La SFIO à la suite de la victoire sur les néos-socialistes

Voici le manifeste de la SFIO aux travailleurs de France du 25 novembre 1933, Nous réclamons le pouvoir. Il est absolument emblématique de la ligne de la « nouvelle » SFIO, consistant en une SFIO reconditionnée : le centre est toujours aux commandes avec Léon Blum et Paul Faure, en synthèse avec l’aile gauche « socialiste française » de Jean Zyromski et ayant utilisé les néos-socialistes comme boucs-émissaires.

On ne peut que constater que la radicalité mise ici en avant est employée de manière « sincère » par l’aile gauche « socialiste française » et de manière pragmatique-machiavélique par le centre, et il est évident qu’une telle synthèse aurait à un moment besoin d’une porte de sortie. C’est cela qui va expliquer pourquoi la SFIO va se tourner vers le Front populaire.

NOUS RÉCLAMONS LE POUVOIR

Citoyens,

Devant les dangers que la crise du capitalisme et la défaillance des classes dirigeantes font courir aux libertés publiques et à la paix, nous nous adressons directement à la classe ouvrière et à tous les hommes de pensée et de travail.

Nous venons déjouer les manœuvres des puissants consortiums de finance, de grand négoce, de haute industrie, qui, par les mensonges quotidiens de la grande presse qu’ils possèdent ou subventionnent, s’efforcent à vous dresser contre le socialisme dans le même temps que, par leur égoïsme de classe, ils dépouillent le travail, avilissent les salaires, sabotent les lois sociales, spéculent sur le paysan et, par la concurrence et l’impôt, acculent à la ruine la petite propriété commerciale, industrielle et agricole.

POUR COUVRIR LEURS MÉFAITS ET DÉTOURNER VOS COLÈRES, ILS ACCUSENT LE SOCIALISME.

LE SOCIALISME RÉPOND PAR SON CRI DE GUERRE :
LE CAPITALISME, VOILA L’ENNEMI !

IL Y A DANS LE MONDE TRENTE MILLIONS DE CHÔMEURS.

Dans les entrepôts et les magasins, sont accumulés des stocks énormes de charbon, de blé, de vêtements, de chaussures, de produits de première nécessité, qui ne trouvent pas d’acheteurs, alors que des millions d’êtres humains souffrent de la misère, de la faim et du froid.

Le malaise pèse sur les producteurs ; l’hypothèque, à nouveau, guette le monde rural ; l’inquiétude secoue la jeunesse, le déficit ruine le Trésor et ébranle l’État ; la guerre menace le monde.

QUI DONC EN EST LA CAUSE ?
C’EST LE RÉGIME CAPITALISTE.

Ce sont les partis qui, jusqu’ici, ont gouverné le pays.

Une oligarchie de banquiers et d’industriels contrôle la totalité de l’économie mondiale. Tout est dans leurs mains : transports, assurances, électricité, banques, grands magasins, etc…

Les richesses sont multipliées en désordre, au seul gré du profit capitaliste ; la capacité d’achat des hommes a été restreinte.

SEUL LE SOCIALISME PEUT ORDONNER LA PRODUCTION SELON L’INTÉRÊT DE LA COMMUNAUTÉ HUMAINE, ET DANS LE SENS DE LA SATISFACTION DIRECTE DES BESOINS.

SEUL IL PEUT ABOLIR LA DICTATURE FINANCIÈRE ET CAPITALISTE, EN SOCIALISANT LES INDUSTRIES CLEFS : GRANDS MOYENS DE PRODUCTION ET D’ÉCHANGE, BANQUES, etc…

Cette tâche du socialisme, nous sommes résolus à la poursuivre.

Mais, devant la crise qui s’étend et menace toutes les catégories de travail : ouvriers, paysans, intellectuels et employés, petits commerçants, artisans, des tâches immédiates et urgentes s’imposent à nous.

Les vieux partis de la bourgeoisie, dominés par les forces économiques, se sont révélés impuissants.

L’histoire de ces quatorze dernières années n’est que l’histoire de leurs faillites :

Faillite des traités de paix,

Faillite des réparations,

Faillite du franc,

Faillite de la stabilisation,

Faillite des routines budgétaire et administrative.

De tout cela on ose accuser le socialisme ! IL NE FUT JAMAIS AU POUVOIR.

Qui donc a gouverné la France pendant ces quatorze années ?

De 1919 à 1924, le Bloc National ;

De 1926 à 1932, l’Union Nationale.

Vainement, en 1924, le Parti socialiste avait donné son appui au gouvernement de M. Herriot pour établir la justice fiscale, éviter l’inflation, organiser la paix. Le Sénat radical renversa M. Herriot.

Vainement, en 1932, au lendemain des élections, le Parti socialiste proposa au Parti radical un programme immédiat d’action gouvernementale. Le Parti radical refusa cette proposition.

Depuis lors, jamais une demande de collaboration du Parti radical n’a été appuyée par un programme. Jamais, contrairement au jeu normal des partis, le pouvoir n’a été directement offert au Parti socialiste, malgré son importance numérique et les deux millions de citoyens qu’il représente.

Malgré cela, il a toujours accordé son vote à toutes les mesures qui tendent à l’amélioration du sert des travailleurs.

IL EST ENCORE PRÊT, AU PARLEMENT, A BARRER LA ROUTE A LA RÉACTION.

IL EST ENCORE PRÊT A DONNER SA VOIX A TOUTES LES MESURES D’ÉQUILIBRE ÉQUITABLE ET DE PROGRÈS SOCIAUX.

Mais il se refuse à faire, avec le Sénat qui l’impose depuis un an, une politique de régression économique et sociale qui, provoquant des déceptions cruelles, préparerait pouf les partis de réaction les plus éclatantes revanches.

Le Parti socialiste dénonce le Sénat comme le refuge des conservateurs sociaux. Il demande sa suppression, et, en attendant, la limitation de ses pouvoirs.

Il dénonce les lenteurs des méthodes parlementaires, l’impuissance des réalisations, les carences gouvernementales, le jeu des intrigues qui multiplie les crises sans modifier ni les projets, ni le personnel gouvernemental.

IL DÉNONCE L’ANARCHIE ADMINISTRATIVE sous laquelle étouffe l’État lui-même et contre laquelle on ne trouve d’autre remède que l’absurde diminution des salaires publics, alors qu’on n’a pas le courage de s’attaquer aux abus, aux cumuls, aux traitements excessifs.

En présence d’une telle situation, et n’oubliant pas qu’il représente deux millions de citoyens, LE PARTI SOCIALISTE POSE SA CANDIDATURE AU POUVOIR.

Il organisera, à travers le pays, tous les travailleurs des villes et des champs pour préparer avec eux le monde nouveau, et, en même temps, il est résolu à établir, dans le sens du socialisme, les grandes réformes qui préserveront les masses populaires contre les convulsions de l’économie capitaliste, bouleversée par la guerre et par la crise.

Le Parti Socialiste réclame le Pouvoir :

Pour simplifier et rajeunir l’administration congestionnée par une centralisation absurde, et pour ABATTRE LE VIEUX SYSTÈME FISCAL, pléthorique et inique, fait d’impôts innombrables, propices à la fraude, accablants pour la consommation, vexatoires pour la production et pour le commerce.

Il demande la suppression des 128 impôts ou taxes existants : taxe sur le chiffre d’affaires, contributions indirectes, taxes sur la production, y compris les centimes départementaux et communaux, et leur remplacement par TROIS TAXES SIMPLES et claires, équitables, dont la fraude sera chassée par des répressions exemplaires :

UN IMPÔT SUR LA DÉPENSE avec différenciation des taux pour les dépenses de première nécessité ;

UN IMPÔT SUR LES REVENUS, sans FORFAIT, avec des taux différents pour les revenus du capital et ceux du travail, et n’excédant pas 6 p. 100 pour les cédules, 12 p. 100 pour l’impôt global ;

UN IMPÔT SÉVÈREMENT PROGRESSIF sur les successions et donations, dont le rendement sera assuré par la mise à ordre des valeurs mobilières.

Ainsi un système fiscal simple et clair dégrèvera la consommation aujourd’hui accablée par la multiplicité et la superposition des taxes, libérera la production, facilitera les échanges intérieurs et le commerce extérieur, mettra un terme à la thésaurisation, concourra ainsi pour sa part à la stimulation de la vie économique.

Le Parti Socialiste réclame le Pouvoir :

Pour garantir à tous le droit à la vie et au travail.

POUR LA CLASSE OUVRIÈRE :

Minimum vital de salaire ;

Semaine de quarante heures et maintien du pouvoir d’achat des travailleurs ;

Assurance chômage ;

Mise en chantier de grands travaux publics à caractère productif et dont l’exécution rapide et coordonnée doit aboutir à l’équipement rationnel de la nation et à la reprise de la vie industrielle et commerciale du pays.

POUR LA CLASSE PAYSANNE :

Office national du blé, du vin, des engrais, afin de briser la spéculation, triomphante de la loi.

Le Parti Socialiste réclame le Pouvoir :

Pour éliminer les grands monopoles capitalistes, pour en restituer le profit à la nation, pour en remettre la gestion aux travailleurs et aux usagers associés sous le contrôle de l’État :

MINES, dont les ouvriers connaissent le chômage et la misère, au moment où les besoins de la France l’obligent à importer le tiers de sa consommation charbonnière ;

ASSURANCES PRIVÉES, dont la gestion collective avec le concours des agents et des assurés libérerait l’État de la souveraineté d’une oligarchie de financiers et permettrait sans frais ni impôts d’assurer le fonctionnement d’un système général d’assurances, couvrant tous les risques – y compris le chômage et les calamités agricoles ;

GRANDES INDUSTRIES MÉTALLURGIQUES, CHIMIQUES, ÉLECTRIQUES, qui pillent le budget de l’État et soufflent sur les conflits mondiaux dont elles profitent ;

TRANSPORTS, dont le fonctionnement anarchique coûte quatre milliards par an à l’État ;

CRÉDIT ET BANQUE, pour :

1° Protéger la petite épargne abandonnée au pillage des écumeurs ;

2° Assurer la répartition rationnelle du crédit aujourd’hui soumis à la capricieuse dictature du capitalisme financier ;

3° Pour préserver enfin du chantage et de la souveraineté des puissances financières l’indépendance de l’État républicain, de la presse et du suffrage universel.

Le Parti Socialiste réclame le Pouvoir :

Pour prendre au dehors les initiatives de paix et d’entente économique internationale, au lieu de suivre les initiatives des autres, dont les efforts ne tendent pas toujours à la paix.

Citoyens,

TEL SE PRÉSENTE A VOUS LE PARTI SOCIALISTE, passionné d’action au moment où on l’en prétend incapable, mais soucieux de ne pas participer à l’impuissance des partis dits de gouvernement, et décidé à défendre avec la classe ouvrière les libertés publiques et la paix.

A TOUS LES PARTIS, TOUR A TOUR DÉFAILLANTS, IL OPPOSE SA DOCTRINE ET SON PROGRAMME.

A tous les travailleurs, à tous les exploités que la déception risquerait de conduire à l’indifférence ou de livrer à la réaction.

NOUS TENDONS NOTRE DRAPEAU.

Suivez-le avec nous ! Nous voulons vaincre avec vous !

Pour le Conseil National du Parti Socialiste S. F. I. O. :

PAUL FAURE.

La crise néo-socialiste aurait pu être le naufrage de la SFIO : elle fut son sauvetage grâce à Léon Blum, le chef des centristes, manœuvrant l’aile gauche « socialiste française » pour réactiver le parti en lui accordant une nouvelle légitimité.

Le Front populaire fut d’autant plus nécessaire comme porte de sortie permettant une perspective gouvernementale traditionnelle, tout en satisfaisant symboliquement l’aile gauche.

=>Retour au dossier sur la crise néo-socialiste dans la SFIO

La victoire sur les néos-socialistes au sein de la SFIO en 1933

Le 5 septembre, c’est la double attaque anti-néo-socialiste en première page, comme tous les articles de ce type depuis juillet 1933. Paul Faure publie Notre choix est fait, alors que Léon Blum annonce avec Malentendu dissipé reprendre sa critique commencée au lendemain du congrès.

Même opération le 6 septembre, avec Doctrine mort-née de Paul Faure, et La preuve la plus typique de Léon Blum, ainsi que le 7 septembre, avec Le programme fantôme de Paul Faure et Ce qui nous a empêché d’agir de Paul Faure.

Paul Faure

Léon Blum y accuse les néos-socialistes d’avoir géré de manière inconséquente leur approche parlementaire et Paul Faure les présente comme sortis de la doctrine socialiste.

Et le 6 septembre, la Commission Administrative Permanente constate que la manifestation d’Angoulême constituait une violation des décisions du congrès de Paris de juillet 1933.

Comprendre le réel, de Paul Faure et paru le 8 septembre dans le Populaire, ouvre la voie à l’exclusion, qui en même temps porte l’affirmation d’une « nouvelle » SFIO :

« Nous étions en ce temps un parti de réformes et de révolution, ce qui était parfaitement conciliable.

Jaurès traduisait que nous devions comprendre le réel en allant vers l’idéal.

Mais un fait nouveau s’est produit : la guerre mondiale, la crise économique universelle et leurs conséquences.

Au moment où le capitalisme démontre son impuissance et sa malfaisance, j’ai peine à imaginer que quelqu’un nous propose de cesser d’être un Parti de révolution, c’est-à-dire de ne plus croire au socialisme quand rien d’autre ne se présente à l’esprit.

Parti de réformes aussi ? Je le veux bien. Mais avec qui, pour quelles réformes, par quels moyens et pour quels résultats ? »

L’action dans le vide, le 9 septembre, par Paul Faure, prolonge la critique, pour une nouvelle combinaison Léon Blum / Paul Faure le 10, avec respectivement Les deux faces de la participation et Partenaires défaillants et caisses vides.

Le 11 septembre, c’est une combinaison d’articles de Jean-Baptiste Lebas, Face au danger !, et de Paul Faure, Il ne manquait plus que cela, et le 12 septembre de Léon Blum, avec Prompt repentir, et de Paul Faure, avec Question préalable ?.

Le 12 septembre est ici un tournant car Léon Blum se moque des néos-socialistes qui comptent échapper à l’étude de la manifestation d’Angoulême par la Commission administrative permanente de la SFIO en portant l’affaire devant l’Internationale Ouvrière Socialiste, alors que Paul Faure présente les sanctions comme inévitables si les néos-socialistes ne capitulent pas.

Léon Blum continue son offensive sur la vantardise néo-socialiste avec le 13 septembre avec La jeunesse et l’action, et le 14 septembre avec Ce que veut la jeunesse alors que Paul Faure dénonce dans Assaut général le fait que les grands journaux parisiens ne cessent de donner la parole aux néo-socialistes, accusation reprise le 15 septembre dans Avec les armes de l’ennemi et le 16 septembre dans La réplique socialiste.

L’article de Léon Blum du 17 septembre, Leçon de choses, n’aborde qu’en filigrane les néos-socialistes, mais le 18 septembre un très long article de Bracke occupant pratiquement la moitié de la première page, L’appel à l’Internationale, attaque comme vain l’appel des néos-socialistes à l’Internationale Ouvrière Socialiste.

Cette dernière récusa en effet les néos-socialistes et le 19 septembre, Paul Faure considère dans Terrain déblayé que les néos-socialistes sont vaincus.

Le sujet est alors clos du côté du Populaire. La question se régla ensuite en raison de la chute du gouvernement d’Édouard Daladier, le 24 octobre 1933, par 329 voix contre 241 dont 28 parlementaires socialistes qui avaient soutenu le « redressement financier ».

Le communiqué de Paul Faure fut le suivant :

« Aux ordres du Parti

Personne ne sera surpris, dans le Parti socialiste, de l’attitude prise par un certain nombre de membres de notre Groupe parlementaire, dans la nuit de lundi à mardi.

La volonté et les actes de scission de quelques-uns ont abouti à leur terme et conséquences logiques.

Il était parfaitement prévu qu’on devait en arriver là.

Nos fédérations, nos sections, nos militants conserveront leur sang-froid.

L’unité et la force du Parti ne courent ABSOLUMENT AUCUN DANGER.

La C. A. P. est convoquée pour lundi soir. »

C’était exact : la SFIO ne fut pas bouleversé lorsque le 5 novembre, le Conseil National à l’appel de la Commission Administrative Permanente procéda, par 3046 mandats contre 863, à l’exclusion des dirigeants néo-socialistes, qui furent suivis de leurs partisans, soit 27 000 membres de la SFIO, 28 députés, 9 sénateurs, notamment les fédérations de l’Aveyron, de la Charente, de la Gironde, des Hautes-Alpes et du Var, pour former en décembre le Parti socialiste de France-Union Jean Jaurès.

Et Léon Blum réussit son coup : le même conseil national appela à une mobilisation antifasciste commune de la SFIO et de la CGT, tout en réprimant par l’exclusion les membres les plus impliqués dans les activités anti-guerre et antifascistes aux côtés des communistes, ce qui provoqua le départ de la SFIO de la tendance de « l’action socialiste ».

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La dénonciation des néos-socialistes dans la SFIO à la suite d’Angoulême

À la suite de l’épisode d’Angoulême, Paul Faure prolongea lui aussi ses attaques. Où veut-on en venir, dans le Populaire du 30 août, pose un « avertissement amical mais tout à fait sérieux » aux néo-socialistes, car :

« L’ordre et l’autorité encore une fois doivent tout d’abord régner dans le Parti, non pas un ordre et une autorité émanant de quelques individus, mais exprimés par la volonté des militants de nos sections. »

Suit alors l’article Pour la défense du Parti et de son unité, le 31 août, qui attaque les néo-socialistes comme scissionnistes en rappelant le scandale du texte lu Pierre Renaudel le dernier jour du congrès de la SFIO de juillet 1933 :

« A la dernière séance du Congrès de Paris, malgré de singuliers propos, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’avaient que de lointains rapports avec tout ce que nous connaissons de la pensée socialiste, nous avons, sans hésitation et sans arrière-pensée, tendu à tous et sans exception une main fraternelle.

En guise de réponse on nous annonça un manifeste de combat. »

Le 2 septembre 1933, l’article La volonté de scission prolonge le tir, en dénonçant de manière ouverte les néos-socialistes :

« Je suis maintenant convaincu que des camarades, – parmi ceux qui n’acceptent plus le socialisme tel qu’il fut enseigné par nos maîtres et tel qu’il fut forgé par une longue série de Congres nationaux et internationaux – sont animés d’une volonté de scission.

Ils auraient probablement déjà tenté « le coup », s’ils avaient trouvé dans nos sections quelques échos favorables et quelques encouragements sérieux. Mais, à part de très faibles exceptions, la masse de nos militants est demeurée inébranlable dans sa foi unitaire (…).

Il est impossible de laisser s’accomplir des manœuvres dont le but de division est certain et qui créent, en attendant pire, un malaise fort préjudiciable h la bonne marche et à la vie normale de nos groupes.

Je répète ce que j’écrivais dans un précédent article, que le manifeste des protestataires annoncé à grand bruit et à grandes menaces depuis le Congrès de Paris et rendu public depuis quelques jours, n’avait rien cassé.

D’abord, parce qu’il était – m’avait-il semblé – de ton conciliant, et puis, parce qu’il ne contenait rien de sensationnel, ni même seulement d’un peu nouveau.

La manifestation d’Angoulême, c’est autre chose.

Il s’agit d’élus dressés publiquement en bataille contre leur propre parti, contre sa politique, contre les décisions de ses congrès et qui se déclarent résolus à poursuivre cette campagne de rébellion. Je n’aurai nulle peine à démontrer que ceci est intolérable. »

Le choix, le 3 septembre 1933, affirme pareillement :

« Je ne pense pas qu’un seul parti socialiste au monde ait jamais fait preuve d’autant de libéralisme et de tolérance fraternelle et bienveillante que nous. Nous en sommes fort mal récompensés.

Mais la coupe est pleine et déborde.

Quel est le membre du Parti qui pourra admettre qu’un certain nombre de parlementaires, élus sur le programme du Parti, avec le concours dévoué des militants, soient autorisés à partir en guerre publiquement contre les décisions régulièrement prises par nos Congrès et contre la politique fixée, délibérée, voulue, par l’immense majorité des membres de notre organisation?

L’un des orateurs d’Angoulême a déclaré qu’entre le redressement financier du pays et l’opinion du Parti, son choix était fait. Fort bien. Cela signifie en termes clairs, que tous les Congrès, d’Avignon de Paris, et tant d’autres Congrès qu’on voudra, n’ont aucune espèce d’importance et qu’on est fermement décidé à n’en tenir aucun compte.

L’intérêt national, derrière quoi on abrite la rébellion, est un prétexte qui ne trompera personne. Qu’est-ce d’ailleurs que le redressement financier? C’est la suite du budget de l’an passé, n’est-ce pas?

Comme redressement, c’est réussi. M. Lamoureux vient de révéler que le déficit s’était accru de quelques nouveaux milliards. Comment s’y prendra-t-on pour redresser un peu mieux? Nous n’avons aucun doute à ce sujet. Il y aura un simulacre de mesures contre l’oligarchie capitaliste.

Pour le reste, c’est-à-dire pour le tout, ou peu s’en faut, on s’en prendra aux classes moyennes, aux épargnants, aux salaires, aux traitements, aux paysans, aux consommateurs.

C’est ce rançonnement général, qu’on voudra nous faire avaler comme un redressement, auquel on prétend, à Angoulême, sacrifier jusqu’à la fidélité à son Parti, jusqu’à l’unité du Parti.

Nous n’acceptons ni cette mise en demeure, ni ces menaces. Nous ne les acceptons absolument pas. »

Le 4 septembre, c’est Jean-Baptiste Lebas, maire de Roubaix et figure de la SFIO depuis 1920 par son importance dans le Nord, qui publie, toujours en première page, Le Parti défendra son unité. Il y rappelle que :

« Si la liberté de discussion est entière sur la doctrine et la méthode, pour l’action, majorité et minorités doivent se fondre dans une unanimité qui fait la force du Parti. »

Il y dénonce la « méthode opportuniste, encore appelée réaliste », qui fut précisément appliquée en Allemagne :

« On se souvient qu’elle fut appliquée en Allemagne par la social-démocratie depuis l’effondrement de l’Empire et l’avènement de la République.

Au pouvoir, elle n’osa toucher ni à la grande propriété foncière, ni aux trusts et monopoles capitalistes.

Hors du pouvoir, sa pensée dominante fut d’empêcher l’accès des partis de réaction, puis du parti hitlérien au gouvernement en pratiquant constamment une politique modérée de coalition dont les résultats furent le découragement d’une partie du prolétariat victime d’un chômage sans fin, l’éloignement des classes moyennes ruinées d’un « Parti socialiste de gouvernement » impuissant, la marche foudroyante du mouvement fasciste.

La voilà l’expérience allemande qu’on ose nous recommander ! »

Il y a une mobilisation générale contre les néos-socialistes et on voit bien qu’elle a d’autant plus de vigueur qu’il s’agit de maintenir l’unité de la SFIO et surtout d’attribuer tous les errements depuis 1920 au groupe parlementaire, aux néos-socialistes qui en forment l’ossature.

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La seconde séquence anti-néo-socialiste dans la SFIO en 1933

L’esprit international, publié dans le Populaire le 17 août 1933, conclut véritablement la séquence de critique des néo-socialistes lancé à la mi-juillet par Léon Blum en affirmant sous la plume de celui-ci que :

« Le parti français continuera de vivre et d’agir comme section française de l’Internationale Ouvrière, ce qui ne l’empêchera pas, bien entendu, de lutter, ainsi qu’il l’a toujours fait, sur le plan national contre son capitalisme national et contre les forces politiques qui en sont l’expression. »

Commence alors l’engagement concret sur le terrain politique, la bataille au sein du Parti.

L’action dans le cadre national, dans le Populaire du 18 août, prend ainsi en exemple la question du blé et du vin pour montrer que les socialistes posent les questions dans un certain cadre mais ne peuvent les résoudre qu’au niveau international, en ayant mis le capitalisme de côté.

Quinze ans d’action, le 20 août, salue le loyalisme de la SFIO envers l’Internationale Socialiste Ouvrière, qui justement commence le lendemain sa Conférence à Paris, avec 142 délégués de 36 paris (et de 30 pays).

Vient alors l’affrontement direct. À Angoulême, le 27 août, a lieu une grande conférence organisée par la Fédération SFIO de la Charente, avec les principales figures néo-socialistes sauf Marcel Déat, empêché.

Adrien Marquet y souligne ainsi la volonté des néo-socialistes de soutenir l’État à tout prix, pour le redresser :

« Si notre parti nous place dans l’alternative de choisir entre l’unité et la banqueroute, le choix sera douloureux, mais l’intérêt du prolétariat l’exige. Je vous déclare que nous n’hésiterons pas.

L’Etat républicain ne fera pas faillite. S’il y a des défaillances dans les autres groupes de la majorité, s’il y a des divergences entre les personnes qui risquent de faire échouer nos idées, alors ce sera tout le régime qui sera compromis (…).

La révolution, certes, est impossible actuellement. Si nous ne nous préoccupons pas, après avoir inspiré confiance, après avoir déclenché le choc psychologique indispensable aux grandes réalisations, d’entamer une grande réforme de l’État, vous aurez la volonté d’apporter dans l’administration les modifications qui s’imposent. »

Pierre Renaudel dit quant à lui :

« Nous en avons assez des théories imprimées en de vastes et obscurs travaux.

Nous sommes arrivés à l’heure des réalisations, nous voulons que la nation française puisse enfin s’engager dans une politique vigoureuse de la paix.

Si, à la rentrée, le gouvernement Daladier nous apporte dans le budget et hors du budget des propositions semblables à celles que Marquet exposait tout à l’heure et si le gouvernement continue dans l’ordre de la politique extérieure une action forte, nous le soutiendrons.

S’il défaille, nous le combattrons. »

C’est là l’affirmation d’une ligne de rupture. Paul Faure, l’autre principal dirigeant de la SFIO avec Léon Blum, prend alors le relais de celui-ci pour l’article en première page. Il aborde directement cette conférence dans le Populaire du 29 août 1933, avec Il faudra parler clair :

« Les « néo-socialistes », comme les qualifie la presse politique et d’information, ont tenu un meeting à Angoulême annoncé à grand orchestre et relaté à plus grand orchestre encore.

Quatre à cinq mille personnes ont écouté et applaudi les orateurs, et l’événement est présenté comme devant avoir des « répercussions sur la politique du pays et sur le mouvement socialiste international », s’il faut en croire le communiqué Havas, publié par toute la presse, y compris le Populaire.

Jamais, ni Guesde, ni Jaurès, ni aucun autre, n’ont bénéficié d’une telle publicité. Il semble vraiment que des puissances mystérieuses et bienveillantes soient fortement intéressées depuis quelque temps à faire connaître tous les faits et gestes de ceux qu’on appelle les « néo-socialistes ».

L’heure est venue pour nous – j’ai déjà alerté les camarades – de nous méfier des manœuvres tentées de l’extérieur contre notre unité en vue de dissocier la grande force politique que le socialisme français représente.

De nous méfier et de faire face résolument au péril s’il se précise.

Depuis plusieurs années, du nord au midi, notre Parti a eu l’occasion de mobiliser parfois des quinze et vingt mille citoyens, venus de toute une région, en des manifestations magnifiques et enthousiastes.

Pas une ligne, pas un mot dans la grande presse. L’agence Havas demeurait silencieuse. Cette fois c est le grand tapage, préparé dès la veille et puissamment orchestré.

Et non seulement le néo-socialisme est présenté en termes aimables et flatteurs, mais la majorité du Parti est raillée, déconsidérée dans sa pensée, sa doctrine, son action.

L’Agence Havas présente la figure sympathique des « participationnistes [au gouvernement] démocrates » quelle oppose aux « anti-participationnistes bolchevisants ». Il ne nous manque évidemment que le couteau entre les dents !

La même Agence révèle qu’à Angoulême a été dressé le procès de la doctrine traditionnelle du socialisme à qui on reproche son « immuabilité de principe en regard des faits », et nous apprend enfin qu’on a jeté les « bases d’un socialisme régénéré ».

Ce que j’ai voulu noter dans ce premier article, c’est l’attitude particulière depuis quelques semaines de certaines agences d’information, dont l’une au moins est soumise à l’influence directe du gouvernement à moins que ce ne soit le gouvernement qui soit soumis à son influence.

Cela dit, je veux examiner les thèses et conceptions développées à Angoulême, en laissant de côté, naturellement, toutes considérations de polémique personnelle, mais en mettant les points sur les i.

Nous vivons à une époque, où il faut parler clair. »

Cet épisode d’Angoulême fut considéré comme une césure très nette, il s’agissait désormais pour Léon Blum et Paul Faure, les deux dirigeants de la SFIO, de faire place nette pour maintenir leur organisation en vie.

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Léon Blum et le sauvetage de la SFIO face aux néos-socialistes

Il faut bien avoir conscience que la campagne lancée dans le Populaire dès la fin du congrès de la SFIO, le 19 juillet – le 18 juillet présentant encore le compte-rendu du congrès pour la journée du 17 juillet – ne vise pas qu’à dénoncer les néo-socialistes.

C’est également et même surtout, à moyen terme, un moyen pour Léon Blum de sauver la SFIO en empêchant une cassure entre une aile droite pragmatique et participationniste, convergeant même avec le fascisme, et une aile gauche militante qui ne pourrait que se tourner, d’une manière ou d’une autre, vers le Parti Communiste Français.

Il était dans cadre d’autant plus nécessaire que le centre, représenté par Léon Blum, soit en première ligne contre les néos-socialistes, et en profite pour remettre en avant les fondamentaux de la SFIO pour bloquer tout mouvement trop à gauche en dénonçant la droite.

Affiche de la SFIO de 1932

L’action préparatoire du socialisme, paru dans le Populaire le 9 août, donne ainsi le rôle suivant aux socialistes : « accumuler et exalter des volontés par la propagande, l’organisation, l’éducation » et « l’aménagement préalable du régime socialiste au sein du régime capitaliste », en ayant en tête que le processus de victoire du socialisme est international.

Internationalisme à éclipse, le 11 août, redit que l’action socialiste ce n’est pas seulement la lutte contre le pouvoir capitaliste mais surtout une préparation révolutionnaire, qui est par définition internationale, alors que le repli national a toujours existé par moments dans l’histoire du capitalisme, notamment depuis le début du 20e siècle.

Rationalisation et internationalisme, le 12 août, pose que le capitalisme a procédé à une rationalisation, qui a échoué, mais qui surtout l’a placé sous la dépendance des grandes banques et des bourses, qui réfuteraient tout repli national.

Intérêt national et nationalisme, le 13 août, considère que les socialistes n’ont jamais oublié les intérêts nationaux, mais qu’il ne s’agit pas de tomber dans les « passions chauvines ».

Il n’y a qu’un socialisme, le 14 août, est un document décisif où il se pose comme une défense intransigeante du marxisme comme doctrine. C’est là un moyen très clair de réaffirmer la SFIO, de poser l’alliance du centre et de l’aile gauche, de maintenir la tradition « socialiste française ».

« Nous sommes accoutumés depuis longtemps à cette manœuvre de diversion et de division, généralement fomentée ou encouragée par les pires ennemis du socialisme, et qui consiste à dire : Il y a deux socialismes : l’un qui est bon, l’autre qui est mauvais ; l’un qui est sec et rigoureux comme un calcul ou comme une construction logique, l’autre qui est vivant, généreux, humain ; l’un qui est bien français, bien-pensant, « bien de chez nous », l’autre qui est allemand par origine et international par nature.

Nous connaissons ça depuis cinquante ans et davantage.

A la faveur du « socialisme national » nous assisterons sans doute à l’un des retours périodiques de cette campagne traditionnelle. La masse des travailleurs ne se laissera pas plus émouvoir par elle dans le présent que dans le passé.

Il n’existe pas deux espèces de socialisme dont l’un serait international et dont l’autre ne le serait pas. Il est impossible de concevoir la réalisation du socialisme autrement que comme une transformation internationale du régime de la production et de la propriété.

Il est impossible de concevoir une organisation et une action socialistes qui se limitent et s’enferment dans le cadre national. Un socialisme national ne serait plus le socialisme et deviendrait rapidement antisocialisme – à moins qu’il ne le fût dès l’origine.

Il n’existe pas deux espèces de socialisme dont l’un serait le marxisme et dont l’autre serait on ne sait trop quoi.

Certes, nous ne sommes pas assez ingénus ou assez ignorants pour prétendre que dans un monde où tout change, l’œuvre de Marx et d’Engels soit demeurée immuable et intangible. La doctrine marxiste a changé précisément parce qu’elle est une doctrine vivante.

Elle a changé par le passage à travers les esprits et par le contact avec les choses. Mais cependant elle demeure intacte dans ses lignes maîtresses. Elle n’est ni une métaphysique, soumise comme une œuvre d’art au hasard de la création individuelle, ni une chimie, soumise à la loi scientifique du progrès.

Elle est avant tout une méthode – une méthode d’observation, d’analyse, d’interprétation de la réalité économique.

En tant que méthode, elle n’a pas plus vieilli que les principes de la méthode expérimentale depuis Bacon, Hume ou Claude Bernard.

Les lois essentielles que la méthode à permis de dégager n’ont pas plus vieilli que les grandes vues inspiratrices d’un Darwin, d’un Pasteur, d’un Maxwell qui dirigent depuis bientôt un siècle le travail scientifique.

Il serait prodigieux qu’on vînt parler aujourd’hui du marxisme comme d’une conjecture démodée, surannée, au moment même où le spectacle de l’humanité, désolée par la crise, lui fournit la plus poignante, mais aussi la plus évidente et la plus éclatante vérification.

J’aurai à revenir là-dessus avec plus de détails, en commentant, ainsi que je me le propose, la noble et profonde étude de notre ami Diner-Denès sur Karl Marx, ainsi que le livre de jeunesse de Engels La situation des classes laborieuses en Angleterre, dont Bracke vient de faire paraître la traduction.

Mais surtout, qu’à ce décri [= cette perte de réputation] du marxisme on ne s’avise pas de mêler le nom de Jaurès. Jaurès a repensé le marxisme et, par là-même, il l’a profondément empreint de son génie personnel. Il l’a tout à fait rectifié et amplifié, il l’a animé d’un souffle et, si je puis dire, d’une intention d’intelligence et de sensibilité qui lui était propre.

Mais Jaurès n’a jamais varié une seule minute dans son adhésion complète et sans réserve aux thèmes essentiels de la pensée marxiste : théorie de la valeur, dialectique de l’histoire, action de classe, organisation internationale du prolétariat.

Qu’on prenne la Conférence fameuse prononcée aux Sociétés Savantes sur la controverse Bernstein-Kautskv, qu’on relise ensuite l’Armée nouvelle ; on se rendra compte qu’en 13 ans, la position de Jaurès n’a rien perdu de sa netteté et de sa fermeté.

Opposer Jaurès à Marx serait un non-sens, Jaurès était marxiste.

Dans l’état présent des choses, un socialiste antimarxiste ne serait plus socialiste et deviendrait rapidement un antisocialiste.

Comment nous dégagerions-nous d’ailleurs de cette identité entre socialisme et marxisme, quand ce sont nos plus enragés ou nos plus cyniques adversaires qui en font état contre nous.

Je m’explique. Marxisme est le nom qu’en France et ailleurs, on a toujours donné au socialisme lorsqu’on voulait le combattre, le vilipender, l’extirper.

Quand le Temps cherche à inspirer aux honnêtes radicaux français le dégoût et l’horreur de notre maléfique parti – c’est-à-dire cinq ou six fois par semaine – il nous traite de marxistes et non de socialistes.

C’est au marxisme que Mussolini a déclaré la guerre. C’est le marxisme que Hitler, Goering et leurs bandes prétendent arracher du sol allemand.

Quiconque s’attaque au socialisme, quiconque veut le tourner en dérision ou en faire un objet de haine, le qualifie de marxisme.

Raison de plus pour relever orgueilleusement, comme jadis les gueux de Guillaume d’Orange, le nom sous lequel on prétend nous railler ou nous accabler. Oui nous sommes marxistes, oui nous sommes internationalistes. Nous savons parfaitement à quoi cette profession de foi nous expose.

Nous savons que les ennemis du socialisme continueront comme par le, passé à dénoncer en nous les sans-patrie, les traîtres, les avocats ou les agents de l’Allemagne. Peu importe, pourvu qu’aucun socialiste ne leur prête, par ses imprudences, un involontaire appui. »

C’est là un document essentiel, car il relance la fiction d’un Jean Jaurès « marxiste », d’une SFIO de lutte de classe, avec toute une thématique largement mise de côté depuis 1920, mais remise au goût du jour sous l’effort de la « bataille socialiste ».

Pour anticiper : l’opération sera un immense succès. L’aile gauche restera enferrée dans la SFIO. Il n’y aura aucun mouvement de transformation idéologique vers le Parti Communiste Français. Seul Jean Zyromski franchira le pas en rejoignant celui-ci en 1945, de manière totalement isolée.

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« Socialisme ou anticapitalisme » comme cœur de la critique des néo-socialistes

L’article Les formes révolutionnaires paru dans le Populaire du 31 juillet 1933 écrit par Léon Blum pour le Populaire ne fut pas le dernier de la série commencée le 19 juillet. Mais il est l’aboutissement d’une démarche de valorisation défensive qui, désormais, débouche sur l’offensive.

Le coeur du problème, publié le 1er août, dénonce ainsi ouvertement le groupe de la Vie socialiste (Pierre Renaudel, Marcel Déat, Barthélémy Montagnon, Adrien Marquet), c’est-à-dire les principales figures néo-socialistes, comme ayant quitté le terrain de la doctrine socialiste.

L’article est d’ailleurs opportunément accompagné d’une lettre d’Adrien Marquet qui critique Léon Blum pour l’avoir qualifié de fasciste, lui-même accusant celui-ci d’être « installé » dans le capitalisme, d’avoir une conception « idéologique et fataliste du socialisme », d’avoir fait une « déclaration imprégnée d’une passivité tout orientale ».

La pente fatale, le 2 août, oppose l’idée d’un « Parti socialiste national » au principe d’une Section Française de l’Internationale Ouvrière. On ne fait pas au fascisme sa part, le 3 août, rejette catégoriquement l’idée qu’on puisse battre le fascisme « par l’imitation, la substitution, la surenchère », et souligne qu’il ne faut pas effectuer un repli national quel qu’il soit, qui aboutirait à une compétition des nationalismes.

Affiche de la SFIO de 1932

Faut-il le croire, le 4 août, dresse l’hypothèse du développement d’une tendance néo-radical du même type que la néo-socialiste, s’alliant pour gouverner.

Le 5 août paraît un article de la vieille figure socialiste Bracke, Une brochure de Léon Blum, faisant l’éloge de ce dernier et valorisant la brochure Le Socialisme devant la crise tirée d’un discours lors d’une conférence pour l’Ecole supérieure Socialiste en décembre 1932. C’est évidemment une opération de mise en valeur de Léon Blum.

Cela reflète l’alliance entre Léon Blum, qui représente le centre, avec l’aile gauche portée par la « bataille socialiste » désormais majoritaire dans la SFIO.

Puis reprennent les articles de Léon Blum. L’état présent de l’Internationale, le 6 août, se réjouit que le président américain Roosevelt procède à une hausse des salaires, souligne l’importance des événements internationaux et valorise une Internationale socialiste qui a encore des membres puissants en Angleterre, en Autriche, en Belgique, en Tchécoslovaquie, en Hollande, en Espagne, en France.

L’avenir de l’Internationale, le 7 août, affirme que l’Internationale socialiste est plus atteinte au moral que sur le plan matériel, et espère un développement socialiste aux Etats-Unis qui soit aussi puissant qu’en Europe.

Affiche de la SFIO de 1932

Socialisme et anticapitalisme, le 8 août, explique que socialisme n’équivaut pas de manière unilatérale à anticapitalisme, car ce dernier concept consiste à combattre le capitalisme, pas à l’affronter en tant que mode de production, dont le socialisme prend par ailleurs l’héritage historique. Le néo-socialiste Marcel Déat a ainsi tort et la dimension est forcément internationale, même si le capitalisme s’est replié de manière nationale.

C’est là le point culminant de la séquence offensive des articles de Léon Blum, qui a suivi la séquence initialement défensive. Marcel Déat est en effet le principal théoricien du néo-socialisme, son ouvrage de 1930 Perspectives socialistes en formant le socle.

On y trouve en effet la dénonciation du marxisme, la valorisation des « classes moyennes », la présentation de l’État national comme levier pour la « révolution ». On sort là de la lutte des classes au sens marxiste et pour cette raison, Marcel Déat a forgé le concept d’anticapitalisme en remplacement du socialisme.

L’article Socialisme et anticapitalisme est ainsi, concrètement, un appel de Léon Blum à ce que la SFIO procède à l’exclusion de Marcel Déat.

C’est là un problème historique double pour la SFIO. Tout d’abord, parce qu’elle autorise par définition le droit de tendance et réfute le principe de l’exclusion. Ici, elle est mise au pied du mur : pour exister elle doit supprimer une tendance.

Ensuite, parce que on retrouve à l’arrière-plan la question de la participation gouvernementale « à tout prix » puisque c’est de là que, au-delà de la question idéologique, naît le mouvement néo-socialiste comme ultra-pragmatisme. Voici par exemple ce que dit Marcel Déat en février 1933 à ce sujet :

« Nous n’avons rien à exclure, rien à condamner, les circonstances seules décideront. Il faut en finir avec les oppositions factices comme celle de réforme ou de révolution ; le socialisme n’est plus un évangile que l’on prêche, une bonne nouvelle que l’on annonce au peuple pour des temps très futurs, mais un ensemble de solutions immédiates, l’ensemble des seules solutions possibles.

Il faut construire le socialisme à travers la crise, ce qui veut dire à la fois à la faveur de la crise et contre la crise.

Synthèse enfin réalisée par les circonstances entre le mouvement et les fins, entre l’immédiat et le futur… Il s’agit bien de changer le moteur de l’économie, de substituer la préoccupation des besoins généraux de la masse à la poursuite du profit individuel.

Si tel pouvait être demain et très consciemment l’axe du parti, c’en serait fait d’un certain byzantinisme. »

Le conflit pratique au sein de la SFIO était entièrement ouvert et avait pris un aspect idéologique, Léon Blum faisant pencher la balance en un sens très clair pour que le problème soit réglé par l’alliance du centre et de l’aile gauche, afin en même temps d’empêcher l’aile gauche de trop quitter le terrain traditionnel de la SFIO.

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La dénonciation des néo-socialistes par Léon Blum et le tournant unitaire

Les formes de la lutte révolutionnaire, paru dans le Populaire le 31 juillet, formule clairement une redéfinition de la stratégie socialiste. Il est en effet parlé par Léon Blum de la nécessité de la violence à bas niveau dans le cadre de l’antifascisme, et de celle de l’unité des ouvriers et de leurs organisations.

C’est là entièrement modifier l’orientation gouvernementale – réformiste de la SFIO jusque-là pour converger au moins en partie avec le Parti Communiste Français en raison de l’antifascisme.

Léon Blum va si loin dans cette convergence que, sachant bien évidemment que le Parti Communiste Français c’est finalement avant tout la CGT Unitaire, il dresse un éloge de la grève générale, revenant ainsi à l’identité de la SFIO d’avant 1914.

Voici cet article :

« La motion de Toulouse nous a instruits à distinguer entre les coups de main insurrectionnels, vaines « escarmouches » de la bataille révolutionnaire et les vastes mouvements collectifs traduisant « l’émotion générale et profonde » des masses prolétariennes.

C’est en réalité cette distinction devenue classique pour nous que Paul Faure a reprise dans le passage de son discours qui a suscité de si singuliers commentaires. Oui, certaines formes de l’offensive ouvrière sont devenues aujourd’hui quelque chose d’archaïque et de « périmé ».

Oui, les grands tableaux du passé, depuis les sans-culottes jusqu’aux fédérés, si vivants dans notre mémoire, n’ont plus pour nous que la valeur d’une légende à la fois historique et lyrique ; il est utile de le rappeler parfois à ceux sur qui celte légende conserve une prise, en raison de son héroïsme même.

Mais, quand on a fait ce rappel, on n’a pas nié pour cela la nécessité d’organisations de combat ouvrières. Et surtout, on n’a pas renoncé pour cela à d’autres formes d’offensives de masses, à celles qui sont précisément adaptées aux conditions de la vie moderne.

C’est entendu : les organisations de combat ouvrières, les milices, les groupes de choc seront toujours hors d’état de livrer des batailles rangées contre les armes modernes ou même contre les polices modernes, équipées sur le modèle des armées.

Mais tel n’est pas non plus leur rôle ni leur but. Leur rôle est la défense et la protection ; leur but est de maintenir la liberté de la rue, la liberté des réunions.

Même munies de simples bâtons, même munies de leurs seuls poings, elles peuvent remplir ce rôle et atteindre ce but : la preuve en a été faite en Autriche, en Belgique, même en France.

Ce n’est pas là chose indifférente : si nous laissions s’établir dans le pays la conviction que le socialisme cède et mollit devant les jeunesses patriotes, les croix de feu et autres camelots du roi, qu’il leur abandonne sans résistance la maîtrise des réunions, de la rue, nous aurions fourni par là même le plus dangereux aliment à la propagande fasciste.

A l’inverse, tout acte de résistance énergique et efficace inspirera un nouvel élan de confiance aux masses qui nous suivent.

Mais cela c’est la défensive courante locale. Pour les défensives de grand style, comme pour l’offensive, pour résister à de véritables coups d’Etat fascistes, comme pour appuyer la conquête révolutionnaire du pouvoir, la classe ouvrière dispose de deux armes qu’il lui appartient de rendre efficaces.

La première est la propagande socialiste elle-même, en tant qu’elle a pénétré l’armée, la police, les cadres des services publics, en tant qu’elle est devenue capable de neutraliser et peut-être de retourner les mitrailleuses – ainsi qu’il advint somme toute pour les révolutions politiques du XIXe siècle. La seconde reste la grève générale.

J’ai été surpris, je l’avoue, de voir la grève générale tenir une place si effacée dans les motions soumises au congrès, sur les « méthodes de lutte pour la conquête du pouvoir ».

J’ai assisté, pour ma part, à l’éclosion et au développement de l’idée [Léon Blum est né en 1872] . J’ai pu constater quel enthousiasme avait soulevé dans la classe ouvrière la certitude de tenir dans ses mains une arme révolutionnaire forgée par elle, ou plutôt issue d’elle, qui fût à la fois son oeuvre propre et son bien propre.

Sans doute y avait-il un excès dans cette première exaltation, sans doute était-elle marquée de ce que nous appellerions aujourd’hui un caractère mystique. Mais je me demande si les défaites subies par la classe ouvrière en Italie et en Allemagne ne nous rejettent pas aujourd’hui dans l’excès contraire.

La grève générale n’a pas échoué en Allemagne, elle n’a pas même été essayée, ce qui est pis. Mais je demeure convaincu, quant à moi, qu’elle demeure le moyen suprême de défense et de conquête du prolétariat, un moyen qui n’appartient qu’à lui, dont nul ne peut le frustrer, et qu’il dépend de lui seul de rendre irrésistible.

Notre propagande devrait s’appliquer à ranimer dans les masses ouvrières cette confiance quelque peu atteinte.

Seulement, ne nous dissimulons pas que sa pleine efficacité dépend de trois conditions : la première est la pénétration de la pensée socialiste dans les masses paysannes, pénétration poussée assez profondément pour entretenir en elles un sentiment de solidarité avec les masses ouvrières.

La seconde est une coordination étroite d’action entre les organisations politiques du prolétariat et ses organisations coopératives.

La troisième – et d’ailleurs l’essentielle – est, comme bien l’on pense, l’unité organique du prolétariat.

La première est somme toute en heureuse voie d’accomplissement. La façon la plus sûre de préparer à la fois la défaite fasciste et la victoire socialiste est de travailler à la réalisation des deux autres. »

L’article Les formes révolutionnaires du 31 juillet 1933 est un tournant pour la SFIO, et son origine tient à une réfutation des néo-socialistes. Cela modifie toute la position de la SFIO dans le cadre politique, notamment et principalement son rapport aux communistes. On ne peut pas comprendre le Front populaire par la suite sans saisir cela.

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La vaste campagne de rectification quotidienne anti-néo-socialiste de Léon Blum

L’article paru dans le Populaire du 19 juillet 1933 ne fut que le premier de ce qui fut une véritable campagne politique. Suivirent ainsi différents articles de Léon Blum, tous publiés en première page du Populaire.

Cela commença par Le double danger le 20 juillet, reconnaissant la course au pouvoir engagée entre le fascisme et le socialisme. Cela fut suivi de Document-massue le 21 juillet, qui fait référence à la réaction du fascisme italien voyant en les néo-socialistes au congrès de la SFIO la preuve du progrès de la conception fasciste.

On a alors Autre document-massue le 22 juillet, qui fait référence à la réaction du national-socialisme allemand voyant pareillement quelque chose de victorieux en les néo-socialistes au congrès de la SFIO.

La peste brune ou noir ne doit pas passer par là, le 23 juillet, souligne la nécessité d’une barrière infranchissable avec le fascisme, l’absence complète de confusion.

La période intermédiaire, le 24 juillet, qui tente de formuler la question entre capitalisme et socialisme et constate :

« Je me demandais si, par analyse ou par correspondance avec ces formes intermédiaires du pouvoir politique généralement introduites par le capitalisme lui-même pour prolonger sa résistance et son existence, on ne verrait pas apparaître des formes sociales intermédiaires, elles aussi, entre le capitalisme à l’état pur et le socialisme réalisé.

En fait, des constructions de cet ordre s’élaborent actuellement sous nos yeux et il est exact qu’elles se circonscrivent dans des cadres nationaux.

Le bolchevisme avait déjà conçu et réalisé en grande partie, dans le cadre national, un type de société qui élimine le principe juridique de la propriété capitaliste, sans régénérer les conditions politiques, morales, matérielles de l’existence des travailleurs.

A l’inverse, le racisme et le fascisme, agissant eux aussi dans le cadre national, manifestent l’intention et la prétention de transformer les conditions politiques. morales, matérielles de l’existence des travailleurs, voire les conditions de la production elle-même, tout en préservant le principe juridique de la propriété capitaliste.

Si l’expérience américaine se poursuit, les formes originales de l’intervention de l’État qu’elle met en jeu pourront également aboutir à une variété sociale d’un type original. »

La leçon de l’Histoire, le 25 juillet, réfute de suivre les « aspirants au pouvoir fort » (comme le général Boulanger, suivi alors par la moitié de la direction du Comité révolutionnaire central, socialiste blanquiste).

Deux formes intermédiaires, le 26 juillet, engage le socialisme international à ne soutenir des expériences imparfaites, comme le capitalisme d’État dans un Etat prolétarien tel en URSS ou l’autocratie capitaliste qui avec Roosevelt utilise l’État pour parvenir sans doute à une forme « intermédiaire ».

Le point vif, le 27 juillet, rappelle que tous les socialistes sont d’accord à ce que, une fois les socialistes au gouvernement, ils poussent les masses de telle mesure à aller au socialisme en dépassant le simple cadre de l’exercice du pouvoir dans le cadre capitaliste.

La conquête du pouvoir, le 28 juillet, précise que dépasser le simple cadre de l’exercice du pouvoir dans le cadre capitaliste ne peut pas se faire sans perspective à plus ou moins court terme d’une « société internationale fondée sur la liberté totale et sur la démocratie absolue ». Sinon le régime transitoire devient permanent comme en URSS ou supprime le principe même de légalité comme le veulent les néo-socialistes (de la tendance Révolution constructive, Léon Blum ne mentionnant pas la tendance « néo » la plus acharnée).

Réforme et révolution, le 30 juillet, résume donc :

« Pas d’estampille socialiste sur les types transitoires qui pourront s’interférer dans le cadre national, entre le capitalisme classique et la révolution sociale. »

Les socialistes, comme le rappelle Léon Blum, pratiquent en effet une ligne de réformes en attendant le moment de la révolution sociale, qui doit être donc bref et avoir une portée internationale.

Mais il faut bien prendre parti dans le cadre de la montée du fascisme. C’est là que se produit le grand tournant, Léon Blum reconnaissant la nécessité d’une modification de ligne, c’est-à-dire concrètement d’une alliance au sein de la SFIO du centre avec l’aile gauche.

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La longue considération de Léon Blum sur la catastrophe néo-socialiste

L’irruption du discours néo-socialiste en plein congrès de la SFIO fut une catastrophe et provoqua une onde de choc terrible. Personne ne pouvait nier qu’une tendance fasciste s’était exprimée historiquement au sein de la SFIO, de manière « naturelle », donnant au fascisme une sorte de validité historique.

Léon Blum ne chercha nullement à cacher les faits, bien au contraire. Il pouvait même agir d’autant plus aisément qu’il était le directeur politique du Populaire et que ses articles en première page indiquait littéralement la ligne à suivre aux lecteurs du quotidien en général et aux membres de la SFIO en général.

Le 14 juillet 1933, le premier jour du congrès, un long article en première page du Populaire consistait ainsi en une dénonciation du concept de « pouvoir total » employé par la « bataille socialiste », présentée comme une preuve d’impatience et une erreur attribuant la toute-puissance à la politique, tout comme du côté participationniste. Il reprit même ce thème le lendemain.

Le congrès, qui s’était déroulé du 14 au 17 juillet 1933, à Paris, marquait cependant une majorité pour la « bataille socialiste ». Léon Blum se vit alors coincer entre l’aile gauche désormais dominante et l’aile droite portée principalement par les néo-socialistes.

Le SFIO risquait de se déchirer, aussi prit-il le parti de présenter les néo-socialistes comme la principale menace, avec la considération qu’une dénonciation de ceux-ci permettraient de maintenir le cadre général de la SFIO.

Léon Blum en 1932

Léon Blum commença ainsi par reprendre la base de ses propos tenus au congrès dans son article Parti de classe et non pas Parti de déclassés, paru dans le Populaire du 19 juillet 1933, abordant ouvertement la question de cette naissance d’un mouvement fasciste au sein même de la SFIO.

« Au Congrès, pendant la séance de dimanche matin, j’ai interrompu de ma place le discours de notre camarade Marquet en laissant échapper cette exclamation : Je suis épouvanté.

Mon « épouvante » n’a pas diminué à la réflexion.

Elle n’a fait que croître, au contraire, à la lecture des commentaires de la presse, dont assurément nos camarades ne sont ni coupables ni comptables, mais que leurs déclarations devaient fatalement susciter.

La nouvelle est maintenant lancée, sensation est maintenant créée dans le grand public, qu’en plein Congrès de la Section Française de l’Internationale le manifeste d’un parti socialiste national – pour ne pas dire national-socialiste – vient d’être défini avec éclat.

Avant d’exprimer mon « épouvante », j’avais manifesté déjà mon inquiétude. Je l’avais fait en trois articles du Populaire, peut-être un peu trop denses, peut-être abstraits et obscurs, mais à travers lesquels il n’était cependant pas difficile de discerner la cause de mes préoccupations.

L’idée du péril fasciste occupe aujourd’hui les esprits.

Rien n’est plus naturel. J’estime pour ma part qu’en ce qui concerne la France, on en parle trop et même qu’on y pense trop. Il est un peu du fascisme comme de la guerre qu’on rend inévitable dès qu’on la considère comme fatale.

On crée ainsi une première habitude, une première accoutumance des esprits. Ceux qui redoutent le plus le fascisme contribuent ainsi à sa propagande secrète en même temps que ceux qui l’appellent. Néanmoins, je le répète, rien n’est plus naturel que cette obsession.

Mais ce que je redoutais, c’est qu’en voulant barrer la route du pouvoir au fascisme, en voulant occuper avant lui le pouvoir, on ne se jetât plus ou moins consciemment à sa suite. C’est qu’en voulant détourner du fascisme sa clientèle possible, on n’en vînt à offrir an même public, par les mêmes moyens de publicité, un produit à peu près analogue.

Je redoutais qu’on transformât ainsi le socialisme, parti de classe, en un parti de déclassés.

Je redoutais qu’en procédant, comme le fascisme, par un rassemblement de masses confuses, en faisant appel, comme lui, à toutes les catégories d’impatiences, de souffrances, d’avidités, on ne noyât l’action de classe du Parti socialiste sous ce flot d’« aventuriers » – aventuriers, bien souvent par misère et par désespérance – qui a porté tour à tour toutes les dictatures de l’histoire.

On ne détruit pas l’idéologie fasciste en la plagiant ou en l’adaptant. Bien du contraire, on la fortifie.

On ne rajeunit pas le socialisme en détruisant toutes les notions organiques et toutes les méthodes de lutte sur lesquelles il repose.

On ne sauve pas les libertés par l’autorité, ou bien on les sauve selon la manière bien connue d’Ugolin qui dévorait ses enfants pour leur conserver un père.

Mon inquiétude, on le voit, était suffisamment justifiée.

Après le discours que j’avais interrompu, j’ai, à mon tour, porté mon « épouvante » à la tribune du Congrès.

Je l’ai expliquée dans un discours trop long sans doute par sa durée et où cependant, me prononçant sur beaucoup de questions différentes, j’étais réduit à trop de concision sur chacune.

J’ai dû procéder par une suite de projections rapides et de formules condensées – formules qu’il était trop facile ensuite d’isoler et d’exploiter. La presse de réaction, venue tout entière à la rescousse, s’est chargée avec empressement de ce travail.

Je demande aux lecteurs du Populaire la permission de reprendre ma démonstration plus à l’aise et, si je puis, plus claire ment, mais sans changer en rien le fond de ma pensée. Les trois articles que j’ai publiés, la semaine dernière me serviront, s’il le faut, de témoins.

Tous nos militants le comprennent : nul problème n’est plus grave, pour le Parti. C’est sa raison d’être qui est en cause. »

C’était là le début d’une vaste campagne de rectification : il fallait éteindre le feu qui allait engloutir la SFIO.

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L’opposition néo-socialiste lors du congrès de la SFIO de 1933

Dès le vote effectué et les résultats annoncés au congrès de la SFIO de juillet 1933, Pierre Renaudel prit la parole pour lire une déclaration des néo-socialistes, qui annonçaient leur rébellion. Le succès de la « bataille socialiste » au congrès impliquait en effet qu’à la prochaine incartade, ils seraient exclus conformément aux statuts ; la motion de la « bataille socialiste » en faisait même l’avertissement solennel.

Pierre Renaudel

Ce qui est ironique historiquement, c’est que cette rébellion est le strict équivalent du coup joué par Léon Blum au congrès de Tours de 1920 pour provoquer un vaste sabotage et récuser le vote. La SFIO a toujours connu en fait un affrontement majorité/minorité virulent et source d’instabilité, avec une minorité pratiquant le chantage à la scission.

Les néo-socialistes récusent en effet l’issue du congrès :

« Une lecture, pas de commentaires ; aucun commentaire. [Pierre Renaudel lit la déclaration néo-socialiste :]

Les militants et les élus qui se sentent atteints par la décision disciplinaire du Congrès, protestent contre celle-ci et ne peuvent l’accepter.

Les hommes qui ont eu à assumer jusqu’ici les lourdes responsabilités du Parti, en prenant l’initiative d’une telle décision ou en lui donnant leur assentiment ont risqué d’amener une sorte de scission morale capable de menacer et d’ébranler l’unité du Parti.

Ils ont brisé la solidarité cordiale qui doit nécessairement accompagner la discipline librement et volontairement acceptée dont ils avaient la garde.

Cette décision enlève au Groupe socialiste autorité tout à la fois pour la lutte quotidienne au Parlement et pour l’action de propagande et de recrutement à laquelle le Groupe participe dans le pays aux côtés des militants.

La menace d’exclusion qui l’accompagne dès aujourd’hui ne laisse aucun doute sur les suites qu’on entend lui donner.

A l’encontre de cette décision, nous affirmons, une fois de plus, la conviction que le Groupe socialiste, par son attitude et ses votes, a servi les intérêts de la classe ouvrière et du Socialisme, les libertés essentielles de la démocratie et l’organisation de la paix, quand il s’est refusé à servir d’instrument aux manœuvres de la réaction et à préparer le retour au pouvoir des vaincus des 1er et 8 mai 1932 : MM. Tardieu, Flandin, et leurs amis de la réaction, d’union nationale ou même de concentration, c’est-à-dire de tous ceux qui, en France, seraient inévitablement les fourriers du fascisme.

Demain, comme hier, le Groupe socialiste, ainsi que le Parti tout entier, aura encore le devoir de ne pas se résigner à une tactique d’abstention ou de passivité qui, bien que placée sous l’abri d’affirmations traditionnelles, symboliques et rituelles, laisserait passer les événements sans les marquer de l’empreinte du socialisme et de l’influence politique qu’il a conquise dans le pays.

Les règles de l’action auraient pu être déterminées ici dans cette amitié cordiale dont l’appel ne nous laissait pas insensibles et elles auraient été loyalement acceptées, si la majorité qui vient d’infliger le blâme, avait consenti à écarter un jugement où il y a plus de passion que de justice, et plus d’aveuglement tendancieux que de clairvoyance politique.

Nous ne renions ni la souveraineté du Parti, ni la nécessité de la discipline et nous sommes attachés autant que quiconque à une unité que nous voudrions indestructible.

Mais nous sommes obligés de déclarer qu’en rendant impossible la recherche de textes nouveaux destinés à l’accord, en rejetant notre motion de sauvegarde d’unité d’abord, en maintenant la proposition de sanctions ensuite, en la votant enfin, la majorité et les hommes responsables qui la dirigent ont rendu presque impossible toute entente véritable.

Nous rappelons, ici, que la majorité du Groupe parlementaire écrivait et signait des noms solidaires de quatre-vingts élus de la Chambre et du Sénat, ceci : ‘‘Les élus soussignés signalent aux militants que toute mesure qui tendrait à enlever au Groupe son initiative et sa responsabilité propres serait funeste à la vie intérieure et à l’action du Parti et que seule une politique claire peut apporter remède à une situation confuse, génératrice de malaise.

Entre une politique républicaine, animée par le socialisme et l’opposition, il n’y a plus désormais de position intermédiaire tenable, et c’est pourquoi il faut que le Parti, se dégageant enfin des équivoques choisisse entre ces deux politiques, et prenne franchement, honnêtement ses responsabilités.’’

Un motion de blâme n’est pas un choix politique.

Nous attendons encore que la majorité ait défini sa politique et dit franchement ce qu’elle entend faire désormais. Aux contraire, nos orateurs ont parlé avec clarté pour la classe ouvrière et pour le pays.

Ils ont montré que des événements et des circonstances identiques placeront le Groupe socialiste devant des responsabilités de même ordre. Ils ont apporté à la tribune du Congrès une volonté d’action et de méthode qui, en accord avec l’enseignement de nos maîtres et avec les principes et la doctrine établis par le Socialisme international répondent aux impatiences de la jeunesse ouvrière et paysanne et aux inquiétudes des masses.

On leur a répondu par l’expression d’une résignation dramatique en face du bouleversement du monde et des violences du fascisme. Il ne dépendra donc pas de nous que le choix d’une politique n’apparaisse pas avec netteté. Au surplus, celui-ci aurait pu dépendre de l’examen des problèmes posés pour la Conférence Internationale du 20 août.

Mais dominé et absorbé par ses préoccupations de sanctions, le Congrès n’a même pas eu le loisir d’en discuter sérieusement et il retrouverait devant lui toutes les motions clichées dont il eût convenu de faire table rase pour une recherche cordiale et loyale des méthodes d’action, si la plus importante fraction de la majorité n’estimait qu’il n’y a pas lieu pour elle de procéder à aucun vote et si elle n’avouait ainsi le singulier embarras dans lequel elle se trouve de définir une pensée et une politique communes à ses membres.

Notre minorité resta prête, à l’heure encore où nous parlons, à exprimer ses sentiments par le vote de ses motions qui sont connues sur la conquête du pouvoir, sur la lutte contre la guerre et sur l’unité socialiste et ouvrière.

Ces motions traduisent notre volonté de maintenir la tradition jaurèsienne de notre Parti. Elles comportent dans l’ordre intérieur : l’identification du socialisme et de la démocratie dont les libertés essentielles, notamment la liberté syndicale et le suffrage universel, doivent être défendues et étendues pour élargir la démocratie politique en démocratie sociale.

Dans l’ordre extérieur : elle comporte la volonté de lutter pour l’organisation de l’arbitrage international obligatoire dans les rapports entre les peuples ; de combattre pour l’élimination de la guerre, pour le désarmement général, simultané et contrôlé, sans pour cela refuser la reconnaissance de la Défense nationale…

[Mouvements divers dans les salles, cris dans les tribunes ou applaudissements, etc.]

Nous sommes prêts à attendre que la majorité du Parti socialiste déclare qu’elle ne reconnaît pas la défense nationale.

[Applaudissements, puis intervention d’une personne disant : « Mais pas en régime capitaliste. »]

Et permettez-moi de recommencer ma phrase puisqu’elle a été interrompue : de combattre pour l’élimination de la guerre pour le désarmement général simultané et contrôlé, sans pour cela refuser la reconnaissance de la Défense nationale dans les cas d’attaque et d’agression définis par les pactes particuliers ou généraux conclus en ces derniers temps entre les nations.

L’approbation qui nous est refusée, nous la chercherons au besoin dans l’Internationale même à laquelle nous sommes attachés et qui est instruite aux leçons de l’expérience. En attendant et dès ce jour, jusqu’en octobre, nous soumettrons aux fédérations et à l’opinion publique le différend profond qui continue de nous diviser.

[Huées, applaudissements, bruit prolongé.]

Dans la crise du capitalisme et du socialisme, nous représentons une volonté agissante pour sauver la démocratie du désordre, les peuples du chaos et l’humanité de la guerre et nous sommes certains d’avoir avec nous l’opinion républicaine et, socialiste de ce pays.

[Applaudissements, huées, sifflets, L’Internationale est entonnée, ovations agitation générale et rassemblements épars, jusqu’à l’arrivée du chef de la motion victorieuse au congrès, Paul Faure, qui prend la parole.]

Cette ambiance électrique témoigne du conflit immense au sein d’une SFIO qui, par son choix de refuser la crise générale du capitalisme, voyait au moment où celle-ci devenait prégnante, s’affronter ceux désireux de participer au gouvernement, à l’État, et ceux partisans d’un style « socialiste français » d’avant 1914.

Et il n’y avait pas d’issue en vue puisque le participationnisme était une conséquence logique de l’orientation non communiste de 1920 et que le principe socialiste était d’accepter toutes les tendances.

De fait, quand Marceau Pivert demanda dans la foulée l’exclusion des néo-socialistes, l’écrasante majorité du congrès n’accepta même pas de voter à ce sujet, malgré la situation. La commission des résolutions avait également initialement refusé la demande de Marceau Pivert.

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Le succès de la « bataille socialiste » dans la SFIO en 1933

Au moment du congrès de juillet 1933, la SFIO s’appuyait sur 5 000 sections, pour 120 000 membres. Sa taille était la même que la SFIO de 1914 ; en 1920, lors de la séparation des communistes il était également parlé de garder la « vieille maison », selon la formule de Léon Blum.

La ligne pratiquée fut cependant grandement modifiée par rapport à avant 1914. En raison en effet de la scission du congrès de Tours de 1920, où les socialistes étaient une minorité par rapport aux communistes, c’est l’aile droite des socialistes qui eut initialement le dessus, alignant la SFIO vers une position pro-gouvernementale, en direction des radicaux.

Historiquement, les socialistes avaient toujours été coupé en deux entre une aile droite et une aile gauche, la première se tournant vers le régime républicain, les radicaux, la franc-maçonnerie, la seconde se focalisant sur une orientation « socialiste française » pétrie dans l’attente de la grève générale.

En 1920, les communistes emportent l’aile gauche et la SFIO n’a comme seule orientation de se raccrocher au régime d’une manière ou d’une autre, puisqu’elle nie la crise générale du capitalisme.

Une faible opposition de gauche apparut pour cette raison seulement en novembre 1926 avec la « résistance socialiste », qui devint rapidement la « bataille socialiste » et produisit une revue mensuelle du même nom à partir de juin 1927, sur une ligne de lutte de classe affirmée, comme le précise la présentation dans le premier numéro :

« Contre l’affaiblissement de la conception générale d’action de classe qui s’est manifestée dans les diverses formes de l’activité du Parti, ils veulent agir vigoureusement et ils pensent que les événements en mettant en relief l’accentuation des antagonismes de classe, indiquent au socialisme sa véritable voie. »

Son dirigeant était Jean Zyromski, épaulé de Bracke, vieille figure socialiste issu du Parti Ouvrier Français.

En 1927

Voici comment Jean Zyromsky raconte son cheminement jusqu’à la SFIO, dans le Midi socialiste du 20 mars 1931. Dans sa première jeunesse il est républicain, mais à 20 ans il adopte le point de vue socialiste dans sa version française :

« Survint en 1910 la grève des cheminots, continue Zyromski. Et là, je fus frappé par un facteur d’ordre psychologique : Je vis la lutte de classe en fait. Lorsque la grève eut été brisée par le coup de force de Briand, j’ai senti pleinement ce qu’étaient les oppositions de classes.

Je méditai aussi sur l’attitude des gouvernants à propos de la réintégration des cheminots. Bref je compris ce qu’était la force de coercition d’un État mettant ses institutions militaires au service d’une classe et refusant ensuite d’intervenir, ne remplissant pas sa tâche d’arbitrage. Tu vois sur quel terrain juridique je me plaçais.

A partir de ce moment, je devins socialiste. En 1912, il y eut, aux élections municipales, une lutte très âpre entre le Parti et les radicaux. J’ai voté pour la liste socialiste, et quelques mois après j’ai adhéré au Parti.

En 1913, j’ai soutenu ma thèse sur : la protection légale du salaire. C’était une thèse socialiste. Mon président me reprocha même d’être « un théoricien de parti ».

– Et maintenant, dis-moi quels sont les socialistes qui ont eu le plus d’influence sur toi ?

– J’ai été influencé par la pensée de Guesde. Mais lui, je ne l’ai connu qu’à la fin de sa vie. C’est Bracke qui m’a fait comprendre le caractère scientifique du socialisme, son fondement doctrinal.

Je dois dire que j’ai été influencé aussi par le syndicalisme révolutionnaire. Les écrits de [Hubert] Lagardelle [l’un des principaux théoriciens du syndicalisme révolutionnaire] m’ont montré ce qu’était le mouvement de la classe ouvrière, la dynamique ouvrière. »

En 1930, Jean Zyromski a trente ans et il prend la tête de l’ aile gauche socialiste de la SFIO qui suit le congrès de Tours, d’ailleurs pratiquement à lui tout seul initialement, tout en assumant diverses fonctions dans la SFIO : membre suppléant de la commission administrative permanente de 1920 à 1924, puis membre du Bureau à partir de 1926 comme secrétaire de la sous-commission des conflits jusqu’en 1929, secrétaire de la sous-commission de propagande jusqu’en 1931, puis secrétaire de la sous-commission des éditions et de la documentation jusqu’en 1933.

Son courant monte en puissance lentement mais sûrement : il s’oppose à la direction en avril 1927 au congrès de la SFIO à Lyon, en prônant une « politique d’unité ouvrière » tournant le dos aux partis « de démocratie bourgeoisie » ; la « bataille socialiste » obtint même alors 23 % des voix au congrès.

Au conseil national de la SFIO d’octobre 1929, Jean Zymroski parvint à faire triompher une ligne de non-participation au gouvernement, en allant jusqu’à un rappel à l’ordre du groupe parlementaire. Cela se réédita au congrès national extraordinaire en janvier 1930 causé par l’indiscipline prolongée du groupe parlementaire.

Jean Zymroski joua également un rôle important lorsque se forma en novembre 1930 un « Comité des 22 » avec des membres de la CGT et de la CGTU appelant à l’unité syndicale.

Jean Zyromski en 1932

Le congrès de la SFIO de juillet 1933 marquait de fait l’apogée de la « bataille socialiste », puisque sa motion portée par Paul Faure – qui avait rompu avec Léon Blum au niveau de la direction – obtint 55 % des voix (2 127 mandats), contre 19 % pour les participationnistes / néo-socialistes (752 mandats), 24 % pour l’aile droite (971 mandats), et 2 % pour l’Action socialiste qui prône de se tourner vers les communistes (94 mandats).

Il faut remarquer ici que le bastion de la « bataille socialiste », c’était la région parisienne, avec les Fédérations de la Seine et de la Seine-et-Oise, soit la région parisienne, elle-même le principal centre de gravité du Parti Communiste Français.

La ligne de la « bataille socialiste » est ainsi socialiste française comme strictement parallèle au Parti Communiste Français, considéré en quelque sorte comme un équivalent désorienté qu’il s’agit de remettre sur pied. Au congrès, Jean Zyromski expliqua en ce sens que :

« Prenons les faits. Faisons une constatation. Entre les deux branches du mouvement ouvrier, la branche social-démocrate et la branche communiste, entre ces deux grands courants existent des divergences incontestables que nous ne songeons point à nier.

Nous sommes de ceux qui, au Congrès de Tours, en 1920, avons déclaré impossible l’acceptation d’un certain nombre de thèses et conditions qui modifiaient substantiellement les conceptions révolutionnaires du mouvement ouvrier et qui transformaient d’une manière fondamentale les conceptions d’organisation de ce mouvement.

Ces divergences fondamentales qui sont à l’origine même de la scission de 1920 n’ont pas disparu ; nous le constatons, nous le reconnaissons, et lorsque nous préconisons, néanmoins, une politique active d’unité ouvrière, ce n’est point pour rechercher je ne sais quel compromis, je ne sais quelle transaction doctrinale avec le bolchevisme, mais, malgré l’âpreté des luttes, malgré les injures, malgré les violences, malgré la responsabilité criminelle de la politique de l’Internationale communiste à l’égard des partis sociaux-démocrates, il y a les points de jonction que nous n’avons jamais cessé de voir ; il y a, néanmoins, entre les deux branches du mouvement ouvrier, et c’est ce qui fait que nous avons une espérance indestructible dans la reconstruction de l’unité ouvrière, il y a une communauté de but en ce qui concerne la socialisation des moyens de production et d’échange ; il y a une communauté de moyens en ce qui concerne la reconnaissance et la pratique du fait de la lutte des classes ; il a une communauté de méthodes en ce qui concerne l’organisation des travailleurs en parti de classe, et cette triple communauté reste pour nous les points de jonction qui font que les deux branches du mouvement ouvrier, si opposées en apparence qu’elles puissent être, sont néanmoins destinées à se rejoindre puisqu’elles poursuivent, sur le même terrain, l’émancipation des travailleurs.

Par conséquent, non seulement nécessité d’unité ouvrière, mais encore certitude de cette unité, non pas en nous plaçant au point de vue sentimental, mais en nous plaçant sur le terrain des faits, car si nous ajoutons à la communauté des méthodes envisagées sous le sens le plus large, la communauté de l’exploitation de classe, l’unité de classe, la solidarité de classe, qui est au-dessus des partis et qui découle de l’exploitation même du capitalisme ; nous avons le droit de dire que l’unité s’appuie sur des bases solides et permanentes.

Nous sommes de ceux qui pensent après treize années de scission ouvrière, après treize années de lutte que l’unité organique, l’unité d’organisation, ne résultera pas de la destruction préalable d’une branche quelconque du mouvement ouvrier au détriment de l’autre.

L’unité d’organisation est le but, et, à mon sens, le seul but véritablement positif et pratique à atteindre, mais nous savons aussi que, malheureusement, l’unité d’organisation n’est pas pour aujourd’hui ; et n’est même pas pour demain, par suite de l’atmosphère empoisonnée par treize années de guerre civile à l’intérieur du prolétariat.

Cela ne dépend pas de nous. Si cela dépendait de nous, elle pourrait être faite tout de suite, à la minute ; mais cela dépend de ceux qui sont intoxiqués par l’esprit de secte bolchevik (…).

Pour nous, le front unique loyal, l’unité d’action qui a pour but le rassemblement des forces prolétariennes dans certaines circonstances données, a une valeur unitaire et une valeur révolutionnaire (…).

Bien entendu, nous répudions le front unique à la mode bolchévique qui n’est fait, en réalité, que pour approfondir davantage les divisions ouvrières. Nous repoussons notamment la constitution d’organismes permanents se superposant aux organisations régulières de la classe ouvrière.

Au nom même des intérêts de l’organisation ouvrière, nous n’admettons pas la participation à la direction de ces actions communes des « inorganisés » (…).

Nous avons souligné avec une grande satisfaction et une grande joie l’offre de notre Internationale [Ouvrière Socialiste], le 17 février dernier, se déclarant prête à entrer en négociations avec l’Internationale communiste pour la réalisation de l’action commune sur le plan international.

Mais là où nous nous séparons à l’heure actuelle de la méthode et de la procédure de notre Internationale [Ouvrière Socialiste], c’est que nous estimons que ce n’est pas seulement sur le plan international qu’il faut faire cet effort ; il faut le faire aussi sur le plan national et le poursuivre à la base, sur le plan local (…).

La reconstitution de l’unité ouvrière et socialiste non seulement accroîtra nos capacités de lutte, notre potentiel révolutionnaire, mais, on peut dire qu’elle nous redonnera la foi dans le socialisme, la conviction que les principes fondamentaux du socialisme sont vrais, qu’en dehors de la conquête du pouvoir par le prolétariat, pour la socialisation des moyens de production et d’échanges, qu’en dehors du fonctionnement de la dictature de la classe ouvrière, pour permettre l’établissement de la vraie démocratie sans classe qu’est le régime socialiste, il n’y a rien à attendre, et nous n’irons pas rechercher dans je ne sais quel succédané du fascisme ou du réformisme les moyens de rénover notre doctrine et nos méthodes.

La reconstitution de l’unité nous rendra ce double service. »

On a ainsi au congrès de la SFIO une aile droite participationniste, un centre autour de Léon Blum constatant le cul-de-sac stratégique, une aile gauche qui l’emporte en prônant une orientation « socialiste française » revendicative et d’allure révolutionnaire.

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La réponse de Léon Blum face aux néo-socialistes au congrès de la SFIO de 1933

La proposition « néo-socialiste » au congrès de la SFIO de 1933 fut un coup terrible à celle-ci. Il faut bien saisir ici qu’on est moins de six mois après la prise du pouvoir par le national-socialisme en Allemagne.

En plus de justifier le participationnisme gouvernemental, il y avait toute une conception pour présenter cela comme une révolution par l’intermédiaire de l’État lui-même, c’est-à-dire par en haut et dans un cadre uniquement national, à rebours de l’imagerie socialiste « révolutionnaire » et « internationale ».

En réponse à Adrien Marquet, Léon Blum répondit ainsi de la manière suivante :

« Il faut maintenant que je réponde à ce discours de Marquet dont j’ai dit en l’interrompant, ce dont je m’excuse, qu’il m’épouvantait.

Mais à la réflexion, et je peux bien lui dire que depuis que je l’ai entendu, je n’ai guère fait que réfléchir à cela, ou bien à part moi, ou bien dans cette forme de discussion que le Congrès rend plus facile et qui s’appelle la controverse avec ses camarades, je ne peux que lui dire que ce sentiment d’épouvante ne s’est pas atténué et qu’il n’a fait que se fortifier, au contraire.

Il y a eu un moment, Marquet, où je me suis demandé si ce n’était pas le programme d’un Parti social-national de dictature. (…)

Vous êtes venus nous dire qu’il fallait des mots d’ordre d’autorité et d’ordre, avec l’impression que nous nous poserions devant le pays comme des défenseurs de l’autorité et de l’ordre (…).

Rassemblant autour de nous ces masses populaires de valeur hétérogène et inorganisées dont je parlais tout à l’heure et cela pour une preuve de rénovation sociale dans le cadre national.

Eh bien, je le répète, quand vous disiez cela à la tribune du Parti socialiste (Section Française de l’Internationale Ouvrière), eh bien, je me demandais où j’étais. Je me demandais ce que j’entendais et si je n’étais pas le jouet d’une illusion des sens. »

Léon Blum mit alors tout le poids de sa légitimité historique, lui qui avait « sauvé » la SFIO des communistes au congrès de Tours de 1920 au moyen d’un véritable coup de force. Il rejeta formellement la conception néo-socialiste de la formation d’une sorte de régime intermédiaire entre capitalisme et socialisme.

Bien entendu, cela laissait ouverte la question du sens d’une participation ou d’un soutien socialiste à un gouvernement.

Mais si les néo-socialistes l’emportaient, tout l’idéal « révolutionnaire » de la SFIO s’évaporait et c’en était fini du « socialisme français ». La priorité fut donc de fermer la porte à l’hypothèse néo-socialiste, ce que Léon Blum formula ainsi :

« Et alors, Marquet, si vous me permettez d’argumenter un instant avec vous, je vous dirai que moi, qui suis l’auteur de cette formule d’ailleurs mal comprise, comme toutes les formules, mais, enfin devenue à demi légendaire « les vacances de la légalité », moi qui ai rédigé dans tous nos programmes socialistes, depuis la fin de la guerre, les passages relatifs à la dictature du prolétariat, moi qui n’abandonne rien sur ce point de ce que j’ai écrit et pensé, je vous dirai simplement que la propagande socialiste n’est pas une propagande d’autorité, qu’elle n’est même pas une propagande d’ordre au sens où vous l’entendez, mais qu’elle est une propagande de liberté et une propagande de justice.

Et j’ai parfois l’inquiétude que Déat, dont je connais la force de pensée et la rigueur de déduction, ne soit en ce moment lui aussi enclin par la direction de sa pensée vers cette conception du socialisme dans le cadre national.

Eh bien, quand je dois cela, je me demande ce qui reste de la doctrine du socialisme international qui a été la nôtre (…).

La synthèse de Jaurès, c’est la synthèse de l’action de classe et de la démocratie, et on nous présente en ce moment une espèce de notion de socialisme national par l’autorité, dans laquelle il n’y a plus ni action de la démocratie, ni action spécifique de la classe ouvrière organisée (…).

Je veux vous répéter simplement que dans ces formes intermédiaires, le socialisme ne doit pas s’aventurer, ne doit pas se compromettre, il ne doit pas engager là ce qu’il peut posséder de crédit, de force de pression auprès des masses populaires, il doit vis-à-vis de cela préserver intactes, dans toute la mesure où il le peut, et son organisation et sa doctrine, c’est-à-dire sa véritable unité. »

Le conflit avait cependant pris la forme d’une crise générale. La SFIO était face à un mur concernant ses perspectives, coincé dans le cadre de la crise générale du capitalisme entre sa réfutation de celle-ci justifiant un participationnisme gouvernemental et un discours « révolutionnaire » de portée « internationale ».

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L’épouvante de Léon Blum face aux néo-socialistes au congrès de la SFIO de 1933

La conception néo-socialiste était cohérente du point de vue du groupe parlementaire, mais cela ne correspondait nullement à la vision que les socialistes avaient d’eux-mêmes. En raison de la catastrophe de l’Union Sacrée de 1914, ils avaient été obligés d’insister sur leur dimension « internationale » pour rester crédibles après 1918 ; en raison de la présence communiste, ils étaient obligés de renforcer leur discours « révolutionnaire ».

Il y avait donc un décalage entre l’approche néo-socialiste, conséquence logique des choix socialistes, et la SFIO telle qu’elle s’imaginait. C’est cela qui provoqua l’onde de choc lors du congrès de 1933, par l’intermédiaire d’Adrien Marquet dressant l’importance de la participation non seulement gouvernementale, mais en fait même étatique, et donc nationale.

Adrien Marquet en 1933

Les néo-socialistes prenaient acte que les socialistes acceptaient les institutions : il fallait selon eux aller jusqu’au bout. Et c’était selon eux d’autant plus à faire qu’il y avait un renforcement apparent du rôle de l’État aux Etats-Unis, en URSS, en Italie (fasciste), en Allemagne (nazie). C’était une tendance générale, il fallait en prendre les commandes, à tout prix.

De fait, le groupe parlementaire justifiait son participationnisme en convergeant avec le fascisme, tout en se prétendant justement contre lui. Et la SFIO se voyait prise au piège avec en son sein une telle tendance qui, de fait, était naturelle de par le choix de la SFIO de ne pas considérer comme les communistes qu’il y avait une crise générale et d’affirmer la possibilité de réformes importantes y compris dans le capitalisme lui-même, par l’intermédiaire du gouvernement.

D’où les propos d’Adrien Marquet et « l’épouvante » de Léon Blum.

« La notion d’autorité est aussi nécessaire que celle d’ordre.

Au cours de la matinée, alors qu’un orateur déclarait à cette tribune que c’était par le gouvernement que l’on pouvait faire la révolution, Léon Blum a murmuré « C’est presque du fascisme. »

Dans ces conditions, que signifie l’extrait de la charte du Parti qui est sur notre carte ? « Conquête du pouvoir politique pour la transformation de la société capitaliste en société collectiviste ou communiste. »

Par cette déclaration, n’affirmons-nous pas la suprématie du pouvoir politique sur les conditions de la révolution économique ?

Nous avons toujours laissé entendre à la classe ouvrière et à la démocratie, qui nous ont cru, que la conquête du pouvoir mettrait à leur service l’appareil qui leur permettrait de réaliser leurs aspirations.

Est-ce là maintenant « presque du fascisme » ? A l’heure présente même, si une analyse démontrait que tout cela n’est qu’erreur, cette analyse ne pénétrerait pas jusqu’aux masses populaires françaises.

Les expériences russe, italienne et allemande ont fixé notre enseignement dans la pensée du peuple.

La classe ouvrière sent que le moment est venu d’employer pour elle les forces gouvernementales qui, jusqu’à ce jour, ont été mises en œuvre contre elle.

Elle incorpore d’elle-même la notion d’autorité dans une action socialiste qu’elle voudrait logique, cohérente et forte.

Ordre et autorité sont, je crois, les bases nouvelles de l’action que nous devons entreprendre pour attirer à nous les masses populaires (…).

Voyez-vous, et avant de terminer, je remercie le Congrès de sa bienveillante attention, je me demande si nous ne sommes pas entrés dans une nouvelle période historique, et si tous ceux d’entre nous qui vivent encore sur les idéologies du XIXe siècle peuvent comprendre et agir aujourd’hui.

Le XIXe siècle avait pensé et une organisation du monde basée sur la liberté et sur la justice. Nos théoriciens et nos grands propagandistes ont cru à l’établissement de relations internationales continues sur ces plans senti-mentaux. Selon leurs paroles, les nations allaient s’épanouir jusqu’à leur plein développement et constituer une humanité harmonieuse et pacifiée.

Mais à l’heure actuelle, les nations ne sont-elles pas en train de passer sur le plan d’une réalité nationale nouvelle ?

[à Léon Blum qui fait des gestes] Permettez, chacun a le droit ici d’exprimer sa pensée.

[Léon Blum intervient : Je vous écoute avec une attention dont vous pouvez être juge, mais je vous avoue que je suis épouvanté.]

Je vous demande, car j’ai eu parfois un sentiment identique à celui que vous venez d’exprimer, de faire ce que j’ai fait en pareil cas. Il m’arrive en effet de ne plus comprendre, mais je n’ai pas l’orgueil de croire que j’ai seul raison contre tous.

Au moment où nous sommes, il faut bien essayer cependant de rechercher dans quelle direction s’engagent masses populaires de chaque pays, et ces pays eux-mêmes.

C’est pourquoi la question se pose de savoir si nous ne sommes pas arrivés dans la phase qui préparera et permettra la réalisation des idéologies du XIXe siècle, chaque nation constituant d’ans son cadre intérieur un pouvoir fort qui se substitue à la bourgeoisie défaillante.

Les gouvernements ayant ainsi résolu les problèmes intérieurs posés par la crise, leurs rencontres ultérieures dans des conférences internationales aboutiraient alors, non à des vœux platoniques, mais à des possibilités d’organisation rationnelle du monde.

S’il en était ainsi, les démocraties qui voudraient se sauver devraient s’adapter à ce mouvement des choses et des esprits. »

Les propos sont très forts et correspondent à une situation extrêmement grave pour la SFIO.

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La conception néo-socialiste au congrès de la SFIO de 1933

La crise interne au sein de la SFIO couvait depuis des semaines, voire des mois ou plusieurs années, de manière toujours plus virulente, au point que pour son 30e congrès, la SFIO fut obligée de faire voter le premier jour, le 14 juillet 1933, la résolution suivante, adoptée à 3 379 voix contre 22 et 662 abstentions :

« Toutes les Fédérations, réunies dans leur Congrès National, s’engagent à ne trouver dans aucune décision prise par ce Congrès, en conformité des statuts du Parti S.F.I.O., un motif de s’en séparer. »

C’est que le 30e congrès était clairement celui du règlement de compte, tous les débats se focalisant sur le groupe parlementaire, son autonomie par rapport aux principes et aux décisions de la SFIO, sa vision du monde.

Or, les tenants du groupe parlementaire insistaient sur le fait que, selon eux, ils avaient agi conformément aux besoins du socialisme et de la classe ouvrière. Ils refusaient par avance toute sanction contre le groupe parlementaire ou sa partie pro-participation au gouvernement, considérant qu’une sanction poussait à la scission.

L’aile gauche dénonça donc un chantage, il y eut de violentes altercations, provocations, troubles divers, etc.

Lorsque André Costedoat prit ainsi la parole au nom de la minorité de la Gironde, une Fédération pro-participationniste (au 3/5) avec Adrien Marquet à sa tête, il fut ovationné.

Adrien Marquet se leva en protestation, recevant alors cris et sifflets, toute une masse de délégués s’agglutinant autour de lui dans un chaos général.

Adrien Marquet en 1932

L’ambiance était donc électrique et c’est l’existence même de la SFIO qui était en jeu. Chacun accusait l’autre d’être la cause que la SFIO se retrouve dans une sorte de cul-de-sac historique, ce que résuma de manière correcte alors Louis Périgaud, de l’Action socialiste rassemblant l’aile la plus à gauche ultra minoritaire, résuma très bien :

« Pendant des années, vous vous êtes associés à la politique que vous condamnez aujourd’hui ; pendant des années, vous avez pris avec le Groupe parlementaire des décisions que vous condamnez aujourd’hui sous la pression des événements économiques, et sous la pression des masses militantes du Parti. »

C’était un fait : les pro-participation gouvernementale au groupe parlementaire servaient de bouc-émissaire et c’est d’autant plus facile qu’ils avaient théorisé leur participationnisme.

C’est que, en plus de vouloir une participation au gouvernement, les participationnistes ont toute une conception faisant de l’État tel qu’il existe le pivot de ce qui peut exister en général, même dans une perspective socialiste.

Barthélemy Montagnon, une des figures néo-socialistes, résume ainsi la question de leur point de vue : puisqu’on ne veut pas le communisme et que le capitalisme s’effondre, il faut trouver une voie concrète, qui ne peut être que la prise de l’État de l’intérieur.

« Chez nous, il n’y a pas seulement un différend grave entre le Groupe Parlementaire et le Parti ; il y a — et c’est là-dessus que je veux insister — il y a une crise doctrinale sur laquelle nous avons le devoir de nous expliquer (…).

Crise doctrinale ? — Oui.

Pourquoi ? Le Capitalisme meurt ; nous le disons ; nous le savons; on le sait en dehors de nous.

Alors, d’après nos formules, d’après notre propagande, nous devrions être heureux de cet écrasement du capitalisme, de l’effondrement de ce système que nous condamnons tous les jours.

Cependant, nous ne sommes pas heureux ; nous sommes inquiets ; et c’est cette inquiétude qui constitue précisément le drame socialiste dans toute sa profondeur.

Pourquoi sommes-nous inquiets ? — Parce que nous savons bien, au fond de nous-mêmes — et rappelez-vous les articles de Blum des jours derniers — nous savons bien que le Socialisme ne peut pas sortir du chaos, et nous avons de plus cette peur suprême, c’est que de ce chaos puisse sortir la guerre (…).

Quand donc nous examinons les faits, quand nous examinons nos possibilités actuelles, dans cette période de transition, de chute capitaliste, nous sommes obligés de constater l’antinomie qui existe entre notre formulaire doctrinal d’une part, et, d’autre part, les faits et l’action pratique conseillée même par nos amis les plus doctrinaires.

C’est parce que nous n’osons pas avouer cette différence, cette antinomie ; parce que nous n’osons pas faire le point ; parce que nous n’avons pas le courage – je ne dis pas de réviser notre doctrine, mais de la remettre sur le chantier pour l’adapter à la situation présente ; c’est parce que nous ne voulons pas voir les choses telles qu’elles sont, que d’autres partis plus jeunes nous écrasent ou nous « mangent ».

Voilà la tragique faiblesse du socialisme international. Oui, crise générale, crise socialiste, crise des vieilles choses, vous m’entendez, crise des vieilles formules, des vieilles idées, crise de transition (…).

Crise générale de la démocratie ! Pourquoi ? Parce que l’État est trop faible, c’est une constatation de fait ; parce que l’État n’a aucune action possible sur les perturbations économiques, sur les grands courants sociaux.

Nous sommes dans cette période de transition économique dont je parlais. Comment se présente-t-elle ? Économie libérale : tout le monde le reconnaît, elle est finie, passée.

Économie collective et sociale : elle naît à peine, elle se cherche, elle hésite dans ses premières manifestations. C’est cette recherche d’un équilibre capitaliste nouveau qui provoque des troubles, des souffrances (…).

La naissance du fascisme, la force du fascisme, vient de la nécessité qui semble évidente partout, d’un État fort, d’un État puissant, d’un État d’ordre (…).

En vérité, Hitler et Mussolini nous ont volé une partie de ce programme syndicaliste.

Et puis une autre tendance très marquée : l’intérêt porté aux classes moyennes. Les classes moyennes souffrent, écrasées ici et là par l’inflation, écrasées partout par le développement même du capitalisme. Elles jouent un rôle important, remarquez-le, non seulement par leur nombre, mais également par la valeur personnelle de leurs membres, par le rôle social des individus qui les composent.

Il est un fait historique qu’il faut enregistrer : c’est dans les classes moyennes qu’existent aujourd’hui les ferments révolutionnaires (…).

Et du côté de la classe ouvrière ? Je dis des choses désagréables, laissez-moi les dire jusqu’au bout.

Dans la période de crise, la classe ouvrière, déjà affaiblie politiquement et syndicalement par ses divisions, a perdu, par le fait même du chômage, toutes possibilités de réaction.

J’en suis navré, mais je suis obligé de le constater (…).

Le drame, voyez-vous, c’est que nous croyions qu’il n’y avait qu’une direction pour aller au socialisme et aujourd’hui par les faits mêmes, nous nous rendons compte que notre voie n’est pas la seule, qu’il peut y en avoir une autre : la voie fasciste. »

D’où la solution proposée par les néo-socialistes : réorganiser l’État. Les socialistes ne doivent plus contribuer à ce que la classe ouvrière fasse la conquête du pouvoir, mais à ce qu’elle participe directement à l’État lui-même, qu’elle le renforce, car celui-ci est un outil directement utile de par sa capacité à peser sur les orientations d’un pays.

« Que devons-nous faire ? D’abord, régénérer notre parlementarisme, apporter nous-mêmes des solutions pour modifier cette grande machine vieillotte qui ne rend pas.

Puis transformer l’État – et c’est là que vous serez obligés d’adapter votre doctrine.

Oui, transformer l’État, en arriver à la conception d’un État fort, maître de sa monnaie, capable de contrôler l’économie et la finance, d’imposer au grand capitalisme certaines directives.

Oui, État fort, avec des rouages mieux adaptés aux besoins modernes, de telle sorte, que si un jour, directement ou indirectement nous prenons le pouvoir, nous ayons là un instrument, une possibilité d’action transformatrice.

C’est nous qui devrions prendre la direction de ce mouvement en faveur de la réorganisation de l’État, de l’État moderne.

Je sais bien, qu’au fond, tout ce qui pense dans ce pays au point de vue économique appelle de tous ses vœux cette réforme. C’est nous qui devrions l’apporter, la soutenir, même si certains vieux textes doivent être dépassés.

Et puis nous devons préparer cette économie dirigée qui est dans la logique des choses et qui se fera contre nous si nous ne la faisons pas nous-mêmes. »

Les néo-socialistes poussent jusqu’au bout la démarche socialiste de soutien ou de participation gouvernementale, justifiée par le réformisme en attendant la révolution. Et ils disent même que c’est la résolution de l’opposition réformisme/révolution, car c’est par l’État que se fait la révolution elle-même.

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Les néos-socialistes : la nature de la crise dans la SFIO

En juillet 1933, le parti socialiste SFIO connaît une très grave crise interne. Son quotidien, le Populaire, où ont le droit de s’exprimer les différences nuances ou plutôt tendances, connaît depuis des semaines d’incessantes joutes verbales et récriminations, accusations et critiques. C’est que la SFIO a joué avec le feu.

Lors de la scission du congrès de Tours en 1920, les tenants de la continuité « socialiste », récusant le bolchevisme et l’adhésion à l’Internationale Communiste, étaient une minorité. Très vite ils sont cependant devenus numériquement plus nombreux que les communistes et électoralement de plus d’importance. Qui plus est, la SFIO est en étroite relation avec la CGT, elle aussi de plus grande importance que la CGT Unitaire lié au Parti Communiste.

Le congrès de Tours en 1920

La SFIO a alors considéré que le Parti Communiste Français n’était qu’un accident historique, qu’il fallait le mépriser, l’ostraciser, l’isoler, puisque preuve en était que finalement rien n’avait réellement changé dans le fond ni pour les socialistes, ni pour la société française.

La SFIO a alors d’autant plus aisément repris son travers d’avant 1914, à savoir consister en un parti de faible taille en termes de militant, mais d’une grande capacité électorale, tendant à la participation gouvernementale. Aux élections de mai 1924, la SFIO obtient 120 députés sur 552 et soutiennent le gouvernement du « Cartel des gauches », avec les radicaux indépendants, le Parti radical et radical-socialiste, le Parti républicain-socialiste et des socialistes indépendants.

Les socialistes s’étaient d’autant plus précipités dans cette alliance que cela leur donnait d’autant plus une crédibilité face aux communistes alors qui plus est en mode ultra-gauchiste. Les socialistes « prouvaient », du moins à leurs propres yeux, la validité de leur affirmation de la nécessité de réformes concrètes y compris dans le capitalisme, alors que c’était également une réponse politique à la chambre dite « bleue horizon » de 1919 où 70 % des députés étaient des conservateurs.

On notera ici que, en fait, même en 1924 les conservateurs étaient majoritaires (avec 51,7 % des voix), le type de vote permettant cependant la victoire du cartel des gauches.

Couverture de la revue satirique Le Carnet de la Semaine en 1924 dénonçant le « bloc national », au pouvoir et auquel s’oppose le cartel des gauches

Seulement voilà, le cartel des gauches reposait sur une alliance électorale hétéroclite, avec des députés du centre et de la gauche fondamentalement éparpillés en différents partis et courants, voire fonctionnant en fait même selon leur bon vouloir. Aussi, le cartel des gauches ne dura pas, s’effondrant devant la crise monétaire de juillet 1926, qui par ailleurs disparut aussi vite que fut formé un gouvernement conservateur autour de Raymond Poincaré. Les conservateurs remportèrent ensuite les législatives de 1928.

Une tentative de réédition du cartel des gauches fut faite dans le cadre des élections de 1932, la SFIO obtenant 131 députés sur 607. Les conditions socialistes, dites Huygens, du nom de la salle où avait eu lieu le congrès socialiste, furent toutefois refusées par les radicaux.

La crise néo-socialiste part de là, reflétant la fin d’un cycle pour la SFIO et l’émergence d’un nouveau contexte de par la crise générale du capitalisme commençant à réellement à toucher la France à la suite de la crise boursière de 1929 aux Etats-Unis.

La SFIO fut concrètement coincée sur le fait de soutenir de l’extérieur le gouvernement ou pas ; en raison de sa propre histoire opportuniste depuis 1920, la SFIO ne sut pas affronter ce défi. Le résultat fut que le groupe parlementaire SFIO agissait selon ses propres exigences et indépendamment de la SFIO, que les dissensions dans celles-ci à ce sujet se multiplièrent, alors que les gouvernements étaient faits et défaits en série, un phénomène typique de la troisième république.

La SFIO se mit alors à tanguer de toutes parts, avec trois grands groupes nullement unifiés. Le premier est constitué de gens prônant un alignement bien plus à gauche, mais dans la tradition du socialisme français (comme Jean Zyromski) ou proche du trotskysme (comme Marceau Pivert). Léon Trotsky va se reconnaître dans le développement qu’il voit ici et exiger des trotskystes français qu’ils rejoignent la SFIO, ce qui provoquera des dissensions terribles entre eux, bien que la « Ligue Communiste » rejoigne tout de même la SFIO en 1934 pour y former le « Groupe bolchevik-léniniste » (qui sera exclu dès 1935).

Le second groupe consiste en les centristes avec Léon Blum ; c’est lui qui est à la direction et qui a brûlé ses cartouches avec des soutiens gouvernementaux n’aboutissant à rien de concluant et avec sa théorie attentiste d’une construction patiente et prolongée du mouvement socialiste.

Le troisième groupe tient à des socialistes représentant les intérêts du groupe parlementaire à « jouer le jeu », c’est-à-dire à participer à la mise en place de gouvernements, d’influer sur les choix gouvernementaux lors des votes, etc.

Et cela va jusqu’à l’élaboration d’une nouvelle conception, dite « néo-socialiste », posant qu’il est nécessaire d’intégrer l’État, de le renforcer le plus possible, et de l’utiliser pour mener des réformes de fond, dans le cadre du système, pour avancer vers une sorte de socialisme par en haut.

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