La SFIC donne le ton au 7e congrès de l’Internationale Communiste

Lorsque le septième congrès de l’Internationale Communiste se tient, le fascisme s’est puissamment développé sur le plan international. Sont, évidemment, salués dès le départ les figures communistes emprisonnés tels l’Allemand Ernst Thälmann (assassiné par les nazis en 1944), l’Italien Antonio Gramsci (qui meurt en 1937 à la suite des conditions de détention), le Japonais Shoichi Ichikawa (arrêté en 1929 et torturé, placé dans une détention sordide, mourant en prison en 1945), ainsi que le dirigeant socialiste Largo Caballero, emprisonné en Espagne (et futur premier ministre de la République espagnole).

Shoichi Ichikawa

Aussi, lorsque Marcel Cachin prend la parole au septième congrès, comme premier délégué français à le faire, toute la salle se lève, avec une salve prolongée d’applaudissements. Le prestige de la SFIC est immense dans l’Internationale ; en réussissant à faire du 6 février 1934 le point de départ d’une séquence antifasciste à la fois ample et dense, les Français ont montré l’exemple et porté un coup terrible au fascisme sur la scène internationale.

Ce qui est pourtant marquant, c’est que la SFIC n’a pas changé sur le fond. Elle n’a que 60 000 membres (même si c’est le double en comparaison à deux années auparavant), l’Humanité tirant à 190 000 exemplaires seulement et la presse provinciale hebdomadaire à 200 000 exemplaires.

Elle a pratiquement doublé le nombre de mairies qu’elle contrôle aux élections de mai 1935, avec l’établissement de la « ceinture rouge » autour de Paris notamment, composée de 55 communes.

Cependant, ce n’est pas un Parti d’envergure nationale, la SFIC est localisée de manière assez déterminée, avec surtout la région parisienne et le Nord. De plus, une figure importante comme Jacques Doriot passe au fascisme, après avoir prétendu lutter contre le sectarisme et vouloir l’unité antifasciste.

Ce qui sauve la SFIC, c’est que sa base parisienne, de nature remuante, turbulente, pleine de brio et de panache, n’a pas hésité à aller à l’affrontement contre l’extrême-droite. Rien qu’avec cela, et avec la capacité à adopter un esprit unitaire pour la bataille, la SFIC a véritablement donné le ton.

Qui plus est, elle connaissait initialement des soucis internes en série tout au long des années 1920 : elle voyait désormais sa base être galvanisée dans ce processus : le Parti était désormais soudé.

Il y avait néanmoins un souci, bien sûr, sous la forme de Maurice Thorez, qui dirigeait le Parti et avait été la plaque tournant de son unification interne.

De par son approche, il est alors conforme à l’esprit de la base de la SFIC, pour qui somme toute le Parti est celui du syndicalisme. C’est qu’au niveau idéologique, la SFIC est d’une faiblesse inouïe et il est significatif que le plus grand rassemblement de masse en France alors soit celui, sous le drapeau de l’antifascisme, du 14 juillet 1935 à Paris, avec plus de 500 000 personnes.

Il y a une dimension sociale-chauvine très marquée, une sorte de « républicanisme » repris à Jean Jaurès et totalement extérieur au marxisme-léninisme ; le Parti français ne s’en relèvera d’ailleurs jamais et Maurice Thorez sera au premier rang des tenants du révisionnisme.

En tout cas, sur le moment, et même si par la suite elle ne saura pas orienter l’unité à laquelle elle est parvenue, la SFIC se présente comme le Parti qui, au moins, est parvenu à cette unité, ce qui est un point de départ nécessaire.

Le délégué italien Furini, en fait Giuseppe Dozza, insista fortement à ce sujet :

« Il y a des camarades qui sont d’avis que le fascisme est parvenu au pouvoir en Italie, car le prolétariat italien n’aurait pas lutté.

En réalité, le prolétariat italien a mené un combat s’étalant sur des années, de manière héroïque et englobant de larges masses. Il y a mené un grand nombre de grèves générales, il a mené des luttes armées.

Pourquoi n’a-t-il pas été en mesure de battre le fascisme ?

On répond d’habitude : parce qu’il n’y avait pas encore un parti communiste ou parce que la social-démocratie a mené le prolétariat à la défaite.

Tout cela est vrai. Mais c’est loin de tout expliquer.

Qu’aurait dû faire un parti communiste puissant ? Il est vrai que le prolétariat italien ait lutté, mais sa faiblesse essentielle était son isolement des couches laborieuses, qui auraient dû être ses alliées, alors qu’inversement elles sont passées sous la main-mise du fascisme.

La condition fondamentale de la victoire aurait dû être ainsi une politique générale de regroupement de toutes les masses laborieuses.

Et c’est là que réside la grande signification, tout le sens politique de l’action digne d’émerveillement que le parti-frère français a mené en cette période, et que notre camarade Marcel Cachin a si justement présenté à cette tribune. »

Il y a, de fait, un décalage entre ce à quoi la SFIC est parvenue et ce à quoi elle peut parvenir. Si la première étape a été réussie, la seconde est totalement au-dessus de ses moyens, ce qui n’est alors pas vu. La CGT s’unifie par exemple, tout comme les structures sportives liées organiquement à la gauche, mais la SFIC est strictement incapable alors d’influer suffisamment sur elles.

Concluant les débats sur le bilan du Comité Exécutif depuis le dernier congrès, Wilhelm Pieck s’imaginait par contre que la SFIC était en mesure de prolonger l’élan du Front populaire, alors que comme on le sait il allait en réalité totalement s’enliser :

« Nous sommes en France devant des luttes violentes. Les deux camps mobilisent pour ces luttes et la victoire ou la défaite du Front populaire sera d’une portée démesurée pour le mouvement ouvrier international dans son ensemble, pour l’ensemble de la situation mondiale.

Le travail de notre Parti français, qui a compris comment réveiller et organiser la volonté de résistance contre la barbarie fasciste dans les couches les plus larges du peuple français, doit être un exemple pour tous nos partis. »

La SFIC donne ainsi le ton, mais elle n’a dans les faits réussi qu’à parcourir la moitié du chemin.

>Retour au dossier sur le septième congrès de l’Internationale Communiste

Le 7e congrès de l’Internationale Communiste comme retour gagnant face à la social-démocratie

Il est courant dans l’historiographie bourgeoise de présenter le sixième congrès comme produisant une ligne sectaire, « classe contre classe », et le septième comme renversant totalement la mise en perspective. Le sixième congrès aurait considéré que la social-démocratie était « social-fasciste » et le septième aurait à l’inverse prôné une alliance avec elle.

Cette lecture est naturellement entièrement fausse, bien entendu. Il n’y a aucune différence d’analyse de la social-démocratie entre les deux congrès ; dans les deux cas, il s’agit de conquérir la base ouvrière de la social-démocratie, tout en réfutant la direction de celle-ci.

Ce qu’il y a, à l’arrière-plan, c’est une différence de période.

Le secrétariat du Comité Exécutif élu au septième congrès, avec de gauche à droite Palmiro Togliatti, Dimitri Manouilsky, Klement Gottwald, Georgi Dimitrov, Otto Kuusinen, Wilhelm Pieck

Au moment du sixième congrès, en 1928, la social-démocratie a le dessus dans les pays capitalistes ; elle profite de la stabilisation relative du capitalisme pour exclure les communistes autant que possible, à tous les niveaux.

Les communistes sont alors hors-jeu ; même quand ils parviennent comme en Allemagne, à avoir une base se masse – 300 000 membres, un million d’organisés dans les structures du front, six millions de voix aux élections – ils sont marginalisés socialement vivant comme dans une bulle.

Le Parti français est également exemplaire d’un repli sur soi sectaire et, même, sur des fondements syndicalistes révolutionnaires plus qu’autre chose.

En 1935, au moment du septième congrès, la crise générale du capitalisme s’est par contre déjà réaffirmée de manière systématique et le sol s’est retiré de sous les pieds de la social-démocratie ; la misère se généralisant, la marche à la guerre et le fascisme ruinent totalement ses prétentions sociales-pacifistes.

Au lieu d’un « capitalisme organisé », on a eu une crise certes contenue relativement, mais au moyen d’une rationalisation capitaliste agressive de 1921 à 1932, sur le dos des masses. Et celles-ci ont finalement commencé à se mettre en branle.

Droits égaux pour les noirs! Partout! Auto-détermination pour la ceinture noire Votez Communiste

Il y a eu une opposition prolétarienne grandissante ; l’Angleterre a connu une grève générale en 1926 puis toute une vague la prolongeant (plus de 300 000 ouvriers en grève en 1930, 490 000 en 1931, 379 000 en 1932).

Les ouvriers de Vienne se sont soulevés en 1927, la république espagnole a été proclamée en 1931 après le renversement de la monarchie, alors que les grèves se multipliaient qui plus est (710 en 1931, 830 en 1932, 1499 en 1933) ; plus de 300 000 ouvriers polonais firent grève en 1932 (et 450 000 en 1933), plus de 180 000 en Grèce en 1934, etc.

La crise de 1929 a fait, dans ce cadre, passé le nombre de chômeurs dans les 34 pays industrialisés de 6,5 millions à plus de 29 millions ; en Allemagne le total des salaires des ouvriers, employés et fonctionnaires était passé de 44,5 milliards de marks en 1929 à 26 milliards en 1932, aux États-Unis le total des salaires des ouvriers était passé de 17,2 milliards de dollars en 1929 à 6,8 milliards de dollars en 1932.

La social-démocratie avait prétendu après 1918 que le capitalisme était désormais organisé, que la mondialisation de l’économie impliquait la paix, qu’elle était capable de peser dans le bon sens, que le niveau de vie s’élèverait.

En 1935, tout cela apparaissait comme vain tellement les socialistes avaient prouvé leur erreur.

Affiche espagnole appelant à voter pour le Front populaire

Lorsque la monarchie espagnole s’était effondrée en 1931, les socialistes n’avaient pas voulu engager une révolution ininterrompue au socialisme et avaient laissé en place les forces armées réactionnaires. C’était une bombe à retardement, alors qu’en 1934 la révolte des mineurs dans les Asturies avaient amené un passage à la lutte armée.

Lorsque, en janvier 1932, les socialistes allemands furent chassés du gouvernement de Prusse et remplacés par un commissaire impérial, ils rejetèrent les propositions communistes, tout comme ils les rejetèrent au moment où Hitler fut nommé chancelier en janvier 1933.

Lorsque l’austro-fascisme fit son coup d’État en 1934, les dirigeants socialistes refusèrent d’ouvrir leurs caches d’armes pour armer les travailleurs et l’écrasement fut ainsi complet, alors que Vienne formait un bastion prolétarien acquis aux socialistes par ailleurs établis sur une ligne très à gauche et littéralement pro-URSS.

Les avertissements communistes s’étaient avérés justes et la base ouvrière ne pouvait que le reconnaître. Dans ce contexte, l’initiative antifasciste française à la suite du 6 février 1934 se posait comme exemple à suivre.

Cependant, cela impliquait de ne pas se rater et de bien calibrer le processus où les communistes feraient la conquête de l’hégémonie dans le mouvement ouvrier. C’est pourquoi le septième congrès établit le principe du Front populaire.

>Retour au dossier sur le septième congrès de l’Internationale Communiste

Le 7e congrès de l’Internationale Communiste: une réussite

Le septième congrès de l’Internationale, en 1935, fut une démonstration de force. Il fut une réussite parfaite, au sens où il posséda un rythme extrêmement calibré.

L’organisation fut la suivante :

a) du 26 juillet au 1er août, l’Allemand Wilhelm Pieck fait le rapport d’activité du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, celui-ci est suivi d’interventions, puis Wilhelm Pieck conclut par une analyse synthétique et une résolution est votée dans la foulée à ce sujet ;

b) du 2 au 13 août, le Bulgare Georgi Dimitrov fait un exposé sur la nature du fascisme et sur comment le combattre, celui-ci est suivi d’interventions, puis Georgi Dimitrov conclut par une analyse synthétique, alors qu’une résolution est votée à ce sujet le 20 août ;

c) du 13 août au 17 août, l’italien Ercoli (c’est-à-dire Palmiro Togliatti) fait un exposé sur les tâches à mener face à l’imminence de la guerre impérialiste, puis Ercoli conclut par une analyse synthétique, alors qu’une résolution est votée à ce sujet le 20 août ;

d) le 17 août, Dmitri Manouïlski, qui était avait déjà fait un exposé sur le 5 août en l’honneur de Friedrich Engels à l’occasion des 40 années de sa mort, fait un exposé sur la construction socialiste en URSS, alors qu’une résolution est votée à ce sujet le 20 août ;

e) Georgi Dimitrov fait un exposé le 20 août intitulé Les gouvernements actuels des pays capitalistes sont des hommes provisoires, le véritable maître du monde est le prolétariat, puis les résolutions sont votées au sujet des thèmes des exposés.

Pour ce congrès, au sens strict, on peut se contenter de regarder les résolutions prises, celles-ci reflétant entièrement ce qui a été dit. Il tranche ainsi complètement avec les autres congrès, où les délégués intervenaient dans la pagaille, perdant souvent le fil conducteur, avec le conflit de majorité et de minorité au sein des partis.

C’était, concrètement, un congrès bolchevik. Le symbole de cela, c’était Staline et dès le premier jour, le 25 juillet, l’italien Ercoli (c’est-à-dire Palmiro Togliatti) proposa d’envoyer une salutation à Staline, intitulée « Au camarade Staline, le dirigeant, enseignant et ami des prolétaires et opprimés du monde entier ».

On y lit notamment :

« Tu nous as enseigné et tu nous enseignes à nous autres, communistes, la possibilité, à la bolchevik, de rendre compatibles l’intransigeance des principes et les liens profonds avec les, masses, l’esprit révolutionnaire inconciliable et la souplesse nécessaire.

Suivant tes indications, les partis communistes s’emploieront par tous les moyens à raffermir leurs liens avec les masses, à dresser et à diriger des millions [d’hommes], à organiser un vaste front unique prolétarien, un front populaire contre le fascisme et la guerre, un front anti-impérialiste dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. »

Le premier orateur, l’Allemand Wilhelm Pieck, qui ouvrait le congrès, avait déjà insisté sur ce plan :

« Notre salut le plus chaleureux va au grand organisateur de la victoire du socialisme sur ce sixième de la planète et le chef de tous les travailleurs dans le monde luttant pour le socialisme, notre camarade Staline (ovations continues, hourras). »

Lors de sa prise de parole le 25 juillet 1935, d’ailleurs, les délégués présents obtenaient une traduction simultanée grâce à un système d’écouteurs. Tout était parfaitement rôdé, la mise en place était impeccable.

La salle du congrès était savamment décorée, avec quatre séries de slogans. Derrière la présidence, en plus des drapeaux rouges et des portraits de Marx, Engels, Lénine et Staline, il était inscrit « Vive l’invincible bannière de Marx, Engels, Lénine et Staline ».

En face, sur le mur du fond, on pouvait lire « Vive les soviet en Chine ! ». Sur les côtés, on trouvait le slogan suivant en six langues : « Dans le front unique prolétarien contre l’offensive du capital, le fascisme et l’impérialisme ».

L’Internationale Communiste avait passé l’épreuve de l’Histoire. Étaient présents au congrès 513 délégués, dont 371 avec un droit de vote délibératif. Ils représentaient au septième congrès de l’Internationale Communiste pas moins de 67 partis, mais dont seulement 22 peuvent agir dans un cadre légal ou semi-légal, dont 11 en Europe.

Et pourtant, entre le sixième et le septième congrès, soit entre 1928 et 1935, les membres des Partis Communistes à travers le monde étaient passés de 1 676 000 à 3 148 000, ceux dans les pays capitalistes passant de 445 300 membres à 758 000.

Le mouvement communiste devenait un rouleau compresseur, il avait enfin l’initiative sur la social-démocratie. Une place significative a bien entendu la Chine ; ses territoires sous régime soviétique englobent déjà 56 millions de personnes. Les partisans opèrent dans des territoires où vivent 50 autres millions de personnes.

>Retour au dossier sur le septième congrès de l’Internationale Communiste