Pour comprendre l’appareil de sécurité de l’État de l’URSS socialiste, il faut saisir la nature du droit servant de base juridique aux actions étatiques et son rapport avec la morale socialiste.
Contrairement aux prétentions « objectivistes » ou inversement « relativistes » du droit bourgeois, le droit socialiste pose en effet comme noyau du procès la subjectivité révolutionnaire du jugement, fondée sur l’objectivité de l’analyse des faits.
Cette combinaison n’est pas seulement combattue par la bourgeoisie ; elle lui semble surtout de fait littéralement incompréhensible. Bien entendu, l’accusation est celle du règne de « l’arbitraire ».
En réalité, il s’agit simplement du fait que le droit a une fonction non pas simplement négative et représentative comme dans le droit bourgeois, mais qu’il sert également de mise en perspective du juste et l’injuste, avec une mise en valeur du juste et cela de manière toujours plus poussée.
Cela correspond à l’affirmation de la dignité du réel, caractéristique du matérialisme dialectique. Le titan Andreï Vychinski, dans son ouvrage de 1941, La théorie de la preuve judiciaire en droit soviétique, formule de manière magistrale cela en affirmant :
« Lénine écrivait en 1915 [dans La faillite de la II° Internationale], exposant l’opportunisme de Plekhanov, que : « La dialectique exige qu’un phénomène social soit étudié sous toutes ses faces, à travers son développement, et que l’apparence, l’aspect extérieur soit ramené aux forces motrices capitales, au développement des forces productives et à la lutte des classes. »
La vraie dialectique se concentre sur le concret, sur la base de la règle: « il n’y a pas de vérité abstraite, la vérité est toujours concrète ».
Cela nécessite une compréhension claire de toutes les connexions ou du moins des plus importantes, des transitions, des interdépendances dans leur spécificité et leur causalité, sans lesquelles une évaluation correcte des actions humaines et de la personne elle-même est impossible.
La logique formelle est ici insuffisante, impuissante.
Formelle, la logique est incapable d’établir la vérité matérielle, c’est-à-dire ce qui existe réellement, ce qui constitue le contenu réel des choses et des phénomènes, et ce qui constitue pourtant l’une des tâches les plus importantes de la justice.
La logique formelle se limite donc à ce que les avocats appellent la vérité juridique, c’est-à-dire comment certains phénomènes ou choses se caractérisent par des faits présentés au tribunal par les parties, quelle que soit la manière dont ces faits reflètent les rapports de la vie réelle.
Cette méthode juridique formelle d’évaluation des faits dans les affaires judiciaires est directement liée à la compréhension formelle du droit.
Une compréhension formelle de la loi se traduit par l’incapacité à aller au-delà de sa lettre, l’incapacité à approfondir la reconnaissance de ces relations réelles et vitales qui sont cachées derrière l’extérieur de la question. »
Le droit soviétique implique ainsi la recherche du mouvement de la réalité à l’origine des phénomènes relevant du droit. Cela n’est toutefois pas une démarche aboutissant elle-même à un nouveau formalisme, un formalisme anti-formaliste. En effet, pour être authentique, cette démarche doit elle-même s’appuyer, au niveau de la réalisation du droit, sur la transformation de l’ancien par le nouveau.
Cela veut dire que le droit soviétique doit, par définition même, venir de la société socialiste en construction elle-même, de sa substance même. L’appareil de sécurité d’État de la société socialiste doit donc consister en une structure de la société elle-même. Tel est le principe socialiste.
Il y a une convergence de la défense du droit soviétique par l’appareil de sécurité d’État et l’affirmation du socialisme, de sa morale, par une société réalisant dans les faits l’affirmation historique d’un nouveau mode de production.
La morale et le droit sont ainsi en rapport dialectique dans le cadre de la construction du socialisme.
Maria Pavlovna Kareva, dans Le droit et la moralité dans la société socialiste, publié en 1951, explique à ce sujet que :
« La spécificité de la corrélation du droit et de la morale sous le socialisme n’est pas seulement que notre loi exprime et renforce les vues morales et les exigences du travail du peuple tout entier, tandis que le droit bourgeois n’exprime et ne consolide que les vues et les exigences morales de la bourgeoisie, c’est-à-dire la partie non significative du point de vue numérique, exploitant la société.
La spécificité de cette corrélation réside dans le fait que notre loi, consolidant les fondements matériels et politiques de la société, favorise l’opposition inconciliable entre les peuples et l’exploitation de l’homme par l’homme, et toute forme d’oppression de l’homme, de la nation et des peuples, que notre loi éduque les gens dans l’esprit de la démocratie véritable, leur inspire de nobles sentiments.
La loi bourgeoise, qui consolide les fondements matériels qui donnent lieu à l’exploitation, et le système étatique qui assure la domination des exploiteurs, c’est-à-dire des minorités, instaure dans les peuples une moralité qui est le reflet du capitalisme, que les moralistes officiels préfèrent passer sous silence – l’égoïsme, l’inimitié et la méfiance réciproques, l’hypocrisie. »
Le droit a ainsi une dimension active, au sens où les masses le voient et cherchent à voir le reflet non seulement d’eux-mêmes, mais également de leur propre évolution, de leur propre amélioration sur le plan de la conscience morale.
C’est la base d’un État qui, parce qu’il est en passe d’être assumé par l’ensemble de la population, disparaît ; le droit de l’État disparaît parce qu’il est devenu le droit du peuple lui-même, qui le prend en charge de lui-même. L’État a alors cessé sa fonction.
La transition au communisme d’un État socialiste consiste en la remise du droit au peuple lui-même. L’État socialiste a une « fonction économique-organisationnelle et culturelle-éducative », comme cela était appelé en URSS à partir des années 1930, qui doit être assimilée et assumée par le peuple.
Maria Pavlovna Kareva, dans le même ouvrage, explique à ce titre que :
« Les émotions elles-mêmes ne doivent donc pas être considérées comme définissant l’essence des devoirs moraux et légaux, mais comme une réponse de la psyché à des responsabilités objectives et légales dans la vie.
Là où, en raison de la structure antagoniste entre le droit et la moralité de la majorité de la société, un gouffre est creusé, où, par conséquent, les devoirs juridiques ne peuvent être à la fois des devoirs moraux, du moins pour la majorité de la population, des différences profondes d’émotions accompagnent les devoirs moraux.
Dans nos conditions [socialistes], pour la majorité des gens, une telle différence profonde entre les émotions lors de la réalisation de leurs obligations légales et morales ne peut avoir lieu.
Pour un homme soviétique conscient, l’accomplissement des devoirs juridiques et moraux est lié aux mêmes nobles émotions – le désir d’accomplir son devoir social, le respect des lois juridiques et morales de son pays socialiste. »
Les citoyens soviétiques ne sont à terme plus des citoyens de l’URSS, mais l’URSS elle-même.
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de l’État de l’URSS socialiste