation du joug étranger.

D’autre part, les communistes de la nation qui opprime ne peuvent faire le nécessaire pour éduquer les masses travailleuses de leur nation dans l’esprit de l’internationalisme, sans mener une lutte résolue contre la politique d’oppression de leur “propre” bourgeoisie, pour le droit des nations, asservies par elle, à disposer entièrement de leur sort. S’ils ne le font pas, ils n’aideront pas les travailleurs de la nation opprimée à surmonter leurs préjugés nationalistes.

C’est seulement si nous agissons dans ce sens, c’est seulement si dans tout notre travail de masse nous montrons de façon convaincante que nous sommes affranchis du nihilisme national aussi bien que du nationalisme bourgeois, que nous pourrons mener réellement et avec succès la lutte contre la démagogie chauvine des fascistes.

Voilà pourquoi l’application juste et concrète de la politique nationale léniniste-staliniste est importante. Il y a là une condition absolument indispensable du succès de la lutte contre le chauvinisme, principal instrument de l’action idéologique des fascistes sur les masses.

III. Le renforcement des Partis communistes et la lutte pour l’unité politique du prolétariat

Dans la lutte pour l’établissement du front unique, l’importance du rôle dirigeant du Parti communiste s’accroît dans une mesure extraordinaire. Dans le fond, seul le Parti communiste est l’initiateur, l’organisateur, la force motrice du front unique de la classe ouvrière.

Les Partis communistes ne peuvent assurer la mobilisation des grandes masses de travailleurs pour la lutte commune contre le fascisme et l’offensive du Capital qu’à la condition de renforcer dans tous les domaines leurs propres rangs, de développer leur initiative, d’appliquer la politique marxiste-léniniste et la tactique juste, souple, qui tient compte de la situation concrète et de la répartition des forces de classe.

Le renforcement des Partis communistes.

Dans la période comprise entre le VIe et le VIIe congrès, nos Partis, dans les pays capitalistes, se sont incontestablement accrus et considérablement trempés. Mais ce serait une dangereuse erreur que de s’en tenir là. Plus le front unique de la classe ouvrière s’élargira, et plus nombreuses seront les tâches nouvelles, compliquées, qui se poseront à nous, plus il nous faudra travailler au renforcement politique et organique de nos Partis.

Le front unique du prolétariat pousse en avant une armée d’ouvriers qui pourra s’acquitter de sa mission à condition qu’à la tête de cette armée, il y ait une force dirigeante, lui montrant les buts et les voies. Cette force dirigeante ne peut être qu’un solide parti révolutionnaire prolétarien.

Lorsque nous communistes, nous faisons tous nos efforts pour établir le front unique, nous ne le faisons pas du point de vue étroit du recrutement de nouveaux adhérents aux Partis communistes.

Mais nous devons renforcer les Partis communistes dans tous les domaines de leur activité et augmenter leurs effectifs précisément parce que nous désirons sérieusement renforcer le front unique. Le renforcement des Partis communistes ne représente pas un étroit intérêt de parti, mais l’intérêt de la classe ouvrière tout entière.

L’unité, la cohésion révolutionnaire et la combativité des Partis communistes, c’est un capital des plus précieux qui n’appartient pas à nous seulement, mais à toute la classe ouvrière.

Notre empressement à marcher en commun avec les Partis et les organisations social-démocrates dans la lutte contre le fascisme, nous l’avons combiné et le combinerons avec une lutte irréconciliable contre le social-démocratisme en tant qu’idéologie et pratique de conciliation avec la bourgeoisie et, partant, contre toute pénétration de cette idéologie dans nos propres rangs.

En réalisant avec courage et décision la politique de front unique, nous rencontrons dans nos propres rangs des obstacles qu’il nous est nécessaire d’écarter coûte que coûte dans le plus bref délai possible.

Après le VIe congrès de l’Internationale communiste, une lutte a été réalisée avec succès dans tous les Partis communistes des pays capitalistes contre les tendances à l’adaptation opportuniste aux conditions de la stabilisation capitaliste et contre la contagion des illusions réformistes et légalistes.

Nos Partis ont épuré leurs rangs des opportunistes de droite de tout genre, renforçant ainsi leur unité bolchévik et leur combativité. La lutte contre le sectarisme fut menée avec moins de succès et, fréquemment, elle ne le fut pas du tout. Le sectarisme se manifestait non plus dans les formes primitives, déclarées, comme aux premières années d’existence de l’Internationale communiste, mais c’est en se masquant de la reconnaissance formelle des thèses bolchéviks qu’il freinait le déploiement de la politique bolchévik de masse.

À notre époque, bien souvent, ce n’est plus une maladie infantile, comme écrivait Lénine, mais un vice enraciné; sans se débarrasser de ce vice, il est impossible de résoudre le problème, de la réalisation du front unique du prolétariat et de faire passer les masses des positions du réformisme au côté de la révolution.

Dans la situation actuelle, c’est le sectarisme, le sectarisme plein de suffisance, comme nous le qualifions dans le projet de résolution, qui entrave avant tout notre lutte pour la réalisation du front unique, ‑ le sectarisme satisfait de son esprit doctrinaire borné, de son isolement de la vie réelle des masses, content de ses méthodes simplifiées de solution des problèmes les plus complexes du mouvement ouvrier sur la base de schémas stéréotypés, ‑ le sectarisme qui prétend à l’omniscience et estime superflu de se mettre à l’école des masses, de s’assimiler les leçons du mouvement ouvrier.

En un mot, le sectarisme qui, comme on dit, ne doute de rien. Le sectarisme plein de suffisance ne veut ni ne peut comprendre que la direction de la classe ouvrière par le Parti communiste ne s’obtient pas automatiquement. Le rôle dirigeant du Parti communiste dans les batailles de la classe ouvrière doit être conquis.

Pour cela, il ne s’agit pas de déclamer sur le rôle dirigeant des communistes, mais, par un travail de masse quotidien et par une juste politique, de mériter, de conquérir la confiance des masses ouvrières. Cela n’est possible que si nous, communistes, tenons sérieusement compte dans notre travail politique du niveau réel de la conscience de classe des masses, de leur degré de maturation révolutionnaire; si nous apprécions sainement la situation concrète non pas sur la base de nos désirs, mais sur la base de ce qui est en réalité.

Nous devons patiemment, pas à pas, faciliter aux grandes masses leur passage sur les positions du communisme. Nous ne devons jamais oublier les paroles de Lénine, quand il nous avertissait avec toute l’énergie voulue, qu'[18]

il s’agit précisément de ne pas croire que ce qui a fait son temps pour nous, a fait son temps pour toute une classe, pour la masse.

Sont-ils aujourd’hui peu nombreux dans nos rangs, les éléments doctrinaires qui, dans la politique de front unique, ne flairent partout et toujours que des dangers?

Pour ces camarades, tout le front unique n’est que danger. Mais cet “esprit de principe” sectaire n’est rien autre que de l’impuissance politique devant les difficultés de la direction immédiate de la lutte des masses.

Le sectarisme s’exprime en particulier par la surestimation de la maturation révolutionnaire des masses, par la surestimation du rythme sur lequel elles abandonnent les positions du réformisme, par les tentatives de brûler les étapes difficiles et de passer outre aux tâches compliquées du mouvement. Les méthodes de direction des masses étaient fréquemment remplacées, dans la pratique, par les méthodes de direction d’un étroit groupe de Parti.

On sous-estimait la force de liaison traditionnelle des masses avec leurs organisations et leurs directions; et lorsque les masses ne rompaient pas brusquement ces liaisons, on adoptait à leur égard une attitude aussi tranchée qu’à l’égard de leurs dirigeants réactionnaires.

On standardisait la tactique et les mots d’ordre pour tous les pays; on ne tenait pas compte des particularités de la situation concrète dans chaque pays pris à part.

On méconnaissait la nécessité de mener une lutte opiniâtre au plus profond de la masse elle-même pour conquérir la confiance des masses; on dédaignait la lutte pour les revendications partielles des ouvriers ainsi que le travail dans les syndicats réformistes et les organisations fascistes de masse. À la politique de front unique, on substituait fréquemment des appels sans lendemain et une propagande abstraite.

Les façons sectaires de poser les questions ne gênaient pas moins le choix judicieux des hommes, l’éducation et la formation de cadres liés aux masses et jouissant de leur confiance, de cadres fermes au point de vue révolutionnaire et éprouvés dans les batailles de classe, sachant combiner l’expérience pratique du travail de masse avec la fermeté de principe d’un bolchévik.

Ainsi, le sectarisme ralentissait dans une notable mesura la croissance des Partis communistes, entravait la réalisation d’une véritable politique de masse, empêchait d’utiliser les difficultés de l’ennemi de classe pour renforcer les positions du mouvement révolutionnaire, gênait les efforts pour faire passer les grandes masses prolétariennes aux côtés des Partis communistes.

En luttant de la façon la plus résolue pour déraciner et surmonter les derniers restes du sectarisme plein de suffisance, nous devons renforcer par tous les moyens notre vigilance et notre lutte à l’égard de l’opportunisme de droite et contre toutes ses manifestations concrètes, sans perdre de vue que le danger qu’il représente s’accroîtra au fur et à mesure du déploiement d’un vaste front unique. Il existe déjà des tendances consistant à rabaisser le rôle du Parti communiste dans les rangs du front unique et à se réconcilier avec l’idéologie social-démocrate.

Il ne faut pas perdre de vue que la tactique du front unique est une méthode qui consiste à persuader pratiquement les ouvriers social-démocrates de la justesse de la politique communiste et de la fausseté de la politique réformiste, et non pas à se réconcilier avec l’idéologie et la pratique social-démocrates. 

Le succès de la lutte pour l’établissement du front unique exige de toute nécessité une lutte constante dans nos rangs contre la tendance à ravaler le rôle eu Parti, contre les illusions légalistes, contre l’orientation vers la spontanéité et l’automatisme tant en ce qui concerne la liquidation du fascisme qu’en ce qui concerne la réalisation du front unique, contre les moindres hésitations au moment de l’action résolue.

Il est nécessaire, nous enseigne Staline [19], que le Parti sache, dans son travail, combiner l’esprit de principe le plus élevé (ne pas le confondre avec le sectarisme), avec le maximum de liaison et de contact avec les masses (ne pas confondre avec le suivisme!), sans quoi il est impossible au Parti, non seulement d’instruire les masses, mais aussi de l’instruire auprès d’elles, non seulement de guider les masses et de les élever jusqu’au niveau du Parti, mais aussi de prêter l’oreille à la voix des masses et de deviner leurs besoins urgents.

L’unité politique de la classe ouvrière.

Le développement du front unique de lutte commune des ouvriers communistes et social-démocrates contre le fascisme et l’offensive du Capital pose également le problème de l’unité politique, du parti politique de masse unique de la classe ouvrière. 

Les ouvriers social-démocrates se convainquent de plus en plus par leur expérience que la lutte contre l’ennemi de classe exige une direction politique unique, car la dualité en matière de direction entrave le développement ultérieur et le renforcement de la lutte unique de la classe ouvrière.

Les intérêts de la lutte de classe du prolétariat et le succès de la révolution prolétarienne dictent la nécessité d’avoir dans chaque pays un parti unique du prolétariat. Y parvenir, évidemment, n’est pas si facile, ni si simple. Cela exigera un travail et une lutte opiniâtres et cela constituera nécessairement un processus plus ou moins prolongé.

Les Partis communistes doivent, en s’appuyant sur la tendance grandissante des ouvriers à l’unification avec les Partis communistes des Partis social-démocrates ou d’organisations isolées, prendre avec fermeté et assurance l’initiative de cette oeuvre d’unification.

L’unification des forces de la classe ouvrière en un parti prolétarien révolutionnaire unique au moment où le mouvement ouvrier international entre dans la période de liquidation de la scission, c’est notre oeuvre, c’est l’oeuvre de l’Internationale communiste.

Mais si, pour établir le front unique des Partis communistes et social-démocrates, il suffit d’un accord sur la lutte contre le fascisme, l’offensive du Capital et la guerre, la réalisation de l’unité politique n’est possible que sur la base d’une série de conditions déterminées ayant un caractère de principe.

Cette unification n’est possible, premièrement, qu’à la condition d’une complète indépendance à l’égard de la bourgeoisie et d’une rupture totale du bloc de la social-démocratie avec la bourgeoisie.

Deuxièmement, à la condition que l’unité d’action soit réalisée au préalable.

Troisièmement, à la condition que soit reconnue la nécessité du renversement révolutionnaire de la domination de la bourgeoisie et de l’instauration de la dictature du prolétariat sous forme de Soviets.

Quatrièmement, à la condition de refuser de soutenir sa bourgeoisie dans la guerre impérialiste.

Cinquièmement, à la condition de construire le Parti sur la base du centralisme démocratique, garantissant l’unité de volonté et d’action, et vérifié par l’expérience des bolchéviks russes.

Nous devons expliquer aux ouvriers social-démocrates, patiemment et en toute camaraderie, pourquoi, à défaut de ces conditions, l’unité politique de la classe ouvrière est impossible. Nous devons, en commun avec eux, étudier la signification et l’importance de ces conditions.

Pourquoi la complète indépendance à l’égard de la bourgeoisie et la rupture du bloc de la social-démocratie avec la bourgeoisie sont-elles nécessaires à la réalisation de l’unité politique du prolétariat?

Parce que toute l’expérience du mouvement ouvrier et, notamment, l’expérience des quinze années de politique de coalition en Allemagne, ont montré que la politique de collaboration de classes, la politique de dépendance à l’égard de la bourgeoisie conduit à la défaite de la classe ouvrière et à la victoire du fascisme.

Et, seule, la voie de la lutte de classe irréconciliable contre la bourgeoisie, la voie des bolchéviks est la voie sûre de la victoire.

Pourquoi l’établissement de l’unité d’action doit-elle être la condition préalable de l’unité politique?

Parce que l’unité d’action pour repousser l’offensive du Capital et du fascisme est possible et nécessaire avant même que la majorité des ouvriers s’unisse sur la plateforme politique commune de renversement du capitalisme, et parce que l’élaboration de l’unité d’opinion sur les voies fondamentales et les buts de la lutte du prolétariat, sans laquelle l’unification des Partis est impossible, exige un temps plus ou moins prolongé.

Or, l’unité d’opinion s’élabore au mieux dans la lutte commune contre l’ennemi de classe, dès aujourd’hui. Proposer au lieu du front unique l’unification immédiate, c’est mettre la charrue avant les boeufs et croire que la charrue ira de l’avant.

C’est précisément parce que la question de l’unité politique n’est pas une manoeuvre pour nous, comme elle l’est pour beaucoup de chefs social-démocrates, que nous insistons sur la réalisation de l’unité d’action, comme une des étapes essentielles dans la lutte pour l’unité politique.

Pourquoi est-il nécessaire de reconnaître le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie et l’établissement de la dictature du prolétariat sous la forme du pouvoir des Soviets?

Parce que l’expérience de la victoire de la grande Révolution d’Octobre, d’une part, et, de l’autre, les amères leçons d’Allemagne, d’Autriche et d’Espagne pour toute la période d’après-guerre ont confirmé une fois de plus que la victoire du prolétariat n’est possible que par le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie, et que celle-ci noiera le mouvement ouvrier dans une mer de sang plutôt que de permettre au prolétariat d’instaurer le socialisme par la voie pacifique.

L’expérience de la Révolution d’Octobre a montré de toute évidence que le contenu fondamental de la révolution prolétarienne est le problème de la dictature du prolétariat, appelée à écraser la résistance des exploiteurs une fois qu’ils sont renversés, à armer la révolution pour la lutte contre l’impérialisme et à conduire la révolution jusqu’à la victoire complète du socialisme.

Pour réaliser la dictature du prolétariat, comme dictature exercée par la majorité écrasante sur une infime minorité, sur les exploiteurs, ‑ et elle ne peut être réalisée que comme telle, ‑ il est nécessaire d’avoir des Soviets englobant toutes les couches de la classe ouvrière, les masses fondamentales de la paysannerie et des autres travailleurs, dont l’éveil, dont l’intégration au front de la lutte révolutionnaire sont indispensables pour la consolidation de la victoire du prolétariat.

Pourquoi le refus de soutenir la bourgeoisie dans la guerre impérialiste est-il une condition de l’unité politique?

Parce que la bourgeoisie fait la guerre impérialiste dans ses buts de spoliation, contre les intérêts de la majorité écrasante des peuples, sous quelque prétexte que cette guerre soit faite.

Parce que tous les impérialistes combinent avec la préparation fiévreuse de la guerre un renforcement extrême de l’exploitation et de l’oppression des travailleurs à l’intérieur du pays. Soutenir la bourgeoisie dans une telle guerre, c’est trahir les intérêts du pays et la classe ouvrière internationale.

Pourquoi, enfin, la construction du Parti sur la base du centralisme démocratique est-elle une condition de l’unité?

Parce que, seul, un parti construit sur la base du centralisme démocratique peut garantir l’unité de volonté et d’action, peut conduire le prolétariat à la victoire sur la bourgeoisie, qui dispose d’une arme aussi puissante que l’appareil d’État centralisé.

L’application du principe du centralisme démocratique a subi une brillante épreuve historique dans l’expérience du Parti bolchévik russe, du Parti de Lénine-Staline. Oui, nous sommes pour un parti politique de masse unique de la classe ouvrière. Mais de là la nécessité, comme dit Staline[20],

d’un parti combatif, d’un parti révolutionnaire assez courageux pour mener les prolétaires à la lutte pour le pouvoir, assez expérimenté pour se reconnaître dans les conditions complexes d’une situation révolutionnaire, et assez souple pour contourner les écueils de toutes sortes sur le chemin conduisant au but.

Voilà pourquoi il est nécessaire de prendre pour base les conditions ci-dessus dans nos efforts pour réaliser l’unité politique.

Nous sommes pour l’unité politique de la classe ouvrière! Et c’est pourquoi nous sommes prêts à collaborer de la façon la plus étroite avec tous les social-démocrates qui s’affirment pour le front unique et soutiennent sincèrement l’unification sur les bases indiquées.

Mais justement parce que nous sommes pour l’unification, nous lutterons résolument contre tous les démagogues “de gauche” qui tentent d’utiliser la déception des ouvriers social-démocrates pour créer de nouveaux Partis socialistes ou de nouvelles Internationales qui sont dirigés contre le mouvement communiste et ainsi approfondissent la scission de la classe ouvrière.

Nous saluons la tendance au front unique avec les communistes, qui grandit parmi les ouvriers social-démocrates. Nous y voyons le développement de leur conscience révolutionnaire et le début de la liquidation de la scission de la classe ouvrière.

Estimant que l’unité d’action est une nécessité impérieuse et qu’elle est le chemin le plus sûr pour réaliser l’unité politique du prolétariat, nous déclarons que l’Internationale communiste et ses sections sont prêtes à entrer en pourparlers avec la IIe Internationale et ses sections en vue d’établir l’unité de la classe ouvrière doits la lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la menace d’une guerre impérialiste.

Conclusion.

Je termine mon rapport. Comme vous voyez, en tenant compte des changements intervenus dans la situation depuis le VIe congrès et des leçons de notre lutte et en nous appuyant sur le degré de consolidation déjà atteint par nos Partis, nous posons aujourd’hui d’une manière nouvelle une série de questions, et, en premier lieu, la question du front unique et de la façon d’aborder la social-démocratie, les syndicats réformistes et les autres organisations de masse.

Il est des sages qui croient entrevoir dans tout cela un recul de nos positions de principe, un certain tournant à droite par rapport à la ligne du bolchévisme. Que voulez-vous! Chez nous, en Bulgarie, on dit qu’une poule affamée rêve toujours de millet.

Laissons les poules politiques penser ce qu’il leur plaît.

Cela nous intéresse fort peu. Ce qui est important pour nous c’est que nos propres Partis et les grandes masses du monde entier comprennent de façon juste ce que nous voulons obtenir.

Nous ne serions pas des marxistes révolutionnaires, des léninistes, de dignes disciples de Marx- Engels-Lénine-Staline, si, en fonction d’une situation modifiée et des déploiements opérés dans le mouvement ouvrier mondial, nous ne remaniions pas de façon appropriée, notre politique et notre tactique.

Nous ne serions pas de véritables révolutionnaires si nous ne nous instruisions pas par notre propre expérience et par l’expérience des masses.

Nous voulons que nos Partis, dans les pays capitalistes, interviennent et agissent comme de véritables partis politiques de la classe ouvrière; qu’ils jouent effectivement le rôle de facteur politique dans la vie de leur pays; qu’ils appliquent toujours une politique bolchévik active de masse, au lieu de se borner à la seule propagande, à la critique et aux seuls appels à la lutte pour la dictature du prolétariat.

Nous sommes les ennemis de tout schématisme. Nous voulons tenir compte de la situation concrète à chaque moment et dans chaque endroit donné, ne pas agir partout et toujours d’après un cliché arrêté, et ne pas oublier que dans des conditions différentes la position des communistes ne peut être identique.

Nous voulons tenir compte à tête reposée de toutes les étapes dans le déploiement de la lutte de classe et dans le développement de la conscience de classe des masses elles-mêmes, savoir trouver et résoudre à chaque étape les tâches concrètes du mouvement révolutionnaire qui correspondent à cette étape.

Nous voulons trouver une langue commune avec les plus grandes masses en vue de la lutte contre l’ennemi de classe; trouver les voies et moyens de surmonter définitivement l’isolement de l’avant-garde révolutionnaire par rapport aux masses du prolétariat et de tous les travailleurs, comme de surmonter l’isolement fatal de la classe ouvrière elle-même par rapport à ses alliés naturels dans la lutte contre la bourgeoisie, contre le fascisme.

Nous voulons entraîner des masses toujours plus considérables dans la lutte de classe révolutionnaire et les conduire à la révolution prolétarienne, en partant de leurs intérêts et de leurs besoins brûlants et sur la base de leur propre expérience.

Nous voulons, à l’exemple de nos glorieux bolchéviks russes, à l’exemple du Parti dirigeant de l’Internationale communiste, du Parti communiste de l’Union soviétique, combiner héroïsme révolutionnaire des communistes allemands, espagnols, autrichiens et autres avec un réalisme révolutionnaire authentique, et en finir avec les derniers restes du remue-ménage scolastique autour des graves problèmes politiques.

Nous voulons armer nos Partis dans tous les domaines en vue de la solution des tâches politiques complexes qui sont posées devant eux. À cet effet, il faut élever toujours plus haut leur niveau théorique, les éduquer dans l’esprit d’un marxisme-léninisme vivant, et non d’un doctrinarisme mort.

Nous voulons déraciner de nos rangs le sectarisme plein de suffisance qui, en premier lieu, nous barre la route des masses et empêche la réalisation d’une authentique politique bolchévik de masse.

Nous voulons renforcer par tous les moyens la lutte contre toutes les manifestations concrètes de l’opportunisme de droite, en tenant compte du fait que, de ce côté, le danger grandira justement au cours de la réalisation pratique de notre politique et de notre lutte de masse.

Nous voulons que, dans chaque pays, les communistes tirent en temps opportun et utilisent tous les enseignements de leur propre expérience, en tant qu’avant-garde révolutionnaire du prolétariat.

Nous voulons qu’ils apprennent au plus vite à nager dans les eaux impétueuses de la lutte des classes, au lieu de rester sur le bord, en observateurs, à enregistrer les vagues qui accourent, dans l’attente du beau temps.

Voilà ce que nous voulons!

Et nous voulons tout cela parce que c’est seulement ainsi que la classe ouvrière, à la tête de tous les travailleurs, soudée en une armée révolutionnaire forte de millions d’hommes, guidée par l’Internationale communiste et conduite par ce grand et sage timonier qu’est notre chef, Staline, pourra s’acquitter à coup sûr de sa mission historique: balayer de la face de la terre le fascisme et avec lui, le capitalisme!

[1]. J. Staline: Deux Mondes, Rapport sur l’activité du Comité central présenté au XVIIe congrès du Parti communiste (bolchévik) de l’URSS. In: Les Questions du léninisme, t. II, Paris, Éditions sociales, 1947, p. 139.

[2]. August Lütgens.

[3]. Karl Münichreiter.

[4]. Imre Sallai.

[5]. Sándor Fúrst.

[6]. Nikola Kofardjiev.

[7]. Iordan Lutibrodski.

[8]. Alexandrre Voïkov.

[9]. Toîvo Antikaïnen.

[10]. Francisco Largo Caballero.

[11]. V. I. Lénine: La Maladie infantile du communisme, Paris, Éditions sociales, 1950, p. 66.

[12]. En Autriche, à partir de 1927 les entrepreneurs, avec l’aide des organisations fascistes appelées Heimwehren (milices patriotiques), organisaient des syndicats jaunes d’entreprise. Dans la plus grande société industrielle autrichienne, l’Alpine Montangesellschaft dominée par des capitaux allemands, furent désormais employés uniquement des personnes organisées dans les Heimwehren. En 1928, l’accord dit de Hüttenberg conclu entre la direction des syndicats dits libres et les entrepreneurs, reconnut que ces “Syndicats indépendants” jouissaient de la légitimité juridique au même titre que les autres.

(Jürgen Doll: Theater im Roten Wien. Wien, Böhlau Verlag, 1997, p. 120.)

[13]. Republikanischer Schutzbund (Ligue de protection républicaine): Organisation paramilitaire constituée en 1923/24 en Autriche par le Sozialdemokratische Arbeiterpartei (Parti ouvrier social-démocrate, SDAP).

[14]. Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold (Bannière du Reich Noir-Rouge-Or): organisation de masse proche du SPD, fondée en 1924 par ce parti ensemble avec le Zentrum, le DDP et quelques petits partis, ayant comme but la protection de la République contre les activités d’extrême droite et aussi du KPD.

[15]. V. I. Lénine: Les matières inflammables de la politique mondiale. In: Oeuvres complètes, 4e éd. russe, t. XV, p. 160.

[16]. J. Staline: « Rapport fait à l’assemblée des militants de l’organisation de Moscou du Parti communiste russe, le 9 mai 1925, résumant les travaux de la XIVe conférence du PCR ». In: Les Questions du léninisme, t. I. Éditions sociales internationales, 1931, p. 201.

[17]. V. I. Lénine: Oeuvres complètes, t. XVIII, édit. russe. Oeuvres choisies, t. I, éditions en langues étrangères, Moscou, 1948, p. 748-749.

[18]. V. I. Lénine: La Maladie infantile du communisme, Éditions sociales, Paris, 1950, p. 34.

[19]. J. Staline: « Des perspectives du Parti communiste allemand et de sa bolchévisation », Pravda, n° 27, 3 février 1925.

[20]. J. Staline: Des Principes du léninisme, Éditions sociales, 1952, p. 77.

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Résolution sur le rapport d’activité du CEIC du 7e congrès de l’Internationale Communiste

Adoptée le 1er août 1935 sur le rapport du camarade Pieck.

§1. Le 7e Congrès Mondial de l’IC approuve la ligne politique et l’activité pratique du CEIC

§2. Le 7e Congrès Mondial de l’IC approuve les propositions faites par le CEIC en mars 1933, en octobre 1934 et en avril 1935, aux différentes Sections nationales et à la direction de la 2e Internationale, en vue de former l’unité d’action dans la lutte contre le fascisme, l’offensive du capital et la guerre.

Le 7e Congrès Mondial de l’IC exprime ses regrets que toutes ces propositions, au grand détriment de la classe ouvrière, aient été repoussées par le Comité Exécutif de la 2e Internationale et par la majorité de ses Sections.

Il constate l’importance historique du fait que des ouvriers social- démocrates, ainsi qu’un grand nombre d’organisations social- démocrates luttent en collaboration avec les communistes contre le fascisme et pour les intérêts des masses travailleuses, et demande au CEIC et tous les Partis adhérant à l’IC de continuer à travailler à l’établissement du front unique tant dans le cadre national que dans le cadre international.

§3. Le 7e Congrès Mondial de l’IC constate l’influence révolutionnaire croissante de l’activité ainsi que des mots d’ordre des PC, sur les larges masses ouvrières, entre autres sur les adhérents du parti social-démocrate.

En conséquence, le Congrès demande à toutes les Sections de l’IC de surmonter le plus rapidement possible les survivances des traditions sectaires, qui les empêchaient de trouver accès auprès des ouvriers social-démocrates, de changer les méthodes d’agitation et de propagande qui avaient jusqu’ici trop souvent un caractère abstrait et peu compréhensible pour les masses, et de leur donner un contenu nettement concret, conforme aux besoins et aux intérêts quotidiens des masses.

§4. Le 7 e Congrès Mondial de l’IC constate que le travail d’un certain nombre de Sections de l’IC manifeste des faiblesses sérieuses : application tardive de la tactique du front unique, incapacité de mobiliser les masses pour la défense de leurs revendications partielles tant politiques qu’économiques, incompréhension de la nécessité de la lutte pour la défense des restes de la démocratie bourgeoise, incompréhension de la nécessité de la création d’un front populaire anti-impérialiste dans les colonies et les pays semi-coloniaux, sous-estimation du travail dans les syndicats réformistes et fascistes et dans les organisations de masse des travailleurs créées par les partis bourgeois, sous-estimation de l’importance du travail parmi les paysans et parmi les masses de la petite bourgeoisie citadine, ainsi qu’une aide politique tardive à ces Sections de la part du CEIC.

Étant donné le rôle croissant ainsi que la responsabilité des PC, qui sont appelés à se placer à la tête du mouvement des masses de plus en plus pénétrées de l’esprit révolutionnaire, étant donnée la nécessité de la concentration de la direction opérative dans les Sections mêmes, le 7e Congrès Mondial de l’IC demande au CEIC :

a) De transporter le principal poids de son activité vers l’élaboration des directives politiques et tactiques générales du mouvement ouvrier international, de partir, en vue de la solution de toutes les questions, des conditions et particularités concrètes de chaque pays, et, d’une façon générale, d’éviter d’intervenir directement dans les affaires d’organisation intérieure des PC ;

b) D’aider systématiquement à la création et à la formation de cadres, ainsi que de chefs vraiment bolchéviks, dans les PC, afin que ces derniers soient en mesure, sur la base des décisions des Congrès de l’IC et des sessions plénières du CEIC, de trouver rapidement et d’une façon indépendante, en cas de changements brusques des événements, la juste solution des tâches politiques et tactiques du mouvement communiste ;

c) D’accorder une aide efficace aux PC dans leur lutte idéologique avec leurs adversaires politiques ;

d) D’aider les PC à mettre à profit, tant leurs propres expériences que celles du mouvement communiste international, en évitant toutefois de transporter mécaniquement les expériences d’un pays à un autre et de remplacer l’analyse marxiste concrète par des clichés mécaniques et des formules générales ;

e) De veiller à établir une liaison étroite des instances dirigeantes de l’IC avec ses différentes Sections au moyen d’une participation encore plus active des représentants qualifiés des principales Sections de l’IC au travail quotidien du CEIC

§5. Le 7e Congrès Mondial de l’IC attire l’attention sur la sous-estimation de l’importance du travail de masse parmi les jeunes dont se sont rendus coupables, tant les Fédérations des Jeunesses Communistes que les PC, et sur l’insuffisance de ce travail dans toute une série de pays, demande au CEIC et au CEICJ de prendre des mesures en vue de surmonter l’isolement sectaire de toute une série d’organisations de Jeunesses Communistes, de faire un devoir aux membres des Jeunesses Communistes d’adhérer à tous les partis bourgeois démocratiques, réformistes et fascistes, ainsi qu’aux organisations de masse de la jeunesse travailleuse (organisations syndicales, culturelles et sportives) et de lutter systématiquement dans ces organisations pour soumettre à leur influence les larges masses des jeunes, de mobiliser la jeunesse en vue de la lutte contre la militarisation et les camps de travail, pour l’amélioration de sa situation matérielle, pour les droits de la jeune génération travailleuse, en s’efforçant, dans ce but, d’établir un large front unique de toutes les organisations de masses non fascistes de la jeunesse.

§6. Le 7 e Congrès Mondial de l’IC constate qu’au cours des dernières années, sous l’influence de la victoire du socialisme en US, de la crise dans les pays capitalistes, des cruautés commises par le fascisme allemand et du danger d’une nouvelle guerre, on a assisté dans le monde entier au passage des larges masses ouvrières et des masses travailleuses, du réformisme à la lutte révolutionnaire, de la scission et de la dispersion au front unique.

Étant donné que l’aspiration des travailleurs à l’unité ne fera que croître, malgré la résistance de certains leaders de la social-démocratie, le 7e Congrès Mondial de l’IC propose à toutes les Sections de l’IC, de concentrer leur attention dans le procès de la lutte pour le front unique du prolétariat et du front populaire de tous les travailleurs contre l’offensive du capital et du fascisme et le danger d’une nouvelle guerre, sur la nécessité du renforcement de leurs rangs et de la conquête de la majorité de la classe ouvrière.

§7. Le 7e Congrès Mondial de l’IC indique qu’il dépend uniquement de la force des PC et de leur influence sur les larges masses du prolétariat, de l’énergie et de l’abnégation du communisme, que la crise politique qui mûrit se transforme en une révolution prolétarienne victorieuse.

Aujourd’hui, où la crise politique mûrit dans toute une série de pays capitalistes, la principale tâche des communistes consiste à ne pas se satisfaire des succès obtenus, mais à aller de l’avant vers de nouveaux succès, à élargir les liaisons avec la classe ouvrière, à gagner la confiance de millions de travailleurs, à transformer les Sections de l’IC en Partis de masse, à soumettre la majorité de la classe ouvrière à l’influence des PC et créer ainsi les conditions nécessaires à la révolution prolétarienne.

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Rapport sur l’activité du Comité exécutif de l’IC au 7e congrès de l’Internationale Communiste

Wilhelm Pieck

Rapport sur l’activité du Comité exécutif de l’IC au 7e congrès de l’Internationale communiste: Entre le 6e et le 7e congrès de l’Internationale communiste

26 juillet 1935

Camarades,

Sept années d’une lutte pénible et lourde de sacrifices des masses travailleuses contre leurs oppresseurs et exploiteurs séparent les VIe et VIIe congrès mondiaux de l’Internationale communiste. Ces sept années ont apporté un grand changement dans les rapports de forces entre les classes dans le monde entier et fourni au prolétariat une expérience révo­lutionnaire d’une richesse immense.

Aussitôt après le VIe congrès mondial, les événements ont confirmé la justesse de notre analyse des perspectives du mouvement révolutionnaire. Nous avions raison de dire que le développement de la révolution en Chine, l’insurrection d’Indonésie, les puissantes manifestations qui se déroulèrent en Europe et en Amérique contre l’exécution de Sacco et Vanzetti, la grève générale en Angleterre (1926), les événements de juillet 1927 à Vienne et l’accroissement marqué du mouvement gréviste dans la plupart des pays capitalistes depuis 1927 étaient les indices du nouvel essor révolutionnaire commençant. Nous prédisions l’accroissement ultérieur de cet essor.

Le congrès fixe comme tâche aux sections de l’Internationale communiste d’organiser et de diriger la lutte grandissante des travailleurs contre les classes des exploiteurs.

La nécessité de défendre les intérêts vitaux des masses travailleuses, d’accroître leur capacité de lutte contre l’exploitation et l’oppression renforcées, de rassembler les masses pour cette lutte, détermina la IXe assemblée plénière du CE de l’IC, en 1928, à fixer pour les communistes la tâche de mettre en relief d’une manière plus précise et plus vigoureuse leur ligne politique particulière, différant fondamentalement de celle des réformistes, de la mettre en relief aussi bien dans toutes les questions politiques générales (guerre, attitude à l’égard de l’Union soviétique, de la Chine, de l’Inde, de l’Égypte, etc.), que dans celles des luttes quotidiennes de la classe ouvrière (contre les tribunaux d’arbitrage, la réduction des salaires, la prolongation de la journée de travail, contre le soutien des capitalistes dans la question de la rationalisation, contre la “paix dans l’industrie”, etc.).

Cette ligne politique des communistes a trouvé son expression dans la tactique ayant pour mot d’ordre: « classe contre classe », la classe des prolétaires contre la classe de la bourgeoisie.

La tactique « classe contre classe » était dirigée contre le bloc de la coalition de la social-démocratie avec la bourgeoisie.

Elle visait à détruire ce bloc des chefs de la social-démocratie avec la bourgeoisie. Elle n’était pas dirigée contre le front unique des communistes avec les socialistes pour la lutte contre la bourgeoisie, mais l’impliquait au contraire. Elle tendait à la création d’une direction révolutionnaire des luttes économiques et politiques du prolétariat.

Dans l’application de la tactique « classe contre classe », un certain nombre de fautes sectaires ont été commises. Si juste que ce fût pour les communistes, en Angleterre, de présenter aux élections parlementaires des candidatures indépendantes contre les chefs du Labour Party et de lutter pour elles, c’était cependant une faute pour le petit Parti communiste de concentrer toute son attention sur ses propres candidats, sans guère s’occuper de faire présenter des candidats par des conférences ouvrières des syndicats locaux et des organisations locales du Labour Party.

Si juste qu’il fût, pour les communistes d’Allemagne, de se discriminer résolument d’avec la social-démocratie et de mener une lutte intransigeante contre Zörgiebel et Severing, il était par contre, de la part des communistes, erroné de commencer à s’isoler aussi des ouvriers social-démocrates et de les traiter de « petits Zörgiebel ».

Si juste qu’il fût pour les communistes d’Allemagne, de France et d’Angleterre et d’un certain nombre d’autres pays, dans les conditions des années 1928‑29, de ne pas adresser des propositions de front unique aux dirigeants de la social-démocratie, c’était par contre une faute d’interpréter les décisions de l’Internationale communiste en ce sens que nos camarades ne devaient pas non plus faire de telles propositions aux organisations locales de la social-démocratie et des syndicats réformistes.

Par suite de cette application défectueuse de notre tactique « classe contre classe » et même de sa déformation fréquente jusqu’à dire que cette tactique excluait soi-disant le front unique, nos sections n’ont pas obtenu dans cette phase de la lutte les succès qui auraient pu l’être.

C’est seulement lorsque l’essor commença dans le mouvement gréviste, lorsque la social-démocratie s’opposa à ce mouvement et mit en marche la machine d’arbitrage de l’État et se mit à étouffer les grèves, que la tactique révolutionnaire des communistes gagna les sympathies des grandes masses ouvrières. Nos sections commencèrent à se rendre compte de l’importance qu’il y a pour la lutte des ouvriers à organiser des comités de grève indépendants, élus par les ouvriers eux-mêmes.

Mais, dans ce mouvement également, les communistes ont commis nombre d’erreurs sectaires. Ils n’ont pas su implanter organiquement leur influence dans les organisations réformistes et parmi les ouvriers inorganisés.

En organisant la lutte gréviste, les communistes ont renforcé l’esprit de la lutte de classe dans le prolétariat, bien que la social-démocratie se prononçât pour la paix économique et prêchât le “mondisme” et autres théories analogues. Cependant, les communistes ont souvent commis la faute de continuer la grève alors que la majorité des grévistes avaient déjà repris le travail, de la sorte ils se sont assez souvent isolés des grandes masses ouvrières.

Au moyen du mot d’ordre de la direction indépendante des grèves par la minorité révolutionnaire, les communistes ont contribué à déclencher des grèves et à libérer le travail syndical révolutionnaire des chaînes de l’appareil syndical réformiste. Mais en réalisant ce mot d’ordre on a négligé la tâche essentielle, primordiale de la minorité révolutionnaire: assurer le ralliement de la majorité des ouvriers de l’entreprise à la déclaration de la grève et la formation d’un comité de grève indépendant, élu par les grévistes.

Bien que les communistes eussent raison de s’élever contre l’attitude aristocratique traditionnelle des réformistes à l’égard des inorganisés et de se prononcer pour l’entraînement des inorganisés dans les grèves, pour leur entrée dans les comités de grève, un certain nombre d’entre eux, en Allemagne surtout, se sont laissés aller à sous-estimer l’importance des ouvriers organisés et l’influence des syndicats réformistes, non seulement sur les ouvriers organisés, mais aussi sur les inorganisés.

L’Internationale syndicale rouge a posé d’une manière juste la tâche de briser la prétention de la bureaucratie syndicale réformiste de décider souverainement des luttes économiques, prétention dont elle n’usait que pour les empêcher. Mais la décision de la conférence de Strasbourg, tenue au début de 1929, dépassait cet objectif en proclamant que « les comités de grève et les comités d’action ont pour tâche de préparer et de diriger d’une façon indépendante la lutte gréviste, malgré et contre la volonté des syndicats réformistes ».

Cela se rapporte également à la consigne donnée qu’aux élections des comités de lutte dans les lock-outs, ainsi que des comités de grève et autres organismes de lutte, toutes les personnes liées à la social-démocratie et à la bureaucratie syndicale doivent être écartées comme briseurs de grève.

Les expériences des luttes ont également enseigné que les chefs syndicaux réformistes, sous la pression de l’état d’esprit des masses de plus en plus favorable à la grève n’ont pas toujours pu y opposer leur refus et que, par conséquent, la tactique du front unique était possible et nécessaire. Les opportunistes, dans nos rangs, soutenaient l’opinion qu’il fallait bien, dans la question de la grève, placer les bonzes syndicaux réformistes sous la pression de la masse des membres, mais que, dans le cas où les chefs syndicaux refuseraient la grève, il fallait se soumettre à leurs décisions.

Cette conception opportuniste devait, il va de soi, être combattue par nous. Mais c’était une faute, à son tour, de supposer qu’il est opportuniste d’exercer en général une pression sur la bureaucratie syndicale réformiste à l’aide de la masse des membres, sens qu’on a donné en Allemagne et plus tard dans d’autres pays, également à notre point de vue, contre le mot d’ordre brandlérien: « Imposez votre volonté aux bonzes ».

En dépit de ces fautes sectaires, l’influence des communistes sur les masses des ouvriers organisés s’est très rapidement accrue. Aussi les chefs syndicaux réformistes, en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis, ainsi que dans divers autres pays, ont-ils commencé à exclure les communistes des syndicats.

Le Parti communiste allemand adopta, pour combattre ces mesures, une tactique de combat tout à fait juste en recommandant à ses adhérents de signer les engagements proposés par les chefs syndicaux réformistes concernant la soumission à la discipline syndicale, afin de conserver ainsi la possibilité de rester dans les syndicats.

L’indignation croissante des ouvriers révolutionnaires contre les exclusions et contre la politique réformiste scissionniste poussèrent maints militants communistes à poser la revendication pseudo-radicale, mais absolument sectaire, de la cessation du versement des cotisations. Les chefs syndicaux réformistes en profitèrent naturellement aussitôt pour procéder avec plus de vigueur encore à l’exclusion de l’opposition.

Cette politique des réformistes exigeait une consolidation organique de l’opposition syndicale révolutionnaire, surtout en Allemagne et en Pologne. Et, en effet, en 1928‑1929, on obtint quelques succès. Mais, en même temps, on commit de nouveau une faute sectaire, en transformant l’OSR en de nouveaux syndicats et en s’isolant ainsi de la masse principale des syndiqués réformistes. Une autre faute, ce fut pour nos sections dans d’autres pays de reprendre cette décision du PCA d’une façon mécanique sans tenir compte de la situation concrète, toute différente de leurs pays.

Il n’en reste pas moins que ce sont les communistes qui, dans la période précédant la crise, alors que la grève économique constituait la principale forme du développement de la lutte de classe, ont été les principaux promoteurs et chefs de la lutte gréviste dans nombre de pays. Les Partis communistes, durant ce temps, se sont raffermis politiquement et leur influence idéologique sur les masses s’est considérablement élargie. Mais ils n’étaient pas encore devenus une force capable d’utiliser dans toute son ampleur pour la lutte de classe du prolétariat la nouvelle situation qui s’était constituée avec le début de la crise économique.

En automne 1929 commença aux États-Unis la crise industrielle qui se combina à la crise agraire dans les pays agricoles et à la crise dans les colonies et qui gagna avec une rapidité inusitée le monde capitaliste tout entier.

La tâche tactique, durant la crise, était d’organiser la lutte pour empêcher que le fardeau de cette crise soit rejeté sur le dos des masses souffrant de la faim et du froid. Le point stratégique essentiel de cette lutte se trouvait en Allemagne.

Mais la classe ouvrière s’engageait divisée dans cette lutte. La social-démocratie, le plus ancien et le plus grand parti ouvrier, était rongé par la rouille réformiste et, dans les conditions de la crise, elle se plaçait sur le terrain de la collaboration de classe avec la bourgeoisie. Seul, le Parti communiste, relativement jeune, ayant dans beaucoup de pays une influence encore insuffisante, se plaçait sur le terrain de la lutte de classe intransigeante.

Collaboration de classe avec la bourgeoisie ou lutte de classe? Cette question déchirait encore les rangs du prolétariat et affaiblissait ses forces.

Les communistes parvinrent dans un certain nombre de pays, en dépit de la social-démocratie, à porter à un niveau élevé le mouvement des chômeurs, les masses les plus déshéritées parmi les travailleurs.

Dans tous les pays, les communistes ont été à la tête de la lutte contre l’expulsion de leurs logements des chômeurs qui ne peuvent pas payer leur loyer, pour des secours supplémentaires des municipalités, en argent et en nature: pommes de terre, charbon, etc.

Cette lutte a été extrêmement difficile. C’est seulement en créant tout un réseau d’organisations de chômeurs et en faisant de grandes manifestations, où il y a eu bien souvent de violentes collisions avec la police, qu’on parvint à arracher à l’État bourgeois et à ses organes des concessions en faveur des chômeurs.

Grâce à cette lutte, on a réussi dans nombre de pays à soulager le sort d’une partie des chômeurs et à opposer une sérieuse résistance à l’aggravation de la législation sociale, sans parvenir cependant à empêcher de telles aggravations.

Si malgré l’acharnement de la lutte de la partie la plus avancée des chômeurs on n’est pas arrivé à intensifier encore davantage ce mouvement et à en faire la lutte des grandes masses de travailleurs, si le mouvement des chômeurs a même faibli en 1932 dans la plupart des pays, la cause réside, nous semble-t-il, dans les faits suivants:

1. Le sabotage criminel et la lutte directe des chefs de la social-démocratie contre les revendications et contre le mouvement des chômeurs ont empêché d’obtenir une amélioration sensible du sort des grandes masses de chômeurs, ce qui a provoqué parmi eux de la déception et de la passivité.

2. La social-démocratie a empêché que le mouvement des chômeurs soit appuyé par les mouvements de grève des ouvriers qui travaillent et ceux-ci sont restés passifs devant la misère, la détresse, la faim dont souffraient les chômeurs.

3. Nous n’avons réussi à entraîner dans la lutte active qu’une partie peu considérable, 10 à 20 % des chômeurs, tandis que la majorité restait passive.

4. On n’a pas expérimenté toutes les formes et toutes les méthodes de lutte qui auraient pu agiter davantage l’opinion publique et gagner davantage la sympathie de tout le peuple à la lutte des chômeurs. On ne pouvait y parvenir seulement par des manifestations politiques qui n’avaient d’ailleurs pas de but concret. Nous nous souvenons tous de la grande impression que les marches de la faim en Angleterre et aux États-Unis ont produite dans le monde entier. Mais l’impression sur toute l’opinion publique aurait été beaucoup plus grande si vraiment la totalité des chômeurs affamés était descendue dans la rue avec femmes et enfants en exigeant tout simplement du pain et des secours.

5. Les communistes n’ont pas su non plus populariser les mots d’ordre qui, par leur contenu concret, auraient pu mobiliser les chômeurs pour la lutte contre le Capital et lier également à cette lutte les masses des ouvriers qui travaillent.

Il s’agit de revendications telles que confisquer les stocks au profit des chômeurs, imposer spécialement les capitalistes, mise en régie des entreprises qui ferment ou qui licencient leur personnel et d’autres analogues. Les communistes ont bien lancé de telles revendications dans quelques pays, mais, le plus souvent, ils ne l’ont pas fait au moment opportun, leur popularisation n’a pas été faite dans d’assez larges proportions et, surtout, on n’a pas lutté sérieusement pour elles.

6. On n’a pas trouvé non plus tous les moyens possibles de faire secourir les chômeurs par l’État et les organismes publics.

Je ne veux citer qu’un exemple tiré de l’Union soviétique. Lorsqu’en 1921, la famine sévissait dans l’Union soviétique, les masses populaires ont forcé le clergé de l’Église chrétienne, le plus réactionnaire, à céder, pour secourir les affamés, l’or et l’argent qu’il avait amassés. De même, les masses populaires auraient dû exiger que les possédants, l’Église et l’État en Allemagne, aux États-Unis, en Autriche, en Pologne et dans les autres pays, ouvrissent leurs trésors aux chômeurs mourant de faim.

Il est hors de doute aussi que la position fataliste des chefs de la social-démocratie soutenant qu’il n’y a rien à faire contre la force élémentaire de la crise a influencé tout le prolétariat. Il y a eu dans la direction du mouvement des chômeurs beaucoup trop de simple agitation et pas assez d’initiative pour l’organisation d’une lutte réelle.

Les communistes, qui avaient bien su organiser des milliers et des dizaines de milliers de chômeurs, n’avaient pas encore acquis l’aptitude nécessaire pour en gagner des millions au mouvement.

Telle fut la raison pour laquelle en Allemagne une partie des chômeurs a donné dans le piège des fascistes lorsque ceux-ci ont ouvert leurs soupes populaires pour chômeurs, s’est laissée séduire par leur propagande de la « communauté du peuple », se détournant ainsi de la lutte révolutionnaire. L’activité du mouvement a aussi faibli dans d’autres pays.

Je passe maintenant au mouvement de grèves durant la crise. Si les communistes n’ont pas réussi, durant les premières années de la crise, de 1930 à 1932, à entraîner les ouvriers d’entreprise dans les grèves, si ceux-ci sont restés sourds aux appels des communistes à la grève, la cause en fut dans le sabotage de chaque mouvement de grève par les chefs syndicaux réformistes, dans la conception social-démocrate qu’on ne peut pas faire grève en temps de crise. De plus, l’exclusion en masse des communistes des syndicats avait considérablement affaibli leur influence dans les entreprises sur les ouvriers syndiqués.

Mais, finalement, les ouvriers commencèrent en 1932, dans nombre de pays, à entrer plus fréquemment et spontanément en lutte. Ce désir croissant des masses à recourir à la grève obligea les chefs syndicaux à s’y résigner et même à se mettre à leur tête.

En dépit de cette politique de la social-démocratie visant à empêcher de grandes luttes, des groupes avancés de travailleurs engagèrent sans cesse la lutte politique contre le Capital, montrant ainsi la voie juste à des millions et des millions de travailleurs.

Pourquoi les mouvements impétueux des travailleurs n’ont-ils jeté qu’une vive flamme sans résultats sérieux pour la lutte libératrice? Pourquoi n’ont-ils pas tourné en une lutte politique de masse contre l’État bourgeois?

Les causes en résident dans quatre faiblesses essentielles:

1. Ces mouvements étaient pour la plupart spontanés, sans préparation sérieuse, sans rassemblement organique de toutes les forces, sans objectif concret.

Une petite partie seulement de ces mouvements se sont déclenchés à l’appel du Parti communiste.

2. Le Parti communiste s’est bien efforcé de donner à ces mouvements des mots d’ordre concrets, de les élargir, de les porter à un niveau plus élevé de la conscience politique des masses. Mais la social-démocratie et les syndicats réformistes s’y sont opposés de toutes leurs forces. Les Partis communistes n’étaient pas encore assez forts et assez influents pour organiser les masses, qui engageaient spontanément la lutte politique, et leur donner une solide direction.

3. À ces mouvements ont pris part communistes, social-démocrates et inorganisés. Ces masses, entrées spontanément dans la lutte, n’auraient pu garder leur cohésion et être conduites plus avant dans la lutte que si l’on avait créé un front unique entre les organisations communistes et social-démocrates. Mais la social-démocratie s’opposait à un tel front unique et l’a rendu impossible.

Il eut fallu aussi constituer des organismes permanents, élus par les masses, composés de communistes, de social-démocrates et de sans-parti pour diriger la lutte, des organismes possédant une autorité assez grande pour entraîner dans la lutte des masses toujours plus grandes et en même temps assurer à tout le mouvement une direction révolutionnaire. Or, de tels organismes n’ont pas été créés.

4. L’idée de tels organismes permanents a bien surgi dans le mouvement des chômeurs. Mais les comités de chômeurs de villes et de quartiers créés ça et là par les communistes n’avaient ni une base assez large, ni assez d’autorité dans les masses pour accomplir cette grande tâche. Ils n’ont été nulle part un centre politique tant soit peu considérable, un centre d’attraction de la sympathie de tous les travailleurs, ils ne sont pas devenus la chose de toute la classe.

Les Partis communistes, dans les conditions de la crise, avaient assumé une grande et difficile tâche dans la conduite des masses; les communistes devaient compter avec les millions de travailleurs et chercher à entraîner dans le front de lutte toutes leurs couches.

Dans l’accomplissement de ces tâches, les communistes fournirent plus d’un exemple éclatant de travail exemplaire. Mais avec le développement politique précipité et compliqué, leurs mots d’ordre venaient parfois trop tard, ils n’appréciaient pas toujours d’une façon juste le rapport des forces de classe, ils persistaient parfois sur des mots d’ordre et sur des méthodes de lutte qui, encore justes peu de temps auparavant, se trouvaient déjà périmés une fois la situation changée.

Les Partis communistes se sont bien assimilé les constatations importantes du VIe congrès mondial, qu’un nouvel essor révolutionnaire est en train de grandir.

Mais, bien des fois, ils ne se sont pas suffisamment représenté que l’essor révolutionnaire n’est pas séparé de la crise révolutionnaire par une muraille de Chine. Maintes fois, ils se sont fait une idée par trop simpliste de la façon dont les masses ouvrières rom­pront avec leurs vieux chefs réformistes et se rallieront à la lutte révolutionnaire.

Dans un certain nombre de cas, les communistes ont surestimé la maturité politique des masses et ont pensé qu’on n’avait plus besoin d’un travail difficile et opiniâtre pour apprendre aux masses la lutte politique et les convaincre de sa nécessité. Ils ont pensé qu’il suffisait de populariser le pouvoir soviétique, d’expliquer aux masses le programme que les communistes réaliseront après la prise du pouvoir pour inciter aussitôt les ouvriers à les suivre. Ces idées erronées ont fait que certains Partis communistes sont devenus temporairement de simples organismes de propagande de notre programme au lieu de lier à la propagande du programme la tâche de lancer en temps opportun dans les masses des mots d’ordre qui les mobilisent à l’étape donnée de la lutte.

Les communistes avaient oublié dans leur travail syndical ce que le camarade Staline avait dit le 9 mai 1925 à la réunion des militants de Moscou [Staline: les Questions du léninisme]  :

Si les Partis communistes veulent devenir une véritable force de masse qui soit capable de faire avancer la révolution, il faut qu’ils se lient aux syndicats et s’appuient sur eux.

Le camarade Staline avait signalé que certains communistes [Staline: les Questions du léninisme]ne comprennent pas que les simples ouvriers, membres des syndicats, que ceux-ci soient bons ou mauvais, voient en eux les forteresses qui les aident à défendre leurs salaires, leur journée de travail, etc.

C’est précisément pendant la crise où s’abattit une grande misère sur les masses travailleuses que le simple ouvrier sentit d’une façon particulièrement forte que son syndicat, si mauvais qu’il puisse être, n’en est pas moins en état de défendre ses droits et de lui assurer une aide matérielle, fût-ce minime, que ce syndicat n’en constitue pas moins une certaine force, et c’est pour cette raison qu’il ne voulait pas rompre avec lui.

Dans un certain nombre de pays, les communistes ont commis la faute de ne pas tenir compte de cet état d’esprit des masses, de ne pas travailler dans les syndicats et aussi de ne pas savoir changer à temps leur attitude envers eux, de ne pas savoir passer du front unique seulement par en bas au front unique avec les organisations. En Allemagne, au moment de l’offensive du fascisme, certains communistes ont même parlé de la nécessité de « détruire » les syndicats réformistes, contribuant ainsi à isoler les communistes des ouvriers organisés.

Aux États-Unis, les communistes ont déclaré pendant longtemps que la Fédération américaine du travail (AFL) était une organisation purement capitaliste, de briseurs de grèves, ne voyant que son leader Green et ignorant les ouvriers. C’est d’une façon bien plus tardive encore, et même en Allemagne seulement après la prise du pouvoir par Hitler, que les communistes ont donné le mot d’ordre clair: « Défense des syndicats libres », puis, plus tard: « Rétablissement des syndicats libres ». Il fallut beaucoup de temps pour que les communistes comprennent dans d’autres pays la grande importance du travail dans les syndicats.

Une faute aussi grande que celle de sous-estimer le danger fasciste fut, d’autre part, de voir le fascisme même là où il n’existait encore pas.

Cette faute venait de ce que certains publicistes communistes ont interprété d’une façon mécanique ce que signalait le VIe congrès, à savoir que la bourgeoisie cherche à se servir de plus en plus des méthodes de domination fasciste.

En Allemagne, les communistes ont pensé assez longtemps que le gouvernement Hermann Müller réalisait là fascisation, que le gouvernement Brüning était déjà un gouvernement de dictature fasciste. D’autre part, ils ont sous-estimé le mouvement hitlérien, s’imaginant qu’en un pays comme l’Allemagne, où la classe ouvrière était organisée à un degré élevé, il serait impossible aux hitlériens de prendre le pouvoir et que les masses petites-bourgeoises qui affluaient spontanément aux hitlériens leur tourneraient aussi rapidement le dos.

Ces conceptions erronées de la nature du fascisme, cette absence d’une analyse sérieuse du fascisme italien et polonais ont fait que les communistes n’ont pas été capables de lancer à temps des mots d’ordre pour défendre contre le fascisme passé à l’attaque ce qui restait encore de démocratie bourgeoise et d’exploiter les antagonismes au sein de la bourgeoisie.

En Allemagne, c’est seulement à l’élection de la présidence à la Diète prussienne en 1932 que les communistes ont déclaré qu’ils voteront pour les candidats de la social-démocratie et du Centre pour empêcher l’élection des fascistes.

Même en Pologne, où, après 1926, les communistes se sont livrés plus que dans beaucoup d’autres pays à l’étude du fascisme et ont lancé dans les masses des mots d’ordre de lutte contre la destruction des restes des libertés démocratiques bourgeoises, lorsque le bloc « centriste des gauches » a été créé, les communistes n’ont pas été capables d’exploiter les divergences entre le camp gouvernemental et le camp de l’opposition bourgeoise-démocratique.

Ces fautes provenaient de l’idée absolument fausse que tous les partis bourgeois sont fascistes, « qu’il n’y a pas deux méthodes de domination de la bourgeoisie », qu’il ne sied pas aux communistes de défendre les restes de la démocratie bourgeoise.

Tant que nous ne pouvons pas remplacer la démocratie bourgeoise par la démocratie prolétarienne, par la dictature du prolétariat, le prolétariat est intéressé à tout lambeau de la démocratie bourgeoise et doit s’en servir pour préparer les masses au renversement du Capital, à la conquête de la démocratie prolétarienne.

De telles conceptions sectaires, qui n’ont rien de commun avec les enseignements de Marx, Engels, Lénine, Staline, ni avec les décisions du VIe congrès de l’I.C., ont freiné les progrès de l’influence des Partis communistes et empêché notamment la conquête des ouvriers social-démocrates à la lutte commune.

À cette étape de notre lutte, le caractère rétrograde de notre action pour la conquête des alliés du prolétariat parmi les paysans et la petite bourgeoisie des villes se fit sentir avec une force extraordinaire. Nous avons bien triomphé de la sous-estimation de principe et du mépris corporatif des vieux Partis social-démocrates pour les masses petites-bourgeoises, selon lesquels le prolétariat ne saurait se commettre avec les masses petites-bourgeoises. Néanmoins, dans la plupart des pays, abstraction faite de la Pologne et des Balkans, les communistes, jusqu’au moment de la crise, n’ont guère été au-delà de la simple reconnaissance de principe de la nécessité du travail dans les masses petites-bourgeoises des villes et des campagnes.

Bien que l’influence et l’importance du Parti communiste dans les masses travailleuses se fussent puissamment accrues, les communistes ne furent pas assez forts pour briser l’influence des chefs du Parti social-démocrate et des syndicats sur les grandes masses ouvrières et empêcher ainsi ceux-ci de détourner au nom de la simple discipline les masses de la lutte.

C’est précisément la faiblesse de la classe ouvrière, provoquée par sa division et par la trahison de la social-démocratie envers les intérêts des ouvriers, qui a permis à la bourgeoisie allemande de profiter des flottements de la petite bourgeoisie et de la paysannerie pour attirer momentanément ces couches dans le camp du fascisme. Les communistes allemands n’ont pas assez rapidement tenu compte de l’importance extrême du joug de Versailles qui faisait peser un fardeau inouï sur les masses travailleuses, ils n’ont pas été assez habiles pour utiliser la situation ainsi créée dans l’intérêt de la lutte de classe. Ils ont permis à la bourgeoisie allemande de mettre la haine contre le joug de Versailles au service du maintien de sa domination.

***

La victoire du fascisme en Allemagne n’a nullement inauguré, comme le prédisaient les social-démocrates, une longue période de réaction. Bien au contraire, on peut constater dans le monde entier « une tendance à la maturation la plus accélérée de la crise révolutionnaire », ainsi que le soulignait la XIIIe assemblée plénière. Dans le monde entier, « l’idée de l’assaut contre le capitalisme mûrit dans la conscience des masses », comme l’a formulé le camarade Staline au XVIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S.

C’est dans cette situation que l’Union soviétique conquiert toujours davantage le cœur et l’esprit des travailleurs et leur montre le chemin de la lutte. C’est dans cette situation que la victoire du socialisme incite des millions de travailleurs à changer totalement d’opinions et d’idées. C’est dans cette situation que s’accomplit un revirement dans l’esprit des grandes masses travailleuses et ayant tout dans l’esprit des ouvriers membres des Partis social-démocrates et de ceux qui sont organisés dans les syndicats réformistes.

Les premières formes où s’est exprimé ce revirement, furent, premièrement, le front unique du prolétariat mondial organisé spontanément à une large échelle pour défendre les inculpés de Leipzig, où la défense courageuse du communisme par notre camarade Dimitrov eut une grande importance historique pour l’établissement du front unique; deuxièmement, le passage des ouvriers à la riposte active contre le fascisme dans leur propre pays. Le prolétariat ne recule déjà plus sans lutte devant le fascisme comme cela eut lieu en Allemagne, mais il répond à l’offensive fasciste par la grève générale en France, en février 1934, par la lutte armée en Autriche en février 1934, et en Espagne en octobre 1934.

Mais pourquoi donc la lutte armée du prolétariat en février 1934 en Autriche et en octobre 1934 en Espagne, n’a pas mené à la victoire du prolétariat contrairement à l’insurrection armée d’octobre 1917 en Russie?

En avril 1931, la monarchie fut renversée en Espagne, comme elle le fut en Russie en février 1917. La révolution bourgeoise démocratique commença en Espagne. À l’encontre des bolchéviks qui ont lutté dans les Soviets pour la continuation de la révolution, les socialistes espagnols sont entrés comme ministres dans le gouvernement d’Azaña, suivant ainsi l’exemple des menchéviks et des socialistes révolutionnaires russes qui étaient entrés alors comme ministres dans le gouvernement de Kérenski.

Que firent les ministres socialistes espagnols, que fit tout le Parti socialiste espagnol au cours des trois années de la révolution, ce même Parti socialiste qui, en octobre 1934, appela les ouvriers à la lutte armée?

Au lieu de lutter pour le désarmement de la garde civile fasciste réactionnaire, les socialistes espagnols ont voté des crédits pour son développement ultérieur et soutinrent la création de la garde d’assaut, laquelle, tout comme la garde civile, devint le détachement de choc de la contre-révolution contre la classe ouvrière et la paysannerie révolutionnaire.

Au lieu de lutter pour l’éloignement des officiers réactionnaires et pour la démocratisation de l’armée, ils laissèrent les coudées franches aux réactionnaires dans l’armée. Au lieu de désarmer les ennemis du peuple, les fascistes, et de les mettre en prison, ils poursuivirent les communistes et promulguèrent la loi pour la défense de la République, sur la base de laquelle sont jugés les participants des combats d’Octobre, socialistes et communistes.

Ils ne touchèrent pas aux terres, aux propriétés et aux droits de l’Église réactionnaire ainsi qu’à ceux des couvents et ne donnèrent pas de terre aux paysans qu’il fallait gagner à la révolution.

Ils n’introduisirent pas de contrôle ouvrier sur la production, ils n’améliorèrent pas la situation des ouvriers et ne les armèrent pas pour la défense de la révolution. Au lieu d’acculer la bourgeoisie réactionnaire à une impasse, ils lui permirent de s’organiser et de s’armer.

En Autriche, il n’y avait pas de situation révolutionnaire avant les combats armés, comme c’était le cas en Espagne, mais le prolétariat autrichien avait cet avantage que la majorité écrasante des ouvriers était organisée en un parti et dans les syndicats suivant ce parti et que le pourcentage du prolétariat dans ce pays était extraordinairement élevé.

Mais le Parti social-démocrate, que suivaient 90 % des prolétaires autrichiens, n’était pas un parti révolutionnaire ayant préparé systématiquement et d’après un plan la lutte pour la victoire du prolétariat. Ce parti avait encore aidé pendant la révolution de 1918 à 1920 la bourgeoisie à prendre le dessus et s’était contenté du fait qu’il restait à la classe ouvrière des droits démocratiques de pure forme et quelques conquêtes sociales.

Lorsque les fascistes engagèrent la lutte contre la démocratie bourgeoise, les chefs de la social-démocratie reculèrent pas à pas, abandonnant les unes après les autres les conquêtes de la révolution de 1918.

Les forces de combat de la bourgeoisie se développèrent, tandis que celles du prolétariat s’affaiblirent. La foi des masses travailleuses dans la possibilité d’une amélioration de leur situation sous la direction social-démocrate disparut.

C’est une ridicule entreprise de la part d’Otto Bauer de vouloir maintenant, après que la social-démocratie autrichienne a désorganisé les travailleurs par sa façon d’agir et n’a pas préparé la lutte, essayer de prouver qu’il a agi d’après l’exemple des bolchéviks en adaptant seulement la tactique des bolchéviks « asiatiques » aux conditions « européennes ».

L’insurrection armée doit être préparée comme la cause de toute la classe ouvrière. Pour cela il faut gagner la majorité du prolétariat; il y a plus, il est indispensable d’avoir le soutien de la lutte par la majorité des travailleurs. Les socialistes espagnols et autrichiens, par contre, ont fait de l’insurrection une affaire des seules formations de combat.

Pour qu’une insurrection triomphe, il est nécessaire de choisir le moment le plus favorable au prolétariat, les socialistes espagnols et autrichiens, par contre, ont depuis longtemps laissé échapper l’initiative de leurs mains, abandonnant aux fascistes le soin de fixer le moment du combat.

Pour le succès d’une insurrection armée, il est nécessaire que les masses connaissent clairement les objectifs de lutte poursuivis. Or, les chefs social-démocrates espagnols et autrichiens n’ont pas formulé ces objectifs de lutte. Ils n’avaient pas saisi les armes pour renverser la bourgeoisie, mais uniquement pour faire pression sur la bourgeoisie et se défendre contre son offensive.

Le prolétariat russe forma en 1917 des Soviets en tant qu’organismes capables de grouper tous les ouvriers, paysans, employés, soldats et marins.

Les bolchéviks ont lutté pour la direction des masses au sein des Soviets. Les bolchéviks ont transformé les Soviets en organismes de la préparation et de la réalisation de l’insurrection prolétarienne.

En Espagne, par contre, Largo Caballero déclara qu’on n’avait pas besoin de Soviets parce que la classe ouvrière entière était organisée dans les syndicats et dans les partis. Est-ce juste? Non, absolument pas. En Espagne, comme dans tous les autres pays capitalistes, la majorité des ouvriers n’est pas organisée.

En se prononçant contre la formation des Soviets, Largo Caballero et les socialistes espagnols voulaient transformer l’insurrection qui ne peut être que la cause de la classe ouvrière entière en la cause du Parti socialiste ou en celle d’un bloc des partis pour atténuer la force du mouvement et son caractère de masse.

En Autriche, Bauer et Deutsch ne pensaient guère à des organismes de masse de préparation et de direction de la lutte, mais ils suivaient la vraie méthode blanquiste en abandonnant la cause de la lutte armée uniquement au Schutzbund qui luttait isolément. Il aurait suffi de leur part d’appeler les masses à la lutte pour créer en quelques jours des organismes qui eussent été capables de mobiliser pour le combat les larges masses des travailleurs et d’organiser l’appui des Schutzbündler en lutte. Cela aurait changé tout le cours du développement ultérieur des combats à l’avantage du prolétariat.

Cependant, les socialistes autrichiens et espagnols trouvèrent également opportun de négliger au moment de la lutte armée l’expérience de la Révolution russe. Des milliers de prolétaires durent payer de leur vie et de tortures inouïes cet oubli voulu de l’expérience russe.

Nous reconnaissons le fait important que tant en Espagne qu’en Autriche, une partie des chefs social-démocrates, bien que ce ne fût que sous la pression des masses, se sont décidés à la lutte armée contre la bourgeoisie. Les communistes les ont appuyés de façon déterminée.

En Espagne, les communistes adhérèrent à l' »Alliance ouvrière », bien qu’ils n’eussent aucune influence sérieuse dans celle-ci. En Espagne comme en Autriche, les communistes combattirent dans les premiers rangs, car la place des communistes est partout où on mène la lutte. Mais précisément l’expérience de ces combats armés qui se sont déroulés sous la direction social-démocrate montre que sous cette direction le prolétariat ne peut pas vaincre.

Les succès de la lutte armée dans les Asturies, où fut organisée la garde rouge, où, sous la direction des communistes, la lutte armée s’est développée en une véritable insurrection, confirment ce que la révolution russe a déjà démontré: que pour le succès de la lutte armée du prolétariat une direction communiste bolchévik est nécessaire. Mais par suite de la faiblesse et de la jeunesse des Partis communistes, tant en Espagne qu’en Autriche, cette direction n’a pas existé.

Aussi les éléments révolutionnaires du Schutzbund en ont-ils tiré les conclusions justes, en passant dans les rangs du Parti communiste, montrant ainsi qu’ils ne considéraient pas la lutte comme terminée.

La lutte en France qui prit des proportions particulièrement considérables en février 1934, reste, dans sa manifestation extérieure, à un degré de lutte plus bas qu’en Espagne et en Autriche, mais du fait que les sections de lutte du prolétariat français furent tournées au moment nécessaire contre le fascisme, elles exerçaient une influence plus grande sur le développement de la lutte prolétarienne dans tous les pays.

Quel est le fait distinctif de la lutte en France?

Lorsque les bandes fascistes pour la première fois descendirent en masse dans les rues de Paris, le prolétariat français ne se laissa pas endormir comme en Allemagne par la théorie du moindre mal et par le bavardage sur la démocratie de pure forme, mais sans distinction de parti, il déferla dès la première offensive fasciste dans les rues pour faire face au fascisme par la manifestation politique puissante du 9 février et par la grève générale politique du 12 février 1934. Ce faisant le prolétariat français a repoussé la première grande offensive des fascistes en France.

Par cette action le prolétariat contraignit le Parti socialiste français à accepter d’établir le front unique avec le Parti communiste, bien qu’avec de grandes hésitations. Cela fut la base des actions antifascistes communes de l’ensemble du mouvement ouvrier organisé qui exercent une influence énorme sur la majorité inorganisée de la classe ouvrière et des masses petites-bourgeoises dans les villes et les campagnes.

Notre Parti communiste français, puissamment accru et faisant preuve de grande initiative, ne s’est pas contenté d’établir le front unique avec les socialistes, mais il a établi un programme de revendications qui attaquent la bourgeoisie en pleine chair.

Le Parti communiste français par sa façon d’agir a posé les fondements d’un large front populaire en vue de la lutte contre le fascisme et la guerre, qui attire des couches de plus en plus larges de paysans, de la petite bourgeoisie urbaine et des intellectuels, amène au mouvement les adhérents du Parti radical-socialiste et assure, de plus en plus, au prolétariat révolutionnaire l’hégémonie et la direction de la lutte de tous les travailleurs.

La lutte du prolétariat français a une grande importance internationale.

Les succès du prolétariat français qui, en février 1934, a refoulé le premier assaut de masse des fascistes, ,grâce au front unique des communistes et des socialistes, qui, le 14 juillet 1935, a déclenché sa formidable marche de lutte contre le fascisme, ont montré aux travailleurs de tous les pays, que seule la lutte commune des travailleurs sur la base d’une tactique révolutionnaire peut repousser l’offensive du Capital et du fascisme et mettre fin aux manœuvres des instigateurs de la guerre.

La lutte du prolétariat français a montré à tous les travailleurs comment doit agir le prolétariat dans les pays capitalistes pour repousser les attaques du fascisme et pour marcher à la conquête de la dictature du prolétariat, au socialisme.

L’accord de front unique entre les socialistes et les communistes en France, auquel les socialistes n’ont consenti que sous la pression des masses, contre la volonté expresse de l’Exécutif de la IIe Internationale, a montré le chemin aux social-démocrates de gauche dans tous les pays.

Des accords de front unique se sont réalisés entre les communistes et les socialistes en Autriche, en Espagne, en Italie, et des actions de masse de la classe ouvrière sur la base du front unique ont eu lieu en Angleterre, aux États-Unis, en Pologne, en Tchécoslovaquie et dans beaucoup d’autres pays où les dirigeants des Partis socialistes de même que l’Exécutif de la IIe Internationale continuent à décliner tout accord avec les communistes.

Le mouvement de front unique des travailleurs se fraie la voie dans tous les pays capitalistes, quoi que fassent les chefs de la social-démocratie pour s’opposer dans la pratique à l’entente avec les communistes, quelle que soit chez les chefs la peur de l’influence révolutionnaire du front unique ·avec les communistes sur les masses qui les suivent.

Le mouvement pour le front unique signifie beaucoup plus que l’addition arithmétique des forces des deux partis ouvriers. La majorité de la classe ouvrière dans les pays capitalistes est inorganisée et dans beaucoup de pays elle suit encore les partis bourgeois.

Le front unique du mouvement ouvrier signifie une telle augmentation de ses forces qu’il devient une force d’attraction puissante pour les masses prolétariennes jusqu’à présent sans conscience de classe, qu’il les détache des partis bourgeois et les entraîne dans la lutte de classe.

***

Le développement des événements historiques dépend aujourd’hui plus que jamais du degré de conscience et d’organisation de la classe ouvrière, d’une tactique habile et intelligente des communistes, de la puissance et des effectifs de l’Internationale communiste.

Le camarade Staline a dit dans son rapport au XVIIe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. en janvier-février 1934 [ Staline: les Questions du léninisme Staline: Deux mondes] :

Certains camarades pensent qu’aussitôt que commence une crise révolutionnaire. force est à la bourgeoisie d’entrer dans une situation sans issue, que sa fin est donc déjà déterminée à l’avance, que la victoire de la révolution s’en trouve déjà assurée et qu’ils n’ont qu’à attendre simplement le renversement de la bourgeoisie et à écrire des résolutions de victoire. C’est une grave erreur; la victoire de la révolution ne vient jamais d’elle-même, il faut la préparer et remporter de haute lutte. Or, seul un fort parti prolétarien révolutionnaire peut la préparer et la gagner. Il y a des moments où la situation est révolutionnaire, où le pouvoir de la bourgeoisie est ébranlé jusqu’aux fondements, mais où la victoire de la révolution, néanmoins, n’arrive pas, parce qu’il n’y a pas de parti révolutionnaire du prolétariat possédant assez de force et d’autorité pour conduire les masses et pour prendre le pouvoir entre ses mains. Il serait absurde de croire que de pareils “cas” ne peuvent pas se produire.

Nous devons avouer que de pareils “cas” se répètent, que de pareils “cas” peuvent encore se répéter, si nous ne tenons pas compte de l’avertissement du camarade Staline et si nous ne faisons pas tout ce qui est possible et nécessaire pour renforcer les Partis communistes et veiller à ce qu’ils acquièrent la possibilité de conquérir la majorité du prolétariat.

La période entre les VIe et VIIe congrès mondiaux de l’Internationale communiste a été, comme je l’ai déjà dit auparavant, une période de revirement dans les masses ouvrières en faveur de la lutte révolutionnaire, une période d’accroissement rapide de l’influence des Partis communistes sur les masses et en même temps une période de consolidation organique et politique des Partis communistes.

Cette consolidation politique et organique des Partis communistes s’est réalisée dans la lutte contre les éléments de droite qui poussaient le Parti à capituler devant la social-démocratie. Aussitôt après le VIe congrès mondial, ce fut le soulèvement des droitiers contre la ligne du congrès: Brandler en Allemagne, un peu plus tard Lovestone aux États-Unis, Jilek en Tchécoslovaquie, Kilbom en Suède, Sellier et plus tard Doriot en France.

Cependant, ni en Allemagne, ni aux États-Unis, ni en Tchécoslovaquie, ni en France, les opportunistes de droite n’ont réussi à entraîner à leur suite une partie tant soit peu importante des membres du Parti. Ce n’est qu’en Suède que le groupe de Kilbom réussit à scinder le Parti communiste de Suède, par suite d’un travail d’explication défectueux et des fautes des partisans de la ligne de l’IC, et à détacher de l’IC une partie des ouvriers révolutionnaires.

Dans la lutte contre les droitiers, de même que dans la lutte simultanée contre les conceptions sectaires “de gauche” menant le Parti à l’isolement des larges masses, les Partis communistes se sont suffisamment trempés pour se défendre de l’influence opportuniste.

Par suite de la consolidation au sein du Parti, grâce à l’expérience recueillie dans la nouvelle étape de lutte et d’éducation sérieuse des cadres, les Partis communistes sont parvenus à un nouveau degré, à un degré supérieur. On en trouve le témoignage dans les combats héroïques de l’Armée rouge chinoise à la tête de laquelle sont des paysans, des ouvriers agricoles, des étudiants, qui, au cours de ces sept années, ont été éduqués par le Parti et se sont développés en organisateurs et guides marquants des masses et en hommes d’État prolétariens.

On en trouve le témoignage dans le travail du Parti communiste d’Allemagne, dans le travail de ses cadres de base, qui malgré la désorganisation fréquente de la direction centrale par la Gestapo (police secrète d’État) et une atroce terreur moyenâgeuse, savent s’orienter d’une façon indépendante dans les questions politiques compliquées, publient des milliers de journaux illégaux et organisent la lutte des ouvriers contre les nationaux-socialistes. On en trouve le témoignage dans la tactique habile du PC de France qui a amené l’établissement du front unique et l’union des larges masses du peuple pour la lutte contre l’offensive des fascistes.

On en trouve le témoignage dans les combats d’Octobre en Espagne, où cinq ans auparavant, il n’y avait encore qu’un insignifiant groupe de propagande communiste, dirigé par des éléments semi-trotskistes qui, plus tard, brisèrent avec l’IC, mais où au cours des dernières années, fut fondé un fort Parti communiste qui a dirigé les combats armés dans une importante partie des Asturies.

Les sept années écoulées ont montré au monde que partout où les masses travailleuses commencent la lutte contre le joug impérialiste, contre le rançonnement des travailleurs par la haute finance, les banques et les trusts, pour la défense de la liberté des peuples et pour la culture humaine, les communistes ont lutté dans les tout premiers rangs.

Au cours des sept années écoulées, le monde a pu se persuader de la fermeté et de l’abnégation, du dévouement illimité des cadres de l’Internationale communiste à la cause de la lutte pour la libération de tous les exploités et opprimés.

Souvenez-vous de l’attitude de Dimitrov au procès de Leipzig, rappelez-vous les procès contre Rakosi en Hongrie, Antikaïnen en Finlande, Fiete Schulze en Allemagne, souvenez-vous de la mort héroïque des camarades Tsou-tsu-bo (Strakhov), de Lütgens, Kofardjiev, souvenez-vous enfin des nombreux héros et victimes de la grande lutte de libération dans tous les pays du monde.

Face à l’abandon impétueux du réformisme par les masses, à la menace de la révolution prolétarienne, la bourgeoisie procède à la suppression des derniers vestiges des libertés démocratiques bourgeoises et des organisations du prolétariat, y compris celles des Partis social-démocrates et des syndicats.

Par suite de cette offensive de la bourgeoisie contre les organisations ouvrières, sur les 67 sections de l’Internationale communiste, dans les pays capitalistes, 22 sections seulement, dont onze en Europe, peuvent aujourd’hui travailler légalement ou semi-légalement, 45 sections, dont 15 en Europe, sont contraintes de travailler dans la plus stricte illégalité et dans les conditions de la terreur la plus cruelle. Dans le nombre, il y a quelques pays comme l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, la Lettonie où les fascistes ont détruit toutes les organisations du prolétariat, y compris aussi celles des Partis social-démocrates et des syndicats et poussent de force les ouvriers dans les organisations fascistes.

Je passe maintenant à l’état d’organisation de nos sections. Dans tous les pays nos sections ont grandi politiquement et numériquement. Mais les progrès d’organisation ne répondent pas à l’accroissement de notre influence et il peut en résulter que les Partis communistes soient incapables de se montrer pleinement à la hauteur de la tâche formidable que .leur impose la situation politique dans la question de la direction des masses.

Les progrès d’organisation des sections de l’Internationale communiste dans les pays où le mouvement est légal se heurtent aujourd’hui, avant tout, à un certain nombre de défauts dans le recrutement de nouveaux membres, dans le travail de leur éducation, ainsi que dans le développement des organisations du Parti. C’est ce qui ressort tout particulièrement dans les fluctuations, c’est-à-dire que les nouveaux membres nouvellement gagnés au parti ou bien n’entrent pas réellement dans ses rangs, ou le quittent à nouveau au bout de quelques mois.

Beaucoup parmi les ouvriers nouvellement affiliés au Parti sont politiquement encore peu éduqués, ne sont pas encore suffisamment actifs et disciplinés. Il faut donc que l’organisation du Parti s’occupe beaucoup d’eux pour en faire des communistes voulant lutter et des militants du Parti. Or, c’est précisément de cela que souvent les anciens membres se préoccupent fort peu. Le développement organique des sections de l’Internationale communiste dans les pays où le mouvement est illégal se trouve fortement entravé par les mesures de répression policière et par la peur de la pénétration de provocateurs dans l’organisation. Mais dans les sections illégales, les nouveaux adhérents, en règle générale, sont mieux éduqués, mieux disciplinés et plus actifs. Cependant là, également, de grands défauts se manifestent.

Très souvent les cellules ne sont pas des organisations politiques examinant les diverses questions politiques, ce qui ne s’explique nullement par les besoins éventuels de la conspiration. Les cellules ne sont souvent que des organisations qui encaissent les cotisations ou répartissent les fonctions du travail du Parti.

Dans beaucoup d’organisations, aussi bien dans les sections légales qu’illégales, règne une peur sectaire de l’afflux d’anciens ouvriers social-démocrates. Ce sectarisme, dans maintes organisations d’Allemagne, a atteint un tel point qu’on a établi pour les anciens social-démocrates des conditions spéciales d’admission ou qu’on les a groupés dans des cellules spéciales, en formulant même souvent, à leur égard, des exigences politiques trop élevées. Une telle façon de traiter les anciens social-démocrates témoigne d’une incompréhension totale du revirement qui se produit parmi les masses social-démocrates.

Ce revirement ressort de l’exemple de notre Parti autrichien qui, aujourd’hui, se compose, pour plus des 2/3, de camarades qui, il y a une année encore, étaient dans le Parti social-démocrate et sont aujourd’hui des membres fidèles, dévoués et actifs du Parti communiste d’Autriche. Et il en est ainsi non seulement des simples membres du rang de la social-démocratie, mais également des anciens militants social-démocrates.

Je voudrais ici indiquer deux secteurs particulièrement importants du travail d’organisation de nos Partis qui sont précisément les plus négligés, c’est le travail parmi les femmes et parmi les jeunes. Les prémices dans tous les pays sont des plus favorables, précisément à. l’heure actuelle, pour les gagner à la lutte révolutionnaire.

Le- travail des communistes dans les syndicats et dans les autres organisations groupant des masses ouvrières est la condition première, décisive pour le succès du travail de masse des communistes et pour la conquête des masses par les Partis communistes. Sans assurer leur influence sur les masses des membres de ces organisations, il ne saurait être question pour les Partis communistes de conquérir la majorité de la classe ouvrière.

Dans les pays où toutes les organisations ouvrières sont détruites par les fascistes, les communistes ne pourront toucher les grandes masses ouvrières s’ils n’utilisent toutes les possibilités légales ou semi-légales, s’ils ne travaillent dans les syndicats fascistes en Italie et en Autriche, ainsi que dans les rangs du soi-disant « Front du travail » en Allemagne, si dans ces organisations ils ne luttent pour conquérir l’influence sur les masses, pour leur direction.

Notre mot d’ordre, dans la lutte pour la conquête de la majorité du prolétariat pour le Parti communiste est: élargir le front, pénétrer plus profondément dans toutes les organisations de masse.

La tâche de notre travail au sein du Parti est: renforcer le Parti et élever le niveau politique de ses organisations.

D’une manière générale, je ne veux souligner tout particulièrement qu’un seul point. Un nombre de plus en plus grand de Partis communistes qui, au moment du VIe congrès mondial, n’étaient encore que de simples groupes de propagande, commencent aujourd’hui à se transformer en partis de masse et à devenir des facteurs politiques importants dans leur pays. Dans tous les Partis communistes des grands pays, il s’est déjà formé des organismes dirigeants fidèles à nos principes et capables de résoudre de façon indépendante, en se basant sur les décisions de nos congrès et assemblées plénières, les questions politiques et tactiques les plus complexes de leur pays.

Ce fait modifie les fonctions du Comité exécutif de l’Internationale communiste et permet au CE de l’IC de porter le centre de gravité de son activité sur l’élaboration de l’orientation politique et tactique fondamentale du mouvement ouvrier international, étant bien entendu que pour la solution de toutes les questions il faut partir des conditions concrètes et des particularités de chaque pays donné, se faire une règle d’éviter l’immixtion dans les questions d’organisation intérieure des différents Partis et venir en aide à tous les Partis pour la consolidation d’organismes dirigeants véritablement bolchéviks, dans la question de l’agitation, de la propagande et de l’utilisation internationale de l’expérience du mouvement communiste mondial.

Il faut que nous donnions à notre travail une impulsion beaucoup plus forte et il ne doit pas y avoir aujourd’hui, ni dans la politique intérieure et extérieure des pays, ni dans les rapports réciproques entre le Parti et les groupes, de questions sur lesquelles les communistes ne portent pas leur attention, au sujet desquelles ils ne prennent pas position, afin d’influencer tout le cours du développement historique.

***

Quelles sont les perspectives du développement mondial, quelles sont les perspectives de la révolution mondiale?

Le système capitaliste est ébranlé jusque dans ses fondements par le développement de la crise générale du capitalisme, par la crise économique mondiale, par le révolutionnement croissant des travailleurs et par les symptômes de la crise politique qui se manifestent dans nombre de pays.

Les forces de la bourgeoisie se sont affaiblies, les forces du prolétariat se sont consolidées. Le rapport des forces à l’échelle mondiale a changé en faveur du socialisme, au détriment du capitalisme.

L’Union soviétique est devenue le facteur le plus puissant et le plus important dans la lutte mondiale pour le socialisme. Si, au moment du VIe congrès mondial de l’IC elle était encore un État relativement faible qui ne possédait pas de grande industrie digne d’être mentionnée, aujourd’hui l’Union soviétique est devenue une grande puissance socialiste, regorgeant de forces au point de vue économique et politique, qui s’appuie sur une industrie lourde parachevée et sur la meilleure technique moderne.

Aujourd’hui l’Union soviétique, par l’ensemble de sa politique, a une influence de plus en plus forte sur les destinées du capitalisme mondial et sur le développement de la lutte pour la libération du prolétariat mondial et des peuples des pays coloniaux et dépendants. C’est dans cette influence de plus en plus croissante de la victoire du socialisme dans l’Union soviétique sur le développement mondial et sur la conscience des masses travailleuses des pays capitalistes que se manifeste l’importance mondiale de la victoire du socialisme dans un seul pays, car c’est une victoire qui ne peut rester isolée, mais qui mène à la victoire du socialisme dans le monde entier.

C’est dans la victoire du socialisme en U.R.S.S. et les perspectives illimitées du développement ultérieur de l’U.R.S.S., dans la voie du socialisme, que nous puisons l’assurance que notre influence sur les masses travailleuses du monde entier s’accroîtra avec une rapidité énorme, que la victoire du socialisme orientera vers le communisme la classe ouvrière de tous les pays et entraînera la victoire du socialisme dans le monde entier.

Mais le système capitaliste n’abandonnera pas sans lutte l’arène de l’histoire mondiale.

Le système capitaliste est affaibli, mais le capitalisme a réussi à remonter du point le plus bas de la crise économique. Cependant, trois ans après que fut dépassé ce point le plus bas de la crise, malgré l’influence notoire des préparatifs de guerre sur l’accroissement de la production, la production dans la majorité des pays n’a néanmoins pas atteint à nouveau le niveau de la période d’avant la crise.

Cette situation économique, qui est caractérisée par une dépression de nature particulière, qui condamne dans tous les pays capitalistes des dizaines de millions de chômeurs à la famine et à l’extinction et des centaines de millions d’ouvriers, de paysans, d’intellectuels, de petits bourgeois et d’esclaves coloniaux à l’indigence, a encore approfondi l’abîme entre le petit groupe de monopolistes du capital financier et les masses fondamentales du peuple vouées à la misère et au désespoir.

La foi dans le capitalisme, dans l’aptitude des chefs et des dirigeants de l’économie capitaliste et de l’État à trouver une issue à la crise et à arriver à une nouvelle prospérité est sapée parmi les larges masses du peuple. L’autorité des impérialistes est affaiblie dans les colonies, tous les fondements économiques, sociaux et politiques de la société bourgeoise sont ébranlés, de sorte que les classe dominantes elles-mêmes sont obligées de recourir à une démagogie anticapitaliste.

Telle est la situation qui, mettant sous les yeux des masses travailleuses de la façon la plus tangible le contraste entre le capitalisme et le socialisme, aggravera rapidement la lutte des opprimés contre leurs oppresseurs, fera rapidement grandir l’indignation des masses contre le régime capitaliste, portera à maturité la crise révolutionnaire et fera mûrir dans la conscience des masses prolétariennes de plus en plus larges l’idée de l’assaut du capitalisme.

Mais il peut arriver que dans quelques pays, l’économie capitaliste surmontant les conditions défavorables à son développement, connaisse encore un essor passager, que la bourgeoisie de ces pays trouve un allégement. Cependant, un tel essor de l’économie capitaliste dans les conditions de l’aggravation générale de la crise du capitalisme ne saurait amener la stabilisation et le reflux de la vague révolutionnaire. Au contraire, cela ne fera que renforcer la lutte entre les différents groupes de la bourgeoisie qui s’empresseront de profiter de la conjoncture améliorée, cela accentuera la lutte sur l’arène internationale, car les marchés sont protégés par de hautes barrières douanières, car en fin de compte l’essor d’un pays quelconque se fera aux dépens d’autres pays qui seront refoulés à l’arrière-plan.

Notre tâche est d’organiser ces masses travailleuses qui se lèvent contre le capitalisme en une armée révolutionnaire cohérente du prolétariat et de la conduire à l’assaut du capitalisme.

Notre congrès mondial doit raffermir la volonté de tous les prolétaires de mettre fin à la division dans la classe ouvrière, d’établir un large front unique capable de mobiliser les plus grandes masses du peuple pour la lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la guerre.

Notre congrès mondial doit montrer au prolétariat la voie vers un parti révolutionnaire unique se plaçant sur le terrain inébranlable du marxisme-léninisme.

Nous, communistes, nous montrons aux masses la seule issue de la crise, l’issue des ouvriers et des paysans de l’Union soviétique, l’issue du pouvoir soviétique.

Notre tâche n’est pas seulement de montrer cette issue aux masses, mais de nous y engager avec elles, à leur tête.

Nous partons en lutte pour la liberté, pour la paix, pour le pain, pour le pouvoir soviétique, pour le socialisme.

Notre principal mot d’ordre est la lutte pour le pouvoir soviétique. Notre drapeau est le drapeau de Marx, d’Engels, de Lénine, de Staline!

Notre chef est Staline!

Sous ce drapeau pénétrons plus profondément dans les masses, resserrons nos liens avec les masses, élargissons le front unique avec le prolétariat!

Communistes! Soudez la classe révolutionnaire en une seule armée politique de millions d’organisés!

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Le 7e congrès de l’Internationale Communiste et l’imminence de la guerre impérialiste

Il était clair que le fascisme signifiait l’accélération de la marche à la guerre impérialiste déjà constatée par l’Internationale Communiste. Comme le formula Wilhelm Pieck, l’alternative historique était la suivante :

« Le socialisme ou le fascisme – telle est la question qui est posée à l’humanité.

Ou bien le socialisme et ainsi l’abolition de l’exploitation de l’Homme par l’Homme, une croissance formidable de la culture et un progrès encore jamais vu de la société humaine, la liberté, le bien-être et la paix entre les peuples.

Ou bien le fascisme, avec après une série d’années de joug infernal et d’angoissante terreur fasciste, de misère et de détresse pour les masses travailleuses, la destruction barbare d’un nombre immense de valeurs de la culture humaine et une nouvelle guerre sanglante entre les peuples.

C’est ainsi que se pose la question dans les pays capitalistes. »

C’est l’Italien Ercoli, c’est-à-dire Palmiro Togliatti, qui fit un exposé sur la guerre mondiale que les impérialistes préparaient. Ce qu’il explique est dans le prolongement des congrès précédents, en particulier du VIe, qui avait compris que le capitalisme avait profité du temps gagné par la rationalisation entreprise pour marcher vers la guerre.

Ercoli constate ainsi que :

« Le VIe congrès a, en 1928, établi la ligne générale de notre combat contre la guerre. Cette ligne, qui a déjà passé l’épreuve du feu, reste notre ligne fondamentale. »

Il passe alors à l’analyse concrète de la situation, qui a connu des modifications depuis 1928, au sens où d’un côté le fascisme a avancé, de l’autre l’URSS apparaît comme une force de paix. Et il souligne que :

« Il faut rappeler que pour le national-socialisme allemand et le militarisme japonais, la guerre contre l’Union Soviétique ne représente pas le seul objectif.

Ils mènent une lutte pour leur propre hégémonie. Leur attaque contre l’Union Soviétique n’est pour eux qu’un aspect d’un plan général d’expansions et de conquêtes.

Ces plans, qui visent à un repartage du monde, se heurtent à l’ensemble des intérêts existants et rendent encore plus aiguës les contradictions entre impérialistes, non seulement en Europe, mais dans le monde entier. »

Dans la résolution finale, il sera ainsi exposé que :

« La crise économique mondiale et la rupture de la stabilisation capitaliste ont engendré une extrême instabilité de toutes les relations internationales.

L’aggravation de la lutte sur le marché mondial, rétréci l’extrême à la suite de la crise économique, a conduit une guerre économique acharnée, En fait, le nouveau partage du monde a déjà commencé. »

Il y a ici un point extrêmement important. Les communistes ont dit, en fondant l’Internationale Communiste, que la crise générale du capitalisme allait rapidement amener un basculement. Celui-ci a en fait été prolongé, se déportant notamment dans les pays dominés (comme colonies ou semi-colonies).

La social-démocratie a alors profité de la rationalisation capitaliste pour prétendre que les communistes se trompaient et les isoler. Puis la crise générale du capitalisme a repris un cours plus franc, plus lisible et il est alors évident que les communistes avaient parfaitement analysé tant la crise du capitalisme que sa tentative d’aller à la guerre le cas échéant.

Sans la social-démocratie, les communistes auraient pu mener la révolution dans de nombreux pays, mais surtout d’autant plus avertir de l’imminence de la guerre impérialiste, seule « solution » pour les capitalistes. Il y a ici un raté historique et lorsque la guerre apparaît comme horizon très clair après 1936, le processus est déjà trop enclenché pour l’empêcher.

L’Internationale Communiste en a en partie conscience et c’est ce qui explique le poids toujours plus prépondérant du soutien à l’URSS comme axe central de toute lecture de la politique internationale.

La Pravda du 25 juillet, publié le jour de l’ouverture du septième congrès, présentait la situation de la manière suivante :

« Sous le mot d’ordre « L’Asie aux Asiatiques », les impérialistes japonais ont déjà inauguré une nouvelle division du monde, en occupant de nouvelle provinces chinoises. Les fascistes italiens se trouvent à la veille d’une guerre contre le peuple abyssin.

Les nationaux-socialistes allemands menacent les peuples pacifiques de l’Europe et préparent une croisade contre l’U.R.S.S. (…)

Dans l’exemple de l’Autriche, les ouvriers de tous les pays ont pu constater que la direction des social-démocrates mène vers la défaite.

Dans l’exemple de la France, ils ont constaté que l’offensive fasciste peut être retenue par le front commun. Le front commun a raffermi la confiance en soi-même et la capacité combative du prolétariat.

Les mots d’ordre de l’Internationale communiste ont commencé à conquérir les grandes masses des ouvriers sociaux-démocrates. Cela prouve que le réformisme et le social-démocratisme perdent de plus en plus du terrain dans là classe ouvrière (…).

Que prouvent ces phénomènes? Le système, capitaliste s’ébranle de plus en plus. Parmi les masses travailleuses croît l’esprit révolutionnaire. Une crise révolutionnaire est en train de mûrir. Chaque jour on peut s’attendre à de graves événements politiques, à un commencement de crise politique dans l’un des grands pays capitalistes (…).

Le VIIe congrès de l’Internationale communiste qui se réunit dans une atmosphère politique si complexe et si responsable discutera toutes les questions importantes de la tactique et de la stratégie du mouvement ouvrier international dans son application aux conditions actuelles (…).

Il est indispensable d’organiser la lutte immédiate, contre l’offensive fasciste, cet ennemi le plus implacable dans l’envergure tant nationale qu’internationale.

Les communistes établissent une collaboration étroite avec les ouvriers sociaux-démocrates de gauche et les organisations qui luttent contre le réformisme, se déclarent pour le front unique avec les communistes et défendent avec dévouement l’U.R.S.S.

Les communistes sont pour un seul parti révolutionnaire du prolétariat. Mais la création d’un tel parti n’est possible que sur la base d’un programme net et d’une tactique de la lutte révolutionnaire. C’est pourquoi les communistes ont eu, ont et auront comme principal mot d’ordre celui de la lutte pour le pouvoir soviétique. »

La Pravda du 21 août, publié le jour suivant la fin du congrès, a un éditorial ayant comme titre « Sous le drapeau de la lutte pour l’unité de la classe ouvrière » ; on y lit notamment :

« Le congrès a bâti les fondements d’une large mobilisation des forces de tous les travailleurs pour la lutte contre le capital, encore inconnue dans l’histoire de la lutte de la classe ouvrière.

Le congrès a défini le tournant dans la tactique de l’Internationale communiste et il est apparu comme un véritable congrès d’auto-critique bolcheviste et de consolidation de la direction, du Komintern, ainsi que de ses sections.

Enfin le congrès a démontré l’unité qui lie le prolétariat du pays du socialisme triomphant — l’Union soviétique, et le prolétariat du monde capitaliste, en lutte pour son affranchissement. »

Cette orientation par rapport à l’URSS deviendra primordiale lors du déclenchement de la nouvelle guerre mondiale impérialiste.

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Le rapport de Dimitrov au 7e congrès de l’Internationale Communiste

Il faut noter que si la SFIC donne le ton pour l’unité antifasciste, ce n’est pas du tout elle qui formule les principes théoriques de celle-ci.

C’est le Bulgare Georgi Dimitrov qui expose cette ligne dans un très long exposé sur l’unité de la classe ouvrière contre le fascisme. Accusé par les nazis de l’incendie du Reichstag, il a triomphé au procès de Leipzig de 1933-1934 et est alors la figure communiste mondialement la plus connue après Staline.

Le dirigeant communiste britannique Harry Pollitt et Georgi Dimitrov au septième congrès de l’Internationale Communiste

Dimitrov dit notamment que :

« Dans un certain nombre de pays, le fascisme est au pouvoir.

Mais la croissance du fascisme et sa victoire attestent non seulement de la faiblesse de la classe ouvrière, désorganisée suite à de la politique scissionniste de la social-démocratie, basée sur la collaboration de classe avec la bourgeoisie, mais aussi la faiblesse de la bourgeoisie elle-même, qui tremble devant la réalisation de l’unité de lutte de la classe ouvrière, qui tremble devant la révolution et n’est plus à même de maintenir sa dictature par les vieilles méthodes de démocratie bourgeoise.

La variété la plus réactionnaire du fascisme est le fascisme du type allemand, qui se donne impudemment le nom de national-socialisme, mais qui n’a absolument rien de commun ni avec le socialisme ni avec la défense des véritables intérêts nationaux du peuple allemand, et qui ne remplit d’autre fonction que celle de valet de la grande bourgeoisie et représente non seulement le nationalisme bourgeois, mais un chauvinisme bestial.

À la face du monde entier l’Allemagne fasciste montre nettement ce qui attend les masses populaires au cas d’une victoire du fascisme.

Le pouvoir fasciste déchaîné extermine dans les prisons et les camps de concentration l’élite de la classe ouvrière, ses chefs et ses organisateurs, il a détruit les syndicats, les coopératives et toutes les autres organisations légales des ouvriers, de même que toutes les autres organisations politiques et culturelles non fascistes.

Il a enlevé aux ouvriers les droits élémentaires de défense de leurs intérêts. Il a transformé un pays cultivé en un foyer d’obscurantisme, de barbarie et de guerre. Le fascisme allemand est le principal instigateur d’une nouvelle guerre impérialiste.

Il est le détachement de choc de la contre-révolution mondiale (…).

Sans renoncer un instant à leur travail indépendant de propagande communiste, d’organisation et de mobilisation des masses, les communistes doivent, pour faciliter aux ouvriers le chemin de l’unité d’action, s’efforcer de réaliser des actions communes avec les partis social-démocrates, les syndicats réformistes et autres organisations des travailleurs contre les ennemis de la classe du prolétariat sur la base d’accords brèves ou de longue durée (…).

Dévoilant devant les masses le sens des arguments démagogiques des clefs de la social-démocratie de droite contre le front unique, intensifiant la lutte contre la partie réactionnaire de la social-démocratie, les communistes doivent établir la collaboration la plus étroite avec ceux des ouvriers, militants et organisations social-démocrates de gauche qui luttent contre la politique réformiste et s’affirment pour le front unique avec le PC. »

Maurice Thorez prit le premier la parole après le rapport de Dimitrov, suivi de toute une série de délégués de différents pays. Le délégué allemand ne fut que le quatrième à intervenir, la raison étant que le KPD avait du mal à évaluer si sa défaite provenait principalement du blocage de la social-démocratie ou s’il aurait fallu calibrer différemment le travail mené.

De fait, le KPD adoptera un regard critique, axé sur les leçons du Front populaire, dans le prolongement direct du septième congrès de l’Internationale Communiste, lors de sa conférence de Bruxelles (qui eut en fait lieu à Moscou, du 3 au 15 octobre 1935, juste après le septième congrès de l’Internationale Communiste, et fut considéré par la suite comme le 13e congrès). Cela ouvrit la voie au programme démocratique de 1939 issu de la conférence de Berne (en fait de Draveil, en France).

Le KPD espérait en fait que le régime nazi serait particulièrement instable dès sa prise du pouvoir ; en 1935, il était clair que ce n’était pas le cas et qu’il fallait une réorientation.

Wilhem Pieck, tenant de l’autocritique, formula ainsi, dans sa présentation de la situation, l’erreur qui avait été celle des communistes dans l’interprétation de la crise, ce qui a permis au fascisme de porter ses coups :

« Les Partis Communistes se sont bien appropriés les constatations fondamentales du VIe congrès comme quoi une grande croissance révolutionnaire se profilait.

Ils n’ont toutefois parfois pas assez réalisé que la grande croissance révolutionnaire n’était pas séparé par une muraille de Chine de la crise révolutionnaire.

Ils se sont parfois fait véritablement des conceptions simplistes quant à la manière dont les masses de travailleurs entreraient en rupture avec leur vieille direction réformiste et passerait dans le camp de la lutte révolutionnaire. »

C’est le Parti Communiste d’Allemagne qui avait ici payé le plus cher cette erreur ; l’exposé de Dimitrov venait corriger le tir, apporter une dimension autocritique par rapport à l’incapacité de se tourner entièrement vers les masses.

Après que de nombreux délégués contribuèrent par des présentations de leur propre situation au rapport de Dimitrov, de manière à chaque fois précise et constructive, celui-ci conclut les interventions par un exposé intitulé Pour l’unité de la classe ouvrière contre le fascisme.

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La SFIC donne le ton au 7e congrès de l’Internationale Communiste

Lorsque le septième congrès de l’Internationale Communiste se tient, le fascisme s’est puissamment développé sur le plan international. Sont, évidemment, salués dès le départ les figures communistes emprisonnés tels l’Allemand Ernst Thälmann (assassiné par les nazis en 1944), l’Italien Antonio Gramsci (qui meurt en 1937 à la suite des conditions de détention), le Japonais Shoichi Ichikawa (arrêté en 1929 et torturé, placé dans une détention sordide, mourant en prison en 1945), ainsi que le dirigeant socialiste Largo Caballero, emprisonné en Espagne (et futur premier ministre de la République espagnole).

Shoichi Ichikawa

Aussi, lorsque Marcel Cachin prend la parole au septième congrès, comme premier délégué français à le faire, toute la salle se lève, avec une salve prolongée d’applaudissements. Le prestige de la SFIC est immense dans l’Internationale ; en réussissant à faire du 6 février 1934 le point de départ d’une séquence antifasciste à la fois ample et dense, les Français ont montré l’exemple et porté un coup terrible au fascisme sur la scène internationale.

Ce qui est pourtant marquant, c’est que la SFIC n’a pas changé sur le fond. Elle n’a que 60 000 membres (même si c’est le double en comparaison à deux années auparavant), l’Humanité tirant à 190 000 exemplaires seulement et la presse provinciale hebdomadaire à 200 000 exemplaires.

Elle a pratiquement doublé le nombre de mairies qu’elle contrôle aux élections de mai 1935, avec l’établissement de la « ceinture rouge » autour de Paris notamment, composée de 55 communes.

Cependant, ce n’est pas un Parti d’envergure nationale, la SFIC est localisée de manière assez déterminée, avec surtout la région parisienne et le Nord. De plus, une figure importante comme Jacques Doriot passe au fascisme, après avoir prétendu lutter contre le sectarisme et vouloir l’unité antifasciste.

Ce qui sauve la SFIC, c’est que sa base parisienne, de nature remuante, turbulente, pleine de brio et de panache, n’a pas hésité à aller à l’affrontement contre l’extrême-droite. Rien qu’avec cela, et avec la capacité à adopter un esprit unitaire pour la bataille, la SFIC a véritablement donné le ton.

Qui plus est, elle connaissait initialement des soucis internes en série tout au long des années 1920 : elle voyait désormais sa base être galvanisée dans ce processus : le Parti était désormais soudé.

Il y avait néanmoins un souci, bien sûr, sous la forme de Maurice Thorez, qui dirigeait le Parti et avait été la plaque tournant de son unification interne.

De par son approche, il est alors conforme à l’esprit de la base de la SFIC, pour qui somme toute le Parti est celui du syndicalisme. C’est qu’au niveau idéologique, la SFIC est d’une faiblesse inouïe et il est significatif que le plus grand rassemblement de masse en France alors soit celui, sous le drapeau de l’antifascisme, du 14 juillet 1935 à Paris, avec plus de 500 000 personnes.

Il y a une dimension sociale-chauvine très marquée, une sorte de « républicanisme » repris à Jean Jaurès et totalement extérieur au marxisme-léninisme ; le Parti français ne s’en relèvera d’ailleurs jamais et Maurice Thorez sera au premier rang des tenants du révisionnisme.

En tout cas, sur le moment, et même si par la suite elle ne saura pas orienter l’unité à laquelle elle est parvenue, la SFIC se présente comme le Parti qui, au moins, est parvenu à cette unité, ce qui est un point de départ nécessaire.

Le délégué italien Furini, en fait Giuseppe Dozza, insista fortement à ce sujet :

« Il y a des camarades qui sont d’avis que le fascisme est parvenu au pouvoir en Italie, car le prolétariat italien n’aurait pas lutté.

En réalité, le prolétariat italien a mené un combat s’étalant sur des années, de manière héroïque et englobant de larges masses. Il y a mené un grand nombre de grèves générales, il a mené des luttes armées.

Pourquoi n’a-t-il pas été en mesure de battre le fascisme ?

On répond d’habitude : parce qu’il n’y avait pas encore un parti communiste ou parce que la social-démocratie a mené le prolétariat à la défaite.

Tout cela est vrai. Mais c’est loin de tout expliquer.

Qu’aurait dû faire un parti communiste puissant ? Il est vrai que le prolétariat italien ait lutté, mais sa faiblesse essentielle était son isolement des couches laborieuses, qui auraient dû être ses alliées, alors qu’inversement elles sont passées sous la main-mise du fascisme.

La condition fondamentale de la victoire aurait dû être ainsi une politique générale de regroupement de toutes les masses laborieuses.

Et c’est là que réside la grande signification, tout le sens politique de l’action digne d’émerveillement que le parti-frère français a mené en cette période, et que notre camarade Marcel Cachin a si justement présenté à cette tribune. »

Il y a, de fait, un décalage entre ce à quoi la SFIC est parvenue et ce à quoi elle peut parvenir. Si la première étape a été réussie, la seconde est totalement au-dessus de ses moyens, ce qui n’est alors pas vu. La CGT s’unifie par exemple, tout comme les structures sportives liées organiquement à la gauche, mais la SFIC est strictement incapable alors d’influer suffisamment sur elles.

Concluant les débats sur le bilan du Comité Exécutif depuis le dernier congrès, Wilhelm Pieck s’imaginait par contre que la SFIC était en mesure de prolonger l’élan du Front populaire, alors que comme on le sait il allait en réalité totalement s’enliser :

« Nous sommes en France devant des luttes violentes. Les deux camps mobilisent pour ces luttes et la victoire ou la défaite du Front populaire sera d’une portée démesurée pour le mouvement ouvrier international dans son ensemble, pour l’ensemble de la situation mondiale.

Le travail de notre Parti français, qui a compris comment réveiller et organiser la volonté de résistance contre la barbarie fasciste dans les couches les plus larges du peuple français, doit être un exemple pour tous nos partis. »

La SFIC donne ainsi le ton, mais elle n’a dans les faits réussi qu’à parcourir la moitié du chemin.

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Le 7e congrès de l’Internationale Communiste comme retour gagnant face à la social-démocratie

Il est courant dans l’historiographie bourgeoise de présenter le sixième congrès comme produisant une ligne sectaire, « classe contre classe », et le septième comme renversant totalement la mise en perspective. Le sixième congrès aurait considéré que la social-démocratie était « social-fasciste » et le septième aurait à l’inverse prôné une alliance avec elle.

Cette lecture est naturellement entièrement fausse, bien entendu. Il n’y a aucune différence d’analyse de la social-démocratie entre les deux congrès ; dans les deux cas, il s’agit de conquérir la base ouvrière de la social-démocratie, tout en réfutant la direction de celle-ci.

Ce qu’il y a, à l’arrière-plan, c’est une différence de période.

Le secrétariat du Comité Exécutif élu au septième congrès, avec de gauche à droite Palmiro Togliatti, Dimitri Manouilsky, Klement Gottwald, Georgi Dimitrov, Otto Kuusinen, Wilhelm Pieck

Au moment du sixième congrès, en 1928, la social-démocratie a le dessus dans les pays capitalistes ; elle profite de la stabilisation relative du capitalisme pour exclure les communistes autant que possible, à tous les niveaux.

Les communistes sont alors hors-jeu ; même quand ils parviennent comme en Allemagne, à avoir une base se masse – 300 000 membres, un million d’organisés dans les structures du front, six millions de voix aux élections – ils sont marginalisés socialement vivant comme dans une bulle.

Le Parti français est également exemplaire d’un repli sur soi sectaire et, même, sur des fondements syndicalistes révolutionnaires plus qu’autre chose.

En 1935, au moment du septième congrès, la crise générale du capitalisme s’est par contre déjà réaffirmée de manière systématique et le sol s’est retiré de sous les pieds de la social-démocratie ; la misère se généralisant, la marche à la guerre et le fascisme ruinent totalement ses prétentions sociales-pacifistes.

Au lieu d’un « capitalisme organisé », on a eu une crise certes contenue relativement, mais au moyen d’une rationalisation capitaliste agressive de 1921 à 1932, sur le dos des masses. Et celles-ci ont finalement commencé à se mettre en branle.

Droits égaux pour les noirs! Partout! Auto-détermination pour la ceinture noire Votez Communiste

Il y a eu une opposition prolétarienne grandissante ; l’Angleterre a connu une grève générale en 1926 puis toute une vague la prolongeant (plus de 300 000 ouvriers en grève en 1930, 490 000 en 1931, 379 000 en 1932).

Les ouvriers de Vienne se sont soulevés en 1927, la république espagnole a été proclamée en 1931 après le renversement de la monarchie, alors que les grèves se multipliaient qui plus est (710 en 1931, 830 en 1932, 1499 en 1933) ; plus de 300 000 ouvriers polonais firent grève en 1932 (et 450 000 en 1933), plus de 180 000 en Grèce en 1934, etc.

La crise de 1929 a fait, dans ce cadre, passé le nombre de chômeurs dans les 34 pays industrialisés de 6,5 millions à plus de 29 millions ; en Allemagne le total des salaires des ouvriers, employés et fonctionnaires était passé de 44,5 milliards de marks en 1929 à 26 milliards en 1932, aux États-Unis le total des salaires des ouvriers était passé de 17,2 milliards de dollars en 1929 à 6,8 milliards de dollars en 1932.

La social-démocratie avait prétendu après 1918 que le capitalisme était désormais organisé, que la mondialisation de l’économie impliquait la paix, qu’elle était capable de peser dans le bon sens, que le niveau de vie s’élèverait.

En 1935, tout cela apparaissait comme vain tellement les socialistes avaient prouvé leur erreur.

Affiche espagnole appelant à voter pour le Front populaire

Lorsque la monarchie espagnole s’était effondrée en 1931, les socialistes n’avaient pas voulu engager une révolution ininterrompue au socialisme et avaient laissé en place les forces armées réactionnaires. C’était une bombe à retardement, alors qu’en 1934 la révolte des mineurs dans les Asturies avaient amené un passage à la lutte armée.

Lorsque, en janvier 1932, les socialistes allemands furent chassés du gouvernement de Prusse et remplacés par un commissaire impérial, ils rejetèrent les propositions communistes, tout comme ils les rejetèrent au moment où Hitler fut nommé chancelier en janvier 1933.

Lorsque l’austro-fascisme fit son coup d’État en 1934, les dirigeants socialistes refusèrent d’ouvrir leurs caches d’armes pour armer les travailleurs et l’écrasement fut ainsi complet, alors que Vienne formait un bastion prolétarien acquis aux socialistes par ailleurs établis sur une ligne très à gauche et littéralement pro-URSS.

Les avertissements communistes s’étaient avérés justes et la base ouvrière ne pouvait que le reconnaître. Dans ce contexte, l’initiative antifasciste française à la suite du 6 février 1934 se posait comme exemple à suivre.

Cependant, cela impliquait de ne pas se rater et de bien calibrer le processus où les communistes feraient la conquête de l’hégémonie dans le mouvement ouvrier. C’est pourquoi le septième congrès établit le principe du Front populaire.

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Le 7e congrès de l’Internationale Communiste: une réussite

Le septième congrès de l’Internationale, en 1935, fut une démonstration de force. Il fut une réussite parfaite, au sens où il posséda un rythme extrêmement calibré.

L’organisation fut la suivante :

a) du 26 juillet au 1er août, l’Allemand Wilhelm Pieck fait le rapport d’activité du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, celui-ci est suivi d’interventions, puis Wilhelm Pieck conclut par une analyse synthétique et une résolution est votée dans la foulée à ce sujet ;

b) du 2 au 13 août, le Bulgare Georgi Dimitrov fait un exposé sur la nature du fascisme et sur comment le combattre, celui-ci est suivi d’interventions, puis Georgi Dimitrov conclut par une analyse synthétique, alors qu’une résolution est votée à ce sujet le 20 août ;

c) du 13 août au 17 août, l’italien Ercoli (c’est-à-dire Palmiro Togliatti) fait un exposé sur les tâches à mener face à l’imminence de la guerre impérialiste, puis Ercoli conclut par une analyse synthétique, alors qu’une résolution est votée à ce sujet le 20 août ;

d) le 17 août, Dmitri Manouïlski, qui était avait déjà fait un exposé sur le 5 août en l’honneur de Friedrich Engels à l’occasion des 40 années de sa mort, fait un exposé sur la construction socialiste en URSS, alors qu’une résolution est votée à ce sujet le 20 août ;

e) Georgi Dimitrov fait un exposé le 20 août intitulé Les gouvernements actuels des pays capitalistes sont des hommes provisoires, le véritable maître du monde est le prolétariat, puis les résolutions sont votées au sujet des thèmes des exposés.

Pour ce congrès, au sens strict, on peut se contenter de regarder les résolutions prises, celles-ci reflétant entièrement ce qui a été dit. Il tranche ainsi complètement avec les autres congrès, où les délégués intervenaient dans la pagaille, perdant souvent le fil conducteur, avec le conflit de majorité et de minorité au sein des partis.

C’était, concrètement, un congrès bolchevik. Le symbole de cela, c’était Staline et dès le premier jour, le 25 juillet, l’italien Ercoli (c’est-à-dire Palmiro Togliatti) proposa d’envoyer une salutation à Staline, intitulée « Au camarade Staline, le dirigeant, enseignant et ami des prolétaires et opprimés du monde entier ».

On y lit notamment :

« Tu nous as enseigné et tu nous enseignes à nous autres, communistes, la possibilité, à la bolchevik, de rendre compatibles l’intransigeance des principes et les liens profonds avec les, masses, l’esprit révolutionnaire inconciliable et la souplesse nécessaire.

Suivant tes indications, les partis communistes s’emploieront par tous les moyens à raffermir leurs liens avec les masses, à dresser et à diriger des millions [d’hommes], à organiser un vaste front unique prolétarien, un front populaire contre le fascisme et la guerre, un front anti-impérialiste dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. »

Le premier orateur, l’Allemand Wilhelm Pieck, qui ouvrait le congrès, avait déjà insisté sur ce plan :

« Notre salut le plus chaleureux va au grand organisateur de la victoire du socialisme sur ce sixième de la planète et le chef de tous les travailleurs dans le monde luttant pour le socialisme, notre camarade Staline (ovations continues, hourras). »

Lors de sa prise de parole le 25 juillet 1935, d’ailleurs, les délégués présents obtenaient une traduction simultanée grâce à un système d’écouteurs. Tout était parfaitement rôdé, la mise en place était impeccable.

La salle du congrès était savamment décorée, avec quatre séries de slogans. Derrière la présidence, en plus des drapeaux rouges et des portraits de Marx, Engels, Lénine et Staline, il était inscrit « Vive l’invincible bannière de Marx, Engels, Lénine et Staline ».

En face, sur le mur du fond, on pouvait lire « Vive les soviet en Chine ! ». Sur les côtés, on trouvait le slogan suivant en six langues : « Dans le front unique prolétarien contre l’offensive du capital, le fascisme et l’impérialisme ».

L’Internationale Communiste avait passé l’épreuve de l’Histoire. Étaient présents au congrès 513 délégués, dont 371 avec un droit de vote délibératif. Ils représentaient au septième congrès de l’Internationale Communiste pas moins de 67 partis, mais dont seulement 22 peuvent agir dans un cadre légal ou semi-légal, dont 11 en Europe.

Et pourtant, entre le sixième et le septième congrès, soit entre 1928 et 1935, les membres des Partis Communistes à travers le monde étaient passés de 1 676 000 à 3 148 000, ceux dans les pays capitalistes passant de 445 300 membres à 758 000.

Le mouvement communiste devenait un rouleau compresseur, il avait enfin l’initiative sur la social-démocratie. Une place significative a bien entendu la Chine ; ses territoires sous régime soviétique englobent déjà 56 millions de personnes. Les partisans opèrent dans des territoires où vivent 50 autres millions de personnes.

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La crise générale du capitalisme (1950)

Henri Claude (1909-1994) fut dans sa jeunesse un « abondanciste » et actif dans un cercle diffusant à Rouen la conception que le capitalisme allait laisser la place à une société d’abondance et qu’en attendant il menait forcément à la guerre. Il finit par considérer que cela correspondait aux thèses du communisme, mais rejoignit d’abord les rangs des trotskistes juste avant la première guerre mondiale, puis finalement le PCF en 1947.

L’article est tiré de la revue du PCF La Pensée, de septembre-octobre 1950. Il devint par la suite un économiste du PCF devenu révisionniste, dans la ligne de la thèse du capitalisme monopoliste d’État et alors que les « économistes » dont principalement Paul Boccara jouaient désormais un rôle majeur sur les orientations.

Henri Claude fut à ce titre rédacteur en chef de la revue du PCF Économie et politique. Il est notamment l’auteur de Nouvel avant-guerre? et Plan Marshall (tous deux en 1948), Où va l’impérialisme américain? (1950), Le Pouvoir et l’Argent (1972), Les Multinationales et l’Impérialisme (1978), La Troisième course aux armements (1982), Mitterrand ou l’atlantisme masqué (1986).

La notion de crise générale du capitalisme est une notion qui est encore loin
d’être claire à tous les esprits. Cela tient en partie au mot même de crise qui
prête à confusion. La plus grossière consiste à confondre « crise générale du
capitalisme » et « crise économique ». Ce sont pourtant là deux phénomènes
d’une nature entièrement différente, comme le montre le rôle joué par les crises économiques de surproduction dans l’économie capitaliste.

L’économie capitaliste est une économie anarchique et aveugle. Des milliers
de producteurs produisent sans connaître les possibilités du marché ; or c’est le marché qui commande la production. L’industriel travaille en fonction de la demande, mais sans savoir si cette demande se maintiendra ; il ne peut le savoir que lorsque la demande fait effectivement défaut ; mais comme il a produit comme si cette demande restait la même ou allait en augmentant, une partie de sa production ne trouve pas preneur ; il s’aperçoit alors qu’il a produit plus qu’il ne fallait ; il ralentit sa production ou l’arrête pour pouvoir liquider ses stocks et se régler sur la baisse de la consommation. Le ralentissement de l’activité et ses conséquences constituent ce qu’on appelle crise économique.

Comme on le voit, pour l’économie capitaliste la crise est une véritable fonction organique. Et les économistes de la bourgeoisie ont raison de dire de leur point de vue que la crise est un assainissement de l’économie momentanément engorgée. Et comme le capitalisme est incapable d’empêcher ces engorgements, les crises sont un phénomène normal et régulier résultant du fonctionnement même de l’économie capitaliste. Le capitalisme, de par sa nature même, connaîtra toujours des phases de
prospérité et de crises. Il ne peut pas vivre sans connaître ces hauts et ces bas.

Cette analyse succincte nous montre que le caractère essentiel de ce qu’on
appelle la crise générale du capitalisme ne doit pas être recherché dans l’économie.

Elle nous permet en même temps d’écarter une seconde erreur, qui consiste à voir dans la crise générale du capitalisme une crise économique plus violente que les autres et qui serait insurmontable. Mais il n’existe pas de crise permanente de surproduction, de crise économique insurmontable. Sans doute les crises économiques prennent-elles, comme nous le verrons, des caractères nouveaux dans la période de déclin du capitalisme, mais cela n’empêche pas que le mouvement de la vie économique reste fondamentalement le même et qu’une « crise » soit toujours suivie d’une « reprise » et d’une phase de « prospérité ».

La crise économique de surproduction est, et ne peut être qu’un phénomène périodique qui se reproduit régulièrement à des intervalles de sept à dix ans et qui résulte du fonctionnement, de la vie même du système capitaliste.

La crise générale du capitalisme au contraire n’est pas une crise à l’intérieur du système, mais la crise du système capitaliste lui-même ; elle affecte non seulement l’économie, mais le capitalisme pris dans son ensemble ; c’est une maladie qui s’attaque aux centres vitaux de l’organisme capitaliste et les détruit complètement ; ce n’est pas un mal passager et guérissable, mais une maladie qui ne quitte pas le malade et le conduit à la mort…

Et la mort du capitalisme, c’est la fin de la domination et de l’exploitation du prolétariat par la bourgeoisie. Le caractère essentiel de la crise générale est donc social et politique. L’examen exclusif de ses aspects économiques ne peut suffire à en rendre compte. Dire par exemple que la crise du commerce international est le phénomène le plus important de la crise générale du capitalisme dans la période qui suit la deuxième guerre mondiale est une conception « économiste » et erronée de la crise générale.

La crise générale, en réalité, c’est essentiellement la crise du pouvoir de la
bourgeoisie. Et il faut entendre le mot crise au sens non pas d’un ébranlement, mais de l’effondrement, de l’écroulement de ce pouvoir. Car depuis le début du capitalisme, la domination de la bourgeoisie a été souvent ébranlée : rappelons seulement les journées de juin 1848 et la Commune de Paris en France ; mais la crise du pouvoir de la bourgeoisie dans le monde n’a commencé réellement qu’à partir du jour où son pouvoir a été brisé, et brisé définitivement, sur une partie du globe.

Le capitalisme n’est entré ainsi dans sa crise générale qu’avec la Révolution d’octobre 1917 en Russie. Et cela non seulement parce que le pouvoir de la bourgeoisie a été jeté par terre dans un des plus grands pays capitalistes, mais parce que le prolétariat russe a construit à la place de l’ordre ancien un ordre nouveau, l’ordre socialiste qui est l’antithèse vivante de l’ordre capitaliste.

Comme l’indique avec raison Léontiev :

l’indice essentiel de la crise générale du capitalisme consiste dans la division du monde en deux systèmes, le capitalisme et le socialisme (Léontiev, L’aggravation de la crise générale du capitalisme. Paris, Éditions sociales, 1930),

et comme le précise également un éditorial du journal Pour une Paix durable :

la victoire de la grande Révolution socialiste d’octobre, qui a divisé le monde en deux camps opposés, a marqué le début de la crise générale du capitalisme ; ayant créé lès conditions de la fin inévitable et proche de ce système social, elle en hâte la fin (Pour une Paix durable, pour une Démocratie populaire, 28 avril 1950).

La rupture de l’unité du monde capitaliste, l’instauration du socialisme et
la lutte des deux systèmes constituent en effet le trait fondamental de la crise générale.

La crise générale du capitalisme nous apparaît ainsi comme un phénomène
historique, une époque particulière de l’histoire du capitalisme : c’est la période finale de l’impérialisme.

La crise générale, époque finale de l’impérialisme

L’époque de la crise générale n’est pas, dans l’histoire du capitalisme, une.
période nouvelle qui s’ajouterait aux deux époques précédentes qui sont : la
période du capitalisme de libre concurrence, qui s’est terminée dans la décade 1880-90, et la-période du capitalisme des monopoles ou période de l’impérialisme qui lui a succédé.

[Eugen Varga prétend alors déjà le contraire en URSS, puis avec le triomphe du révisionnisme Paul Boccara reprendra cette thèse en France en la développant et acquérant une stature internationale dans le camp révisionniste ; Henri Claude s’inscrira lui-même dans cette perspective.]

L’impérialisme est bien, comme l’a montré Lénine, le stade
suprême du capitalisme. La Révolution d’octobre a prouvé en effet qu’il n’y avait pas de transition entre l’impérialisme et le socialisme, que l’un menait directement à l’autre.

Mais parce que la bourgeoisie a réussi à se maintenir au
pouvoir, en dehors de l’U.R.S.S., le système impérialiste a subsisté, en gardant ses traits essentiels. Toutefois ses conditions d’existence ont radicalement changé avec l’apparition d’une nouvelle contradiction, la contradiction entre le secteur socialiste et le secteur impérialiste. Cette contradiction, d’une nature entièrement nouvelle, a fait entrer l’impérialisme dans la deuxième phase de son histoire, celle de sa crise générale.

Jusqu’alors, c’est-à-dire tant que l’impérialisme constituait un système unique, embrassant toute l’économie mondiale, il existait trois contradictions essentielles :

1° contradiction entre le prolétariat et la bourgeoisie dans les pays impérialistes ;

2° contradiction entre les États impérialistes et les pays coloniaux et dépendants ;

3° contradiction entre les États impérialistes pour un nouveau partage du
monde.

Mais il s’agissait là de contradictions inhérentes au système impérialiste
lui-même, de contradictions internes.

La quatrième contradiction au contraire n’est plus, pour reprendre l’expression de Staline, « une contradiction au sein du capitalisme ; c’est une contradiction entre le capitalisme dans son entier et le pays qui bâtit le socialisme » (Rapport au XVIe congrès du Parti Communiste de l’U.R.S.S., Deux bilans, Bureau d’Éditions, 1930, p. 14).

C’est, si l’on veut, une contradiction externe.

Cette contradiction a ceci de particulier qu’elle est insurmontable pour le capitalisme mondial et qu’elle l’entraîne irrémédiablement dans la tombe. Comment cela ?

Cela tient essentiellement à la nature de la Révolution d’octobre qu’il importe de bien préciser, car c’est elle qui donne à la crise générale du capitalisme ses traits caractéristiques. Cette Révolution a en effet une portée universelle.

Comme l’a montré Staline dans un article célèbre (Les Questions du Léninisme, Éditions sociales, 1946, t.I, pp. 186-192, toutes les citations qui suivent sont tirées de ce texte), elle n’est pas limitée au cadre national ; c’est une révolution d’ordre international, qui met en cause le pouvoir de la bourgeoisie dans le monde entier en aggravant toutes ses contradictions, et notamment en poussant au paroxysme l’antagonisme qui existe entre le prolétariat et la bourgeoisie des pays capitalistes et celui qui oppose les pays coloniaux aux États impérialistes.

« La Révolution d’octobre a inauguré une nouvelle époque, l’époque des
révolutions prolétariennes dans les pays de l’impérialisme ». En effet le fait que le prolétariat russe ait réussi à « percer le front de l’impérialisme mondial », et à « jeter bas la bourgeoisie impérialiste dans un des plus grands pays capitalistes », que « la classe des salariés, la classe des persécutés, la classe des opprimés et des exploités » se soit « élevée à la situation d’une classe dominante » est un exemple prodigieux pour les prolétaires de tous les pays.

De plus la Révolution d’octobre a montré non seulement que le prolétariat
pouvait renverser la bourgeoisie, mais aussi qu’il pouvait construire à la place de l’ordre bourgeois un ordre nouveau, socialiste.

Les succès incontestables du socialisme en U.R.S.S., dit Staline, sur le front de construction ont démontré nettement que le prolétariat peut gouverner avec succès le pays sans la bourgeoisie et contre la bourgeoisie ; qu’il peut édifier avec succès l’industrie sans la bourgeoisie et contre la bourgeoisie ; qu’il peut diriger avec succès toute l’économie nationale sans la bourgeoisie et contre la bourgeoisie ; qu’il peut édifier avec succès le socialisme malgré l’encerclement capitaliste.

Il est évident qu’un tel exemple donne confiance au prolétariat des autres
pays et l’oriente vers la voie révolutionnaire.

En transformant en propriété sociale les moyens et instruments de production appartenant aux propriétaires fonciers et aux capitalistes, en enlevant le pouvoir à la bourgeoisie, en la privant des droits politiques, en démolissant l’appareil d’État bourgeois et en transmettant le pouvoir aux Soviets, la Révolution d’octobre a ensuite montré en quoi consistait concrètement une révolution prolétarienne.

Elle a montré également au prolétariat les moyens d’y parvenir : cette révolution a été rendue possible, elle a pu triompher, puis se maintenir, dans les conditions de l’encerclement capitaliste, grâce à l’existence d’un parti révolutionnaire de type nouveau : le parti bolchevik, armé des principes du marxisme-léninisme.

Enfin elle a amené le prolétariat à faire un progrès idéologique décisif en
rompant avec le réformisme, le social-démocratisme. Or, comme le dit Staline, et comme l’expérience l’a montré :

il est impossible d’en finir avec le capitalisme sans en avoir fini avec le social-démocratisme dans le mouvement ouvrier. C’est pourquoi l’ère de l’agonie du capitalisme est en même temps celle de l’agonie du social-démocratisme dans le mouvement ouvrier.

Aussi parce qu’elle « annonce la victoire certaine du léninisme sur le social-
démocratisme dans le mouvement ouvrier mondial », la Révolution d’octobre annonce la victoire du socialisme dans tous les pays capitalistes.

Mais la Révolution d’octobre n’ébranle pas seulement le capitalisme dans les « centres de domination, dans les métropoles » ; elle frappe encore « l’arrière de l’impérialisme, sa périphérie, en sapant la domination de l’impérialisme dans les pays coloniaux et dépendants ». La Russie tzariste comprenait en effet des peuples opprimés soumis au nationalisme russe.

La Révolution d’octobre a délivré définitivement ces peuples de l’oppression nationale et coloniale et en même temps a montré la voie à la suppression définitive de cette oppression. Les peuples opprimés de la Russie tzariste ne se sont pas libérés en effet sur la base du nationalisme en essayant de prendre une revanche sur le peuple russe et en devenant à leur tour de nouveaux foyers d’oppression, mais au contraire sur la base de l’internationalisme :

Le trait caractéristique, dit Staline, de la Révolution d’octobre, c’est qu’elle a accompli en U.R.S.S. ces révolutions nationales et coloniales, non sous le drapeau de la haine nationale et des conflits entre nations, mais sous le drapeau d’une confiance réciproque et d’un rapprochement fraternel, des ouvriers et des paysans des nationalités habitant l’U.R.S.S., non pas au nom du nationalisme, mais au nom de l’internationalisme.

Précisément parce que les révolutions nationales et coloniales se sont faites, chez nous, sous la direction du prolétariat et sous le drapeau de l’internationalisme, précisément pour cette raison les peuples parias, les peuples esclaves se sont, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, élevés à la situation de peuples réellement libres et réellement égaux, gagnant par leur exemple les peuples opprimés du monde entier.

C’est dire que la Révolution d’octobre a inauguré une nouvelle époque, l’époque des révolutions coloniales dans les pays opprimés du monde, en alliance avec le prolétariat, sous la direction du prolétariat.

La conséquence, c’est qu’

en jetant la semence de la révolution aussi bien dans les centres qu’à l’arrière de l’impérialisme en affaiblissant la puissance de l’impérialisme dans les « métropoles » et en ébranlant sa domination dans les colonies, la Révolution d’octobre a, de ce fait, mis en question l’existence même du capitalisme mondial dans son ensemble.

En effet la victoire de la Révolution d’octobre, en arrachant au système impérialiste mondial un pays aussi vaste que la Russie tzariste et aussi important pour « l’équilibre » du système impérialiste, en tant que territoire d’exploitation pour le capital français, anglais, allemand, en tant que source de matières premières et bastion de la réaction politique dans le monde, a accéléré, comme nous le verrons, le processus de décomposition et de putréfaction qui est né et s’est développé dans la phase précédente de l’impérialisme, et sapé de ce fait les fondements mêmes de l’impérialisme mondial.

En même temps la Révolution d’octobre a donné au mouvement révolutionnaire mondial, pour la première fois, une base qui lui sert d’appui et de soutien et un centre autour duquel il peut se grouper « en organisant le front révolutionnaire unique des prolétaires et des peuples opprimés de tous les pays contre l’impérialisme ». Or ce front unique n’avait jamais pu se réaliser auparavant.

Comme elle élève également « la force et l’importance, le courage et la combativité des classes opprimées du monde entier », en créant pour elles « un phare éclairant leur chemin et leur révélant, des perspectives », « un forum universel ouvert » pour manifester et matérialiser leurs aspirations et leur volonté, on peut dire avec Staline :

La Révolution d’Octobre a porté au capitalisme mondial une blessure mortelle, dont il ne se remettra jamais ; l’ère de la stabilité du capitalisme est révolue, emportant avec elle la légende de l’immuabilité du monde bourgeois, l’ère est venue de l’effondrement du capitalisme.

[En effet] le capitalisme peut se stabiliser partiellement, il peut rationaliser sa production, livrer la direction du pays au fascisme, réduire momentanément la classe ouvrière, mais jamais plus il ne recouvrera ce « calme » et cette « assurance », cet « équilibre » et cette « stabilité » dont il faisait parade autrefois, car la crise du capitalisme mondial a atteint un degré de développement tel que les feux de la révolution doivent inévitablement s’ouvrir un passage, tantôt dans les centres de l’impérialisme, tantôt dans sa périphérie, réduisant à néant les rapiéçages capitalistes et hâtant de jour en jour la chute du capitalisme.


L’époque de la crise générale du capitalisme ou deuxième phase de l’impérialisme est donc bien la phase terminale de ce système. Mais l’analyse que nous venons de faire nous montre aussi que cette période appartient en réalité à deux époques différentes de l’histoire humaine. Si elle appartient encore d’un côté au capitalisme, elle appartient aussi déjà au socialisme.

La Révolution d’octobre, en abolissant le règne de l’exploitation de l’homme par l’homme, en remplaçant la démocratie bourgeoise par la démocratie prolétarienne, en construisant une économie planifiée sur la base de la socialisation des moyens de production, en réalisant l’union, au sein d’un État multinational d’un type nouveau, d’ouvriers et de paysans appartenant aux peuples les plus divers, en mettant fin à l’oppression nationale et raciale et aux haines qui en découlent, a fait entrer l’humanité dans l’ère du socialisme.

Dès lors, l’humanité n’a plus à « inventer » ou à « créer » le socialisme, elle n’a plus qu’à étendre au monde entier ce qui est réalisé sur une partie de la planète. Car entre l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et « l’union des travailleurs de tous les pays dans une seule économie mondiale », il n’y a qu’une différence de quantité et non une différence de nature.

L’époque du socialisme a donc commencé en 1917 et la période actuelle en
est une partie intégrante, comme elle fait aussi partie de l’époque de l’impérialisme. Il faut bien mettre en relief cette double appartenance : car l’essentiel des efforts de la réaction mondiale et des agents avoués ou non, conscients ou non de l’impérialisme (fascistes, sociaux-démocrates de droite, trotskystes) consiste aujourd’hui à dénaturer le caractère de la crise générale du capitalisme en lui enlevant son appartenance au socialisme, c’est-à-dire en niant le caractère socialiste de l’U.R.S.S. et en rejetant dans l’avenir l’ère du socialisme.

Mais indiquer la double appartenance ne suffit pas pour définir l’époque de la crise générale ; il faut aussi montrer que des deux, c’est l’appartenance au socialisme qui est déterminante.

Car les économistes marxistes qui font remonter le début de la crise générale au début de l’impérialisme, comme [Eugen] Varga, ou qui voient davantage l’aspect économique que le caractère politique de la crise générale, qui grossissent d’une manière ou d’une autre l’appartenance « impérialiste » de l’époque de la crise générale et estompent de ce fait son autre appartenance, tombent sans s’en rendre compte dans le jeu de leurs adversaires.

Une définition correcte de la crise générale du capitalisme doit en effet être
faite par rapport à l’avenir et non pas par rapport au passé, par rapport au
socialisme et non par rapport au capitalisme. La période de la crise générale du capitalisme peut ainsi se définir comme la période de transition entre le socialisme dans un seul pays et le socialisme dans le monde entier, entre le succès localisé du socialisme et son triomphe universel.

II. — TRAITS PARTICULIERS DE L’IMPÉRIALISME
A L’
ÉPOQUE DE LA CRISE GÉNÉRALE


Maintenant que nous avons dégagé le caractère essentiel de la période de la
crise générale, nous pouvons analyser sans erreur grave les modifications qui se produisent au sein du système impérialiste au cours de sa deuxième période.

Du point de vue économique, la période de la crise générale du capitalisme
est caractérisée par le renforcement des caractères de l’impérialisme dégagés par Lénine et par l’aggravation des conditions de fonctionnement de l’économie capitaliste, par l’accentuation de sa décomposition et de son parasitisme.

La domination des monopoles, trait essentiel de l’impérialisme, s’affirme toujours davantage dans la période de crise générale.

Depuis la première guerre mondiale la puissance des monopoles s’est en effet accrue de façon considérable : la concentration de la production, le développement sous tous les rapports (dimensions, quantité, importance) des monopoles industriels (cartels, trusts, syndicats) et des monopoles bancaires, la monopolisation de la richesse nationale par le capital financier se sont accélérés dans des proportions énormes (pour les détails, voir Varga et Mendelsohn [qui tous deux sont alors déjà révisionnistes] : Données complémentaires à « l’impérialisme » de Lénine, pp. 317 a 339).

A cette accélération de la vitesse de développement des monopoles s’ajoute un second caractère, plus spécifique encore de la crise générale, à savoir la transformation de plus en plus poussée du capitalisme monopoliste en capitalisme monopoliste d’État.

Il ne s’agit pas là d’une tendance nouvelle, puisqu’elle a déjà été décelée
par Lénine, mais elle prend des proportions inconnues jusqu’alors. Il faut souligner que si cette transformation se produit pendant les guerres mondiales, elle se survit dans les périodes dites de « paix ». L’économie allemande sous Hitler, l’économie italienne sous Mussolini sont des types d’économie propres à la crise générale du capitalisme.

Mais ce ne sont pas là des « accidents » : le capitalisme monopoliste d’État se retrouve dans tous les pays capitalistes à un degré plus ou moins grand et tend à devenir la forme universelle et spécifique dé l’impérialisme dans la période de crise générale. Les commandes de l’État (grands travaux et surtout armements) jouent un rôle de plus en plus grand dans la formation des profits du capital financier, comme le montre l’importance croissante des dépenses gouvernementales.

Corrélativement, « l’union personnelle » de l’oligarchie financière avec le gouvernement se développe de façon considérable. Après la deuxième guerre mondiale, aux Etats-Unis les postes les plus importants du gouvernement et de l’appareil d’État sont occupés par les financiers et les industriels les plus en vue et cette « occupation » prend un caractère permanent (pour les détails, voir mon livre : Où va l’impérialisme américain).


Ce phénomène montre que le capitalisme, à l’époque de la crise générale, est définitivement mûr pour le socialisme. Car, comme l’a dit Lénine :

le capitalisme monopoliste d’État est la préparation matérielle la plus complète pour le socialisme, il est le seuil du socialisme.

La domination ainsi accrue du capital monopoleur a aggravé les tendances à la décomposition et au parasitisme propres à l’impérialisme à un degré tel que des phénomènes nouveaux sont apparus.

La décomposition du capitalisme

1. L’instabilité, une instabilité grandissante, apparaît comme un des traits
les plus caractéristiques du système capitaliste à l’époque de sa crise générale.

Cette instabilité ne tient pas seulement, comme nous l’avons souligné, à la victoire de la Révolution d’octobre, mais aussi aux lois et aux contradictions propres à l’impérialisme lui-même, qui en font l’époque des « guerres et des révolutions », et aux aspects particuliers que prend l’inégalité de développement des pays impérialistes dans la période de crise générale.

Une réduction aussi sensible de la sphère d’exploitation que la perte, d’un
sixième du globe a rendu beaucoup plus violente la lutte pour l’écoulement des marchandises, pour le placement des capitaux et pour l’accaparement des matières premières. D’où l’aggravation des antagonismes entre puissances impérialistes et la nécessité de nouvelles guerres.

Mais cette instabilité est aussi une conséquence des guerres mondiales, qui
ont eu une influence décisive sur l’inégalité de développement des pays capitalistes. Privés des produits de l’industrie européenne, des pays agraires ou producteurs de matières premières installent des industries de transformation qui ferment des débouchés à la production de l’Europe ; une jeune bourgeoisie nationale, naît, qui entre en concurrence et en conflit avec les bourgeoisies européennes.

La guerre a permis ensuite à certains pays capitalistes de se développer,
pendant que d’autres régressaient à la suite des défaites militaires ou de la ruine financière. Après la première guerre mondiale, l’Allemagne a perdu toutes ses colonies et ses capitaux placés à l’étranger. Étant donné la place qu’elle occupait avant la guerre dans le monde capitaliste, cette déchéance ne pouvait manquer d’ébranler la stabilité de l’économie capitaliste.

La politique de rapine des vainqueurs a déchaîné en même temps des antagonismes violents entre pays vainqueurs et pays vaincus, source de nouvelles guerres. Parmi les « vainqueurs », certains États impérialistes ont pu, pendant que les autres se ruinaient, développer leur industrie et leur puissance financière, comme le Japon au cours de la première et les Etats-Unis au cours des deux guerres mondiales.

La guerre a provoqué ainsi des conflits parmi les vainqueurs entre les « nouveaux riches » et les « anciens », dont la puissance économique s’est affaiblie, mais qui ont quand même agrandi leur domaine colonial comme l’Angleterre et la France à la suite de la première guerre mondiale. D’où l’aggravation de l’antagonisme entre les Etats-Unis et l’Angleterre après 1918.

Les guerres mondiales ont enfin provoqué un changement brutal dans l’évolution de l’impérialisme : le cercle des « grandes puissances » impérialistes qui s’élargissait au XIXe siècle (l’Allemagne, les Etats-Unis, l’Italie et le Japon venant prendre place aux côtés de l’Angleterre, de la France, de la Russie et de l’Autriche), s’est restreint, depuis 1914, de façon considérable.

C’est là un aspect caractéristique de l’époque de la crise générale.

Après la première guerre mondiale il n’y avait plus que cinq grandes puissances (Angleterre, France, Italie, Etats-Unis, Japon) au lieu de huit (les mêmes, plus l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Russie tzariste). Après la deuxième guerre mondiale, il n’y en a plus que deux, les Etats-Unis et en partie l’Angleterre.

Avant la première guerre mondiale, les principaux pays exploiteurs étaient
l’Angleterre, la France, l’Allemagne et en partie les Etats-Unis. Après 1918 les
principaux pays créditeurs étaient les Etats-Unis et en partie l’Angleterre. Après la deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis sont la seule grande puissance financière. Cette concentration successive de la richesse mondiale a un pôle et l’élargissement corrélatif des pays exploités entraîne une instabilité grandissante du système capitaliste.

2. La contradiction entre les forces productrices et les rapports de production, comme conséquence de la réduction de la sphère impérialiste, de la guerre mondiale et de l’appauvrissement des masses, s’est accentuée au point qu’il s’est créé un excédent continuel de capital, qui a entraîné l’inutilisation chronique d’une partie de l’appareil de production.

C’est ainsi que dans les périodes de « prospérité » maximum du temps de paix, comme en 1929 ou 1948, une partie des moyens de production aux Etats-Unis est restée inemployée. Alors que cet excédent de capital ne se produisait, avant la crise générale du capitalisme, qu’au moment des périodes de crise économique de surproduction, il est devenu depuis un phénomène permanent.

3. Il en est résulté une modification du caractère du chômage. Avant la
crise générale, les chômeurs constituaient pour le capital une armée de réserve dans laquelle il puisait lorsque les commandes affluaient. Depuis la première guerre mondiale, le chômage de masse au contraire est devenu persistant : des chômeurs en grand nombre ont cessé de remplir la fonction de réserve de l’armée industrielle, ils ne sont plus jamais appelés au service actif et sont rejetés définitivement de la production.

4. La période de crise générale a été marquée en conséquence par un ralentissement économique et un piétinement de la production. Alors que dans les seize années d’avant-guerre (1897-1913), les productions mondiales de fonte et de houille augmentaient respectivement de 140 % et de 108 %, elles n’augmentaient plus dans le même laps de temps, de 1913 à 1929, que de 23,8 % pour la première et 7,2 % pour la seconde.

De même, comme le note Léontiev, alors que la production industrielle, pendant les vingt-trois années précédant la première guerre mondiale, s’accroissait en moyenne de 5,8 % par an, dans les vingt-trois années qui ont suivi (1914-1937) elle n’a été que de 1,5 %.

Depuis la première guerre mondiale, l’industrie des principaux pays capitalistes n’a cessé de piétiner autour du niveau de 1913, ne dépassant ce niveau au bout de vingt-cinq ans que de 20 à 30 % : augmentation dérisoire;, sinon nulle, si l’on tient compte de ce que la population du monde capitaliste s’est accrue de 15 % environ et qu’une part grandissante de la production était utilisée à des buts de guerre. On peut en conclure avec Léontiev que

la production industrielle par tête d’habitants n’a pas augmenté en un quart de siècle, mais elle a même vraisemblablement diminué.

5. La première guerre mondiale a, été suivie d’une crise agraire prolongée,
qui est une caractéristique nouvelle de la crise générale. En effet pendant les hostilités, les pays d’outre-Atlantique ont augmenté la superficie des terres emblavés ; lorsque la production européenne réduite par la guerre s’est relevée, une partie de la surface mondiale emblavée s’est trouvée superflue. D’autre part les textiles artificiels ont entraîné la mévente du coton.

6. Ces divers phénomènes ont eu des répercussions sensibles sur les crises
économiques de surproduction et sur le déroulement du cycle économique.

La crise industrielle, dit Staline à propos de la crise de 1929, s’est déchaînée dans les conditions de la crise générale du capitalisme, au moment où celui-ci n’a déjà plus et ne peut plus avoir, ni dans les principaux pays, ni dans les colonies et pays vassaux, la force et la solidité qu’il avait avant la guerre et avant la Révolution d’Octobre ; où l’industrie des pays capitalistes a reçu, en héritage de la guerre impérialiste, un ralentissement chronique des entreprises et une armée de millions de chômeurs, dont elle n’est plus en mesure de s’affranchir (Deux bilans, pp. 5-6).

En conséquence la crise économique de 1929, première crise mondiale de
l’époque de la crise générale a été beaucoup plus profonde, plus aiguë, plus
prolongée et plus dévastatrice que les crises antérieures.

A l’époque du capitalisme industriel et de la libre concurrence, la crise
n’était jamais qu’un ralentissement momentané du rythme de croissance. Dans la période de l’impérialisme antérieure à la crise générale, que nous appellerons la première période de l’impérialisme, la production diminue, mais le recul dans la crise la plus forte (1907-08) atteint à peine la moitié de celui des années 1929-33.

Ensuite l’économie capitaliste a beaucoup plus de mal à sortir de la crise.
La phase de crise proprement dite (1929-1933) est bien suivie, comme dans les crises précédentes, d’une phase de dépression (1934-35), puis d’animation (1930) et de prospérité (1937), mais il s’agit, comme le notait Staline à l’époque, d’une dépression « sortant de l’ordinaire, d’une dépression d’un genre particulier », qui fut suivie non d’une véritable animation mais d’une « certaine » animation, puis d’un « certain » essor, puisque l’indice de la production industrielle en 1937 reste, aux Etats-Unis, au-dessous de celui de 1929.

Alors que, dans la première période de l’impérialisme, il suffisait d’un ou deux ans pour que la production retrouve le niveau maximum atteint antérieurement, il n’a pas fallu moins de cinq ans (1932-37) pour qu’elle y parvienne après la crise de 1929.

Enfin l’essor de 1937 ne s’est pas prolongé : il était si fragile que l’année
suivante la crise reprenait. La crise de 1938 avait ceci de particulier qu’elle
n’avait pas été précédée, comme les crises antérieures, d’une période de prospérité. Elle eut ensuite cette autre particularité d’être suivie d’une phase de prospérité également particulière, puisque ce fut celle des années de guerre 1939-45.

Le principal pays capitaliste, les Etats-Unis, ne connut en fait de nouvelle période de prospérité, après 1929, que dans la deuxième guerre mondiale.
Ainsi la guerre mondiale tend à constituer la phase de prospérité du cycle économique à l’époque de la crise générale du capitalisme.

L’industrie des pays capitalistes continue sa marche cyclique, mais le cycle
est radicalement déformé. Ce phénomène, comme le note justement Léontiev, est encore plus visible après la deuxième guerre mondiale :

La crise actuelle de surproduction, écrit-il, s’avance sur le monde capitaliste, non après une phase d’essor, mais après le boum spéculatif de courte durée qui eut lieu après la guerre sous l’effet de circonstances spécifiques en même temps qu’éphémères.

Cette déformation du cycle montre clairement l’affaiblissement général de la base économique» du capitalisme, sa précarité et sa putréfaction intérieure (L’aggravation de la crise générale du capitalisme, p. 44).

Mais si les divers éléments de la crise générale influent sur la gravité des
crises économiques, celles-ci, à leur tour, approfondissent et aggravent la crise générale dans tous ses domaines : politiques d’abord, en poussant les masses dans la voie de la révolution, économiques ensuite en ébranlant encore davantage les bases du système.

Il y a interaction constante et réciproque de la crise
générale sur la crise économique, et de la crise économique sur la crise générale.

7. On ne s’étonnera donc pas de constater dans ces conditions des bouleversements inconnus jusque-là et incessants dans la sphère de la circulation. A la stabilité et h l’unité monétaires qui règnent au cours du XIXe siècle et jusqu’à 1914 succèdent l’instabilité et le chaos des monnaies après la première guerre mondiale, au cours de la crise de 1920, puis au lendemain de la deuxième guerre mondiale, qui s’expriment dans des dévaluations répétées, dans la cessation de la convertibilité en or des billets de banque, la désorganisation du marché mondial.

Le monde capitaliste ne peut plus retrouver l’équilibre des balances de paiement d’avant la première guerre mondiale ; en provoquant l’industrialisation des pays agraires d’Amérique et d’Asie, il a brisé les circuits d’échanges qui s’étaient constitués entre les produits manufacturés européens et les matières premières d’outre-mer.

La crise des échanges internationaux est un phénomène spécifique de la
crise générale, qui se manifeste :

a) par la diminution du volume des échanges de marchandises à partir de 1929. Alors que le commerce international s’est accru régulièrement pendant tout le XIXe siècle jusqu’à 1913, cet essor a pris fin avec la crise économique de 1929, il a baissé considérablement depuis lors et malgré une certaine reprise en 1937 n’a jamais retrouvé le niveau de 1929.

Il s’agit là d’un phénomène qui met particulièrement en relief la décadence du système capitaliste ; car comme le dit Lénine, « l’extension des échanges tant nationaux qu’internationaux surtout est un des traits distinctifs du capitalisme » (Données complémentaires à « l’’Impérialisme » de Lénine, p.166).

La réduction des échanges internationaux est par là-même un des traits distinctifs du capitalisme agonisant.

b) par la dégradation des échanges qui s’exprime dans la disparition du
système d’échanges multilatéraux d’avant 1914 et dans la politique commerciale des Etats-Unis depuis 1919 et surtout depuis la deuxième guerre mondiale, et qui consiste à vendre sans acheter. Ce « commerce » unilatéral est évidemment la négation de tout commerce.

3. Cet état de choses a des répercussions sur l’exportation des capitaux,
dont le rôle ne s’est pas modifié, qui est toujours aussi nécessaire pour l’impérialisme, mais qui se heurte à tous les obstacles nouveaux soulevés par la crise générale du capitalisme et que nous venons d’énumérer : rétrécissement de la sphère capitaliste, crise du pouvoir de la bourgeoisie en Europe, révoltes coloniales, désorganisation des échanges commerciaux, dépréciations monétaires, interdiction des exportations d’or, refus de reconnaître les dettes étrangères, etc.

La conséquence en est un ralentissement de la cadence d’exportation des capitaux par rapport à l’avant-guerre, dans la période 1920-29, puis, après la crise économique, la diminution et même la cessation des investissements privés à long terme à l’étranger.

On voit alors, de 1929 à 1939, une masse de capital disponible
circuler de pays en pays à la recherche d’un placement spéculatif, s’investissant à court terme et contribuant à aggraver encore plus l’instabilité monétaire.

C’est l’État qui prend alors les risques de l’exportation du capital. Les États-
Unis, principal pays exportateur après 1918, créent dans ce but l’Export-Import Bank ; et, à la suite de la deuxième guerre mondiale, octroient des crédits énormes à tous les pays capitalistes et semi-coloniaux (Plan Marshall, etc.).

Si les investissements privés américains à long terme reprennent à partir de 1945, ils restent extrêmement faibles par rapport à l’exportation de capitaux gouvernementaux. La prédominance des crédits d’État dans l’exportation des capitaux est encore une particularité de la crise générale et un signe de sa décomposition.

Le parasitisme et la putréfaction

La période de crise générale voit une intensification extrême des phénomènes de parasitisme et de putréfaction décelés par Lénine dans l’Impérialisme.

Notons d’abord le freinage du progrès technique, la mise sous boisseau des
brevets dont la période de crise générale offre de nombreux exemples. Le signe le plus caractéristique de la décomposition du système capitaliste est le fait que la technique ne se développe pleinement que pendant la guerre (aviation, industrie chimique, T.S.F. pendant la première guerre mondiale ; énergie atomique, radar. etc…, pendant la deuxième) ou à cause de la guerre (c’est le cas particulier de la fabrication d’essence et de caoutchouc synthétiques et autres produits de synthèse par l’Allemagne hitlérienne, puis par ses concurrents impérialistes).

L’exemple le plus monstrueux de cette décomposition d’un régime est celui
de l’énergie atomique, une des plus grandes découvertes de l’histoire humaine, qui, aux Etats-Unis, n’est employée que dans des buts de destruction.

Ce parasitisme se manifeste également :

— par le retard accru des campagnes sur les villes, et de l’agriculture sur l’industrie, malgré les progrès de l’agriculture capitaliste, qui d’ailleurs se produisent surtout pendant les guerres ou à cause de la guerre ;

— par l’augmentation des bénéfices capitalistes pendant la guerre ou pendant que l’économie traverse une période de décroissance : en 1948 par exemple les bénéfices des sociétés américaines ont dépassé de deux fois ceux de 1944, alors que la production était inférieure de 20 % ;

— par la diminution non plus seulement relative mais parfois absolue du
nombre de travailleurs industriels et l’augmentation de la population employée à la distribution (commerce, services civils, services domestiques et professionnels, etc.) ;

— par l’énormité des frais die publicité qui prennent des proportions
inconnues dans la période antérieure (presse, radio, etc.).

Enfin le caractère destructeur de l’impérialisme s’affirme avec une violence
sans précédent : les destructions de stocks, de moyens de production, de main d’œuvre (chômage) pendant la crise de 1929-33 atteignent une ampleur sans exemple dans l’histoire du capitalisme : les économistes bourgeois estiment que cette crise a coûté autant que la première guerre mondiale.

Mais c’est encore la guerre qui est le principal moyen de destruction des
forces productives.

Les guerres mondiales ne sont pas un phénomène spécifique de la crise
générale ; elles sont une conséquence de la fin du partage du monde, qui est
une des caractéristiques essentielles de l’impérialisme.

Mais la prospérité des monopoles est à ce point liée à la guerre (la capacité
de production n’est utilisée à plein, le chômage n’est résorbé que pendant la
guerre ; la guerre et ses conséquences directes tendent à constituer la phase de prospérité des cycles industriels) et les contradictions de l’impérialisme sont devenues si aiguës que :

a) la période qui sépare les guerres mondiales n’est pas une période de
paix, mais remplie de « petites » guerres et, après chaque guerre mondiale, les dépenses militaires sont toujours supérieures à ce qu’elles étaient avant le déclenchement des hostilités ;

b) les guerres mondiales elles-mêmes sont de plus en plus destructrices (le
nombre des tués est passé de 10 à 50 millions et les dépenses de 200 milliards de dollars à 1000 milliards, de la première à la deuxième guerre mondiale) et de plus en plus rapprochées : comme le montre la volonté des impérialistes américains de déclencher cinq ans après la fin de la deuxième une troisième guerre mondiale.

Le régime bourgeois est donc devenu, à l’époque de la crise générale, non
seulement un obstacle au progrès de l’humanité, mais un danger pour l’existence même de l’humanité. L’exploitation de l’homme est maintenant inséparable de la destruction de l’homme. Le capitalisme, à l’époque de la crise générale, se caractérise comme le régime de la destruction de l’homme par l’homme.

Supprimer le capitalisme n’est plus seulement une action progressive ; c’est une mesure de salut public.

Mais le capitalisme précipite ainsi sa disparition. A l’époque de la crise
générale, qui voit la concentration extrême de la richesse à un pôle et de la
misère à l’autre, les rapports sociaux arrivent à une tension extrême, le joug du capital devient insupportable non seulement à la classe ouvrière, mais aussi aux classes moyennes à la ville et à la campagne. La préparation de la prochaine guerre et les frais des guerres passées écrasent toutes les couches de la population, en dehors de l’oligarchie financière, du capital cosmopolite.

L’inflation et les dévaluations ruinent toute la couche des petits rentiers. Ensuite, pendant la guerre, l’impérialisme fait subir à l’ensemble des masses des souffrances terribles. Mais il donne ainsi des alliés à la classe ouvrière, dans la lutte révolutionnaire. La conclusion de ces alliances est un trait distinctif de la crise générale du capitalisme, qui en fait l’époque des révolutions prolétariennes victorieuses, car l’alliance des ouvriers, des paysans et des classes moyennes, comme le prouve la Révolution d’octobre, signifie la mort de l’impérialisme.

Pour empêcher cette alliance et la révolution socialiste, le grand capital n’a
plus qu’un moyen : la démagogie et les méthodes du fascisme, à l’aide desquelles il utilise, en se servant d’une terminologie « révolutionnaire » et « socialiste », le mécontentement des paysans et de la petite bourgeoisie des villes pour écraser le mouvement ouvrier et régner par la terreur.

Déjà Lénine avais montré que l’impérialisme, c’était « la réaction sur toute
la ligne, quel que soit le régime politique » (L’impérialisme. Données complémentaires, p. 292). Et il avait montré le tournant politique de la bourgeoisie, lors du passage de la libre concurrence au monopole.

Le tournant de la démocratie à la réaction politique représente la superstructure politique de l’économie nouvelle du capitalisme monopoliste (l’impérialisme, c’est le capitalisme des monopoles).

A la libre concurrence correspond la réaction politique (Œuvres complètes, t.XIX, Édition russe, cité par Ségal : Principes d’économie politique, p.350).

Jusqu’à 1914 toutefois, cette réaction s’était exercée dans le cadre du parlementarisme. A l’époque de la crise générale, la bourgeoisie est obligée de renoncer à la démocratie formelle, et de recourir à la dictature terroriste ouverte.

Le fascisme est la forme politique type de la domination des monopoles à
l’époque de la crise générale : c’est, en effet exactement la superstructure politique du capitalisme monopoliste d’État.

Il n’est pas étonnant que le capitalisme américain, à la suite de la deuxième
guerre mondiale, en même temps qu’il prend de plus en plus le caractère d’un capitalisme monopoliste d’État, s’engage dans la voie de fascisation intégrale de l’appareil d’État (pour les développements, voir mon livre : Où va l’impérialisme américain).

Mais le fascisme, s’il permet à la bourgeoisie de faire reculer momentané-
ment la révolution qui s’avance, est en réalité non pas une preuve de force,
mais un symptôme de faiblesse.

Il faut, dit Staline, regarder la victoire du fascisme en Allemagne, non seulement comme un signe de faiblesse de la classe ouvrière et le résultat des trahisons perpétrées contre celle-ci par la social-démocratie qui a frayé la route au fascisme.

Il faut la considérer également comme un signe de faiblesse de la bourgeoisie, comme un signe montrant que cette dernière n’est plus en état d’exercer son pouvoir au moyen des anciennes méthodes de parlementarisme et de démocratie bourgeoise, ce qui l’oblige à recourir, dans sa politique intérieure, aux méthodes de domination par la terreur, comme un signe qu’elle n’a plus la force de trouver une issue à la situation actuelle sur la base d’une politique extérieure de paix, ce qui l’oblige à recourir à la politique de guerre.

En même temps les États impérialistes, non seulement renforcent l’exploitation des travailleurs des pays coloniaux et semi-coloniaux, mais s’en servent également comme mercenaires. Mais ce n’est pas impunément que ces peuples sont à leur tour entraînés dans la guerre ; car ils apprennent à se servir des armes modernes et les tournent contre leurs oppresseurs.

Avec la crise générale commencent ainsi les soulèvements armés qui entraînent les États impérialistes dans des guerres coloniales de longue durée, d’où ils sortent finalement vaincus, comme le montre l’exemple historique de la révolution chinoise que l’impérialisme n’a pas réussi à écraser au bout de vingt années de guerre, et qui a balayé l’impérialisme après la deuxième guerre mondiale.

III. LE DÉVELOPPEMENT DE LA CRISE GÉNÉRALE

De la. victoire du socialisme en Union soviétique
à sa victoire à l’échelle mondiale.

On ne peut avoir une idée exacte de la crise générale du capitalisme si on
ne l’étudie pas dans son développement. Cette étude est essentielle pour un
marxiste, car elle permet de faire le point de la situation et d’orienter dans la voie juste l’action révolutionnaire.

Ce qui doit nous guider dans la détermination des différentes étapes de la
période de crise générale, c’est évidemment la définition que nous avons donnée de cette crise.

En conséquence, c’est le développement du secteur socialiste,
c’est-à-dire l’accroissement de la puissance économique, politique et militaire de l’U.R.S.S., ses progrès dans la voie du communisme ; l’extension géographique du secteur socialiste ; le renforcement idéologique et numérique des partis communistes ; la régression de l’influence réformiste dans les pays capitalistes et, ce, qui résulte de tout cela, l’évolution du rapport des forces entre les deux systèmes, qui nous indiqueront les stades successifs de la crise du système capitaliste.

Vue sous cet angle, la crise générale présente deux périodes distinctes. La
première, qui va de 1917 à la deuxième guerre mondiale, est celle de la brèche unique dans la citadelle capitaliste, celle du socialisme dans un seul pays, au cours de laquelle le capitalisme s’efforce en vain de détruire le nouvel État, mais pendant laquelle le rapport des forces reste cependant favorable au capitalisme.

La deuxième, qui commence avec la deuxième guerre mondiale ou plus
exactement avec les résultats de cette guerre, est celle des brèches multiples
dans la citadelle capitaliste, du socialisme dans plusieurs pays, où l’avantage clans le rapport des forces entre les deux systèmes passe du côté du socialisme et au cours de laquelle l’impérialisme essaie en vain de redresser la situation et succombera définitivement dans ses tentatives.

A. — La première période (1917-1941)

Elle comprend trois parties :

1. 1917-1923. La Révolution d’octobre ouvre une crise révolutionnaire gigantesque : la révolution éclate en Allemagne, en Hongrie, en Autriche ; des mouvements de libération nationale se produisent clans les pays coloniaux et semi-coloniaux, notamment en Syrie, au Maroc, en Chine.

De grandes grèves se déroulent en Angleterre, en France, en Italie et aux Etats-Unis.

Le capitalisme est en même temps ébranlé par les difficultés économiques :
crise de 1920-21, désorganisation des échanges, inflation. Sa stabilité est ébranlée par la montée brusque du capitalisme américain, l’effondrement de l’Allemagne, la désorganisation de l’ancien empire austro-hongrois, etc.

Mais, grâce à l’appui de la social-démocratie dont l’influence est encore
puissante, la bourgeoisie parvient à briser les mouvements révolutionnaires sauf en U.R.S.S. L’écrasement de la Révolution allemande en 1923 marque la fin de cette période, qui se solde en définitive à l’avantage du socialisme par deux gains d’une importance décisive pour l’avenir du capitalisme : la victoire et le renforcement de la dictature du prolétariat en U.R.S.S. malgré l’assaut des puissances impérialistes, et la création de partis communistes marxistes-léninistes dans la plupart des pays capitalistes.

2. 1923-1929. C’est la période dite de stabilisation : stabilisation du capitalisme et du régime soviétique et stabilisation des rapports entre les deux systèmes.

Dans les pays capitalistes européens, la bourgeoisie reconstitue l’économie
ruinée par la guerre et consolide, relativement à la période précédente et dans une certaine mesure, sa domination politique : les surprofits tirés à nouveau de la surexploitation des peuples coloniaux lui permettent de soutenir la social-démocratie et le réformisme dans le mouvement ouvrier.

La production industrielle dépasse le niveau atteint pendant la guerre ou l’avant-guerre. Entre les États impérialistes, les liens économiques rompus par la guerre se rétablissent tant bien que mal et les impérialistes finissent par conclure des accords provisoires sur le pillage en commun de l’Allemagne (plans Dawes et Young) et des colonies.

Enfin les impérialistes renoncent, à la suite de leur échec, à l’agression et même au blocus économique de l’U.R.S.S. et nouent avec elle des rapports commerciaux.

Cette période marque-t-elle une régression ou un ralentissement de la crise générale ? En aucune façon.

D’abord, l’établissement de rapports, pacifiques entre les deux systèmes est
toujours un facteur positif pour le régime socialiste qui peut se consacrer davantage à son développement intérieur et marque un échec des cercles impérialistes les plus réactionnaires. Ensuite et surtout, la nature des deux stabilisations est complètement différente.

La stabilisation en régime capitaliste, dit Staline, se traduisant par le renforcement momentané du capital, aboutit nécessairement à l’aggravation des contradictions du capitalisme […].

Par contre, renforçant le socialisme, la stabilisation en régime soviétique doit nécessairement aboutir à l’atténuation des contradictions et à l’amélioration des rapports : a) entre le prolétariat et la paysannerie de notre pays ; b) entre le prolétariat et les peuples coloniaux des pays opprimés ; c) entre la dictature du prolétariat et les ouvriers de tous les pays.

Le fait est que le capitalisme ne peut se développer sans intensifier l’exploitation de la classe ouvrière, sans maintenir dans un état de demi-famine la grande majorité des travailleurs, sans renforcer l’oppression des pays coloniaux et vassaux, sans entraîner des conflits et des chocs entre les divers groupements impérialistes de la bourgeoisie.

Le régime soviétique et la dictature du prolétariat, au contraire, ne peuvent se développer que par l’élévation constante du niveau matériel et moral de la classe ouvrière, par l’amélioration continue de la situation des travailleurs du pays soviétique, par le rapprochement progressif et l’union de tous les ouvriers de tous les pays, par le ralliement des colonies et des pays vassaux opprimés autour du mouvement révolutionnaire du prolétariat.

Le développement du capitalisme est synonyme d’appauvrissement et de misère pour la grande majorité des travailleurs, de situation privilégiée pour une infime catégorie de travailleurs corrompus par la bourgeoisie.

Le développement de la dictature du prolétariat, au contraire, est synonyme d’un relèvement continu du bien-être de l’immense majorité des travailleurs (Rapport au XIVe congrès du Parti communiste de l’U.R.S.S.).

En effet les bases économiques de la « stabilisation » capitaliste furent la
transformation de l’appareil de production américain, connue sous le nom de rationalisation, et l’investissement de capitaux américains en Europe. La stabilisation reposait ainsi sur l’exploitation plus intense des travailleurs américains et des travailleurs européens ainsi que ceux de tous les pays soumis au capitalisme.

Aussi la lutte de classes ne s’apaise-t-elle pas, comme le montrent la
grève des mineurs en Angleterre, en 1926, la lutte armée des ouvriers de Vienne eu juillet 1927.

En même temps, dans les pays coloniaux, la révolution chinoise se développe, une insurrection se produit en Indonésie, un mouvement révolutionnaire grandit aux Indes.

L’instabilité du capitalisme s’accroît à la suite de nouvelles inégalités dans
le développement des pays capitalistes (les Etats-Unis se développent plus vite pue les pays européens, le Japon plus vite que les Etats-Unis, la France plus vite que l’Allemagne, alors que c’était le contraire avant la guerre ; l’Angleterre piétine) ; et par suite du déséquilibre causé dans les échanges par l’excédent du commerce américain et la position financièrement créditrice des Etats-Unis.

Cela entraîne une aggravation des antagonismes entre les pays, capitalistes
malgré toutes les conférences de paix, comme le montrent la concurrence
acharnée que se livrent les Etats-Unis et l’Angleterre pour les matières premières et les marchés, les conflits entre les créditeurs américains et les débiteurs européens, la rivalité entre le Japon et les Etats-Unis dans le Pacifique, etc..

La stabilisation capitaliste n’était en réalité qu’une stabilisation partielle et provisoire, sans aucune solidité et qui préparait une crise économique plus grave.


Pendant ce temps, l’U.R.S.S. réalise les conditions politiques et matérielles qui vont lui permettre d’entreprendre la construction du socialisme : grâce à la victoire sur le trotskysme de la conception léniniste, soutenue par Staline, concernant la possibilité du socialisme en U.R.S.S. et grâce à l’augmentation de la production industrielle et agricole, dont le rythme dépasse déjà celui de tous les pays capitalistes.

Parallèlement, les partis communistes qui sont nés dans
la période précédente se consolident intérieurement (élimination du trotskysme, des déviations petites-bourgeoises et sectaires).

En France notamment c’est, avec l’accession de Maurice Thorez à la direction du parti, le triomphe du courant prolétarien et léniniste et la défaite des cliques policières Celor-Barbé qui stérilisaient l’action du parti.

L’élaboration du premier plan quinquennal grâce au renforcement de
l’U.R.S.S. et la consolidation intérieure des partis communistes sont deux grands pas de plus faits sur le chemin du socialisme, et par conséquent les deux faits positifs qui marquent l’aggravation de la crise générale du capitalisme de 1923 à 1929.

3. 1929-1941. C’est une période de profonde aggravation de la crise générale,
marquée par trois faits essentiels : le succès de la construction socialiste, le
contraste criant entre les lignes de développement du socialisme et du capitalisme, et l’échec des cercles les plus réactionnaires de l’impérialisme pour réaliser un front d’agression unique du capitalisme mondial contre l’U.R.S.S.

Cette période est essentiellement celle de la victoire du socialisme, en U.R.S.S. et de sa progression dans la voie du communisme, grâce au succès des premier et deuxième plans quinquennaux et à la mise en application du troisième ; c’est celle du renforcement, à un rythme absolument inconnu jusqu’alors, de la puissance économique de l’U.R.S.S., qui, de pays arriéré et agricole, devient un pays industriel et d’avant-garde, qui met en application la Constitution stalinienne de 1936 et qui renforce son unité, sa cohésion et sa force de résistance à l’agression par l’élimination des éléments contre-révolutionnaires des cadres de l’économie et de l’armée.

Dans le même temps que l’U.R.S.S. supprime définitivement le chômage et
les crises économiques, que sa production augmente à un rythme impétueux et qui ne connaît pas de ralentissement, le système capitaliste subit la plus terrible crise de surproduction de son histoire. Commencée aux Etats-Unis, la crise industrielle atteint tous les pays capitalistes sans exception et s’enchevêtre avec la crise agraire qui, elle aussi, n’épargne aucun pays et s’étend à toutes les branches de l’agriculture.

On compte en 1932, officiellement de 30 à 40 millions de chômeurs complets. Le capitalisme étale le spectacle odieux de ses destructions gigantesques (outillages jetés au rebut, bétail abattu, récolte de blé, de coton, de café brûlée), pendant que des dizaines de millions, d’hommes sont sous-alimentés.

Les courants commerciaux, péniblement et artificiellement rétablis dans la période de stabilisation, sont désorganisés : le marché international se disloque sous l’effet des contingentements, du dumping, de « l’autarcie » ; pas une monnaie ne résiste : la livre sterling abandonne la parité or ; le dollar lui-même est dévalué pour alléger la situation des débiteurs.

Tout le système bancaire américain s’effondre et n’est sauvé que par l’intervention de l’État. Enfin, après une courte et fragile reprise en 1936-37, la crise reprend en 1938.

Le développement des pays capitalistes contraste à nouveau avec la période
antérieure : l’Allemagne, grâce au réarmement, accroît sa production industrielle, tandis que celle de la France décline ; la lutte pour les marchés prend une forme suraiguë. Les impérialismes les plus défavorisés dans le partage des colonies et des sphères d’exploitation exigent ouvertement un nouveau partage du monde.

La lutte des classes s’aggrave (manifestations de chômeurs, « marches de la
faim » aux Etats-Unis, etc.). Le capitalisme ne peut sortir de ses contradictions que par le fascisme et une nouvelle guerre mondiale.

L’instauration de la dictature nazie, forme la plus achevée du fascisme, en
Allemagne en 1933 marque le courant décisif vers la guerre, dont une série de guerres partielles (guerre du Japon contre la Mandchourie et la Chine, guerre d’Éthiopie, guerre d’Espagne) constituent le prologue.

Les cercles les plus réactionnaires de l’impérialisme auraient voulu réaliser
une entente entre les différents groupes et États capitalistes pour écraser le pays du socialisme.

Mais leurs plans, malgré la non-intervention en Espagne, Munich et la « drôle de guerre », échouèrent à cause de l’opposition des forces démocratiques et de la politique des partis communistes, qui permirent la formation de Fronts populaires contre le fascisme et la guerre (journées de février 1934 en France) et à cause des oppositions d’intérêts entre les grandes puissances qui, d’accord sur la guerre contre l’U.R.S.S., ne l’étaient plus du tout pour le partage du butin.

La conséquence, c’est que l’impérialisme réussit bien à lancer l’Allemagne contre l’U.R.S.S., mais cette guerre ne se présenta pas du tout dans les conditions qu’il espérait.

D’abord l’U.R.S.S. avait pu profiter des dissensions entre ses. adversaires
pour briser l’encerclement (pacte germano-soviétique de non-agression et non-belligérance avec le Japon) et utiliser la période de répit ainsi gagnée pour hâter sa préparation militaire.

Ensuite, lorsqu’en 1941 la guerre mondiale entra dans sa phase décisive,
l’Angleterre et les Etats-Unis se trouvèrent par la force des choses des « alliés » de l’U.R.S.S. : le front impérialiste était ainsi brisé.

Enfin et surtout, les cercles impérialistes anglo-américains ne purent empêcher que cette guerre, malgré ses causes purement impérialistes et les visées réactionnaires des Churchill et des Hoover, ne prît pour les peuples d’Europe et d’Asie et pour le peuple américain le caractère d’une guerre de libération contre le fascisme.

Ainsi la crise générale du capitalisme s’était à nouveau et considérablement
approfondie.

B. — La deuxième période (1941-…)

Cette deuxième grande période de la crise générale comprend déjà plusieurs étapes :

1. 1941-46. C’est au cours de cette étape que se produit le changement
qualitatif décisif qui marque le début de la deuxième période de la crise générale, c’est-à-dire le changement radical qui se produit en faveur du socialisme dans le rapport des forces entre les deux systèmes.

Cette brusque transformation est due à deux causes essentielles : d’une part, la défaite des pays impérialistes les plus agressifs soutenus par les réactionnaires de tous les pays capitalistes, la mise hors de combat des forces principales de la réaction fasciste internationale militante, et d’autre part, le rôle décisif de l’U.R.S.S. dans cette défaite.

Non seulement, l’État Soviétique ne s’est pas disloqué sous les coups de boutoir de l’impérialisme, mais l’Armée Rouge a écrasé, à elle seule, le gros des armées ennemies. L’U.R.S.S. n’a pas seulement remporté une victoire militaire, mais une victoire politique, morale et idéologique.

« L’importance et l’autorité internationale de l’URSS, constate Jdanov, se sont considérablement accrues par suite de la guerre. » Le système socialiste, qui n’avait plus à démontrer qu’il était viable (c’était chose faite depuis le succès des plans quinquennaux) avait encore à prouver sa supériorité dans l’épreuve décisive de la guerre.

Stalingrad et les offensives victorieuses de l’Armée Rouge ont prouvé définitivement la supériorité du régime socialiste sur le régime capitaliste, en même temps que l’indestructibilité de l’État soviétique.

Les victoires de l’Armée rouge ont eu un certain nombre de conséquences
d’une grande importance qui ont encore considérablement affaibli le système capitaliste et renforcé le système socialiste.

1. Toute une série de pays d’Europe centrale et sud-orientale se sont détachés de la sphère impérialiste. Cela signifiait, d’une part, une nouvelle réduction du champ d’exploitation capitaliste, donc un affaiblissement économique et politique du capitalisme des monopoles, et une aggravation de son instabilité et, d’autre part, la suppression du « cordon sanitaire », c’est-à-dire la disparition du réseau de bases d’agression établies aux frontières mêmes de l’U.R.S.S. et à proximité de ses centres vitaux, donc un affaiblissement stratégique de l’impérialisme.

2. Les forces démocratiques se sont considérablement accrues dans les
pays capitalistes, par suite de l’augmentation de l’influence et de la puissance des Partis communistes et de la diminution corrélative de l’influence des partis socialistes réformistes.

Les Partis communistes qui, à la fin de la première guerre mondiale, n’étaient, en dehors de l’U.R.S.S., qu’à l’état embryonnaire, qui n’existaient pas dans de nombreux pays et qui, même à la veille de la deuxième guerre mondiale, n’avaient encore souvent qu’une influence limitée, sont devenus, dans de nombreux pays, comme en Italie et en France, des partis de masses puissants.

En 1917, le Parti bolchevik russe était le seul parti marxiste
révolutionnaire existant au monde et il groupait seulement 240 000 membres.
Après la deuxième guerre mondiale, il n’était plus un seul pays qui n’eût son
Parti communiste formé selon les enseignements de Lénine et de Staline, et
l’ensemble de ces partis totalisait plus de vingt millions de membres.

À la fin des hostilités, des communistes participent au gouvernement dans plusieurs pays capitalistes d’Europe occidentale, en France, en Belgique, en Italie et même en Amérique du Sud, au Chili.

3. La crise du système colonial commencée avec la première guerre mondiale s’est considérablement accentuée. En Chine, l’Armée populaire après ses victoires sur les envahisseurs nippons occupe d’importantes parties du territoire.

Une république populaire naît en Corée du Nord. Le Viet-Nam et l’Indonésie
proclament leur indépendance. L’Inde la réclame. En Malaisie et en Birmanie, les forces populaires remportent de grands succès. En Afrique noire française, le Rassemblement démocratique africain (R.D.A.) éveille pour la première fois à la conscience politique les masses indigènes.

La vague d’émancipation qui s’élève de nouveau, comme après l’autre guerre, dans les pays coloniaux et semi-coloniaux atteint, grâce aux victoires de l’Armée rouge, une hauteur et une puissance qu’elle n’avait pas après 1918.

Les peuples des colonies ne veulent plus vivre comme par le passé. Les classes dominatrices des métropoles ne peuvent plus gouverner comme auparavant.

Les tentatives d’écrasement du mouvement de libération nationale par la force militaire se heurtent maintenant à la résistance armée croissante des peuples des colonies et conduisent à des guerres coloniales de longue durée
(A. Jdanov : Rapport sur la situation internationale, conférence des Partis communistes et ouvriers, septembre 1947)

La situation générale du système impérialiste est encore aggravée par le degré d’instabilité extrême qui résulte non seulement du rétrécissement nouveau de la sphère du capitalisme, mais encore de la concentration de la puissance économique, politique et militaire aux Etats-Unis pendant cette période.

Seule puissance capitaliste à bénéficier intégralement de la guerre, ils en sortent plus puissants que tous les autres pays capitalistes réunis (our les détails, voir : Où va l’impérialisme américain) et deviennent puissance dominante du camp impérialiste.

Cette situation nouvelle et l’aggravation des contradictions du capitalisme résultant de la guerre les entraînent dans une politique de domination mondiale, dont l’obstacle essentiel est la puissance de l’U.R.S.S.

Le système impérialiste, sous la direction de l’impérialisme américain, s’engage alors dans une lutte acharnée contre le secteur socialiste pour tenter de redresser la situation en sa faveur : d’abord par le moyen de la guerre « froide » (chantage atomique, pression diplomatique et économique sur l’U.R.S.S. et les démocraties populaires d’Europe, soutien des gouvernements et formations réactionnaires contre les forces démocratiques), ensuite par le moyen de l’agression militaire.

2. 1946-49. Cette étape voit l’échec complet de la « guerre froide » qui se
termine par une véritable déroute de l’impérialisme, une nouvelle augmentation, non seulement relative mais absolue, des forces du socialisme. Le rapport des forces, déjà favorable au socialisme, se modifie à nouveau de façon considérable en sa faveur.


a) L’économie socialiste a liquidé rapidement les séquelles de la guerre ;
le quatrième plan quinquennal a été mis en application et a connu un succès complet.

b) Les Etats-Unis ont perdu le monopole de l’utilisation de l’énergie atomique.

c) Les brèches pratiquées dans la forteresse capitaliste au, cours de l’étape
précédente ont été consolidées grâce au renforcement économique et politique des États démocratiques de l’Europe de l’Est et de la Corée du Nord.

d) Deux nouvelles et énormes brèches ont été faites : création de la République populaire de Chine et de la République démocratique allemande.

La crise générale s’est encore aggravée du fait :

a) du contraste entre les lignes de développement des pays du secteur socialiste et celles du secteur capitaliste, de l’orientation de ces dernières vers la crise économique qui commence à se manifester aux Etats-Unis à la fin de 1948 et se développe au cours de l’année 1949 ;

b) de l’impuissance de la réaction européenne, poussée par l’impérialisme
américain, à écraser les partis communistes d’Europe occidentale ;

c) de l’incapacité des États impérialistes européens à briser le soulèvement
des peuples coloniaux au Vietnam, en Malaisie, en Birmanie ;

d) des difficultés grandissantes des pays capitalistes européens sous la
pression du plan Marshall ;

e) du pourrissement accéléré de l’économie américaine soutenue par
d’énormes dépenses de l’État (crédits extérieurs et armements) ;

f) de la détérioration accrue des échanges internationaux par suite du commerce unilatéral américain ;

g) de l’aggravation de toutes les contradictions internes du capitalisme, qui
se traduisent déjà par l’orientation de l’impérialisme vers le fascisme et la guerre.

3. Avec les années 1949-50 commence une troisième étape : celle de la préparation ouverte, officielle, de la guerre contre l’Union soviétique et de l’intervention directe et non plus par personnes interposées, comme dans l’étape précédente, de l’impérialisme américain contre le secteur socialiste : la signature du Pacte Atlantique, nouveau Pacte Antikomintern, et d’agression de Corée sont les événements qui marquent le début de cette étape qui, dans la pensée des impérialistes américains, doit conduire à une troisième guerre mondiale.


La crise générale touche à sa fin


Que nous enseigne le développement de la crise générale ? Tout d’abord que la crise du système, à cause de la victoire de la Révolution d’octobre, est un phénomène permanent et qu’il s’agit d’une maladie insurmontable et inguérissable.

Ensuite et surtout que le mal fait des progrès de plus en plus rapides à
mesure que les années passent. En particulier l’intensification de la crise générale à la suite de la deuxième guerre mondiale nous montre que les processus de développement du régime socialiste et d’écroulement du capitalisme vont en s’accélérant.

La prise de conscience de cette accélération est d’une importance capitale
pour la lutte du prolétariat, car seule elle permet de comprendre avec Maurice Thorez que « la paix aujourd’hui est comme suspendue à un fil », autrement dit apprend à ne pas sous-estimer le danger de guerre.

En même temps elle donne une confiance accrue à la classe ouvrière, en lui
révélant que le rapport des forces est favorable au prolétariat ; elle décuple sa volonté de lutte, en lui prouvant que le règne de la bourgeoisie touche à sa fin.

L’histoire de la crise générale du capitalisme nous fait comprendre l’opposition fondamentale de l’impérialisme et du socialisme en face de la guerre. L’Union Soviétique et les démocraties populaires, convaincues que le passage du capitalisme au socialisme résulte des lois mêmes de l’évolution sociale, ne craignent pas, mais désirent au contraire la coexistence et la confrontation pacifique des deux systèmes existant dans le monde : elles savent que cette rivalité pacifique permettra aux peuples de choisir librement, et en connaissance de cause, le régime le plus progressif.

Au contraire la peur de l’avenir et la nécessité du surarmement
pour retarder une crise économique encore plus grave que celle de 1929 poussent les impérialistes aux aventures sanglantes.

Mais si les Impérialistes n’ont pas le désir d’une coexistence pacifique des
deux systèmes, ils n’ont pas pour autant le pouvoir de déclencher, à eux seuls et sans le consentement de leurs peuples, la catastrophe d’une troisième guerre mondiale. Dès à présent, en effet, les forces de paix sont, comme le prouve l’étude de la crise générale, objectivement supérieures aux forces de guerre et peuvent imposer aux impérialistes les plus agressifs, des relations pacifiques avec le secteur socialiste.

Pour faire de cette possibilité de paix une réalité, il suffit
que la volonté des peuples vienne s’ajouter aux conditions objectives, que les centaines de millions d’hommes qui veulent la paix dans les pays encore soumis au capitalisme sachent s’unir et agir.

L’échec définitif des fauteurs de guerre ne dépend que de notre action, et
cela dicte à chacun son devoir.

La crise du Covid-19, un aspect urbain de la Biosphère

À moins d’avoir un mode de pensée totalement ancré dans les conceptions passéistes, il est évident que le Covid-19 est directement issu des activités humaines. La chose a été très claire lors de l’irruption du coronavirus, puis l’idéologie dominante s’est débrouillée pour faire disparaître des esprits cette certitude. C’est que, forcément, si on constate cela, alors on ne peut que voir que le Covid-19 n’est pas une « catastrophe naturelle » mais bien le produit du démantèlement des équilibres existant sur Terre.

Sans l’étalement urbain, sans la destruction des espaces naturels, sans les opérations à grande échelle de pillage des zones sauvages, sans l’asservissement des animaux de manière gargantuesque, la crise du Covid-19 n’aurait pas pu avoir lieu. Il n’y aurait pas eu le terrain fertile sur lequel un virus a pu prospérer et muté.

Cela ne veut nullement dire que ce virus ne se serait pas pareillement « baladé » sur la planète. Cependant, il l’aurait fait différemment, certainement pas au début du XXIe siècle, pas en semant la mort comme il l’a fait. Le problème de base, c’est que le mode de production capitaliste parvenue à sa décadence amène une modification accélérée et chaotique de la planète, ce qui aboutit à des échanges qui n’auraient pas dû avoir lieu sous cette forme et à ce moment de l’évolution de la planète.

Cette modification accélérée et chaotique ne fait que confirmer la thèse du biogéochimiste soviétique Vladmir Vernadsky (1863-1945) selon laquelle les modifications directement provoquées par les êtres vivants sont devenues moins importantes que celles ayant comme source les techniques d’une humanité vivant dans le cadre du mode de production capitaliste pour la reproduction de son existence.

Vladmir Vernadsky avait raison de voir que la Biosphère – concept qu’il a mis en place scientifiquement – se voit travaillée au corps par d’intenses activités faisant irruption de manière massive et planétaire, par l’utilisation de la technique et de sources importantes d’énergie. L’humanité a commencé, au XIXe siècle, mais encore plus au XXe siècle, sans parler du XXIe siècle, à modifier le visage de la planète. Vernadsky constatait déjà en 1928 qu’on était rentré dans une ère de transformation à grande échelle :

« Pour la première fois dans l’histoire de la Terre, la migration biogène [des atomes] due au développement de l’action de la technique a pu avoir une signification plus grande que la migration biogène déterminée par la masse de la matière vivante.

En même temps, les migrations biogènes ont changé pour tous les éléments. Ce processus s’est effectué très rapidement dans un espace de temps insignifiant.

La face de la Terre s’est transformée d’une façon méconnaissable et pourtant il est évident que l’ère de cette transformation ne fait que commencer. » (L’évolution des espèces et la matière vivante)

I l est évident qu’avec de tels changements, et de cette ampleur, tout développement anarchique ne pouvait qu’avoir des conséquences catastrophiques. L’une des principales raisons, c’est bien sûr la contradiction villes/campagnes, qui a pris une dimension aussi importante que celle entre le travail intellectuel et le travail manuel.

Il est tout à fait intéressant de voir comment l’ONU, dans son document de juillet 2020 Note de synthèse : la COVID-19 dans un monde urbain paru à la mi-septembre en français, cherche à gommer cela. Alors que les villes sont le lieu obligatoire du salariat pour des masses paysannes dépossédées au niveau mondial, qu’elles forment d’immenses blocs de béton sans charme ni espaces verts, ni infrastructures sanitaires ou de transports suffisants, avec une densité contre-nature, l’ONU prétend qu’il n’y a aucune liaison entre celles-ci la diffusion massive du Covid-19.

« Les centres urbains abritant environ 90 % de tous les cas de COVID-19 signalés , ils sont devenus l’épicentre de la pandémie.

La taille de leurs populations et leur fort niveau d’interconnectivité mondiale et locale les rendent particulièrement vulnérables à la propagation du virus.

Cependant, rien ne prouve que la densité soit, en elle-même, corrélée avec un taux supérieur de transmission du virus. Les villes peuvent maîtriser cette crise de façon à en ressortir comme les pôles d’énergie, de résilience et d’innovation qui les rendent si dynamiques et attrayantes que tant de personnes choisissent d’y vivre. »

« Rien ne prouve que la densité soit, elle-même, corrélée »… Comment peut-on professer un tel mensonge, alors que tout le monde sait bien, depuis le XIXe siècle, que l’assemblage de gens dans des boîtes de béton est insupportable et source de maladies ? Il suffit de penser au roman Hygeia, a city of Health (1876) de Benjamin Ward Richardson ou, dans la sphère francophone, aux Cinq cens millions de la bégum (1879) de Jules Verne.

Le discours du docteur Sarrasin appelant à former une cité idéale (France-ville) sonne tout à fait de manière moderne, 150 ans après la publication du roman :

Messieurs, parmi les causes de maladie, de misère et de mort qui nous entourent, il faut en compter une à laquelle je crois rationnel d’attacher une grande importance : ce sont les conditions hygiéniques déplorables dans lesquelles la plupart des hommes sont placés.

Ils s’entassent dans des villes, dans des demeures souvent privées d’air et de lumière, ces deux agents indispensables de la vie. Ces agglomérations humaines deviennent parfois de véritables foyers d’infection.

Ceux qui n’y trouvent pas la mort sont au moins atteints dans leur santé; leur force productive diminue, et la société perd ainsi de grandes sommes de travail qui pourraient être appliquées aux plus précieux usages.

Pourquoi, messieurs, n’essaierions-nous pas du plus puissant des moyens de persuasion… de l’exemple ? Pourquoi ne réunirions-nous pas toutes les forces de notre imagination pour tracer le plan d’une cité modèle sur des données rigoureusement scientifiques ?… (Oui ! oui ! c’est vrai !)

Pourquoi ne consacrerions- nous pas ensuite le capital dont nous disposons à édifier cette ville et à la présenter au monde comme un enseignement pratique… » (Oui ! oui ! — Tonnerre d’applaudissements.)

On sait également comment Friedrich Engels procéda à une description détaillée de la formation des villes, dans son ouvrage La Situation de la classe ouvrière en Angleterre en 1844. On y lit entre autres, avec une puissante modernité dans la caractérisation de l’anonymat sordide de la grande ville, cette désagrégation de l’humanité :

Une ville comme Londres, où l’on peut marcher des heures sans même parvenir au commencement de la fin, sans découvrir le moindre indice qui signale la proximité de la campagne, est vraiment quelque chose de très particulier.

Cette centralisation énorme, cet entassement de 3,5 millions d’êtres humains en un seul endroit a centuplé la puissance de ces 3,5 millions d’hommes. Elle a élevé Londres au rang de capitale commerciale du monde, créé les docks gigantesques et rassemblé les milliers de navires, qui couvrent continuellement la Tamise. Je ne connais rien qui soit plus imposant que le spectacle offert par la Tamise, lorsqu’on remonte le fleuve depuis la mer jusqu’au London Bridge.

La masse des maisons, les chantiers navals de chaque côté, surtout en amont de Woolwich, les innombrables navires rangés le long des deux rives, qui se serrent de plus en plus étroitement les uns contre les autres et ne laissent finalement au milieu du fleuve qu’un chenal étroit, sur lequel une centaine de bateaux à vapeur se croisent en pleine vitesse – tout cela est si grandiose, si énorme, qu’on en est abasourdi et qu’on reste stupéfait de la grandeur de l’Angleterre avant même de poser le pied sur son sol.

Quant aux sacrifices que tout cela a coûté, on ne les découvre que plus tard. Lorsqu’on a battu durant quelques jours le pavé des rues principales, qu’on s’est péniblement frayé un passage à travers la cohue, les files sans fin de voitures et de chariots, lorsqu’on a visité les « mauvais quartiers » de cette métropole, c’est alors seulement qu’on commence à remarquer que ces Londoniens ont dû sacrifier la meilleure part de leur qualité d’hommes, pour accomplir tous les miracles de la civilisation dont la ville regorge, que cent forces, qui sommeillaient en eux, sont restées inactives et ont été étouffées afin que seules quelques-unes puissent se développer plus largement et être multipliées en s’unissant avec celles des autres.

La cohue des rues a déjà, à elle seule, quelque chose de répugnant, qui révolte la nature humaine. Ces centaines de milliers de personnes, de tout état et de toutes classes, qui se pressent et se bousculent, ne sont-elles pas toutes des hommes possédant les mêmes qualités et capacités et le même intérêt dans la quête du bonheur ?

Et ne doivent-elles pas finalement quêter ce bonheur par les mêmes moyens et procédés ? Et, pourtant, ces gens se croisent en courant, comme s’ils n’avaient rien de commun, rien à faire ensemble, et pourtant la seule convention entre eux est l’accord tacite selon lequel chacun tient sur le trottoir sa droite, afin que les deux courants de la foule qui se croisent ne se fassent pas mutuellement obstacle; et pourtant, il ne vient à l’esprit de personne d’accorder à autrui ne fût-ce qu’un regard.

Cette indifférence brutale, cet isolement insensible de chaque individu au sein de ses intérêts particuliers, sont d’autant plus répugnants et blessants que le nombre de ces individus confinés dans cet espace réduit est plus grand.

Et même si nous savons que cet isolement de l’individu, cet égoïsme borné sont partout le principe fondamental de la société actuelle, ils ne se manifestent nulle part avec une impudence, une assurance si totales qu’ici, précisément, dans la cohue de la grande ville.

La désagrégation de l’humanité en monades, dont chacune a un principe de vie particulier et une fin particulière, cette atomisation du monde est poussée ici à l’extrême.

Il en résulte aussi que la guerre sociale, la guerre de tous contre tous, est ici ouvertement déclarée.

Ce qui est évidemment terrible, c’est que la grande ville a englouti le monde. Non seulement la majorité de l’humanité habite dans un environnement urbain au début du XXIe siècle, mais tout l’environnement urbain correspond aux principes de la grande ville, même sans en relever. C’est la grande ville qui amène au rond-point qu’on trouve dans des zones périphériques, loin de la grande ville, car tout mène, tout passe par la grande ville, qui est en fait le simple lieu de l’expression d’une concentration de capital, sans plus aucun rapport avec les besoins réels de l’humanité.

Même la prétention de la grande ville a produire de la culture, de par la rencontre de nombreux esprits, s’enlise toujours davantage. La diffusion du Covid-19 apparaît ici comme le point culminant de toute une évolution aboutissant à l’effondrement des grandes villes. Friedrich Engels, dans son Anti-Dühring, souligne d’ailleurs que :

Seule une société qui engrène harmonieusement ses forces productives l’une dans l’autre selon les lignes grandioses d’un plan unique peut permettre à l’industrie de s’installer à travers tout le pays, avec cette dispersion qui est la plus convenable à son propre développement et au maintien ou au développement des autres éléments de la production.

La suppression de l’opposition de la ville et de la campagne n’est donc pas seulement possible.

Elle est devenue une nécessité directe de la production industrielle elle-même, comme elle est également devenue une nécessité de la production agricole et, par-dessus le marché, de l’hygiène publique.

Ce n’est que par la fusion de la ville et de la campagne que l’on peut éliminer l’intoxication actuelle de l’air, de l’eau et du sol ; elle seule peut amener les masses qui aujourd’hui languissent dans les villes au point où leur fumier servira à produire des plantes, au lieu de produire des maladies (…).

La suppression de la séparation de la ville et de la campagne n’est donc pas une utopie, même en tant qu’elle a pour condition la répartition la plus égale possible de la grande industrie à travers tout le pays.

Certes, la civilisation nous a laissé, avec les grandes villes, un héritage qu’il faudra beaucoup de temps et de peine pour éliminer. Mais il faudra les éliminer et elles le seront, même si c’est un processus de longue durée.

Ce processus implique, bien entendu, la compréhension par l’humanité qu’elle est une partie de la Biosphère, qu’elle ne peut agir comme elle l’entend, qu’elle n’est pas « un empire dans un empire » comme l’a souligné Spinoza. Celui-ci se lamentait de la vanité humaine, comme ici Friedrich Engels qui se moque des prétentions humaines à « diriger » la réalité matérielle générale qu’est la nature :

Bref, l’animal utilise seulement la nature extérieure et provoque en elle des modifications par sa seule présence ; par les changements qu’il y apporte, l’être humain l’amène à servir à ses fins, il la domine. Et c’est en cela que consiste la dernière différence essentielle entre l’être humain et le reste des animaux, et cette différence, c’est encore une fois au travail que l’être humain la doit.

Cependant, ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences.

Les gens qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s’attendre à jeter par là les bases de l’actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d’accumulation et de conservation de l’humidité.

Les Italiens qui, sur le versant sud des Alpes, saccageaient les forêts de sapins, conservées avec tant de soins sur le versant nord, n’avaient pas idée qu’ils sapaient par là l’élevage de haute montagne sur leur territoire ; ils soupçonnaient moins encore que, ce faisant, ils privaient d’eau leurs sources de montagne pendant la plus grande partie de l’année et que celles-ci, à la saison des pluies, allaient déverser sur la plaine des torrents d’autant plus furieux.

Ceux qui répandirent la pomme de terre en Europe ne savaient pas qu’avec les tubercules farineux ils répandaient aussi la scrofule. Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein, et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures, de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement.

Et en fait, nous apprenons chaque jour à comprendre plus correctement ces lois et à connaître les conséquences plus proches ou plus lointaines de nos interventions dans le cours normal des choses de la nature.

Surtout depuis les énormes progrès des sciences de la nature au cours de ce siècle, nous sommes de plus en plus à même de connaître les conséquences naturelles lointaines, tout au moins de nos actions les plus courantes dans le domaine de la production, et, par suite, d’apprendre à les maîtriser.

Mais plus il en sera ainsi, plus les êtres humains non seulement sentiront, mais sauront à nouveau qu’ils ne font qu’un avec la nature et plus deviendra impossible cette idée absurde et contre nature d’une opposition entre l’esprit et la matière, l’être humain et la nature, l’âme et le corps, idée qui s’est répandue en Europe depuis le déclin de l’antiquité classique et qui a connu avec le christianisme son développement le plus élevé. (Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme)

Il est absolument essentiel d’engager une critique de la vie quotidienne de l’humanité, une critique qui correspond à ses besoins naturels, à rebours de l’idéalisme diffusé par le mode de production capitaliste. L’illusion du « moi » tout puissant du consommateur est l’équivalent direct d’une humanité consommant la réalité, sans voir qu’en réalité elle se consume.

La crise et les deux restructurations du capitalisme

  1. La restructuration capitaliste

a) Marx et la question des restructurations

Pour Karl Marx, fondateur du matérialisme dialectique, le capitalisme est un mode de production qui correspond à la manière dont les êtres humains produisent et reproduisent leurs besoins sociaux et culturels. Un mode de production est un stade historique de développement de l’humanité, dans le cadre du développement contradictoire de la matière universelle.

En ce sens, si il existe des saut qualitatifs entre chaque mode de production, résumés dans le matérialisme historique, chaque mode de production franchit dans son développement interne des seuils. Ces seuils correspondent à l’épuisement par chaque mode de production des possibilités matérielles qu’il développe en lui-même, jusqu’à une limite historique débouchant sur non plus un seuil d’évolution, mais un saut qualitatif, une révolution.

Comme le capitalisme a notamment ce rôle historique de développer de manière grandiose les forces productives, il ne peut que se développer en franchissant des seuils, des paliers. Au XIXe siècle, Marx rappelait déjà deux moments franchis par le capitalisme.

Le premier se fondait sur ce qu’il appelait la « subsomption formelle » du procès de travail. Cela signifie que les travailleurs, encore possesseurs de leurs outils, voire des moyens de production en général, ne sont dépendants du capitaliste qu’en la figure du marchand, qui passe des commandes et vend les productions devenus marchandises.

L’activité et les manières d’organiser la production ne sont pas encore subordonnés totalement au capitalisme. Pour cela, il faut passer un seuil dans le niveau des forces productives, seuil franchi avec des « découvertes » scientifiques.

Ce seuil est franchi avec le second moment du capitalisme, ou ce que Marx appelle à juste titre « le mode de production spécifiquement capitaliste » qui se fonde sur la subsomption réelle du procès de production. Marx parle de mode production spécifiquement capitaliste car il est clair que c’est avec l’entrée de la science (et de la technologie) dans la production sociale que le capitalisme va pouvoir épuiser toute sa nécessité historique progressiste.

C’est un pas en avant à la fois dans la capacité de l’être humain à organiser sa vie sociale sur une base consciente et de s’affranchir de la division bornée du travail grâce à l’abondance des biens permis par l’essor des forces productives. Tout cela forme la base matérielle à un nouveau mode production où l’être humain devient consciemment possesseur de la production et la reproduction de sa vie : le socialisme.

Mais, avant de basculer dans ce saut qualitatif, il faut que l’ancien mode de production épuise l’ensemble de sa dynamique matérielle. Marx et Engels ont saisi comment le capitalisme franchit des paliers de part sa nature « révolutionnaire » :

« La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux… Ce qui distingue l’époque bourgeoise de toutes les précédentes, c’est le bouleversement incessant de la production, l’ébranlement continuel de toutes les institutions sociales, bref la permanence de l’instabilité et du mouvement. »

Avec la domination erronée du matérialisme historique sur le matérialisme dialectique, les communistes soviétiques ont négligé cet aspect « révolutionnaire » du capitalisme. L’essor des forces productives a été vu comme débouchant en soi et mécaniquement sur le changement des rapports de production.

Cela ne veut pas dire que la thèse centrale mise en avant par Staline de la non correspondance entre niveau des forces productives et rapports de production soit fausse, mais qu’elle peut malheureusement être comprise de manière unilatérale, non dialectique.

b) La restructuration n’est pas une logique d’organisation

Dans l’approche de la question de la restructuration, il ne faut pas faire l’erreur qui fut celles des révisionnistes soviétiques (ou chinois). Cette erreur ce serait de parler de restructuration « capitaliste » et non pas de restructuration du capitalisme. Une telle proposition ouvre la voie aux analyses sur le « capitalisme organisé », et en particulier à la thèse d’Eugen Varga et Paul Boccarra comme quoi il y aurait une « autre gestion » possible, une « modernisation » possible dirigée par la classe ouvrière.

Cela est très important, car si l’on ne comprend pas la restructuration du point de vue matérialiste dialectique, on entre dans une fascination idéaliste pour les seuils franchis par le capitalisme. Le résultat est la conception qui veut que le capitalisme se nourrisse de ses propres crises et finit par toujours les surmonter. Cette thèse est erronée rien que par le fait que la première crise générale du capitalisme est allée de pair avec la première vague de la révolution mondiale.

Ainsi, dans une telle conception révisionniste, il n’y aurait plus besoin de perspective révolutionnaire, mais simplement d’une nouvelle « orientation », d’un nouveau consensus en faveur de la classe ouvrière en ce qui concerne le partage des richesses dans le cadre de la « nouvelle » restructuration.

Il n’y a, en réalité, pas de modernisation capitaliste du capitalisme : la restructuration du capitalisme est le processus par lequel les contre-tendances à la chute du taux de profit parviennent à stabiliser le capitalisme, en écrasant les luttes de la classe ouvrière, aux dépens de la classe ouvrière.

Marx disait :

« Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain; le moulin à vapeur la société avec le capitalisme universel »

L’essor des forces productives n’est que l e reflet scientifique de l’être humain dans le cadre du développement de la matière en général. Le capitalisme ne fait ici qu’exprimer, sous sa propre empreinte historique, une tendance universelle.

Comme la nécessité de la pensée demande l’abstraction, ces seuils doivent être « fixés » et cela prend le terme de « restructuration » mais cela ne peut être vu que comme un processus inter-relié dans la dynamique générale d’ épuisement-effondrement du capitalisme. Il n’y a pas d’anciens ou de nouveaux capitalismes, seulement le parcours d’un mode production qui épuise sa nécessité matérielle, historiquement déterminée.

Disons, pour faire simple que la révolution du transport de l’électricité par câbles à la fin du XIXe siècle permet le taylorisme, et que le complexe de la machine automatisée engendre le « toyotisme ». Mais c’est relatif pour le capitalisme, dont la nature est la même.

  1. La première crise générale et la première restructuration

a) Rationalisation et recomposition de classe

La première crise générale du capitalisme qui a eu lieu au cœur de la Première guerre mondiale a produit une onde de choc révolutionnaire. Le résultat principal a été la victorieuse Révolution d’Octobre de 1917 en Russie. Comme le tablait à l’époque les bolchéviques, 1917 produit la première vague de la Révolution mondiale, avec des élans majeurs en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Hongrie.

Entre 1919 et 1920, l’Europe connaît une importante vague de grève. Au printemps 1919, des grèves éclatent, revendiquant selon les endroits la fin de l’intervention contre-révolutionnaire en Russie, l’amnistie des prisonniers politiques et la semaine de 40 heures. Le 1er mai à Paris se termine par des violents affrontements, avec un mort. Au moins de juin, c’est l’apogée du mouvement avec plus de 2 000 grèves, rassemblant 1,3 millions de travailleurs, dont une majorité d’ouvriers de la métallurgie.

En certains endroits, les comités inter-syndicaux se rebaptisent en « comité de soviets », ce qui révèle bien tout le poids de la conception anarcho-syndicale. Dans l’ouest parisien, les usines automobiles sont le lieu d’affrontements entre grévistes et non-grévistes ainsi qu’avec la cavalerie.

C’est sous le contre-coup de cette poussée ouvrière que le capitalisme va connaître sa première grande restructuration, en s’imposant au départ dans l’automobile et la métallurgie, puis s’étendant très vite à tous les secteurs. La nouvelle organisation du travail proposée par Taylor et mise en œuvre par Henry Ford dans ses usines de Détroit vont être au cœur de la rationalisation.

En écho à la première vague de révolution mondiale, le taux de profit est grippé par la réticence de la force de travail, en écho à la première vague de révolution mondiale. La division entre conception et exécution vise à briser l’autonomie de l’ouvrier professionnel fournissant une base à la culture anarcho-syndicale. De même la mise en place du convoyeur (la chaîne) et de grilles salariales liées aux gains de productivité visent la relance du capitalisme confronté à la double crise de surproduction.

De ce point de vue, la rationalisation du capitalisme qui va s’imposer tout au long des années 1920 est une contre-tendance de la chute du taux de profit, produit interne du mode de production capitaliste.

L es communistes trouveront d’ailleurs un terrain social à leur développement dans les grandes usines automobiles de la banlieue parisienne, notamment en étant an centre de bataille contre la rationalisation. Ils seront à la tête d’une nouvelle génération ouvrière, marquée par une composition de classe précise, marquée par le lien entre l’habitat collectif de proche banlieue, l’usine concentrée et la dépossession totale de l’activité de travail.

Mais il est alors à noter qu’il y a ainsi un rapport précis entre l’élévation des forces productives permettant la rationalisation (la production électrique pour le convoyeur par exemple) et la lutte des classes. La lutte des classes est l’aspect principal de la rationalisation, permis par l’élévation des forces productives. On a là la critique maoïste de l’importance capitale de l’idéologie et de la culture, de la mise en avant du matérialisme dialectique, pour s’opposer aux « villages fortifiées » de la bourgeoisie.

b) L’épuisement des gains de productivité dans les années 1960-1970

Le crash de 1929 a vu une baisse du taux de profit, sans pour autant qu’une restructuration n’ait lieu en « réponse ». C’est que la première restructuration venait à peine d’être achevée. On a ainsi l’usine Renault sur l’île Séguin à Billancourt en 1929 ou encore celle de Fiat dans le quartier turinois de la Mirafiori, inaugurée en 1939.

La seconde guerre mondiale va bouleverser la situation, alors qu’il y a un élargissement de la production, une augmentation de la masse des profits après 1945 avec de nouvelles matières, de nouvelles productions, de nouveaux secteurs à exploiter.

Dans cette période, le mouvement communiste d’Europe passé sous la coupe du révisionnisme a été entièrement intégré à la « gestion » de la rationalisation, comme par exemple avec la négociation régulière des grilles de qualification salariale et la thèse du « capitalisme monopoliste d’Etat », où l’État serait devenu neutre dans sa substance, avec par conséquent le principe de le conquérir par les élections.

L’épuisement des gains de productivité, aux sens du taux de profit, gains engendré par la première restructuration, aura lieu dans la fin des années 1960, et tout au long des années 1970. En écho à la première vague de la Révolution mondiale, une nouvelle génération prolétarienne forme alors des avant-gardes communistes qui assume la bataille pour le pouvoir, contre la nature même de la rationalisation, et non pas un partage de la gestion.

Il est évident que la baisse du taux de profit dans les années 1970 n’est pas simplement liée aux crashs pétroliers (1973, 1979) comme les commentateurs bourgeois l’affirment, mais plus directement à la lutte des classes. Le choc pétrolier augmenta les coûts de la matière première, coûts qui toutefois n’ont été que l’amplificateur d’une contradiction interne au processus de production, à savoir la baisse du taux d’exploitation de la force de travail.

C’est toute la première restructuration fondée sur la division exécution / conception qui se trouve grippée par une nouvelle force de travail enrichie subjectivement par le nouveau cycle d’accumulation post 1945 et porteuse de l’héritage combattant de la période 1920-1940.

Les ordres dans les ateliers ne passaient plus, le turn-over était trop fort, les petits sabotages réguliers, l’absentéisme particulièrement élevé, etc., cela débouchant sur toute une vague d’opposition organisée que cela soit en France de manière isolée avec la Gauche prolétarienne ou en Italie de manière approfondie et de masse avec les Brigades Rouges.

  1. La seconde restructuration comme « base » de la seconde crise générale.

a) Le « toyotisme » et les années 1980

Dans les années 1980-1990, le capitalisme s’est profondément transformé. Non pas qu’il ait changé de forme, de contenu ou de mode de « gestion », mais dans la mesure où il a approfondi ses propres contradictions internes sous le poids de la fatale chute du taux de profit.

Car si la première « restructuration » a été une contre-tendance visant à freiner la double crise de surproduction, il en va de même pour la « seconde » modernisation. Les gains de productivité s’épuisant avec la baisse du taux d’exploitation des travailleurs, la consommation générale ne faisait que baisser du fait notamment du choc pétrolier, bloquant l’ensemble des chaînes de valorisation. Les stocks et les équipements augmentaient sans trouver une rentabilité et les travailleurs refusaient les ordres.

Le « toyotisme » est le nom qu’a pris la seconde restructuration. Là aussi, elle est issue de l’industrie automobile et d’un ingénieur, Taiichi Ohno, dans une usine Toyota du Japon.

Faisant face à la chute du taux profit, l’institut américain du Massachusetts Institute of Technology (MIT) a comparé la productivité de l’usine de Takaoka de Toyota au Japon à celle de Framingham de Général Motors aux Etats-Unis. Résultat : l’usine japonaise montait une voiture en 16 heures alors que celle de General Motors le faisait en 31 heures.

Les principes sont finalement les mêmes que le « taylorisme », mais il visent finalement une « actualisation » des ceux-ci avec l’essor des forces productives, notamment l’apparition de l’automation et de l’électronique.

Dans un de ses ouvrages, Taiichi Ohno se pose la question suivante : « que faut-il faire pour faire s’élever la productivité, alors que les quantités n’augmentent pas ? ». Il est clair ici que la réponse à une telle question va viser à agir sur le taux de profit et non pas sur sa masse.

L’arrivée de la machine-outils à commande numérique va permettre la restructuration, tout comme le convoyeur l’avait permis dans les années 1920. Avec un système de machinerie quasi autonome, le taux d’exploitation du travailleur va augmenter avec la flexibilité et la polyvalence des tâches, nécessitant une négociation (pseudo) « gagnant-gagnant » avec le syndicat. L’apparition des feux de couleur au-dessus de ces machineries va re-déployer le contrôle de la force de travail et la vitesse de production.

Cette restructuration dans l’infrastructure a correspondu, en France, à l’arrivée au pouvoir des socialistes, car pour faire « accepter » cette restructuration, il fallait l’intégration massive des syndicats à la marche des entreprises. Les lois Auroux de 1982 ont rempli en partie ce rôle.

En fait, on peut dire que les thèses de la « seconde gauche », reprise par le parti socialiste, sur l’ « auto-gestion », la « démocratie participative », la « démocratie d’entreprise » ont été le relais idéologique de la modernisation « toyotiste » de l’appareil productif, tout comme la thèse du « capitalisme organisé » a participé de la première restructuration.

En bref, la restructuration interne au procès de production s’est étendu à l’ensemble de la dynamique d’accumulation. Car le « toyotisme » est à la fois une continuité du tayloro-fordisme en ce qu’il fait la chasse aux temps morts, mais comporte également une modernisation dans la rotation du capital avec la politique dit du « zéro stock » permis par le « kanban » (système d’étiquetage des commandes de production en amont de la chaîne).

Cette restructuration s’est ensuite étendue à l’ensemble des pays capitalistes développés de par l’avance prise par l’industrie nippone, avec notamment ses investissements en Asie du sud-est.

Ainsi les délocalisations, notamment en Chine ou en Europe de l’est dans les années 1990, ont été favorisés par cette « seconde » restructuration et ses conséquences sur la concurrence entre monopoles. La relance du capitalisme des années 1970 est la condition à la seconde crise générale qui est marquée par une nouvelle subjectivité prolétarienne.

b) Recomposition de la classe et retard subjectif

La première restructuration forme ainsi un aspect de la première crise générale et il faut bien une décennie pour que la « rationalisation » des entreprises se stabilise relativement. Cela a littéralement modelé une nouvelle subjectivité prolétarienne, formé un tissu prolétarien conforme à dynamique d’accumulation.

La seconde restructuration se déploie tout au long des années 1980, jusqu’au milieu des années 1990 disons. Il est intéressant de noter d’ailleurs que c’est sous le pouvoir de François Mitterrand que cela se passe, les socialistes jouant ici leur rôle de modernisateur du capitalisme.

La politique du « zéro stock » pour parer aux crises de surproduction de marchandises débouche sur la nécessité d’une grande flexibilité de la circulation du capital, avec pour conséquences, ses routes, ses ronds-points, ses zones industrielles encastrées à proximité de zones pavillonnaires.

C’est une refonte du tissu prolétarien, avec une modification de la composition objective de la classe. Le fait de manier une machinerie automatisée, imposant de nombres de secteurs un travail de surveillance et maintenance, implique une hausse de la qualification.

A l’inverse, des secteurs alimentaires relativement encore encastrés dans la production agricole des années 1930-1960, se sont transformés en une industrie entièrement taylorisée, dominée par les monopoles de la distribution, où les prolétaires subissent un travail à la chaîne répétitif, monotone et aliénant.

c) Il n’y aura pas de « troisième » restructuration

Mais, alors, les deux restructurations du XXe siècle ont-elles été une manière pour le capitalisme de parvenir à surmonter sa propre crise de rentabilité ? Voir les choses comme tel serait une grave erreur.

I l faut comprendre le réel comme quelque chose d’unifié et les restructurations obéissent à la même dynamique générale d’accumulation du capital, dont le taux de profit est l’aiguillon. Le « problème » du capitalisme est que cet aiguillon, qui ne fait que baisser sur le temps long, implique un nouvel essor des forces productives.

La bourgeoisie doit sans cesse mettre à jour les rapports de production en rapport à l’élévation des forces productives, alors que la classe ouvrière développe toujours plus sa maturité historique. La seconde restructuration est le franchissement d’un nouveau seuil qui épuise la totalité du contenu matériel et historique du capitalisme comme mode production.

Avec la rotation du capital à « flux-tendu » et la flexibilité-polyvalence interne aux entreprises, le capitalisme vient se faire superposer les deux grandes contradictions, intellectuel/manuel, ville/campagne, une contradiction unique devant se résoudre dans un changement de civilisation complet.

Cette contradiction se constate dans l’étalement urbain et la disparition de la nature, les zones industrielles sans âmes, l’enfermement dans le 24 sur 24 du capitalisme, avec sa voiture, son pavillon son supermarché, sa télévision…

La première restructuration a fait de l’opposition intellectuel/manuel une contradiction antagoniste, lorsque la seconde restructuration en a fait de même pour l’opposition villes/campagnes tout en approfondissant, au plan psychique, la première.

Le capitalisme a définitivement rempli son rôle de mode production servant le développement de l’humanité en posant maintenant comme antagonistes les deux grandes contradictions, qui sont désormais totalement interpénétrés. Les campagnes ont été massivement industrialisées et une partie du travail manuel s’enrichit de tâches qui se rapprochent d’un travail intellectuel. Le capitalisme exprime ici la tendance à l’unification et la complexification de la matière vivante humaine, par lui et malgré lui.

Car, bien sûr, tout cela se fait par une intense exploitation psychique et une plus grande aliénation faisant du prolétariat la seule classe capable de révolutionner le capitalisme de fond en comble, de faire accoucher le socialisme comme nécessité historique d’époque.

La seconde crise générale, historiquement ouverte par la crise du coronavirus Covid-19, est le prélude à la prise de conscience prolétarienne de cet enjeu historique. Le retard subjectif va être rattrapé, avec une recomposition générale du tissu prolétarien. Il n’y aura pas de « troisième » restructuration.

L’impressionnisme, déclencheur du subjectivisme

L’impressionnisme et son prolongement immédiat sous la forme du cézannisme témoignent de leur superficialité par leurs choix : des événements éphémères, des impressions fugaces… lors de la vue d’une gare, d’un pont, d’un bal, d’un jardin.

On a déjà l’approche de l’art moderne, de l’art contemporain : le refus de synthétiser ce qui apparaît comme un ensemble, la négation de la complexité du réel, l’abandon de toute sa dignité.

Il va de soi que la conclusion inévitable de la démarche, de par la base subjectiviste, c’est l’auto-destruction, le relativisme, le nihilisme ; pour les artistes devenus individualisés, il n’y a au sens strict pas de mouvement impressionniste, et encore moins de cézannisme), seulement une tendance inéluctable de par l’affirmation du peintre, de la créativité personnelle, de l’expression entièrement individualisée, une conscience isolée posant son intériorité, etc. etc.

André Malraux résume tout à fait cette conception quand il dit dans son discours prononcé le 4 novembre 1946 à l’Unesco que :

« On peut dire que l’art moderne commence quand ce qu’en langage d’atelier on appelle «le faire» prend la place de ce qu’on appelle le «rendu». Lorsque le principal sujet du tableau, c’est le peintre.

Les esquisses les plus impérieuses de Delacroix étaient encore des dramatisations, ce que Manet entreprend dans certaines toiles, c’est une
picturalisation du monde.

Picturalisation qui converge sur lui-même : pour qu’il puisse faire le portrait de Clemenceau, il faut que dans ce portrait Manet soit tout, et Clemenceau rien.

Car l’art moderne, à partir du moment où la peinture est devenue peinture, aboutit à l’expression individuelle.

Il y a un curieux malentendu entre l’idéologie et la peinture impressionnistes. Vous connaissez tous la théorie impressionniste. Elle ne s’applique pleinement ni à Van Gogh, ni à Cézanne, ni à Manet ; elle s’applique partiellement à Renoir et par moments à Gauguin ; elle ne s’applique tout à fait qu’aux «promeneurs» et à Claude Monet.

La théorie impressionniste voulait perfectionner le plein-air, l’art
moderne voulait passer de Manet à Rouault et à Picasso, faire triompher l’individu dans le conflit qui s’était établi entre le monde et lui. »

De fait, pour le matérialisme dialectique, l’impressionnisme est très important : c’est le marqueur du passage de la bourgeoisie dans la décadence dans la peinture.

La bourgeoisie, quant à elle, doit valoriser l’impressionnisme comme le passage à l’art moderne, l’art contemporain, mais doit en même temps nier sa catégorisation, qui donnerait un sens historique à l’art.

L’impressionnisme apparaît alors tel un spectre dans les écrits bourgeois sur l’art, avec des bourgeois voyant en les peintures de Claude Monet une sorte de havre de paix, et en même temps niant à tout prix qu’on en fasse un véritable point de référence.

La question nationale joue ici également, de manière particulière, mais relative seulement. Il faut ici particulièrement distinguer l’impressionnisme du Jugendstyl, qui a une dimension nationale-démocratique pour les peuples autrichien et tchèque. L’impressionnisme est totalement subjectiviste et il est à ce titre déjà cosmopolite.

Cependant, il est né en France et le village des impressionnistes de Giverny est un phénomène commercial à succès. Il répond à des valeurs traditionnelles de la bourgeoisie… et, en même temps, la bourgeoisie française ne peut pas faire de l’impressionnisme une valeur systématisée.

L’impressionnisme peut alors d’autant plus apparaître comme une refuge à prétention esthétisante-psychologisante.

L’historien des arts soviétique Jacob Tugendhold partage en partie ce point de vue bourgeois en 1928 dans Culture artistique de l’Ouest, tout en comprenant que l’impressionnisme est un cul-de-sac subjectiviste :

« Comme tout phénomène culturel, l’impressionnisme doit être décomposé en ses éléments constitutifs, positifs et négatifs. 

J’ai déjà dit que l’impressionnisme était la conclusion artistique de l’ère réaliste, positive et scientifique des années 70. En ce sens, puisque la peinture de Monet a armé l’artiste d’un chromatisme scientifique [= une meilleure perspective du jeu des couleurs], l’a libéré de son ancienne «cécité» académique et lui a révélé tout l’arc-en-ciel multicolore du monde, c’était et est encore un grand phénomène progressiste. 

Claude Monet était une expression artistique de la pensée bourgeoise dans l’une des étapes les plus saines de son développement – la lutte pour une vision positive, pour la connaissance de la nature. 

L’impressionnisme était une fenêtre ouverte sur le monde – dans toute sa profondeur et son infini bleutés.

Et en même temps, puisque l’impressionnisme était une sorte de vision du monde artistique et même une vision du monde, il marquait aussi une certaine limitation de la pensée artistique bourgeoise. 

L’idée a fait place à un sentiment dans l’art, une pensée à une impression fugitive. 

La peinture est devenue une esquisse ou, plutôt, une esquisse de la nature est devenue une valeur autosuffisante. Ce triomphe du «paysage pur», peinture pure reflétait le profond fossé entre l’art et l’architecture, caractéristique de la société bourgeoise, étrangère à l’esprit de monumentalité et entendant l’art comme une chose autosuffisante dans un cadre doré, qu’on a alors à Paris, et demain sera envoyé en Amérique.

En même temps, puisque l’impressionnisme était une hypertrophie du «pittoresque» sur la forme plastique, parce qu’il dissolvait le dessin dans une vibration continue de couleurs, il ne pensait au monde que comme un mirage, comme une «illusion». 

Dissolvant le monde, le réduisant à un fantôme informe, l’impressionnisme a perdu le sentiment de chair et de sang des choses, le sentiment de matérialité du monde. C’était l’individualisme et le subjectivisme. »

Avec la compréhension du réalisme socialiste, l’URSS considérera que l’aspect principal de l’impressionnisme est sa dimension nihiliste, sa négation de la réalité, de sa complexité, de sa dignité. L’impressionnisme sera considéré jusqu’en 1953 comme le point de départ du grand ennemi que l’art moderne, contemporain d’une bourgeoisie ne transportant plus que l’anecdotique, le grotesque, l’improductif.

Un musée de la nouvelle peinture occidentale avait ouvert en 1918, un second en 1919, les deux fusionnant en 1925 : il est liquidé par la suite, dès les années 1930, des œuvres de Cézanne, Van Gogh, Degas, etc. étant vendues à des collectionneurs de pays impérialistes.

Le décret Conseil des ministres de l’URSS du 6 mars 1948 présentait ce musée comme une base à la fois réactionnaire et inutile :

« Les collections formalistes appartenant au Musée d’État du nouvel art occidental, achetées en Europe occidentale par les capitalistes de Moscou à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, étaient un terreau fertile pour les vues formalistes et la servilité envers la culture bourgeoise décadente de l’ère impérialiste et ont gravement nui au développement de l’art russe et soviétique. »

La dénonciation de l’impressionnisme dans le cadre de la mise en valeur du réalisme socialiste, jusqu’en 1953, exigeait la dénonciation de l’impressionnisme, comme tournant subjectiviste vers l’art moderne, contemporain typique de la décadence bourgeoise.

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Le néo-impressionnisme simpliste-coloriste de Vincent Van Gogh

Vincent Van Gogh (1853-1890) dispose au sein de la bourgeoisie d’une formidable aura ; sa non-reconnaissance, sa folie et son suicide relèvent des ingrédients de l’idéologie du génie.

L’artiste serait un rénovateur, qui a comme tâche la création de nouvelles formes, en brisant tous les codes ; l’affirmation du moi individualisé est directement en phase avec le mouvement d’un mode de production fondé sur les marchandises et qui a besoin de renouveler ses stocks.

Vincent Van Gogh a d’ailleurs produit 900 tableaux, ce qui correspond à l’exigence du capitalisme : fini l’artiste visant à un art d’un haut niveau, d’une profonde densité, désormais il faut des cadences pour satisfaire le marché.

Vincent Van Gogh, Autoportrait à l’oreille bandée, 1889

La peinture de Vincent Van Gogh répond à tous les codes subjectivistes de la peinture moderne, contemporaine : sortant d’une prétendue banalité, instinctive, un style apparent, une impression forte, quelque chose de marquant : une impression forte, du consommable.

Chez Vincent Van Gogh, en plus particulier, cela donne une ondulation avec des lumières fortement surchargées, une épaisseur marquée des mouvements au sein du tableau, bref une grossièreté tournée vers la simplicité (comme chez Cézanne), mais davantage impressionniste sur le plan de la luminosité.

Vincent Van Gogh, La Chambre à coucher, 1889
Vincent Van Gogh, Les Tournesols, 1888
Vincent Van Gogh, La Nuit étoilée, 1889

Au sens strict, pour définir les choses de manière la plus nette, il faut résumer la peinture de Vincent Van Gogh comme de la gravure amenée à la peinture et dégradée en illustration de carte postale.

Vincent Van Gogh dévie littéralement toute une tradition germanique puis néerlandaise, avec un sens complexe de l’organisation du tableau, de la disposition des formes en mouvement, pour tout réduire à l’extrême. Vincent Van Gogh est une insulte à toute la tradition de la peinture flamande, dont il se veut évidemment le dépassement.

Vincent Van Gogh inaugure le colorisme, ce principe d’avoir quelques formes qu’on peut s’évertuer à remplir de couleur, pour se vider l’esprit. C’est du crayonnage, comme plaisir personnel, avec un choix de couleur pour faire passer une impression. Cela peut être plaisant, on peut apprécier un aspect agréable dans une telle peinture ; ce n’en est pas de l’art par autant, ni même d’ailleurs de la décoration ou tout autre art appliqué. C’est une fuite dans une démarche psychologisante formant une fin en soi.

Vincent Van Gogh, Portrait du docteur Gachet avec branche de digitale, 1890

La peinture de Vincent Van Gogh a une dimension accessible qui forme un piège terrible : une bourgeoisie pétrie d’oisiveté se complaît dans son moi, tout comme elle sera fascinée justement par la psychanalyse. Les peintures simplistes-coloristes de Vincent Van Gogh apparaissent alors comme de la culture, alors qu’ils sont une production idéologique relevant d’une classe improductive.

On peut d’ailleurs considérer que le néo-impressionnisme simpliste-coloriste de Vincent Van Gogh, c’est le cézannisme accompli. Là où Paul Cézanne considérait quelque chose manquait, car il était encore lié à l’Histoire de l’art au moins symboliquement, Vincent Van Gogh parvient à plonger dans le subjectivisme comme en fin en soi. En cela, son style préfigure directement Pablo Picasso, même si pour la forme ce dernier relève au sens strict du cézannisme géométrique, sans la charge impressionniste renforcée comme chez Vincent Van Gogh.

Vincent Van Gogh, La Maison blanche, la nuit, 1890
Vincent Van Gogh, Terrasse du café le soir, 1888

Vincent Van Gogh est si fascinant pour la bourgeoisie, comme Claude Monet, car il est pareillement plaisant et complaisant. C’est un monde sans profondeur et, d’ailleurs, ce qui est marquant, c’est que cette lecture idyllique-fragile du monde, même illusoire et purement esthétisante-psychologique, ne pourra pas être reproduit.

La bourgeoisie entrera dans une telle décadence que le sordide prévaudra, avec une incapacité de représenter quoi que ce soit. Vincent Van Gogh est le symbole d’une nostalgie, celle de la Belle époque, d’une bourgeoisie installée et s’installant, d’un confort réel et rêvé, d’un maintien sans fin dans une aise aussi ouatée que les peintures impressionnistes et néo-impressionnistes.

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Paul Cézanne et la peinture comme volume, comme sculpture

Paul Cézanne (1839-1906) n’est pas seulement un peintre, c’est un drapeau. C’est qui lui parvient à faire passer la peinture académique dans l’impressionnisme et inversement, d’où son statut de père de la peinture dite moderne, d’ancêtre des avant-gardes, etc.

Le principe est simple et assez insignifiant : on prend une peinture académique, mais on l’individualise au moyen de coups de peintures incisifs et d’un jeu sur les couleurs et la lumière.

Ce qui compte en fait réellement c’est que Paul Cézanne joue sur le volume. On n’est plus dans une représentation traditionnelle, au sens où désormais la peinture a elle-même un volume, une dimension propre, comme si elle formait quelque chose de nouveau.

Voici ce qu’un critique d’art, Charles Ponsonailhe remarque au sujet de cette question du volume, dans La revue illustrée du 15 octobre 1904 :

« J’étais en train d’admirer innocemment des pommes aux tons vigoureux lorsqu’un de mes amis très initié me voulut bien montrer que j’avais l’optique d’un clerc de notaire.

Ce qui est merveilleux, c’est dans une ou deux esquisses de composition antique le volume géométral des bras, des jambes ; un volume plein d’imagination, m’affirmait l’adepte.

M. Cézanne par là continue Phidias. Un portrait d’homme quelconque (que je croyais être celui d’un gazier endimanché) le rattache au Poussin. Pour moi, je veux bien, mais je manque d’éducation de l’oeil. »

C’est pour cela que le cézannisme prendra une forme géométrique, qu’on appellera le cubisme. Si l’on ne fait pas attention à cet aspect, on ne saisit pas l’importance historique de la peinture de Paul Cézanne pour la progression vers un subjectivisme assumant l’abstraction.

Paul Cézanne, Montagne Sainte-Victoire (1887)
Paul Cézanne, Paysage d’Auvers-sur-Oise
Paul Cézanne, Les Joueurs de cartes, 1892-1895

L’approche est éminemment subjectiviste ; au sens strict c’est une manière de forcer l’impressionnisme dans la peinture académique. Paul Cézanne se considérait comme un novateur, tout en considérant que les impressionnistes allaient trop loin.

Il contribue ainsi au subjectivisme en démolissant la peinture académique de l’intérieur et pour cette raison il est dénoncé pour son approche grossière. Dans Le Journal du 14 octobre 1904, Marcel Fouquier démolit ainsi Paul Cézanne précisément pour sa démarche :

« Ce qui distingue, à première vue, la peinture de M. Cézanne, c’est la gaucherie du dessin et la lourdeur des coloris. Ses natures mortes, qu’on a beaucoup vantées, sont d’un rendu brutal et d’un effet terne.

On a prédit qu’un jour elles iraient au Louvre, tenir compagnie à Chardin. Cet heureux temps n’est pas pour demain. »

En fait, chez Paul Cézanne, la peinture a une approche relevant de la sculpture, avec beaucoup d’épaisseur et un goût pour l’affrontement physique avec un volume.

Il faut citer ici l’éloge de Gustave Courbet fait par Paul Cézanne à Joachim Gasquet :

Un bâtisseur. Un rude gâcheur de plâtre. Un broyeur de tons. Il maçonnait comme un romain. Et lui aussi un vrai peintre.

Il n’y en a pas un autre dans ce siècle qui le dégote [=surpasse]. Il est profond, serein, velouté. Il y a de lui des nus, dorés comme une moisson, dont je raffole. Sa palette sent le blé (…).

Courbet est le grand peintre de la nature. Son grand apport, c’est l’entrée lyrique de la nature, de l’odeur des feuilles mouillées, des parois moussues de la forêt, dans la peinture du XIXe siècle, le murmure des pluies, l’ombre des bois, la marche du soleil sous les arbres.

La mer. Et la neige, il a peint la neige comme personne ! J’ai vu, chez votre ami Mariéton, la diligence dans les neiges, ce grand paysage blanc, plat, sous le crépuscule grisâtre, sans une aspérité, tout ouaté. C’était formidable, un silence d’hiver.

La peinture de Paul Cézanne est un volume qui est littéralement pris à-bras- le-corps. C’est en fait une appropriation subjectiviste de la peinture académique.

Paul Cézanne, Le lac d’Annecy, 1896
Paul Cézanne, Nature morte aux pommes et aux oranges, 1895-1900
Paul Cézanne, Les Grandes Baigneuses

En raison de cette approche par volume, une critique récurrente faite à Paul Cézanne était qu’il n’allait pas au bout de l’oeuvre. Le roman d’Emile Zola L’oeuvre se veut une critique fraternelle mais dure à son vieil ami connu depuis l’enfance (qui s’éloigna toutefois de Zola une fois celui-ci installé dans une demeure de grand bourgeois avec petit personnel, etc.).

L’Encyclopédie contemporaine du 25 octobre 1904 parle de « sa peinture heurtée et son dessins problématique », le New-York Herald du 17 octobre 1905 le présente comme « le pontife de la maladresse réfléchie », alors que le Petite Gironde d’octobre 1904 assène :

« M. Cézanne n’est pas un incompris ; c’est un incomplet. »

Paul Cézanne, Bastide du Jas de Bouffan, vers 1874
Paul Cézanne, Portrait de Gustave Geoffroy, 1895
Paul Cézanne, Les Baigneurs, 1890-1891

Dans la Revue d’art, 1re année, 1899, n°6, Georges Lecomte expose bien cette impression de manque :

« Comme Cézanne n’a d’autre guide que sa sensibilité, il tâtonne, il hésite. Il a les maladresses et les imperfections d’un vrai primitif.

Ainsi peint-il des paysages ? Il en saisit le caractère, la couleur, la lumière. Il en traduit l’intimité et la grandeur, mais il échoue dans l’art d’espacer les plans, de donner l’illusion de l’étendue. Son maigre savoir le trahit. »

Ce que le critique d’art rate ici, c’est que l’aspect non terminé de l’oeuvre était tout à fait en phase avec le scepticisme de la bourgeoisie, sa réfutation de la synthèse. Cela ne donnait en fait que d’autant plus de force à l’approche subjectiviste.

Le Figaro, le 25 octobre 1906 avec Arsène Alexandre, pressent pourtant cette dimension qui deviendra précisément systématique avec l’art dit moderne, contemporain :

« Ce qui frappe tout esprit impartial en examinant un tableau de Cézanne, c’est, à côté d’une incontestable noblesse dans la plantation, dans le point de départ, une impuissance absolue d’arriver au bout de la route.

Or, n’arrivent au bout du chemin que ceux qui peuvent exprimer et rendre durable l’émotion qu’ils ont ressentie. L’art ne peut, sinon, se réjouir, du moins s’enrichir avec de simples intentions. »

Ce principe de la simple intention, Paul Cézanne l’a exprimé de manière très nette, mais c’est un autre néo-impressionniste qui va précisément être adulé par la bourgeoisie pour cette dimension incomplète, limitée à l’intention : Vincent Van Gogh.

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Le cézannisme comme fusion académique-impressionniste

L’impressionnisme fut moqué par une partie de la bourgeoisie au nom de l’académisme, mais très vite les impressionnistes se dispersèrent, intégrant l’art « officiel », alors que le néo-impressionnisme représenté par Paul Cézanne devenait la référence générale de la bourgeoisie. Il serait d’ailleurs plus juste de parler de cézannisme, un terme largement employé par ceux assumant par la suite de le prolonger.

Le cézannisme est littéralement la fusion de l’académisme et de l’impressionnisme. D’un côté, il y avait l’idée d’un art officiel porté par la bourgeoisie, encadré par elle, notamment par son Etat, et pas simplement par les peintres, ce qui était conforme à la démarche académique. De l’autre, il y a la reconnaissance du subjectivisme et du caractère conforme au marché des démarches artistiques.

La voie à l’art moderne, puis contemporain, était ouverte.

Claude Monet, Étretat sous la pluie, 1886
Paul Cézanne, Vue du matin de L’Estaque à la lumière du soleil, 1882-1883

Le cézannisme joue ainsi un rôle capital, très connu de la part des pseudos-avant-gardes au début du XXe siècle, mais inconnu ou presque des historiens bourgeois, des critiques d’art, etc.

Il y a eu pourtant une intense activité artistique et intellectuelle pour œuvrer à cette fusion, avec notamment le peintre Paul Signac qui tenta en 1899 de synthétiser la démarche dans son écrit d’Eugène Delacroix au Néo-Impressionnisme.

On retrouve dans cet ouvrage les principes impressionnistes de manière systématisée et approfondie, à travers tout un discours s’appuyant sur Eugène Delacroix, qui relève de la peinture académique, pour les justifier :

– « Les peintres devraient être jugés uniquement sur leurs œuvres, et non d’après leurs théories »

Ce qui signifie : il faut considérer les artistes individuellement seulement, conformément à la vision capitaliste du monde.

– « S’assurer tous les bénéfices de la luminosité, de la coloration et de l’harmonie »

Ce qui signifie que ce qui compte ce n’est pas la réalité, mais le jeu sur l’émotion individuelle.

– « Pendant un demi-siècle, Delacroix s’est donc efforcé d’obtenir plus d’éclat et plus de lumière, montrant ainsi la voie à suivre et le but à atteindre aux coloristes qui devaient lui succéder »

Ce qui signifie que le romantique Delacroix, avec sa peinture académique, n’en était pas moins déjà un individualiste et donc un précurseur.

– « Il faut cependant reconnaître que les tableaux de Delacroix, malgré ses efforts et sa science, sont moins lumineux et moins colorés que les tableaux des peintres qui ont suivi sa trace (…). Ce progrès, une autre génération, celle des impressionnistes, le devait faire.

Tout s’enchaîne et vient à son temps : on complique d’abord ; on simplifie ensuite. Si les impressionnistes ont simplifié la palette, s’ils ont obtenu plus de couleur et de luminosité, c’est aux recherches du maître romantique, à ses luttes avec la palette compliquée, qu’ils le doivent. »

C’est là un bricolage pour justifier une pseudo continuité individualiste de la peinture à travers l’académisme puis l’impressionnisme.

– « Ceux qui, succédant à Delacroix, seront les champions de la couleur et de la lumière, ce sont les peintres que plus tard on appellera les impressionnistes : Renoir, Monet, Pissarro, Guillaumin, Sisley, Cézanne et leur précurseur admirable, Jongkind »

Cézanne est ici placé comme impressionniste, pour justifier qu’il les prolonge.

– « C’est en 1886, à la dernière des expositions du groupe impressionniste — « 8e Exposition de Peinture par Mme Marie Bracquemond, Mlle Mary Cassait, MM. Degas, Forain, Gauguin, Guillaumin, Mme Berthe Morisot, MM. Camille Pissarro, Lucien Pissarro, Odilon Redon, Rouart, Schuffenecker, Seurat, Signac, Tillot, Vignon, Zandomeneghi — du 15 mai au 15 juin — 1, rue Laffitte » — que, pour la première fois, apparaissent des œuvres peintes uniquement avec des teintes pures, séparées, équilibrées, et se mélangeant optiquement, selon une méthode raisonnée.

Georges Seurat, qui fut l’instaurateur de ce progrès, montrait là le premier tableau divisé, toile décisive qui témoignait d’ailleurs des plus rares qualités de peintre, Un Dimanche à la Grande-Jatte, et, groupés autour de lui, Camille Pissarro, son fils Lucien Pissarro et Paul Signac exposaient aussi des toiles peintes selon une technique à peu près semblable. »

Ce qui signifie que l’impressionnisme s’est enlisé, mais en se tournant vers un néo-académisme il a su se redynamiser pour encore davantage porter l’individualisme et le généraliser.

– « Si ces peintres, que spécialiserait mieux l’épithète chromo-luminaristes, ont adopté ce nom de néo-impressionnistes, ce ne fut pas pour flagorner le succès (les impressionnistes étaient encore en pleine lutte), mais pour rendre hommage à l’effort des précurseurs et marquer, sous la divergence des procédés, la communauté du but : la lumière et la couleur. C’est dans ce sens que doit être entendu ce mot néo-impressionnistes, car la technique qu’emploient ces peintres na rien d’impressionniste : autant celle de leurs devanciers est d’instinct et d’instantanéité, autant la leur est de réflexion et de permanence. »

Contrairement au côté simpliste de l’impressionnisme, les néo-impressionnistes assument un discours plus profond, pseudo-scientifique, pour faire de leur individualisme la base d’un art pseudo-développé.

– « Si le néo-impressionnisme résulte immédiatement de l’impressionnisme, il doit aussi beaucoup à Delacroix, comme nous l’avons vu. Il est la fusion et le développement des doctrines de Delacroix et des impressionnistes, le retour à la tradition de l’un, avec tout le bénéfice de l’apport des autres. »

La fusion est assumée.

– « nous souscrirons à ces aphorismes de Delacroix :

« La froide exactitude n’est pas l’art. »
« Le but de l’artiste n’est pas de reproduire exactement les objets. »
« Car, quel est le but suprême de toute espèce d’art, si ce n’est l’effet ? » »

L’ennemi, c’est le réalisme.

– « On avait contre l’art néo-impressionniste ce double grief : il constituait une innovation, et les tableaux exécutés selon sa technique brillaient d’un éclat inaccoutumé.

Il est inutile qu’on dresse ici la liste de tous les peintres très novateurs qui ont été conspués en ce siècle et qui ont ensuite imposé leur vision particulière. Ces injustices, cette lutte, ces triomphes, c’est l’histoire de l’art.

On conteste d’abord toute manifestation nouvelle ; puis, lentement, on s’habitue, on admet. Cette facture qui choquait, on en perçoit la raison d’être, cette couleur qui provoquait des clameurs semble puissante et harmonieuse. L’inconsciente éducation du public et de la critique s’est faite, au point qu’ils se mettent à voir les choses de la réalité telles que s’est plu à les figurer le novateur : sa formule, hier honnie, devient leur critérium. Et, en son nom, l’effort original qui se manifestera ensuite sera bafoué, jusqu’au jour où il triomphera, lui aussi. Chaque génération s’étonne après coup de son erreur, et récidive. »

Par l’art tourné vers la pseudo-modernité, c’est-à-dire vers le marché capitaliste, il y aura un renouvellement incessant et perpétuellement des pseudos-avant-gardes renouvelant les marchandises pseudos-artistiques.

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