La conception de de Gaulle d’un État autoritaire

De Gaulle avait tenu à la Libération deux discours essentiels pour saisir son positionnement, d’abord lors de la « visite à Bayeux » en juin 1944, puis lors d’un discours dans la même ville en juin 1946. Cette ville de Normandie fut en fait la première être libérée par les Alliés.

Ses propos en 1944 relèvent du discours patriotique prônant le rétablissement national, ce fut un moment important pour la reconnaissance réelle de la France par les forces américaines qui auraient mis en place, si elles l’avaient pu, un gouvernement d’occupation sous leur contrôle.

Son discours de 1946 est par contre une théorie de l’État fort. Voici ce qu’il dit notamment alors au sujet de la « dictature », qu’il rejette :

« Comment et pourquoi donc ont fini chez nous la Ire, la IIe, la IIIe Républiques ?

Comment et pourquoi donc la démocratie italienne, la République allemande de Weimar, la République espagnole, firent-elles place aux régimes que l’on sait ? Et pourtant, qu’est la dictature, sinon une grande aventure ?

Sans doute, ses débuts semblent avantageux. Au milieu de l’enthousiasme des uns et de la résignation des autres, dans la rigueur de l’ordre qu’elle impose, à la faveur d’un décor éclatant et d’une propagande à sens unique, elle prend d’abord un tour de dynamisme qui fait contraste avec l’anarchie qui l’avait précédée.

Mais c’est le destin de la dictature d’exagérer ses entreprises. À mesure que se fait jour parmi les citoyens l’impatience des contraintes et la nostalgie de la liberté, il lui faut à tout prix leur offrir en compensation des réussites sans cesse plus étendues.

La nation devient une machine à laquelle le maître imprime une accélération effrénée. Qu’il s’agisse de desseins intérieurs ou extérieurs, les buts, les risques, les efforts, dépassent peu à peu toute mesure.

À chaque pas se dressent, au-dehors et au-dedans, des obstacles multipliés. À la fin, le ressort se brise. L’édifice grandiose s’écroule dans le malheur et dans le sang. La nation se retrouve rompue, plus bas qu’elle n’était avant que l’aventure commençât. »

C’est là évidemment une conception idéaliste, mais c’est surtout une manière de proposer à la bourgeoisie un modèle de dictature masquée, sans « défauts » visibles. D’où sa conception d’un régime autoritaire où le président est « au-dessus » de la politique :

« Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d’aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le Gouvernement ne serait bientôt plus rien qu’un assemblage de délégations.

Sans doute aura-t-il fallu, pendant la période transitoire où nous sommes, faire élire par l’Assemblée Nationale Constituante le Président du Gouvernement Provisoire, puisque, sur la table rase, il n’y avait aucun autre procédé acceptable de désignation.

Mais il ne peut y avoir là qu’une disposition du moment. En vérité, l’unité, la cohésion, la discipline intérieure du Gouvernement de la France doivent être des choses sacrées, sous peine de voir rapidement la direction même du pays impuissante et disqualifiée.

Or, comment cette unité, cette cohésion, cette discipline, seraient-elles maintenues à la longue si le pouvoir exécutif émanait de l’autre pouvoir auquel il doit faire équilibre, et si chacun des membres du Gouvernement, lequel est collectivement responsable devant la représentation nationale tout entière, n’était, à son poste, que le mandataire d’un parti ?

C’est donc du chef de l’État, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le Président de l’Union Française en même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif.

Au chef de l’État la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement.

À lui la mission de nommer les ministres et, d’abord, bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail du Gouvernement. Au chef de l’État la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets, car c’est envers l’État tout entier que ceux-ci et celles-là engagent les citoyens.

À lui la tâche de présider les Conseils du Gouvernement et d’y exercer cette influence de la continuité dont une nation ne se passe pas. À lui l’attribution de servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine.

À lui, s’il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d’être le garant de l’indépendance nationale et des traités conclus par la France. »

Sa conception fut cependant alors repoussée au profit d’un pouvoir parlementaire s’appuyant sur le centre, les chrétiens-démocrates et les socialistes, dans une optique pro-américaine. Les forces sociales en présence aboutissaient du côté bourgeoise à l’hégémonie américaine.

De Gaulle s’effaça alors politiquement et son discours d’Épinal en 1946, appelant à refuser la constitution de la IVe République, fut le dernier avant ce qui fut appelé sa « traversée du désert ».

Il y dit notamment :

« Peu à peu, la nation avait bien voulu nous entendre et nous suivre. Ainsi furent sauvés la maison et même quelques meubles. Ainsi le pays put-il recouvrer le trésor intact de sa souveraineté vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres.

C’est pourquoi – soit dit en passant – nous accueillons avec un mépris de fer les dérisoires imputations d’ambitions dictatoriales, que certains, aujourd’hui, prodiguent à notre égard et qui sont exactement les mêmes que celles dont, depuis le 18 juin 1940, nous fûmes comblé, sans en être accablé, par l’ennemi et ses complices, par la tourbe des intrigants mal satisfaits, enfin par certains étrangers qui visaient à travers notre personne l’indépendance de la France et l’intégrité de ses droits.

Mais, si la République est sauvée, il reste à la rebâtir (…).

Il nous parait nécessaire que l’état démocratique soit l’état démocratique, c’est-à-dire que chacun des trois pouvoirs publics : exécutif, législatif, judiciaire, soit un pouvoir mais un seul pouvoir, que sa tâche se trouve limitée et séparée de celle des autres et qu’il en soit seul, mais pleinement, responsable.

Cela afin d’empêcher qu’il règne dans les pouvoirs de l’État cette confusion qui les dégrade et les paralyse ; cela aussi afin de faire en sorte que l’équilibre établi entre eux ne permette à aucun d’en écraser aucun autre, ce qui conduirait à l’anarchie d’abord et, ensuite, à la tyrannie, soit d’un homme, soit d’un groupe d’hommes, soit d’un parti, soit d’un groupement de partis.

Il nous paraît nécessaire que le Chef de l’État en soit un, c’est-à-dire qu’il soit élu et choisi pour représenter réellement la France et l’Union Française, qu’il lui appartienne, dans notre pays si divisé, si affaibli et si menacé, d’assurer au-dessus des partis le fonctionnement régulier des institutions et de faire valoir, au milieu des contingences politiques, les intérêts permanents de la nation.

Pour que le Président de la République puisse remplir de tels devoirs, il faut qu’il ait l’attribution d’investir les gouvernements successifs, d’en présider les Conseils et d’en signer les décrets, qu’il ait la possibilité de dissoudre l’Assemblée élue au suffrage direct au cas où nulle majorité cohérente ne permettrait à celle-ci de jouer normalement son rôle législatif ou de soutenir aucun Gouvernement, enfin qu’il ait la charge d’être, quoi qu’il arrive, le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et des traités signés par la France. »

Ce faisant, de Gaulle se positionnait comme le chef de file du courant « dur » au sein de la bourgeoisie, celui assumant la confrontation relative avec l’impérialisme américain, à rebours de la stratégie visant à placer la France sous le « parapluie américain ».

Ses réseaux fonctionnant en sous-marin maintenaient vivante la proposition stratégique.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

Une Ve République mise en place en 1958 sans réelle opposition

De Gaulle fit tout ce qui était possible pour prétendre au caractère non seulement légitime, mais également légal de sa prise du pouvoir. Il va de soi que les institutions firent de même, tout comme au fur et à mesure l’ensemble des partis politiques, même le Parti Communiste Français finissant par capituler, scellant son passage complet dans le révisionnisme.

Il y eut un accord tacite entre de Gaulle et les institutions pour faire croire que le premier s’était en quelque sorte sacrifié pour tirer la France d’un mauvais pas, de circonstances exceptionnelles – alors qu’en réalité on a un coup d’État militaire, des réseaux gaullistes putschistes, etc.

René Coty cédant la place au nouveau président en 1959, alors qu’en réalité de Gaulle est aux commandes
depuis le coup d’Etat de 1958

De Gaulle écrivit lui-même la version officielle à travers Mémoires d’espoir :

« A partir du moment où l’armée, passionnément acclamée par une nombreuse population locale et approuvée dans la métropole par beaucoup de gens écœurés, se dressait à l’encontre de l’appareil officiel, où celui-ci ne faisait qu’étaler son désarroi et son impuissance, où dans la masse, aucun mouvement d’adhésion et de confiance ne soutenait les gens en place, il était clair qu’on allait directement à la subversion, l’arrivée soudaine à Paris d’une avant-garde aéroportée, l’établissement d’une dictature militaire fondée sur un état de siège analogue à celui d’Alger, ce qui ne manquerait pas de provoquer, à l’opposé, des grèves de plus en plus étendues, une obstruction peu à peu généralisée, des résistances actives grandissantes.

Bref, ce serait l’aventure débouchant sur la guerre civile, en la présence, et bientôt, avec la participation en sens divers des étrangers.

A moins qu’une autorité nationale, extérieure et supérieure au régime politique du moment aussi bien qu’à l’entreprise qui s’apprêtait à le renverser, rassemblât soudain l’opinion, prît le pouvoir et redressât l’Etat. Or, cette autorité-là ne pouvait être que la mienne (…).

Évaluant les frais, je choisis d’agir aussitôt.

Mais alors, vais-je m’en tenir à rétablir une certaine autorité du pouvoir, à remettre momentanément l’armée à sa place, à trouver une cote mal taillée pour atténuer quelques temps les affres de l’affaire algérienne, puis à me retirer en rouvrant à un système politique détestable une carrière de nouveau dégagée?

Ou bien vais-je saisir l‘occasion historique que m’offre la déconfiture des partis pour doter l’État d’institutions qui lui rendent, sous une forme appropriée aux temps modernes, la stabilité et la continuité dont il est privé depuis cent soixante-neuf ans? »

C’est ainsi pratiquement par hasard que de Gaulle en aurait profité pour changer la nature du régime. Il en aurait simplement eu l’occasion, il n’y aurait aucune force sociale modifiant le pays, seulement une situation inextricable nécessitant un sauveur au-dessus des partis, etc.

La passivité totale des masses françaises appuya de toutes façons cette idée. A cela s’ajoutait le soutien des trois partis de grande importance alors : les socialistes de la SFIO, les centristes du Parti radical et les chrétiens-démocrates du MRP. Il faut également compter le soutien alors des populistes du Centre national des indépendants et paysans.

Les socialistes en désaccord, avec Édouard Depreux à leur tête, fondirent le Parti socialiste autonome. C’est lui qui lut au congrès socialiste d’Issy-les-Moulineaux le texte suivant, le 12 septembre 1958 :

« Malgré le vote que va émettre le congrès, nous tenons à affirmer notre ferme résolution de poursuivre publiquement notre action contre la constitution autoritaire et le référendum plébiscitaire.

En adoptant cette position, nous ne faisons que rester fidèles à ce que fut l’attitude constante et que l’on pouvait croire définitive du parti socialiste, depuis le 16 juin 1946, date du discours de Bayeux [de de Gaulle], jusqu’au 27 mai dernier.

Dès le lendemain du discours de Bayeux, dans lequel le général de Gaulle prenait position contre les institutions républicaines, le parti, par la plume de Léon Blum, dénonçait les dangers du néoboulangisme et du pouvoir personnel.

Le 27 mai 1958, il y a trois mois, le comité directeur et le groupe parlementaire étaient unanimes (à quatre voix près) pour s’insurger contre le retour du général de Gaulle, appuyé sur l’émeute algérienne et la sédition militaire.

Les socialistes, disait en substance le texte voté, ne pourront, en aucun cas, accorder leurs suffrages à une candidature qui, en toute hypothèse, serait un défi à la légalité républicaine.

Le texte constitutionnel, soumis au référendum du 28 septembre, constitue un très grave danger pour la démocratie.

L’avènement du pouvoir personnel, la concentration des pouvoirs dans les mains du président de la République et la mise en tutelle des élus du suffrage universel en sont les caractéristiques.

Il y a douze ans, Léon Blum a mis en garde le parti et l’opinion républicaine. Qu’on le veuille ou non, qu’on en convienne ou non, écrivait-il en 1946, c’est bien la réalité de la République qui est en cause, c’est bien la question du pouvoir personnel qui est posée devant le pays.

La menace de guerre civile n’a pas fait reculer le Parti socialiste après le 6 février 1934 et la réaction a été vaincue. Croire qu’en se rangeant aujourd’hui aux côtés des vainqueurs du 13 mai on évitera le pire, c’est au contraire provoquer le pire pour le lendemain.

La démocratie ne peut coexister avec des Comités de salut public, avec un système d’information à sens unique, avec une armée transformée en force politique, avec la volonté d’un seul s’imposant à tous.

La République menacée dans ses principes essentiels, c’est le socialisme atteint, du même coup, dans sa raison d’être et dans les espérances qu’il porte. Certains de rester fidèles à l’idéal du socialisme de Jean Jaurès et de Léon Blum, nous défendrons la République et ses libertés.

Certains que le nouveau « système » qu’on nous propose les met en péril, nous mènerons notre combat pour alerter tous les républicains et pour leur demander de répondre non au référendum du 28 septembre.

Je n’oublie pas les souvenirs du passé. Je n’oublie pas les amitiés. Ce n’est pas un adieu. J’espère pouvoir dire à beaucoup d’entre vous au revoir et à bientôt pour la construction du socialisme ! »

Le Parti socialiste autonome né en rupture de la ligne prédominante dans la SFIO pro-de Gaulle s’allia en une Union des forces démocratiques avec l’Union de la gauche socialiste fondé en 1957, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance avec notamment François Mitterrand, une partie du Parti Radical avec notamment Pierre Mendès France. Ce sont les bases du futur Parti Socialiste Unifié fondé en 1960.

A côté de l’Union des forces démocratiques, seul le Parti Communiste Français appela à voter non.

L’hégémonie était du côté de de Gaulle et de l’armée.

Le référendum du 28 septembre 1958 connut une participation de 80,63 %, avec une approbation du projet de constitution à 82,60 %. En métropole même, la participation fut de 84,94 %, avec 79,26 % pour le oui.

Les élections sont-elles truquées ? La question n’a jamais été abordée. Il est tout de même étonnant de voir que le oui atteint… 97,55% au Sénégal, 92,58 % au Gabon, 98,29 % au Tchad.

On a même… 99,99 % de oui en Côte d’Ivoire, pour 97,56 % de participation ! Dans ce dernier cas, sur 1 596 610 votants, on a 1 156 votes blancs ou nuls et seulement 216 votes contre…

Parmi les rares exceptions, on a le Niger avec seulement 37,42 % de votants et 78,43 % pour le oui, et surtout la Polynésie française avec 81,57 % de votants et seulement 64,40 % pour le oui.

De toutes façons pour les élections législatives françaises des 23 et 30 novembre 1958, il y eut une modification de taille effectué par le gouvernement seulement un mois avant. Au lieu d’être proportionnel, le scrutin devient uninominal majoritaire à deux tours.

Le Parti Communiste Français obtint 18,9 % des voix au premier tour, mais n’eut que 1,8 % des députés. La SFIO eut 15,5 % des voix, mais 7 % des députés.

Inversement, l’Union pour la nouvelle République pro-de Gaulle n’eut que 17,6 % des voix… mais 34,6 % des députés et le Centre national des indépendants et paysans 13,7 % des voix mais 24,2 % des députés.

Il faut remonter à 1871 pour avoir une assemblée où la droite avait autant la mainmise. Par ailleurs, signe révélateur, seulement 1,4 % des députés étaient des femmes.

A l’élection présidentielle française de décembre 1958, il y eut un encadrement similaire. Indirecte, elle passait par les parlementaires, les conseillers généraux, des représentants des conseils municipaux.

Sur ces 81 764  « grands électeurs », 62 394 votèrent pour de Gaulle, 13,03 % pour Georges Marrane, le candidat du Parti Communiste Français, 8,46 % pour le candidat de l’ Union des forces démocratiques, Albert Châtelet.

La Ve République instaurait un pouvoir personnel en son cœur.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

1958 : de Gaulle au pouvoir se rend en Algérie

De Gaulle tenant le pouvoir du coup d’État militaire dont l’épicentre était en Algérie, il s’y rendit dans la foulée de sa prise du pouvoir, du 4 au 7 juin. Voici le discours du général Massu adressé à de Gaulle le premier jour, à Alger :

« Vous avez devant vous une équipe de patriotes : 46 du 13 mai, auxquels se sont joints 32 autres représentants des différents territoires pour former le Comité d’Algérie et du Sahara.

Cette équipe comprend des civils de toutes catégories, et des militaires de toutes armes, des Français de toutes confessions, chrétienne et musulmane.

Son noyau s’est constitué au cours de la soirée du 13 mai, après l’hommage de toute la ville à la mémoire de trois jeunes soldats français martyrisés et fusillés en Tunisie. La ruée de la foule algéroise vers l’édifice du Gouvernement Général a voulu exprimer le refus de continuer à admettre les capitulations successives, l’abandon qui paraissait inéluctable, l’accélération de la décadence française par l’action funeste et inconsidérée de gouvernements irresponsables soumis aux marchandages et à l’impéritie des hommes de partis formant le Parlement.

Afin que ce mouvement patriotique ne dégénère pas en émeute pour se terminer peut-être dans le sang, j’ai jugé de mon devoir d’y participer, de cautionner l’émeute grandissante en prenant la tête du Comité de Salut Public du 13 mai, qui fut formé sur l’heure avec des éléments présents du peuple et de l’Armée. J’ai ainsi concrétisé l’union du peuple et de l’Armée, union existant déjà dans les cœurs.

Cette caution fut suivie de celle du général Salan, de M. Soustelle, du ministre Sid Cara. Dès lors, l’insurrection devenait une révolution d’inspiration nationale s’étendant à toute l’Algérie. Par des manifestations de masses sur toute l’étendue de l’Algérie, s’est exprimée jour après jour la volonté de tous les habitants de ce pays de rester français, dans l’intégration totale de l’Algérie et du Sahara à la France.

Cette fraternité retrouvée nous apporte miraculeusement la solution du conflit qui déchirait ce pays depuis le 1er novembre 1954. Elle a donc toute la faveur de l’Armée.

Aussi, mon Général, mes camarades et moi-même, dans un apolitisme absolu, formons le vœu respectueux de vous voir :

– Vous prononcer sur l’intégration de tous les habitants de l’Algérie et du Sahara à la nation française, dans l’égalité pour chacun des droits et des devoirs.

– Éliminer les séquelles du système et ses hommes définitivement déconsidérés aux yeux de toute la population.

– Reconnaître les Comités de Salut public comme le support de votre action dans la révolution pacifique que vous allez conduire et comme l’armature civique nécessaire au pays, tant que nous resterons engagés dans l’action subversive dont l’Algérie a été jusqu’ici le point d’application. »

La réponse faite par le nouveau chef du pays fut édifiante. De Gaulle salua ouvertement le coup d’État ; il était d’ailleurs lui-même en tenue militaire.

« Vous avez été le torrent et la digue. Torrent et digue sont une source d’énergie. Et d’énergie disciplinée. Je souhaite que, dans la métropole, l’action pour la rénovation de notre pays se passe dans les mêmes conditions d’ordre et de sagesse qu’en Algérie. »

De Gaulle à Alger

C’est le même jour qu’il tint, au balcon du Gouvernement Général d’Alger, son discours alors le plus célèbre, avec le fameux « je vous ai compris » :

« Je vous ai compris.

Je sais ce qui s’est passé ici. Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la Rénovation et de la Fraternité.

Je dis rénovation à tous égards. Mais très justement vous avez voulu commencer par le commencement, c’est-à-dire par nos institutions et c’est pourquoi me voilà.

Je dis fraternité, parce que vous en ferez ce spectacle magnifique d’hommes qui, d’un bout à l’autre, quelle que soit leur communauté, communient dans la même ardeur et se tiennent par la main.

Eh bien. De tout cela je prends acte, au nom de la France. Et je déclare qu’ à partir d’aujourd’hui la France considère que dans toute l’Algérie il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants. Il n’y a que des Français à part entière. Des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Cela signifie qu’il faut ouvrir des voies qui, jusqu’à présent, étaient fermées devant beaucoup. Cela signifie qu’il faut donner les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas. Cela signifie qu’il faut reconnaître la dignité de tous ceux à qui on la contestait. Cela veut dire qu’il faut assurer une Patrie à ceux qui pouvaient douter d’en avoir une.

L’Armée, l’Armée Française, cohérente, ardente, disciplinée, sous les ordres de ses chefs, l’Armée éprouvée en tant de circonstances et qui n’en a pas moins accompli, ici, une œuvre magnifique de compréhension et de pacification, l’Armée Française a été, sur cette terre, le ferment, le témoin et elle est le garant du mouvement qui s’y est développé.

Elle a su endiguer le torrent pour en capter l’énergie. Je lui rends hommage. Je lui exprime ma confiance. Je compte sur elle pour aujourd’hui et pour demain.

Français à part entière, dans un seul et même collège, nous allons le montrer pas plus tard que dans trois mois, dans l’occasion solennelle où tous les Français, y compris les 10 000 000 de Français d’Algérie, auront à décider de leur propre destin.

Pour ces 10 000 000 de Français-là, leurs suffrages compteront autant que les suffrages de tous les autres. Ils auront à désigner, à élire, je le répète, dans un seul collège leurs représentants pour les Pouvoirs publics comme le feront les autres Français.

Avec ces représentants élus, nous verrons comment faire le reste.
Ah ! Puissent-ils participer en masse à cette immense démonstration tous ceux de vos villes, de vos douars de vos plaines, de vos djebels. Puissent-ils même y participer ceux-là qui, par désespoir, ont cru devoir mener sur ce sol un combat dont je reconnais, moi, qu’il est courageux — car le courage ne manque pas sur cette terre d’Algérie — qu’il est courageux, mais qu’il n’en est pas moins cruel et fratricide.

Moi, de Gaulle, à ceux-là j’ouvre les portes de la réconciliation.
Jamais plus qu’ici, ni plus que ce soir, je n’ai senti combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux : la France.

Vive la République.
Vive la France. »

Vinyl avec l’allocution de de Gaulle du 20 décembre 1960, avec le thème impérial de l’union et de la réconciliation franco-musulmane

De Gaulle n’avait toutefois pas le même agenda que l’armée. Si, le 6 juin, il conclut son discours à Mostaganem par « Vive l’Algérie française ! », c’était là une exception. Au début du mois d’octobre, il se rendit en Corse, et dans l’avion il présenta la chose ainsi au journaliste Pierre Viansson-Ponté, l’un des plus importants journalistes d’alors.

Il s’agit de l’un des fondateurs de l’hebdomadaire L’Express, étant son rédacteur en chef, avant de devenir en 1958 chef du service politique du quotidien Le Monde. C’est lui qui écrivit dans Le Monde du 15 mars 1968 l’article « Quand la France s’ennuie… » considéré comme une anticipation des événements de mai 1968.

De Gaulle lui dit donc la chose suivante :

« Les généraux, au fond, me détestent. Je le leur rends bien. Tous des cons.

Vous les avez vus, en rang d’oignons sur l’aérodrome, à [la base aérienne 211 algérienne de] Telergma ? Des crétins, uniquement préoccupés de leur avancement, de leurs décorations, de leur confort, qui n’ont rien compris et ne comprendront jamais rien.

Ce Salan, un drogué. Je le balancerai aussitôt après les élections. Ce Jouhaud, un gros ahuri. Et Massu ? Un brave type, Massu, mais qui n’a pas inventé l’eau chaude. »

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

1958 : de Gaulle a les pleins pouvoirs

Lorsque de Gaulle mit en place son gouvernement le 31 mai 1958, il n’y a aucune opposition parlementaire franche à part celle du Parti Communiste Français.

L’assemblée capitula par 329 voix en faveur du nouveau gouvernement et 224 contre, seul le PCF faisant bloc avec 141 députés votant contre.

Le dirigeant de la SFIO Guy Mollet avait voté pour, faisant partie des 42 socialistes sur 95 soutenant de Gaulle ; le plus connu des opposants socialistes étant Gaston Defferre.

Juste avant la capitulation, le 27 mai 1958, 112 députés SFIO contre 3 avaient pourtant voté une motion où ils disaient :

« Ils ne se rallieront en aucun cas à la candidature du Général de Gaulle qui, dans la forme même où elle est posée et par les considérants qui l’accompagnent est un défi à la loi républicaine. »

C’était là une faillite.

Félix Gaillard fit partie des 24 radicaux sur 42 votant pour, 18 votant contre dont Pierre Mendès France (« je ne voterai pas le pistolet sur la tempe »).

L’Union démocratique et socialiste de la Résistance se scinda également : 10 députés sur 20 votent pour, 4 votent contre, le plus célèbre des opposants étant François Mitterrand.

Le gouvernement intégra toutes les forces qui avaient capitulé pour mieux asseoir sa base, à savoir les centristes et les socialistes. Le chef de la SFIO, Guy Mollet, fut nommé ministre d’État, bientôt chargé du statut des fonctionnaires.

Caricature de Jean Effel, avec le général Massu, de Gaulle, le radical Félix Gaillard, Marianne symbolisant la République, le socialiste Guy Mollet

Comble de l’ironie et de la capitulation, l’ancien chef du gouvernement renversé, le chrétien-démocrate Pierre Pflimlin, fut lui aussi nommé ministre d’État. C’était également le cas du futur président ivoirien Félix Houphouët-Boigny et du centriste Louis Jacquinot. Le ministre des finances fut le centriste Antoine Pinay.

C’était là toutefois cependant uniquement symbolique et les ministères obtenus au départ par des socialistes et des centristes étaient subalternes. Le ministre de la justice, Michel Debré, était gaulliste, tout comme le ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville. C’était également le cas du ministre de l’Intérieur Émile Pelletier.

Surtout, dès le premier juin, le général de Gaulle demanda lors de son discours d’investiture qu’on lui donne les pleins pouvoirs pour six mois : il devait être en mesure de gouverner par ordonnance tout en mettant en place une nouvelle constitution.

Voici comment il justifie cela devant les parlementaires :

« La dégradation de l’État qui va se précipitant. L’unité française immédiatement menacée. L’Algérie plongée dans la tempête des épreuves et des émotions. La Corse subissant une fiévreuse contagion.

Dans la métropole des mouvements en sens opposé renforçant d’heure en heure leur passion et leur action. L’armée, longuement éprouvée par des tâches sanglantes et méritoires, mais scandalisée par la carence des pouvoirs. Notre position internationale battue en brèche jusqu’au sein même de nos alliances. Telle est la situation du pays. En ce temps même où tant de chances, à tant d’égards, s’offrent à la France, elle se trouve menacée de dislocation et peut-être de guerre civile.

C’est dans ces conditions que je me suis proposé pour tenter de conduire une fois de plus au salut le pays, l’État, la République, et que, désigné par le chef de l’État, je me trouve amené à demander à l’Assemblée nationale de m’investir pour un lourd devoir.

De ce devoir, il faut les moyens.

Le Gouvernement, si vous voulez l’investir, vous proposera de les lui attribuer aussitôt. Il vous demandera les pleins pouvoirs afin d’être en mesure d’agir dans les conditions d’efficacité, de rapidité, de responsabilité que les circonstances exigent. Il vous les demandera pour une durée de six mois, espérant qu’au terme de celte période l’ordre rétabli dans l’État, l’espoir retrouvé en Algérie, l’union refaite dans la nation, permettront aux pouvoirs publics de reprendre le cours normal de leur fonctionnement.

Mais ce ne serait rien que de remédier provisoirement, tant bien que mal, à un état de choses désastreux si nous ne nous décidions pas à en finir avec la cause profonde de nos épreuves.

Cette cause – l’Assemblée le sait et la nation en est convaincue – c’est la confusion et, par là même, l’impuissance des pouvoirs. Le Gouvernement que je vais former moyennant votre confiance vous saisira sans délai d’un projet de réforme de l’article 90 de la Constitution, de telle sorte que l’Assemblée nationale donne mandat au Gouvernement d’élaborer, puis de proposer au pays par la voie du référendum, les changements indispensables.

Aux termes de l’exposé des motifs qui vous sera soumis en même temps que le texte, le Gouvernement précisera les trois principes qui doivent être en France la base du régime républicain et auxquels il prend l’engagement de conformer son projet. Le suffrage universel est la source de tout pouvoir.

Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le Gouvernement et le Parlement assument, chacun pour sa part et sous sa responsabilité, la plénitude de ses attributions. Le Gouvernement doit être responsable vis-à-vis du Parlement. L’occasion solennelle d’organiser les rapports de la République française avec les peuples qui lui sont associés sera offerte au pays par la même réforme constitutionnelle. Cette organisation nouvelle, le Gouvernement prendra l’engagement de la promouvoir dans le projet qu’il proposera aux suffrages des Françaises et des Français.

À partir de ce double mandat, à lui conféré par l’Assemblée nationale, le Gouvernement pourra entreprendre la tâche immense qui lui sera ainsi fixée. Quant à moi, pour l’assumer, il me faut assurément et d’abord votre confiance. Il faut ensuite que sans aucun délai – car les événements ne nous en accordent pas – le Parlement vote les projets de loi qui lui seront soumis.

Ce vote acquis, les assemblées se mettront en congé jusqu’à la date prévue pour l’ouverture de leur prochaine session ordinaire. Ainsi le Gouvernement de la République, investi par la représentation nationale et pourvu d’extrême urgence des moyens de l’action, pourra répondre de l’unité, de l’intégrité, de l’indépendance de la France. »

C’est là demander les pleins pouvoirs pendant six mois, en liquidant l’assemblée. Cette dernière capitula pourtant, par 322 voix contre 232.

On a ici toutes les caractéristiques d’une prise du pouvoir ayant peut-être partiellement l’apparence de la légalité, mais correspondant à tous les niveaux à un coup d’État. Et ce coup d’État s’assuma dès le départ avec la liquidation du parlement et une période de « remise à plat » devant servir, on l’aura compris, à nettoyer l’appareil d’État.

L’historiographie bourgeoisie n’étudia évidemment jamais cette question.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

1958 : l’Opération Résurrection et la capitulation du régime

La réussite de l’Opération Corse – de nature clairement gaulliste – convergea avec l’Opération Résurrection, consistant en la prise du pouvoir par l’armée en métropole même. Ici encore, l’histoire bourgeoise est pratiquement muette sur ce plan de coup d’État militaire.

L’Opération Corse est même présentée comme une partie de l’Opération Résurrection, ce qui est inexact de par sa substance. Il y eut un premier plan pour une Opération Résurrection, quelques jours après le coup d’État, réalisé par l’armée en Algérie, mais que de Gaulle rejeta comme manquant de moyens.

Puis, une seconde version fut élaborée à la suite de l’Opération Corse, avec cette fois l’approbation de de Gaulle et même un soutien acharné. Il faut bien voir ici que différents réseaux s’entremêlent. Initialement, l’Opération Résurrection devait voir les « paras » tant d’Algérie que de Corse sauter sur Paris et prendre le contrôle des points névralgiques.

Alger en 1958

Le général Edmond Jouhaud, dans un document racontant l’épisode, décrit cela de la manière suivante :

« Groupement de Vismes : se porter sur la Préfecture de Police et l’Hôtel de Ville ; groupement Cousteaux : se porter sur le ministère de l’Intérieur et protéger l’Elysée.

Détacher ensuite un élément sur le central régional des P.T.T. ; groupement Château-Jobert : se porter sur la tour Eiffel, les studios de l’O.R.T.F., le centre des communications militaires avec les territoires d’outre-mer ; groupement Moulie : se porter sur la Chambre des députés, le ministère des Affaires étrangères, la présidence du Conseil, la direction générale des P.T.T. et les studios de l’O.R.T.F., occuper les locaux et neutraliser le personnel présent.

Une telle action conduisait à s’emparer des leviers de commande de l’Etat ou tout au moins a les contrôler. »

Mais, en réalité, ce à quoi on aboutit était un coup d’État militaire depuis la métropole même, plus précisément depuis Paris, avec la participation de l’état-major des armées de terre, de l’air et de la marine, unanimement.

Lorsque l’Opération commença, au tout début de la nuit du 30 mai 1958, les avions vers le Sud-Ouest partaient ainsi de Paris.

Si les choses ne sont pas claires, c’est en raison de la nature complotiste de l’opération, différents complots s’entremêlant selon les réseaux. Certains militaires pensaient même que l’opération n’était qu’une bluff pour faire tomber le gouvernement.

Tizi Ouzou le 27 mai 1958

Comme, de fait, le gouvernement tomba dès la prise de connaissance de l’opération commencée, tout passa aux oubliettes afin de contribuer à masquer le fait que le régime de la Ve République avait comme origine un coup d’État militaire.

Il faut comprendre le tempo menant à l’Opération Résurrection, qui ne pouvait en effet avoir lieu que grâce à la réussite de la prise de contrôle de la Corse. Celle-ci permettait la constitution d’une tête de pont vers la métropole, tout en aidant à présenter pour la forme le coup d’État militaire en Algérie comme la prétendue expression d’une révolte populaire d’ampleur générale.

C’est l’Opération Corse qui déverrouilla les positions pro-coup d’État de l’armée en métropole.

Le gouvernement et le parlement l’avaient parfaitement compris, d’où leur soumission totale, très surprenante si l’on ne prend pas cet aspect en compte.

Alger le 16 mai 1958

Lors du coup d’État en Corse, le député Pascal Arrighi se vit suspendre son mandat par 393 voix contre 198 et lever son immunité parlementaire par l’Assemblée par 423 voix contre 112. Le soutien au gouvernement était donc écrasant.

Le président du conseil Pierre Pfimlin affirma également à la radio le 24 mai :

« J’ai le devoir d’alerter les Français attachés aux libertés que garantissent les lois de la République. Des factieux essaient de nous entraîner sur la pente qui conduit à la guerre civile.

Pour conjurer ce péril, il n’est qu’un moyen : c’est de vous rassembler autour du gouvernement qui défendra contre tous les extrémismes, contre tous les adversaires de la liberté, quels qu’ils soient, l’ordre public, la paix civile et l’unité de la Nation et de la République. »

Mais le 26 mai, au domicile du conservateur du domaine de Saint-Cloud en banlieue parisienne, la rencontre Pierre Pfimlin – Charles de Gaulle se solda par un échec, le second refusant de désavouer le coup d’État en Algérie.

Cela n’empêcha pas de Gaulle de publier le communiqué suivant dans la foulée :

« J’ai entamé hier le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assumer l’unité et l’indépendance du pays. Je compte que ce processus va se poursuivre et que le pays fera voir, par son calme et sa dignité, qu’il souhaite le voir aboutir.

Dans ces conditions, toute action, de quelque côté qu’elle vienne, qui met en cause l’ordre public, risque d’avoir de graves conséquences. Tout en faisant la part des circonstances, je ne saurais l’approuver.

J’attends des forces terrestres, navales et aériennes présentes en Algérie qu’elles demeurent exemplaires sous les ordres de leurs chefs: le général Salan, l’amiral Auboynau, le général Jouhaux. A ces chefs, j’exprime ma confiance et mon intention de prendre incessamment contact avec eux. »

Avec l’Opération Résurrection le 28 mai, Pierre Pfimlin comprit alors que l’armée avait basculé et que la seule réponse éventuelle, c’était la guerre civile.

Mais le même jour, la grande manifestation « en défense de la république », avec notamment François Mitterrand, Pierre Mendès France, Jacques Duclos et Édouard Daladier, ne rassembla que 500 000 personnes à Paris.

Le soir même, le président René Coty appela de Gaulle à former un gouvernement. L’opinion publique fut passive, le mouvement ouvrier ne fit rien. Seule eut lieu une grève générale des enseignants le 30, à l’appel de la FEN, suivi à 80 %.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

Le coup d’État en Corse en 1958

L’opération Corse se déroula le 24 mai 1958, soit le lendemain d’une réelle cimentation de l’alliance entre l’armée et les réseaux gaullistes. La veille, des Comités de salut public avaient été fondés à Ajaccio et Bastia.

Dans ces deux villes, le 24, les 800 « paras » du premier bataillon du onzième choc occupèrent les principaux bâtiments administratifs, Calvi et Corte suivant rapidement. Seule la mairie de Bastia résista pendant quelques temps à l’occupation (avec le premier adjoint PCF au maire de Bastia chantant symboliquement la Marseillaise), aux côtés de la mairie et de la sous-préfecture de Sartène.

Le chef des « paras » était le Corse Ignace Mantei, alors que le député corse Pascal Arrighi joua ici un rôle moteur pour les appuyer, permettant un appui populaire à l’initiative qui surprit beaucoup alors.

Dès le 21 mai, il lançait sur Radio-Alger l’appel suivant :

« Il y a quinze ans, la Corse, premier département français libéré, se plaçait sous l’autorité du général de Gaulle. Les Corses se doivent de continuer cette tradition et d’être à la pointe du combat. Constituez, partout, des comités de salut public. »

Le chef du gouvernement légal, Pierre Pflimlin, affirma ainsi à la radio RTF que si « l’insubordination des Algériens était compréhensible », inversement « la rébellion des Corses est inexcusable ». La Corse connut dans la foulée un blocus maritime et aérien.

Mais c’est qu’à côté de Pascal Arrighi, on trouvait Henri Maillot, simple conseiller municipal d’Ajaccio, mais surtout cousin de de Gaulle et figure de la libération de la Corse pendant la seconde guerre mondiale.

C’est lui qui, au nom du Comité de salut public d’Ajaccio et accompagné de l’ancien député Antoine Serafini, affirma le 26 mai 1958, à l’occasion d’un dépôt d’une gerbe aux Monuments aux Morts, que :

«Nous voulons que la France grandisse au lieu de diminuer, et nous aussi, Corses, avons peur d’être un jour abandonnés. C’est pourquoi, nous avons été les premiers à nous rallier à un mouvement national. »

La prise du pouvoir en Corse s’appuya ainsi indéniablement sur une dimension gaulliste ; c’est d’ailleurs de Gaulle qui poussa à cette initiative, de peur de voir le coup d’État s’enliser. François Mitterrand, dans Le coup d’État permanent publié en 1964, raconte de la manière suivante cet épisode :

« Le ministre Pflimlin branle mais ne part pas. L’Assemblée nationale fléchit mais cherche à échapper à l’étreinte. Ici on envisage la formation d’un cabinet Naegelen, Mollet ou Lacoste.

Là on met au point une réforme constitutionnelle. Bref, on biaise.

Mais si l’on tergiverse à Paris on tergiverse aussi à Alger. Les dirigeants de Paris craignent de n’être pas obéis. Les militaires d’Alger craignent le conseil de guerre.

Le général de Gaulle qui a déjà relancé la rébellion par son intervention du 15 mai comprend qu’il faut créer l’irréparable, trancher le nœud gordien.

Ah! la pure légitimité qui se flattait vingt ans plus tôt d’avoir pour compagnons l’honneur et la patrie! La voici maintenant qui recrute ses spadassins. La rébellion ne suffit pas? La sécession complétera l’escorte.

Un commando arrache la Corse au territoire métropolitain. Ce sont des gaullistes qui atterrissent à Ajaccio. Ce sont des gaullistes qui les reçoivent et leur prêtent main-forte. Ce sont des gaullistes qui d’Alger arrivent à la rescousse. »

Naturellement, l’histoire bourgeoise n’a jamais fait l’effort d’analyser « l’Opération Corse », ses tenants et aboutissants. Il aurait alors fallu en effet alors montrer comment les réseaux gaullistes étaient mêlés aux milieux mafieux, notamment corses, dès 1945, une chose très connue par ailleurs pour la période suivant 1958, avec notamment le « Service d’Action Civique » où l’on retrouve une figure comme le Corse Charles Pasqua.

Une figure d’importance fut ici également l’activiste d’extrême-droite Jean Baptiste Biaggi, maurassien héros de la Résistance ayant fondé le Réseau Orion faisant évader des Français vers l’Espagne.

On avait également l’anticommuniste Jean-Jacques Susini, qui jouera par la suite un rôle majeur avec l’OAS ; c’était un habitant de l’Algérie française, le quart des deux millions d’Européens étant d’ailleurs d’origine corse.

Dès le lendemain du coup d’État militaire du 13 mai 1958 en Algérie, on eut également un appel du général Massu, chef du Comité de salut public d’Alger, spécifiquement destiné aux familles des « paras », qui fut diffusé à Ajaccio par un groupe de jeunes activistes regroupés autour de Ambroise Fieschi et Marien Spinosi.

Jules Moch, ministre de l’Intérieur, envoya un télégramme aux préfets où la situation était présentée ainsi :

« Une poignée de factieux vient d’annuler en Corse un siècle d’efforts démocratiques. Il s’agit d’une sédition criminelle menée par une poignée de militaires et de civils dont le geste rappelle les pronunciamientos sud-américains. »

Sa tentative d’envoyer des CRS pour écraser la révolte fut bloquée dès l’arrivée des troupes par avion en Corse, par l’armée. La Corse était passée dans les mains des gaullistes, en liaison avec l’Algérie française aux mains de l’alliance armée – de Gaulle.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

1958 : l’alliance armée-de Gaulle autour du «roc»

La convergence de la faction de l’armée et de la faction de de Gaulle avait été cimentée en amont, dans un processus secret passant par des intermédiaires. Cela aboutit à un programme commun.

D’un côté, de Gaulle appela à la résurrection de l’esprit national, ce qui satisfaisait l’armée désireuse d’une ligne expansionniste de la France. De l’autre côté, il exigea la mise en place d’un régime fort, ce qui était sa position depuis 1940 et en avait fait la grande figure de la bourgeoisie la plus agressive.

Il y avait concrètement convergence de la faction de l’armée autonome en raison de l’Algérie française et de la faction de la bourgeoisie impérialiste.

Voici comment, le 19 mai 1958, lors d’une conférence de presse, de Gaulle exposa le contenu idéologique de cette démarche :

« Ce qui se passait en Afrique du Nord, depuis quatre ans, était une très lourde épreuve, ce qui se passe en ce moment, en Algérie, par rapport à la métropole et dans la métropole par rapport à l’Algérie, peut conduire à une crise nationale extrêmement grave.

Mais aussi, ce peut être le début d’une espèce de résurrection.

Voilà pourquoi le moment m’a semblé veu où il pourrait m’être possible d’être utile, encore une fois, directement, à la France (…).

C’est un fait que le régime exclusif des partis n’a pas résolu, ne résout pas, ne résoudra pas, les énormes problèmes avec lesquels nous sommes confrontés. Notamment, celui de l’association de la France avec les peuples d’Afrique. Celui aussi de la vie en commun des diverses communautés vivant en Algérie.

Et même celui de la concorde à l’intérieur de chacune de ces communautés. Le fait est là, je répète que tout le monde doit en prendre acte. Les combats qui se livrent, en Algérie, et la fièvre qui bouillonne ne sont que les conséquences de cette carence.

Et si les choses continuent, de la façon dont elles sont engagées, nous savons tous parfaitement bien que le régime tel qu’il est ne pourra pas y trouver d’aboutissement (…).

[Journaliste 1 : Vous aviez dit que vous vous teniez prêt à assumer les pouvoirs de la République. Qu’entendez-vous au juste par là ?]

Je vais vous répondre au mieux. Les pouvoirs de la République, quand on les assume, ce ne peut-être que ceux qu’elle-même vous aura délégués. Voilà pour les termes qui me paraissent parfaitement clairs.

Et puis alors maintenant, il y a l’homme qui les a prononcés. La République, il fut un temps où elle était reniée, trahie, par les partis eux-mêmes, et moi, j’ai redressé ses armes, ses lois, son nom !

[Journaliste 4 : Certains craignent que, si vous reveniez au pouvoir, vous attentiez aux libertés publiques.]

Est-ce que j’ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ? Je les ai rétablies. Et y ai-je une seconde attenté jamais ?

Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? »

La question était de savoir dans quelle mesure de tels propos allaient suffire à satisfaire l’armée.

Le général Salan à Alger le 16 mai 1958

Le lendemain de la conférence de presse, le 20 mai, le général Salan donna une réponse, à Alger :

« Au cours de ces journées, de ce Forum devenu le haut lieu de la résistance à l’abandon, a jailli une intense clameur vers Paris.

Dans un élan unanime de ferveur patriotique vous avez crié votre volonté farouche de construire une Algérie française nouvelle et fraternelle marquée par la vie en commun des diverses communautés.

Hier soir, de Paris, du coeur même de l’Île-de-France, une voix sereine s’est fait entendre : le général de Gaulle s’est écrié : « C’est peut-être le début d’une espèce de résurrection, il faut en prendre acte. Hâtez-vous, les choses et les esprits vont vite. »

Ainsi, hier à Paris, celui qui en d’autres heures cruciales pour la patrie a su montrer la voie du Salut, a affirmé publiquement avec force avec force, sans ambiguïté, qu’il comprenait vos angoisses et vos élans.

Avec Alger, Oran, Constantine, avec les habitants des cités et des douars, avec ceux des plaines et des plateaux, avec les montagnards des djebels les plus reculés, les nomades du Sahara, tous se rassemblent pour affirmer leur fierté et leur volonté d’être Français et pour dire certitude de notre victoire.

De toute l’Algérie française jaillit un immense cri de patriotisme et de foi. Dix millions de Français décidés à rester Français, à rester bien Français, indissolublement liés à l’Armée et à la République vous disent, mon Général, que vos paroles ont fait naître dans leur cœur une immense espérance de grandeur et d’unité nationale. »

On reconnaît ici les termes du contrat entre de Gaulle et l’armée. Du moment que de Gaulle maintient l’Algérie et en fait bien une « base » en tant que telle, il aura le soutien de l’armée. Il va de soi que l’armée considérait qu’elle aurait l’hégémonie dans cette affirmation politique ; le 22 mai 1958, le général Salan dit même à Alger :

« Indissolublement unis, nous remonterons les Champs-Élysées et on nous couvrira de fleurs ».

C’est que l’armée pensait avoir forcément le dessus, car elle disposait d’un « roc » : l’Algérie française qui est entièrement sous son contrôle.

Alger, le 24 mai 1958

Voici comment la chose était présentée dans l’éditorial dans l’Écho d’Alger du 22 mai 1958 d’Alain de Sérigny :

« Le Roc !

Qu’on ne se fasse donc pas d’illusions à l’hôtel Matignon, au Palais-Bourbon, ou ailleurs. Les dix millions de Français de la grande communauté algérienne restaurée forment avec l’Armée française UN ROC.

Il ne sera délité ni par les tentatives de division, ni par les manœuvres de chantage : nos Comités de Salut public sont vigilants.

L’Algérie n’acceptera qu’un gouvernement de Salut public, et présidé par l’Homme qui incarne la grandeur française : le général de Gaulle. »

L’auteur de ces lignes sur de Gaulle incarnant la grandeur française avait durant la seconde guerre mondiale été décoré de la Francisque par Pétain ; c’est ici en fait une convergence des intérêts réactionnaires.

L’armée avait scellé une alliance avec les réseaux gaullistes et le Comité de salut public pouvait désormais lui-même utiliser la figure de de Gaulle une fois le processus ouvertement lancé.

Le 23 mai 1958, les ressorts idéologiques et stratégiques de l’alliance étaient clairs :

« Le comité de salut public de l’Algérie et du Sahara à tous les Français :

Citoyens français de la Métropole, de l’Union Française et du monde entier, le mouvement de Salut Public déclenché à Alger par la volonté populaire le 13 mai 1958, a réalisé en trois jours, ce qu’aucun Gouvernement n’avait pu obtenir en trois ans.

Sachez que désormais, les 10 000 000 de Français qui peuplent l’Algérie et le Sahara, ont réalisé leur union totale.

Sachez qu’ils ont fait le serment de conserver cette province française, indissolublement liée à la Mère Patrie, pour garder intact le patrimoine national.

Sachez qu’ils sont fermement résolus à mettre en place un Gouvernement de Salut Public présidé par le général de Gaulle pour promouvoir et défendre la réforme profonde des institutions de la République.

Français et Françaises, ces 10 000 000 de citoyens vous appellent solennellement et vous demandent dans un véritable sursaut national de mobiliser toutes vos énergies pour que soit réalisé ce noble idéal.

Dans ce but, le mouvement doit s’étendre et se concrétiser dans l’immédiat par la création de comités de salut public, malgré toutes les manœuvres et les menaces dont vous êtes l’objet de la part du Gouvernement du système.

Tous unis, au sein de ces Comités, vous obtiendrez, par votre détermination, un Gouvernement de Salut Public présidé par le général de Gaulle, seul capable de restaurer la grandeur et l’indépendance de la Patrie. »

Cette « restauration » était toutefois bloquée, car le régime refusait de céder. Ce furent alors les gaullistes qui prirent l’initiative, en Corse.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

Les réseaux gaullistes et le capitalisme financier en 1958

De Gaulle ne représentait ni le capitalisme bureaucratique en Algérie, ni les grands propriétaires terriens maintenant une situation semi-féodale. Il représentait le capitalisme financier.

Lors de la défaite de 1940, la bourgeoisie française a accepté la collaboration, suivant le mot d’ordre « plutôt Hitler que le Front populaire ». Elle passa alors sous la coup de la bourgeoisie industrielle.

Cependant, pour une petite fraction de la bourgeoisie, la capitulation était impossible, car aboutissant nécessairement à l’effacement des banques du pays et à l’effondrement à moyen terme de l’empire français, et donc d’une perspective d’exportation des capitaux.

La fraction la plus agressive de la bourgeoisie française, la plus réactionnaire, la haute finance avec des ramifications industrielles, s’opposa ainsi à l’Allemagne, autour du général de Gaulle. Les courants réactionnaires opportunistes formèrent quant à eux le bloc autour du maréchal Pétain, bloc représentant une bourgeoisie industrielle avec des ramifications financières cherchant à se placer dans le « nouvel ordre européen » des nazis, bloc allié à la réaction dans les campagnes.

De Gaulle ne s’opposa pour cette raison pas qu’à l’Allemagne nazie, il rentra également en conflit avec les impérialismes américain et britannique. Dans ses mémoires, Alain Peyrefitte raconte de la manière suivante comment de Gaulle justifia son refus en 1964 de participer à la commémoration du débarquement des forces alliées :

« Eh bien, non ! Ma décision est prise ! La France a été traitée comme un paillasson ! Churchill m’a convoqué d’Alger à Londres, le 4 juin, il m’a fait venir dans un train où il avait établi son quartier général, comme un châtelain sonne son maître d’hôtel. Et il m’a annoncé le débarquement, sans qu’aucune unité française ait été prévue pour y participer. Nous nous sommes affrontés rudement.

Je lui ai reproché de se mettre aux ordres de Roosevelt, au lieu de lui imposer une volonté européenne.

Il m’a crié de toute la force de ses poumons : « De Gaulle, dites-vous bien que quand j’aurai à choisir entre vous et Roosevelt, je préférerai toujours Roosevelt ! Quand nous aurons à choisir entre les Français et les Américains, nous préférerons toujours les Américains ! Quand nous aurons à choisir entre le continent et le grand large, nous choisirons toujours le grand large ! »

Le débarquement du 6 juin, ç’a été l’affaire des Anglo-Saxons, d’où la France a été exclue. Ils étaient bien décidés à s’installer en France comme en territoire ennemi ! Comme ils venaient de le faire en Italie et comme ils s’apprêtaient à le faire en Allemagne !

Ils avaient préparé leur AMGOT qui devait gouverner souverainement la France à mesure de l’avance de leurs armées. Ils avaient imprimé leur fausse monnaie, qui aurait eu cours forcé. Ils se seraient conduits en pays conquis.

C’est exactement ce qui se serait passé si je n’avais pas imposé, oui imposé, mes commissaires de la République, mes préfets, mes sous-préfets, mes comités de libération !

Et vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi ! Je veux bien que les choses se passent gracieusement, mais ma place n’est pas là ! »

De Gaulle, pour cette raison, dut batailler contre le général Henri Giraud, commandant de l’armée d’Afrique à partir de 1942 et homme des Américains. Il s’opposa à la présence des troupes américaines en France après 1945, à l’intégration de la France dans l’OTAN. Il fut toutefois rapidement balayé, perdant dès 1946 sa place de dirigeant.

Son parti fondé en 1947, le Rassemblement du peuple français, parvint à rassembler un demi-million de personnes et à se placer numériquement juste derrière le Parti Communiste Français, mais échoua toutefois à se présenter comme un mouvement « au-dessus » des partis. Il fut rapidement marginalisé et de Gaulle l’abandonna dès 1953, quittant la vie publique.

Les réseaux gaullistes restèrent toutefois en action. Il étaient de deux types.

Il y avait déjà le service d’ordre du Rassemblement du peuple français, adepte du coup de force contre les communistes. On est ici dans une démarche paramilitaire, voire militaire, mais avec une conception du même type que les services secrets, suivant le principe du « coup de main ».

Les soutiens financiers venaient de monopoles, tels Rhône-Poulenc, Esso-Standard, le Crédit Lyonnais, Simca, Dassault, etc. Marseille était le bastion du mouvement, en liaison avec la pègre.

Il y avait ensuite les réseaux au sens strict, à travers des hommes comme Jacques Foccart – aux Antilles et en Guyane au départ, mais qui sera après 1958 « monsieur Françafrique » – qui tissaient des liens, formaient des structures partisanes, mais fonctionnant à l’arrière-plan seulement, avec des couvertures.

Jacques Foccart

Jacques Foccart mit notamment en placela SAFIEX (Société anonyme française d’importation et d’exportation), permettent le financement et la couverture de ce qu’on doit considérer comme des agents des réseaux gaullistes. La quête d’influence visait principalement les services secrets, mais également l’armée.

On avait également le réseau formé par Claude Dumont et Jacques Soustelle, qui avaient constitué en mars 1956 l’Union pour le salut et renouveau de l’Algérie française.

Le mouvement, qui poussait à en appeler à de Gaulle, devint en 1958 l’Union pour le Renouveau Français et rejoignit immédiatement le Comité de Coordination des Mouvements Gaullistes.

Voici les propos, à Alger le 17 mai 1958, de Jacques Soustelle, qui fut notamment ministre des Colonies en 1945-1946 sous de Gaulle et Gouverneur général de l’Algérie en 1955-1956 :

«  Algériennes, Algériens, mes Amis.

Me voici parmi vous, je veux d’abord rendre hommage à notre magnifique Armée d’Algérie, hommage à ses chefs, au général Salan qui a su maintenir l’unité, au général Massu et à tous les autres chefs de cette armée les mêmes à qui j’avais promis, quand je vous ai quittés le 2 février 1956 de consacrer toutes mes forces au salut de l’Algérie.

C’est ce que je me suis efforcé de faire durant deux ans et quatre mois.
Mais depuis quelque temps, j’étais soumis à une incessante surveillance et ne pouvais plus accomplir mon devoir.

C’est pourquoi j’ai décidé de choisir tout à la fois la liberté et la Patrie et que, maintenant, je viens me mettre à la disposition de l’Algérie Française qui vient de donner un exemple si émouvant d’attachement à la Mère Patrie et cela surtout par la voix de nos frères Musulmans qui furent des tout premiers.

Nous nous efforcerons de la servir pour refaire l’unité nationale des deux côtés de la Méditerranée.

Vive la République,
Vive l’Algérie Française,
Vive la France,
Vive de Gaulle. »

Ce fut également le gaulliste Lucien Neuwirth qui devint porte-parole du Comité de salut public et directeur de la radiodiffusion-télévision française en Algérie (Radio Alger) après le coup d’État du 13 mai 1958.

A cela s’ajoutait la mouvance des députés gaullistes, regroupés en « Union des républicains d’action sociale » en 1955-1956 et en « Républicains sociaux » de 1956 à 1958. Ici encore c’était plus un réseau qu’un mouvement, avec beaucoup de nuances et de divisions, faisant que les députés gaullistes passèrent d’ailleurs de 120 en 1951 à une vingtaine en 1956.

Enfin, il faut prendre en compte la participation gaulliste au Comité d’Action des Associations Nationales d’Anciens Combattants. Le 13 mai 1958, jour du coup d’État, il y eut une petite manifestation de leur part à Paris, qui fut aisément brisée par la police, avec quelques légers incidents aboutissant toutefois, dans la foulée, à l’interdiction le 15 mai de différents petits mouvements d’extrême-droite.

C’était bien léger, et cependant, tout cela fit suffisamment puissant pour former une faction au sein de l’État et de la société française. Le 19 mai, une rassemblement de 20 000 personnes pro-de Gaulle se tint notamment place de l’Étoile à Paris, partant vers l’assemblée nationale, enfonçant les grilles de l’Élysée, avec des commandos à motos attaquant les ministères.

Et surtout, il y eut l’opération de prise de contrôle de la Corse, opération qui scella le coup d’État militaire n’ayant pas triomphé jusque-là.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

Le capitalisme bureaucratique et la dimension semi-féodale en Algérie française

De Gaulle crut possible, au départ, la vaste modernisation de l’Algérie. Cette modernisation était un défi rendu inéluctable de par l’explosion démographique de la population colonisée, qui passa, de 1911 à 1954, de 5 492 000 personnes à 9 530 000. La population européenne comptait elle 984 000 personnes, soit 11 % de la population, vivant à 82% dans les villes, soit une proportion exactement inverse à celle des masses arabes et kabyles.

Dès le départ, de Gaulle se plaça sur ce terrain. Son choix par l’armée, c’était celui de la dimension impériale de la France. De Gaulle a comme rôle de rétablir la grandeur française par en haut.

Lors de son passage à Constantine, le 3 octobre 1958, il explique ainsi ce qui sera le cœur du « plan de Constantine » :

« On ne fait rien de grand sans un grand mouvement dans les âmes et dans les esprits. Ce mouvement, l’Algérie l’a suscité (…).

Ce mouvement, d’où est-il venu? Il est venu de l’âme de la France. Ce mouvement, qui peut le faire, l’organiser, qui fait qu’il soit venu sinon la France?

Le gouvernement de la République a donc le devoir d’en prendre acte et d’accomplir, à partir de là, ce qui doit être fait en Algérie et ailleurs.

Je déclare qu’il s’agit, ici, de faire en sorte qu’entre nos communautés, nos catégories, il n’y ait plus aucune barrière.

Qu’il n’y ait plus ici pour aucune communauté, pour aucune catégorie, aucun privilège, que les dix millions de Français qui vivent en Algérie aient absolument les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Pour commencer, et je le précise, il s’agit que dans les trois mois les dix millions de Français qui vivent en Algérie participent avec la France toute entière à l’immense référendum où la France va décider de son destin. »

Il exprima le même point de vue à Oran :

« Il faut que toutes les barrières, tous les privilèges qui existent en Algérie entre les communautés ou dans les communautés disparaissent. Il faut qu’il n’y ait en Algérie rien autre chose — mais c’est beaucoup! — que dix millions de Françaises et de Français avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Il s’agit notamment que, dans l’occasion immense qui va être offerte dans trois mois à la totalité des Français, l’Algérie toute entière, avec ses dix millions d’habitants, participe de tout son cœur, comme les autres, exactement au même titre, avec la volonté de démontrer par là quelle est organiquement une terre française, aujourd’hui et pour toujours! »

Cette intégration par en-haut de l’Algérie fut théorisée dans le « plan de Constantine », dont la dénomination officielle était la suivante : « Plan de développement économique et social en Algérie ».

Ses ambitions étaient démesurées : le « plan de Constantine » se voulait un plan quinquennal pour la période 1958-1963, avec un développement à un rythme soutenu.

À partir de 1959, l’Algérie dépendit d’une « délégation générale du Gouvernement », avec :

– une direction du Plan et des Études économiques ;

– un Conseil supérieur du Plan ;

– une caisse d’équipement et de développement en Algérie.

Le chef de la délégation générale du Gouvernement était l’inspecteur des finances Paul Delouvrier, grand artisan de la « planification » gaulliste, son adjoint étant le polytechnicien Salah Bouakouir.

Cela se situait dans le prolongement du rapport remis au gouvernement en 1955 par Roland Maspetiol, ainsi que de la rédaction en septembre 1958 d’un document intitulé Les Perspectives décennales du développement économique de l’Algérie, réalisé par des hauts fonctionnaires et des dirigeants de grandes entreprises.

Ce document fut même en fait la base du discours de de Gaulle à Constantine le 3 septembre 1958.

Le revenu algérien était censé passer de 685 milliards de francs en 1956 à 1 600 milliards en 1966, principalement grâce au développement des mines, du pétrole, du secteur de l’énergie. Il y avait 300 000 travailleurs dans le secteur industriel, le chiffre était censé doubler.

La consommation privée était censée doubler entre 1954 et 1966, la consommation publique être multipliée par 3,5, les investissements bruts augmentés de 430 %, l’épargne privée multipliée pratiquement par 3.

Le problème fondamental, c’est que le capitalisme français ne pouvait nullement porter un tel développement à lui tout seul et que la base capitaliste algérienne était inexistante, de par la dimension semi-féodale, voire littéralement coloniale d’une agriculture qui en 1954 représentait le tiers de l’économie.

Population dans l’agriculture 2 660 000 musulmans
(87,8 % de la population active)
33 000 Européens
(14,4 % de la population active)
Terres Appartenant aux musulmans : Appartenant aux Européens :
Cultures pauvres (hectares)

Terres en repos et en jachère 2 038 880 777 290
Céréales 2 417 060 830 880
Arbres fruitiers sauf agrumes 146 220 35 200
Légumes secs 63 000 22 150
Cultures riches (hectares)

Vignobles 44 040 333 640
Prairies, cultures fourragères 31 750 62 200
Cultures maraîchères 26 490 27 310

Il y a ici une contradiction fondamentale entre le capitalisme bureaucratique se développant en Algérie par la population européenne et cherchant à moderniser de manière capitaliste par en haut, et une agriculture semi-féodale, quasiment coloniale dans sa domination et en tout cas dans son identité, s’appuyant sur un réseau de quelques familles.

La population arabe et kabyle était pratiquement entièrement paysanne ; pour une écrasante majorité, le niveau de vie était misérable et tous les salaires passaient dans la consommation alimentaire. Cette majorité de la population arabo-kabyle réfutait d’ailleurs la démocratie en général et s’ancrait résolument dans le droit musulman, bloquant tout accession à une réelle citoyenneté et les droits allant avec.

Une toute petite minorité s’occidentalisa toutefois et forma une petite-bourgeoisie qui allait être le fer de lance soit d’une participation entière à la France, soit d’un nationalisme romantique donnant naissance au FLN.

A cette minorité s’opposaient les représentants traditionnels des communautés, les chefs locaux appelés caïds, bachagas, aghas, etc. qui basculaient quant à eux le plus souvent dans le camp colonial maniant la corruption afin de maintenir une dimension semi-féodale.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

La question de l’intégration de la population «musulmane»

L’Algérie, en 1958, n’était pas une nation, de par l’absence de capitalisme se développant, mais un mélange de peuples allant à l’établissement d’une nation en émergence, dans un parcours totalement déstructuré par l’irruption du capitalisme français.

Le pays, en 1958, est ainsi semi-féodal semi-colonial, aux mains d’une toute petite poignée de propriétaires fonciers pour la dimension agraire et avec une grande poche d’immigration française vivant parallèlement à la métropole.

Cette poche d’immigration était le support d’un capitalisme bureaucratique ayant une totale main-mise sur le pays, et se combinant historiquement à l’armée. L’administration française en Algérie avait une forme bureaucratique, au service d’un capitalisme par en haut profitant d’une population française petite-bourgeoise principalement.

Le FLN algérien était quant à lui le produit de couches arabes petites-bourgeoises largement marquées par la culture universitaire française, cherchant à forcer, dans une optique tiers-mondiste, la formation d’une nation par en-haut. Le programme du FLN était de type islamo-romantique, pour autant qu’on puisse dire qu’il avait réellement un programme. L’Algérie devait payer un prix tragique à partir de 1962 et la prise du pouvoir par les aventuriers réactionnaires du FLN.

Le colonialisme français avait cependant très peur d’un mouvement agraire capable de faire vaciller la domination semi-féodale, et donc l’ensemble de la domination coloniale.

Femme algérienne portant un haik,
une longue étoffe de six mètres sur deux mètres

Le FLN n’a jamais, à aucun moment, représenté une réelle menace militaire, mais l’agitation qu’il produisait troublait la quiétude, rappelant le risque de l’apparition d’un mouvement de masse.

Pour cette raison, le colonialisme a cherché à se présenter comme le pôle de la modernisation, car cela répondait aux exigences du capitalisme bureaucratique (mais pas des grands propriétaires terriens). Pour voir son rôle agrandi, l’Algérie devait disposer d’une base plus grande, plus forte. Cela signifiait rêver d’un empire, quitte à ce qu’il soit dans une combinaison « musulmans » d’Algérie – Français.

Le 17 mai 1958, à Constantine, le Cheik Abdelali Lakhdari, un imam opérant à la mosquée Sidi El Kittani, lança l’appel suivant lors d’un rassemblement :

« Sache bien, ô femme, que le moment est venu pour toi de jouer ton rôle dans l’histoire de l’Algérie nouvelle française. En dépit de ceux qui contestent la place qui te revient, brise tes chaînes avec un marteau de fer. »

Dans la foulée, une jeune femme musulmane de 17 ans arracha son voile et son haïk lui recouvrant le corps, déclarant :

« Ne perdons pas, mes sœurs, l’unique occasion de notre émancipation. »

La foule fut interloquée avant d’applaudir.

Affiche d’une campagne institutionnelle
en Algérie française

Lorsqu’il arriva le 19 mai à Alger, Jacques Soustelle, l’homme des réseaux de de Gaulle, tint un discours « modernisateur » suivant précisément cette orientation :

« Jamais peut-être dans l’histoire de l’Algérie, on n’avait vu un tel rassemblement où se trouvent fraternellement unis Européens et Musulmans.

Si demain – inch’Allah! – ceux qui écrivent l’histoire racontent ces journées, ils diront que pour la première fois il y eu en Algérie un rassemblement de femmes musulmanes, nos sœurs, qui viennent attester par leur présence que toutes les barrières sont abaissées et qu’il n’y a plus rien qui sépare ceux qui y habitent, qu’il n’y a plus ici que dix millions de Français.

Mes amis, on peut dire qu’il n’y a plus ici que les fils et filles d’une même mère, ne portant pas le même prénom, mais ayant tous le même nom : notre patrie commune.

Mes amis, l’avons-nous assez attendu ce jour ! »

C’est que de même que le FLN était porté par une petite-bourgeoisie arabe intellectuelle totalement idéaliste dans son romantisme islamisant, l’État français intégrait une petite fraction de la population arabe et kabyle, faisant miroiter une installation dans le capitalisme bureaucratique.

Nombreuses furent donc les figures politiques arabes ou kabyles aux côtés des « Européens », happées par la « modernisation ». On a ainsi Ali Mallem, qui tint les propos suivants lors de son discours à Alger le 20 mai 1958 :

« Pour donner au mouvement de rénovation du 13 mai toute sa portée, il faut profiter de l’élan qu’il a soulevé en rayant des siècles de préjugés et de coutumes qui écartent de la vie moderne les populations musulmanes.

II importe de ne pas entrer à reculons dans l’avenir et de rompre un mode de vie calqué sur une législation figée et anachronique.

Car les excès du statut personnel et ses contradictions ne relèvent nullement de la religion, mais simplement de la coutume. Pour que les Musulmans soient des Français à part entière, il faut abolir le statut personnel dont les dispositions concernant notamment le mariage, le divorce et le droit successoral, ne correspondent pas aux réalités de la vie moderne.

Si nos adversaires mettent en doute notre bonne foi et notre volonté de rénovation, nous leur rappellerons simplement que Bourguiba lui-même s’est attaqué au statut personnel et que le roi du Maroc, Mohammed V, a commencé à le faire dans sa propre famille. Des sanctions pénales frappent en Tunisie les individus coupables de polygamie. Nous sommes persuadés que cette réforme sera très généralement accueillie en Algérie avec sympathie.

Le général de Gaulle avait esquissé cette politique dans l’ordonnance du 7 mars 1944, sabotée par les partis et le système. Ce sabotage a ouvert la porte à l’aventure, au voyage au bout de la nuit. Pour nous, de Gaulle introduit une inestimable valeur morale dans le débat. Nous attendons de lui la mise en application immédiate d’une politique à la mesure de son génie et de ses sentiments nationaux. »

Ali Mallem devint vice-président du Comité de salut public Algérie-Sahara et l’une des principales figures du parti politique que fondera de Gaulle. Voici justement la motion numéro 17 du Comité de salut public Algérie-Sahara, appelant à la modernisation capitaliste bureaucratique de l’Algérie :

« Le Comité de Salut Public de l’Algérie et du Sahara, soucieux d’assurer dans les délais les plus rapides l’exécution des principes d’égalité aujourd’hui plébiscités par l’ensemble de la population ;

Insiste d’une façon pressante pour que soit accélérée la mise en œuvre des plans en cours relatifs à la scolarisation totale, à la formation et l’emploi de la jeunesse, au développement économique autorisant le plein emploi, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble de la population ;

Propose d’accorder la priorité aux problèmes concernant la jeunesse par l’application du plan de plein emploi déjà étudié en conduisant :

– à l’ouverture des centres urbains et des foyers de jeunes,

– au développement des classes spéciales dans les centres sociaux ainsi que des sections de préformation professionnelle,

– à l’ouverture aux jeunes de monde du travail,

– à l’accès des jeunes d’Algérie à la formation professionnelle et à leur placement dans la métropole;

Invite l’administration à prendre toute disposition propre à assurer l’exécution rapide et impératifs. »

Alger, le 29 mai 1958

Saïd Boualam, qui sera élu quatre fois vice-président de l’Assemblée nationale de 1958 à 1962, racontera en 1963 dans Mon pays la France :

« Comme il était beau ce 13 mai [1958] de la fraternité et comment n’avez-vous pas senti, Français de France, ce miracle qui liait à tout jamais la France et l’Algérie en un seul espoir, celui d’en finir avec une poignée de tueurs qui n’ont jamais représenté le peuple algérien (…).

Si vous aviez vu le visage de ces jeunes Musulmans, de ces femmes qui déchiraient leur voile, de ces anciens combattants qui brandissaient leurs décorations, vous auriez compris que ce jour concrétisait la conquête que la France avait réalisée il y a cent trente ans, celle des cœurs. »

Rater cet aspect, c’est ne pas comprendre pourquoi 42 500 « harkis » vinrent en France en 1962, ni pourquoi ce courant francophile fut si puissant culturellement, conservant même une certaine permanence.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

1958 : le coup d’État militaire abat la carte de Gaulle

On a le Comité de Salut Public d’Alger qui, de fait, prit le pouvoir en Algérie le 13 mai 1958, avec le général Massu comme président. C’est l’expression de l’armée, s’appuyant sur des figures civiles.

On trouve notamment le lieutenant-colonel Roger Trinquier, un idéologue. Son ouvrage La Guerre moderne est un classique international des armées réactionnaires quant à la « contre-insurrection » utilisant la guerre psychologique, les escadrons de la mort, etc.

Le vice-président était Léon Delbecque, un gaulliste qui joua un rôle moteur pour que le général Salan se tourne vers de Gaulle. C’était déjà une tendance présente, mais il y avait besoin d’un support technique intérieur pour que le camp de l’armée décide ouvertement d’en appeler à de Gaulle.

Le camp de l’armée et celui de de Gaulle se distinguaient en effet nettement. Une alliance objective se formait cependant, de par la convergence d’intérêts.

Le lendemain du coup de force du 13 mai 1958, le général Massu fit une déclaration, la première du Comité de Salut Public, mentionnant très rapidement Jacques Soustelle, la pièce principale des réseaux gaullistes, et en appelant à de Gaulle.

« Nous apprenons à la population d’Alger que le Gouvernement d’abandon de Pflimlin vient d’être investi par 273 voix contre 124 (ou 280 voix contre 126) par suite de la complicité des voix communistes.

Nous exprimons notre reconnaissance à la population qui a veillé pour accueillir M. Jacques Soustelle à la suite de l’annonce qui avait été faite.

M. Jacques Soustelle par deux fois a été empêché de venir nous rejoindre. Une troisième fois il a réussi à se mettre en sécurité et nous espérons qu’il sera des nôtres dans la journée.

Le Comité supplie le général de Gaulle de vouloir bien rompre le silence en s’adressant au pays en vue de la formation d’un Gouvernement de Salut Public qui, seul, peut sauver l’Algérie de l’abandon et ce faisant d’un «Dien Bien Phu diplomatique» évoqué à maintes reprises par M. Robert Lacoste.

En tout état de cause, le Comité de Salut Public qui vous représente, continue d’assurer la liaison entre la population et l’armée qui assume le pouvoir jusqu’à la victoire finale.

En attendant M. Jacques Soustelle, le bureau du Comité de Salut Public est constitué par le général Massu, M. Delbecque, délégué par M. Soustelle, M. Madani et M. Lagaiîlarde.

Nous décrétons dès maintenant la mobilisation de toutes les énergies françaises au service de la Patrie et vous demandons d’être prêts à répondre au premier appel lancé par le Comité de Salut Public.

Nous sommes fiers de pouvoir prouver au monde que la population d’Alger a su faire la parfaite démonstration de la fraternité totale entre les populations françaises, européenne et musulmane, unies sous les plis du drapeau français. »

Ce fut ici l’introduction de la carte de Gaulle dans le coup d’État militaire.

Le Comité de Salut Public avait également reçu le communiqué suivant, tôt dans la matinée :

« Fatigués des abandons successifs de nos gouvernants, nous, officiers, sous-officiers, soldats, groupes et populations civiles du Sahara, venons nous rallier au Comité de Salut public d’Alger. »

De Gaulle rendit public un communiqué le même jour :

« La dégradation de l’État entraîne infailliblement l’éloignement des peuples associés, le trouble de l’Armée au combat, la dislocation nationale, la perte de l’indépendance.

Depuis douze ans, la France, aux prises avec des problèmes trop rudes pour le régime des partis, est engagée dans un processus désastreux.

Naguère le pays dans ses profondeurs m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut.

Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui, qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République. »

Le 16 mai, au balcon du gouvernement général, le général Salan tint un discours où, finalement, lui-même en appela à de Gaulle. Il avait longuement hésité, mais finalement cédé aux encouragements des réseaux gaullistes.

« Algérois, Algéroises, mes amis,

Tout d’abord, sachez que je suis des vôtres puisque mon fils est enterré au cimetière du Clos Salembier. Je ne saurais jamais l’oublier puisqu’il est dans cette terre qui est la vôtre…

Depuis dix-huit mois, je fais la guerre aux fellagha, je la continue et nous la gagnerons.

Ce que vous venez de faire, en montrant à la France votre détermination de rester Français par tous les moyens, prouvera au monde entier que, toujours et partout, l’Algérie sauvera la France.

Tous les Musulmans nous suivent. Avant hier à Biskra, 7000 musulmans sont allés porter des gerbes au Monument aux Morts pour honorer la mémoire de nos trois fusillés en territoire tunisien.

Mes amis, l’action qui a été menée ici a ramené près de nous tous les Musulmans de ce pays. Maintenant, pour nous, le seul terme, avec tous ici, c’est la victoire avec cette armée que vous n’avez cessé de soutenir, que vous aimez et qui vous aime.

Avec les généraux qui m’entourent, le général Jouhaud, le général Allard, le général Massu qui, ici, vous a préservé des fellagha, nous gagnerons parce que nous l’avons mérité et que là est la voie sacrée pour la grandeur de la France.

Mes amis,
je crie Vive la France,
Vive l’Algérie Française,
Vive de Gaulle. »

La foule présente jubila après les nombreux discours, y compris de figures arabes, et elle se tint finalement par la main pour « former la grande chaîne de l’amitié ». Cet aspect, toujours oublié, est capital pour comprendre la prise du pouvoir par l’armée en Algérie et ses espoirs qu’on doit qualifier d’« impériaux ».

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

La prise du pouvoir par l’armée en Algérie le 13 mai 1958

Dès la connaissance de la nomination du démocrate-chrétien Pierre Pflimlin comme chef du gouvernement, l’armée prit l’initiative du coup d’État.

Le point de départ de la prise du pouvoir eut comme prétexte, comme tout était en réalité préparé au préalable, la mort de trois appelés du contingent.

Ces derniers avaient été enlevés par le FLN à la frontière avec la Tunisie, amenés dans ce dernier pays et exécutés le 25 avril. On retrouve, à l’arrière-plan, la question de l’intervention en Tunisie, ayant amené la chute du gouvernement suite à sa capitulation devant les pressions américano-britanniques.

Le communiqué du 12 mai 1958 du Comité d’entente et d’action des Anciens combattants et cadres de réserves d’Algérie fut explicite :

« Encore des martyrs. Trois soldats français – trois nouveaux Moureau – ont été lâchement assassinés par le F.L.N. avec la complicité sanguinaire de la Tunisie. Nous ressentons au fond de nos cœurs d’Anciens combattants et de Français, chaque crime, chaque coup de poignard et ne pourrons plus les tolérer longtemps. »

L’armée appela à célébrer les morts :

« L’armée rend un hommage solennel aux trois glorieuses victimes de la barbarie F.L.N., le sergent Richomme (Ile-de-France), le soldat Decourteix (Normandie) et le dragon Feuillebois (Auvergne), en leur conférant à titre posthume la médaille militaire et la croix de la valeur militaire avec palme.

Anciens combattants, une fois encore, le devoir vous appelle.

Vous conduirez dans toutes les villes, dans tous les villages d’Algérie, à 18 heures, au moment même où les honneurs leur seront rendus à Bône, toutes les populations qui tiendront à s’associer à ce pieux hommage à la mémoire de ces défenseurs de la civilisation. »

Un appel à se retrouver devant le monument aux morts d’Alger fut lancé par plusieurs figures, dont :

– Pierre Lagaillarde, un avocat qui est officier parachutiste de réserve et président de l’Association Générale des Étudiants d’Algérie ;

– le général Salan ;

– le général Edmond Jouhaud, adjoint du général Salan ;

– l’amiral Philippe Auboyneau.

A cela s’ajoutent des officiers supérieurs, avec l’appui du général Massu ; les commerçants étaient de la partie et baissèrent leurs rideaux. Mais dans les faits, le 13 mai, le simple rassemblement devint une prise d’assaut du gouvernement général ; un Comité de salut public fut mis en place, présidé par le général Massu, qui depuis le balcon du gouvernement général, lut un texte destiné au président René Coty :

« Vous rendons compte création d’un Comité de Salut Public civil et militaire à Alger présidé par moi, général Massu.

En raison de la gravité de la situation et devant nécessité absolue maintien de l’ordre, pour éviter toute effusion de sang, le Comité attend avec vigilance la création, à Paris, d’un Gouvernement de Salut Public.

Seul un Gouvernement de Salut Public est capable de conserver l’Algérie comme partie intégrante de la Métropole. »

Dès le matin, l’Union pour le Salut et le Renouveau de l’Algérie Française avait par ailleurs diffusé le tract suivant :

« Si Pflimlin passe, l’Algérie sera perdue avant octobre.

Il a écrit : « Fermeté et Générosité ». La fermeté n’est qu’un piège ; il s’est toujours opposé à Lacoste depuis deux ans ; il est le « tombeur » de Bidault. Les vingt-sept mois de service ne serviront de rien en raison du «Dien Bien Phu» diplomatique qui se prépare.

En août 1958, quand vous serez tous en vacances, commencera «la Conférence du cessez-le-feu» (souvenez-vous de Genève, de La Celle-Saint-Cloud et d’Aix-les-Bains). Pflimlin aurait dé]à entamé les négociations avec Bourguiba (souvenez-vous de Mendès).

Quand vous rentrerez en octobre, tout sera consommé. Si Pinay nous trahit, le Ministère passera, et IL NE RESTERA PLUS «français d’algérie», QU’A VOUS OPPOSER PAR TOUS LES MOYENS A SON INSTALLATION à alger. Le sursaut national doit partir d’ici, car Pflimlin est la dernière «cartouche» du «système» épuisé.

VOUS EXIGEREZ ALORS DE COTY LA CONSTITUTION D’UN GOUVERNEMENT DE SALUT PUBLIC, qui, seul, peut gouverner au-dessus des partis ».

Le soir, sur Radio-Algérie, le message suivant fut diffusé :

« Le comité de Salut Public n’est pas un Gouvernement qui s’installe en Algérie. Il a simplement pour mission d’assurer l’ordre et d’attendre dans le calme que Paris prenne des décisions graves qui sont en cours, et il attendra jusqu’à ce que s’installe à Paris un Gouvernement de Salut Public, seul capable de conserver une Algérie comme faisant partie intégrante de la Métropole.

Aussi, le premier acte du Comité de Salut Public a été d’adresser au Président de la République le télégramme dont le texte a déjà été communiqué.

A l’heure actuelle, une grande partie de la population d’Alger continue à occuper le Gouvernement Général et ses alentours en attendant les nouvelles de Paris.

Les nouvelles, nous les espérons satisfaisantes et nous avons déjà toutes raisons de croire que nous avons gagné la bataille de l’Algérie. Un fait est certain : c’est que, par notre action et par l’action des Français, l’Algérie est sauvée et elle le sera dans l’avenir. Elle fera partie de la France jusqu’à la victoire totale et définitive.»

L’armée avait déjà le pouvoir en Algérie. Mais, en le prenant de manière ouverte, elle montrait au grand jour une ligne militariste déjà prise par la France, et forçait ainsi à ce que celle-ci soit ouvertement assumée.

Dans l’imaginaire des militaires, ce n’était en quelque sorte qu’un acte de protestation symbolique, ne changeant rien dans les faits, mais exigeant que tout soit assumé de manière ouverte.

Mais en réalité, cela exprimait une tendance propre à l’autonomisation de l’armée, une appropriation toujours plus grande des prérogatives d’État en général.

C’est qu’il ne pouvait pas y avoir d’un côté l’État en métropole et de l’autre un Etat-armée en Algérie. L’opposition devait immanquablement ressortir.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

La contradiction entre les deux États en France dans les années 1950

De fait, l’État en métropole a connu une évolution, notamment en raison de la seconde guerre mondiale, radicalement différente des structures étatiques, administratives, judiciaires et militaires, dans le reste de « l’empire ». Les forces militaires de l’empire ont en effet navigué entre collaboration et résistance, à l’image du maréchal Juin ou du général Salan, et surtout elles ont conservé les vieilles traditions coloniales, dans un esprit à rebours de ce qui prime en métropole.

Avec les pleins pouvoirs donnés à l’armée en Algérie et avec l’expérience militaire indochinoise, il y a donc un esprit militaire et colonial particulièrement prégnant.

Le général Paul Ély, qui a supervisé l’abandon militaire de l’Indochine – un traumatisme pour l’armée – considère que c’est la politique des « petits paquets » qui a abouti à l’échec et c’est lui le responsable, en tant que chef d’état-major général, de la présence directement massive en Algérie, avec 450 000 hommes, notamment au moyen de l’allongement de la durée du service de 18 à 27 mois.

Ely : pleins pouvoirs en Indochine

Cette militarisation s’accompagna, sous l’impulsion du général Paul Ély, de la mise en place de réunions au haut niveau des ministres et généraux dans un Comité de guerre en juillet 1957. C’est que le général Paul Ély était un légitimiste, exprimant le point de vue de la métropole. Mais tel n’est pas le point de vue de l’armée en Algérie, qui n’hésita pas à mener le 8 février 1958 une opération en Tunisie même.

Des activistes armés du Front de Libération Nationale avaient mené une action et s’étaient repliés derrière la frontière, dans un village dénommé Sakiet Sidi Youssef. L’armée française prit alors une initiative directement militaire, bombardant le village, causant la mort de 69 personnes, dont 21 enfants.

La dimension politique était évidente sur le plan international et les impérialismes américain et britannique s’empressèrent de se présenter comme une médiation entre la France et la Tunisie. On est là dans des contradictions inter-impérialistes particulièrement élevées, les concurrents de la France cherchant à ce que son empire soit démantelé.

La pression fut d’autant plus grande que quelques mois auparavant, la France avait annoncé que les armes atomiques que l’OTAN lui avait remis seraient sous contrôle uniquement français ; à l’arrière-plan, il y a également le programme français d’armes atomiques à fusion thermonucléaire en passe d’être achevé. Le premier test aura lieu en août 1968, alors que la bombe atomique à fission était déjà possédée de manière autonome depuis 1960.

Le gouvernement du radical Félix Gaillard capitula et le président du conseil des ministres accueillit même chez lui la réunion de médiation, ce qui provoqua la colère de l’armée et du camp pro-empire français en général.

La pression était si grande que le gouvernement fut renversé le 15 avril 1958 et que pendant un mois, il y eut incapacité d’en former un.

Alors que les tractations étaient en cours sans aboutir à rien, le général Raoul Salan, commandant supérieur Interarmées de l’Algérie depuis novembre 1956, mit la pression sur le président René Coty. Il lui envoya un message par l’intermédiaire du général Paul Ély, ce dernier devant, en tant que chef d’état-major général des armées, le lui faire passer.

Voici le contenu du télégramme du 9 mai 1958 :

« La crise actuelle montre que les partis politiques sont profondément divisés sur la question algérienne.

La presse laisse penser que l’abandon de l’Algérie serait envisagé par le processus diplomatique qui commencerait par des négociations en vue d’un «cessez-le-feu».

Je me permets de vous rappeler mon entretien avec M. Pleven, au cours duquel j’ai indiqué de façon formelle que les seules clauses d’un «cessez-le-feu» ne pouvaient être autres que celles-ci :

« La France, confirmant son appel au «cessez-le-feu», invite les rebelles en Algérie à remettre au plus tôt leurs armes et leur garantit, avec une large amnistie, leur retour au sein de la communauté franco-musulmane rénovée ».

L’Armée en Algérie est troublée par le sentiment de sa responsabilité :

– à l’égard des hommes qui combattent et qui risquent un sacrifice inutile si la représentation nationale n’est pas décidée à maintenir l’Algérie française, comme le préambule de la Loi-Cadre le stipule ;

– à l’égard de la population française de l’intérieur qui se sent abandonnée et des Français musulmans qui, chaque jour plus nombreux, ont redonné leur confiance à la France, confiants dans nos promesses réitérées de ne jamais les abandonner.

L’Armée française, d’une façon unanime, sentirait comme un outrage l’abandon de ce patrimoine national.

ON NE SAURAIT PRÉJUGER SA RÉACTION DE DÉSESPOIR.

Je vous demande de vouloir bien appeler l’attention du président de la République sur notre angoisse, que seul un gouvernement fermement décidé à maintenir notre drapeau. en Algérie peut effacer ».

Signé : Général SALAN. »

Derrière ce message, on trouve également l’amiral Philippe Auboyneau, alors commandant en chef des Forces maritimes françaises en Méditerranée (alors basées à Alger), ainsi que le général Jacques Allard, haut responsable militaire en Algérie. A cela s’ajoute le général Edmond Jouhaud, adjoint interarmées du général Salan en Algérie, et le général Jacques Massu.

Toutes ces figures militaires étaient présentes en Algérie, toutes ont eu de très hautes responsabilités lors de la guerre d’Indochine.

L’armée fut quelques jours plus tard très mécontente du choix du démocrate-chrétien Pierre Pflimlin à la tête du nouveau gouvernement : la réponse immédiate prit la forme d’un coup d’État.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

L’autonomisation de l’armée au lendemain de 1945

Si la faction américaine prédominait au niveau gouvernemental et dans l’appareil d’État, il n’en reste pas moins que l’armée française disposait d’une très large autonomie, et cela pour plusieurs raisons. La première, c’était que sa structure avait traversé l’Occupation et se prolongeait à travers une fusion avec le gaullisme.

Il y a une continuité qui, par définition, est en décalage avec le caractère prédominant de la faction américaine. Même si l’armée est anticommuniste et soutient pour cette raison l’impérialisme américain, elle a ses propres priorités.

De surcroît, l’armée se renforça d’autant plus que le Vietnam a dans l’après-guerre exigé une mobilisation massive de 1946 à 1954, impliquant 223 467 Français de la métropole et 72 833 Légionnaires. Allait suivre la guerre d’Algérie, impliquant 1 419 125 militaires, dont 317 545 d’active et 1 101 585 appelés du contingent.

Le drapeau du FNL flotte sur le quartier général français capturé
lors de la bataille de Diên Biên Phu

Cette autonomie est également vraie pour toute une partie de l’appareil d’État de l’empire, surtout en Algérie. L’Algérie française disposa de 1900 à 1940 d’une autonomie budgétaire et financière, suspendue en 1940 alors que les liens avec la métropole sont rompus en 1942.

Avec l’autonomisation de l’armée, cette autonomie algérienne rendait la situation intenable et un tournant eut lieu en mars 1956.

Au début du mois, l’indépendance du Maroc fut reconnue par la France dans le cadre des accords de La Celle-Saint-Cloud de 1955. Pratiquement comme contre-tendance à la dissolution de l’hégémonie française, l’assemblée accorda à l’armée une marge de manœuvre absolue en Algérie.

455 députés contre 76 décidèrent de

« mesures exceptionnelles tendant au rétablissement de l’ordre, à la protection des personnes et des biens et à la sauvegarde du territoire de l’Algérie ».

Le prétexte consistait en un « programme d’expansion économique, de progrès social et de réforme et de réforme administrative ». Concrètement, cela se traduisit par la possibilité pour le gouvernement d’interdire la circulation des personnes, des véhicules, de contrôler les biens et de les confisquer, de décider de toute importation et de toute exportation, placer toute personne en résidence surveillée, interdire les réunions, faire des perquisitions à n’importe quel moment, etc.

Il était également précisé que :

« Le gouverneur général peut instituer des zones dans lesquelles la responsabilité du maintien de l’ordre passe à l’autorité militaire qui exercera les pouvoirs de police normalement impartis à l’autorité civile. »

Et même :

« Des arrêtés du gouverneur général détermineront, en tant que de besoin, les modalités d’application du présent décret. »

C’est Guy Mollet, tout juste président du conseil des ministres et Secrétaire général de la SFIO depuis 1946 (et jusqu’en 1969) qui décida de cette mesure accordant les pleins-pouvoirs aux militaires en Algérie.

Les tribunaux permanents des forces armées devinrent même rétroactifs pour juger des faits depuis novembre 1954. Cela signifiait la constitution en tant qu’État de l’armée française en Algérie, à côté de l’État français en métropole.

Le général Salan, commandant en chef des forces françaises en Algérie, donna comme instruction à la fin avril 1957 comme quoi :

« L’armée doit agir… sur un plan particulier, afin d’atteindre les éléments formant la structure politico-administrative de la rébellion dont ils constituent les forces essentielles.

Dans ce domaine où les moyens proprement militaires se sont fréquemment révélés inadaptés, le caractère subversif de la rébellion amène l’armée à mettre en œuvre des moyens appropriés d’ordre administratif ou judiciaire.

Ses armes sont : les textes de codes, lois, décrets, arrêtés, instructions grâce à l’application desquels l’action est rendue possible et bénéfique. »

Cette décision d’accorder les pleins pouvoirs à l’armée en 1956 annulait de fait la décision, en avril 1955, d’établir le régime d’état d’urgence, au moyen d’une nouvelle loi justement mise en place pour éviter d’avoir à établir l’état de siège donnant les pleins pouvoirs à l’armée.

Environ onze mille personnes au total passeront pendant la guerre d’Algérie devant un tribunal militaire, qui fut mis en place à partir de 1957 à Alger, Constantine et Oran. Dès 1956, la torture devint également une méthode se systématisant alors que les attentats meurtriers du FLN algérien contre des civils mettait en place une ambiance de psychose.

Cette impression d’absence de limite pour l’armée se renforça encore avec la « bataille d’Alger » en 1957, lorsque la 10e division parachutiste commandé par le général Jacques Massu obtint les pleins pouvoirs pour briser le FLN à Alger.

Cela signifiait qu’en plus de ses 8000 « paras », le général Massu commandait la police, la police judiciaire, le Groupe de renseignements et d’exploitation (GRE), le SDECE (service de contre-espionnage) et son 11e Choc composé de 3 200 parachutistes), la Direction de la Surveillance du Territoire, le 9e régiment de zouaves, 350 cavaliers du 5e régiment de chasseurs d’Afrique, 400 hommes du 25e régiment de dragons, 650 hommes des deux détachements d’intervention et de reconnaissance, 1 500 hommes des unités territoriales (UT), etc.

L’armée française a ainsi acquis en Algérie le statut d’État. La contradiction avec l’État en métropole était par conséquent inévitable. Là réside la contradiction principale amenant à la crise de 1958.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

Les quatre tendances en France au lendemain de la victoire de 1945

Au lendemain de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie et ses États vassaux, il existe en France trois mouvements historiques en mesure de former un appareil d’État. Il y a tout d’abord les restes de « l’État français » du maréchal Pétain, ainsi que les milieux de la collaboration. L’épuration fut en effet extrêmement relative et nombre de cadres recyclés dans les nouvelles institutions.

Historiquement, cette tendance historique a été appuyée par la bourgeoisie industrielle, cherchant à se placer dans le projet nazi d’une « nouvelle Europe ». L’échec nazi amena un renversement de la position initiale et le soutien aux Américains.

Il y a ensuite tout le mouvement organisé autour du général de Gaulle et qui a obtenu la reconnaissance internationale quant à la représentativité de la France. Il est porté par la bourgeoisie financière, ainsi que celle profitant directement de l’empire colonial, une partie de cette dernière étant toutefois avec la bourgeoisie industrielle.

La bourgeoisie profitant de l’empire fut le sas entre la bourgeoisie financière pro-de Gaulle et la bourgeoisie industrielle pro-Pétain.

 Le ministre de l’Information Pierre-Henri Teitgen, le général Charles de Gaulle et le ministre des Affaires étrangères Georges Bidault, lors du conseil des ministres du Gouvernement provisoire de la République française, le 2 novembre 1945

Enfin, il y a le Parti Communiste, fort de sa puissante participation à la Résistance et d’une structuration élevée de ses cadres, avec surtout l’URSS à l’arrière-plan. Il représente la classe ouvrière, mais de manière plus générale toute la tendance démocratique-populaire. Son dirigeant Maurice Thorez capitule cependant face à la pression et se place comme appendice du mouvement autour du général de Gaulle.

Affiche du PCF en 1945

Or, la faction de de Gaulle, qui a alors le dessus en 1945, est mise de côté par une quatrième faction, montée de toutes pièces par l’impérialisme américain. Il s’agit des courants du « centre », ainsi que des socialistes, qui jouent le rôle de rouage dans la mise en place d’un marché commun européen.

Cela va aboutir à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier d’un côté, l’intégration à l’OTAN sous supervision américaine de l’autre, avec également l’acceptation du Plan Marshall.

Ni le camp démocratique-populaire du Parti Communiste Français, ni le camp le plus agressif de la bourgeoisie (représenté par de Gaulle) n’étaient d’accord avec cela.

Charles de Gaulle en 1945

Toutefois, le révisionnisme au sein du Parti Communiste Français et l’opportunisme de la bourgeoisie française dans sa majorité fit qu’il y eut soumission à l’hégémonie américaine.

De Gaulle démissionna historiquement du poste du chef de gouvernement dès le 20 janvier 1946 et il fut alors totalement isolé dans la vie publique, après avoir tenté de développer un Rassemblement du peuple français qui s’effondra en 1955.

L’alliance des centristes et des socialistes impliqua également l’isolement progressif complet du Parti Communiste Français, qui représentait pourtant autour de 30 % des voix aux élections.

Or, le bloc formé sous l’impulsion de l’impérialisme américain était construit de bric et de broc. Il y avait par exemple le Rassemblement des gauches républicaines. En son sein, on trouvait :

– le Parti Radical, c’est-à-dire le « centre » ;

– le Parti socialiste démocratique, composé de socialistes ayant collaboré pendant la guerre ;

– l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), de gauche libérale, avec notamment François Mitterrand ;

– le Parti démocrate, Ralliement républicain démocratique et socialiste, qui rejoindra rapidement l’UDSR ;

– les restes du Parti radical indépendant, de centre-droit et opposé à la gauche ;

– les restes du Parti républicain-socialiste, de centre-gauche ;

– le Parti républicain social de la réconciliation française, de droite libérale-sociale anti-communiste, issu du mouvement du colonel de La Rocque qui en est toujours le dirigeant ;

– l’Alliance démocratique, de centre-droit.

A côté de ce regroupement, il y avait également le réseau du Rassemblement des groupes républicains et indépendants français, mais surtout le Mouvement républicain populaire, équivalent de la démocratie-chrétienne allemande et italienne, directement inféodée aux États-Unis.

Cela signifiait une profonde instabilité politique, de par le caractère éclectique du bloc pro-américain.

L’instabilité gouvernementale
de la IVe République

Pour cette raison, le gouvernement Félix Gouin ne dura que de fin janvier à juin 1946, le gouvernement Georges Bidault de juin à novembre de la même année, le gouvernement Léon Blum de décembre 1946 à janvier 1947.

Le gouvernement Paul Ramadier dura du 22 janvier au 21 octobre 1947, son second gouvernement seulement le mois d’après. Le gouvernement Robert Schuman dura de novembre 1947 à juillet 1948, le gouvernement André Marie de fin juillet à fin août 1948.

Le gouvernement de Robert Schuman dura… deux jours en septembre 1948, celui de Henri Queuille de septembre 1948 à octobre 1949, mais celui de Georges Bidault ensuite quatre mois, puis de nouveau quatre mois.

Suivit un gouvernement de Henri Queuille de… deux jours, de René Pleven de sept mois et demi, de Henri Queuille de nouveau pour quatre mois, de René Pleven de nouveau pour cinq mois. On eut ensuite un gouvernement d’Edgar Faure pour un mois, d’Antoine Pinay pour neuf mois et demi, de René Mayer pour quatre mois et demi, de Joseph Laniel pour six mois et demi puis cinq mois.

Suivirent alors un gouvernement de Pierre Mendès France pour sept mois et demi, d’Edgar Faure pour onze mois, de Guy Mollet pour seize mois, de Maurice Bourgès-Manoury pour trois mois et demi, de Félix Gaillard pour cinq mois, de Pierre Pflimlin pour seize jours.

Même à l’intérieur de ces gouvernements, il y avait une grande valse des ministres et des secrétaires d’État. La prédominance américaine était artificielle ; elle faisait face à une opposition prolétarienne du Parti Communiste Français, d’une opposition grande-bourgeoise avec la droite gaulliste. Sa domination passait par une grande alliance hétéroclite incapable de cimenter son existence, de par sa base sociale trop faible.

L’évolution que connut l’armée provoqua alors une crise de régime.

=>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958