Le matérialisme dialectique et les paradoxes de Zénon

Zénon d’Élée est un philosophe grec ayant vécu de 490 à 430 avant Jésus-Christ, qui est fameux pour la formulation de différents « paradoxes » au sujet de l’espace et du temps.

Ces paradoxes, très connus notamment dans les mathématiques, ont été prétextes à des remarques très régulières, le plus souvent erronées car perdant de vue ou ne connaissant pas l’arrière-plan de la démarche de Zénon.

Zénon, disciple de Parménide et partisan de l’unité du monde, a en effet non pas tant à expliquer cette dite unité, qu’à rejeter comme faux les arguments de l’école de Pythagore – dont Platon est le plus grand représentant – considérant que l’Univers est composé d’unités quantifiables en tant que nombres.

Il raisonne ainsi sur le rapport entre le particulier et l’universel, en traitant spécifiquement de l’espace et du temps.

Zénon explique la chose suivante : s’il est vrai qu’il existe plusieurs choses particulières et non pas un simple universel – il n’utilise ni les termes de particulier ni celui d’universel, qui sont propres à nous – alors chaque chose particulière est séparée d’une autre chose particulière.

Mais pour être séparée, ces choses particulières doivent l’être par une chose particulière. Or, cette chose particulière séparant les deux autres doit également l’être d’une autre chose particulière, le processus étant infini.

Il en va de même si l’on utilise le principe de parties : chaque partie doit être séparée d’une autre par une partie, elle-même par une partie, etc., le processus étant infini.

Zénon oppose ainsi le nombre qui définit, circonscrit une partie de la réalité, et le fait que le principe de circonscrire est nécessairement infini dans son principe.

De manière plus simple, on peut prendre le paradoxe qu’il fait au sujet du lieu. Si toute chose est en un lieu, alors ce lieu est lui-même dans un lieu, qui lui-même est dans un lieu, le processus étant infini.

L’exemple de la flèche est tout à fait similaire : un arc lance une flèche. Si le temps est divisé en instants bien délimités, comment la flèche statique à cet instant passe-t-elle à un autre endroit à l’instant suivant ?

Comme on le voit, Zénon insiste sur la continuité générale de la matière, ce qui est pour nous le rapport entre l’universel et le particulier. Zénon a bien compris que si on utilise un monde matériel « mathématisé », on ne peut pas avoir de mouvement, qui pour nous avec le matérialisme dialectique est la contradiction de l’espace avec lui-même, produisant le temps.

Zénon a compris que le principe de dénombrement en unités du temps et de l’espace empêchaient une saisie de la continuité générale de la matière en mouvement.

Deux exemples très connus sont ici celui de la dichotomie et celui d’Achille et la tortue.

Dans celui de la dichotomie, Zénon dit qu’il lance une pierre. Imaginons qu’elle ait parcouru la moitié de son parcours. Elle va ensuite faire la moitié du parcours restant, et au cours de ce processus la moitié de ce parcours, et cela à l’infini.

Partant de là, la pierre ne fera jamais que la moitié de la moitié et cela à l’infini, n’avançant plus.

On a exactement le même exemple avec Achille poursuivant une tortue. Si l’on reprend l’exemple précédent, lorsqu’Achille a effectué la moitié du parcours pour la rattraper, il va faire la moitié du parcours restant, et ce à l’infini, ne rattrapant jamais la tortue.

Zénon modifie légèrement l’exemple en disant qu’Achille va à l’infini repasser par là où la tortue est passée.

Il est très ironique ici que les mathématiciens modernes, dans la logique de Pythagore, aient affirmé avoir trouvé la formule montrant qu’Achille rattrape bien la tortue (par le biais de la théorie des suites et des limites à l’infini), comme si Zénon ne le savait pas.

Les mathématiciens n’ont pas compris que Zénon dit que si le temps et l’espace sont interprétés avec des nombres allant à l’infini, alors l’espace entre Achille et la tortue est lui-même infini et Achille ne pourra jamais le parcourir.

Ils pensent s’en sortir avec le principe des suites, affirmant que même en accumulant des pas toujours plus petits, il y aura bien un moment où ils suffiront pour dépasser la tortue. C’est le principe de la convergence quand le nombre de pas tend vers l’infini, avec une valeur limite où la distance entre Achille et la tortue devient nulle.

Mais, Zénon sait très bien qu’Achille, dans les faits, dépassera la tortue. Ce qui l’intéresse, c’est de montrer que si on divise le temps et l’espace à l’infini de manière quantitative, tout en maintenant le principe de divisions en nombres de l’espace et du temps, alors le mouvement n’est pas possible, car on peut toujours ajouter des chiffres derrière un autre, comme par exemple 0,99999 à l’infini, ce qui fait qu’on ne parviendra jamais à 1.

Soit par conséquent on décide de cesser d’aller à l’infini – ce qui supprime l’infini – soit on considère que le temps est continu, qu’il n’est – et c’est ce que dit le matérialisme dialectique – qu’une expression de l’espace en contradiction avec l’espace, du mouvement.

Il n’y a pas de temps abstrait, de temps en soi. C’est pour cette raison que le paradoxe le plus intéressant est peut-être celui où se croisent trois « trains », c’est-à-dire plusieurs éléments à la suite.

Si l’on prend l’exemple de trois trains de quatre coureurs, on a un train immobile et les deux autres trains se croisant à son niveau, car allant en sens contraire.

Ce qui se passe alors, c’est que le premier coureur du premier train en mouvement croise en même temps deux coureurs du train immobile et quatre du second train en mouvement.

Il a ainsi parcouru deux distances différentes ou bien, dit différemment, la moitié d’une durée est égale à cette même durée, puisqu’il a fallu le même temps pour croiser à la fois deux et quatre coureurs.

On comprend alors qu’en réalité se pose ici la question du référentiel, à laquelle ont contribué notamment Isaac Newton et Emmanuel Kant, c’est-à-dire du rapport entre l’espace et le temps, ce dernier étant le produit de la contradiction de l’espace avec lui-même.

>>Revenir au sommaire des articles sur le matérialisme dialectique

Gonzalo et l’homosexualité

La matière est inépuisable et son mouvement est dialectique. Pour cette raison, l’homosexualité pose un problème théorique de fond, puisqu’elle implique une réfutation du développement ininterrompu de la matière dans l’espace et le temps. En s’opposant par définition même à la reproduction en tant que synthèse, l’homosexualité apparaît comme incompatible avec le développement nécessaire de la matière.

Pour cette raison, tant l’URSS de Staline que la Chine populaire de Mao Zedong ont rejeté l’homosexualité comme relevant de la décadence propre à l’effondrement de la bourgeoisie comme classe dominante. Gonzalo se situe dans cette tradition et considérait pareillement que, dans le Communisme, il n’y aurait pas d’homosexualité.

Appliquant le matérialisme dialectique à la situation concrète, il a fait en sorte toutefois que les personnes homosexuelles puissent rejoindre le Parti Communiste du Pérou. Il considérait que le développement inégal de la situation faisait que ces personnes pouvaient tout à fait rejoindre le camp révolutionnaire et être communistes.

Cependant, leur homosexualité relève d’une orientation personnelle et elle est considérée, du point de vue du mouvement historique, comme un phénomène relatif, voué à disparaître de par sa dimension improductive ne pouvant exister dans le Communisme où les contradictions vont toujours dans le sens du développement.

>Sommaire du dossier

L’interview de Maurice Thorez au Times

Déclaration de Maurice Thorez au journal anglais The Times du 18 novembre 1946, où il présente pour la première fois la voie française au socialisme, concept révisionniste liquidant définitivement la base scientifique et parachevant son oeuvre au sein du PCF.

Maurice Thorez

Les élections du 10 novembre ont souligné une fois de plus le caractère national et démocratique du Parti communiste français, profondément enraciné dans les couches populaires, à la ville et à la campagne.
Les travailleurs, les républicains font confiance au Parti communiste français parce qu’il a été et qu’il demeure le parti de la clairvoyance et du courage. Seul, avant la guerre, il a dénoncé et combattu la prétendue non-intervention et la capitulation de Munich, c’est-à-dire la politique de concessions qui a encouragé les agresseurs fascistes. Il a été, sur le sol national, l’organisateur et le dirigeant de la lutte armée contre l’envahisseur allemand et contre la trahison vichyste.

Il est, depuis la Libération, l’initiateur et le conducteur de l’effort populaire pour la reconstruction de la France. Tout le monde sait qu’à l’appel du Parti communiste, les mineurs français ont, depuis un an, doublé notre production de charbon qui dépasse de quinze pour cent les chiffres d’avant-guerre. En même temps, grâce à l’initiative des ministres communistes, les ouvriers, les fonctionnaires, les paysans, les vieux travailleurs, les mères ont obtenu des avantages substantiels.

Enfin, l’opinion démocratique française approuve nos positions en matière de politique extérieure, notamment sur les problèmes de la sécurité et des réparations. Nous n’admettons pas l’idée émise par certains de rendre à l’Allemagne une position économique dominante en Europe.

Nous demandons l’internationalisation de la Ruhr et le rattachement de la Sarre à notre système économique. Nous voulons la liquidation du fascisme et le désarmement effectif de l’Allemagne. Nous estimons nécessaire, indispensable, l’entente entre nos grands alliés anglais, américain et soviétique. Nous repoussons toute politique de blocs et d’orientation exclusive sur l’un quelconque de nos alliés, notre gratitude allant également à tous.

Nous souhaitons le resserrement des liens d’amitié et d’alliance entre la Grande-Bretagne et la France. Je suis d’une province arrosée de trop de sang britannique pour ne pas mesurer le prix de l’amitié franco-anglaise. L’accord devrait résulter d’une juste solution de la question allemande. Nous ne comprenons pas qu’on nous refuse le charbon de la Ruhr et que l’on compromette ainsi le relèvement de notre pays.

Nous avons répété expressément au cours de notre campagne électorale que nous ne demandions pas au peuple le mandat d’appliquer un programme strictement communiste, c’est-à-dire reposant sur une transformation radicale du régime actuel de la propriété et des rapports de production qui en découlent.

Nous avons préconisé un programme démocratique et de reconstruction nationale, acceptable pour tous les républicains, comportant les nationalisations, mais aussi le soutien des moyennes et petites entreprises industrielles et artisanales et la défense de la propriété paysanne contre les trusts.

A l’étape actuelle du développement de la société, nous avons la conviction que les nationalisations – le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés – constituent un progrès dans la voie du socialisme. Les nationalisations portent atteinte à la toute-puissance des oligarchies financières, elles limitent les possibilités légales de l’exploitation de l’homme par l’homme, elles placent entre les mains d’un gouvernement démocratique des moyens appréciables pour l’œuvre de redressement économique et social du pays.

Il est évident que le Parti communiste, dans son activité gouvernementale, et dans le cadre du système parlementaire qu’il a contribué à rétablir, s’en tiendra strictement au programme démocratique qui lui a valu la confiance des masses populaires.

Les progrès de la démocratie à travers le monde, en dépit de rares exceptions qui confirment la règle, permettent d’envisager pour la marche au socialisme d’autres chemins que celui suivi par les communistes russes.

De toute façon, le chemin est nécessairement différent pour chaque pays. Nous avons toujours pensé et déclaré que le peuple de France, riche d’une glorieuse tradition, trouverait lui-même sa voie vers plus de démocratie, de progrès et de justice sociale.

Cependant, l’histoire montre qu’il n’y a pas de progrès sans lutte. Il n’y a pas de route toute tracée sur laquelle les hommes puissent avancer sans effort. Il leur a toujours fallu surmonter bien des obstacles. C’est le sens même de la vie.

L’union des forces ouvrières et républicaines est le sûr fondement de la démocratie. Le Parti ouvrier français que nous proposons de constituer par la fusion des partis communiste et socialiste, serait le guide de notre démocratie nouvelle et populaire. Il ouvrirait largement ses rangs aux travailleurs catholiques auxquels nous avons tendu bien avant la guerre une main fraternelle que beaucoup ont saisie. Nombreux sont d’ailleurs les Français qui partagent notre conception de la laïcité : pas de guerre à la religion, neutralité absolue de l’enseignement au regard de la religion.

Les Français communistes désirent vivement que le caractère national et démocratique de toute leur activité soit compris en Grande-Bretagne. Il n’en peut résulter que des effets heureux dans les rapports entre nos deux pays, pour le plus grand bien de notre cause commune, la cause de tous les peuples, la cause de la liberté et de la paix.

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez : une évaluation

Maurice Thorez a porté une ligne qui n’était pas matérialiste dialectique. Le Parti Communiste avant Maurice Thorez était un rassemblement informe de militants éparpillés idéologiquement et culturellement, ce n’est que guidé par Maurice Thorez qu’il a pris véritablement forme.

Alors cependant, sa ligne « classe contre classe » qui était juste s’est transformée, en raison de la déviation syndicaliste révolutionnaire, en appel à l’unité posant la soumission au réformisme et aux institutions bourgeoises.

Il n’y avait aucune contradiction entre la ligne « classe contre classe » et celle du Front populaire ; les trotskystes ont joué un rôle contre-révolutionnaire en arguant qu’il y aurait un retournement à 180°.

La ligne classe contre classe se réalise en effet dans l’agrégation des classes exploitées. Dans le Front populaire, le Parti Communiste aurait dû prendre les commandes, ou bien au moins montrer la séparation nette avec le réformisme.

Au lieu de cela, il a couru derrière le réformisme et finalement s’est soumis aux institutions, dans une logique social-chauvine d’une grande intensité.

La participation au gouvernement bourgeois de l’après 1944-1945 est ainsi une contribution à la réorganisation bourgeoise, Maurice Thorez dirigeant même la Mission provisoire de réforme de l’administration, lui-même jouant un rôle central dans la naissance de l’École Nationale d’Administration.

Maurice Thorez, vice-président du gouvernement provisoire de la République
en mars 1946 à la gare de Nantes.
A ses côtés : le ministre communiste de la Reconstruction et de l’Urbanisme François Billoux, le préfet de Loire-Inférieure, le général de brigade commandant la région militaire de Tours, le maire de Nantes, ainsi que Henry Gouge, député communiste, secrétaire fédéral du PCF, et les députés socialistes Clovis Constant et Jean Guitton.
La visite a comme prétexte la pose de la première pierre de la cité ouvrière du Grand Clos, derrière l’usine des Batignolles.

De fait, avant 1934 le Parti Communiste doit être considéré comme l’organisation de construction du Parti, sans que cela soit gagné d’avance.

Après 1934, il est un Parti Communiste, avec une organisation sérieuse et des fondements à approfondir.

Cependant, étant donné que c’est Maurice Thorez qui exprime la ligne générale, dès 1936 il bascule ouvertement dans l’opportunisme de droite.

Après 1938, il est paralysé politiquement, et si la Résistance vient le replacer dans une position révolutionnaire de fait, grâce au soutien de l’URSS, cela ne durera guère : dès 1945 l’opportunisme de droite prime.

Ce n’est que la liaison avec l’URSS qui a empêche le basculement du PCF, qui se réalise ouvertement dès la mort de Staline en 1953.

Cela signifie que le PCF est, en définitive, un mouvement social-démocrate qui a tenté d’aller au bolchevisme, qui y est parvenu en 1934 mais n’a pas su se maintenir et est retombé dans la social-démocratie.

La ligne ouvertement syndicaliste et légaliste du PCF à partir des années 1960 puise directement dans la figure de Maurice Thorez, tellement expression de la base par ailleurs que celle-ci a pu être mise de côté et remplacée facilement au fur et à mesure (notamment par Georges Marchais).

C’est la raison pour laquelle, en France, si le communisme a toujours été puissant, sa réalité a été éparpillée, le PCF ne proposant qu’une variante politique de syndicalisme révolutionnaire, ce qui fait qu’il a été facile pour le trotskysme de s’implanter durablement en France, en tant que communiste dans une variante « révolutionnaire ».

Cortège pour les funérailles de Maurice Thorez,
le 16 juillet 1964.

De fait, dépasser la déviation syndicaliste révolutionnaire, qui s’appuie directement sur l’idéologie de la Charte d’Amiens, est précisément ce qui permet de dépasser à la fois Maurice Thorez et son sous-produit qu’a été le trotskysme.

L’oubli de la question culturelle a non seulement annulé la production d’analyses matérialistes historiques sur la France, mais a également borné toute perspective à une série de raisonnements pragmatiques-machiavéliques typiquement français, pays de Richelieu.

Ce n’est pas pour rien que les positions les plus avancées du PCF sur le plan théorique aient toujours concernées la question de l’État, depuis la philosophie d’Althusser jusqu’à la multitude d’analyses sur le « capitalisme monopoliste d’État ».

La révolution socialiste en France, pour avancer, pour dépasser le caractère à la fois social-démocrate et révisionniste de Maurice Thorez, doit donc être portée par un Parti Communiste comprenant enfin le matérialisme dialectique, saisissant l’histoire culturelle-idéologique de la France, réfutant les démarches de type syndicalistes-révolutionnaires.

Les révolutionnaires authentiques des années 1960 en France, se définissant comme marxistes-léniniste ou maoïstes, se précisément brisés sur cette question, les amenant à n’être que des thoréziens de gauche.

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez : la capacité de manœuvre, la souplesse tactique

Malgré l’échec du Front populaire comme « transition » vers une sorte de « démocratie avancée » (concept que le PCF développera par la suite), Maurice Thorez a réussi à façonner le PCF à son image, tout comme Maurice Thorez a été façonné à l’image du PCF.

Il peut ainsi expliquer qu’au final, le marxisme-léninisme est simplement une sorte de machiavélisme politique pour aboutir à la mise en commun des biens.

Voici ce qu’il explique dans « Ce que nous apprend la théorie marxiste-léniniste », un court article publié en juin 1939 :

« Le marxisme-léninisme nous enseigne comment la dictature du prolétariat s’épanouit en une démocratie socialiste de tout le peuple (…).

La Constitution stalinienne est le monument de granit qui n’assure pas seulement la marche au progrès et au bonheur de l’Union soviétique, mais qui donne à tous les travailleurs du monde la certitude du triomphe de leur cause, du triomphe du communisme (…).

La théorie marxiste-léniniste nous apprend à distinguer en toute chose « ce qui naît et ce qui meurt », ce qui évolue et se transforme, sous l’influence des autres phénomènes, et en réagissant à son tour sur le milieu environnant.

La théorie marxiste-léniniste nous apprend par conséquent à juger d’une situation dans son ensemble tout en tenant compte de chacun des éléments et facteurs particuliers de cette situation donnée, tout en tenant compte des influences réciproques et variables de ces éléments sur l’évolution de la situation.

Nous avons appris que la réalité d’aujourd’hui peut ne plus être celle de demain ; par exemple, notre Parti communiste étant un des facteurs de l’évolution en France, de son activité peuvent dépendre des modifications importantes dans le sens des intérêts de la classe ouvrière, des intérêts du peuple.

Nous avons donc appris à déterminer une tactique qui varie nécessairement en fonction des changements dans la situation.

Nous avons appris à lancer les mots d’ordre appropriés aux conditions, aux circonstances données : nous avons appris à rejeter le mot d’ordre qui ne convient plus à une nouvelle situation.

Nous avons donc appris à joindre à la fermeté des principes, la capacité de manœuvre, la souplesse tactique.

Nous avons appris à pousser hardiment de l’avant quand les circonstances sont favorables et à tenir nos positions, voire à battre en retraite, en bon ordre, lorsque l’ennemi de classe est parvenu à reprendre l’avantage. »

On est là pleinement dans une posture pragmatique-machiavélique, et on voit bien comment Maurice Thorez « justifie » la liquidation de la culture « classe contre classe ».

Et comme on le voit, Maurice Thorez profite dans son élan « social-démocrate dur » de l’erreur de Staline : avoir considéré que les luttes de classes étaient terminées en URSS et avoir ancré cette conception dans la Constitution soviétique.

Mao Zedong réparera cette erreur, avec la conception de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne ; dans le processus de critique du révisionnisme soviétique, Maurice Thorez qui appuyait sur celui-ci sera également une cible importante de la critique chinoise effectuée (comme par exemple dans D’où proviennent les divergences ? ­Réponse à Maurice Thorez et d’autres camarades)

Une position qui ne change pas durant l’Occupation.

La position de Maurice Thorez ne sera pas différente pendant l’Occupation. Or, la situation a changé, ce qui prouve que le PCF de Maurice Thorez a bien prôné une ligne globale de « libération nationale ».

Voici comment Maurice Thorez présente la situation en août 1943, dans l’article « L’offensive victorieuse de l’Armée rouge rend plus proche l’insurrection nationale » :

« Et d’abord, que faut-il faire ? Il faut, selon notre mot d’ordre de toujours, unir, unir et encore unir.

Le Parti communiste français ne s’est jamais départi de son attitude profondément unitaire : unité politique de la classe ouvrière, autrefois scellée par le Pacte d’union d’action conclu entre le Parti communiste et le parti socialiste ; unité syndicale, réalisée dans une seule C.G.T. À laquelle les militants communistes donnèrent tous leurs efforts ; Front populaire, pour le pain, la liberté et la paix, fondé sur notre initiative et dont le programme, s’il eût été appliqué effectivement, eût certainement épargné beaucoup de souffrances au peuple de France ; Front français, que notre Parti préconisait dès août 1936 pour faire face à la menace hitlérienne ; que nous ne pûmes malheureusement faire aboutir en raison des préjugés, des préoccupations subalternes et d’un certain esprit de boutique qui animait quelques-uns de nos partenaires du Front Populaire ; Front français qui se réalise aujourd’hui sous la pression des événements pour libérer le pays du joug de l’étranger. »

La continuité qu’affirme ici Maurice Thorez révèle le fond du problème.

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez et le communisme comme simple «mise en commun»

La conception même du communisme est nécessairement falsifiée par Maurice Thorez dans un sens économiste. A ses yeux, le communisme, c’est simplement la « mise en commun ». Cela ne va pas plus loin.

Lors du discours « Pour une jeunesse heureuse » prononcé le 27 mars 1937 aux Jeunesses Communistes de la région parisienne dans une salle du parc d’attractions parisien « Magic City », Maurice Thorez définit ainsi de la manière suivante « communisme » et « communiste » :

« Le communisme – ce pur et noble idéal de justice sociale et de fraternité humaine – c’est désormais la certitude que nous pouvons réaliser et que nous réaliserons le rêve de bonheur qui a hanté l’humanité dans les temps les plus reculés, puisque les progrès de la science, s’appuyant désormais sur la force et sur la conscience de la classe ouvrière, peuvent permettre une meilleure organisation de la société, une organisation de la production qui assure un travail à tous les travailleurs libres et avec le travail la joie, l’amour dans la liberté et dans la paix (…).

Le communiste, c’est celui qui poursuit la réalisation de cet idéal, tout en se préoccupant, dans le présent d’améliorer le sort des travailleurs, le sort des déshérités ; c’est celui qui se dévoue à la cause commune, à la cause de tous, et voilà sans doute la raison essentielle de la grande influence et des effectifs toujours plus nombreux de votre Fédération des Jeunesses Communistes.

Le communisme, ses buts, l’action de ses partisans, de ses militants, répondent pleinement aux aspirations de la jeunesse, à son impérieux besoin de mouvement, à son goût de l’action et aussi à son élan naturel vers le bien et vers le beau, vers ce que vous chantiez tout à l’heure : « Vive la vie, vivent la joie et l’amour » (…).

Le désir de s’instruire est inné dans la jeunesse. La jeunesse est attirée par l’étude de la science ; elle veut aussi étudier le passé, pour que le passé puisse lui servir dans le présent et préparer son avenir.

La jeunesse laborieuse de France doit et peut étudier l’effort séculaire de ses pères, de ses ancêtres, dans leur lutte pour la paix.

La jeunesse laborieuse de France doit et peut étudier la littérature de notre pays. La jeunesse laborieuse de France ne peut prétendre à une connaissance suffisante du marxisme-léninisme, de notre propre doctrine, sans apprendre à connaître les matérialistes du XVIIIe siècle, les grands Encyclopédistes si justement appréciés par les fondateurs du matérialisme historique.

Les jeunes travailleurs, les jeunes révolutionnaires, ont beaucoup à apprendre de l’histoire des grandes révolutions et des grands mouvements sociaux de notre pays, tout particulièrement de l’histoire de la grande Révolution française. »

Maurice Thorez et Jacques Duclos

« La France du Front populaire et sa mission dans le monde »

En 1938 fut publié un document de plus d’une centaine de pages, intitulé pas moins que « La France du Front populaire et sa mission dans le monde ». Il s’agissait du rapport présenté au IXe congrès du Parti Communiste français, se tenant à Arles du 25 au 29 décembre 1937.

Ce document est une synthèse de la ligne social-chauvine faussant l’interprétation du matérialisme dialectique, accordant à la France en tant que nation une position « historique ».

Revendiquant le mot d’ordre de « Union de la nation française », lancé au congrès précèdent, en janvier 1936, ce nouveau rapport présente justement de la manière suivante le rapport de l’année précédente :

« Le rapport [de 1936] était comme une nouvelle rencontre de la classe ouvrière avec la France, un des plus beaux et des plus riches pays du monde.

Il débutait par le tableau des richesses de la France, de ses ressources immenses, agricoles et industrielles.

Il détaillait les principales productions de la terre de France fécondée par la sueur et le sang de Jacques Bonhomme, l’ancêtre de nos laboureurs.

La production de ses usines géantes, fruits du labeur de nos pères, et des pères de nos pères, jusqu’aux plus lointaines générations. »

On voit le degré de populisme atteint, et Maurice Thorez continue tout au long dans le même esprit : « Sur notre sol fertile lèvent de belles moissons », etc. etc.

Dans ce qui est un véritable manifeste, on trouve également et surtout exposé ce qui est au cœur de l’économie politique du Parti Communiste français : la liquidation du concept de bourgeoisie.

Voici ce que dit Maurice Thorez, faussant les enseignements du matérialisme historique dans un sens petit-bourgeois :

« Nous avons montré, conformément à l’enseignement de Lénine, qu’au sommet de la nouvelle aristocratie, de l’aristocratie de l’argent, se trouvait un tout petit nombre de gros capitalistes, les chefs et les représentants de ces deux cents familles qui dominent l’économie et la politique du pays.

C’est cette oligarchie financière qui condamne le peuple de France à la misère, à la déchéance physique, à la dégradation morale, qui détruit la famille, jette le père à la rue sans souci du pain de ses enfants, qui contraint sa fille à la prostitution, et qui réserve à l’enfant abandonné et malheureux, privé de soins et de tendresse, le bagne d’Eysses ou de Belle-Isle.

C’est l’oligarchie financière qui fait s’épanouir, fleurs vénéneuses du fumier capitaliste, la corruption et le scandale, qui soudoie les chefs fascistes, entretient et arme leurs troupes mercenaires, sème la division et provoque à la guerre civile. »

De fait, il est évident qu’ici Maurice Thorez exprime une conception qui est une falsification complète du matérialisme historique. Il y a ici une oligarchie malveillante, au lieu d’une bourgeoisie en tant que classe décadente.

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez : de la France des cathédrales au marxisme

La ligne sociale-chauvine de Maurice Thorez fait qu’il voit tout en terme de nation française républicaine, source de progrès. Il explique ainsi que:

 « Unis, communistes, socialistes, syndicalistes, radicaux, républicains, nous obtiendrons un véritable gouvernement de la France, un gouvernement fidèle aux volontés du peuple, fidèles aux peuples amis et alliés, fidèle à la mission française de progrès, de liberté et de paix dans le monde. »

Contre la trahison de la cause nationale, septembre 1938

« Peu à peu, chaque homme, chaque femme de notre peuple comprend et apprécie les efforts de notre Parti communiste pour préparer la classe ouvrière à la grande et lourde tâche que l’histoire lui assigne : assurer la continuité de la France, de la France toujours plus belle, toujours plus aimée, au sein d’une Europe réconciliée et unie dans le travail et dans la paix.
Ce ne sera pas la première fois qu’en présence de la trahison des grands, la conscience nationale du peuple de France aura provoqué le redressement nécessaire. »

Pour la paix, contre la trahison, septembre 1938

Ce n’est pas tout. La position de Maurice Thorez s’est nécessairement accompagnée d’une remise en cause du matérialisme dialectique. En France, la dialectique n’a jamais été comprise que comme simple affirmation de la transformation – le mode dialectique de la transformation n’a lui pas été compris.

Il en résulte que Maurice Thorez a assimilé le matérialisme dialectique au matérialisme français du XVIIIe siècle.

Ainsi, non seulement les Lumières sont résumées au seul courant matérialiste authentique – celui de Denis Diderot – ce qui est faux, puisqu’il y a en fait surtout Jean-Jacques Rousseau et Voltaire, mais qui plus ce matérialisme est présenté comme ce qui a donné naissance au marxisme.

Maurice Thorez ose ainsi dire :

« Le marxisme procède du matérialisme français »
(La France du Front populaire et sa mission dans le monde, 1937)

Et bien évidemment, la pensée matérialiste mécaniste de René Descartes est considérée comme la base du matérialisme authentique :

« A la veille de la convocation des États généraux par Louis XVI, les conditions objectives, économiques et sociales de la Révolution étaient parvenues à maturité.

Mais déjà les transformations nécessaires devenues inévitables s’étaient reflétées dans l’oeuvre pré-révolutionnaire des penseurs français du XVIIIe siècle.

Les Encyclopédistes groupés autour de Diderot approfondissaient le côté matérialiste de la pensée cartésienne et élevaient un monument durable. Ils jetèrent les fondements de notre propre doctrine. »

La France du Front populaire et sa mission dans le monde, 1937

Le tout permet, bien entendu, une lecture chauvine de l’histoire du monde :

« C’est une fois de plus la France démocratique, la France de 1789, devenue la France du Front populaire, qui va guider les peuples de l’Europe dans la voie du progrès, de la liberté et de la paix. »

La France du Front populaire et sa mission dans le monde, 1937

De la France des cathédrales au marxisme

Maurice Thorez est allé très loin dans cette démarche, comme en témoigne la longue citation suivante, qui est un mélange inconsistant des leçons du marxisme au sujet de l’art gothique, du matérialisme de Diderot, de Descartes qui est, et c’est assez exceptionnel, présenté comme à l’origine des Lumières !

Maurice Thorez en arrive à fonder une idéologie du socialisme français, allant en ligne droite des cathédrales au marxisme.

« Nous sommes, en effet, nous, communistes, les disciples de Marx et Engels, de Lénine et Staline. Nous sommes des marxistes-léninistes, des partisans convaincus du matérialisme dialectique, théorie d’avant-garde du prolétariat révolutionnaire.

Nous sommes par là les héritiers authentiques et les continuateurs de la pensée révolutionnaire des matérialistes français du XVIIIe siècle, des grands Encyclopédistes, eux-mêmes fils spirituels de cet autre philosophe français Descartes dont nous avons célébré récemment la mémoire.

Marx lui-même a mis en lumière cette filiation doctrinale dans La Sainte Famille : « De même que la matérialisme cartésien a son aboutissement dans la science de la nature proprement dite, l’autre tendance du matérialisme français débouche directement sur le socialisme et le communisme. » (…).

Le matérialisme philosophique des communistes est loin de la foi religieuse des catholiques ? Cependant, aussi opposées que soient leurs conceptions doctrinales, il est impossible de ne pas constater chez les uns et les autres une même ardeur généreuse à vouloir répondre aux aspirations millénaires des hommes à une vie meilleure (…).

Le rôle progressif [en fait, progressiste] du christianisme apparaît encore plus tard dans l’effort d’organisation de la charité, de la solidarité, dans la tentative de rendre plus justes et plus pacifiques les rapports entre les hommes à l’époque de la féodalité, dans le souci des communautés religieuses, – groupements communistes d’intention, de fait et d’action – qui se donnaient pour mission de conserver, de développer et de transmettre aux siècles futurs la somme des connaissances humaines et les trésors artistiques du passé.

Est-il possible d’évoquer sans émotion les siècles qui ont vu s’élever vers le ciel les flèches de nos magnifiques cathédrales, ces purs joyaux de l’art populaire, qui protestent de toutes leurs vieilles pierres – vivantes pour qui sait les comprendre – contre la légende du sombre moyen-âge.

Je me prends souvent à comparer aux bâtisseurs de cathédrales animés de la foi ardente qui « soulève les montagnes », et permet les grandes réalisations, les constructeurs de la nouvelle cité socialiste, les stakhanovistes, les héros du travail qui font surgir sur le sol libre de l’Union soviétique les usines géantes, les villes entières et aussi les grandioses monuments par quoi s’affirme aujourd’hui l’élan enthousiaste du communisme. »

Communistes et catholiques. La main tendue. Rapport présenté au Palais de la Mutualité à Paris, le 26 octobre 1937, lors de l’assemblée des cadres. Diffusée par la suite sous forme de brochure.

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez : face aux «oligarchies capitalistes»

L’une des caractéristiques du réformisme de type social-démocrate est de limiter les revendications sociales à la question de l’amélioration, du fait de rendre la vie plus facile. Il y a ici à la fois une dimension prolétarienne réelle, et une manipulation psychologique et des sentiments.

Maurice Thorez se précipite systématiquement dans ce travers réformiste, il en use de bout en bout, avec une démagogie certaine.

Il dit par exemple :

« Et on ne peut davantage tolérer le langage impie de ceux qui disent : Plutôt la servitude que la mort. Nous ne voulons pas la mort. Nous voulons vivre. Nous voulons assurer à nos enfants – que la guerre menace jusque dans les berceaux, ou dans leurs salles d’études, ou dans leurs jeux innocents, – une vie belle, heureuse et libre. Nous voulons la vie dans la liberté. Nous voulons la paix dans l’honneur et la dignité (…). Vive la France libre, forte et heureuse, fidèle à sa mission de progrès, de liberté et de paix. »

Main dans la main pour la ronde de la paix, mars 1938

« Levé tôt et couché tard, bravant les intempéries, scrutant le ciel, tantôt espérant l’ondée rafraîchissante, tantôt se lamentant sur la pluie persistante, à la merci d’une gelée tardive, d’un printemps sec, d’un été pluvieux, telle est la rude vie du paysan à qui nous voulons assurer la sécurité du lendemain par la création de la caisse contre les calamités agricoles inscrite au programme du Front populaire. »

Septembre 1937, article dans l’Humanité : « Nous sommes au premier rang des défenseurs de la France rurale »

Il dit également par exemple :

« Le peuple sait bien que sans le Front populaire, dont le Parti communiste français s’honore d’avoir été l’initiateur, les hommes du 6 février, les cagoulards au service du fascisme international, seraient parvenus à imposer leur sanglante dictature dans notre pays.

Le peuple sait que sans le Front populaire, il n’y aurait ni les 40 heures, ni les congés payés, ni les conventions collectives. Il est indiscutable que sans le Front populaire, ouvriers, paysans et commerçants seraient bien plus malheureux. »

Plus que jamais, union du Front populaire, discours prononcé à Guéret dans la Creuse le 24 avril 1938

L’oligarchie comme seule ennemie

On peut considérer qu’il s’agit d’une démarche frontiste, visant à ancrer des secteurs des masses dans le processus progressiste. Cependant, dans le cas de ce dernier discours comme dans bien d’autres, Maurice Thorez parle des « puissances d’argent qui conspirent contre le Front populaire », des « oligarchies capitalistes ».

Maurice Thorez explique ainsi qu’il aurait été possible d’ « alléger le fardeau fiscal qui accable les commerçants et les petites gens en faisant payer les riches, en réalisant la réforme démocratique de l’impôt. »

Il dit également que les libérations successives des membres de l’extrême-droite « ne manquent pas d’inquiéter tous ceux qui sont soucieux du maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. »

Dans « Un an de Front populaire, l’unité ouvrière » (juin 1937), Maurice Thorez dit de la même manière :

« Faire payer les riches ! c’est assurer l’équilibre du budget. (On se moquait de nous, l’an dernier, lorsque nous disions la nécessité d’assurer l’équilibre du budget). Faire payer les riches ! c’est diminuer la pression des oligarchies financières sur le gouvernement. »

En clair, il oppose le régime républicain à l’oligarchie, non plus la classe ouvrière à la bourgeoisie. C’est indéniablement intégrer le PCF aux institutions.

Seulement, cela veut dire se lier au gouvernement, et là est la grande contradiction de Maurice Thorez, qui entend assumer le Front populaire, mais pas le gouvernement du Front populaire s’il n’applique pas du Front populaire… or c’est inévitable, de par la nature même de la politique bourgeoise.

Maurice Thorez

Maurice Thorez tente ainsi après 1936 de se dédouaner comme il peut, comme ici lorsqu’il explique :

« L’action de la classe ouvrière par le Front populaire, pour le Front populaire, dans et le Front populaire, s’est exercée et s’exerce dans un sens favorable aux intérêts bien compris de tous les travailleurs, dans un sens progressiste.

Le Front populaire a renouvelé la démocratie, il a même, en quelque sorte, réhabilité le Parlement (…).

Le Front populaire est devenu une acquisition de la classe ouvrière qui le défendra contre tout et contre tous, comme elle a toujours soutenu et défendu la République, malgré ses fautes, et parfois ses crimes.

Car le prolétariat sait que la République, comme l’a dit Marx, « c’est le terrain en vue de la lutte pour son émancipation révolutionnaire, mais nullement cette émancipation elle-même. »

Voilà, encore une fois, qui explique l’attachement des masses au Front populaire, et l’attitude loyale de collaboration du Parti communiste, et la durée de la présente équipe ministérielle (…).

Par contre, il ne serait pas juste d’affirmer que l’échec éventuel d’un gouvernement serait l’échec du Front populaire, et ne laisserait d’autre alternative à la classe ouvrière que la révolution immédiate.

Ce ne serait pas juste, surtout dans la mesure où le programme n’aurait pas été réalisé. »

Au final, il ne reste que la position petite-bourgeoise du complot. Dans « Le serment du 14 juillet renouvelé devant cinq cercueils », allusion au « serment » du Front populaire et à la mort de 5 ouvriers lors d’une fusillade à Clichy en 1937, Thorez définit ainsi la réalité sociale en France, selon lui :

« Les travailleurs, les républicains, ont la claire notion que ce redoublement d’activité criminelle des ligues factieuses est le complément de l’attaque des oligarchies financières qui veulent contraindre à l’abandon du programme économique et social du Front populaire, qui veulent ravir aux travailleurs leurs conquêtes de l’année dernière, qui veulent différer la réalisation des promesses solennelles, telle la retraite des vieux (…).

Le peuple de France attaché au Front populaire, veut vivre par son travail, dans l’ordre et la liberté, dans la paix à l’intérieur et à l’extérieur (…).

Notre pays est celui qui a connu le moins de grèves ces derniers mois, et si les provocateurs fascistes étaient mis hors d’état de poursuivre leur abominable besogne de division et d’excitation à la violence et à la guerre civile, le calme, condition de la prospérité, serait enfin assuré (…).

Le peuple de France exige l’épuration des cadres de la police, de l’administration, de la magistrature et de l’armée. Le peuple de France exige que passe enfin le « souffle républicain » annoncé et attendu (…).

Communistes, socialistes, républicains, radicaux et démocrates, laïques et croyants, ouvriers et paysans de France, unis par le serment solennel du 14 juillet 1936, nous appliquerons les volontés expresses de notre peuple (…). Nous jurons de conduire à une France libre, forte et heureuse ! »

Les luttes de classes ont cédé la place à la lutte juste et normale de la grande majorité face à une minorité injuste et manipulatrice. Il n’est guère étonnant, de par cette démarche, qu’ait put sortit du PCF des gens – une fois brisé de leur part le lien idéologique avec l’URSS –  des gens devenant par la suite des fascistes, comme Jacques Doriot. Et dès que l’URSS, après 1953, deviendra révisionniste, toute la façade radicale du PCF s’effondrera.

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez : bicyclette, tandem et camping

Le PCF a réussi à s’imposer comme un parti politique puissant et participant à la vie institutionnelle, par l’intermédiaire du Front populaire. Le problème est que celui-ci n’est, en fin de compte, qu’une forme gouvernementale traditionnelle, avec simplement un appui extérieur.

Dans le cadre de l’État bourgeois, il ne saurait en être autrement. Maurice Thorez est obligé, par conséquent, de pratiquer la fuite en avant. Tout ce qui suit 1936 est marqué par cela dans ses positions, qui reflètent désormais une base pratiquant une ligne « social-démocrate dur » et soutenant l’URSS.

La plongée dans l’économisme et le syndicalisme en découle fort logiquement. Dans l’Humanité du 18 janvier 1938, on trouver le compte-rendu de presse d’un discours prononcé la veille à Montreuil, en banlieue parisienne. Voici la fin de ce petit discours :

« Et Maurice Thorez énumère ensuite tout ce que les masses laborieuses de ce pays attendent encore :

Maintien et amélioration des lois sociales. Grands travaux. Retraite aux vieux. Pour les paysans, allocations familiales, caisses d’assurances contre les calamités agricoles et enfin, pour financer toutes ces réformes, la réforme fiscale.

Il faut faire payer les riches, ajoute Maurice Thorez, en finir avec les armements des ligues et mettre les véritables responsables du complot en prison.

Il faut faire passer le souffle républicain, il faut une politique extérieure démocratique et française, il faut permettre à la France du Front populaire de réaliser sa mission dans le monde.

Et l’orateur termine :

En avant pour un gouvernement de Front populaire à l’image du Front populaire et dans lequel les communistes auront leur place !

En avant pour une France libre, forte et heureuse ! »

Le socialisme a disparu de l’horizon politique, remplacé par des revendications qui, dans leur contenu, sont censés former une sorte de sas entre front populaire et république française des soviets.

Des kermesses à la bicyclette

Culturellement, les conséquences sont innombrables sur le PCF, qui perd toute culture de la radicalité. Il n’est pas étonnant que l’interdiction de 1939 mettra le PCF K.O. debout : il n’a aucune culture insurrectionnelle. Sa démarche se veut intégrée aux institutions républicaines.

La vie quotidienne est présentée comme un élément devant être stable, tranquille, dans une optique absolument opposé à la culture de la lutte armée et de l’insurrection.

Dans « Un an de Front populaire, l’unité ouvrière » (juin 1937), Maurice Thorez parle ainsi tranquillement des chorales, des sociétés musicales unifies, des goguettes familiales des cellules d’entreprise, des kermesses, des fêtes, des festivals dans les quartiers et les cités.

Il salue le progrès de la bicyclette et du tandem, du fait que la moto devienne un « sport populaire », que les jeunes pratiquent le camping. Dans sa conférence « Pour une jeunesse heureuse » en mars 1937, Maurice Thorez explique qu’il faut organiser des longues promenades, des excursions, des vacances, des maisons de repos, des trains à prix réduit, des terrains, des salles d’entraînement, des stades, des piscines, des moniteurs, des professeurs, etc.

Il ne comprend absolument pas que toutes ces socialisations se déroulent au sein de la société capitaliste, qui forcément va les intégrer, tout comme elle a intégré la social-démocratie allemande de la fin du XIXe siècle.

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez : pragmatisme et refus de deux blocs sociaux antagoniques

A partir du moment où les institutions sont reconnues, à partir du moment où l’ennemi est présenté comme étant une oligarchie (et non plus la bourgeoisie), alors la voie est ouverte pour le refus de la guerre civile, objectif pourtant central des communistes.

Dans « Pour le pain, la liberté et la paix », un discours prononcé en septembre 1936, Maurice Thorez explique :

« Ce qui est vrai, c’est que nous nous refusons, surtout en considérant l’horreur des événements d’Espagne, à accepter la perspective de deux blocs dressés irréductiblement l’un contre l’autre et aboutissant à une guerre civile dans des conditions qui seraient pour notre pays encore plus redoutables que l’Espagne, ne serait-ce qu’en raison des menaces de Hitler. »

Cette position est, au sens strict, l’antithèse de la culture des communistes de l’Est européen, qui elle était fondée justement sur la nécessité de l’affrontement bloc contre bloc, par la lutte armée, avec naturellement toutes les conséquences pratiques allant avec dans la préparation.

C’est là qu’on comprend ce que représente Maurice Thorez. Ce qui a donné naissance à Maurice Thorez en tant que figure populaire, c’est tout d’abord son activité réformatrice au sein du Parti Communiste, puis sa mise en avant du Front populaire. Alors que le Parti Communiste était en crise, Maurice Thorez s’est présenté comme l’homme de la base, et de là il s’est propulsé comme figure populaire portant l’idée d’un « front » du peuple.

Si l’on dit qu’il s’est propulsé, c’est nécessairement de manière impropre. Maurice Thorez, en tant que figure politique, est une construction. Il n’y a pas d’écrit théorique de Maurice Thorez, ni d’analyse particulière de la France, et l’on sait que ce n’est pas lui qui était à l’origine du contenu des documents qu’il pouvait mettre en avant.

La figure de Maurice Thorez est ainsi une construction idéologique. Elle est un moyen de combler le vide politique et idéologique existant dans le mouvement communiste en France, par opposition aux autres Partis Communistes d’Europe, principalement à l’Est.

La situation en France, sur le plan théorique, était misérable ; en cela la France se rattache à la situation anglaise, voire à la situation italienne. Mais de par la situation politique justement, il fallait qu’émerge une figure portant le communisme, pour former une sorte de « pensée-guide » élémentaire, chargée justement de générer de véritables communistes par la suite.

Il va de soi qu’un tel pragmatisme ne pouvait qu’échouer, et que si l’on regarde le Parti Communiste en France, la seule chose de radicale était l’organisation clandestine de celui-ci, portée par l’Internationale Communiste.

Une fois l’Internationale Communiste supprimée, le PCF était livré à lui-même et devenait ouvertement un parti comme bras politique du syndicalisme « révolutionnaire. »

Le souffle républicain, l’ordre, la tranquillité

Cependant, la situation provient également des ambiguïtés du VIIe congrès de l’Internationale Communiste au sujet du rôle du Front populaire, de sa nature sociale, culturelle et idéologique.

La position de l’Internationale Communiste, puis du Kominform qui a suivi en Europe, visant la fusion des Partis Communiste et Socialiste, fusion qui par nature aurait généré un authentique Parti révolutionnaire capable de prendre les commandes de la société, était porteuse de nombreuses possibilités, mais de dangers immenses.

Il y a là tendanciellement une négation des questions culturelles et idéologiques, qui justement posera problème en URSS et permettra aux révisionnistes de prendre le pouvoir après la mort de Staline en 1953 ; inversement, Mao Zedong a compris cette question et y a répondu en Chine populaire avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

On a là le cœur de la question de ce que représente Maurice Thorez. Ce qu’il représente, c’est d’une certaine manière une position frontiste, qui elle-même se place au sein du Front populaire. Sans être révolutionnaire, Maurice Thorez symbolisait un front démocratique, voire démocratique-bourgeois, radical.

On a ici un exemple quand Thorez explique à la fin de l’année 1937, dans un meeting à Longwy à l’ouverture d’une campagne électorale :

« Eh bien ! Notre Parti proclame, et il le dit sur les murs de Paris, et il le dit dans ses manchettes de L’Humanité, il le répète dans ce meeting, et il le dira partout, avec une formule qui a son sens : il faut en finir : La France aux Français.

La France aux Français, ce n’est nullement pour les communistes un mot d’ordre de caractère chauvin, xénophobe, lancé à la manière de ceux qui excitent à la haine contre les travailleurs émigrés, nos frères, ou contre d’autres peuples, tout en léchant les bottes de Hitler et de Mussolini.

Notre mot d’ordre signifie : aux travailleurs émigrés, aux victimes de la réaction fasciste, de la réaction blanche à travers l’Europe : fraternité, asile sacré, égalité avec leurs frères de France.

Il signifie : assez d’espions et de provocateurs, à la porte les mercenaires du fascisme, fauteurs de guerre, en prison leurs complices français, de la Rocque, Doriot et les autres.

Il signifie : le souffle républicain dans les administrations, dans la magistrature, dans la police de notre pays.

C’est la condition pour l’ordre et la tranquillité dans notre pays, c’est la condition pour sauvegarder la paix. »

Ce discours est en tous points formellement en opposition avec celui qui a existé dans l’Est de l’Europe dans les années 1930 au sein des Partis Communistes, dont la rhétorique était ouvertement celle de l’insurrection pour l’instauration du pouvoir des soviets.

Maurice Thorez a proposé un discours de réforme radicale au sein des institutions, de démocratisation de l’État bourgeois interprété comme une république qui ne serait pas allé au bout d’elle-même ; il n’a jamais porté une stratégie d’accumulation des forces en vue de l’insurrection, mais en vue d’une démocratisation générale.

Maurice Thorez a ainsi représenté idéologiquement la social-démocratie, qui n’a donc pas consisté en le Parti Socialiste, qui a toujours été relativement de gauche seulement, mais bien en le Parti Communiste français.

Le PCF a été, durant la période de Maurice Thorez, une sorte d’équivalent de la social-démocratie allemande de la fin du 19e siècle : des références strictes au marxisme mais pas de velléités insurrectionnelles, une base ouvrière mais sur une base syndicaliste révolutionnaire, le Parti Communiste français servant de bras politique de ce syndicalisme.

Ce n’était ainsi pas la CGT qui a été la courroie de transmission du PCF, mais l’inverse, de la même manière que Maurice Thorez ne représentait pas l’insurrection, mais le frontisme démocratique, particulièrement poreux au démocratisme bourgeois.

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez : un parti avec un front ou un front – parti?

Le Front populaire est un grand succès face à la menace fasciste, et le PCF a choisi non pas de le diriger dans un processus de rupture avec la bourgeoisie, mais d’utiliser les institutions républicaines pour élargir la démocratie et aller, est-il pensé, de cette manière au socialisme en gagnant les masses à la cause.

Aussi doit-il prendre des décisions concrètes. Voici comment Maurice Thorez présente « ce qu’il faut faire immédiatement », dans l’article « Tout pour le Front populaire », rapport à la session du Comité central du PCF de mai 1936 :

« En résumé, il faut tout de suite :

1.Des mesures de remboursement aux victimes des décrets-lois ;

2.L’ouverture de grands travaux ;

3.La protection de l’enfance et le développement du sport ;

4.Des mesures contre les ligues de guerre civile ;

5.L’amnistie ;

6.La défense résolue du franc. Une commission d’enquête sur l’origine des fortunes édifiées au cours de leur mandat par certaines politiciens.

Appliquer ces mesures, telle est la volonté certaine des masses populaires. Comment, par quels moyens ? Pour nous, communistes, cela ne fait aucun doute : par l’activité propre de la classe ouvrière, par l’action des masses elles-mêmes, sans que nous puissions méconnaître le problème du gouvernement. »

Ce qui est dit ici est très révélateur de la conception syndicalistes révolutionnaire de Maurice Thorez, qui voit le Parti comme « bras politique » du syndicat, devant gérer les décisions prises « en bas », et non par l’idéologie.

Voilà pourquoi Maurice Thorez, en juin 1936, c’est-à-dire au moment des grandes grèves précédant la formation du gouvernement du Front populaire, et juste après les élections marquées par le succès du Front populaire, peut se féliciter des actions de masses en général.

Dans « La lutte pour le pain », prononcé lors d’un meeting parisien en juin 1936, Maurice Thorez affirme, au sujet de la « réconciliation française », que :

« Voilà que se réalise la réconciliation nationale de ceux qui souffrent, luttent et espèrent sous le signe du drapeau rouge et du drapeau tricolore.

Et ce n’est pas le moindre titre de fierté de notre Parti, que la confiance des masses qui par centaines et centaines de milliers réalisent notre politique d’union de la nation française.

Regardez, camarades, jamais dans nos communes ouvrières de banlieue, au moins depuis très longtemps, on n’avait tant de drapeaux tricolores. Aujourd’hui, il y en a sur toutes les usines, il y en a sur les chantiers (…).

Il nous plaît de constater que nos militants, nos élus, nos adhérents ont su partout se placer au premier rang et nous leur adressons un salut reconnaissant.

Tous ces militants du Parti agissent comme militant des syndicats.

Ils agissent comme représentants élus de la classe ouvrière et du peuple. Ils n’ont pas la prétention de diriger. Ils se sont mis au service des grévistes. Qui dirige ? Qui doit diriger ? Les syndicats, et aussi et surtout, les grévistes eux-mêmes. »

Maurice Thorez lors d’un meeting.
A l’arrière-plan, les figures de Staline, le dirigeant du Mouvement Communiste International, et d’Ernst Thälmann, le dirigeant du Parti Communiste d’Allemagne.

Une ligne de « Front de Libération Nationale »

La ligne de Maurice Thorez a fonctionné ; le PCF passe à pratiquement 150 000 membres, puis rapidement à plus de 180 000, puis 242 000 avec en plus 80 000 membres à la Jeunesse Communiste, et il soutient un gouvernement organisant des réformes sociales. Mais il y a un prix à payer.

Le Front populaire a une dimension défensive – niée par les trotskystes – mais il a également une dimension offensive – niée par Maurice Thorez. Ce dernier s’est empressé, face au trotskysme, d’appuyer au nom du réalisme ce qui est en fait une démarche pragmatique-machiavélique.

Il souligne que « tout n’est pas possible », qu’il faut savoir terminer une grève ; il célèbre la Marseillaise comme une grande chanson révolutionnaire, saluant le centenaire de la mort de son auteur Rouget de Lisle, faisant le parallèle entre la lutte contre les royalistes alliés à des pays étrangers et les « 200 familles » qui auraient pris le contrôle de la France qu’il s’agit de libérer.

Avec le succès du Front populaire, Maurice Thorez transforme le PCF en une sorte de « Front de Libération Nationale » devant allier toutes les masses contre une petite poignée d’oppresseurs.

Le progrès est considéré comme possible au sein des institutions bourgeoises et du capitalisme :

« L’union du peuple de France, c’est le pain assuré à tous, les justes revendications des travailleurs imposées aux riches, c’est la démocratie la plus large ; la prospérité, le renforcement du pays, gage de paix. »

Au service du peuple de France, rapport à la conférence nationale du PCF, juillet 1936

« Fort heureusement, il y a dans l’administration, dans l’enseignement et dans l’armée une grande majorité d’hommes attachés à la République et dévoués à la cause du peuple (…).

En travaillant à l’union de la nation française, il est nécessaire de faire preuve de libéralisme, même à l’égard de ceux qui voteraient, demain, contre nous (…).

On connaît les agresseurs. On a pris les numéros des voitures. On ne manquera pas de les poursuivre. (Un auditeur ; « Il faudrait les fusiller ! ») Non, il faut les mettre en prison à la place de ceux que l’amnistie devrait faire sortir de prison ! (…)

Le front français pour le respect des lois ; pour la défense de l’économie nationale ; pour la liberté et l’indépendance de la France (…)

Nous pouvons dire que le Front populaire (et nous y sommes pour quelque chose, nous, les communistes), en ce sens, sera vraiment un Front français, un Front du peuple de France, héritier et continuateur de la grande Révolution [de 1789] contre le front des agents de l’étranger, contre le front du Coblence [ville allemande refuge d’aristocrates après 1789] moderne.

Un Front français à la tradition héroïque de lutte et de liberté, aux accents de la Marseillaise de 1792 mêlés à ceux de notre Internationale, sous les plis du drapeau de Valmy et du drapeau rouge de la Commune, un Front français contre le Front antifrançais de trahison. »

Tout pour le Front populaire, tout par le Front populaire, juillet 1936

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez et la naissance de l’identité du PCF

Maurice Thorez va pousser très loin la ligne d’ouverture au nom de l’unité. Le régime doit être soutenu, afin de renforcer la « démocratie » comme tendance. Il s’agit de défendre la République, protéger le franc comme monnaie permettant de stabiliser les salaires, d’appeler à faire payer les riches, etc.

La révolution est soumise à la démocratie bourgeoise. Maurice Thorez résume cela, en disant dans « Pour la cause du peuple », qui est le rapport au comité central du PCF du 17 octobre 1935, que :

« Nous déclarons très nettement et très franchement qu’en ce moment les masses ouvrières n’ont pas à choisir entre la dictature prolétarienne et la démocratie, mais entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. C’est très important (…).

C’est pourquoi nous avons adopté très tranquillement, signé et contre-signé les ordres du jour qui parlaient de la défense de la République, des institutions républicaines ; c’est pourquoi nous acceptons bien volontiers de travailler à créer dans l’armée des comités pour la défense de la Constitution ; c’est pourquoi nous voulons lutter pour chasser de l’appareil d’État les éléments fascistes et les plus réactionnaires. »

Dans l’Humanité du 5 décembre 1935, on lit pareillement dans l’article « Défense de la démocratie » :

« Le mérite des communistes de France, c’est d’avoir compris que, dans le moment présent, le choix pour la classe ouvrière n’était pas entre la dictature du prolétariat et la démocratie bourgeoise, mais entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. Et ils ont agi en conséquence. »

Ce qu’il y a ici, c’est une ligne opportuniste de droite. Les ambiguïtés – en fait, la lutte entre deux lignes au sein de l’Internationale Communiste – font qu’avec le VIIe congrès de celle-ci, le PCF peut donc avaliser sa ligne, car elle est tendanciellement la pointe d’une ligne opportuniste déjà présente.

L’Internationale Communiste, à son VIIe congrès, a en effet souligné qu’en cas d’une poussée des masses, il peut exister un gouvernement de front unique prolétarien, de Front populaire antifasciste.

Mais les conditions sont la paralysie de l’appareil d’État, le soulèvement violent des masses, le soutien d’une grande partie de la social-démocratie aux mesures antifascistes. Cela fut le cas après 1945 dans les pays de l’Est européen ; ce n’est pas le cas en France au milieu des années 1930.

Ce Front Populaire était une tactique ; Maurice Thorez en a fait une stratégie, et effectivement une large partie de l’Internationale Communiste ira dans ce sens, l’exception notable étant le Parti Communiste de Chine avec Mao Zedong, qui appliquera correctement le principe de la « révolution ininterompue », qu’il formulera sous le concept de « révolution de nouvelle démocratie ».

Maurice Thorez

Nouveaux fondements de l’identité du PCF

A partir de la ligne opportuniste de droite, Maurice Thorez a développé toute une argumentation chauvine, soulignant les traits historiquement « révolutionnaires » des Français, appelant à la « véritable réconciliation française », posant en fait pratiquement une sorte de « socialisme national » qui s’opposerait au Capital résumé à une oligarchie qui serait organiquement liée à l’Italie fasciste et à l’Allemagne nazie.

Cet argumentaire porte véritablement dans les faits. Entre 1927 et 1931, les effectifs du PCF avaient chuté de 55 000 à 25 000 ; aux élections législatives de 1932, le parti communiste tombait à son plus bas niveau (6,8 %).

Cependant, en 1935, le PCF a 80 000 membres, l’Humanité tire à 250 000 exemplaires et pratiquement 400 000 le dimanche, alors que la Jeunesse Communiste est vite passée de 3500 à 30 000 membres, avec un journal, intitulé l’Avant-Garde, publié à 40 000 exemplaires.

Cette tendance qui donne véritablement naissance au PCF, Maurice Thorez en fait le cœur de l’identité idéologique, le tout étant résumé avec le mot d’ordre « Une seule classe, un seul syndicat, un seul Parti ».

Plus jamais le PCF ne changera de culture, prônant toujours une démocratie plus développée et appelant au rassemblement des forces de gauche en défense de la République face à la réaction.

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez : une nouvelle lecture de la démocratie bourgeoise

Maurice Thorez a été la grande figure du PCF pour avoir réussi à combiner syndicalisme révolutionnaire et forme partidaire de type « social-démocrate » dur ; c’est lui qui a été l’artisan de l’acceptation du régime républicain bourgeois au nom de la possibilité, mécanique, de l’accumulation des forces.

Le rapport entre démocratie bourgeoise et fascisme selon Maurice Thorez

Dans la logique de Maurice Thorez, le capitalisme peut basculer au fascisme, mais ce n’est pas obligatoire, c’est une tendance. En cela, il n’a pas compris la tendance historique nécessaire et a une vision du fascisme similaire aux trotskystes et aux anarchistes, qui voient en l’extrême-droite un rassemblement de gangsters ; Maurice Thorez parle du « Capital et ses mercenaires, les chefs des bandes fascistes ».

Maurice Thorez ne voit pas le fascisme comme tendance inévitable du capitalisme pourrissant, tendance donc à la fois politique et culturelle, idéologique et sociale. Pour lui, le fascisme, c’est en fin de compte et seulement un régime.

La république bourgeoise traditionnelle étant différente de ce régime et permettant l’accumulation syndicale des forces, alors aux yeux de Maurice Thorez elle est « meilleure » – c’est un point de vue totalement formel, anti-dialectique car ne voyant pas la conversion d’un régime en l’autre pour des raisons historiques.

Voici comment Maurice Thorez, dans « Les succès du front antifasciste », prononcé en 1935 au 7e congrès de l’Internationale communiste, présente les deux régimes de manière correcte, mais sans correctement montrer la transformation de l’un en l’autre :

« Le fascisme, c’est la terreur sanglante contre la classe ouvrière, c’est la destruction des organisations ouvrières, la dissolution des syndicats de classe, l’interdiction des Partis communistes, l’arrestation massive des militants ouvriers et révolutionnaires, les tortures et l’assassinat des meilleurs fils de la classe ouvrière.

Le fascisme, c’est le déchaînement de la bestialité, le retour aux pogroms du moyen-âge, l’anéantissement de toute culture, le règne de l’ignorance et de la cruauté, c’est la guerre hideuse à laquelle conduisent les provocations incessantes et tous les actes de Hitler et de Mussolini.

La démocratie bourgeoisie, c’est un minimum de libertés précaires, aléatoires, sans cesse réduites par la bourgeoisie au pouvoir, mais qui offrent toutefois à la classe ouvrière, aux masses laborieuses des possibilités de mobilisation et d’organisation contre le capitalisme. »

Il suffira par la suite pour Maurice Thorez d’expliquer que ces libertés ne seront plus « aléatoires » grâce à l’existence de l’URSS et la force du PCF après 1945, pour finalement définitivement accepter la république bourgeoise, considérée comme une sorte de « milieu » pouvant tendre vers le fascisme, ou au contraire vers l’élargissement de la démocratie, et donc alors le « socialisme ». Il prétendra faire en France pareillement que dans les pays de l’Est européen d’après 1945, qui eux auront par contre un véritable Etat de démocratie populaire.

Maurice Thorez

« L’unité totale » avec les socialistes et la démocratie populaire

Maurice Thorez, en 1935, peut se vanter que le PCF se soit adressé 26 fois au parti socialiste depuis 1923, et c’est à ce titre qu’il revendique l’unité totale avec les socialistes lorsque la CGT-Unifiée, proche du PCF, fusionne avec la CGT.

Le prix à payer, c’est le retour à la totalement réactionnaire charte d’Amiens, qui fait du syndicat un organe apolitique.

Maurice Thorez le reconnaît, il appelle cela une « grande concession » ; en réalité, idéologiquement c’est une capitulation, c’est une ouverture absolue, historiquement, au principe du syndicalisme révolutionnaire.

Cependant, à ses yeux c’est justifié pour des raisons de progression qu’il imagine automatique, et l’unité de la classe ouvrière est ouvertement présentée comme la clef du succès de la révolution socialiste, par la revendication de la « paix » et de la « liberté » face au fascisme.

L’origine de cette erreur est qu’il rejette l’idéologie comme guide et qu’opposant mécaniquement démocratie bourgeoise et fascisme, il ne voit pas la transformation interne des phénomènes.

C’est une lecture opportuniste du principe du « front unique » face au fascisme, et cela va se voir après 1945, alors que dans les pays de l’Est européen, les communistes authentiques géreront correctement  la « démocratie populaire » comme Front populaire antifasciste, étape pour aller de l’avant au socialisme, grâce à l’appui de l’URSS face aux forces réactionnaires.

Maurice Thorez, et avec lui toute une partie de responsables des Partis Communistes comme l’Italien Palmiro Togliatti, va aller au fur et à mesure jusqu’à considérer que cette démocratie populaire permet d’éviter la dictature du prolétariat et qu’elle peut même exister en France, malgré le fait que le pays soit capitaliste.

Maurice Thorez est ainsi, pour ainsi dire, le contraire historique de Mao Zedong : là où ce dernier a compris la gestion des étapes et le rôle de la culture et de l’idéologie, Maurice Thorez a, à l’opposé, une vision mécanique où les masses unies vont de manière prétendument naturelle au socialisme, quelles que soient les conditions du pays (capitaliste comme la France ou démocratie populaire comme dans les pays de l’Est européen après 1945).

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez : le concept d’oligarchie remplace celui de bourgeoisie

L’une des expressions les plus claires de l’adaptation pragmatique-machiavélique organisée par Maurice Thorez est la disparition de la question de la bourgeoisie, au profit du thème de l’oligarchie, de la simple toute petite minorité ennemie.

Si le matérialisme historique explique que le fascisme est porté par la fraction la plus agressive de la bourgeoisie, l’ensemble de la bourgeoisie est toutefois considérée comme placée sous la dépendance de celle-ci. Il n’y a pas d’oligarchie remplaçant la bourgeoisie ; chez Maurice Thorez, c’est pourtant le cas.

Dans « Avant la réunion du comité exécutif du parti radical – La cause commune », publié dans l’Humanitédu 30 juin 1935, Maurice Thorez explique ainsi :

« Unis, par le pacte, à nos frères socialistes, travaillant de tout notre cœur à la création du parti unique de la classe ouvrière, nous avons également le souci d’assurer l’alliance des prolétaires et des travailleurs des classes moyennes ; nous avons le souci d’assurer l’unité du peuple de France contre une minorité de parasites et de profiteurs qui rêvent de précipiter notre pays dans l’abîme du fascisme de la guerre. »

Le thème de « l’unité syndicale », au cœur même de l’idéologie de Maurice Thorez, trouve ici son expression parfaite : le PCF soutient la « tendance » amenant cette unité, et ce sur tous les plans, y compris gouvernementaux.

Le PCF est ici le « parti » du syndicalisme révolutionnaire.

Maurice Thorez

Une contradiction évidente

Il est évident que le passage à un soutien ouvert à un processus institutionnel rentrait en contradiction avec la position historique du PCF. L’histoire montre d’ailleurs que les organismes générés par le PCF ont fusionné avec ceux du Parti Socialiste à l’occasion du Front populaire, perdant leur dynamique anti-institutionnel.

Voici comment Maurice Thorez tente de jongler sur cette question de la contradiction entre un PCF anti-institutionnel et un soutien à une démarche institutionnelle, dans le petit article « Diviser pour régner », publié le 3 juillet 1935 :

« En réalité, nous n’avons pas changé. Nous sommes et resterons des communistes, des partisans de la démocratie soviétique et de l’édification d’une société sans classes, dans laquelle auront disparu l’oppression du Capital, l’exploitation de l’homme par l’homme.

Mais nous constatons qu’il est possible et nécessaire que les ouvriers communistes et socialistes s’entendent avec les paysans, les artisans, les intellectuels radicaux et démocrates pour une action commune en faveur des revendications qui nous sont communes.

Nous constatons que nous pouvons et devons ensemble travailler à l’amélioration du sort de la classe ouvrière et des petites gens des classes moyennes, que nous pouvons et devons ensemble lutter pour la défense des libertés démocratiques et de la paix. »

Il y a toutefois un prix à payer alors : la reconnaissance de la république.

La reconnaissance de la république

Les faiblesses idéologiques du PCF sont tellement importantes que le passage à la ligne républicaine est très rapide. Il se fait au nom du concept, affirmé par Maurice Thorez, que le parti radical est le parti le plus important de France.

Défendre le concept de république, c’est s’allier à lui et s’opposer à « l’oligarchie ». Dans l’article « Le front populaire défendra les libertés républicaines », publié dans l’Humanité du 9 juillet 1935, Maurice Thorez affirme ainsi :

« On ne peut mieux reconnaître que les ligues fascistes sont des troupes de guerre civile qui veulent imposer à la majorité laborieuse du pays républicain et antifasciste le joug d’une minorité parasite. »

Le même article affirme sa certitude que les officiers « républicains » s’opposeront à un putsch fasciste, dont les intérêts ne seraient que ceux de

« l’oligarchie financière et industrielle qui opprime notre pays et le conduit à la ruine et à la catastrophe »

En opposant le « pays » – bientôt le PCF utilisera le concept de « nation » – à l’oligarchie, Maurice Thorez révise ouvertement les enseignements de Marx, Engels, Lénine et Staline. Il instaure une dynamique de « libération nationale » absolument hors de propos dans un pays impérialiste aussi puissant que la France.

>Sommaire du dossier

Maurice Thorez : un appui devenant une stratégie

Le Front populaire

Face au coup de force fasciste et face à la guerre, le PCF a proposé le Front populaire, qui a un énorme écho. Il n’est cependant pas capable de le porter comme tactique devant l’amener à un palier supérieur, il n’est pas en mesure de prendre l’initiative.

Aussi, ne se contentant plus d’une position tactique, le PCF en fait une véritable stratégie reliée à la question de « l’unité syndicale ». Pour cette raison, au début juin 1935, Maurice Thorez explique à la « délégation des gauches » rassemblant les délégations des parlementaires communiste, socialiste, radical-socialiste, néo-socialiste, que :

« Le Parti communiste, dont le programme fondamental comporte la socialisation des moyens de production et d’échange qui sera réalisée par le gouvernement ouvrier et paysan, croit qu’il est possible et nécessaire au moment actuel, d’appliquer une politique d’action positive, s’appuyant sur un large Front populaire.

Le Parti communiste, renouvelant ses déclarations antérieures concernant son attitude éventuelle à l’égard d’un gouvernement de gauche, rappelle qu’il est disposé à appuyer à la Chambre et dans le pays toutes mesures propres à assurer la sauvegarde du franc, la répression énergique de la spéculation, la protection des intérêts de la population laborieuse, la défense des libertés démocratiques, le désarmement et la dissolution des ligues fascistes et le maintien de la paix. »

Le PCF est prêt à soutenir un gouvernement, car à ses yeux cela irait dans le bon sens – c’est une vision pragmatique, qui raisonne en termes de positionnement, et s’éloigne de la compréhension du processus historique en termes de Parti Communiste devant diriger la société.

Léon Blum et Maurice Thorez,
au moment du Front populaire.

Une voie pragmatique-machiavélique

De fait, la seule voie que le PCF a trouvé pour le Front populaire, c’est la réalisation de l’unité syndicale. Cela ne veut pas dire que le Front populaire n’ait pas possédé une réelle base populaire ; ce qui compte simplement ici, c’est que pour Maurice Thorez, le Front populaire est devenu un outil au sens pragmatique-machiavélique.

Il explique de ce fait, dans « Où va la classe ouvrière ? » (juin 1935), de manière juste que le Front populaire a bloqué le fascisme, mais de manière erronée que cela suffit pour aller de l’avant :

« La classe ouvrière de France, instruite par les leçons de l’Allemagne et de l’Autriche, attentive aux conseils du Parti communiste, ne s’est pas laissée isoler.

Elle s’est placée à la tête d’un large mouvement populaire à la tête de la majorité du peuple de France, contre les « minorités agissantes » au service du Capital, contre le fascisme et les gouvernements de l’Union nationale qui font le lit du fascisme.

C’est le Front populaire animé et dirigé par la classe ouvrière qui a contribué récemment à précipiter la chute de deux gouvernements des pleins pouvoirs. C’est le Front populaire qui aura raison de Laval, l’homme de la réaction et des ligues, le saboteur de la politique de paix voulue par le peuple de France.

Le Front populaire est donc un mouvement progressiste qui renforce les positions de la classe ouvrière et affaiblit celles de la grande bourgeoisie.

La classe ouvrière, en organisant, en animant, en guidant le Front populaire va à la liquidation du danger fasciste ; et elle se rapproche du moment où elle établira son propre gouvernement. »

Le Front populaire n’est pas seulement perçu comme une phase tactique antifasciste (qui fait justement sa valeur et montre le caractère erroné des trotskystes), mais également comme une étape vers le socialisme. C’est un pas vers la liquidation du concept de dictature du prolétariat.

>Sommaire du dossier