Jean Calvin et l’averroïsme

Dieu produit la piété qui produit la religion – mais pourquoi Jean Calvin ne pense-t-il pas, tels les philosophes, que les êtres humains peuvent utiliser l’entendement – la piété – sans la religion ?

C’est parce qu’il a constaté que les esprits faisaient un fétichisme de leur capacité à raisonner. Le calvinisme n’est pas une idéologie de l’individualisme bourgeois, mais de l’individualité bourgeoise au sein de la société bourgeoise. C’est radicalement différent.

Jean Calvin souligne cela par exemple de la manière suivante :

« Et ici se découvre une ingratitude trop vilaine, d’autant que les hommes ayant en eux comme une boutique excellente de tant de beaux ouvrages de Dieu, et une autre richement pleine et garnie d’une quantité inestimable de tous biens, au lieu de se mettre en avant à louer Dieu s’enflent de tant plus grand orgueil et présomption. »

Les gens qui nient Dieu sont donc ici des gens trop fiers, qui savent qu’il y a une réalité autour d’eux, mais refusent de le reconnaître. Le concept de Dieu est ici utilisé par Jean Calvin afin de dénoncer le solipsisme des individus ne s’orientant plus que par eux-mêmes.

Jean Calvin explique cette présomption en les termes suivants :

« Cette connaissance est ou étouffée ou corrompue, partie par la sottise des hommes, partie par leur malice. »

On comprend alors tout de suite pourquoi Jean Calvin critiquait les épicuriens, qu’il associe justement aux partisans d’Aristote. Jean Calvin propose une théorie de la connaissance qui, si elle s’oppose à celle de l’Église catholique, doit absolument pour pouvoir exister se distinguer de l’averroïsme.

Jean Calvin reproche en fait à l’averroïsme de proposer un Aristote affirmant que la pensée relève de « l’intellect » universel, mais sans attribuer de contenu précis à cet intellect.

Or, une société organisée selon les exigences de la bourgeoisie ne peut pas se contenter de faire comme Aristote et de contempler l’univers tel qu’il a été fait par le « moteur premier ». C’est pour cela que Jean Calvin associe partisans d’Aristote et épicuriens : ils ne proposent pas de voie pratique, or la pratique est le critère utilitaire fondamental de la bourgeoisie naissante.

L’esprit doit amener au travail, pas à la contemplation de l’ordre cosmique, aussi Jean Calvin reproche-t-il aux épicuriens la chose suivante :

« Mais je laisse pour cette heure ces pourceaux en leurs étables : je m’adresse à ces esprits volages, lesquels volontiers tireraient par façon oblique ce dicton d’Aristote, tant pour abolir l’immortalité des âmes, que pour ravir à Dieu son droit.

Car sous ombre que les vertus de l’âme sont instrumentales pour s’appliquer d’un accord avec les parties extérieures, ces rustres l’attachent au corps comme si elle ne pouvait sans lui : et en magnifiant nature tant qu’il leur est possible ils tâchent d’amourtir [faire dépérir, supprimer] le nom de Dieu.

Or il s’en faut beaucoup que les vertus de l’âme soient encloses en ce qui est pour servir au corps. Je vous prie quelle correspondance y a-il des sens corporels avec cette appréhension si haute et si noble, de savoir mesurer le ciel, mettre les étoiles en conte et en nombre, déterminer de la grandeur de chacune, connaître quelle distance il y a de l’une à l’autre, combien chacune est hâtive ou tardive à faire son cours, de combien de degrés elles déclinent çà ou là ?

Je confesse que l’astrologie est utile à cette vie caduque, et que quelque fruit et usage de cette étude de l’âme en revient au corps : seulement je veux montrer que l’âme a ses vertus à part, qui ne sont point liées à telle mesure qu’on les puisse appeler organiques ou instrumentales au regard du corps, comme on acouple deux bœufs ou deux chevaux à traîner une charrue. »

Jean Calvin affirme ici que l’âme ne meurt pas avec le corps, et que si les sens sont utiles pour des connaissances scientifiques en ce bas monde, ils ne sont que « mécaniques » en quelque sorte, et que ce n’est pas le cas de l’âme qui elle fait faire, en quelque sorte, un saut qualitatif à l’entendement.

Jean Calvin rejette ainsi le matérialisme pour qui l’entendement est un assemblage des sens (et pour le matérialisme dialectique une synthèse de la réalité issue de l’activité pratique).

Il a besoin de justifier l’âme car il veut une activité sociale pratique, pas simplement une contemplation – et ici l’exemple des étoiles va avec cela : l’astronomie est une constatation passive de l’ordre cosmique, et une activité par ailleurs logique dans la perspective d’Aristote (au point de dériver même en astrologie).

Jean Calvin veut l’activité consciente – il a besoin d’un entendement non pas simplement contemplant l’ordre cosmique, mais en phase avec des exigences concrètes, dynamiques – il a donc besoin non pas d’un moteur premier passif et lointain comme chez Aristote et l’averroïsme, mais d’un Dieu qui s’adresse aux êtres humains.

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Jean Calvin : l’entendement assume la morale

Le calvinisme a une image de grande rigueur et de grande exigence, dans un esprit particulièrement austère. Une telle approche est erronée et ne s’intéresse qu’aux apparences.

Si l’on veut comprendre la démarche de Jean Calvin, et son importance, il faut se concentrer sur comment Jean Calvin formule une théorie de la connaissance où la conscience a un rôle majeur. C’est ici que Jean Calvin révèle sa nature de classe révolutionnaire, portant la bourgeoisie qui alors brise les chaînes de la féodalité.

Pour comprendre cela, il suffit d’effectuer quelque chose de très simple : remplacer le terme Dieu par celui de morale dans le cadre d’une société organisée. Dieu, chez Jean Calvin, n’est pas un « tyran » lointain, mais celui qui justifie la possibilité de l’humanité disposant de l’entendement.

Sans Dieu, il n’y a pas d’entendement possible, il n’y a pas de raison, et donc d’acte raisonné. C’est pour cela que Jean Calvin reproche aux épicuriens de sombrer dans une oisiveté sans intérêt, dans l’absence d’organisation sociale, bref dans le nihilisme social :

« Car quel profit y aura-il de confesser avec les Épicuriens, qu’il y a quelque Dieu, lequel s’étant déchargé du soin de gouverner le monde, prenne plaisir en oisiveté ? Mesniesde quoy servira-il de cognoistre un Dieu, avec lequel nous n’ayons que faire ? »

Si Dieu existe, au contraire, il y a une exigence morale qui pousse les humains à s’élever sur le plan de l’organisation sociale. La religion découle de la « piété », qui elle-même découle des vertus de Dieu : la religion n’a pas la première place, mais la seconde par rapport à la morale permise par Dieu.

Jean Calvin affirme ainsi :

« A parler droitement nous ne dirons pas que Dieu soit connu, où il n’y a nulle religion de piété (…). Ce sentiment des vertus de Dieu, est le seul bon maître et propre pour nous enseigner piété, de laquelle la religion procède (…).

J’appelle Piété, une révérence et amour de Dieu conjointes ensemble, à laquelle nous sommes attirez, connaissant les biens qu’il nous fait ».

Il y a là l’élément clef de l’œuvre de Jean Calvin. Il ne s’agit pas d’une tyrannie de la religion, mais de la morale. La religion n’est que l’enseignement au sujet de la piété, qui elle-même consiste en l’expression humaine de valeurs morales portées par Dieu.

C’est là un puissant renversement de la position féodale où c’est l’Église organisée qui porte la morale, au nom de Dieu. Ici, chaque individu accède, non plus simplement à la religion en tant que structure hiérarchisée, mais directement à la piété émanant de Dieu.

Jean Calvin

La morale sociale est la base psychique pour des humains vivant en collectivité. Dieu est la morale surplombant les humains et ceux-ci, s’ils veulent vivre en tant qu’humains réels, hors du chaos, doivent se plier à la morale, qui leur correspond finalement également.

Toute la tension de la morale calviniste est là : à la fois on soumet l’être humain, mais en même temps c’est dans sa nature – cette tension ira jusqu’à devenir une contradiction que Jean Calvin résoudra au moyen de la « prédestination » de certaines âmes devant être sauvées, comme on le verra.

Il fallait bien expliquer, en effet, pourquoi certains ne « répondaient » pas aux appels de la morale.

Jean Calvin explique donc, en tout cas, que connaître Dieu revient à connaître la morale propre aux sociétés humaines réelles :

« Or si tous hommes naissent et vivent à ceste condition de connaître Dieu, et que la connaissance de Dieu si elle ne s’avance jusques-là où j’ai dit, soit vaine et s’évanouisse : il apparaît que tous ceux qui n’adressent point toutes leurs pensées et leurs œuvres à ce but, se fourvoient et s’égarent de la fin pour laquelle ils sont crées.

Ce qui n’a pas été inconnu même des Philosophes païens : car c’est ce qu’a entendu Platon, disant que le souverain bien de l’âme est de ressembler à Dieu, quand après l’avoir connu, elle est du tout transformée en lui (…).

Par quoi un certain personnage qu’introduit Plutarque argue très bien, en remontrant que si on ôte la religion de la vie des hommes, non-seulement ils n’auront de quoi pour être préféré aux bêtes brutes, mais seront beaucoup plus misérables, vue qu’étant sujets à tant d’espèces de misères, ils mèneront en grand regret et angoisse une vie pleine de trouble et inquiétude.

Dont il conclue qu’il n’y a que la religion qui nous rende plus excellents que les bêtes brutes, vue que c’est par elle que nous tendons à immortalité. »

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Jean Calvin et la dignité complète de l’individu

Ce qui caractérise la pensée de Jean Calvin, c’est l’affirmation de l’individu en tant qu’être autonome disposant de l’entendement. A l’Église catholique qui interdit de lire la Bible, réservant l’interprétation de celle-ci à une caste, Jean Calvin oppose les larges masses étudiant et lisant la Bible.

L’être humain, chez Jean Calvin, est capable de discerner le bien et le mal. Voici ce qu’il dit dès le début de son ouvrage majeur, l’Institution de la religion chrétienne (au français relativement modernisé ici pour faciliter la compréhension) :

« Toute la somme de notre sagesse, laquelle mérite d’être appelée vraie et certaine sagesse, est quasi comprise en deux parties, à savoir la connaissance de Dieu, et de nous-mêmes.

Dont la première doit montrer, non seulement qu’il est un seul Dieu, lequel il faut que tous adorent et honorent : mais aussi que celui-ci est la fontaine de toute vérité, sapience [sagesse], bonté, justice, jugement, miséricorde, puissance, et sainteté : à fin que de lui nous apprenions d’attendre et demander toutes ces choses.

D’avantage de le[s] reconnaître avec louange et action de grâce procéder de lui. La seconde en nous montrant notre imbécillité, misère, vanité, et vilenie, nous amène à déjection, défiance, et haine de nous-mêmes : en après enflamme en nous un désir de chercher Dieu d’autant qu’en lui repose tout notre bien : duquel nous-nous trouvons vides et dénués.

Or il n’est pas facile de discerner laquelle des deux précède et produit l’autre.

Car il est voulu qu’il se trouve un monde de toute misère en l’homme : nous ne nous pouvons pas droitement regarder, que nous ne soyons touchez et points de la connaissance de notre malheurté [caractère malheureux], pour incontinent [aussitôt] élever les yeux à Dieu, et venir pour le moins en quelque connaissance de lui.

Ainsi par le sentiment de notre petitesse, rudesse, vanité, mêmes aussi perversité et corruption, nous reconnaissons que la vraie grandeur, sapience, vérité, justice, et pureté gît en Dieu. »

Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne

On voit ici ce qu’a fait l’Église catholique : elle a résumé le calvinisme au seul aspect négatif, où il est dit que l’être humain se comporte de mauvaise manière. Pourtant, l’aspect principal est qu’il y a un Dieu idéal dont les enseignements font de l’être humain un être qui sait se comporter de manière correcte.

Ce qui importe, ce n’est pas la négation de l’être humain dans ses actes, mais la négation de ses actes erronés par le moyen de l’entendement – un entendement dont les forces féodales ne voulaient justement pas entendre parler.

La position de Jean Calvin est donc anti-féodale, car elle affirme une seule humanité face à Dieu, supprimant l’organisation d’une Église comme structure indépendante et représentant Dieu sur Terre. Dieu est dans le Ciel, il n’est plus sur la Terre.

Qui plus est, chaque être humain peut comprendre cela et se comporter de manière adéquate, c’est-à-dire devenir un être moral, un protagoniste de sa propre vie.

On a là une réalité authentiquement bourgeoise, avec un acteur agissant sur la transformation, et non plus une réalité féodale où l’individu ne fait que reproduire ce que ses parents lui ont enseigné comme métier, restant dans sa couche sociale sans aucune possibilité d’en sortir, ne se déplaçant pas de son territoire, obéissant à des rituels encastrés dans une soumission complète sur le plan intellectuel et moral à l’Église.

L’être humain agissant prend conscience de lui-même, et le figure de Jésus-Christ est ici le prétexte à la conquête de sa propre dignité, en tant qu’entité humaine autonome, capable d’entendement, de choix possiblement moral correspondant à une morale universelle proposée par un Dieu qui, comme l’a expliqué Ludwig Feuerbach et Karl Marx à sa suite, est le reflet inversé de l’humanité prenant conscience d’elle-même, dans ce qu’elle envisage de meilleur en elle-même.

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Jean Calvin et l’avènement de l’individu: un titan attaqué par la féodalité

Pourquoi Jean Calvin est-il une figure absolument française, la plus progressiste du XVIe siècle, qui soit si peu connue en France ?

La raison tient à la victoire de la réaction catholique en France, formant un obstacle au progrès qui reste encore à surmonter. L’image de Jean Calvin a été noirci au possible, comme en témoigne la présentation qu’en fait Honoré de Balzac dans son roman Sur Catherine de Médicis, par ailleurs fascinant et qui décrit justement la période décisive pour l’histoire de France où le calvinisme a été écrasé.

Ce qu’a représenté Jean Calvin a alors d’autant plus été jeté à la trappe que la France a littéralement « bricolé » des moyens pour compenser cette absence, au moyen de la philosophie de René Descartes et de la franc-maçonnerie principalement, c’est-à-dire de la « laïcité ».

La « laïcité » est un compromis entre la société et la religion, qui est issu de l’incapacité de la société à écraser le clergé et le catholicisme. A ce titre, le calvinisme possède une indéniable actualité démocratique, qui ne peut qu’être porté désormais par la classe ouvrière.

A l’époque par contre, le véritable calvinisme était porté par la bourgeoisie. Un calvinisme plus pragmatique était soutenu par la petite noblesse, et un calvinisme outrancièrement opportuniste était assumé par des secteurs de la haute noblesse.

En fait, la France n’avait pas eu d’écho du hussitisme ; ce n’est qu’avec les succès de Martin Luther dans les pays allemands que le protestantisme commence à s’affirmer au début du XVIe siècle, avec comme contenu la remise en cause de l’Église catholique.

Jean Calvin, nom latinisé de Jehan Cauvin, est quant à lui né le 10 juillet 1509 à Noyon en Picardie. Rompant jeune avec l’Église catholique, il fuit les persécutions et se retrouvera finalement à Genève, en Suisse, où il va jouer un rôle capital dans l’organisation du protestantisme.

C’est dans ce cadre qu’il produit son œuvre « classique », Institution de la religion chrétienne,que la monarchie française ne cessera d’interdire et d’en pourchasser la diffusion, et pour cause : c’est par elle que Jean Calvin parvient à structurer le protestantisme, sur la base d’une doctrine épaulé par des missionnaires.

Jean Calvin

En 1561, on compte ainsi 670 Églises réformée, alors que le protestantisme influence pratiquement le quart de la population, avec 1/10 de celle-ci acquise à sa cause.

Ce protestantisme représente pourtant trois tendances radicalement différentes. Du côté bourgeois, il s’agit du protestantisme authentique, qui vise à développer l’individu, la libre-entreprise, à abattre le féodalisme.

Du côté de la petite noblesse par contre, il s’agit d’abattre surtout le clergé devenu prépondérant dans la société. Du côté de la haute noblesse, il s’agit d’empêcher l’avènement de la monarchie absolue.

On a ici exactement le même schéma que dans le hussitisme, à ceci près qu’il manque deux éléments : la plèbe et les masses paysannes. La première manquera pratiquement totalement ; les masses paysannes ne seront actives que dans certaines zones seulement, notamment le fameux « croisant » protestant dans le sud de la France.

Dans tous les cas cependant, c’est la noblesse qui décidera de la direction du protestantisme français, l’amenant à sa faillite.

En effet, la monarchie française de François Ier oscillait entre humanisme et Renaissance italienne, étant influencée tant par les changements économiques des Pays-Bas que par la modernisation du Vatican.

Cette position fut si forte, la France fut tellement coincée, que depuis cette période on assimile, de manière fondamentalement erronée, l’humanisme à la Renaissance italienne, alors que ce sont deux mouvements historiques contradictoires.

Cela se révéla ainsi, en 1534, par la fameuse affaire dite des « Placards », c’est-à-dire des affiches posées à Paris, Blois, Rouen, Tours, Orléans, ainsi que sur la chambre royale de François Ier au château d’Amboise.

Leur titre était le suivant : Articles véritables sur les horribles, grands et importables abus de la messe papale, inventée directement contre la Sainte Cène de notre Seigneur, seul médiateur et seul Sauveur Jésus-Christ ; leur contenu était une attaque ouverte contre l’Église catholique.

François Ier se voyait coincé : soit il suivait le mouvement historique progressiste et procédait, comme en Angleterre, à la liquidation de l’Église catholique romaine et à la formation d’une Eglise « gallicane », soit il tentait de construire sa monarchie absolue dans un compromis historique avec celle-ci.

Il choisit la seconde option et il s’ensuivit une répression, que continua son successeur, Henri II. A la mort accidentelle de celui-ci, la haute noblesse protestante prit alors l’initiative de tenter ce qui fut appelé la conjuration d’Amboise en 1560, qui ne fut finalement qu’un « tumulte ».

L’opération visait à arracher le jeune François II, devenu roi, de son environnement royal et surtout de la famille des Guises qui dirige pratiquement le pays.

Son échec aboutit aux multiples guerres de religion en France, dont les dates sont les suivantes : 1562-1563, 1567-1568, 1568-1570, 1572-1573, 1574-1576, 1576-1577, 1579-1580, 1585-1598.

Le massacre de la Saint-Barthélemy, qui liquide en 1572 les chefs politiques du protestantisme dans la noblesse, joue ici un rôle majeur. Il s’ensuit alors uniquement des défaites.

Le Massacre de la Saint-Barthélemy, par François Dubois (1529-1584)
Le Massacre de la Saint-Barthélemy, par François Dubois (1529-1584)

Henri IV est un roi issu du protestantisme mais l’ayant abjuré ; les chefs protestants sont en fait intégrés par la corruption généralisée.

Deux figures historiques symbolisent ici la trahison de la haute noblesse : François de Bonne de Lesdiguières (1543-1626) et Henri III de La Trémoille (1598-1674), qui virent en leur honneur leurs noms donnés aux deux pavillons du Louvre.

Le premier trahit au moment d’Henri IV, devenant en 1622 pas moins que Connétable de France, c’est-à-dire chef des armées du roi (il en sera le dernier), le second trahit lors du siège de La Rochelle en 1628, devenant Maître-de-camp-général de la Cavalerie légère.

L’Edit de Nantes de 1598 accordé par Henri IV est rapidement bafoué, notamment à travers le sanglant épisode du Siège de La Rochelle de 1627-1628, avant d’être ouvertement révoqué en 1685 par l’Édit de Fontainebleau.

Les temples protestants sont détruits, le culte et les écoles protestants interdits ; les pasteurs sont bannis ou inversement reçoivent des pensions à vie tout en ayant des facilités de reconversion dans des métiers du droit.

La noblesse est encadrée : elle doit se marier à l’église, faire baptiser les enfants dans les 24 heures. Dans l’administration il en va de même il faut un certificat de bonne catholicité pour l’obtention d’une charge juridique, des diplômes de droit et de médecine, etc.

200 000 personnes émigrent alors, dans un épisode appelé par les protestants le « Refuge ». Les 600 000 protestants qui restent font quant à eux face à une répression systématique, notamment lors d’opérations de « dragonnades » meurtrières de la part de l’armée qui utilise également la torture de manière généralisée.

Le recul était déjà patent : 800 000 protestants à la fin du XVIe siècle, c’est déjà 200 000 de moins que 70 ans auparavant, alors que la population avait augmenté. Les protestants étaient passés d’environ 10 % à 4 % de la population totale.

Le protestantisme avait été dès le départ happé par la noblesse dans son opposition au clergé et à la monarchie absolue ; la bourgeoisie n’avait pas été en mesure d’en prendre la direction pour défendre ses intérêts. Jean Calvin, son titan, devra être son porte-parole depuis la Suisse, où il décédera en 1564.

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Jean Calvin : une introduction

De toutes les figures de l’histoire de France, Jean Calvin est celle dont l’impact culturel et idéologique a été le plus puissant. Pourtant, on pense plutôt à Maximilien Robespierre et Napoléon, ou encore Charles De Gaulle, quand on se réfère aux grandes figures de l’histoire de notre pays.

La figure de Jean Calvin reste obscure, voire inconnue ; dans la plupart des cas, si elle est un tant soit peu connue elle sera reliée au sectarisme, à un puritanisme fanatique, bref à une mort de la pensée et à des raisonnements opposés à la joie et aux sentiments.

Tout cela a une origine : le triomphe des forces féodales sur les forces progressistes portées par le protestantisme dont Jean Calvin a été le héraut, la figure la plus aboutie, la plus conséquente.

Jean Calvin a été une figure incontournable de la France pour toute une époque, et pourtant son histoire est niée. L’éditeur de ses œuvres en français, en 1842, peut constater de manière tout à fait juste :

« Le style de Calvin est un des plus grands styles du seizième siècle : simple, correct, élégant, clair, ingénieux, animé, varié de formes et de tons, il a commencé à fixer la langue française pour la prose, comme celui de Clément Marot l’avait fait pour les vers.

Ce style est moins savant, moins travaillé, moins ouvragé, pour ainsi dire, que le style de Rabelais; mais il est plus prompt, plus souple et plus habile à exprimer toutes les nuances de la pensée et du sentiment ; il est moins naïf, moins agréable et moins riche que celui d’Amyot , mais il est plus incisif, plus imposant et plus grammatical; il est moins capricieux, moins coloré et moins attachant que celui de Montaigne, mais il est plus concis, plus grave et plus français, si l’on peut reprocher à l’auteur des Essais d’écrire quelquefois à la gasconne.

Et pourtant il n’existe pas une seule édition des oeuvres françaises de Calvin, à l’exception du Recueil de ses Opuscules, publié par Théodore de Bèze, à Genève, en 1566, énorme volume in-folio de 2,000 pages, aujourd’hui fort rare, dans lequel on a confondu les traités écrits originairement en français par Calvin, avec ceux qui ont été traduits en cette langue d’après l’original latin, par ses secrétaires et ses amis; car la plupart de ces traités parurent également et presque à la fois dans les deux langues, soit que l’infatigable Calvin en rédigeât les deux versions, soit qu’il fit faire sous ses yeux celle qui ne devait être que la translation fidèle de l’ouvrage primitif, écrit en latin ou en français, suivant l’occasion.

Il est donc impossible de distinguer, dans le Recueil des Opuscules. les morceaux qui appartiennent réellement à la plume de Calvin.

On voit, par là, que l’éditeur, quoique habile écrivain lui-même, se préoccupait beaucoup moins de la lettre que de l’esprit dans les écrits du réformateur de Genève.

Enfin, comme si l’on eût voulu lui enlever ses titres de bon écrivain français, on imagina de n’insérer dans les éditions de ses œuvres que des textes latins, et de traduire même tout ce qui n’avait jamais été traduit dans cette langue, comme les sermons, les lettres, etc. Les trois éditions volumineuses qui ont été faites dans ce système anti-littéraire ne renferment pas une seule pièce qui témoigne au moins que Calvin savait écrire en français aussi facilement et aussi remarquablement qu’en latin. »

Il faut ici comprendre le contexte. Le protestantisme trouve ses prémices avec Jean Hus puis les hussites qui révolutionnant l’Est de l’Europe, il s’affirme avec Martin Luther, Thomas Müntzer et les guerres paysannes, mais c’est avec Jean Calvin qu’il devient un système unifié, systématisé, entièrement cohérent.

Jean Calvin

Là où le protestantisme fait parfois des compromis, des pas en arrière, lui fait face un calvinisme porté par le progrès, la nouvelle époque.

A l’Angleterre de la monarchie constitutionnelle capitaliste répond l’Amérique libérale capitaliste, à la France de la monarchie absolue répond la république de Genève, et dans ce contexte les Pays-Baslibérés de la tutelle espagnole et catholiques’affirment comme le principal vecteur du libéralisme et du capitalisme.

L’individu, figure au centre du libéralisme, est entièrement assumé comme figure politique comme protestantisme, par l’intermédiaire de Jésus-Christ, qui octroie à chaque individu la dignité, l’entendement, la possibilité d’avoir une reconnaissance en tant que telle, au-delà du système réactionnaire féodal.

Jean Calvin fut donc une arme idéologique et culturelle de premier plan. S’il échoua en France, c’est en raison du manque de maturité du développement historique de notre pays, ou plus exactement du développement inégal qui a existé entre les différentes régions.

Le protestantisme des villes, authentique, n’est pas le même que celui des campagnes où la petite aristocratie ainsi que l’aristocratie forte loin de Paris cherche surtout à affaiblir le pouvoir central et l’Église.

Le protestantisme de Jean Calvin fut ici récupéré pour une logique décentralisatrice qui possède une très forte tradition depuis, dans notre pays, comme en témoigne les multiples courants régionalistes, autogestionnaires, etc., dont la base idéologique relève directement du protestantisme français de l’époque de Jean Calvin.

Mais ce n’est qu’un aspect, et on voit très bien comment dans son épître à François Ier, Jean Calvin valorise le roi, le portant aux louanges, tout en le tutoyant et lui expliquant que s’il ne change pas son interprétation du protestantisme, s’il continue de l’interpréter comme une sédition qu’il faut écraser, alors l’histoire sera contre lui car il s’allie avec l’Antéchrist et Dieu rétablira un rapport de forces en faveur des vrais croyants.

C’est un nouveau système qui s’affirme ici, qui exige la fin de la féodalité, ou tout au moins sa transformation radicale dans son noyau, pour préparer l’avenir.

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Karl Marx et la crise de surproduction : la surproduction des moyens de production

Immédiatement après avoir précisé dans quelle mesure la surproduction de capital n’est pas une « surproduction absolue tout court », Karl Marx précise dans quel cas elle serait une surproduction des moyens de production, une surproduction absolue.

Il faut comprendre la chose ainsi selon lui :

« [La véritable, en tant que telle] surproduction de capital ne signifie jamais autre chose que surproduction de moyens de production – moyens de travail et subsistances – pouvant exercer la fonction de capital, c’est-à-dire susceptibles d’être utilisés pour exploiter le travail à un degré d’exploitation donné. »

Karl Marx, Le capital

Ce que cela implique, c’est la surproduction de marchandises. La véritable crise du capitalisme ne consiste pas en une simple surproduction de capital. C’est pour cela que Lénine a pu définir l’impérialisme, comme émergence historique de la surproduction de capital et son affirmation comme superstructure, sans modification de l’infrastructure capitaliste.

La véritable crise du capitalisme consiste en la combinaison de la surproduction de capital et de la surproduction de marchandises. Karl Marx synthétise de la manière suivante cette double nature :

« La fin [au sens de l’objectif] du capital étant la production de profit et non la satisfaction des besoins, le capital n’atteignant ce but que par des méthodes qui adaptent la masse de sa production à l’échelle de production et non inversement, il doit nécessairement y avoir sans cesse discordance entre les dimensions restreintes de la consommation sur la base capitaliste et une production qui sans cesse tend à franchir cette barrière qui lui est immanente.

Du reste, on sait que le capital se compose de marchandises et par suite la surproduction de capital inclut celle des marchandises.

D’où la bizarrerie du fait que les mêmes économistes qui nient toute surproduction de marchandises reconnaissent la surproduction de capital. »

Karl Marx, Le capital

La chose est ici très claire et ceux qui résument la crise à une surproduction de capital n’ont pas compris qu’il ne s’agissait que d’un aspect de la question.

À quoi ressemblerait cependant une situation de surproduction de capital et de surproduction de marchandises ? Karl Marx relie cela à la question de chaque cycle capitaliste, qui produit davantage de capital. Il définit par conséquent la chose ainsi :

« Le taux de profit, c’est-à-dire l’accroissement relatif de capital, est surtout important pour toutes les nouvelles agglomérations de capital qui se forment d’elles-mêmes.

Et si la formation de capital devenait le monopole exclusif d’un petit nombre de gros capitaux arrivé à maturité, pour lesquels la masse de capitaux l’emporterait sur son taux, le feu de la production s’éteindrait définitivement. »

Karl Marx, Le capital

On sait maintenant quand se produit la crise générale du capitalisme : quand le cycle est cassé, c’est-à-dire quand les capitalistes empêchent l’émergence d’autres capitalistes, ne vivant par ailleurs plus que d’une vaste production, allant dans le sens d’une mise en esclavage, ne s’intéressant plus à la question du taux de profit.

On est là dans ce que Lénine a appelé le capitalisme monopoliste d’État pendant la Seconde Guerre mondiale, mais pas du tout au sens d’un nouveau mode de production (comme chez Eugen Varga et Paul Boccara), seulement au sens du moment d’effondrement final des cycles capitalistes.

Cet effondrement va de pair avec la socialisation obligatoire de l’économie, sans quoi c’est le retour – par ailleurs impossible de par les lois du mouvement de la matière – à la féodalité.

Lorsque les capitalistes monopolistes prédominent totalement, dans une situation historique, alors le capitalisme monopoliste est l’antichambre du socialisme.

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Karl Marx et la crise de surproduction : la surproduction absolue de capital

La sous-partie « Excédent de capital accompagné d’une population excédentaire » est aussi longue que les deux précédentes prises ensemble ; elle dispose qui plus est d’un addenda tout aussi long, qui fournit cependant des éléments secondaires, des précisions.

Elle est le prolongement direct de ce qu’a dit Karl Marx auparavant et présente les traits généraux de ce qu’est la crise du mode de production capitaliste au sens strict.

Le premier aspect, vraiment important, est l’explication pourquoi au bout d’un moment, les petits capitaux sont particulièrement agressifs. C’est qu’ils sont placés dans une situation particulièrement exigeante.

Voici comment la chose est présentée :

« La masse des petits capitaux éparpillés est ainsi contrainte à s’engager dans la voie de l’aventure : spéculation, gonflement abusif du crédit, bluff sur les actions, crises.

Ce qu’on appelle la plethora [la pléthore] de capital concerne toujours essentiellement la pléthore du capital pour lequel la chute du taux de profit n’est pas compensée par sa masse [comme pour le grand capital] – et c’est le cas toujours des bourgeonnements de capital frais qui viennent de se former – ou la pléthore qui, sous forme de crédit, met ces capitaux, incapables d’exercer une action à leur propre bénéfice, à la disposition de ceux qui dirigent les grands secteurs commerciaux ou industriels.

Cette pléthore de capital naît des mêmes conditions qui provoquent une surpopulation relative, et c’est donc un phénomène qui vient compléter celle-ci, bien que les deux faits se situent à des pôles opposés, capital inemployé d’un côté et population ouvrière non occupée de l’autre. »

Karl Marx, Le capital

Il ne s’agit ici que d’une précision de ce qui a été dit auparavant. Eugen Varga en fera d’ailleurs la base principale de sa description du capitalisme « bloqué », en théorisant un chômage de masse permanent.

La phrase qui suit la citation est pourtant d’une importance très grande :

« Surproduction de capital, non de marchandises singulières – quoique la surproduction de capital implique toujours surproduction de marchandises – signifie donc suraccumulation de capital. »

Karl Marx, Le capital

Eugen Varga mit cet aspect de côté ; son disciple français Paul Boccara en fit par contre le cœur de son interprétation du « capitalisme monopoliste d’État ». La suraccumulation, le fait que le capital ne puisse plus se placer quelque part, serait telle que l’État s’assimilerait au capital pour trouver de nouveaux espaces.

Le problème est que Karl Marx ne mentionne cette suraccumulation de capital, ou bien surproduction absolue de capital, seulement comme hypothèse de travail pour développer sa thèse sur la crise.

Chez Paul Boccara, cette hypothèse est prise pour la réalité, il est vrai pour justifier dans les années 1960 la participation aux institutions pour les protéger contre un prétendu assaut du capital en surplus.

Mais pourquoi Karl Marx a-t-il besoin de l’hypothèse de la surproduction absolue de capital ?

La raison en est la suivante. Il imagine que cela soit le cas et il dit qu’il y aurait alors une partie du capital en jachère, comme en attente, et de l’autre un capital en action, mais peu mis en valeur en raison de la grande concurrence posée par le capital en attente.

Il expose alors la situation, qui serait marquée par une destruction de capital provoquée par une crise ayant comme source l’impossibilité de valoriser par la vente de marchandises, dans un contexte d’hyper-concurrence.

Les prix s’effondreraient, il y aurait une sorte de décompression, mais ce n’est pas du tout la question ici : Karl Marx mentionne justement cette hypothèse pour dire qu’elle n’est pas possible. Il est explicite :

« Et ainsi la boucle serait de nouveau bouclée. Une partie du capital dévalué pour avoir cessé de fonctionner retrouverait son ancienne valeur.

Pour le reste, les choses décriraient de nouveau le même cercle vicieux sur la base de conditions de production élargies, d’un marché plus vaste, d’une force productive augmentée.

Mais même dans l’hypothèse extrême que nous avons émise de surproduction absolue de capital, il n’y aurait pas en fait surproduction absolue tout court, surproduction absolue des moyens de production.

Il n’y a surproduction de moyens de production que dans la mesure où ceux-ci font office de capital et, partant, impliquent par rapport à leur valeur qui s’est gonflée avec leur masse une mise en valeur de cette valeur, dans la mesure où ils doivent créer une valeur additionnelle. »

Karl Marx, Le capital

On sait désormais comment Karl Marx voit la crise du capitalisme : comme surproduction des moyens de production.

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Karl Marx et la crise de surproduction : la question de la nature de la crise

Il ne faut jamais perdre de vue que la question de la nature de la crise n’exige pas simplement une « logique » adéquate ; c’est indéniablement avant tout une question politique.

C’est la lecture politique de la réalité qui va prédéterminer la manière de saisir la crise du capitalisme et ses modalités. Cette question a pour cette raison été celle des grands débats dans l’Internationale Communiste dans les années 1920.

Si Léon Trotsky se fait ainsi rejeter, c’est parce que sa thèse implique que le capitalisme a rencontré le mur, que les forces productives ne peuvent plus se développer. Cela signifie, de fait, que les trotskystes expliquent depuis des décennies que les forces productives ne se seraient plus développés depuis 1920…

Si Boukharine se fait pareillement rejeter, c’est parce qu’il affirme que dans chaque pays, les monopoles ont entièrement pris le pouvoir et qu’il n’y a plus de contradiction dans le capitalisme au niveau national.

On l’a compris, la question revenant inlassablement est celle du capitalisme organisé. Cette conception est d’ailleurs ouvertement assumée par les socialistes allemands après 1918. Ils considèrent que les communistes ont tort de penser que le capitalisme est à bout de souffle.

La thèse qui triompha à l’opposé au sein de l’Internationale Communiste est celle de la stabilité relative dans la crise générale du capitalisme : le capitalisme a rencontré le mur de ses limites, mais peut passer quelques paliers, difficilement, et dans tous les cas en s’orientant toujours plus vers la guerre.

Eugen Varga, qui a participé au premier chef à l’élaboration de ce concept, va toutefois le fétichiser, et considérer que le capitalisme maintenu va modifier sa nature, se rationaliser, s’intellectualiser pour trouver une solution.

Le marxisme ne considérant pas que le capital « pense », il alla chercher ce « cerveau » auprès de l’État. L’alliance de l’État et du capital aurait permis le maintien du capitalisme.

Dans les années 1960, Paul Boccara poursuivra directement le tir, en faisant du capitalisme monopoliste d’État une sorte de super-capitalisme s’auto-gérant.

Il y eut par ailleurs de nombreuses analyses du même type, faisant du capitalisme une forme sociale gérée par une bureaucratie par les cadres des entreprises (le « néo-capitalisme »), par une toute petite oligarchie organisée de manière complotiste (le « groupe Bilderberg », les « illuminatis », etc.), par les État-Unis d’Amérique, par le FMI et la banque mondiale, par les complexes militaro-industriels, par les multinationales, etc.

Toutes ces conceptions d’un capitalisme organisé sont directement reliés historiquement à la négation de la possibilité de la crise du capitalisme.

Karl Marx, au moyen de la troisième partie de son analyse de la baisse tendancielle du taux de profit, contredit pourtant cela.

Le long exposé intitulé « Excédent de capital accompagné d’une population excédentaire » donne une réponse très claire à la question de savoir ce qu’est la crise capitaliste.

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Karl Marx et la crise de surproduction : l’ultime barrière

Voici un long passage dans lequel Karl Marx explique la nature de « crise » propre au capitalisme. Il faut ici bien faire attention : ce n’est pas une définition terminée, il reste une sous-partie, on n’en est ici qu’à la fin de la seconde sous-partie.

Si l’on s’arrête là, on tombe inévitablement dans l’interprétation erronée d’Eugen Varga, qui a secoué l’Internationale Communiste dans les années 1920-1930. C’est la thèse d’une « crise générale du capitalisme » qui serait un capitalisme perpétuellement en crise, surmontant par moments celle-ci pour une relance cyclique, qui basculerait elle-même dans la crise, etc., dans une sorte d’allers-retours sans fin.

Karl Marx dit la chose suivante :

« La dépréciation périodique du capital existant [car à chaque cycle le capital s’agrandit, donc le capital précédent voit sa part dans le total s’abaisser], qui est un moyen immanent au mode de production capitaliste d’arrêter la baisse du taux de profit et d’accélérer l’accumulation de valeur-capital par la formation de capital neuf, perturbe les conditions données, dans lesquelles s’accomplissent les procès de circulation et de reproduction du capital, et, par suite, s’accompagnent de brusques interruptions et de crises du procès de production.

La baisse relative du capital variable par rapport au capital constant, qui va de pair avec le développement des forces productives, stimule l’accroissement de la population ouvrière, tout en créant constamment une surpopulation artificielle [c’est-à-dire que le chômage est provoqué ici par l’abaissement de la part des ouvriers dans la production, aux dépens des machines].

L’accumulation du capital, au point de vue de sa valeur, est ralentie par la baisse du taux de profit, qui hâte encore l’accumulation de la valeur d’usage [de marchandises utiles, utilisées], tandis que celle-ci, à son tour accélère le cours de l’accumulation quant à sa valeur [car plus de choses sont produites et vendues, donc valorisant le capital].

La production capitaliste tend sans cesse à dépasser ces limites qui lui sont immanentes, mais elle n’y parvient qu’en employant des moyens qui, de nouveau, et à une échelle plus imposante, dressent devant elle les mêmes barrières.

La véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même. »

Cela signifie ici que le capitalisme est par nature déséquilibré, car il augmente les forces productives, mais en même temps s’appuie sur l’appauvrissement du plus grand nombre, or il faut bien vendre ce qui a été produit pour passer au prochain cycle productif.

Le capitalisme connaît donc une ultime barrière, propre à sa nature, existant de manière interne. Il développe les moyens d’existence de l’humanité, mais le capital étant sa propre fin, il ôte en même temps ce qu’il fournit.

Cependant, cela veut-il dire que les crises du capitalisme ne sont finalement que des situations d’équilibre, et que le capitalisme est toujours en déséquilibre, sans pour autant connaître de crise finale ?

Faut-il alors considérer qu’à un moment, on est tellement proche de la barrière, que le capitalisme ne peut plus vraiment grandir ?

Ou bien qu’il y aura toujours une nouvelle vague de capitalistes produit par le nouveau cycle, et relançant la machine ?

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Karl Marx et la crise de surproduction : la notion de crise

Karl Marx, pour commencer, constate la chose suivante dans la seconde partie du chapitre XV. Les capitalistes peuvent soit mettre de côté des ouvriers, soit renforcer leur exploitation. Dans le premier cas, le taux de profit baisse, dans le second il augmente.

Or, même en augmentant le taux d’exploitation des ouvriers restants, on ne rattrapera pas le niveau d’exploitation acquis lorsqu’il y avait plus d’ouvriers. La baisse tendancielle du taux de profit semble inéluctable.

Seulement voilà, et ici Karl Marx montre qu’il avait tout à fait prévu l’avenir, contrairement à ce qui est dit : selon lui, plus les forces productives augmentent, plus il y a des marchandises qu’on peut acheter.

Préfigurant la « société de consommation », Karl Marx explique la chose suivante :

« Le développement de la force productive du travail contribue indirectement à augmenter la valeur-capital existante en multipliant la masse et la diversité des valeurs d’usage qui représentent la même valeur d’échange et constituent le substrat matériel du capital, ses éléments concrets, les objets matériels qui composent directement le capital constant et, au moins indirectement, le capital variable.

Avec le même capital et le même travail, on crée davantage d’objets susceptibles d’être convertis en capital, abstraction faite de leur valeur d’échange ; objets qui peuvent servir à absorber du travail additionnel, donc du surtravail additionnel aussi, et donc peuvent servir à créer du capital additionnel. »

Karl Marx, Le capital

Cela correspond à ce qui a été formulé : un accroissement du nombre de marchandises est un saut quantitatif, mais ne modifie pas le problème sur le plan qualitatif.

Ce n’est pas tout. Avec le développement des forces productives, le même capital devient plus productif qu’auparavant. Il a gagné en puissance qualitative. Et le capital est plus nombreux à chaque cycle, il y a donc plus de capital, ce qui fait que le même capital a perdu de la puissance quantitative.

À chaque cycle, le capital est plus grand, le même capital plus puissant par rapport à ce qu’il était, mais sa part dans l’ensemble du capital s’est vu réduite, puisqu’il y a davantage de capital. On a là un faisceau de contradictions et Karl Marx embraie alors là-dessus, en avertissant de la complexité dialectique à laquelle on va faire face.

Il prévient ainsi :

« Mais il ne faut pas se contenter, à la manière de Ricardo, d’étudier ces deux phases [baisse qualitative du taux de profit, augmentation du profit par le renforcement quantitatif de la production], incluses dans le procès d’accumulation, dans leur coexistence paisible : elles renferment une contradiction qui se manifeste en tendances et en phénomènes contradictoires. Les facteurs antagoniques agissent simultanément les uns contre les autres (…).

Périodiquement, le conflit des facteurs antagoniques se fait jour dans des crises. Les crises ne sont jamais que des solutions violentes et momentanées des contradictions existantes, de violentes éruptions qui rétablissent pour un instant l’équilibre rompu. »

Karl Marx, Le capital

Nous voilà donc au cœur de la question de crises, que Karl Marx définit ici comme interne au processus d’accumulation, d’une part, et ensuite comme également momentanées. Cependant, on voit également que ces éruptions ne font que momentanément rétablir l’équilibre : il faut bien voir que pour Karl Marx la crise n’est pas un déséquilibre, mais un équilibre !

Le capitalisme ne se développe qu’à travers un déséquilibre. Sa croissance n’est pas une symétrie entre ses composantes, mais une dissymétrie.

C’est pourquoi la planification en URSS, développée sous Staline, lui oppose le plan comme développement harmonieux des forces productives.

Cependant, en quoi consiste alors la notion de crise chez Karl Marx ? Quel est son sens, puisque la crise est ici équilibre, et non pas déséquilibre ? C’est qu’en fait, le capitalisme est lui-même une crise dans son existence elle-même.

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Karl Marx et la crise de surproduction : déséquilibres, nombre de capitalistes

Le chapitre XV implique tellement de choses qu’en 3-4 pages, on a déjà la base de la conception de Rosa Luxembourg et celle d’Eduard Bernstein.

Pourtant, il reste encore à voir comment on en arrive à la crise du capitalisme : pour l’instant, on a seulement somme toute des déséquilibres (d’où Eduard Bernstein), ou bien une réduction ininterrompue du nombre de capitalistes (d’où Rosa Luxembourg).

Karl Marx ne dit d’ailleurs pas qu’il n’y a ni déséquilibres, ni réduction ininterrompue du nombre de capitalistes, seulement il place ces phénomènes dans une conception plus vaste. Citons ici un passage intéressant sur la question de la base étroite du capitalisme, correspondant à ces deux phénomènes :

« La masse totale des marchandises, le produit total, aussi bien que la portion qui remplace le capital constant et le capital variable que celle qui représente la plus-value, doivent être vendues.

Si cette vente n’a pas lieu ou n’est que partielle, ou si elle a lieu seulement à des prix inférieurs aux prix de production, l’ouvrier certes est exploité, mais le capitaliste ne réalise pas son exploitation en tant que telle (…).

Les conditions de l’exploitation immédiate et celles de sa réalisation ne sont pas identiques. Elles ne diffèrent pas seulement par le temps et le lieu, théoriquement non plus elles ne sont pas liées.

Les unes n’ont pour limite que la force productive de la société, les autres les proportions respectives des diverses branches de production et la capacité de consommation de la société (…).

Plus la force productive se développe, plus elle entre en conflit avec la base étroite sur laquelle sont fondés les rapports de consommation. »

Karl Marx, Le capital

En clair, il ne suffit pas pour le capitaliste d’exploiter, encore faut-il vendre les marchandises produites. Or, moins les ouvriers peuvent consommer, moins il y a de marchandises vendues. Les intérêts du capitaliste à exploiter s’opposent aux intérêts du capitaliste à ce que les marchandises soient vendues.

L’existence aujourd’hui de forces productives particulièrement élevées ne change pas le problème ; elle ne fait que déplacer le problème quantitativement. Il y a toujours, qualitativement, un obstacle, de par le manque de consommateurs par rapport au capital toujours plus nombreux.

Si l’on s’arrêtait à cette première sous-partie du chapitre XV, il ne resterait que deux options : tabler sur la réduction à un nombre très restreint de capitalistes (Rosa Luxembourg), ou bien s’imaginer que les capitalistes vont sans cesse se renouveler parallèlement au développement technique (Eduard Bernstein).

Cependant, il reste deux sous-parties. La première (c’est-à-dire en fait la seconde) s’intitule « Conflit entre l’extension de la production et la mise en valeur », la seconde (et donc la troisième) s’appelle « Excédent de capital accompagné d’une population excédentaire ».

Karl Marx va y fournir les explications sur sa manière de concevoir la crise du mode de production capitaliste.

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Karl Marx et la crise de surproduction : anciens et nouveaux capitalistes

Immédiatement après les deux phrases sur le taux de profit, Karl Marx ajoute une phrase capitale :

« Ce qui d’un autre côté accélère à son tour l’accumulation, quant à la masse, bien que le taux de l’accumulation baisse avec le taux du profit. »

Cette phrase est capitale, mais le souci est que Karl Marx part ensuite directement dans autre chose, critiquant la thèse de Ricardo comme quoi le capitalisme serait sans limite. Cette phrase peut donc passer inaperçu, alors qu’elle est fondamentale pour comprendre le reste une fois que Karl Marx a fini sa longue remarque sur Ricardo.

Ce que dit Karl Marx dans cette phrase, c’est que l’accumulation va connaître une accélération même si et même en raison du fait qu’il y ait moins de capitalistes et moins de taux de profit. En fait, s’il y a davantage d’accumulation, alors il y a plus de capitalistes !

On comprend le problème épineux auquel on a affaire. L’accumulation implique moins de capitalistes, et en même temps plus de capitalistes… Comment faut-il comprendre la chose ?

Et pourquoi Karl Marx n’explique-t-il alors pas immédiatement cela, pourquoi part-il sur autre chose ? Dans la forme c’est regrettable, mais c’est en réalité absolument cohérent.

Karl Marx dit en effet la chose suivante, immédiatement après la phrase mentionnée plus haut :

« Par ailleurs, si le taux de mise en valeur du capital total, le taux de profit, est bien l’aiguillon de la production capitaliste (de même que la mise en valeur du capital est son unique fin), sa baisse ralentira la constitution de nouveaux capitaux autonomes et elle semble dès lors menacer le développement du procès de production capitaliste, elle favorise la surproduction, la spéculation, les crises, la constitution de capital excédentaire à côté d’une population en excédent. »

Cela signifie que, contrairement à ce que pense Ricardo (et ses successeurs sur le plan théorique), le capitalisme fait bien face à un mur. Le capitalisme développe l’accumulation… et en même temps la fait se confronter à un obstacle.

Cet obstacle, c’est le nombre d’ouvriers. À un moment donné, il n’y a plus assez d’ouvriers disponibles pour que le capital se valorise suffisamment – rappelons que comme le capital se renforce à chaque cycle, il devient toujours plus important et a donc toujours plus de besoin.

Cependant, tant qu’il y a ces ouvriers, le nouveau capital peut trouver des moyens de se développer.

Et maintenant on a tout compris : Karl Marx n’assimile pas le mode de production capitaliste aux capitalistes. Il voit toujours la contradiction entre ouvriers et capitalistes. Il ne perd jamais de vue non plus le rapport entre capital et marchandises.

Cela fait qu’il constate, en quelque sorte, que même si certains capitalistes mettent de côté des ouvriers, car ils ont suffisamment avancé dans le processus capitaliste, d’autres capitalistes peuvent utiliser ces ouvriers mis de côté pour avancer dans leur propre processus.

Qui plus est, comme il y a eu progrès technique, il y a eu accumulation à la masse (c’est-à-dire de manière élargie en termes quantitatifs) ; il y a donc plus de forces productives, de richesse matérielle. Les marchandises coûtent moins cher, élargissant les possibilités d’être vendues.

Si l’on s’arrête là, on peut donc imaginer un capitalisme sans crise : c’est ce que fera Eduard Bernstein. Oui, les ouvriers sont exploités. Mais avec le développement des forces productives, le mouvement est sans fin et il n’y aura pas de crise. Le mouvement ouvrier doit progressivement s’approprier la société, et non pas tabler sur un effondrement.

Ce qui peut arriver, et doit arriver, c’est que certains capitalistes feront faillite, car ne parvenant pas à vendre leurs marchandises, mais avec le développement technique le niveau de vie augmentera de toutes façons et il y aura toujours d’autres capitalistes pour lancer des processus d’accumulation.

Cela ne sera juste pas les mêmes. Mais cela ne changera rien au caractère durable du capitalisme : c’est la perspective du « révisionnisme » au début du 20e siècle dans le mouvement ouvrier, Eduard Bernstein en tête.

Notons bien que cette perspective est opportuniste dans les faits, mais pas nécessairement subjectivement. Eduard Bernstein dira que le but n’est rien, le mouvement est tout, mais se considérera comme socialiste ; il s’opposera à la Première Guerre mondiale.

Et après celle-ci, les socialistes allemands opposés aux communistes auront exactement cette lecture erronée de Karl Marx. Ils veulent le socialisme, s’assument marxistes : il ne s’agit pas d’un simple rejet unilatéral du marxisme, même si cela revient objectivement à cela.

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Karl Marx et la crise de surproduction : le rapport à la baisse tendancielle du taux de profit

Au début du chapitre XV, Karl Marx réaffirme le principe de baisse tendancielle du taux de profit. Pour faire court, rappelons ici simplement que les capitalistes introduisent toujours plus de machines dans la production. Ils pensent ainsi rogner sur les dépenses de salaires, mais comme la vraie richesse vient de l’exploitation des ouvriers, ils scient la branche de l’arbre sur laquelle ils sont assis.

Puis, très rapidement, il pose une vision dialectique de la question, où l’on est vite dépassé si l’on ne comprend pas la forme de la contradiction en question. Voici ce que dit Karl Marx :

« Baisse du taux de profit et accélération de l’accumulation ne sont que des expressions différentes d’un même procès, en ce sens que tous deux expriment le développement de la productivité. »

On a ici deux contraires. D’un côté, l’accumulation capitaliste voit son taux de profit baisser, ce qui implique son affaiblissement. Et pourtant, de l’autre côté, l’accumulation capitaliste s’accélère, ce qui implique son renforcement.

C’est incompréhensible pour qui n’admet pas le principe du mouvement dialectique. Comment une chose peut-elle s’affaiblir et se renforcer en même temps ?

Immédiatement après, Karl Marx précise ce qu’il a voulu entendre. Voici comment il présente les deux aspects contradictoires, le premier tout d’abord :

« De son côté, l’accumulation accélère la baisse du taux de profit, dans la mesure où elle implique la concentration du travail sur une grande échelle, d’où une composition plus élevée du capital. »

Cela, c’est la baisse tendancielle du taux de profit. Le travail est concentré, on utilise des machines qui aspirent le travail, le travail humain est de plus en plus mis de côté, l’exploitation voit sa sphère se réduire de par le nombre moins important d’ouvriers.

Voici maintenant le second aspect :

« D’autre part, la baisse du taux de profit accélère à son tour la concentration du capital et sa centralisation par la dépossession des capitalistes de moindre importance, l’expropriation du dernier carré des producteurs directs, chez qui il restait encore quelque chose à exproprier. »

On comprend ici que Karl Marx ne parle du mode de production capitaliste dans son ensemble encore. Il parle des capitalistes et seulement d’eux. Dans la phrase précédente, Karl Marx disait somme toute : les capitalistes mettent des ouvriers de côté, or ils les exploitent, donc le taux d’exploitation va s’amoindrir, puisqu’il y a moins d’ouvriers.

Dans la seconde phrase qu’on a ici, Karl Marx dit : les capitalistes se font concurrence et en concentrant le travail, ils augmentent la productivité, ils torpillent des concurrents et exigent un capital plus grand à chaque fois pour être en mesure d’avoir un haut niveau technique, une haute productivité.

Le petit producteur ne peut pas investir comme le font les grands capitalistes dans des grandes machines avec une haute productivité : il disparaît par conséquent, coulé par la concurrence.

Rosa Luxembourg s’arrête là. Elle dit : il y a de moins en moins de capitalistes, et moins il y en a plus c’est la preuve de la concentration du capital, du fait qu’on mette des ouvriers de côté, qu’on ne sait plus comment faire du profit du côté du capital.

Par conséquent, le capital étant tellement accumulé n’a comme moyen de s’en sortir que le militarisme pour la conquête de zones non capitalistes.

Eugen Varga aura une position tout à fait similaire, à ceci près que lui considère que le capital « en trop » va s’allier avec l’État pour chercher toujours plus de voie pour s’en sortir, repoussant ainsi la crise à un peu plus tard.

Or, c’est là une réduction du mode de production capitaliste aux capitalistes, et Karl Marx ne fait pas cette erreur.

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Karl Marx et la crise de surproduction : une question essentielle

La notion de crise chez Karl Marx est liée à celle de baisse tendancielle du taux de profit. Ce qu’on appelle crise est défini par lui comme le « développement des contradictions internes de la loi ».

De fait, c’est le principe du matérialisme dialectique selon lequel tout phénomène obéit à la loi de la contradiction, qui présente une nature interne au dit phénomène. Lorsqu’il s’intéresse aux processus en cours dans le mode de production capitaliste, Karl Marx regarde les contradictions dans ces processus.

En l’occurrence, la contradiction à l’intérieur de la baisse tendancielle du taux de profit est ce qui produit la crise.

L’étude de Karl Marx à ce sujet forme le XVe chapitre du livre III du Capital, le chapitre XIII concernant en tant que tel la nature de la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, le chapitre XIV présentant les « causes qui contrecarrent la loi ».

Ces causes qui contrecarrent la loi ne sont que relatives ; leur opposition à la loi amène un développement en spirale. Il y a des paliers : la loi s’applique, connaît un frein relatif pour un temps, puis passe au-delà de ce frein, franchissant un palier, puis le processus recommence.

Le processus est obligé de recommencer, car la manière qu’a la loi de triompher de cette opposition provient de l’intérieur du mouvement lui-même de cette loi. On est ici strictement dans le cadre du matérialisme dialectique.

Est-ce à dire cependant que cette spirale est sans fin, et que le capitalisme passera sans cesse de tels paliers ? Qu’il y aura sans cesse des freins, puis un dépassement de ces freins par une énergie interne propre au mouvement du capital ?

C’est là une question qui a travaillé tous les lecteurs du capital et pour cette raison, ce dernier chapitre de la troisième section du livre III du Capital – section intitulée « Loi de la baisse tendancielle du taux de profit »– a provoqué un véritable casse-tête.

Certains en ont déduit que puisque la crise est liée à la baisse tendancielle du taux de profit, son explication ne formant qu’un chapitre issu des deux autres, alors s’il n’y a pas baisse tendancielle, alors il n’y a pas crise.

D’autres ont affirmé que la crise était secondaire par rapport à la baisse tendancielle. D’autres encore ont considéré que la crise serait dépassée par une sorte de vaste union de tous les capitalistes dans un super monopoles, tandis que d’autres déplaçaient le problème en refusant le caractère interne de la crise pour lui donner un caractère externe : c’est le manque d’acquisition de zones non capitalistes qui bloquerait le capitalisme.

Certains ont affirmé que la crise consistait en une surproduction de capital, qui ne trouverait plus de place pour se reproduire ; d’autres ont postulé que la crise était une surproduction de marchandises, qui ne trouveraient plus d’acheteurs, ce qui casserait le processus d’accumulation.

De fait, la question a véritablement été tournée dans tous les sens, et tous les types de réponses ont pratiquement été fournis.

Seul Lénine a parfaitement compris la question, ce qui l’a amené à développer le concept d’impérialisme, comme émergence de monopoles comme superstructure sur la base capitaliste. Lénine a, ici, ni plus ni moins que sauvé le marxisme.

Le révisionnisme soviétique abandonnera ensuite ce concept, avec Nikita Khrouchtchev, pour affirmer que le capitalisme était désormais organisé avec l’aide de l’État, dans un capitalisme monopoliste d’État. La crise est alors interprétée de manière totalement différente de chez Lénine et la révolte de Mao Zedong contre Nikita Khrouchtchev est liée à cela dans sa substance.

Pour dire les choses plus directement, la quelque vingtaine de pages du chapitre XV du livre III du Capital a joué un rôle historique de la plus grande importance. Elle a amené des batailles idéologiques intenses entre Karl Kautsky, Eduard Bernstein, Rosa Luxembourg, Rudolg Hilferding, Lénine, Eugen Varga, Staline, Boukharine, etc.

Les conséquences ont été politiquement immenses ; leur implication idéologique essentielle.

L’ interprétation du chapitre XV a une valeur décisive : selon la manière qu’on a de le comprendre, on a une vision particulière du capitalisme. Selon qu’on considère que la crise de ce dernier soit inévitable ou non, qu’elle prenne telle ou telle forme, on a des conclusions politiques fondamentalement différentes, s’appuyant de fait sur une compréhension radicalement différente du marxisme.

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Discours donné par le Président Gonzalo, le 24 septembre 1992

Gonzalo, enfermé dans une cage, en tenue de bagnard, après son arrestation
Gonzalo, enfermé dans une cage, en tenue de bagnard, après son arrestation

Camarades du Parti Communiste du Pérou! Combattants de l’Armée Populaire de Guérilla! Peuple péruvien!

Nous vivons des moments historiques, chacun de nous sait qu’il en est ainsi, ne nous laissons pas tromper.

En ce moment nous devons déployer toutes nos forces pour affronter les difficultés, poursuivre la réalisation de nos tâches et atteindre les objectifs, remporter les succès, la victoire. Voilà ce qu’il faut faire.

Nous sommes ici les fils du peuple et nous combattons dans ces tranchées de combat, nous le faisons parce que nous sommes communistes! Parce que nous défendons les intérêts du peuple, les principes du Parti, la guerre populaire, voilà ce que nous faisons, ce que nous sommes en train de faire et ce que nous continuerons à faire!

Nous sommes ici dans ces circonstances, certains pensent qu’il s’agit d’une défaite. Ils se leurrent! Qu’ils continuent de rêver. C’est tout simplement un détour, rien de plus, un détour sur notre route!

La route est longue, nous la parcourrons et puis nous triompherons! Vous le verrez, vous le verrez!

Nous devons poursuivre les tâches établies par le IIIème Plénum du Comité Central. Un glorieux Plénum.

Sachez que ces accords sont déjà en application et la marche va se poursuivre, nous continuerons d’appliquer le Ivème Plan de Développement Stratégique de la Guerre Populaire pour Conquérir le Pouvoir. Nous continuerons à développer le Vième Plan Militaire pour Construire la Conquête du Pouvoir.

Tout se poursuivra. C’est notre tâche! Nous le ferons pour ce que nous sommes! Et par obligation vis à vis du prolétariat et du peuple!

Nous affirmons clairement que la voie démoratique aujourd’hui se développe comme un chemin de libération, comme un chemin populaire de libération!

Voilà la situation dans laquelle nous évoluons, nous devons réfléchir au regard de l’histoire, cessons d’avancer les yeux fermés. Voyons la réalité, voyons l’histoire du Pérou. Regardons les trois derniers siècles du Pérou.

C’est à cela que nous devons réfléchir.

Voyez les XVIIIème, XIXème et Xxème siècles et comprenez ce qu’ils ont signifié! Si vous ne le comprenez pas, vous resterez aveugles et l’aveugle n’est d’aucune utilité pour son pays, il ne sert pas le Pérou!

Nous pensons que le XVIIIème siècle a été une leçon bien claire. Réfléchissez-y.

Quelqu’un nous dominait, l’Espagne et cette domination qui nous suçait le sang, où nous a-t-elle menés?

A une crise extrêmement profonde. En conséquence le Pérou a été divisé. C’est là qu’est née l’actuelle Bolivie. Ce n’est pas nous qui le disons, ce sont les faits.

Au siècle dernier, ce fut la domination anglaise.

Où nous a menés sa lutte avec la France? A une autre grave crise: les années 70 du siècle dernier, qui ont abouti à la guerre avec le Chili. Ne l’oublions pas.

Que s’est-il passé? Nous avons perdu une partie de notre territoire. Notre patrie ressent la douleur d’un schisme malgré le sang versé par les héros et le peuple. Il faut savoir en tirer les leçons!

Au XXème siècle, où en sommes-nous? En ce XXème siècle un impérialisme nous domine, c’est principalement l’impérialisme nord-américain. C’est une réalité. Nous le savons tous. Où cela nous a-t-il conduits?

Sans même parler des années 20, chez nous, aujourd’hui, nous traversons la pire crise de toute l’histoire du peuple péruvien.

Si nous tirons les leçons des siècles passés, que devons-nous en penser?

Qu’une fois de plus la nation est en péril, qu’une fois de plus la république est en péril, qu’une fois de plus le territoire est en péril, qu’on peut le perdre tout simplement, par des intérêts en jeu.

Telle est la situation, c’est là qu’ils nous ont poussés mais un fait est là, il y a une révolution au Pérou, une guerre populaire et elle continue et continuera sa marche. Qu’avons-nous atteint? Un Equilibre Stratégique.

Et ceci, il faut bien le comprendre. C’est l’Equilibre Stratégique qui se concrétise dans une situation essentielle; à quoi ont servi ces douze années?

A prouver de façon éclatante au monde mais surtout au peuple péruvien que l’Etat péruvien, le vieil état péruvien, est un tigre en papier, qu’il est pourri jusqu’à la moelle.

Les preuves sont là!

Voilà où en sont les choses, nous pensons au péril d’une possible division de la nation, du pays; la nation est en péril, ils veulent la faire éclater, ils cherchent à la diviser, qui est épris de telles intentions?

L’impérialisme comme toujours, ceux qui exploitent, ceux qui commandent. Que devons-nous faire? Que faut-il faire maintenant?

Bien sûr, ils est nécessaire de renforcer le Mouvement Populaire de Libération, de le développer en agissant dans la guerre populaire car c’est le peuple, toujours le peuple qui a défendu la patrie, qui a défendu la nation.

Cela veut dire créer un Front Populaire de Libération, cela veut dire créer et développer une Armée Populaire de Libération à partir de l’Armée Populaire de Guérilla! Voilà ce qui est nécessaire!

Et c’est cela que nous ferons! Nous sommes en train de le faire et nous allons le faire! Vous en serez les témoins messieurs.

Pour finir, maintenant, écoutons ceci: comme on peut le voir dans le monde, le maoïsme dans sa marche inexorable commande la nouvelle vague de la révolution prolétarienne mondiale.

Saisissez-le et comprenez-le bien! Que ceux qui ont des oreilles, s’en servent, que ceux qui ont du bon sens et nous en avons tous, l’utilisent!

Trêve de niaiseries! Assez de ténèbres! Comprenons-le! Quel est l’enjeu de ce monde? De quoi avons-nous besoin?

Nous avons besoin de voir le maoïsme incarné, ce qu’il est, qu’il commence à engendrer des Partis Communistes, à maîtriser, à diriger cette nouvelle vague de la révolution prolétarienne mondiale qui nous arrive.

Tout ce qu’ils ont dit, de simples discours creux et stupides à propos de la fameuse « nouvelle ére de paix »; où en sommes-nous? Qu’adviennent-il de la Yougoslavie? Des autres? Tout est politisé; un mensonge. Aujourd’hui il n’y a qu’une réalité, ce sont les mêmes rivaux de la première et de la deuxième guerre mondiale qui génèrent et préparent la troisième et nouvelle guerre mondiale.

Il faut le savoir et nous, fils d’un pays opprimé, nous faisons partie du butin. Nous ne pouvons pas l’accepter! Assez d’exploitation impérialiste! Il faut en finir avec eux!

Nous sommes le troisième monde et la base de la révolution prolétarienne mondiale, à une condition, que les Partis Communistes arborent et dirigent. Voilà ce qu’il faut faire!

Nous pensons ceci: l’année prochaine marquera les 100 ans de la naissance du Président Mao. Nous devons fêter ces 100 ans! Et nous l’organisons avec les Partis Communistes.

Nous voulons quelque chose de nouveau, un hommage qui soit le reflet de la compréhension consciente de l’importance que représente le Président Mao pour la révolution mondiale. Nous commencerons cet hommage cette année et le couronnerons l’année prochaine. Cet hommage sera grandiose.

Je profite de cette occasion pour saluer le prolétariat international, les nations opprimées de la terre, le Mouvement Révolutionnaire Internationaliste.

VIVE LE PARTI COMMUNISTE DU PEROU!

LA GUERRE POPULAIRE VAINCRA INEXORABLEMENT!

SALUONS DES MAINTENANT LA FUTURE NAISSANCE DE LA REPUBLIQUE POPULAIRE DU PEROU!

NOUS DISONS: GLOIRE AU MARXISME-LENINISME-MAOISME!

ET FINALEMENT NOUS DISONS: HONNEUR ET GLOIRE AU PEUPLE PÉRUVIEN!

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